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ATTENTION : police Athenian pour le grec.

M. VITRUVE POLLION

DE L'ARCHITECTURE

LIVRE CINQUIÈME.

INTRODUCTION.

Ceux qui, dans de vastes ouvrages, ont développé leurs pensées ingénieuses et leurs excellents principes, ont donné à leur travail une grande et noble importance. Et moi aussi, illustre empereur, je pourrais espérer que mes études donneront à l'étendue de mon traité une valeur proportionnée; mais il y a là plus de difficultés qu'on ne se l'imagine : car en fait d'écrits, il n'en est pas de l'architecture comme de l'histoire, comme de la poésie. L'histoire a pour le lecteur un attrait tout particulier; elle lui fait continuellement attendre des événements nouveaux et variés. La poésie, par la mesure et la cadence des vers, par l'harmonie du langage, et l'élégance des entretiens des différents personnages qu'on introduit dans le poème, par la grâce du débit, la poésie charme les sens du lecteur, et le conduit sans peine jusqu'à la fin d'un ouvrage.
Il ne peut en être ainsi d'un traité d'architecture; les mots techniques qu'on est obligé de forger, jettent, dans un langage qui n'est point ordinaire, beaucoup d'obscurité sur leur propre signification. Ces termes vagues et obscurs dans leur acception, si, pour expliquer des préceptes, on n'écarte pas les raisonnements pleins de digressions sans fin, pour ne se servir que de phrases courtes et lucides, ces termes, vu la multitude embarrassante de mots qui les accompagne, ne produiront que confusion dans l'esprit du lecteur. Aussi, pour que la mémoire puisse conserver ces termes peu connus que j'emploie pour expliquer les proportions des édifices, je serai court : ce sera en effet le moyen de les faire entrer plus facilement dans l'esprit.
D'un autre côté, les affaires tant publiques que particulières dont je vois tous les citoyens accablés, ne me déterminent pas moins à abréger mon ouvrage, afin que ceux à qui leurs instants de loisir permettront de le lire, puissent promptement en saisir l'ensemble. C'est pour la même raison que Pythagore et ses sectateurs se sont servis des nombres cubiques pour écrire leurs préceptes dans leurs livres. Ils ont formé un cube de deux cent seize vers, sans toutefois vouloir en mettre plus de trois pour chaque sentence.
Or, le cube est un corps composé de six faces carrées et égales. Quand il a été jeté, il reste immobile, pourvu qu'on n'y touche plus, sur le côté sur lequel il s'est arrêté : c'est ce qui arrive pour les dés que les joueurs jettent sur la table de jeu. Le rapport qu'ils ont vu entre le nombre de vers et le cube, le leur a fait adopter; ils ont pensé qu'il resterait gravé dans la mémoire avec cette stabilité que prend le cube, lorsqu'il reste immobile sur une de ses faces. Les poètes comiques grecs, en introduisant des choeurs dans leurs pièces, les ont divisés en plusieurs parties : les entractes, produisant l'effet de la figure cubique, permettaient aux acteurs de se reposer après de longs récits.
Puisque cette méthode de nos ancêtres est basée sur un ordre naturel, comme je vois que je vais avoir à traiter un sujet inconnu et obscur pour le plus grand nombre, j'ai jugé que, pour me mettre plus à la portée du lecteur, je devais abréger mes écrits; ils arriveront ainsi facilement à être compris; j'ai classé les matières; et, pour épargner la peine de les chercher en plusieurs endroits, j'ai réuni dans chaque livre tout ce qui avait trait à une même chose. Voilà pourquoi, ô César, après avoir traité, dans le troisième et le quatrième livre, des proportions des édifices sacrés, je vais m'occuper dans celui-ci de la disposition des édifices publies; et d'abord je dirai quel doit être le plan du Forum, puisque c'est là que les affaires publiques et particulières sont réglées par les magistrats.

1. Du forum et des basiliques.

Chez les Grecs, le forum est carré. Tout autour règnent de doubles et amples portiques, dont les colonnes serrées soutiennent des architraves de pierre ou de marbre avec des galeries au-dessus. Les villes d'Italie n'ont pas dû adopter les mêmes proportions, parce que de nos ancêtres est venue jusqu'à nous la coutume de donner dans ces places les jeux de gladiateurs.
Ces spectacles exigent des entrecolonnements plus larges : il faut que tout autour de ces places, sous les portiques, il y ait des boutiques de changeurs, et au premier étage des galeries disposées de manière à faciliter le trafic et la perception des droits du fisc. Il importe que la grandeur des places publiques soit proportionnée au nombre des habitants, pour qu'elles ne soient pas trop petites, si elles doivent être fréquentées par beaucoup de personnes; trop grandes, s'il ne doit s'y en rendre qu'un petit nombre. On en détermine la largeur, en divisant la longueur en trois parties, dont on lui donne deux. Cette forme oblongue offrira plus de commodité pour les spectacles.
Les colonnes de la galerie seront d'un quart moins grosses que celles du portique, parce que celles d'en bas étant destinées à supporter plus de charge, doivent avoir plus de solidité que celles d'en haut. Une autre raison, c'est que, par ses productions, la nature semble nous faire une loi de cette proportion : les arbres hauts et unis, comme le sapin, le cyprès, le pin, sont tous plus gros par le bas, et à mesure qu'ils croissent et qu'ils s'élèvent, ils deviennent naturellement et graduellement plus minces jusqu'à la cime. Si telle est la conformation des productions de la nature, on a eu raison d'établir pour règle que les parties supérieures seraient moins longues et moins grosses que les parties inférieures.
Les basiliques, qui touchent aux places publiques, doivent être construites dans l'endroit le plus chaud, afin que pendant l'hiver les commerçants puissent y trouver un abri contre la rigueur de la saison. Leur largeur doit être du tiers au moins, de la moitié au plus de leur longueur, à moins qu'on ne rencontre dans la nature du terrain quelque obstacle qui force de changer cette proportion. Si l'espace était beaucoup plus long qu'il ne doit être, on ferait, aux deux extrémités, des chalcidiques semblables à celles de la basilique Julia Aquilia.
Les colonnes des basiliques auront une hauteur égale à la largeur des portiques, et cette largeur répondra à la troisième partie de l'espace du milieu. Les colonnes d'en haut doivent être, comme je l'ai déjà dit, plus petites que celles d'en bas. La cloison que l'on fera entre les colonnes du premier étage sera d'un quart moins haute que ces mêmes colonnes, afin que ceux qui se promènent dans la galerie de la basilique ne soient point vus des personnes qui trafiquent en bas. Les proportions de l'architrave, de la frise et de la corniche se règlent sur celles des colonnes, comme nous l'avons expliqué au troisième livre.
Cette sorte de basilique peut avoir autant de beauté et de magnificence que celle de la colonie Julienne de Fanum, construite d'après mes dessins, et sous ma direction. Voici les proportions que je lui ai données. La nef du milieu, entre les deux rangs de colonnes, a cent vingt pieds de longueur, et de largeur soixante. Le portique qui s'étend autour de la nef est large de vingt pieds entre les murs et les colonnes. Les colonnes, y compris les chapiteaux, ont toutes cinquante pieds de hauteur et cinq de diamètre. Elles ont derrière elles des pilastres hauts de vingt pieds, larges de deux et demi, et épais d'un pied et demi; ils soutiennent les poutres qui portent les plafonds des portiques d'en bas; au-dessus de ces pilastres, s'en élèvent d'autres de dix-huit pieds de hauteur, de deux de largeur, d'un d'épaisseur pour soutenir également les poutres qui portent les chevrons et le toit des portiques d'en haut, qui est moins élevé que celui de la nef.
Les espaces qui sont entre les poutres posées sur les pilastres, et celles qui sont sur les colonnes, sont laissés pour donner du jour entre les entrecolonnements. Les colonnes qui sont dans la largeur de la nef, à droite et à gauche, sont de chaque côté au nombre de quatre, y compris celles des coins; du côté de la longueur qui se trouve le plus rapprochée de la place publique, il y a huit colonnes, en comptant aussi celles des coins; du côté opposé, il n'y en a que six, y compris toujours les colonnes angulaires, parce qu'on a retranché les deux du milieu, qui auraient empêché de voir le pronaos du temple d'Auguste, qui se développe au milieu du mur latéral de la basilique, et d'où la vue s'étend sur le milieu de la place publique et sur le temple de Jupiter.
Dans ce temple se trouve un tribunal dont la forme arrondie ne présente pas en entier la moitié du cercle; ce quasi-hémicycle a quarante-six pieds de front, et de profondeur quinze. Ce tribunal a été élevé dans cette partie, afin que les personnes qui ont à plaider devant les magistrats ne soient point incommodées par celles qui s'occupent d'affaires dans la basilique. Au-dessus des colonnes, des poutres composées de quatre pièces de bois de deux pieds d'épaisseur règnent autour de la basilique. Arrivées aux troisièmes colonnes de la partie intérieure de la basilique, elles vont en retour s'appuyer sur les antes qui sont en saillie à l'extrémité du pronaos, en face des murs qui vont, à droite et à gauche, toucher le quasi-hémicycle.
Sur ces poutres, au droit des chapiteaux, s'élèvent en forme d'appuis des piles hautes de trois pieds, et larges de quatre en carré. Elles supportent des poutres composées de deux pièces de bois de deux pieds d'épaisseur, parfaitement jointes, sur lesquelles se trouvent, au droit du fût des colonnes, des antes et des murs du pronaos, les entraits et les contre-fiches qui soutiennent le faîte dans toute la longueur de la basilique, et celui qui part du milieu pour s'étendre au-dessus du pronaos du temple.
Cette double disposition de faîtes en forme de dents de peigne, formée par les toits latéraux et par celui de la grande nef qui s'élève au-dessus, présente un aspect des plus agréables. Et puis l'absence des ornements de l'architrave, des cloisons et des colonnes d'en haut, épargne beaucoup de peine et diminue considérablement les frais. Cependant ces hautes colonnes qui soutiennent dans toute sa longueur l'architrave sur laquelle vient poser la voûte, ajoutent beaucoup à la magnificence et à la majesté de l'ouvrage.

II. De la disposition du trésor public, de la prison et de l'hôtel de ville.

Le trésor public, la prison et l'hôtel de ville doivent être attenant au forum, à la grandeur duquel ils doivent être proportionnés. L'hôtel de ville surtout doit répondre à l'importance de la ville municipale ou de la cité.
S'il est carré, la largeur qu'on lui aura donnée, plus la moitié de cette largeur, établira la mesure de sa hauteur; s'il était oblong, on réunirait la longueur et la largeur, puis on donnerait la moitié du tout à la hauteur au-dessous du plafond.
De plus, l'intérieur des murailles doit être, vers la moitié de leur hauteur, entouré d'une corniche en menuiserie ou en stuc. Autrement la voix des interlocuteurs, se perdant dans l'espace, ne pourrait être saisie par les auditeurs; au lieu que la corniche qui entoure les murs, arrêtant la voix dans la partie inférieure, ne lui permet pas de se dissiper en s'élevant dans les airs, avant d'avoir pénétré dans les oreilles.

III. Des théâtres et du choix d'un endroit sain pour les y placer.

Après avoir déterminé l'emplacement du forum, il faudra choisir celui d'un théâtre pour les jeux qui se donnent aux fêtes des dieux immortels. Pour s'assurer de sa salubrité, on suivra la marche que j'ai indiquée dans le premier livre au sujet de la position des murailles des villes. Les jeux, par leur attrait, retiennent longtemps sur leurs sièges les spectateurs avec leurs femmes et leurs enfants. Les pores du corps, dilatés par des plaisirs si attachants, reçoivent facilement toutes les impressions de l'air. Qu'il vienne de contrées marécageuses ou malsaines, il influera d'une manière pernicieuse sur la santé. Il faudra donc choisir pour le théâtre un lieu qui mette à l'abri de toute maligne influence.
Il faudra, de plus, veiller à ce que le théâtre ne soit point exposé au vent du midi; car lorsque le soleil remplit de ses rayons l'enceinte du théâtre, l'air qui y est enfermé, ne trouvant aucun moyen de circuler, s'y arrête, s’échauffe, s'enflamme et finit par brûler, consumer et dessécher l'humidité du corps. Aussi faut-il éviter à tout prix une exposition malsaine, et choisir un lieu dans lequel la santé n'ait point à souffrir.
Les fondements du théâtre, si l'on bâtit sur une montagne, seront faciles à faire; mais si l'on était obligé de les établir dans un lieu plat ou marécageux, il faudrait, pour la rendre fermes et solides, employer les moyens que j'ai prescrits dans le troisième livre, à l'occasion des fondements des édifices sacrés. Immédiatement au-dessus des fondements doivent s'élever les gradins qui seront de pierre ou de marbre.
Les paliers qui, règnent autour de l'amphithéâtre doivent être faits d'après la proportion ordinaire des théâtres, et ils ne doivent point avoir plus de hauteur que ne le demande leur largeur; s'ils étaient trop élevés, la partie qui dépasserait la hauteur voulue, repousserait la voix, l'empêcherait d'arriver jusqu'aux sièges qui se trouvent au-dessus des paliers, les mots ne seraient plus qu'un son vague que ne pourrait saisir l'oreille de ceux qui occuperaient ces sièges. Telle doit être, en un mot, la disposition des degrés, qu'un cordeau conduit depuis le plus bas jusqu'au plus haut en touche toutes les carnes; par ce moyen la voix pourra facilement s'étendre.
De nombreux et vastes passages devront être disposés de manière que ceux d'en haut ne se rencontrent pas avec ceux d'en bas; que partout ils soient directs, sans interruption, sans détours, afin que le peuple, en sortant des spectacles, ne soit point trop pressé, et puisse de tous côtés trouver des issues séparées qui facilitent sa sortie. Il faudra encore prendre bien garde à ce que le lieu soit sonore, afin que la voix puisse clairement s'y faire entendre; ce qui aura lieu, si l'on choisit un endroit où rien n'empêche la résonance.
La voix est un courant d'air dont les ondes sonores viennent frapper l'organe de l'ouïe. L'agitation qu'elle produit forme une infinité de cercles. Lancez une pierre dans une eau dormante, vous y verrez se faire une multitude d'ondulations circulaires qui s'élargissent à partir du centre, et qui s'étendent fort loin, à moins qu'elles ne soient arrêtées par l'espace étroit du lieu, ou par quelqu'autre obstacle qui ne permette point que ces ondulations prennent leur entier développement; que quelque empêchement vienne donc à se présenter, et l'on verra la confusion jetée dans les premiers cercles se communiquer aux suivants.
La voix en s'agitant produit aussi des cercles. Il y a pourtant cette différence, que les cercles qui se font sur l'eau se meuvent à sa surface; tandis que la voix ne s'étend pas seulement en largeur, elle monte, elle s'élève par degrés. Il en est des ondulations de la voix comme de telle de l'eau; si aucun corps interposé ne vient rompre la première ondulation, la seconde et les suivantes n'éprouvent aucun trouble; toutes arrivent aussi distinctement aux oreilles de ceux qui sont le plus bas placés, que de ceux qui le sont le plus haut.
Voilà pourquoi les anciens architectes, cherchant avec persévérance les lois de la nature, ont su, après avoir étudié le mécanisme de la voix, déterminer l'élévation des degrés des théâtres; voilà pourquoi, à l'aide de la proportion canonique des mathématiques et de la proportion musicale, ils ont tâché de faire que tout ce qui serait prononcé sur la scène, arrivât avec douceur et clarté à l'oreille des spectateurs : car de même que les anciens faisaient leurs instruments avec des lames de cuivre ou de corne, en forme de vases, pour rendre les cordes plus sonores; de même, pour les théâtres, ils ont établi, par le moyen de la science harmonique, certaines proportions pour grossir la voix.

IV. De la musique harmonique.

La musique harmonique est une science obscure et difficile, surtout pour ceux qui ne connaissent point la langue grecque. Il faut pourtant, si nous voulons l'expliquer, avoir recours à des mots grecs, puisqu'il en est quelques-uns qui n'ont point de synonymes en latin. Je vais donc essayer d'expliquer le plus clairement qu'il me sera possible, ce qu'Aristoxène a écrit sur cette matière; je vais rapporter sa table, et déterminer la place des sons, afin que ceux qui voudront les examiner avec attention, puissent aisément les comprendre.
La voix a deux sortes de mouvements : l'un continu, l'autre procédant par intervalles. La voix continue ne s'arrête à aucun terme ni en aucun lieu; ses terminaisons ne sont point sensibles; il n'y a que les intervalles du milieu qui se discernent; c'est ce qui arrive dans la conversation quand on prononce sol, lux, flos, nox : car alors on ne sent ni où elle commence ni où elle finit, parce que le son, ne passant point de l'aigu au grave, ni du grave à l'aigu, reste égal à l'oreille. Mais le mouvement par intervalles produit le contraire : car si la voix fait des inflexions différentes, elle devient alors tantôt aiguë, tantôt grave; elle s'arrête à un certain son déterminé, puis elle passe à un autre, et ainsi, parcourant souvent différents intervalles, elle vient frapper l'oreille avec toutes ses modifications. C'est ce qui arrive dans les chants, lorsque, par sa flexibilité, elle se plie à toutes les variétés de la modulation. En effet, quand elle parcourt différents intervalles, il est facile de reconnaître où elle commence et où elle finit, par la valeur bien déterminée des sons, tandis que les sous intermédiaires qui n'ont point d'intervalles ne peuvent être appréciés.
Il y a trois genres de musique que les Grecs appellent harmonique, chromatique et diatonique. Les modulations du genre harmonique doivent leur origine à l'art, ce qui donne au chant tant de puissance et de beauté. Le genre chromatique, par les douces nuances de ses intervalles serrés, a plus de douceur et de charme. Dans le diatonique, qui est naturel, la distance des intervalles est plus facile. Ces trois genres ne diffèrent que dans la disposition du tétracorde. Dans l'enharmonique, il se compose de deux tons et de deux dièses. Or, le dièse est la quatrième partie d'un ton; le demi-ton a donc la valeur de deux dièses. Dans le chromatique, il y a deux demi-tons incomposites de suite; le troisième intervalle est de trois demi-tons. Dans le diatonique se trouvent deux tons de suite; le troisième intervalle, qui est un demi-ton, complète l'étendue du tétracorde. Ainsi, dans chacun des trois genres, les tétracordes comprennent deux tons et un demi-ton; mais si l'on considère chaque genre pris séparément, il présentera des différences dans la disposition des intervalles.
Les intervalles des tons et des demi-tons dans les sons des tétracordes ont été divisés par la nature elle-même; elle en a déterminé le degré d'élévation sur la mesure des intervalles, et établi les propriétés d'après des proportions fixes dont se servent les ouvriers qui fabriquent les instruments de musique, pour les accorder.
Les sons, appelés par les Grecs
fyñggoi, sont, dans chaque genre, au nombre de dix-huit : huit dans les trois genres ne varient point, sont immobiles; les dix autres sont mobiles dans les modulations ordinaires. Les immobiles sont ceux qui, étant placés entre les mobiles, unissent les tétracordes les uns aux autres, et restent toujours dans les différents genres, aux points de séparation. On les appelle proslambanomenos, hypate-hypaton, hypate-meson, mese, nete-synemmenon, paramese, nete-diezeugmenon, nete-hyperbolæon. Les mobiles qui sont placés dans les tétracordes, entre les immobiles, changent de place selon les genres et les lieux. Voici leurs noms : parhypate-hypaton, lichanos-hypaton, parhypate-meson, lichanos-meson, trite-synemmenon, paranete-synemmenon, trite-diezeugmenon, paranete­diezeugmenon, trite-hyperbolæon, paranete-hyperbolæon.
Les sons mobiles, en changeant de place, changent aussi de valeur, parce que leurs intervalles sont susceptibles d'accroissement. Ainsi la parhypate, qui, dans l'enharmonique, est distante de l'hypate d'un dièse, change dans le chromatique, et a l'intervalle d'un demi-ton, et dans le diatonique, l'intervalle d'un ton; celle qui, dans l'enharmonique, s'appelle lichanos, est distante de l'hypate d'un demi-ton : transportée dans le chromatique, elle avance jusqu'à deux demi-tons, et dans le diatonique, elle s'éloigne de l'hypate de trois demi-tons. Les dix sons étant ainsi transposés forment trois modulations différentes.
Il y a cinq tétracordes : le premier, qui est le plus grave, s'appelle en grec hypaton; le second, qui est au milieu, se nomme meson; le troisième, qui est joint aux autres, est appelé synemmenon; le quatrième, qui est disjoint, est nommé diezeugmenon; le cinquième, qui est le plus aigu, se, dit en grec hyperbolæon. Les consonances, dont la nature a rendu la voix humaine susceptible et que les Grecs nomment
sumfvnÛai, sont au nombre de six : le dia­tessaron, le diapente, le diapason, le diapason avec le dia­tessaron, le diapason avec le diapente, le disdiapason.
Elles ont reçu leur nom du nombre des intervalles qui se trouvent entre deux sons. Lorsque la voix s'arrête au premier ton, et qu'en se modifiant, en variant ses effets elle passe au quatrième, on l'appelle diatessaron; quand elle va au cinquième, on l'appelle diapente; au huitième, diapason; à l'onzième, diapason et diatessaron; au douzième, diapason et diapente; au quinzième, disdiapason.
Du premier ton au second, ou au troisième, ou au sixième, ou au septième, qu'il s'agisse de sons produits par la voix ou par les cordes d'un instrument, il ne peut y avoir de consonance; mais, comme on l'a vu plus haut, le diatessaron, le diapente et les autres consonances jusqu'au disdiapason, ne sortent point des bornes que la nature a données à l'étendue de la voix, et les accords naissent de la réunion des sons que les Grecs appellent
fyñggoi.

V. Des vases du théâtre.

D'après ces principes, il faudra faire, selon les proportions mathématiques, des vases d'airain qui soient en rapport avec l'étendue du théâtre; leur grandeur doit être telle que, venant à être frappés, ils rendent des sons qui répondent entre eux à la quarte, à la quinte et aux autres consonances, jusqu'à la double octave. Ensuite ils devront être placés, d'après les règles établies pour la musique, dans des niches pratiquées entre les sièges du théâtre, de manière qu'ils ne touchent pas le mur, et qu'ils aient un espace vide tout autour et par dessus. Ils seront renversés et soutenus du côté qui regarde la scène par des coins d'un demi-pied de hauteur au moins; ces niches auront aux flancs des assises qui forment les degrés inférieurs, des ouvertures longues de deux pieds et hautes d'un demi-pied.
Voici quelle doit être la disposition de ces niches, et la place qu'il faut leur donner. Si le théâtre n'est pas très grand, on tracera une ligne qui en coupera horizontalement la hauteur en deux parties égales; on y pratiquera en forme d'arc treize niches séparées par douze intervalles égaux. Ceux des vases dont nous avons parlé ci-dessus, dont le son répond à la nete-hyperbolon, seront placés dans les deux niches qui se trouvent les premières aux extrémités; les secondes, à partir des extrémités, renfermeront ceux qui, étant accordés à la quarte avec les premiers, sonnent la nete-diezeugmenon; les troisièmes, ceux qui étant également accordés à la quarte avec les secondes, sonnent la paramese; les quatrièmes, ceux qui, accordés à la quarte avec les premiers, sonnent la nete-synemmenon; les cinquièmes, ceux qui, accordés à la quarte, sonnent la mese; les sixièmes, ceux qui, accordés à la quarte, sonnent l'hypate-meson; enfin celle du milieu renfermera le vase qui, accordé à la quarte, sonne l'hypate-hypaton.
Grâce à cette disposition, la voix, partant de la scène comme d'un centre, s'étendra en rond, viendra frapper les cavités de chaque vase, et prendra plus de force et de clarté, selon la consonance que son degré d'élévation aura avec le vase qui y correspondra. Si, au contraire, le théâtre est d'une vaste étendue, la hauteur sera alors divisée en quatre parties, pour y construire trois rangs de niches comme celles dont nous venons de parler, un pour le genre enharmonique, l'autre pour le chromatique, le troisième pour le diatonique. Le rang d'en bas, consacré à l'enharmonique sera disposé de la même manière que pour le petit théâtre.
Aux deux extrémités du rang du milieu, dans les premières niches, seront placés les vases qui sonnent l'hy­perbolæon du chromatique; dans les secondes, ceux qui, accordés à la quarte, sonnent le diezeugmenon du chromatique; dans les troisièmes, ceux qui, accordés à la quarte, sonnent le synemmenon du chromatique; dans les quatrièmes, ceux qui, accordés à la quarte, sonnent le meson du chromatique; dans les cinquièmes, ceux qui, accordés à la quarte, sonnent l'hypaton du chromatique; dans les sixièmes, ceux qui sonnent la paramese, parce qu'ils ont une consonance commune, étant à la quinte avec l'hyperbolæon du chromatique, et à la quarte avec le meson du chromatique. La niche du milieu restera vide, parce que, dans le genre chromatique, il ne se trouve aucun autre ton qui puisse avoir de consonance.
Au rang le plus élevé, on placera dans les niches des extrémités les vases qui sonnent l'hyperbolæon du diatonique; dans les secondes, ceux qui, étant à la quarte, sonnent le diezeugmenon du diatonique; dans les troisièmes, ceux qui, étant à la quinte, sonnent le synemmenon du diatonique; dans les quatrièmes, ceux qui, étant à la quarte, sonnent le meson du diatonique; dans les cinquièmes, ceux qui, étant à la quarte, sonnent l'hypaton du diatonique; dans les sixièmes, ceux qui, étant à la quarte, sonnent le proslambanomenos; le vase de la niche du milieu sonnera la mese, parce qu'il a une consonance commune avec le diapason du proslambanomenos, et avec la quinte de l'hypaton du diatonique.
Pour arriver à mettre facilement ces principes à exécution, il faut jeter un coup d'oeil sur la table diagrammatique qui se trouve à la fin de ce livre, dans laquelle Aristoxène, avec un travail infini et la plus grande intelligence, a réuni toutes les consonances qui peuvent entrer dans les modulations de la musique. Si l'on fait attention aux règles qu'elle contient, à l'effet que produit la voix, et à ce qui peut la rendre plus agréable, on pourra avec moins de peine perfectionner le plan des théâtres.
On dira peut-être qu'il se fait tous les ans à Rome bon nombre de théâtres, sans qu'on tienne compte de ces règles : ce serait une erreur; tous les théâtres publics sont de bois avec plusieurs planches qui résonnent nécessairement. Qu'on examine les musiciens; ont-ils à faire entendre des sons élevés? Ils se tournent vers les portes de la scène dont le retentissement vient aider leur voix. Mais lorsqu'on bâtit un théâtre avec des moellons, des pierres de taille, du marbre, toutes matières solides qui ne peuvent résonner, c'est alors qu'il en faut faire l'application.
Me demandez-vous dans quel théâtre on les a mises en pratique? Il est certain qu'il n'y eu a point à Rome; mais j'en pourrais faire voir dans plusieurs endroits de l'Italie, et dans beaucoup de villes de la Grèce. Et pour preuve n'avons-nous pas L. Mummius qui, après avoir fait abattre un théâtre à Corinthe, en transporta à Rome les vases d'airain, qu'il choisit parmi les dépouilles pour les consacrer dans le temple de la Lune. N'avons-nous pas encore plusieurs habiles architectes qui, ayant à construire des théâtres dans de petites villes qui n'avaient que peu de ressources, ont employé des vases de terre choisis pour reproduire les sons nécessaires, les ont disposés d'après notre système, et en ont obtenu les résultats les plus avantageux ?

VI. De la forme à donner aux théâtres.

Voici de quelle manière on doit faire le plan d'un théâtre. Après avoir placé son centre au milieu, il faut décrire un cercle dont la circonférence soit la grandeur du bas du théâtre. Dans ce cercle on inscrit quatre triangles équilatéraux dont les extrémités placées à égale distance, touchent la circonférence : telle est la marche que, selon le rapport harmonieux des astres, suivent les astronomes pour la disposition des douze signes célestes. Celui de ces triangles dont le côté est le plus près de la scène en détermine la face, à l'endroit où il fait une section dans le cercle, et une autre ligne, parallèle à celle-là, viendra, en passant par le centre, séparer l'avant-scène de l'orchestre.
Si nous donnons plus de largeur à la scène qu'elle n'en a chez les Grecs, c'est parce que tous les acteurs y restent pendant l'action; l'orchestre est réservé pour les sièges des sénateurs. La hauteur de la scène ne doit point avoir plus de cinq pieds, afin que ceux qui sont assis dans l'orchestre puissent voir tout le jeu des acteurs. Les amas de degrés disposés en forme de coin dans le théâtre doivent être divisés de manière que les angles des triangles, qui vont toucher la circonférence du cercle, règlent l'alignement des escaliers qui encadrent ces amas, jusqu'à la première précinction. Du milieu de ces amas inférieurs doivent partir d'autres escaliers qui sépareront les amas supérieurs.
Les angles qui règlent l'alignement des escaliers de la partie inférieure des degrés seront au nombre de sept; les cinq autres seront réservés aux différentes parties de la scène; en face de celui du milieu doit se trouver la porte royale; les deux angles placés à droite et à gauche indiqueront les portes des étrangers; les deux derniers seront en face des galeries de retour. Les degrés de l'amphithéâtre sur lesquels on place les sièges ne doivent pas avoir moins d'un pied et un palme de hauteur, ni plus d'un pied et six doigts; leur largeur ne doit point être de plus de deux pieds et demi, ni de moins de deux pieds.

VII. Du plafond du portique des théâtres.

Le plafond du portique, qui doit être élevé au haut des degrés, sera mis de niveau avec la hauteur de la scène, parce que la voix, en s'étendant, parviendra jusqu'à l'extrémité des degrés et jusqu'au haut de ce plafond. S'il n'était point de niveau, s'il était plus bas, la voix irait se perdre à la hauteur où elle parviendrait en ligne directe.
On prendra la sixième partie du diamètre de l'orchestre qui comprend l'espace enfermé entre les degrés d'en bas; cette mesure donnera la hauteur des portes qu'on taillera dans les degrés inférieurs, à l'extrémité des sept angles, et, à l'endroit où l'on aura atteint cette hauteur, on placera des linteaux pour former la partie supérieure de ces entrées : ce qui donnera assez d'élévation aux voûtes de ces couloirs.
La scène doit avoir deux fois la longueur du diamètre de l'orchestre. Le piédestal, à partir du niveau de la scène, aura la douzième partie du diamètre de l'orchestre, y compris la corniche et sa cymaise. Sur ce piédestal s'élèveront les colonnes qui, avec leurs chapiteaux et leurs bases, seront de la quatrième partie de ce diamètre. Les architraves et les autres ornements auront la cinquième partie de la hauteur de ces colonnes; au-dessus il y aura un deuxième piédestal qui, avec sa corniche et sa cymaise, n'aura que la moitié de celui d'en bas; ce piédestal supportera des colonnes d'un quart moins hautes que celles d'en bas; leurs architraves et leurs autres ornements auront la cinquième partie de leur hauteur. Si au-dessus de la scène il doit y avoir un troisième rang de colonnes, leur piédestal n'aura que la moitié de la hauteur du piédestal du milieu, les colonnes seront. d'un quart moins hautes que celles du second rang, et leurs architraves avec leurs corniches auront aussi la cinquième partie de la hauteur de ces colonnes.
Il ne faut pas s'imaginer que les mêmes proportions puissent servir pour tous les théâtres, et produire les mêmes effets. C'est à l'architecte d'examiner dans quels rapports il doit suivre ces règles, et comment il pourra les appliquer suivant la nature des lieux et la grandeur de l'édifice. Il est en effet des choses dont l'usage exige la même grandeur dans les petits comme dans les grands théâtres, les degrés, par exemple, les précinctions, les balustrade, les passages, les marches des escaliers et autres choses semblables que leur destination particulière empêche d'assujettir à la proportion générale. On peut encore, lorsqu'on n'a point de pièces de marbre ou de charpente, ou de toute autre matière, de grandeur convenable, retrancher un peu de l'ouvrage ou y ajouter, pourvu qu'on le fasse sans trop de maladresse, avec intelligence. Encore pour cela faut-il un architecte qui joigne l'habileté à l'expérience, le savoir à l'esprit d'invention.
La disposition de la scène doit être telle qu'il y ait au milieu une porte avec les ornements d'un palais de roi; à droite et à gauche seront les portes des étrangers, et à côté les espaces destinés aux décorations. Les Grecs appellent cet endroit
perÛaktoi, à cause des machines triangulaires qu'on y fait mouvoir. Ces machines ont trois sortes d'ornements qui, à chaque changement de pièces, où lorsque les dieux apparaissent au milieu des coups de tonnerre tournent et font voir sur leurs différentes faces différentes décorations. Auprès de ces espaces le mur fait un angle rentrant avec la grande face de la scène. C'est à ce retour que se trouvent deux entrées ouvrant sur la scène : par l'une on vient de la place publique, par l'autre de la campagne.

 


Il y a trois sortes de scènes : la première qu'on appelle tragique, la seconde comique, la troisième satyrique. Leurs décorations offrent de grandes différences : la scène tragique est décorée de colonnes, de frontons, de statues et d'embellissements magnifiques; la scène comique représente des maisons particulières avec leurs balcons, avec des fenêtres dont la disposition est tout à fait semblable à celle des bâtiments ordinaires; la scène satyrique est ornée d'arbres, de grottes, de montagnes et de tout ce qui compose un paysage.

VIII. Des théâtres des Grecs.

Les théâtres des Grecs ne sont point en tout conformes à ceux des Latins. Dans le cercle tracé sur la terre, les Latins décrivent quatre triangles; les Grecs, eux, y figurent trois carrés, dont les douze angles vont toucher la ligne circulaire. Le côté du carré, qui est le plus près de la scène et qui fait une section dans le cercle, détermine le devant du proscenium. Une ligne parallèle à ce côté et tracée à l'extrémité du cercle, constitue le front de la scène. On tire encore une autre ligne qui, passant par le centre de l'orchestre, suit la direction de celle du proscenium; les points où coupant à droite et à gauche la circonférence elle forme deux angles dans chaque hémicycle, deviennent deux centres. En appuyant la pointe d'un compas au centre droit, on trace une ligne courbe, de l'intervalle gauche au côté droit du proscenium. En posant également un compas à l'angle gauche, on trace une autre ligne courbe depuis l'intervalle droit jusqu'au côté gauche du proscenium.
Ces trois centres, par leur disposition, donnent à l'orchestre des Grecs plus d'étendue, éloignent la scène et rétrécissent l'avant-scène qu'ils appellent
logeÝon; de sorte que, chez eux, les acteurs tragiques et les comiques jouent sur la scène, tandis que les autres se distribuent dans l'orchestre pour remplir leur rôle. Voilà pourquoi, en grec, les uns sont appelés scéniques, et les autres thyméléens. La hauteur de cette avant-scène ne doit point être de moins de dix pieds ni de plus de douze. Les escaliers qui séparent les amas de degrés, seront alignés au droit des angles des carrés, jusqu'au premier palier; du milieu de ces amas de degrés, on dirigera les escaliers de ceux qui seront au-dessus de ce palier; et plus les paliers se multiplieront, plus les amas de degrés iront en s'élargissant.
Après être entré dans ces détails avec soin et exactitude, nous devons maintenant porter toute notre attention sur le choix à faire d'un lieu où la voix puisse régulièrement se développer, sans que rien la repousse, la heurte et l'empêche d'apporter à l'oreille les paroles bien accentuées. Et il est quelques lieux qui s'opposent naturellement aux sons de la voix : tels sont les dissonants, que les Grecs appellent
kathxoèntew; les circonsonnants, qu'ils nomment perihxoèntew; les résonnants, qu'il appellent Žnthxoèntew; les consonnants, qu'ils nomment sunhxoèntew. Les lieux dissonants sont ceux dans lesquels la première partie de la voix, venant à rencontrer, en s'élevant, des corps solides qui la repoussent, étouffe en retombant l'autre qui la suit.
Les circonsonnants sont ceux dans lesquels la voix, gênée dans son développement, se brise en chemin, sans arriver à toute son extension, et s'éteint en ne faisant entendre que des paroles inarticulées. Les résonnants sont ceux dans lesquels la voix, répercutée par un corps solide, rebondit en quelque sorte, et, reproduisant son image, répète les derniers sons à l'oreille. Mais les consonnants sont ceux qui, venant tout d'abord en aide à la voix, l'augmentent à mesure qu'elle monte, et la conduisent jusqu'à l'oreille, claire et distincte. Si donc dans le choix des lieux on apporte une scrupuleuse attention, la voix, ménagée avec prudence, produira dans les théâtres les meilleurs effets.
La disposition du plan des théâtres présentera des caractères qui les feront distinguer entre eux; ceux qui seront dessinés avec des carrés appartiendront aux Grecs; ceux qui le seront avec des triangles équilatéraux seront pour les Latins. Celui qui voudra suivre ces préceptes ne laissera rien à désirer dans l'ordonnance des théâtres.

IX. Des portiques qui sont derrière la scène, et des promenoirs.

Derrière la scène doivent se trouver des portiques où le peuple, surpris au milieu des jeux par la pluie qui vient les interrompre, puisse se mettre à l'abri hors du théâtre, et des salles assez vastes pour contenir tout l'appareil scénique : tels sont les portiques de Pompée, ceux d'Eumène, à Athènes; tel est le temple de Bacchus, tel l'Odéon que Thémistocle fit bâtir, avec des colonnes de pierre, du côté gauche du théâtre, en sortant, et qu'il couvrit avec les mâts et les antennes des vaisseaux pris sur les Perses; ce temple, brûlé pendant la guerre de Mithridate, fut reconstruit par le roi Ariobarzane : tel est le Strategeum de Smyrne, le portique élevé de chaque côté de la scène sur le stade, à Tralles; en un mot, dans les villes qui ont eu de bons architectes, on voit autour des théâtres des portiques et des promenoirs.
Ces portiques me semblent devoir être disposés de manière à être doubles, et à avoir des colonnes doriques à l'extérieur avec les architraves et les ornements qui conviennent à l'ordre dorique. La largeur des portiques doit être telle, à mon avis, qu'il y ait depuis le bas des colonnes extérieures jusqu'à celles du milieu, et depuis celles du milieu jusqu'au mur qui enferme les promenoirs du portique, autant d'espace que les colonnes extérieures ont de hauteur. Quant aux colonnes du milieu, elles doivent être d'un cinquième plus hautes que les colonnes extérieures; elles seront d'ordre ionique ou corinthien.
Les proportions de ces colonnes ne seront point les mêmes que celles que nous avons données pour les édifices sacrés. Dans les temples des dieux, elles doivent avoir plus de gravité; dans les portiques et dans les autres édifices, plus de délicatesse. Veut-on des colonnes d'ordre dorique, il faut diviser leur hauteur, y compris le chapiteau, en quinze parties, et prendre une de ces parties pour le module qui servira de mesure générale. Le diamètre du bas de la colonne sera de deux modules, l'entrecolonnement de cinq modules et demi, la hauteur de la colonne, sans le chapiteau, de quatorze modules, la hauteur du chapiteau d'un module, sa largeur de deux modules et un sixième. Les proportions du reste de l'édifice seront pareilles à celles qui ont été déterminées pour les temples, dans le quatrième livre.
S'il s'agissait de colonnes ioniques, il faudrait diviser le fût de la colonne, non compris la base et le chapiteau, en huit parties et demie, dont une serait donnée à la grosseur de la colonne, et une demie à la base avec sa plinthe. Les proportions du chapiteau seront celles qui ont été indiquées au troisième livre. S'il est question d'une colonne corinthienne, sa tige et sa base auront les proportions de la colonne ionique; le chapiteau sera tel qu'il a été décrit au quatrième livre. Les piédestaux, dont la continuité est interrompue par des saillies en forme d'escabeaux, seront faits d'après le modèle tracé au troisième livre. Les architraves, les corniches et tous les autres membres seront proportionnés sur les colonnes, d'après les règles établies dans les livres précédents.
L'espace qui reste découvert au milieu des portiques me paraît devoir être orné de verdure, parce que lés promenades qui se font dans des lieux découverts produisent un effet très salutaire, d'abord sur les yeux, en ce que de cette verdure émane un air subtil et léger qui, agité par les mouvements du corps, éclaircit la vue, dissipe les humeurs grossières qui s'y forment, et leur donne quelque chose de vif et de perçant. Ensuite le mouvement causé par la promenade échauffe le corps, et l'air, aspirant la moiteur qui couvre les membres, diminue la réplétion, et allège le corps d'un superflu qui lui pèse. Il l est facile de se convaincre de cette vérité, en examinant ces fontaines couvertes, ces eaux qui demeurent sous terre sans en sortir; il ne s'en élève aucune vapeur, tandis que dans les lieux où elles sont exposées au soleil et à l'air, l'astre du jour vient-il à faire sentir sa chaleur à la terre, il y pompe l'humidité qu'il condense et dont il forme les nuages. Or, si l'on peut dire que dans les lieux découverts l'humidité est attirée par l'air hors des corps qu'elle incommode, comme les nuages font voir qu'elle l'est hors de terre, il n'y a peint de doute, à mon avis, qu'il ne soit nécessaire aux villes d'avoir, dans des lieux découverts, des promenades vastes et ornées.
Or, pour qu'elles restent toujours sèches et sans boue, voici ce qu'il faudra faire. On les creusera le plus pros fondement possible, et la terre en sera enlevée; puis, à droite et à gauche, on construira des égouts. Dans les murs élevés du côté de la promenade seront pratiqués de petits tuyaux qui communiqueront avec des canaux descendant des deux côtés des allées. Il faudra ensuite remplir ces canaux de charbon, couvrir les allées de sable et les dresser. Le charbon, à cause de sa porosité naturelle, et les canaux, à cause de leur inclinaison vers les égouts, feront complètement disparaître l'humidité, ce qui entretiendra dans les allées une sécheresse continuelle.
Il faut aussi considérer que, dans l'exécution de ces travaux, nos ancêtres ont eu en vue de créer dans les villes des ressources pour des besoins urgents. Dans un siège l'approvisionnement du bois est la chose la plus difficile. Il est aisé de se procurer le sel à l'avance; les greniers publics et particuliers peuvent promptement se remplir de blé, et à son défaut viennent suppléer les herbages, la viande, les légumes. L'eau vient-elle à manquer, on peut creuser des puits, recueillir les pluies d'orage; mais le bois, qui est de toute nécessité pour la cuisine, il est malaisé, difficile de se le procurer, à cause de la lenteur du transport et de la grande consommation qui s'en fait.
Dans de semblables circonstances on coupe les arbres des promenades et on en distribue à chaque citoyen sa part, de sorte qu'il résulte de ces promenades découvertes un double avantage : Ils favorisent la santé en temps de paix, et fournissent, pendant la guerre, le bois qui est si nécessaire. Ces raisons font voir combien il serait important pour les villes qu'il y eût des promenades, je ne dis pas seulement derrière la scène des théâtres, mais encore auprès des temples des dieux.
Nous sommes entrés, je pense, dans assez de détails sur cette matière; nous allons passer à la description des parties qui composent les bains publics.

X. Des bains; leur disposition et leurs différentes parties.

Il faut commencer par choisir un lieu très-chaud, c'est-à-dire un lieu qui ne soit tourné ni vers le nord ni vers le nord-est. Les étuves chaudes et les tièdes auront leurs jours au couchant d'hiver; si la nature du lieu s'y opposait, il faudrait les placer au midi, parce qu'on se baigne de préférence depuis midi jusqu'au soir. Il faut aussi faire en sorte que les étuves des femmes soient contiguës à celles des hommes et aient la même exposition; par ce moyen le même fourneau chauffera l'eau des vases qui seront dans les différents bains. Sur le fourneau seront placés trois vases d'airain, le premier contenant l'eau chaude, le second l'eau tiède, le troisième l'eau froide. Leur disposition doit être telle que du second vase il passe dans le premier autant d'eau que celui-ci en aura perdu, et du troisième dans le second une quantité proportionnée. Le dessous des bains sera chauffé par un fourneau commun.
Les planchers suspendus des étuves doivent être faits de la manière suivante : il faut premièrement qu'il y ait un lit formé de carreaux d'un pied et demi, avec un tel degré d'inclinaison vers le fourneau que si l'on y jette une boule, elle puisse ne pas s'arrêter dans l'intérieur, mais retourner vers l'entrée du fourneau. Parce moyen il sera plus facile à la flamme de se répandre sous le plancher suspendu. Sur cette aire on construira des piles avec des briques de huit pouces, disposées de manière à pouvoir soutenir des carreaux de deux pieds. Ces piles auront deux pieds de hauteur; elles seront maçonnées avec de l'argile pétrie de bourre; au-dessus seront placés ces carreaux de deux pieds sur lesquels portera le pavé.
Quant aux voûtes, si elles peuvent être faites de pierres, elles seront meilleures; si elles doivent être en bois de charpente, il serait nécessaire de les plafonner avec des briques. Mais voici comment il faudra s'y prendre : on fera des règles ou des arcs de fer qu'on suspendra à la charpente avec des crochets de même métal; leur disposition devra être telle que les carreaux puissent porter chacun sur deux règles ou sur deux arcs à la fois, sans les déborder; de cette manière, le plafond de toute la voûte étant soutenu par du fer, aura une grande solidité : le dessus de ce plafond sera enduit d'argile mêlée avec de la bourre, et le dessous qui regarde le pavé sera d'abord crépi avec de la chaux et du ciment qu'on recouvrira de stuc ou de quelque autre matière de même espèce. Si ces voûtes étaient doubles dans les étuves, il y aurait plus d'avantage, parce que la vapeur humide, circulant entre deux, ne pourrirait point le bois de la charpente.
La grandeur des bains doit être proportionnée au nombre d'hommes qu'ils sont destinés à recevoir. En voici les proportions : la largeur aura un tiers de moins que la longueur, non compris la galerie qui entoure le bassin, ni le corridor. Le bain devra recevoir le jour d'en haut, pour qu'il ne soit point obscurci par l'ombre de ceux qui se tiennent autour. Il faudra donner à cette galerie assez de largeur pour que ceux qui attendent qu'il y ait place dans le bain puissent le faire commodément. Le corridor, qui s'étend entre le muret la balustrade, ne doit pas avoir une largeur moindre de six pieds, sur lesquels deux seront pris pour l'appui et le degré inférieur.
L'étuve où l'on sue, appelée laconicum, doit être contiguë à l'étuve tiède; elle aura autant de largeur qu'elle a de hauteur jusqu'au bas de la voûte qui forme un hémisphère; on laissera au milieu de cette voûte une ouverture à laquelle sera suspendu, par des chaînes, un bouclier d'airain qui, haussé ou baissé, donnera le degré de chaleur dont on aura besoin; je pense que ce lieu doit être arrondi, afin que la force de la chaleur et. de la va-peur puisse se répandre également au milieu et tout autour de la pièce.

XI. De la construction des palestres; des xystes.

Bien que les palestres ne soient pas en usage en Italie, je pense qu'il n'est point inutile d'en donner un plan exact, et de faire voir de quelle manière les Grecs les construisent. Dans les palestres, il faut faire des péristyles carrés ou oblongs dont le circuit destiné à la promenade ait deux stades de longueur : c'est ce que les Grecs appellent dÛaulon. Ces péristyles auront trois portiques simples; le quatrième, qui regarde le midi, sera double, afin qu'en temps d'orage le vent ne puisse pousser la pluie jusqu'au fond.
Le long des trois portiques seront distribuées de vastes salles, avec des sièges sur lesquels les philosophes, les rhéteurs et tous ceux qui aiment les lettres pourront discourir. Au double portique on construira différentes salles : au milieu l'ephebeum, endroit spacieux garni de sièges, et dont la longueur sera d'un tiers plus grande que la largeur; à droite le corycée, et tout à côté le conisterium; auprès du conisterium, à l'angle du portique, le bain d'eau froide que les Grecs appellent
loètron; à gauche de l'ephebeum, l'eloeothesium, auprès duquel se trouve le frigidarium; de là un passage conduit au propnigeum, qui est à l'autre angle du portique. Tout près, en dedans, en face du frigidarium, sera placée l'étuve voûtée où l'on sue; elle doit être deux fois plus longue que large; auprès de l'angle sera le laconicum, disposé comme nous l'avons dit plus haut, et de l'autre côté du laconicum le bain d'eau chaude. Telle doit être dans la palestre la distribution du péristyle.
En dehors seront bâtis trois autres portiques, l'un en face de la sortie du péristyle, les deux autres à droite et à gauche : on pourra s'y exercer comme dans le stade. Celui qui regardera le septentrion sera double avec une grande largeur; les deux autres, qui seront simples, auront une disposition telle, qu'aux parties qui seront autour des murs et le long des colonnes on ménagera des rebords en forme de trottoirs qui n'auront pas moins de dix pieds. Le milieu sera creusé; on y descendra par deux degrés, qui auront un pied et demi depuis le haut du trottoir jusqu'au bas; cette partie aura une surface de douze pieds au moins. Par ce moyen, ceux qui se promèneront habillés, sur les trottoirs, ne seront point incommodés par les athlètes qui s'exerceront dans le bas.
Ce portique est appelé par les Grecs
justñw; c'est dans ce lieu couvert que, pendant la mauvaise saison, les athlètes viennent s'exercer. Le long du xyste et du double portique seront tracées des promenades découvertes que les Grecs appellent paradromÛdew, et nous xysta: C'est là que vont s'exercer les athlètes en hiver, quand le beau temps leur permet de sortir du xyste. Telle doit être la disposition des xystes qu'entre les deux portiques il y ait des bois de platanes ou d'autres arbres, au milieu desquels on tracera des allées ornées de sièges en maçonnerie. Derrière le xyste sera un stade formé de manière qu'un grand nombre de personnes puissent voir à l'aise les exercices des athlètes.
Telles sont les règles que j'avais à poser pour la dis-position des édifices qu'il est nécessaire de construire dans, l'enceinte d'une ville.

XII. Des ports, et des constructions qui doivent se faire dans l'eau.

Les ports présentent de grands avantages; je ne dois point les passer sous silence; les moyens d'y mettre les vaisseaux à l'abri de la tempête vont faire le sujet de ce chapitre. Si les ports doivent à la nature une position avantageuse, s'ils sont naturellement bordés de collines, et qu'ils aient des promontoires qui, en avançant, s'arrondissent intérieurement en forme d'amphithéâtre, il sera bien facile de les rendre très commodes, puisqu'il n'y aura plus qu'à les entourer de portiques ou d'arsenaux, qu'à ouvrir des rues qui conduisent des portiques aux marchés, qu'à élever, aux deux coins, des tours qui, à l'aide de machines, puissent soutenir des chaînes passant de l'une à l'autre.
Si nous n'avons point de port naturel qui soit en état de défendre les vaisseaux contre la tempête, voici à quels moyens il faudra avoir recours : s'il ne coule dans cet endroit aucune rivière qui fasse obstacle, s'il se trouve d'un côté un mouillage sûr, il faudra construire de l'autre un môle, une levée qui s'avance dans la mer, et forme l'entrée du port. Voici comment il faut faire ces jetées qui doivent se bâtir dans l'eau. On se procurera de cette poussière dont sont formées les plaines qui s'étendent entre Cumes et le promontoire de Minerve, et on en fera dans un bassin un mortier composé de deux parties de poudre contre une de chaux.
Dans le lieu destiné à la construction de la jetée, des batardeaux, formés de madriers de chêne, attachés entre eux, seront construits dans la mer, où on les fixera solidement. On remplira ensuite les intervalles avec de fortes planches, après avoir nettoyé et nivelé le fond de l'eau; puis on y entassera des pierres mêlées avec le mortier, dont nous venons de parler, jusqu'à ce qu'on ait comblé l'espace ménagé dans les batardeaux pour la maçonnerie. Mais si la violence des flots, roulant de la pleine mer, vient à rompre les batardeaux, il faudra construire, avec la plus grande solidité possible, un massif contre la terre même ou contre le parapet; la moitié de ce massif sera élevée au niveau du terre-plein; l'autre, qui est la plus rapprochée du rivage, sera en talus.
Ensuite, du côté de l'eau et le long du massif, on construira, en forme d'enceinte, un mur d'environ un pied et demi, qui s'élèvera à la hauteur du niveau dont il vient d'être parlé. Le creux du talus sera alors rempli de sable jusqu'au niveau de ce mur et de la surface du massif. Au-dessus de cette esplanade, on bâtira un corps de maçonnerie d'une grandeur déterminée, puis on le laissera sécher, au moins pendant deux mois. On abattra alors les rebords qui soutiennent le sable, et le sable emporté par les flots ne pourra plus soutenir cette masse, qui tombera dans la mer. Par cette opération, renouvelée autant de fois qu'il sera nécessaire, on pourra s'avancer dans les eaux.
La pouzzolane se trouve en abondance dans les lieux dont nous avons parlé plus haut. Dans ceux où cet avantage ne se rencontre pas, voici comment on y pourra suppléer : un double rang de madriers réunis par des planches et fortement attachés sera enfoncé dans le lieu choisi, et l'intervalle sera rempli de craie renfermée dans des paniers de jonc de marais. Quand on les aura bien battus pour les affermir, l'endroit circonscrit dans cette enceinte sera vidé et mis à sec à l'aide de limaces, de roues, de tympans, et on y creusera des fondements; si l'on rencontre de la terre, on creusera jusqu'au solide, en desséchant à mesure, et on donnera aux fondements plus de largeur que n'en aura le mur qu'ils doivent porter; la maçonnerie se composera de moellons liés avec de la chaux et du sable.
Si le lieu n'est pas ferme, on y enfoncera des pilotis de bois d'aune ou d'olivier, ou de chêne, durcis au feu, et on remplira les intervalles de charbon, comme je l'ai dit pour les fondements des théâtres et des murailles. On élèvera ensuite le mur avec des pierres de taille, dont les plus longues seront mises aux angles, afin que celles du milieu soient plus solidement liées; l'intérieur du mur sera alors rempli de hourdage ou de maçonnerie, afin que dessus on puisse construire une tour.
Après ces travaux, on s'occupera des arsenaux, qu'on aura soin de construire de préférence du côté du septentrion : car l'exposition du midi, à cause de la chaleur, engendre la pourriture, nourrit et conserve les tignes, les térédons et toutes les espèces d'insectes nuisibles. Il ne doit point entrer de bois dans la construction de ces édifices, crainte du feu. Quant à leur grandeur, elle ne saurait être déterminée; il suffit qu'elle soit telle que les plus grands vaisseaux puissent y trouver largement place.
Après avoir écrit dans ce livre tout ce qui m'a paru utile et nécessaire pour le bon état des villes, en ce qui regarde les édifices publics, dont j'ai donné les proportions et le plan, je vais, dans celui qui suit, traiter des bâtiments particuliers, de l'utilité et de la convenance de leurs parties.

NOTES DU LIVRE CINQUIÈME.

1.- Cubicis rationibus. Aucun interprète n'a cherché à faire sortir de ce passage quelque sens utile ; car il n'y a rien à dire du ridicule commentaire de Casariano produisant certains vers qui, lus soit dans l'ordre ordinaire, de gauche à droite, soit dans l'ordre contraire, présentent les mêmes mots, et conséquemment, dit-il, toujours le même sens, si toutefois on peut y en trouver quelqu'un. Les voici :
Sator arepo tenet opera rotas
Signa te signa temere me tangis et angis
Roma tibi subito motibus ibit amor.

Il admet la version rejetée par Poleni, versuum CCCXLIII, parce que ce nombre est le cube de 7.

2. - Constitueruntque cubum sexdecim et ducentorum versuum. Les platoniciens regardèrent le nombre 10 comme un nombre parfait ; mais les pythagoriciens estimaient le nombre 6 comme le plus parfait et par conséquent le nombre 216 : car 6 multiplié par lui-même donne le nombre carré 36, qui, multiplié par son côté, fait le nombre cubique 216. C'est pourquoi les pythagoriciens avaient réduit à 216 les vers qui renfermaient toute leur doctrine.

3. - Ita partes cubica ratione facientes. C'est-à-dire, selon Perrault, que, de même que la figure cubique est cause que les corps demeurent en repos, de même la sphérique ici dispose au mouvement; les choeurs aussi, dans les comédies des anciens, donnaient occasion aux acteurs de se reposer, après le travail d'un long récit. Barbaro a cherché inutilement dans les nombres cubiques une autre explication à ce texte. Car les comédies anciennes, de même que les nôtres, étaient divisées en cinq actes, et les scènes des actes n'avaient point de nombre déterminé, et il aurait fallu que les actes et les scènes eussent été au nombre de huit, pour faire que la proportion cubique se rencontrât dans la division des parties qui composaient la comédie. On peut dire néanmoins que la pensée de Vitruve a quelque fondement sur le nombre des personnages des pièces dramatiques qui était déterminé dans les choeurs, puisqu'il avait été réduit par une loi au nombre de vingt-quatre pour les comédies, et à celui de quinze pour les tragédies, à cause de la licence qu'Eschyle se donna d'introduire jusqu'à cinquante comédiens dans un choeur de ses Euménides, ce qui causa un grand scandale aux spectateurs, au rapport de Pollux. Or, ces personnages des choeurs étaient comme rangés en bataille, ayant des rangs qu'ils appelaient zugoÛ, et des files qu'ils nommaient stÛxoi. Ces files, dans les comédies, étaient de six personnes, et de cinq dans les tragédies; les rangs dans les comédies étaient de quatre, et de trois dans les tragédies : mais la difficulté est que ni le nombre 24, ni le nombre 15, ne sont cubiques.

4. - Graeci in quadrato. Les premiers essais de l'architecture furent consacrés aux temples des dieux; c'est pour les temples que cet art fut inventé et perfectionné. Les colonnes et les autres décorations qui en font la principale beauté, furent longtemps réservées à ces sortes d'édifices. Mais la Grèce étant devenue opulente, après avoir triomphé des Perses, et reconquis sa liberté, toutes les villes à l'envi, et surtout Athènes, employèrent leurs richesses à élever des monuments publics et à les orner. Les forum furent les premiers endroits qu'on chercha à embellir; la grande étendue de ces places offrait un bien plus vaste champ au génie des architectes. Les temples ne formaient qu'un seul édifice; dans le forum se trouvaient réunis la basilique, des temples, le trésor public, la maison de ville, les prisons. Cette variété permettait d'étaler les divers genres de beautés que réunit l'architecture. Voyez M. de CAUMONT, 3e partie, ch. 6. En Grèce les forum étaient carrés. Ils étaient oblongs en Italie ; la largeur était des deux tiers de la longueur. Les Romains avaient deux sortes de forum : dans les uns se tenaient les assemblées du peuple, se rendait la justice, se traitaient les affaires publiques; c'étaient principalement le forum romain (Forum Romanum, vetus vel magnum), le forum de César, le forum d'Auguste. C'est à ces trois forum que se rapporte le triplex forum des poètes, leur tria fora; les autres étaient des marchés pour certaines ventes : il y avait le forum Boarium, le forum Suarium, le forum Piscarium, le forum Olitorium, le forum Pistorium, etc.Tous ces lieux étaient contigus, le long du Tibre.

5. - Et lapideis aut marmoreis epistyliis adornant. Perrault fait observer qu'il n'est point ici question des architraves, parce qu'il paraît, par plusieurs autres endroits de Vitruve, que les anciens supprimaient souvent les autres parties de l'entablement, quand elles étaient inutiles, comme dans les intérieurs, où il n'est point nécessaire qu'une corniche défende les colonnes contre la pluie, et Poleni a fait cette remarque au Panthéon à Rome et au temple de Mars Vengeur ; comme quelquefois aussi à l'extérieur, quand il y a deux ordres l'un sur l'autre, le second étant suffisamment couvert par la corniche du premier. La basilique de Fanum (liv. V, ch. 1) et la salle égyptienne (liv. VI, ch. 5) en offrent deux exemples. Vitruve se sert des mots lapideis et marmoreis pour indiquer la magnificence de certains forum; on sait que le marbre l'emporte sur les autres pierres par son prix, sa couleur, sa dureté, son poli.

6. - Moenianaque superioribus coaxationibus collocentur. Ce sont proprement des balcons, qui furent ainsi appelés du nom de Ménius. Ce citoyen romain, ayant vendu sa maison qui regardait sur la place des spectacles, se réserva seulement une colonne qui était devant, sur laquelle il bâtit une terrasse ou balcon. Ici ces galeries sont, ce que les Italiens appellent loggie, de seconds portiques placés sur les premiers, pour servir de dégagement aux appartements, et de balcons couverts doit l'on regarde sur la place.

7.- Ne propter inopiam populi vastum forum videatur. Le forum était en plein air. Quelquefois on le couvrait, comme nous l'apprend Pline (Hist. Nat., liv. XIX, ch. 6).

8. - Duae partes ei dentur. On lit dans un assez grand nombre de manuscrits duae partes jubentur, ce dernier mot équivalant à debent assumi. Cette version semblerait devoir être préférée à celles qu'on trouve dans quelques éditions : duae partes videntur; duae partes latitudini dentur; duae partes ei dentur. Si nous avons adopté cette dernière, c'est parce qu'on la rencontre plus souvent que l'autre dans les auteurs, et que le mot dentur ne présente point le solécisme que je vois dans jubentur.

9. - Columnae superiores quarta parte minores. Perrault dit que cette règle est contraire à celle qui demande que l'on augmente les grandeurs des membres d'architecture à proportion qu'ils sont plus élevés, ce qui n'a point été non plus observé au Colisée, où les quatre ordres sont d'une même hauteur, à très peu de chose près, et où les étages sont plus grands en haut qu'en bas, à cause de l'augmentation des piédestaux. Mais Vitruve donne ici une excellente raison de cette diminution des colonnes d'en haut, dont nous trouvons des modèles dans l'antiquité. Aux trois ordres de colonnes de l'amphithéâtre de Flavius, la longueur du fût des colonnes inférieures est un peu plus grande que celle du fût des colonnes supérieures ; mais le théâtre de Marcellus présente un exemple bien plus frappant. À la façade, les colonnes inférieures d'ordre dorique sont d'un neuvième plus grandes que les colonnes supérieures d'ordre ionique. La règle de Vitruve n'a donc rien de singulier. Galiani trouve qu'on ne voit pas clairement dans le texte si c'est la hauteur ou la grosseur de la colonne qu'on doit diminuer d'un quart. Ce doit être évidemment l'une et l'autre, puisque, comme le fait observer Philander et Galiani lui-même, la hauteur des colonnes est toujours relative à leur grosseur qui lui sert de module. Partant, dit de Bioul, si les colonnes du rang supérieur sont du même ordre que celles du rang inférieur, et qu'elles soient d'un quart moins grosses, elles seront aussi d'un quart moins grandes. Mais, comme l'usage est de faire les colonnes du second rang d'un ordre plus délicat, si la diminution est faite sur la hauteur, ces colonnes seront plus minces que les autres de plus d'un quart. On peut d'autant moins douter que ce ne soit à la hauteur que Vitruve entend que cette diminution soit faite, qu'il dit expressément, dans le ch. 7 de ce livre, en parlant des divers ordres élevés l'un sur l'autre pour décorer la scène supra id pluteum columnae quarta parte minore altitudine quasis inferiores; et un peu après il ajoute, que si l'on met trois ordres l'un sur l'autre, les colonnes du troisième doivent être d'un quart moins grandes que celles du rang du milieu : columnae summae mediarum minus altae sint quarta parte. On conçoit aisément que les entrecolonnements des rangs supérieurs tiennent plus de l'aréostyle que ceux des rangs inférieurs.

10. - Basilicarum loca adjuncta foris. Les basiliques, appelées regiae aedes ou porticus, parce que les rois y rendaient primitivement eux-mêmes la justice aux peuples, étaient des salles spacieuses construites autour du forum, pour l'administration de la justice. Les premières paraissent avoir été élevées par M. Porcius Caton le Censeur, l'an de Rome 566, ce qui leur fit donner le nom de porciae. Quand on y eut ajouté un tribunal pour les magistrats; on les abandonna aux commerçants ; puis les premiers chrétiens les convertirent en églises. Par la suite ou bâtit la plupart des églises sur le modèle des basiliques, qui diffèrent des temples des anciens en ce que les colonnes sont en dedans, au lieu que les temples les avaient en dehors, faisant comme une enceinte autour de la cella, qui était un lieu obscur où le jour n'entrait d'ordinaire que par la porte.

11. - Earumque latitudines. Galiani pense que cette proportion s'applique à la grande nef sans y comprendre les portiques, qu'autrement il aurait transgressé lui-même cette règle dans la basilique de Fanum, dont il dirigea la construction après en avoir fait le plan. Mais Newton fait remarquer avec raison qu'il s'agit ici de la largeur intégrale, parce que la basilique de Vitruve fait exception à la règle. Vitruve ne dit-il pas un peu plus loin : Non minus summam dignitatem et venustatem possunt habere comparationes basilicarum? ce qui prouve que ses proportions étaient particulières.

12. - Chalcidica in extremis partibus constituantur. On ne sait pas trop à quel usage ces chalcidiques étaient destinées. Plusieurs savants, suivant Philander, ont cru que c'était le lieu où l'on frappait la monnaie chez les Romains. Ce mot, composé de xalkñw, qui en grec signifie airain, et de dÛkh, justice, ferait plutôt croire que c'était celui, où l'on jugeait du poids et de la valeur de la monnaie, puisque les Romains se servaient dans le commencement, pour les achats, de métal de cuivre estimé au poids, avant qu'on eût employé les monnaies frappées au coin.
Quelques-uns, sur la foi de Festus, prétendent qu'on donnait le nom de chalcidica à une sorte de bâtiment, inventé à Chalcis, dans l'île d'Eubée. D'autres pensent qu'il signifiait une salle d'airain. Le plus célèbre des temples de Minerve, à Sparte, se nommait chalciaecos, de deux mots grecs,
xalkñw, airain, et oàkow, maison. Presque tous les auteurs latins et grecs ont parlé de ce temple. Tite-Live assure qu'on l'a nommé ainsi parce qu'il était tout de cuivre. Pausanias dit la même chose à l'occasion, du temple d'Apollon, à Delphes, qu'on disait avoir été autrefois bâti en cuivre. Pour en prouver la possibilité, il cite une chambre en cuivre qu'Acrisius avait fait faire pour sa fille, et le temple de Minerve Chalciaecos, à Sparte. Il ajoute qu'à Rome, le lieu où l'on rend la justice surprend par sa grandeur et sa magnificence; mais que ce qu'on y admire le plus, c'est un plafond de bronze qui règne d'un bout à l'autre.

Arnobe appelle chalcidica les belles salles où l'on feignait que les dieux des païens mangeaient.
Barbaro et Baldi estiment que c'est un nom propre pour cet édifice que Dion dit avoir été bâti par J. César en l'honneur de son père. Alberti veut qu'on lise causidico, c'est-à-dire une salle d'audience. Perrault, d'après un vers d'Homère interprété par Ausone, où il est parlé d'une vieille qui monte dans un lieu élevé, croit que ces chalcidiques étaient de grandes et magnifiques salles où l'on rendait la justice, situées au bout des basiliques, de plain-pied avec les galeries par lesquelles on allait d'une salle à l'autre et où les plaideurs se promenaient : car ces galeries hautes sans ces salles semblent inutiles. De Bioul trouve que cette interprétation s'éloigne trop du sens de Vitruve; et aime mieux les placer au rez-de-chaussée, comme a fait Galiani.
Ces salles étaient peut-être appelées chalcidiques, parce que les lois y étaient gravées sur des tables de cuivre, attachées aux murailles, comme semblerait le faire croire Ovide dans sa description de l'âge d'or (Métamorphoses, liv. XV, v. 793)

...Nec verba minacia fixo
Aere ligabantur .

13.- In Julia Aquiliana. Pour donner un modèle de tes chalcidiques, Vitruve ajoute immédiatement uti sunt in Julia Aquiliana. Il est probable que cette basilique était celle qu'Eusèbe dans sa Chronique, place à Rome sous la dénomination de Julia auquel nom on ajoute celui d'Aquiliana, et non une autre basilique bâtie par Julius Aquilinus dans la colonie appelée Forum Julii, aujourd'hui Fréjus, dans la Gaule Narbonnaise.

14. - Columnae basilicarum tam altae. Puisque la largeur des portiques, c'est-à-dire des ailes qui sont aux côtés de la grande nef du milieu, et que l'on appelle bas-côtés dans nos églises, doit être de la troisième partie de l'espace du milieu, et que les colonnes du portique doivent être aussi hautes que le portique est large, la hauteur qu'il faut donner aux colonnes des basiliques paraît parfaitement déterminée.

 

15.- Pluteum, quod fuerit inter superiores et inferiores columnas. Philander et Barbaro ont pris ce pluteum ou pluteus pour l'espace qui est entre les colonnes d'en bas et celles d'en haut, et ils ont cru que Vitruve ayant dit spatium quod est inter superiores columnas, il fallait suppléer et inferiores, mots qui, du reste, se rencontrent dans plusieurs manuscrits et éditions; mais, dit Perrault, il n'est parlé que de la cloison qui est entre les colonnes d'en haut: ce qui peut avoir un fort bon sens, pourvu qu'on entende que cette cloison qui était comme un piédestal continu sous toutes les colonnes d'en haut, ne devait passer pour cloison qu'à l'endroit qui était entre les colonnes, parce que l'endroit de ce piédestal continu, qui était immédia­tement sous les colonnes, devait être pris pour leur piédestal (fig. 80). Poleni partage l'opinion de Perrault en introduisant dans le texte et inferiores, que sous-entend Perrault.
Galiani, au contraire, prétend que ce sens ne ressort pas des expressions de Vitruve, d'abord parce que le texte dit pluteum quod fuerit inter superiores columnas, ce qui n'a aucun rapport avec les colonnes inférieures; ensuite parce que le pluteum a pour objet de mettre ceux qui se promènent dans les galeries hors de la vue des commerçants, ce qui ne serait point obtenu par l'entablement placé entre le rang supérieur et le rang inférieur des colonnes ; enfin, parce qu'à la fin de ce chapitre, on lit epistyliorum ornamenta, pluteorum columnarumque superiorum distribitionem :ce qui prouve que le pluteum est une chose tout à fait distincte des architraves; qu'ainsi le pluteum que Vitruve fait d'un quart moins haut que les colonnes supérieures, est un mur élevé entre ces colonnes, au-dessus du-quel reste une ouverture pour l'introduction de la lumière.
La correction de Poleni fait disparaître la première objection de Galiani ; il en sera de même de la deuxième et de la troisième, si, outre l'entablement qui couronne le rang inférieur des colonnes, on place un podium ou stylobate continu sous les colonnes supérieures.
Quant à ce mur que Galiani propose d'élever entre les colonnes, il est si loin de présenter cette beauté, cette majesté dont parle Vitruve, qu'il y a lieu de s'étonner qu'on ait eu l'idée d'en parler, bien qu'Ortiz n'y trouve rien d'absurde.

 

 

16. - Mediana testudo. Par le mot testudo, Vitruve entend la grande nef du milieu AA (fig. 81), dont la longueur entre les colonnes qd est de cent vingt pieds, et la largeur ru de soixante. Cette figure représente le plat de la basilique de Fanum. Barbaro prétend que cette nef n'était couverte que d'un plancher plat, ayant égard sans doute, dit Perrault, à la grande poussée d'une voûte si large, plutôt qu'au texte, où il y a distinctement une voûte, car testudo ne saurait signifier un plancher plat. Il est vrai que Vitruve a pris une espèce pour une autre, en mettant testudo au lieu de fornix. Quant à la difficulté que l'on pourrait trouver à la grande largeur de la voûte, elle serait réelle si cette voûte était de pierre; mais n'étant que de bois, comme il y a grande apparence, des colonnes de cinq pieds de diamètre et appuyées par des ailes fort larges la pouvaient aisément soutenir. Les églises gothiques présentent des modèles de voûtes d'une hardiesse merveilleuse; il est vrai qu'elles sont soutenues à l'extérieur par des contre-forts bien habilement disposés.

 

 

 

17. - Colummae altitudinibus perpetuis. Cette basilique de Fanum diffère surtout des autres en ce qu'il n'y a qu'un seul rang de colonnes qui s'élèvent, dans un diamètre proportionné, aussi haut que les deux rangs réunis des autres basiliques, pour supporter la grande voûte.

Les architectes modernes ont bien souvent abusé de ces hautes colonnes qui soutiennent plusieurs étages. Ici, la vaste étendue de le voûte semble autoriser cette licence; mais dans un bâtiment ordinaire composé de plusieurs étages, il n'y a pas de raison pour mettre de grandes colonnes ou de grands pilastres au dehors de murs où il n'y a pas de grande voûte comme celle-ci à soutenir.

18. - Habentes post se parastaticas. Cette structure est bien différente de celle des anciens temples, où les colonnes étaient presque toujours d'une seule pièce; car il y a grande apparence, selon Perrault, que ces colonnes contre lesquelles des pilastres sont appuyés par derrière, sont composées de plusieurs assises de pierres, ou tambours, comme on les fait à présent clans nos églises. Les colonnes FF (fig. 81, p. 523, aussi bien du reste que toutes celles qui sont autour de la grande nef, présentent le tracé de ces pilastres.

19. - Aspectus pronai aedis Augusti. Le plan du temple d'Auguste est indiqué par les lettres bCaa (fig. 81, p. 523) : b désigne le pronaos; la partie Caa peut être regardée comme la cella. Les provinces consacrèrent des temples à Octave César Auguste, comme le rapporte Suétone dans la vie de cet empereur (ch. LII et LIX). Les paroles de Suétone sont confirmées par des inscriptions antiques. Il suffit d'en rapporter une que Deville a trouvée sur la frise d'un temple, dans la ville de Pola
ROMAE ET AVGVSTO CAESARI
INVI. F. PAT. PATRIAE.
Ce fut l'an 96 de notre ère qu'Octave César prit le nom d'Auguste.

20. - Quae est in medio latere parietis basilicae collocata. Dans la fig. 81 (p. 523), ce mur est mm, dont le milieu NP se trouve en face du temple bCaa.

21. - Item tribunal est in ea aede. C'est-à-dire dans le temple d'Auguste, joint à la basilique. Ici le mot tribunal est pris par Vitruve dans sa véritable acception, c'est-à-dire pour l'endroit où le juge avait son siège. Il est constant, dit Perrault, que ces pièces étaient en bas et de plain-pied; mais cela ne répugne pas à la description des basiliques ordinaires qui étaient différentes de celle de Vitruve, à laquelle était joint le temple. Ce temple, qui faisait partie de la basilique, et qui renfermait ce tribunal, n'avait qu'un rez-de-chaussée sans galerie supérieure. Dans les basiliques ordinaires qui n'avaient ni temple, ni tribunal, le lieu dans lequel on rendait la justice devait être les chalcidiques. Barbaro et Palladio ont mis au bout de la basilique ordinaire le tribunal que Vitruve met seulement dans le temple d'Auguste.; ce qui est encore possible.

22. - Hemicycli schematis minore curvatura formatum. La forme du tribunal qui était celle d'un arc de cercle, son emplacement qui était tel que ceux qui avaient affaire aux magistrats n'embarrassaient point les commerçants qui étaient dans la basilique, prouve clairement que ce tribunal formait une enceinte particulière en dehors de celle de la basilique, comme font les chapelles de la plupart de nos églises. Le tribunal est marqué dans la fig. 81 (p. 523) par les lettres aie; le point central est en h.

23. - Introrsus curvatura pedum quindecim. Il s'en faut de huit pieds que le tribunal ne soit semi-circulaire, puisqu'il a quarante-six pieds de largeur, et seulement quinze de profondeur au lieu de vingt-trois. Cette profondeur est marquée in (fig. 81, p. 523).

24. - Supra columnas ex quatuor tignis bipedalibus compactis trabes sunt circa collocatae. On lisait ex tribus tignis. Cesariano et Durantino croient que cet assemblage faisait les colonnes, et pour cela ils traduisent, dit Perrault, compactis comme s'il y avait compactas (Sopra le colonne di tre legni bipedali compacte), ce qui n'est pas vraisemblable; et il y a plus d'apparente que ces trois poutres faisaient une architrave. Il y a pourtant une difficulté, c'est que ces trois poutres qui ont chacune deux pieds en carré, étant jointes ensemble, et mises de suite les unes sur les autres, feraient une trop grande largeur ou une trop grande hauteur pour une architrave qui est sur des colonnes de cinq pieds de diamètre; de sorte qu'il faut supposer qu'il y a faute dans le texte, et qu'on doit lire ex quatuor tignis au lieu de ex tribus : car ces quatre poutres étant mises deux à deux et les unes sur les autres, font une architrave dont la proportion est convenable.

25. - Ex fulmentis disposita pilae. Dans la basilique de Fanum, les galeries latérales formaient derrière les colonnes un second étage auquel ces colonnes étaient tout à fait étrangères, puisque

s'élevant au-dessus du faîte du toit qui couvrait les galeries, elles étaient uniquement destinées à porter la grande voûte.Dans beaucoup d'édifices modernes, on a placé aux côtés des colonnes des pieds-droits qui portent les galeries, et qui rendent cette partie beaucoup plus massive. Ce défaut n'existe pas dans la basilique de Vitruve : les petits piliers qui portent les galeries, sont placés derrière ces grosses' colonnes, de manière qu'on puisse à peine les apercevoir; ils n'ôtent aux colonnes rien de leur grâce et de leur légèreté. Le peu d'épaisseur de ces piliers fait supposer à Galiani qu'ils sont adjacents aux colonnes, car le mot post n'indique pas clairement qu'ils y doivent être attachés.

26. - Ita fastigiorum duplex pectinata dispositio. On ne comprend pas trop bien ce que l'auteur a voulu dire par ces mots. Perrault a cru qu'il entendait par là la double disposition du toit, celle du dehors qui est en pente, et celle du dedans qui est en voûte.
Galiani ne peut comprendre comment on pourrait apercevoir en dehors le frontispice du toit et celui de la voûte. Ol croit qu'extrinsecus tecti désigne les toits des portiques latéraux qui forment chacun un demi-frontispice, et qu'interioris altae testudinis désigne le frontispice triangulaire formé par le toit de la grande voûte qui s'élève au-dessus de ces demi-frontispices, d'autant plus qu'il paraît que l'épithète de altae est expressément jointe au mot testudinis, pour marquer la différence de hauteur de tecti qui signifie ici les toits latéraux qui sont plus bas. Ce qui confirme le plus dans cette opinion, dit de Bioul, c'est qu'à Venise, l'église de Saint-François de la Vigne aux pères Franciscains, celle du Rédempteur aux pères Capucins, et celle du grand Saint-Georges, ont toutes dans le milieu un frontispice fort élevé pour la grande nef, et plus bas deux demi-frontispices pour les petites nefs latérales. Ces églises ont été construites d'après les plans de Palladio, l'un des plus célèbres architectes, qui avait surtout étudié les ouvrages des anciens, dont il existait encore de son temps un grand nombre qui sont détruits aujourd'hui. Il est probable que ce grand architecte aura pris pour modèle les plus belles églises anciennes qui étaient bâties sur le plan des anciennes basiliques.
Et serait-il bien ridicule de penser que cette double disposition des faîtes présentât ce que nous voyons dans quelques églises du moyen âge, trois pignons, un grand au milieu, deux plus petits aux deux côtés, ce que. semblerait indiquer le mot pectinata, qui signifie en forme de dents de peigne.

 27. - Aerarium. L'histoire dit que le trésor public était placé dans un temple, sans lui assigner d'édifice particulier; il devait pourtant y en avoir un, puisque Vitruve a écrit que sa grandeur devait être proportionnée à celle du Forum, sans entrer dans plus de détails.

28. - Carcer. Vitruve parle de l'emplacement de la prison sans rien dire de sa construction Ce fut Ancus Martius qui fit bâtir la première prison de Rome; Servius Tullius l'agrandit, et la partie souterraine construite par ses ordres prit le nom de Tullianum ; Eutrope est le seul historien qui en attribue l'établissement à Tarquin le Superbe. Juvénal témoigne que sous les rois et les tribuns, il n'y eut qu'une prison à Rome. Sous Tibère on en construisit une nouvelle, nommée prison de Mamertin. Dans les écrits des Grecs et des Romains, nous voyons que les prisons étaient composées de pièces ou d'appartements plus ou moins affreux, de souterrains obscurs, de basses-fosses humides et infectes, témoin celle où l'on fit descendre Jugurtha, au rapport de Salluste.

29. - Curia. Quand les assemblées du peuple romain par curies furent abolies, le nom de curia passa au lieu où le sénat se tenait; et c'est peut-être de là qu'est venu le mot de cour, que nous employons pour signifier tout corps de juges et de magistrats.
Il y avait la curie Hostilta, la curie Julia, la curie Octavia et la curie Pompeia. Les augures consacraient comme des temples les bâtiments des curies, sans les dédier à des divinités particulières.

30. - Aerarium, carcer, curia foro sunt conjungenda. C'était un arrangement que les anciens Romains observaient avec le plus grand soin : car il est certain que le trésor public était dans le temple de Saturne, qui touchait au Forum. Tite-Live nous apprend que la prison, bâtie au milieu de la ville, dominait le Forum, et que la curie Hostilta était contiguë à cette place.

31. - Si quadrata erit. La proportion donnée à l'édifice appelé curie, fait voir que ce n'était qu'une salle, et non une maison composée de plusieurs appartements, comme sont nos hôtels de ville.

32. - Praecingendi sunt parietes medii coronis ex intestino opere, aut albario. Comme c'était dans la salle de la curie que s'assemblaient les sénateurs et autres conseillers pour y discuter les affaires les plus importantes, il fallait faire en sorte que l'étendue et l'élévation de ces salles n'empêchassent pas d'entendre ce qui se disait. C'est pour la même raison qu'on met un dais au-dessus des chaires dans nos églises. Cette corniche se faisait en bois ou en stuc : car il est clair que albarium opus signifie ici du stuc, et non de la chaux, comme l'ont cru Philander, Baldi et Saumaise, puisqu'il n'est pas possible de tirer une corniche avec de la chaux seule.

33. - Ludorum spectationibus eligendus est locus. Les jeux, chez les Romains,, appartenaient à la religion et étaient presque aussi anciens que Rome. Ils furent d'abord célébrés dans le champ de Mars. On commença à les appeler, jeux du Cirque, lorsque Tarquin l'Ancien fit construire le Cirque dans la vallée Murcia, entre les monts Palatin et Aventin. Autour de l'arène étaient des gradins appelés fori, que d'abord chacun se faisait, jusqu'à ce que Tarquin le Superbe eût fait construire des sièges de bois permanents, qui furent dans la suite faits de briques et ensuite de marbre.

Les colonies grecques, établies en Italie, y avaient fait connaître longtemps avant Romulus les jeux qu'Hercule institua dans leur patrie, qu'Iphitus renouvela, et dont les époques servirent à marquer chez eux celles du temps. Les Romains, en prenant du goût pour les lettres et les arts des Grecs, en prirent aussi pour leurs spectacles. Les jeux scéniques leur plurent particulièrement. Beaucoup de tragédies et surtout de comédies grecques furent traduites dans leur langue.

Ce spectacle se donnait sur des théâtres qui demandaient une tout autre disposition que l'emplacement destiné aux jeux du Cirque. Ceux-ci devaient former un long espace pour la course, la lutte et les autres jeux : il suffisait que rien ne gênât la vue des spectateurs, et qu'ils pussent l'étendre sur tous les points. Dans les autres, la scène était l'objet principal. Les spectateurs devaient non seulement voir tout ce qui s'y passait, mais ils devaient encore entendre tout ce qui s'y prononçait. On choisit pour cela la forme semi-circulaire, dont les rayons plus courts et plus égaux rapprochaient plus également les spectateurs de la scène, et augmentaient l'effet du son de la voix en le concentrant. Du reste, les siégea ou gradins, et les portiques qu'on éleva par la suite tout le long de la partie circulaire, ressemblaient à ceux qui régnaient autour du cirque.

Dans les anciens temps, les spectateurs étaient debout, et même l'an de Rome 599, à l'occasion d'un théâtre qui fut alors construit, il fut défendu par un arrêt du sénat, d'être assis à cette sorte de spectacle, à Rome, et à un mille aux environs. Cependant nous voyons dans les prologues des comédies des Captifs, du Pseudolus et autres de Plaute, qu'il est fait mention des spectateurs assis : ce qui pourrait faire croire que ces prologues ne sont point de Plaute. Dans la suite on éleva des théâtres dans différentes occasions; tel fut celui d'Émilius Scaurus, qui était d'une extrême magnificence. Au rapport de Pline, il contenait quatre-vingt mille personnes. Pompée est le premier qui, pendant son second consulat, fit faire un théâtre de pierres de taille qui contenait quarante mille places. Quelques temps après, il y eut à Rome plusieurs théâtres permanents, dont les principaux furent ceux de Marcellus et de Balbus, qui étaient de marbre. Voyez M. DE CAUMONT, 3e part., ch. X.

34. - Ne impetus habeat a meridie. Il n'y avait qu'un moyen de l'empêcher : c'était d'élever la scène et le portique, ou le mur qui était au-dessus des gradins.

35. - Si in rnontibus fuerit. Il nous reste plusieurs modèles de ces théâtres et de ces amphithéâtres adossés à des montagnes. Le comte de Maffei, en parlant de l'amphithéâtre de Pola, que mal-à-propos il prend pour un théâtre, fait observer qu'il se trouve immédiatement au pied d'une colline, qu'on s'est adroitement servi de sa pente pour y construire les gradins, et que les anciens avaient coutume de choisir des lieux semblables, quand ils bâtissaient ces sortes d'édifices, afin d'épargner une grande partie des frais de construction. En effet, le grand cirque, à Rome, remplissait le fond de la vallée entre les monts Palatin et Aventin, et les gradins, des deux côtés, s'élevaient sur la pente de ces deux monts.

36. - Praecinctiones ad altitudines theatrorum. J. Martin a entendu ce passage comme si Vitruve avait voulu dire que la hauteur des paliers devait être proportionnée à la grandeur du théâtre. C'est une erreur; et Vitruve et la raison veulent que les paliers soient d'une même hauteur dans tous les théâtres, parce que la hauteur des paliers dépend de celle des degrés, qui doivent être d'une même hauteur dans les grands comme dans les petits théâtres. En effet, dit Perrault, Vitruve n'a point écrit ad altitudinem theatri, mais ad altitudines theatrorum; c'est,-à-dire, suivant la proportion ordinaire dés théâtres où les degrés n'ayant de hauteur que la moitié de leur largeur, ainsi qu'il est dit à la fin du 6, chapitre de ce livre, les paliers ne doivent non plus avoir de hauteur que la moitié de leur largeur :ce qui ressort manifestement de la règle que Vitruve prescrit, qui est de tirer une ligne qui touche à toutes les carnes des degrés; car cela oblige de donner une même proportion aux paliers qu'aux degrés.
Quelques commentateurs ont pensé, non sans raison, que c'était le nombre des paliers qui devait être proportionné à la hauteur des théâtres; si bien que, dans un théâtre médiocre, il n'y avait qu'un palier, dans un autre plus grand il y en avait deux, et trois dans les grands théâtres.
Quelle que fût l'étendue des théâtres, la partie qui se trouvait au-dessus des degrés était toujours terminée par une espèce d'esplanade, ou palier, sur laquelle s'élevait un portique : c'était là que se plaçaient les femmes et ceux qui étaient en deuil.

37. - Aditus complures. Chaque partie du théâtre avait son entrée et sa sortie distinctes l'une de l'autre; plusieurs corridors conduisaient de plain-pied à l'orchestre. Leurs ouvertures ou portes de ce côté s'appelaient vomitoria, parce que la multitude du peuple semblait être vomie par ces portes.

38. - Ea mouetur circulorum rotundationitus. Vitruve, pour expliquer la nature de la voix, dit deux choses : la première est que le son vient de l'agitation de l'air; la seconde, que cette agitation fait des cercles dans l'air, comme une pierre lancée en fait à la surface d'une eau dormante. La première est vraie ; cependant il est certain que toute agitation de l'air n'est pas capable de produire du bruit; c'est un corps si fluide, si élastique, que poussé médiocrement il cède au coup, et ne cesse d'être en contact avec le corps qui le pousse, de sorte que, pour produire un son, il faut que le mouvement de la puissance qui pousse soit assez rapide pour que, par la vitesse de cette impulsion soudaine, la première partie de l'air n'ayant pas eu le temps de céder, agite avec la même promptitude toutes les autres parties qui se poussent l'une l'autre jusqu'à l'oreille.

La seconde n'est pas sans difficulté. Il est vrai que cette comparaison, prise d'une chose qui nous est sensible, semble en expliquer assez bien une autre qui ne l'est pas; mais il n'y a pas d'apparence qu'il se puisse faire de ces cercles dans l'air commune il s'en fait dans l'eau : car ces cercles se font dans l'eau à cause de la pesanteur qu'elle a, parce que la partie de l'eau qui a été poussée et élevée par la pierre en entrant dans l'eau, retombe, et frappe une autre partie qui s'élève aussi par ce coup, et qui en retombant en frappe encore une autre. Mais rien de tout cela ne peut arriver dans l'air dans lequel nous sommes plongés avec tous les autres corps qui sont plus solides que l'air, parce que l'air serre et comprime tout de telle sorte qu'il ne saurait donner lieu à ces ondoiements, et que son agitation est continue, sans interruption. Un seul coup sur l'eau peut produire cinquante cercles qui sont autant de coups qui vont frapper le bord de la pièce d'eau, taudis que l'agitation de l'air répond toujours au mouvement du corps résonnant; en sorte que l'air frappe l'oreille de même qu'il a été frappé, c'est-à-dire d'un seul coup, si le corps ne l'a frappé qu'une fois : et s'il arrive qu'un seul coup du marteau d'une horloge produit un son qui dure longtemps, c'est parce que le timbre vibre, ce qui forme une agitation composée de plusieurs autres agitations, qui a, ce me semble, beaucoup plus de rapport avec les ondoiements de l'eau, que n'en a l'agitation simple excitée dans l'air par la voix.

39. - In stantem aquam. Ce n'est pas sans raison que Vitruve emploie le mot stantem. Si l'eau n'était pas paisible, ce phénomène n'aurait point lieu. Voyez SÉNÈQUE, Quest. Nat., liv. t, ch. 2.40. - Ita in vote quum offensio nulla primant undam interpellaverit. Il n'est pas vrai que la rencontre d'un corps empêche l'agitation qui produit le son d'aller à l'organe de l'ouïe. Les vibrations de l'air nous transmettent dans un même moment les sons dans tous le sens, et il n'est pas plus difficile à l'air de faire passer à l'oreille, sans confusion, mille agitations à la fois qu'une seule. Or, la principale raison de ce phénomène est que le son ne se communique pas par des ondes comme l'agitation de l'eau, parce que pour qu'il y ait des ondes, il faut du vide, et l'on peut bien appeler ainsi l'air qui est sur la surface de l'eau; mais le son n'a lieu que parce que l'air remplit tout, et qu'il est impossible que les impressions qu'il souffre soient vaincs et sans effet, si ce n'est quand le mouvement qui agite l'air n'est point assez vif.

41. Indagationibus vocis. Le son des instruments, la voix de l'homme, font bien plus d'effet, sont bien plus sonores dans un appariement qu'en plein air. Les salles d'une forme circulaire, et couvertes d'une voûte concave, leur sont surtout favorables. Il parait qu'elles rassemblent le son, le grossissent et le répercutent à peu près comme il arrive aux rayons de lumière de se réfléchir, quand ils sont rassemblés dans un miroir concave.

42. - Uti enim organa in aeneis laminis, aut corneis echeis, ad chordarum sonitus claritatem perficiuntur. Perrault traduit ainsi : Car comme les anciens ont mesuré les instruments de musique, et ont marqué sur des laines de cuivre ou de corne les intervalles des dièses (diesi pour echeis), afin que les sons que rendaient les cordes fussent plus justes.... 'Je ne vois rien de tout cela dans le latin. Ce n'est certainement pas là ce qu'a voulu exprimer Vitruve. Et Perrault le sent bien lui-même dans sa note où on lit : « Ce que Vitruve dit ici des lames de cuivre ou de corne sur lesquelles on marquait les intervalles des dièses, semble-rait faire entendre que ces lames se mettaient sur le manche des instruments, et qu'on y plaçait les touches, en sorte que cela pourrait faire croire que les anciens touchaient les cordes avec les doigts de la main gauche, comme on le fait pour la guitare. Mais on ne voit point que les anciens en usassent de la sorte, parce que les cordes de leurs instruments ne sonnaient ordinairement qu'à vide, et n'avaient qu'un son particulier, comme celles de nos harpes; ou si l'on peut croire qu'ils en touchaient quelques-unes, ce n'était que pour varier les genres, et non pas les modulations dans chaque genre. »
Il me semble qu'il n'est ici question que des moyens à employer pour rendre les sons des instruments et la voix de l'homme plus sonores. Or, comme les salles d'une forme circulaire et surtout arrondie en voûte concave sont les plus propres à donner à la voix le développement désiré, je suis convaincu que Vitruve a voulu qu'on plaçât sous les cordes un corps vide, arrondi, semblable à celui d'une mandoline, d'une guitare, et que ce passage doit être traduit comme je l'ai fait : « De même que les anciens faisaient leurs instruments avec des lames de cuivre ou de corne, en forme de vases, pour rendre les cordes plus sonores. Les anciens architectes regardaient les théâtres comme un grand instrument qui devait favoriser la pureté, le développement de la voix ; les mots laminis aeneis et corneis indiquent la matière dont l'instrument était fait.»
Quant à ceux qui ont cru que le mot organa désignait un instrument à vent, rien assurément ne prouve leur assertion.

43. - Harmonia autem est musica litteratura obscura et difficiles. L'expression harmonia que Vitruve emploie au commencement de ce chapitre, indique qu'il traitera de la musique harmonique, qui est différente de la rythmique, de la métrique, de l'organique, de la poétique et de l'hypocritique, qui contiennent les préceptes de la danse, de la récitation, du jeu des instruments, des vers et des gestes des pantomimes, de même que l'harmonique contient les préceptes du chant. Les six choses que nous venons de citer étaient le sujet de six espèces de musique, selon la division de Porphyre sur l'harmonie de Ptolémée.

44. - Ex Aristoxeni scripturis. De tous ceux qui ont écrit sur la musique, Aristoxène est le plus ancien. Il ne reste de lui que des Éléments harmoniques, en trois livres, publiés par Meibomius, à Amsterdam, en 1652, et un Fragment sur le rythme, trouvé à Venise par Morelli, en 1785. Ses sectateurs étaient opposés à ceux de Pythagore sur la mesure des intervalles, et sur la manière de déterminer les rapports des sons. Les aristoxéniens s'en rapportaient uniquement au jugement de l'oreille, et les pythagoriciens à la précision du calcul.

45. - Et ejus diagramma. La science musicale, dit de Bioul, consiste principalement dans la comparaison des sons du grave à l'aigu; de sorte que, comme le nombre des sons est infini, on peut dire dans le même sens que cette science est infinie dans son objet. On ne connaît point de bornes précises à l'étendue des sons du grave à l'aigu, et quelque petit que puisse être l'intervalle qui existe entre deux sous, on le concevra toujours divisible par un troisième son; mais la nature et l'art ont limité cette infinité dans la pratique de la musique. On trouve bientôt dans les instruments les bornes des sons praticables, tant au grave qu'à l'aigu.
Allongez ou raccourcissez jusqu'à un certain point une corde sonore, elle n'aura plus de son. On ne peut pas non plus augmenter ou diminuer à volonté la capacité d'une flûte où d'un tuyau d'orgue, ni sa longueur ; il y e des bornes, passé lesquelles ni l'un ni l'autre ne résonnent plus. L'inspiration a aussi sa mesure et ses lois trop faible, elle ne rend point de son, trop forte, elle ne produit qu'un cri perçant qu'il est impossible d'apprécier. Bref, il est constaté par mille expériences, que tous les sons possibles sont renfermés dans une certaine latitude, hors de laquelle, ou trop graves, ou trop aigus, ils deviennent inappréciables à l'oreille.
D'un autre côté, on voit par la génération harmonique des sons qu'il n'y en a, dans leur infinité possible, qu'un très petit nombre qui puissent être admis dans la musique, puisque tous ceux qui ne forment point des consonances avec les sons fondamentaux, ou qui ne naissent pas médiatement ou immédiatement des différences de ces consonances, doivent être proscrits du système.
Or, on appelle système la somme de tous les sons qui peuvent être employés dans la musique On appelait encore système, une méthode de calcul qui en déterminait les rapports. C'est dans ce dernier sens que les anciens distinguaient le système pythagoricien et le système aristoxénien. Il ne sera ici question que du second, qui est le seul dont parle Vitruve. Les pythagoriciens fixaient tous les intervalles, tant consonants que dissonants, par le calcul des rapports; les aristoxéniens s'en tenaient au jugement de l'oreille. Leur dispute, comme le fait observer J.-J. Rousseau, n'était dans le fond qu'une dispute de mots, puisque, avec des termes différents, ils rendaient les mêmes idées.
Les anciens avaient formé des tables ou modèles, qui présentaient à l'oeil l'étendue générale de tous les sons d'un système; ils nommaient ces tables diagrammes : c'est ce que nous appelons aujourd'hui échelle, gamme, clavier.
Celle qui représentait le système d'Aristoxène est perdue avec toutes les autres figures de Vitruve; elle ne se trouve pas non plus dans les éléments de la musique harmonique d'Aristoxène.

Chaque commentateur a cherché à remplacer cette table par une autre composée sur son système. Je donne ici celle de Galiani, comme étant la plus simple, la plus facile à saisir (fig. 82, p.537).Pour bien comprendre cette table, il faut savoir que par son, sonitus,
fyñggow, on entend la position d'un son, ou pour parler comme les modernes, la position d'une note. Les anciens Grecs avaient donné aux différents sons, ou plutôt aux différentes cordes de leurs lyres, comme on le verra tout à l'heure, les noms suivants; j'y joins leur signification française

Proslambaeomeaos
, ajoutée;
Hypate
, supérieure ;

Parhypate
, près de la supérieure; 
Lichaaos
, éloignée;
Mede
, moyenne.
Paramese
, près de la moyenne;
Trite
, troisième;
Paranete
, près de la dernière;
Nete
, la dernière.
La musique moderne a abandonné tous ces noms. Elle y a suppléé, d'abord par les premières lettres de l'alphabet, et ensuite par les notes dont nous nous servons aujourd'hui. Ainsi on appelle
La 1e A mi la ou simplement la;
La 2e B fa si ou simplement si;
La 3e C sol do, ou simplement do;
La 4e D la ré, ou simplement re;
La 5e E si mi, ou simplement mi;
La 6e F do fa, ou simplement fa ;
La 7e G ré sol, ou simplement sol.
Ensuite on commence d'autres octaves en haut ou en bas avec les même notes.

46. - Vox enim duobus modis moretur. Ce passage mérite d' être remarqué dans Aristoxène :

« Il y a deux espèces de mouvements, l'un continu, l'autre à intervalles séparés. Dans le mouvement continu, la voix semble à l'oreille parcourir un espace où elle ne s'arrête nulle part, dont les extrémités sont insensibles à l'ouïe, où elle se meut sans interruption jusqu'à ce qu'elle s'arrête; dans l'autre espèce de mouvement que nous appelons par intervalles séparés, elle semble se mouvoir d'une manière différente; en passant d'un lieu dans un autre, elle s'arrête à un terme, puis à un autre terme, et recommence continuellement. »
Tous les musiciens distinguent ces deux mouvements de la voix, l'un continu et égal, l'autre par intervalles séparés. Le mouvement continu et égal de la voix a lieu quand on parle simplement, sans chanter; on l'appelle ainsi, parce que la voix ne passe pas à différents tons, et ne forme aucune cadence : quand on chante, au contraire, elle passe par différents tons.

47. - Intervalla autemr media patentia. La voix présente donc deux propriétés opposées ; lorsqu'elle récite simplement, et lorsqu'elle chante. Dans le récit, la voix a un ton moyen qui est intelligible, et si quelquefois, dans ses inflexions, elle s'élève ou s'abaisse quelque peu, on ne peut pas connaître distinctement de quelle grandeur est l'intervalle par lequel elle s'éloigne de ce ton moyen; mais quand on chante, il n'y a, au contraire, que les tons des intervalles qui ne s'entendent point : par exemple, lorsque la voix chante do mi, on n'entend pas le ré qui est entre le do et le mi.

48. - Uti sermone quum dicimus sol, lux, flos, nox. Perrault pense que Vitruve aurait mieux expliqué ce qu'il veut dire par l'exemple qu'il apporte des monosyllabes, s'il avait dit que dans la simple récitation d'une longue suite de paroles, il n'y a point de terminaisons différentes en tons, pas plis que dans les monosyllabes, quand on les chante, parce que dans le chant chaque monosyllabe n'a qu'un ton.

49. - Namque quum flectitur immutatione vox. La voix est un organe flexible qui peut se plier aux diverses intonations de la musique, On peut considérer la voix selon différentes qualités. Une voix forte est celle dont les sons sont forts et bruyants; une grande voix est celle qui a beaucoup d'étendue; une belle voix est celle dont les sons sont nets, justes et harmonieux.
On distingue génériquement les voix en deux classes : voix aiguës, et voix graves; et l'on a trouvé que la différence générale des unes et des autres était à peu près d'une octave; ce qui fait que les voix aiguës chantent réellement à l'octave des voix graves, quand elles paraissent chanter à l'unisson. C'est de cette différence, c'est-à-dire des sept degrés successifs par lesquels la voix naturelle monte au son aigu, ou descend au son grave, que Vitruve va s'occuper dans ce chapitre.

50. - Generis vero modulationum sunt tria. La science de la musique est divisée par Aristoxène en sept parties :
1. Les sons.
2. Les intervalles.
3. Les genres.
4. Les systèmes ou accords.
5. Les tons on modes.
6. Les muances ou changements.
7. La mélopée.
Les anciens n'avaient que treize sons différents dans l'étendue de deux octaves

si,    si
X,    do,    do #,    ré,    mi,    mi X,    fa,    fa #,   sol,    la,    la X,    si b

 1/4    1/4    1/2      1/2      1      1/4     1/4     1/2     1/2     1      1/4     1/4
En tout cinq tons et demi

.
Ainsi, les sons appelés si
X, mi X, la X n'étaient éloignés du si et du do, du rni et du a, du la et du si b, que d'un quart de ton, origine de leur genre enharmonique. Ce quart de ton, trop difficile à sentir dans les accords, et sensible seulement dans quelques instruments, en jouant lentement, est inusité dans notre musique.La signification que les anciens donnaient au mot dièse, était un quart de ton : les modernes l'ont désigné par une simple croix X; et ce que nous appelons aujourd'hui dièse, étant le double de celui des anciens, est marqué par une double croix.
Ces treize intonations donnaient naissance aux trois genres, le ton au diatonique, le demi-ton au chromatique, et le quart de ton à l'enharmonique.
Quelques-uns de ces sons étaient communs aux trois genres, et quelques autres étaient particuliers à chacun des genres et les caractérisaient.
Le si, le do, le mi, le fa, le la b et le ré se rencontraient dans tous les genres; le si
X, le mi X et le la X n'entraient que dans l'enharmonique; le do # et le fa # n'appartenaient qu'au chromatique; le sol ne se trouvait que dans le diatonique. Par conséquent, ce dernier genre ne comportait que huit sons différents, le chromatique neuf, et l'enharmonique dix.
Par genre, les anciens entendaient la division et la disposition du tétracorde considéré dans les intervalles des quatre sons qui les composent.
La bonne constitution de l'accord du tétracorde, c'est-à-dire l'établissement d'un genre régulier, dépendait des trois règles suivantes tirées d'Aristoxène et rapportées par Vitruve.
La première était que les deux cordes extrêmes du tétracorde devaient toujours rester immobiles, afin que leur intervalle feu toujours celui d'une quarte juste ou du diatessaron. Quant aux deux cordes moyennes, elles variaient à la vérité; mais l'intervalle de la lichanos à la mese ne devait jamais passer deux tons, ni diminuer au delà d'un ton; de sorte qu'on avait précisément l'espace d'un ton pour varier l'accord de la lichanos, et c'est la seconde règle. La troisième était que l'intervalle de la parhypate, ou seconde corde, à l'hypate, n'excédât jamais celui de la même parhypate à la lichanos.
Pour faciliter l'intelligence du diagramme, Galiani a cru devoir employer les signes ou caractères dont on se sert aujourd'hui pour marquer les sons ou cordes, tels qu'ils étaient divisés et disposés dans les trois genres des anciens.
Les notes blanches indiquent, dans tous les genres, les sons immobiles qui commencent et qui finissent les tétracordes; les noires marquent les sons mobiles, toujours placés an milieu de chaque tétracorde, et variant selon les différents genres.

 

51. - Primum quod Graeci nominant ŒrmonÛan, secundum xrÇma, tertium dÛatonon. La différence des trois genres, dit Perrault, consiste dans la différente tension des deux cordes du milieu des tétracordes. Le genre oit elles sont le plus tendues s'appelle diatonique, soit à cause de cette tension même, soit parce qu'il y a deux cordes dont les intervalles sont d'un ton. Le genre où les cordes du milieu sont le moins tendues, s'appelle enharmonique, c'est-à-dire tempéré; celui on elles sont plus tendues que dans l'enharmonique, et moins que dans le diatonique, s'appelle chromatique, c'est-à-dire coloré, parce que, comme dit Martianus Capella, le chromatique est moyen entre les deux excès de tension et de relâchement des cordes médianes de l'enharmonique et du diatonique, comme la couleur est quelque chose de moyen entre le noir et le blanc, qu'on ne met pas au nombre des couleurs quand on les compare au rouge, au vert, etc. Suétone dit que Néron avait la voix brune, fuscam; Dion et Aristote ont employé la même métaphore en appelant m¡lainan une voix qui n'est nos claire.

 52. - Est autem harmoniae modulatio. Cette définition ne se trouve point, dans Aristoxène, qui dit seulement que le genre enharmonique charmait tellement les anciens, qu'ils négligeaient les autres au point de les ignorer presque. Cependant Proclus, sur le Timée, dit que Platon avait composé le diagramme diatonique; et Aristoxène même avoue que le diatonique est le premier et le plus ancien, et que l'enharmonique est si bizarre que l'oreille a bien de la peine à s'y accoutumer.

53. - Chroma subtili solertia ac crebritate modulorum suaviorem habet delectationem. Perrault pense que par crebritas modulorum Vitruve entend ce que les anciens musiciens grecs appelaient puknñn, c'est-à-dire serré. C'était ce qui lait la différence des genres, dont les uns ont les intervalles plus serrés que les autres car Aristoxène dit que le puknñn est, dans le tétracorde, la composition de deux intervalles, qui, joints ensemble, sont moindres que le troisième intervalle. Ainsi, dans l'enharmonique, les deux premiers intervalles ne font ensemble qu'un demi-ton et le troisième fait deux tons; dans le chromatique, les deux premiers intervalles font ensemble un ton, et le troisième un ton et demi. Mais le diatonique n'a point de puknñn, parce que ses deux petits intervalles joints ensemble sont plus grands que le troisième : car ils font un ton et demi, et le troisième ne fait qu'un ton. Par cette raison, le diatonique était plus aisé à chanter que les autres genres, qui ne pouvaient être attaqués que par d'excellents musiciens. Faute d'avoir fait cette réflexion, Turnèbe n'a pu expliquer en quoi consiste la finesse d'un mot que Suétone rapporte de Néron, qui, dînant dans l'orchestre en présence du peuple, dit en grec que s'il buvait bien dans ce lieu-là, il n'en chanterait que mieux sur le théâtre : car il y a dans le grec une allusion entre les mots êpopÛnein, qui signifie boire un peu plus que de coutume, et êpñpuknon ¦xein, qui veut dire chanter le genre chromatique, ou l'enharmonique, dans lesquels le pycnon est employé, c'est-à-dire chanter en maître.

54. - Diatoni vero, quod naturalis est. Le diatonique, qui ne procède que par des tons et des demi-tons, est plus naturel et moins contraint que les autres genres : car les deux demi-tons qui sont de suite dans le chromatique, sont contre l'ordre naturel de chanter, et la grande disproportion des intervalles de l'enharmonique le rend fort contraint, cette disproportion étant telle, que le dièse, qui est le plus petit de ces intervalles, n'est que la huitième partie du ditonum ou tierce majeure, qui est le plus grand.

55. - In his tribus generibus. La voix modifie les sons qu'elle rend, elle les élève vers l'aigu ou les fait descendre au grave. La distance d'un son à un autre s'appelle intervalle. L'intervalle principal, celui qui règle tous les autres, s'appelle ton. Les tons mineurs sont le demi-ton et le dièse, qui est le quart de ton. Les tons majeurs sont le trihémiton, c'est-à-dire un ton et demi; le diton, c'est-à-dire deux tons, etc. D'après l'établissement de ce principe, on a vu tout à l'heure que tous les tétracordes, dans chacun des trois genres de chant, contenaient toujours un intervalle de deux tons et demi, ou, si l'on veut, qu'ils étaient composés d'un demi-ton et de deux tons, comme dans le diatonique, ou de deux demi-tons et d'un trihémiton, ou tierce mineure, comme dans le chromatique, ou enfin de deux dièses et d'un diton ou tierce majeure, comme dans l'enharmonique. C'est donc dans la disposition des demi-tons des tétracordes qu'existe la variété dont il est ici parlé.
Voici la traduction des noms donnés aux cordes par les Grecs. Ils sont distingués par des chiffres de deux espèces. Les chiffres arabes désignent les dix-huit sons selon l'ordre qu'Euclide et Aristoxène leur ont donné; les chiffres romains montrent les quinze sons, suivant la disposition qu'ils doivent avoir dans le chant qui ne s'étend qu'à deux octaves.

I. 1 Proslambanñmenow, celle qui est ajoutée.
II 2
„Up‹th †Upaton, la supérieure du tétracorde supérieur.
III 3
Parup‹th †Upaton, la plus proche de la supérieure du tétracorde supérieur.
IV 4
LÛ xanow †Upaton, la plus éloignée de la supérieure du tétracorde supérieur.
V 5
„Up‹th M¡son, la supérieure du tétracorde moyen.
VI 6
Parup‹th M¡son, la plus proche de la supérieure du tétracorde moyen.
VII 7
LÛxanow M¡son, la plus éloignée de la supérieure du tétracorde moyen.
VIII 8
M¡sh, le moyenne.
IX 9
TrÛth Sunnhm¡non, la troisième du tétracorde conjoint.
X 10
Paran®th Sunnhm¡non, la plus proche de la dernière du tétracorde conjoint.
XI 11
N®th Sunnhm¡non, la dernière du tétracorde conjoint.
12
Paam¡sh, la plus proche de la moyenne.
13
TrÛth Diezeugm¡non, la troisième du tétracorde disjoint.
14
Paran®th Diezeugm¡non, la plus proche de la dernière du tétracorde disjoint.
XII 15
N®th Diezeugm¡non, la dernière du tétracorde disjoint.
XIII 16
TrÛth „UperbolaÝon, la troisième de l'extrême tétracorde.
XIV 17
Paran®th „UperbolaÝon, la plus proche de la dernière de l'extrême tétracorde.
XV 18
N®th „UperbolaÝon, la dernière de l'extrême tétracorde.
Ce tableau fait voir que la paranete-synemmenon et la nete-synemmenon ne sont que des noms inutiles, et que ces cordes ne sont point différentes de la trite-diezeugmenon et de la paranete-diezeugmenon (Voyez la note 59, p. 442) ; il fait voir encore combien notre système est meilleur que celui des anciens, qui, dans ses deux octaves, n'a que seize sons, au lieu que le nôtre en a vingt-cinq, c'est-à-dire neuf que les anciens n'avaient pas, savoir un entre la proslambanomenos et l'hypate-hypaton, un autre entre la parhypate-hypaton et la lichanos-moson, et ainsi un demi-ton entre toutes les cordes, qui, selon les anciens, étaient distantes de l'intervalle d'un ton.

56. - Dieses habet binas. Aristoxène divisait le ton en deux parties égales, en trois ou en quatre; de cette dernière division résultait le dièse enharmonique mineur ou quart de ton, qui est celui dont parle ici Vitruve ; de la seconde, le dièse mineur chromatique, ou le tiers d'un ton, et de la première le dièse majeur qui faisait juste un demi-ton.
Le dièse, chez les modernes, n'est pas proprement, comme chez les anciens, un intervalle de musique, mais un signe de cet intervalle qui marque qu'il faut élever le son de la note devant laquelle il se trouve, au-dessus de celui qu'elle devrait avoir naturellement, sans cependant la faire changer de degré ni de nom.

57. - Diesis autem. Dièse vient du mot grec diÛhmi, qui signifie laisser passer, diviser. Aussi les dièses sont-ils les parties les plus petites du ton. Aristote les appelle les éléments de la voix, c'est-à-dire des tons. Cependant les pythagoriciens, inventeurs, dit-on, du mot dièse, ne le faisaient pas si petit. Ils partageaient le ton en deux parties inégales : la plus petite, que nous appelons demi-ton mineur, s'appelait dièse; et la plus grande, qui est notre demi-ton majeur, était appelée Žpotom®. Les tons ayant été depuis divisés en des parties plus petites, en trois, et même en quatre, ces parties furent appelées dièses.

58. - Chromati duo hemitonia in ordine suas incomposita. Meibomius a corrigé cet endroit, ou on lisait composita. L'intervalle incomposite, dit Žsænyeton par les musiciens grecs, est celui qui dans un genre, se trouve entier, et n'a pas besoin de s'étendre, ni d'emprunter des autres intervalles ce qui lui manque; le composite, au contraire, sænyeton, n'est point entier, s'il ne s'étend dans l'intervalle voisin. Par exemple, dit Perrault, dans le diatonique, le trihemitonium ou tierce mineure est composite, parce qu'il faut, pour le faire, que le ton qui est le plus grand intervalle qu'il ait, prenne dans le ton voisin le demi-ton qui lui manque. Mais dans le chromatique, le trihemitonium qui est incomposite, parce qu'il s'y rencontre naturellement, comme le ditonum ou tierce majeure, se trouve naturellement dans l'enharmonique. 

59. - In unoquoque genere sunt decem et octo. Quoique Vitruve dise qu'il y a dix-huit sons dans chacun des trois genres, ce n'est que dans le seul genre enharmonique qu'on trouve réellement dix-huit sons différents. Car, dans le genre chromatique, on n'en trouve que dix-sept, puisque le son de la paramese du tétracorde diezeugmenon est le même que celui de la paramese du tétracorde synemmenon. Dans le genre diatonique, il y a seulement seize sons, parce que celui de la trite et de la paramese du tétracorde diezeugmenon sont les mêmes que ceux de la paranete et de la nete du tétracorde synemmenon. Vitruve n'en a pas moins raison pour cela : car bien que répétés dans le même genre, ces sons doivent toujours faire nombre, puisque dans chaque tétracorde où ils se trouvent, ils ont des rapports différents avec les sons qui les composent.
Remarquons que les sons, au nombre de dix-huit dans chaque tétracorde, n'avaient que neufs noms différents ; et cela parce que les sons du deuxième tétracorde avaient les mêmes noms que ceux du premier, et que ceux des trois derniers avaient entre eux les mêmes noms; si bien que, pour les distinguer, on ajoutait au nom de chaque sou celui de leur tétracorde.
Observons, enfin, que les huit sons immobiles ont dans les trois genres un nom et une valeur communs, et les dix mobiles, des noms communs aussi, mais avec une valeur différente ; la tierce de l'hypate-hypaton, par exemple, s'appelle, dans les trois genres, lichanos-hypatou; cependant sa valeur diffère dans chacun, puisque la lichanos du chromatique est d'un demi-ton plus haute que celle de l'enharmonique, et la lichanos du diatonique d'un demi-ton encore plus haute que celle du chromatique. Il résultait de là, que quelques tons qui se trouvaient dans un genre, ne se trouvaient pas dans un autre, et que réunissant ensemble tous ces tons dont les anciens se servaient dans les trois genres, au lieu de dix-huit, ils en avaient vingt-cinq différents les uns des autres.
Les pythagoriciens composaient la lyre de sept cordes, et la comparaient au système du monde dans lequel ils trouvaient deux tétracordes, l'un supérieur et l'autre inférieur, auxquels le soleil était commun. Ils comptaient ainsi les tons qui formaient ces tétracordes composés chacun de trois intervalles :La Lune était l'hypate, Mercure la parhypate, Vénus la lichanos, le Soleil, la mese, Mars la trite, Jupiter la paranete, Saturne la nete.

60. - E quibus octo sunt in tribus generibus perpetui et stantes. Les tétracordes n'étant qu'au nombre de cinq, il semble qu'il ne devrait y avoir que six cordes immobiles; cependant il s'en trouve huit, comme le dit Vitruve, et comme il est facile de le voir (fig. 82, p. 537), parce que le tétracorde diezeugmenon commence non par la dernière corde du tétracorde qui précède, comme les autres tétracordes, mais par une corde particulière nommée paramese, qui forme la septième corde immobile. La huitième est la proslambanomenos, la première de toutes, et la surnuméraire ou ajoutée, comme le signifie son nom, laquelle n'entre dans aucun des tétracordes. Dans la fig. 82 (p. 537), les noms des notes immobiles sont écrits en lettres majuscules.

61.- Proslambanomenos. Ce mot grec signifie une chose prise pour être ajoutée à d'autres; et, en effet, cette corde n'entre dans la composition d'aucun tétracorde, n'étant mise que pour faire l'octave avec la mese, et la double octave avec la nete-hyperbolaeon.

62. - Tetrachorda autem sunt quinque. Les anciens divisaient l'échelle qui contenait tous les sons dont ils se servaient en plusieurs tétracordes composés chacun de quatre sons ou cordes, qui formaient l'accord de leur lyre. Chacune des cordes ne rendait qu'un son; ainsi le terme de corde ou de son, en parlant de la Musique des anciens, signifie la même chose.
Le premier tétracorde, le plus grave de tous, celui qui se trouvait placé un ton au-dessus de la corde proslambanomenos s'appelait le tétracorde hypaton, ou des principales (qui sont à la tête; qui commencent). Le second, en montant, lequel était toujours conjoint au premier, s'appelait le tétracorde meson, ou des moyennes. Le troisième, conjoint au second, s'appelait le tétracorde synemmenon, ou des conjoints. Le quatrième prenait le nom de tétracorde diezeugmenon, ou des divisées, parce que les trois précédents étant d'une même espèce, étaient tous trois joints ensemble; enfin le cinquième s'appelait tétracorde hyperbolæon, ou des excellentes (qui sont extrêmes, supérieures).

63. - Concentus, quos natura hominis modulari potest, Græceque sumfvnÛai dicuntur, sunt sex. Les sons combinés les uns avec les autres formaient ensuite ce que les anciens appelaient systèmes, ce que nous appelons accords. Ils étaient ou consonants ou dissonants. L'ancienne musique n'admettait que six consonances :

1. Le diatessaron que nous nommons quarte.
2. Le diapente que nous nommons quinte.
3. Le diapason que nous nommons octave.
4. Le diapason avec le diatessaron que nous nommons quarte redoublée.
5. Le diapason avec le diapeate que nous nommons quinte redoublée.
6. Le disdiapason que nous nommons double octave.

Tous les autres accords étaient regardés comme dissonants, même les tierces et les sixtes, c'est-à-dire comme des intervalles propres à être employés pour former des chants, mais non pour être entendus ensemble, comme les consonances dont les anciens se servaient pour accorder leurs instruments; mais ils n'attachaient pas au mot dissonant l'idée que nous en avons aujourd'hui, puisque la tierce majeure et la tierce mineure entraient dans la constitution du genre enharmonique et du genre chromatique, dont les anciens faisaient le plus grand cas.
Si l'on examine bien ces consonances, on verra qu'il n'en existe que trois : la quarte, la quinte et l'octave, parce que les trois autres sont du même genre et ont, comme leurs noms le démontrent, les mêmes valeurs que les premières, dont elles ne diffèrent que par leurs sons qui forment une octave plus aiguë.
La musique moderne a adopté des sons très-aigus, ce qui a rendu notre échelle beaucoup plus étendue que celle des anciens, puisqu'en lui donnant plus de deux octaves ou lui a donné nécessairement plus de six consonances; mais l'échelle des anciens n'ayant que deux octaves, Vitruve a raison de dire qu'il n'y avait que six consonances.
Nous avons vu que Pythagore ne consultait point l'oreille pour l'établissement des consonances; il s'en tenait à ce que la doctrine des proportions lui apprenait, par rapport à la vitesse plus ou moins grande des vibrations. Ainsi, comme dans l'octave le nombre des vibrations de la corde la plus aiguë était précisément le double de celle de la plus grave, il en concluait que cette consonance était en raison double, ou de 2 à 1 ; et en suivant toujours le même principe, que la quinte était en raison sesquialtère, ou de 3 à 2; la quarte, en raison sesquitierce, ou de 4 à 3; et le ton en raison sesquioctave, ou de 9 à 8.
La raison sesquialtère, en grec ²miñliow, est celle de 3 à 2 ; elle est ainsi appelée, parce que le. plus grand nombre contient le moindre une fois, plus une moitié de ce moindre nombre; 9 est à 6 eu raison sesquialtère, parce que 9 contient 6 une fois, plus 3 qui est la moitié de 6.
La raison sesquitierce, en grec ¤pÛtritow;, est celle de 4 à 3 ; elle est ainsi nommée parce que le plus grand nombre contient le moindre une fois, plus un tiers de ce moindre nombre; 8 est à 6 en raison sesquitierce, parce que 8 contient 6 une fois, plus 2, qui est le tiers de 6.
„Hmiñliow
désigne une quantité composée d'une autre, et de la moitié, ²mi, de ce second total, ÷lou.
ƒEpÛtritow
marque, à la lettre, une grandeur qui en contient une autre, et par dessus, ¤pi, le tiers, trÛton, de cette autre. Voyez CENSORIN, ch. X et XII.

64. - Graece fyñggoi dicuntur. Les divers genres de rythmes, chez les Grecs, étaient indiqués sur le papier par les caractères alpha et bêta, qui répondaient à nos chiffres 1 et 2. L'alpha marquait une brève, parce qu'il n'a qu'un seul temps, et le bêta une longue, parce qu'il a deux temps cette marque s'appelait canon, c'est-à-dire règle, modèle. Ainsi, ces deux lettres, en réglant la quantité de chaque syllabe, réglaient en même temps la mesure ou la durée de chacun des sons qui répondaient à ces syllabes. Ces sons avaient pareillement leurs notes ou caractères dont l'arrangement formait une espèce de tablature différente de la nôtre : car les notes des anciens, rangées toutes sur une même ligne, n'exprimaient que la nature ou la qualité des sons. Ces notes étaient les vingt-quatre lettres de l'alphabet grec, entières ou mutilées, simples, doublées ou allongées, et tournées tantôt à droite, tantôt à gauche, couchées horizontalement, placées les pointes ou branches en haut, barrées ou accentuées, sans compter l'accent grave et l'accent aigu, qui figuraient aussi parmi ces notes. Meibomius, dans ses Commentaires sur Alypius, donne tous les détails de ces caractères, qui montent à 1620. il n'est pas étonnant que cet art, quoique fort simple alors en lui-même, fût devenu fort compliqué par le nombre considérable de notes, et que, par conséquent, il fallût trois ans aux jeunes gens pour l'apprendre, ainsi que nous l'assure, dans son VIIe livre des Lois, Platon, qui ne trouve pas que ce temps fût plus long qu'il ne fallait.
Le premier Romain qui ait écrit sur la musique est Vitruve; encore n'y a-t-il consacré que ce chapitre, dans lequel il explique assez obscurément le système d'Aristoxène ; et la musique était alors si peu de chose, qu'il fut obligé d'adopter presque tous les ternies de la langue grecque. Les Romains conservèrent la musique telle qu'ils l'avaient trouvée, et ne la regardèrent jamais que comme un art agréable. On ignore s'ils eurent des compositeurs fameux ; mais leurs noms ni leurs ouvrages ne sont venus jusqu'à nous.
Il ne nous resterait absolument rien qui pût nous donner une idée de la musique des anciens, sans les recherches savantes et heureuses de M. Burette, dont sont enrichis les Mémoires de l'Académie. C'est à lui qu'on doit les quatre seuls morceaux connus où la musique grecque s'est trouvée notée avec les paroles Il est aisé de remarquer dans le chant de ces morceaux que, par l'arrangement des sons, le musicien a voulu faire sentir quelque-fois l'expression des paroles.

65. - Constitutis cellis. Dans la description du théâtre de Sagonte par Cunyngham, on remarque, au haut de la principale précinction, des cavités creusées dans les pierres mêmes, larges de 49 centimètres, accouplées à une distance de 65 centimètres l'une de l'autre, alternant avec les vomitoires. Leur destination n'a pu être différente de celle des niches dans lesquelles on plaçait les vases d'airain. Mais il n'y a que neuf de ces niches au lieu de treize que Vitruve recommande de faire. Elles sont, contre le précepte de Vitruve, à des distances inégales. Les neuf vases qu'elles contenaient, inégalement distancés, pouvaient-ils produire le même effet que celui des treize de Vitruve placés à des intervalles inégaux? C'est une question que Cunyngham soumet aux savants. L'antiquité ne nous offre que ce seul exemple de niches pratiqué dans les théâtres pour recevoir les vases d'airain.

66. - Ponanturque inversa. Cette expression inversa ne doit point être prise à la lettre. La fig. 83 représente un de ces vases, dont l'ouverture aoc est tournée vers la scène, avec une inclinaison telle, que si du centre du vase d vous faites passer une ligne imaginaire parle milieu o de l'ouverture, cette ligne devra se prolonger jusqu'au milieu de la scène. Dans les grands théâtres, l'inclinaison des vases devra doue être plus ou moins grande, selon qu'ils auront été placés ou dans les niches d'en haut, ou dans celles du milieu, on dans celles d'en bas. Ces vases portent sur les coins en placés sous la partie la plus rapprochée de la scène. Or, ces coins ne doivent pas avoir moins d'un demi-pied de hauteur, selon Vitruve; qui n'a sans doute pas jugé à propos de parler de l'autre coin r, dont la hauteur devait varier suivant le plan que les vases occupaient sous les gradins.

 

67. - Uti ea echea. Lorsque les Grecs eurent bâti des théâtres solides et d'une vaste étendue, ils s'aperçurent que la voix de leurs acteurs ne pouvait plus s'étendre jusqu'aux extrémités. Ils résolurent d'y suppléer par quelque moyen qui peut en augmenter la force et la clarté. Pour cela, ils s'avisèrent de placer, dans des niches pratiquées sous les degrés du théâtre ;des vases d'airain de tous les tons de la voix humaine, et même de toute l'étendue des sons de leurs instruments; afin que tous les sons qui partaient de la scène allassent ébranler quelqu'un de ces vases, suivant le rapport qui était entre eux, et profiter de leur consonance pour frapper l'oreille d'une manière plus forte et plus distincte.
Pompée fut le premier qui bâtit, à Rome, un magnifique théâtre de pierre et de marbre; à l'imitation de celui de Mitylène, dont il rapporta le plan. Nous voyons dans ce chapitre que c'était le seul qui existât du temps de Vitruve. Marcellus en construisit un autre dans la neuvième région de Rome, et ce fut Auguste qui le consacra.
Les théâtres de pierre se multiplièrent bientôt; on en comptait jusqu'à quatre dans le seul camp de Flaminius: Trajan en éleva un des plus beaux, qu'Adrien fit ruiner. Ces théâtres de pierre n'étaient pas favorables à la voix comme ceux qui, faits de bois, et entièrement revêtus de planches, formaient une sorte de caisse immense qui produisait en grand un effet semblable à celui que produit la caisse d'un violon.
Pour obvier à cet inconvénient, ils eurent recours au moyen ingénieux des Grecs, dont noirs trouvons ici tous les détails. Vitruve ne nous dit rien de la forme des vases; mais domine il ajoute qu'ils étaient renversés, et soutenus du côté de la scène par des coins d'un demi-pied de haut, il est très probable qu'ils avaient à peu près la forme d'une cloche ou d'un timbre de pendule, comme étant la plus propre à la répercussion des sons.
La seule destination de ces vases était d'augmenter le son de la voix, en la faisant retentir, sans qu'on les frappât avec des marteaux, comme l'ont cru Cesariano et le Père Kirker.
À la tête de quelques éditions des comédies de Térence se trouve un petit traité dans lequel le commentateur, inconnu, parle des vases d'airain dont il est ici question. Il leur donne la même destination que Vitruve, puis il ajoute : J'apprends qu'il existe encore aujourd'hui quelque chose de semblable dans les quelques temples antiques qui se sont conservés entiers jusqu'à notre époque. À la partie inférieure de la voûte et à la partie supérieure, on voit des trous distribués des deux côtés, et correspondant diamétralement entre eux. Dans ces trous sont emboîtés des vases d'airain, dont l'ouverture plus petite que le ventre est placée à l'extérieur, sans avoir de saillie. La voix de ceux qui chantent dans le temple, venant à se répercuter dans ces vases. devient des plis distinctes et des plus harmonieuses.
Il n'y a rien dans ces paroles qui ne soit très conforme à la raison.

68. - Quarta diatessaron ad neten synemmenon. Les vases qui rendaient les sons les plus aigus se plaçaient vers les coins du théâtre, et ceux qui rendaient les sons graves se mettaient au milieu. C'est au milieu que la répercussion de la voix se fait le plus fortement sentir, parce que les sons s'y ramassent. Aussi convenait-il de donner cette situation avantageuse aux vases qui sonnaient les sons graves, dont la portée, du reste, n'est pas aussi longue que celle des sons aigus.
Le Père Kirker et Perrault, d'après Meibomius, substituent le mot diapente à celui de diatessaron, et traduisent comme si l'auteur avait voulu dire que la nete-synemmenon s'accordait à la quinte avec la nete-hyperbolaeon. Ils prétendent tous trois que la même erreur s'est encore glissée deux autres fois dans les cas absolument semblables où Vitruve parle des rangs de vases destinés aux sons chromatiques et diatoniques qu'on plaçait dans les grands théâtres, et veulent qu'on les corrige de même.
Cependant, dit de Bioul, cette même expression constamment répétée dans les mêmes circonstances, aurait dû les persuader du contraire. Ce n'est pas qu'ils aient tort de dire que la nete-synem­menon s'accorde à la quinte avec la nete-hyperbolaeon ; mais l'auteur a voulu dire autre chose, comme nous allons le voir.
Considérons les cinq tétracordes dont se servaient les anciens comme divisés en deux parties : l'une contenait les trois premiers, c'est-à-dire l'hypaton, le meson et le synemmenon; l'autre les deux derniers, c'est-à-dire le diezougmenon et l'hyperbolaeon. D'après cela, l'auteur nomme d'abord les trois sons de nete-hyperbolaeon, nete-diezeugmenon et paramese, en ajoutant qu'ils s'accordent entre eux à la quarte, comme ils le font en effet. Il nomme ensuite les sons des deux tétracordes suivants, comme détachés, comme n'ayant aucun rapport avec ceux dont il vient de parler, si bien que quand il dit que la nete-synemmenon s'accorde à la quarte, il n'entend pas que c'est avec les sons dont il a déjà parlé, mais avec celui qu'il va nommer ensuite, c'est-à-dire avec la mese, qui s'accorde aussi à la quarte avec l'hypate. L'auteur a donc eu raison de dire : diatessaron ad neten synemmenon.
Voici comment les tons du genre enharmonique étaient distribués dans les petits théâtres qui n'avaient qu'un seul rang de vases :

 

69. - Tactuque feriens singulorun vasorum cava. Dans les grands théâtres, on plaçait trois rangs de vases pour les trois rangs. Ceux du rang d'en bas, destinés à rendre les sons du genre enharmonique, étaient distribués de la noème manière que nous avons vu qu'ils l'étaient dans les petits théâtres; ceux du rang du milieu étaient pour les sons du genre chromatique, et ceux du rang d'en-haut pour les sons du genre diatonique.
Vitruve, en parlant des vases qui composent le second rang, néglige de donner les sons, qu'ils devaient rendre; il se contente de nommer les tétracordes d'où ils étaient tirés. Il est aisé cependant de. connaître aussi les sons, parce qu'il en spécifie quelques-uns; et qu'on trouve les autres par les intervalles de quarte, de quinte et d'octave, dont il exprime la distance de ceux qui sont spécifiés. Par exemple, il dit que le vase de la sixième niche de ce rang sonnait la paramese, et qu'il était accordé avec celui qui donnait l'hyperbolaeon dans la première, et à la quarte avec le rneson; or, la quinte de la paramese dans l’hyperbolaeon est la trite, et sa quarte dans le meson est la lichanos. D'après cela, puisque tous les autres sons s'accordaient entre eux, à la quarte, il est aisé de les trouver tous par le moyen de la table. Les premiers vases devaient donc sonner la trite-hyperbolaeon, qui est la quinte de la paramese ; les seconds, la trite-diezetigmenon ; ils formaient entre eux un accord de quarte; les troisièmes sonnaient la paranete-synemmenon; les quatrièmes, la lichanos-meson; les cinquièmes, la lichanos-hypaton : ces trois derniers s'accordaient à la quarte entre eux et avec la lichanos-meson, qui est la quarte de la paramese fixée par l'auteur.
Perrault, Kirker et Meibomius lisent encore diapente, où l'auteur écrit diatesseron ad chromaticen diezeugmenon; aussi leur échelle est-elle différente de celle qui suit.
Disposition des vases du deuxième rang pour le genre chromatique

70. - ln summa vero divisione. En parlant des sons du genre diatonique, employés pour le troisième rang de vases, l'auteur se borne encore à nommer les tétracordes; mais comme il désigne pour la sixième niche la proslambanomenos, et pour celle du milieu la mese, qui fait l'octave de la proslambanomenos, et la quinte avec une des cordes du tétracorde hypatonon comprend aisément que celle-ci ne peut être autre, que la lichanos-hypaton qui forme un accord de quinte avec la mese.
D'après cela, puisque tous les autres sons doivent s'accorder à la quarte avec quelques-uns de ceux-ci, on trouvera facilement, avec le secours de la table, que ces autres sons doivent être ceux de la paranete-hyperbolæon, et de la paran- diazeugmenon qui s'accordent entre elles à la quarte, et avec la même qui est spécifiée; ensuite ceux de la paranete-synemmenon, de la lichanos-meson et de la lichanos-hypaton, qui s'accordent entre elles : aussi à la quarte et avec la lichanos, dont l'auteur fixe lui-même le ton, en l'appelant la quinte de la mese.
On a vu la disposition des rangs qui contiennent les noms des genres enharmoniques et aromatiques; voici celle du genre diatonique :

 71. - lpsius autem theatri conformatio. Les Grecs et les Romains étendaient plus loin que nous le sens du mot théâtre : car nous n'entendons par ce mot que le lieu élevé où l'acteur paraît et où se passe l'action, au lieu que les anciens comprenaient toute l'enceinte du lieu commun aux acteurs et aux spectateurs.
Le théâtre, chez eux, était un lieu vaste et magnifique, accompagné de longs portiques, de galeries couvertes et de belles allées plantées d'arbres où le peuple se promenait eu, attendant les jeux.
Leur théâtre se divisait en trois principales parties, dans lesquelles toutes les autres se trouvaient comprises et qui formaient, pour ainsi dire, trois différents départements : celui des acteurs, qu'ils appelaient eu général la scène; celui des spectateurs, qu'ils appelaient particulièrement le théâtre, et l'orchestre, qui, était chez les Grecs le département des mimes et des danseurs, mais qui servait chez les Romains à placer les sénateurs et les vestales.
L'enceinte des théâtres était toujours entourée de portiques. Ceux qui n'avaient qu'un ou deux étages de degrés, n'avaient que deux rangs de portiques; mais les grands théâtres en avaient toujours trois, élevés les uns sur les autres: de sorte qu'on peut. dire que ces portiques formaient le corps de l'édifice. On entrait non seulement par-dessous leurs arcades, de plain pied, dans l'orchestre, pour monter aux différents étages du théâtre ; mais de plus les degrés où le peuple se plaçait étaient appuyés centre leur mur intérieur, et le plus élevé de ces portiques faisait une des parties destinées aux spectateurs. De là les femmes voyaient le spectacle à l'abri du soleil et des injures de l'air : car le reste du théâtre était découvert; et toutes les représentations se faisaient en plein jour.
Comme il n'y avait que les portiques et le bâtiment de la scène qui fussent couverts, on était obligé de tendre, sur le reste du théâtre, des voiles soutenues par des mâts et des cordages, pour défendre les spectateurs de l'ardeur du soleil. Mais comme ces voiles n'empêchaient pas la chaleur causée par la présence d'un si grand nombre de spectateurs, les anciens avaient soin de la tempérer par une espèce de pluie dont ils faisaient monter l'eau jusqu'au-dessus des portiques, et qui, retombant en forme de rosée par une infinité de tuyaux cachés dans les statues qui régnaient autour du théâtre, servait à y répandre non seulement une fraîcheur agréable, mais encore des parfums exquis Ce fut Catulus qui, le premier, imagina cette commodité. 

72. - Quam magna futura est perimetros imi. On décrivait d'abord du centre, a (fig. 84) un cercle qui marquait le fond du théâtre ou l'orchestre, c'est-à-dire l'espace entouré par les degrés. C'est ainsi, du moins, que les mots perimetros imi ont été entendus par Perrault et Galiani, tandis que Philander, Barbaro et plusieurs autres ont cru que ce cercle devait contenir toute l'étendue du plan du théâtre prise en dehors : aussi, dit de Bioul, n'ont-ils pu parvenir à en tracer la figure, ou s'ils en ont tracé une d'après ce principe, elle est si opposée au reste du texte, qu'il est inutile de prendre la peine de la réfuter.

73. - In eaque quatuor scribantur trigones. On divisait la circonférence de ce cercle en douze parties égales par le moyen de quatre triangles, comme les astronomes ont coutume de tracer les douze signes du zodiaque, suivant le rapport musical qu'il y a entre eux. Nous avons vu au ch. I du 1er livre, que les pythagoriciens prétendaient que les mouvements des corps célestes formaient une harmonie. Pour avoir une idée du rapport qu'ils trouvaient entre la musique et une circonférence divisée en douze parties égales, comme le zodiaque, soit par le moyen de quatre triangles équilatéraux, soit par le moyen de trois carrés employés pour former le théâtre des Grecs, il suffit de connaître ce passage de Ptolémée : « Le soleil, en parcourant le zodiaque, forme trois carrés, parce qu'il y a autant de consonances de quarte. Il forme aussi quatre triangles, parce que c'est le n'ombre des consonances de quinte. »

74.. - Ibi finiatur scenae frons. Le côté oo d'un de ces triangles marquait le fond de la scène, dont le devant bd s'avançait chez les Latins jusqu'au centre du cercle qu'on avait d'abord tracé; le devant de la scène était conséquemment aussi étendu que le diamètre de, ce cercle. La partie que nous appelons aujourd'hui proprement théâtre, c'est-à-dire celle qui est destinée aux acteurs, se divisait en deux, le proscenium A, et le postscenium B. On a souvent cru que Vitruve, par les mots scena et pulpitum, qu'il a quelquefois employés, entendait autre chose que le proscenium; c'est une erreur : ces trois mots sont synonymes; et de Bioul en a été surtout convaincu en voyant les ruines du théâtre d'Herculanum et de Pompéien où il a remarqué toutes les parties dont parle Vitruve, entre autres le proscenium, sans en rencontrer aucune autre à laquelle on pût donner le nom de palpitum ou de scena.

75. - Proscenii pulpitum. Bien que pulpitum ait la même signification que scena et proscenium, il paraîtrait ici que par ce mot on entendait particulièrement l'élévation de la scène, c'est-à-dire la hauteur, depuis le pavé de l'orchestre jusqu'à celui de la scène.

76. - Uti anguli trigonorun. Les angles cc des triangles tracés dans le cercle indiquaient la place des escaliers qui séparaient les amas de degrés sur lesquels les spectateurs étaient assis. Les escaliers hh qui tendaient droit au centre du théâtre, et qui avaient deux marches par chaque degré de siège, donnaient une forme de coin à tout cet amas de degrés qui étaient compris entre les précinctions uu, uu, et les escaliers hh, hh, parce que d'une base large ils allaient en se rétrécissant, ce qui les faisait appeler en latin cunei. Le français n'a point de terme propre pour cette expression latine, parce que nos théâtres ne sont point semblables à ceux des anciens. Cette division des sièges servait à séparer les différents ordres de citoyens. Un de ces coins était occupé par les magistrats, d'où on l'appelait tò bouleutikñn; un autre par les jeunes gens, tò ¤fhbikñn ; un autre par les chevaliers; d'autres enfin par le peuple. C'est de là que sont venues les expressions cuneatus, discuneatus, pour dire que quelqu'un était admis dans sa place au théâtre, ou qu'il en était chassé.
Il faut néanmoins prendre garde que ces distinctions de rangs ne commencèrent pas en même temps : car ce fut, selon Tite-Live, l'an 568, que le sénat commença à être séparé du peuple aux spectacles, et ce ne fut que l'an 685, sous le consulat de L. Metellus et de Q. Martius, que la loi Roscia assigna aux chevaliers les quatorze premiers rangs du théâtre. Ce ne fut même que sous Auguste que les femmes commencèrent à être séparées des hommes, et à voir le spectacle du troisième portique.
Les portes par où le peuple se répandait sur les degrés étaient tellement disposées, relativement aux escaliers, que chacun d'eux répondait par en haut à une de ces portes, et que toutes ces portes se trouvaient par en bas, au milieu des amas de degrés dont ces escaliers faisaient la séparation. Ces portes et ces escaliers étaient au nombre de trente-neuf en tout; et il y en avait alternativement six des uns et sept des autres à chaque étage, savoir, sept portes et six escaliers au premier, sept escaliers et six portes au second, et sept portes et six escaliers au troisième.

77. - Valvas regias habere debet. Le fond de la scène du théâtre des anciens était occupé par une grande façade décorée de colonnes et d'autres ornements d'architecture. Dans le milieu de cette façade se trouve une grande porte x, nommée porte royale; aux deux côtés de celle-ci, il y en a deux plus petites vv, nommées portes des étrangers. L'usagé des jeux scéniques est venu à Rome de la Grèce. Les pièces du théâtre latin sont presque toutes traduites ou imitées du grec; aussi retrouve-t-on dans les théâtres romains toutes les parties qui composent celui des Grecs. On leur a même laissé les noms qu'elles avaient dans cette langue. Hormis la grandeur de l'orchestre et celle de la scène, tout se ressemble, et a bien plus de rapport aux usages des Grecs qu'à ceux des Romains. Nous verrons au ch. 10 du liv. VI, que dans les maisons grecques il y avait au milieu un grand bâtiment occupé par le propriétaire, et sur les côtés deux plus petits, destinés à loger les étrangers, avec chacun une porte particulière. Comme dans la plupart des pièces de théâtre, le principal personnage est censé avoir son habitation sur la scène, il convenait, suivant l'usage des Grecs, que celles destinées aux étrangers s'y trouvassent aussi, puisque ceux-ci interviennent souvent dans ces pièces, c'est pourquoi la grande porte du milieu représentait l'entrée de la maison du maître, et les deux petites, sur les côtés, celles des étrangers. Je ne sais, dit Galiani, où M. Boindin est allé prendre que la seule porte de gauche était destinée aux étrangers, et que l'autre l'était à d'autres personnages.
Outre ces trois portes du fond de la scène, il y avait encore aux deux extrémités deux autres issues ee, l'une pour les personnages qu'on suppose venir du forum ou des autres quartiers de la ville, l'autre pour ceux qu'on suppose venir de la campagne.

78. - Gradus spectaculorum, ubi subsellia componantur. Dion Cassius n'avait pas remarqué cet endroit, dit Perrault, quand il e écrit qu'avant Caligula on n'était assis que sur la pierre ou le bois dont les degrés étaient faits car il paraît, par le texte de Vitruve, que, dès le temps d'Auguste, on mettait quelque chose sur les degrés. Juste Lipse, néanmoins, a bien de la peine à demeurer d'accord qu'on fût assis sur autre chose que sur les degrés du théâtre, et expliquant les vers de Calpurnius (Égl. VII, v. 26) qui parlent des chaises sur lesquelles les femmes étaient assises,
Venimus ad sedes, ubi pulla sordida veste,
Inter femineas spectabat turba cathedras,

il croit qu'il ne s'agit point ici de chaises qui fussent sur les degrés du théâtre, mais de celles qu'on plaçait au-dessus des degrés, au haut du théâtre, entre les colonnes du portique qui couronnait le théâtre; ce qu'il prouve par Suétone, qui dit qu'Auguste avait fait un édit par lequel il défendait aux femmes de s'asseoir sur les degrés du théâtre, et ne leur permettait de se placer qu'au haut, avec le menu peuple, à l'endroit qu'on appelle aujourd'hui le paradis. Properce fait aussi entendre la même chose, quand il dit (liv. IV, chant 8, v. 77, pour exprimer la défense que lui faisait sa maîtresse de tourner les yeux vers elle lorsqu'elle était à la comédie :
Colla cave inflectas ad summum obliqua theatrum.
Malgré tout cela, Perrault ne sait comment on peut expliquer gradus spectaculorum ubi subsellia componantur, sans entendre qu'on était assis sur autre chose que sur les degrés de pierre ou de bois dont le théâtre était composé.

79. - Ne minus alti sint palmopede. Un pied et un palme des anciens Romains faisaient environ 36 centimètres, et un pied six doigts à peu près 41.

80. - Tectum porticus. Le mot tectum ne me semble pas devoir signifier ici une couverture. Qu'importe la hauteur de la couverture pour le son qui s'élève de la scène? Le plafond du portique formait, au contraire, un'enfoncement, une barrière où la voix, montant le long des degrés, venait s'arrêter, se répercuter.

81. - Ejus sexta pars sumatur. Nous avons, remarqué qu'on pénétrait dans l'orchestre et sur les précinctions par plusieurs issues qu'on appelait vomitoires, parce qu'elles semblaient vomir la foule, qui allait ensuite se placer sur les degrés. Les portes de ces issues ouvraient au milieu des degrés, qu'il fallait interrompre par une coupure qui y pénétrait de la longueur de la sixième partie du diamètre de l'orchestre, comme on le voit à l'amphithéâtre de Vérone. Or, par diamètre de l'orchestre il ne faut point entendre ici une ligne qui s'étend d'un point de la circonférence du cercle à un autre en passant par le centre ; cette sixième partie serait disproportionnée : il faut entendre une ligne passant par le milieu de l'orchestre qui n'occupe que la moitié du cercle ; ce diamètre est marqué ar (fig. 84, p. 552).
C'est avec raison que Galiani a placé ces portes au milieu de chaque amas de degrés en pp, et non, comme l'a fait Perrault, au droit des escaliers mêmes, en cc : car le peuple entrait dans l'orchestre par ces portes, et montait par les escaliers pour aller s'asseoir sur les degrés. Et comment eût-ou pu le faire avec les escaliers du premier rang, placés immédiatement au-dessus des portes ?
Perrault ne met pas, non plus, de portes aux précinctions. Selon lui, les spectateurs montaient d'abord par les escaliers intérieurs qui conduisaient au portique d'en haut, et descendaient ensuite par les escaliers extérieurs dans les gradins. Mais pourquoi faire monter et descendre inutilement les spectateurs ? Pourquoi les faire passer par une galerie qu'une loi avait spécialement consacrée aux femmes? Il n'en était point ainsi. Chaque étage avait ses escaliers particuliers, tous également larges, entièrement dégagés les uns des autres, sans aucun détour, afin que le peuple s'y trouvât moins pressé.
Barbaro voudrait que cette sixième partie du diamètre de l'orchestre fût pour la hauteur du premier degré. Il est vrai que ce premier degré ne devait pas commencer au bas de l'orchestre avec sa hauteur ordinaire de 36 à 40 centimètres; autrement les spectateurs qui étaient dans l'orchestre auraient empêché ceux qui étaient assis sur le premier degré de voir ce qui se passait sur la scène. Mais cette sixième partie du diamètre de l'orchestre aurait élevé ce premier degré dans les grands théâtres jusqu'à 4 ou 6 mètres, c'est-à-dire trois ou quatre fois plus qu'il n'était nécessaire, puisque l'endroit où jouaient les acteurs n'avait pas plus de 1m, 46 de haut.

82. - Scenae longitudo ad orchestrae diametron duplex fieri debet. Il se présente ici une difficulté. S'il est vrai, selon Perrault, que le diamètre de l'orchestre, qui est un demi-cercle, soit la moitié du diamètre de tout le cercle, c'est-à-dire un rayon du cercle entier, Vitruve aurait dû dire que la scène doit être aussi large que la face de l'orchestre, puisque deux fois le diamètre de l'orchestre, seraient la même chose que toute la face de l'orchestre; mais dans les théâtres des anciens qui nous restent, la face de la scène est toujours plus grande que celle de l'orchestre. Et nous ne serons pas plus avancés avec l'explication de Barbaro, qui veut que le diamètre de l'orchestre et sa face soient la même chose : car, s'il en était ainsi, la face de la scène devrait être deux fois aussi large que la face de l'orchestre, ce qui ne se rencontre pas dans les théâtres antiques, où elle a une proportion moyenne entre ces deux grandeurs, c'est-à-dire une fois et demie la grandeur de la face de l'orchestre, ce qui, selon Perrault, ferait trois diamètres; de sorte qu'il serait porté à croire qu'au lieu de duplex il faut triplex.

83.- Podii altitudo ab libramento pulpiti. Juste Lipse, dans son livre de Amphitheatro, a cru que par podium il fallait entendre la balustrade qui servait d'appui au-devant du premier degré d'en bas ; mais il est évident que cela ne peut être, tant parce que Vitruve fait la hauteur de ce podium proportionnée à la grandeur de tout le théâtre, ce qui ne peut convenir à une balustrade, qui, selon Vitruve même, doit toujours avoir la même hauteur dans les grands comme dans les petits théâtres, que parce que Vitruve pose des colonnes sur ce podium, et qu'il est constant qu'on n'en mettait point sur la balustrade qui était devant le degré d'en bas aux amphithéâtres seulement, et non aux théâtres, de sorte qu'il n'y a aucun lieu de douter que ce podium ne soit le piédestal des premières colonnes de la scène, de même que le pluteus est celui du second rang des colonnes placées sur les premières. Cette pensée est encore confirmée par ce qui se lit au ch. 5 du liv. VI, où il est parlé des colonnes qui se mettent dans les salles corinthiennes : habent columnas aut in podio aut imo positas, c'est-à-dire des colonnes avec ou sans piédestal.

84. - Item si tertia episcenos futura erit. Perrault a cru que les scènes étant composées de trois rangs de colonnes, les uns sur les autres, on pouvait dire qu'elles avaient trois ordres; mais il a pensé que le troisième de ces ordres ne pouvait être appelé tertia episcenos, comme il l'est dans tous les exemplaires, et qu'au lieu de tertia il fallait mettre altera : car le premier ordre était proprement scena, et ce qui était sur ce premier ordre s'appelait episcenium; de sorte que le second ordre était prima episcenos, et le troisième, par conséquent, altera episcenos.

85. - Pluteos. Les plutei sont mis ici au nombre des choses que l'usage auquel elles sont destinées oblige à faire toujours d'une même hauteur, que le théâtre soit grand ou petit. Aussi Philander a-t-il tort de croire que ce mot désigne l'espace cornpris entre les colonnes supérieures et les colonnes inférieures, c'est-à-dire l'architrave, la frise, la corniche et les piédestaux de l'ordre qui était sur la corniche, chose dont la grandeur est toujours proportionnée à celle des théâtres. Sa véritable signification est balustrade. Comment Barbare a-t-il pu croire que par la phrase sunt enim res, quas et in pusillo et in magno theatro necesse est eadem magnitudine fieri propter usum, uti gradus, diazomata, pluteos, etc., Vitruve voulait dire que les degrés, les paliers et les balustrades sont des parties qui doivent être dans les théâtres, mais que les autres choses qui sont moins pour l'usage que pour l'ornement peuvent être omises ?

86. - Adscensus. C'est de la hauteur des marches des escaliers qu'il est ici question, et non de l'escalier tout entier, qui doit être plus large dans un grand théâtre que dans un petit.

87. - Secundum autem spolia ad ornatus comparata. Tous les commentateurs, avant Galiani, avaient placé ces décorations derrière les trois portes qui sont dans la façade qui termine la scène, c'est-à-dire derrière là porte royale et les deux portes des étrangers. C'est une erreur qu'ils n'auraient point commise, fait observer le traducteur italien, s'ils avaient bien réfléchi sur les paroles du texte, et fait attention surtout à l'ordre que l'auteur suit en décrivant cette partie de la scène. Il commence par la porte du milieu, décrit ensuite les deux portes latérales, et, poursuivant toujours, arrive enfin à l'espace consacré aux décoration Vitruve emploie deux fois le mot secundum : si, comme on l'a cru, il avait signifié, là première fois, le derrière et non le côté des portes, il aurait dû signifier, la seconde fois, la même chose; et où mettre alors les galeries? Et puis quelle idée est-ce d'aller placer dans les portes des décorations qui représentent des bois, des rochers, des habitations, et, qui n'auraient pas laissé le passage libre.
Mais, dira-t-on, ces décorations ne sont pas mieux placées sur les côtés de la scène, si le milieu représente la façade d'un palais : soit; mais faut avouer pourtant que celle disposition répugne moins. Ces décorations, du reste, servaient plutôt chez les anciens à indiquer le genre de spectacle qu'à représenter le lieu où se passait la scène, comme elles le font aujourd'hui, où on les a portées à un si haut degré de perfection. À présent encore, dans les petites villes d'Italie, le fond de la scène ne change jamais, et représente toujours des habitations, dit de Bioul; tandis que les décorations sur les côtés changent, et représentent, suivant les circonstances, ou des bois, ou des maisons, ou d'autres objets. Un passage de l'Électre, de Sophocle, vient encore à l'appui de cette opinion. Dans la première scène du premier acte, le gouverneur d'Oreste dit : « Cette ville qui est à notre droite, c'est l'ancienne ville d'Argos....Ce que vous voyez à votre gauche, c'est le temple de Junon.... Et ce palais, c'est le malheureux palais des fils de Pélops. » Là se trouvent placées, comme elles le sont dans le texte de Vitruve, les différentes parties de la scène le palais occupe le fond, la ville et le temple les deux côtés.

88. - Quod machinae surit in iis locis versatiles trigone. Outre ces machines, faites en triangle, que les Grecs appelaient peri‹ktoi, et les Latins versatiles, c'est-à-dire tournantes, et qui fournissaient chacune différentes peintures, Servius nous apprend qu'il y avait d'autres décorations dont l'artifice consistait à changer la face de la scène. Ces changements se faisaient ou par des feuilles tournantes ou par des châssis appelés ductiles, parce qu'on les faisait couler ; en sorte que quand on en tirait un, on en découvrait un autre qui était caché derrière. Mais comme il ajoute qu'on levait la toile, siparium, à chacun de ces changements, il y a apparence qu'ils ne se faisaient point promptement.
Le mouvement de cette toile à peu près semblable à celle de nos théâtres, et destinée aux mêmes usages, était tout différent. La nôtre se lève au commencement de la pièce, et s'abaisse à la fin de la représentation, parce qu'elle se plie sur le cintre; celle des anciens s'abaissait à l'ouverture de la scène, et se levait dans les entractes, pour la préparation du spectacle suivant, parce qu'elle se pliait sur le théâtre; de manière que lever et baisser le toile signifiait précisément chez eux le contraire de ce que nous entendons aujourd'hui par ces expressions.
Il y avait encore dans les théâtres anciens des machines au-dessus de la scène, pour les dieux célestes, et au-dessous pour les ombres, les furies et les autres divinités infernales. Ces dernières avaient beaucoup de rapport avec celles qu'on emploie aujourd'hui au même usage. Pollux nous apprend que c'étaient des espèces de trappes qui élevaient les acteurs au niveau de la scène, et qui les redescendaient par le relâchement des forces qui les avaient fait monter; c'étaient des cordes, des roues, des contre-poids.
De toutes ces machines, il n'y en avait point dont l'usage fût plus ordinaire que celles qui descendaient du ciel dans les dénouements, et dans lesquels les dieux venaient, pour ainsi dire, au secours du poète. Ces machines étaient sujettes aux mêmes accidents que les nôtres, et nous lisons dans Suétone, qu'un acteur qui jouait le rôle d'Icare, et dont la machine cassa, alla tomber près de l'endroit où était placé Néron, et couvrit de sang ceux qui étaient autour de lui.
Quoique ces machines eussent assez de rapport avec celles de nos cintres, comme la scène des théâtres anciens avait toute son étendue eu largeur, et que d'ailleurs elle n'était point couverte, les mouvements en étaient fort différents car au lieu d'être emportée comme les nôtres par des châssis courants dans des charpentes en plafonds, elles étaient guindées à une espèce de grue dont le cou passait au-dessus de la scène, et qui tournait sur elle-même, pendant que les contre-poids faisaient monter ou descendre les machines.

89, - Versuræ sunt procurrentes. C'est-à-dire les retours des murailles qui vont de la scène vers le théâtre, et qui font un angle droit avec la grande face de la scène. Hermolaüs, sur Pline, dit que versura signifie le retour qu'une muraille fait à l'égard d'une autre, en formant un angle saillant, et Baldi, que ce mot peut aussi signifier le retour d'un angle rentrant. C'est là ce que veut dire Vitruve; par versurae procurrentes, il désigne les murs qui forment les bouts de la scène, et qui font un angle rentrant avec la grande face de la scène.

90. - Genera autem sunt scenarum tria. Les décorations n'étaient pas multipliées chez les anciens comme chez nous ; ils n'en avaient que de trois espèces, parce qu'ils n'avaient que trois sortes de pièces.
Il y a apparence que ces trois sortes de scènes ne s'entendent que de celles qui étaient en peinture, sur les machines mobiles qui servaient de décorations, et non pas de l'architecture de la scène qui ne changeait pas, mais qui faisait partie de la structure et de la maçonnerie du théâtre. L'entrée du milieu était toujours celle du principal acteur; celles qui étaient à droite et à gauche étaient destinées à ceux qui jouaient les seconds rôles; et les deux qui étaient sur les ailes servaient, comme nous l'avons vu, l'une à ceux qui arrivaient de la campagne, et l'autre à ceux qui venaient de la place publique.
Chez les anciens, le lieu oit se passait la scène était toujours censé être un lieu public, et jamais un lieu fermé, parce que, d'après les règles établies pour le théâtre, la comédie et surtout la tragédie, doivent représenter une action publique et visible. Aussi, dans presque toutes les pièces de Sophocle et d'Euripide, le lieu de la scène est une place publique, vis-à-vis d'un palais.
La grande façade qui remplissait le fond du théâtre convenait donc presque à toutes ces pièces. Si quelque objet particulier, comme un temple, une statue, un tombeau, devait se trouver sur le théâtre, on le plaçait parmi les décorations mobiles sur le côté ; ce qui se voit clairement par les pièces des auteurs qui viennent d'être cités.
Daléchamp, dans ses notes sur Athénée, pense que les pièces de théâtre appelées satyriques, étaient pleines de libertés brutales et grossières; et en effet, il y a beaucoup de choses de cette nature dans le Cyclope d'Euripide, seul ouvrage qui nous soit resté dans ce genre.

91. - In topiorum speciern. Les auteurs sont peu d'accord sur la signification du mot topia. D'après l'opinion du plus grand nombre, il s'agirait ici de ces figures faites avec du buis, du cyprès, de l'if et autres arbrisseaux verts, pour l'ornement des jardins. D'autres croient, avec plus de raison, que ce sont des paysages représentés en peinture ou en tapisserie. Car, dit Perrault, soit qu'on fasse venir ce mot du grec topeÝon, qui signifie une ficelle, ou de tñpow, qui veut dire un lieu ou un pays, il exprime toujours fort bien, ou un paysage qui est la représentation des lieux, ou une tapisserie qui est faite par l'entrelacement de la soie, de la laine et de l'or, dans de petites ficelles qui font la chaîne de l'ouvrage de la tapisserie.

92. - In Graecorum theatris non omnia iisdem rationibus sunt facienda. La principale différence qu'il y avait entre la distribution des théâtres des Grecs et celle des théâtres des Latins, c'est que le proscenium de ces derniers était bien plus étendu qu'il ne l'était dans les premiers, et qu'en revanche l'orchestre occupait un bien plus petit espace; chez les Latins, c'était en grande partie aux dépens de l'orchestre que le proscenium s'avançait autant.
Le pupitre, c'est-à-dire la scène, était beaucoup plus élevé chez les Grecs que chez les Romains, parce qu'il n'y avait point de spectateurs dans l'orchestre : ainsi les Grecs élevaient leur scène jusqu'à 4 mètres environ, tandis que les Latins ne lui donnaient guère plus de 1m. 50 d'élévation.
D'après les règles posées par Aristote dans sa Poétique, et d'après l'exemple des meilleurs poètes grecs, la scène se passe toujours dans un lieu public ; or, il n'est ni vraisemblable, ni possible, dit de Bioul, que cette action se passe en public sans qu'il y ait beaucoup de gens, autres que les acteurs, qui y soient intéressés, et dont la fortune dépende de celle des premiers personnages. Aussi toutes les tragédies des poètes grecs sont-elles toujours accompagnées d'un choeur composé de différents ordres : de citoyens, soit de prêtres, soit de vierges, soit d'enfants, etc. ; ils étaient censés être le public, présent et intéressé à l'action. C'était au chœur que les acteurs s'adressaient, lorsqu'ils paraissaient interroger le public; c'était le choeur qui leur répondait, qui, placé dans l'orchestre depuis le commencement de la pièce jusqu'à la fin, au milieu des spectateurs, ne faisait, pour ainsi dire qu'un avec eux. Le choeur s'identifiait tellement avec la pièce, que sans lui il n'y aurait plus eu de tragédie. Sa principale fonction était de marquer par ses chants les intervalles des actes, pendant l'absence des acteurs que la nécessité de l'action avait fait sortir de la scène.
Les personnages qui composaient ce choeur, si nécessaire aux drames des anciens, étaient très nombreux. Il n'y avait que les acteurs principaux qui paraissaient sur la scène.


L'orchestre et le proscenium étant les seules parties du théâtre grec qui différassent de celui des Romains, Vitruve indique, dans ce chapitre, les principes d'après lesquels les architectes grecs en traçaient le plan. Après avoir dit qu'au lieu des quatre triangles employés par les Latins, pour tracer leur théâtre (fig. 84, p. 552), les Grecs employaient trois carrés, et que le côté de ces carrés bd qui était le plus près de la scène en marquait le devant, il ajoute qu'on traçait ensuite une autre ligne gg (fig.85) parallèle à ce côté, qui marquait le fond de la scène. Il est bon de remarquer ici la différence que cela apportait entre le théâtre grec et le théâtre romain. Le fond de la scène, dans le théâtre romain, était terminé par le côté du triangle oo (fig. 84, p. 552) tracé dans le cercle, et le devant par le diamètre bd de ce cercle ; tandis que dans le théâtre grec, le fond de la scène était terminé par la ligne gg (fig. 85) tracée hors du cercle, et le devant par le côté bd du carré tracé dans le cercle : si bien que la ligne qui limitait le fond de la scène dans le théâtre romain, marquait à peu près le devant de la scène chez les Grecs; ce qui donnait bien plus d'extension à leur ochestre.
Voici comment Vitruve veut qu'on trace les côtés de l’orchestre : après avoir tiré une troisième ligne qp (fig. 85) parallèle aux deux autres bd, gg, et passant par le centre de l'orchestre, on marque les points qp; on place ensuite une branche du compas au point p; puis avec l'autre qu'on porte au point q, on décrit la portion de cercle qa : la même opération se répète de l'autre côté, pour obtenir la portion de cercle pe.
Cette explication est de Galiani, qui la trouve si naturelle, qu'après une simple lecture du texte confronté avec la figure citée, tout le monde, dit-il, sera étonné que tous les autres avant lui, sans en excepter l'intelligent Perrault, aient pu lui donner une autre interprétation.

93. - Per centrumque orchestrae. Ce centre de l'orchestre est marqué o dans la fig. 85. Le mystère de ces trois centres, dit Perrault, est une chose bien obscure ou bien inutile, s'ils ne servent qu'à tracer la ligne qui touche l'extrémité du cercle, pour la rendre parallèle à celle qui traverse le cercle par le milieu ; car c'était assez de dire que cette ligne doit être parallèle aux autres. C'était assez, sans doute, s'il ne se fût agi que de décrire une parallèle; mais il fallait encore décrire la largeur du proscenium, et c'était à ce résultat qu'on arrivait par le moyen des deux arcs de cercle qa, pe

94.. Et qua secat circinationis lineas dextra ac sinistra in cornibus hemicycli, centra designantur. Il est évident que la ligue qp coupe la ligne circulaire, c'est-à-dire y touche à la droite des spectateurs au point q, et à leur gauche au point p. Ces points q et p, communs à la ligne qp et aux extrémités de l'hémicycle, sont ceux que Vitruve désigne pour être les centres en question.

95. - Et circino collocato in dextra ab intervallo sinistro circumagatur circinatio ad proscenii dextram partem. Les mots in dextra désignent le point q; par intervallo sinistro il faut entendre l'intervalle qui se trouve entre les deux centres q à droite et p à gauche : il est impossible qu'il soit question d'un autre intervalle, quand il est si évident que c'est des deux centres q et p que Vitruve parle ici. Les mots ad proscenii dextram partem désignent la partie e de l'avant-scène; et si les commentateurs qui ont précédé Galiani se sont trompés sur le vrai sens de l'auteur, c'est qu'ils n'ont point fait cette distinction de droite des spectateurs et de droite des acteurs. Ils ont lu, comme en effet la chose est prescrite, qu'il fallait placer le compas dans le point à droite, et décrire ensuite un cercle avec l'intervalle gauche vers la partie droite du proscenium; ils ont cru que l'intervalle gauche était le demi-diamètre du grand cercle, et qu'avec ce demi-diamètre il l'allait décrire un demi-cercle sur le même côté droit, où ils avaient placé leur centre. Mais comme ces deux demi-cercles qu'ils ont tracés à droite et à gauche sont absolument inutiles, Galiani a cherché et découvert la nouvelle forme qu'il donne à cette partie du théâtre, en interprétant le texte de la manière suivante : lorsque l'auteur dit circino collocato in dextra, il entend la droite des spectateurs, comme il entend leur gauche lorsqu'il dit intervallo sinistro, et cela parce que ces deux points qu'il nomme sont à l'extrémité des sièges ou gradins sur lesquels les spectateurs sont assis; au contraire, lorsqu'il dit ensuite qu'on doit tracer le cercle vers la partie droite du proscenium, on doit entendre la droite des acteurs, qui correspond à la gauche des spectateurs, et cela parce qu'elle se termine en joignant le proscenium. La distinction de ces deux espèces de droite et de gauche rend simple et naturelle la construction de ce passage aussi bien que son interprétation.

96. - Per orchestram. L'orchestre du théâtre des Grecs est formé de l'enceinte aqcpe (fig. 85, p. 562).

97. - Itaque ex eo scenici et thymelici Graece separatim nominantur. Par scenici, dit Philander, il faut entendre les acteurs comiques et les acteurs tragiques, et par thymelici tous ceux qui formaient les choeurs, du mot yem¡lh, qui signifie orchestre : or, c'était là que se faisaient les évolutions du choeur dans les théâtres. Suidas dit que yæein, sacrifier, a fait appeler un autel yum¡lh et de là yumelikoÛ ceux qui dansaient ou qui chantaient dans l'orchestre. Pollux, qui est un auteur plus ancien que Suidas, et qui a écrit du temps que les théâtres étaient encore entiers, avoue qu'il ne sait pas bien précisément ce que c'était que cette partie du théâtre appelée yum¡lh; qu'il doutait si c'était un autel effectivement, ou seulement une espèce de tribune. Il semble que Barbaro ait pris cette tribune pour le pulpitum, lorsqu'il l'a distingué du proscenium, suivant ce qui a été dit au ch. 6, que la ligne qui passe par le centre du cercle qui fait la description et la distribution des parties du théâtre, sépare l'orchestre d'avec le pupitre du proscenium : car, dit Perrault, cette tribune, qui est l'autel ou yum¡lh dont parle Pollux, est une espèce de pupitre distingué et séparé du pupitre appelé autrement logeÝon et proscenium. Mais Vitruve aurait parlé plus intelligiblement, s'il en était ainsi, en disant, au lieu du pupitre du proscenium, le pupitre qui est au milieu de l'orchestre, séparé du proscenium, comme le met Pollux. - Voyez o (Fig. 85, p. 562).

98. - Gradationes scalarum inter cuneos et sedes contra quadratorum angulos dirigantur. Ces angles sont indiqués dans la fig. 85 (p. 562) par les lettres znfhux. Que si du centre o on conduit une ligue au point n, par exemple, la prolongation de cette ligne au milieu des degrés marquera la place de l'escalier jusqu'à la première précinction; il en sera de même pour les autres angles. Perrault dit qu'il y a manifestement une faute dans le texte; qu'au lieu de contre quadratorum angulos, on doit lire intra.... parce que la disposition de tout le théâtre le demande, ajoutant que le propre du théâtre des Latins était d'avoir ces chemins contra triangalorurn angulos. Mais Poleni pense, et avec raison, que cette idée, qui n'a aucun fondement, n'est venue à Perrault que pour augmenter le nombre des escaliers; que le demi-cercle du théâtre des Grecs n'exigeant pas un aussi grand développement que celui des Romains, il n'était pas nécessaire qu'il s'y trouvât autant d'escaliers; il ajoute qu'il ne voit pas pourquoi on ferait violence au texte, et qu'il n'y a point touché.

99. - Post scenam porticus sunt constituendae. Bien que dans un excellent mémoire inséré dans le Recueil de l'Académie des inscriptions, M. Boindin prétende que ces portiques étaient entièrement détachés des théâtres, le contraire semble à mes yeux ressortir des paroles mêmes de Vitruve. Ces portiques étaient derrière les théâtres; c'était là que le peuple se retirait lorsque quelque orage interrompait les représentations. Est-il probable qu'on eût laissé entre le théâtre et ces portiques un espace découvert que le peuple eût été obligé de traverser, ce qui ne l'eût pas mis entièrement à l'abri de la pluie? Est-il probable que les choeurs qui allaient s'y reposer dans les entractes, et achever de préparer ce qui leur restait à représenter, fussent obligés de s'éloigner du théâtre, ce qui eût été assurément fort incommode? Et puis il n'est pas inutile de remarquer que ce portique d'Eumène, que Vitruve donne pour exemple, doit être, au rapport de Sponius, celui dont les ruines sont contiguës au théâtre de Bacchus.
Comme ces portiques avaient quatre faces différentes, et que leurs arcades étaient ouvertes en dedans, on pouvait, quelque temps qu'il fît, se promener à l'abri de leur mur extérieur, et profiter de leur différente exposition, suivant la saison; et comme l'espace découvert qui était au milieu, était un jardin public, on ne manquait pas de l'orner de tout ce qui pouvait en rendre l'usage plus agréable ou plus utile.
De tous les portiques qui furent bâtis à Rome, les trois plus considérables étaient ceux de Pompée, d'Auguste et de Néron Celui de Pompée était la plus délicieuse promenade de la ville et la plus fraîche en été; aussi les poètes l'appelaient-ils par excellence Pompeia umbra
Tu modo Pompeia lentus spatiare sub umbra
Tu neque Pompeia spatiabere cultus in umbra.

(PROPERTIUS, lib. IV, carm. 8, v. 70.
Le portique d'Auguste servait d'ornement à son palais et à sa bibliothèque. Les colonnes de ce portique étaient de marbre de Numidie, et l'on y voyait les statues des cinquante filles de Danaüs, rangées par ordre. Néron fit enrichir son palais de trois portiques de trois mille pas de long chacun; on les appelait pour cela porticus milliariae.
On comptait, du temps d'Auguste, plus de quarante-cinq portiques publics à Rome.
C'était ordinairement là que ceux qui aimaient les plaisirs tranquilles passaient les premières heures de l'après-dîner.
Le dessin que donne Perrault de ces portiques et promenoirs diffère beaucoup de celui qu'en donne Galiani, que nous avons préféré. Dans le plan de Perrault, le double portique de colonnes se trouve placé en dehors d'un mur qui les sépare des allées d'arbres qui forment le promenoir Dans celui de Galiani, au contraire, le mur gg (fig. 84, p. 552) est en dehors, et renferme le portique n dont la fig. 84 représente un côté, et le promenoir m. Voici les raisons qui ont fait adopter ce plan par Galiani : l'auteur s'exprime ainsi : parietes, qui circumcludunt porticus ambulationes; s'il avait voulu exprimer le sens que lui prête Perrault, il aurait dit, hypaethras ambulationes, d'autant plus qu'il écrit un peu après, media vero spatia, quae erunt sub divo inter porticus; il dit inter porticus, tandis que, pour parler dans le sens de Perrault, il aurait dû dire inter parietes.
Perrault ayant placé ce mur dans l'intérieur, a dû changer plusieurs choses dans la suite du texte, pour le mettre d'accord avec son plan. En élevant ce mur à l'extérieur, comme Galiani, tous ces changements deviennent inutiles.

100. - Odeum. Vitruve cite dans ce chapitre les principaux portiques de la Grèce. Il parle entre autres de l'Odeum que Périclès fit bâtir à Athènes; c'était là que l'on disputait les prix de musique, d'où lui vient son nom dérivé du grec Èd®, qui signifie chanson. Plutarque fait la description de cet édifice : Le dedans, dit-il, était occupé par plusieurs sièges ou gradins et porté par une infinité de colonnes; mais la couverture était un seul comble rond qui se courbait tout autour, et se terminait en pointe. On dit, ajoute-t-il, que la tente ou pavillon de Xerxès servit de modèle. Il rapporte ensuite la plaisanterie que le poète Cratinus fait sur Périclès dans sa comédie des Thraciens, où, se moquant de la tète de ce grand personnage qui était pointue, il dit qu'elle fut le modèle sur lequel il fit construire la coupole de l' Odeum.
Perrault traduit le passage où Vitruve parle de l'Odeum, comme s'il entendait qu'on dût en faire un auprès de tous les théâtres. Galiani a mieux saisi le sens de l'auteur en citant cet édifice comme un exemple, c'est-à-dire en disant que l'Odeum était près du théâtre d'Athènes, comme auprès des autres étaient les portiques, et ce qui vaut mieux encore, que l'Odeum servait de portique au théâtre d'Athènes. Nous pouvons tirer de là, selon de Bioul, une preuve de plus en faveur de la forme que Galiani a donnée à ce portique, puisque Plutarque dit positivement qu'à l'Odeum les colonnes étaient dans l'intérieur de l'édifice.
Le nom d'odem était quelquefois donné à des bâtiments étrangers au théâtre; Pausanias dit qu'Hérode l'Athénien fit construire un magnifique odeum pour le tombeau de sa femme.
Les écrivains ecclésiastiques désignent aussi quelquefois le choeur d'une église par le mot odeum.

101. - Medianae autem columnae quinta parte altiores. Ces portiques formaient un genre d'édifice différent des autres. Quelques -unes de leurs dimensions, il est vrai, étaient réglées sur celles des temples, mais la plupart par des règles particulières, comme le fait observer Vitruve. De toutes ces particularités, la plus remarquable était cet assemblage de colonnes de différents ordres dans le même portique : à droite il y en avait de doriques; à gauche, d'ioniques ou de corinthiennes; les unes étaient plus hautes, les autres plus basses. Nous voyons dans le texte que les colonnes ioniques ou corinthiennes de l'intérieur doivent être plus hautes d'une cinquième partie que les colonnes doriques de l'extérieur. Cette cinquième partie est une grandeur excessive, dit Perrault, car ces colonnes ne doivent excéder les autres que de la hauteur de l'architrave, qui, dans une colonne dorique de quinze modules, telle qu'est celle dont il s'agit, n'est que la quinzième partie de la colonne, parce que cette architrave n'est haute que d'un module ; de sorte qu'il y a apparence qu'il faut lire, au lieu d'un cinquième, un quinzième, et croire que du nombre XV le caractère X était effacé dans la copie, et qu'il n'est resté que le V.
Galiani ne rejette point l'opinion de Perrault, et ajoute que s'il est vrai qu'il n'y ait point d'erreur dans le texte, il faut croire que les colonnes du milieu s'élèvent intérieurement jusqu'au niveau de la corniche extérieure, puisque l'architrave et la frise ont trois modules de hauteur ; ce qui serait bien la cinquième partie d'une colonne haute de quinze modules : mais ces proportions ne sont pas celles que Vitruve donne à l'ordre dorique, au ch. 3 du liv. IV.

102. - Ex his nullus surgit humor nebulosus. Cette hypothèse est, selon Perrault, contraire à celle qui est généralement admise comme étant absolument nécessaire pour trouver la raison des sources des fontaines ; et l'expérience fait voir que les eaux qui ne sont exposées ni au soleil ni au vent, ne laissent pas de s'évaporer. Vitruve même dit (liv. VIII, ch. 1) que pour connaître s'il y a de l'eau sous terre, il faut enfermer dans une fosse bien couverte quelque vase renversé, afin que la vapeur de l'eau qui s'élève du fond de la terre, s'y attache.

103. - Tempus lavandi a meridiano ad vesperum. Il n'était pas permis de prendre des bains à toute heure du jour, mais seulement à certaines heures qui étaient annoncées par le son d'une espèce de cloche. Vitruve dit qu'en général c'était depuis midi jusqu'au soir. L'empereur Adrien défendit par un édit d'ouvrir les bains avant deux heures après midi; il n'y avait d'exception que pour les malades. On ne les ouvrait jamais avant le soleil levé, ni après le soleil couché. Alexandre Sévère permit pourtant qu'on les tint ouverts la nuit, dans les grandes chaleurs de l'été: il ajouta même la libéralité à la complaisance, en fournissant l'huile qui brûlait dans les lampes.
On prenait ordinairement son bain avant souper. Il n'y avait que les voluptueux qui se baignassent à la suite de ce repas ; mais ils s'en trouvaient souvent fort mal, comme le dit Juvénal, sat. I, v. 142. Martial (liv. IV, épigr. 8, et liv. XI, épigr. 52) désigne la huitième heure, c'est-à-dire deux heures après midi, comme étant celle à laquelle il se rendait à la palestre et aux bains.
Les bains, si l'on en croit Pline, ne furent en usage à Rome que du temps de Pompée ; dès lors les édiles eurent soin d'en faire construire plusieurs. Dion, dans la Vie d'Auguste, rapporte que Mécène fit bâtir le premier bain public; mais Agrippa, dans l'année de son édilité, en fit construire cent soixante-dix. À son exemple Néron, Vespasien, Titus, Domitien, Sévère, Gordien, Aurélien, Dioclétien, et presque tous les empereurs qui cherchèrent à se rendre agréables au peuple, firent bâtir des étuves et des bains avec les marbres les plus précieux, et dans les règles de la plus belle architecture; ils prenaient plaisir à s'y baigner avec le peuple. Publius Victor dit qu'il y avait jusqu'à huit cents de ces édifices répandus dans tous les quartiers de Rome, et Pline le Jeune, qu'ils s'étaient augmentés à l'infini.
Les thermes étaient si vastes qu'Ammien Marcellin, pour donner une idée de leur grandeur, les compare à des provinces entières. Ce qui nous reste encore aujourd'hui de quelques anciens thermes, nous fait juger de leur prodigieuse étendue.
La description des thermes de Dioclétien, qui nous a été donnée par André Baccius, nous fournit un tableau complet de la grandeur et de la magnificence romaine dans ces sortes d'ouvrages. On y voit un grand lac dans lequel on s'exerçait à la nage, des portiques pour les promenades, des basiliques où le peuple s'assemblait avant que d'entrer dans le bain, ou après en être sorti; des appartements où l'on pouvait manger, des vestibules et des cours ornés de colonnes, des lieux où les jeunes gens faisaient leurs exercices, des pièces pour se rafraîchir, où l'on avait pratiqué de grandes fenêtres, afin que le vent pût y entrer aisément ; des lieux où l'on pouvait suer, des bois délicieux ; des endroits pour l'exercice de la course; d'autres où l'on s'assemblait pour conférer ensemble, et où il y avait des sièges pour s'asseoir; d'autres où l'on s'exerçait à la lutte; d'autres où les philosophes, les rhéteurs et les poètes cultivaient les sciences par manière d'amusement; d'autres où l'on gardait les huiles et les parfums; d'autres où les lutteurs se jetaient du sable l'un sur l'autre pour avoir plus de prise sur leurs corps frottés d'huile.

104. Uti caldaria muliebria viriliaque conjuncta. Tout dans les bains, se passait avec modestie. Les bains des femme étaient entièrement séparés de ceux des hommes et c'eût été un crime, si l'un des deux sexes fût passé dans le bain de l'autre. La pudeur y était observée à ce point, dit Cicéron, que les enfants pubères ne se baignaient jamais avec leurs pères, ni les gendres avec leurs beaux-pères; mais quand le luxe et la vie voluptueuse eurent banni la modestie, et que la débauche se fut glissée dans toute la ville, les bains n'en furent point exempts, et devinrent communs aux deux sexes. L'empereur Adrien défendit absolument ce mélange d'hommes et de femmes, sous de rigoureuses peines, et sous le règne de Marc-Aurèle et d'Alexandre Sévère, les bains des hommes et ceux des femmes furent encore une fois séparés, et la modestie y fut rétablie.

105. - Ahena supra hypocaustum tria sunt componenda. Nous voyons que l'eau destinée pour les bains, était chauffée par un fourneau nominé hypocauste, placé sous les salles des bains. Il échauffait aussi, à ce qu'il paraît, la chambre chaude, ou étuve à faire suer, et même les autres pièces, par des tuyaux qui circulaient sous le pavé. Cette eau était contenue dans trois vases. Galiani pense qu'ils ne devaient pas suffire pour contenir l'eau nécessaire, ce qui lui fait croire que Vitruve veut parler de trois différentes espèces de vases dont il y aurait eu un certain nombre pour chaque sorte d'eau. Il ne connaissait pas sans doute la capacité des vases que les anciens employaient à cet usage. J'en ai vu plusieurs, dit de Bioul, dans différents endroits de Rome, entre autres dans la cour du monastère des Bénédictins, près de la basilique de Saint-Paul, hors des murs, et dans les jardins de le villa Borghèse. On avait ajouté à ceux qui sont dans ces jardins, des pieds et des piédestaux, pour en faire de très beaux vases qui décoraient, avec d'autres ornements, le tour d'une magnifique fontaine. Ces vases ont au moins six pieds de diamètre; ils contenaient autant d'eau tiède et d'eau chaude qu'il en faut pour un très grand bain. Palladius (Econ. rur., liv. I . ch. 40) les appelle milliaria, à cause du volume d'eau qu'ils contenaient.

106. - Et ita collocanda. Il n'est pas aisé de retrouver comment ces vases sont disposés, pour que, comme le veut Vitruve, de celui qui contient l'eau tiède, il passe autant d'eau qu'on en aura tiré de celui qui contient l'eau chaude, et de celui qui contient l'eau froide, une quantité semblable à celle qui sera sortie du vase contenant l'eau tiède.
Cesariano et Caporali ont représenté ces trois vases placés les uns sur les autres; celui qui contient la froide en haut, celui qui contient la tiède au milieu, et celui qui contient la chaude sur le fourneau. Mais, dit Perrault, l'inconvénient est qu'il est impossible que la chaleur, qui monte très vite, ne se communique pas bientôt, en passant du vase inférieur qui est immédiatement sur le feu, dans celui du milieu et dans celui d'en haut, et n'y devienne même plus chaude que dans celui d'en bas. Pour éviter cet inconvénient, Perrault a imaginé de placer ces trois vases l'un à côté de l'autre sur un même niveau; il se sert de deux siphons dont l'un conduit l'eau froide dans la tiède, et l'autre l'eau tiède dans la chaude. Galiani a imaginé un moyen plus simple il place ses trois vases comme Perrault, c'est-à-dire que celui qui contient l'eau chaude est immédiatement posé sur le fourneau, que celui qui contient l'eau tiède est un peu plus loin, et participe un peu de la chaleur du premier, qu'enfin celui qui contient l'eau froide est le plus en arrière, posé sur une masse de maçonnerie, où il ne peut ressentir aucune impression de la chaleur. Des tubes placés au fond des vases, font communiquer l'eau de l'un à l'autre; tandis que d'antres tuyaux conduisent l'eau de chaque vase vers la baignoire où on la fait tomber à volonté à l'aide de robinets. Un autre conduit placé au niveau de l'embouchure du vase où est l'eau froide, y amène l'eau pour le remplir à mesure qu'il se vide.

107. - Testudinesque alveorum. Alveus signifie proprement dans les bains, la cuve où l'on se baigne. Mais il doit s'entendre ici des tuyaux de chaleur, des conduits voûtés qui partaient du fourneau pour distribuer la chaleur tant aux vases d'airain qu'aux étuves et aux bains chauds, si l'on en juge par la situation des différentes parties dont les bains étaient composés.

108.- Ut pila quum mittatur. Mercurial attribue un autre usage à ces balles; il dit que ceux qui avaient soin d'entretenir le feu dans ce fourneau, le faisaient en jetant une balle frottée de poix, qui, en revenant à l'ouverture du fourneau, activait le feu sur son passage. Néanmoins, Palladius (Écon. rur., liv. 1er ch. 40) dit que cette pente n'était donnée à l'âtre du fourneau que pour que la flamme, dont la direction est ordinairement verticale, échauffât plus puissamment les bains.

109. - Altitudinem autem pilae habeant pedum duorum, Palladius leur donne deux pieds et demi d'élévation. L'auteur du Compendium architecturae veut (ch. XIV) que ces pilae soient in privato pedibus binis, in publico ternis.

110. - Argilla cum capillo subacta. L'argile à laquelle un mêle de la bourre, c'est-à-dire du poil des animaux, résiste à l'action du feu avec plus de force que si elle était pétrie avec de la paille. Par ce moyen le feu durcit, non seulement la partie extérieure de l'argile, mais encore la masse intérieure, qui se trouve remplie de petits espaces vides par la combustion des poils.

111. - Opere albario sive tectorio. Il paraît par cet endroit, dit Perrault, que l'albariurn opus est, non pas un simple blanchissement de lait de chaux, comme le croient les interprètes, mais une espèce d'enduit, du stuc, de tous les enduits le plus blanc, à cause du marbre dont il est fait. Tectorium sera donc un enduit plus délié que le ciment; parce que, s'il faut mettre du stuc, qui est un enduit délié, sur le dégrossissement du ciment, on doit entendre que, si au lieu de stuc on y met une autre espèce d'enduit, ce doit être un enduit fin et délié.

112. - Quanta longitudo fuerit. - Voyez PALLADIUS, Écon. rur., liv. Ier, ch. 40, et M. de CAUMONT, 30 part., ch. 2.

113. - Praeter scholam labri. Perrault traduit par reposoir le mot grec schola, qui signifie une galerie qui servait au repos et à l'étude. C'était, dit-il, un endroit, dans les bains, où ceux qui voulaient se baigner attendaient qu'il y eût place dans l'eau. Quelques commentateurs pensent que c'était un portique, et Barbaro croit que Vitruve a ainsi appelé le rebord du bassin dans lequel l'eau était contenue.

114. - Labrum. De Bioul a vu à Rome plusieurs de ces baignoires qui avaient été tirées de thermes antiques. Il s'en trouve deux, entre autres, formées chacune d'un seul morceau de granit d'Égypte, qui servent présentement de bassins aux deux fontaines qui sont sur la place Farnèse. Elles sont ovales et ont 5 m 62 de longueur, et 1 m 84 de profondeur. De Bioul ne veut pas dire par là que les baignoires des anciens fussent toutes formées d'une seule pierre, et n'eussent que la grandeur de celles-ci, qui ne suffiraient pas pour un bain public qui devait être très spacieux; mais il veut que ces baignoires, quelle que fût leur grandeur, fussent toujours élevées, comme celle que représente la peinture trouvée dans les thermes de Titus. Avant lui, tous les commentateurs ont représenté la baignoire enfoncée dans le pavé. Voyez PLINE LE JEUNE, dans le tableau délicieux qu'il fait de sa villa de Lanrentinum (liv. II , lett. 17). Quelle différence entre cette villa et la maison de Scipion, à Literne ! Voyez dans SENÈQUE, la curieuse lett. LXXXVI.

115. - Alvei autem lalitudo. Philander et Barbaro veulent qu'alveus, que Perrault traduit par corridor, soit ici la même chose que labrum, qui est le bassin où l'on se baigne ; ce que ne peut croire Perrault, à cause de la petitesse de ce bain, qui, selon la supputation de Barbare, n'aurait guère que 1 m 30. Cette grandeur serait en effet loin d'être suffisante pour un bain public, puisqu'il est dit qu'il devait être proportionné au nombre des habitants. Les mots inter parietem et pluteum, « entre le mur et la balustrade , » font entendre assez clairement qu'alveus ne peut être le bain. Alveus, il est vrai, ne peut signifier corridor que métaphoriquement; mais cette expression est familière à Vitruve, qui appelle alveolatum stylobatam un piédestal continu dont la corniche et la base font des saillies qui laissent une partie enfoncée dans le milieu , semblable à un canal. Dans l'obscurité de cet endroit, Perrault a cru pouvoir donner cette interprétation au texte, surtout quand la chose paraît aussi claire qu'elle l'est dans la fig. 86, qui est conforme en cela à celle que Pyrrho Ligario a dessinée sur un bas-relief antique, et qu'il a communiquée à Mercurial; et il paraît, par cette figure, que le bain était un bassin de pierre, dans lequel un grand nombre de personnes pouvaient se baigner ensemble; que des deux côtés il y avait des espaces assez larges marqués xx (fig. 86), et que le long des deux autres côtés régnait une balustrade v, qui faisait un corridor z.
De Bioul donne au mot alveus la signification de loge ou niche, parce que, dans l'ancienne peinture trouvée dans les thermes de Titus, on voit plusieurs loges ou niches dans les salles destinées aux bains.

116. - Laconicum. Les anciens, dit Perrault, appelaient les étuves sèches laconicum, parce que les Lacédémoniens en furent les inventeurs, et qu'ils s'en servaient ordinairement. Mercurial reprend ceux qui confondent le laconicum, qui était le lieu où l'on suait, avec l'hypocaustum, qui était le fourneau qui échauffait le laconicum. Il n'est guère possible, en effet, que ce laconicum fût, comme l'a cru Galiani, une petite rotonde eu coupole qui couvrait une ouverture pratiquée dans le pavé de l'étuve, pour y laisser passer la flamme du fourneau. Si c'eût été un moyen d'augmenter la chaleur de l'étuve, la fumée qui n'aurait pas manqué de se répandre par cette ouverture, l'aurait bientôt fait abandonner.
De la description que fait Vitruve des bains détachés des palestres, il résulte, 1° qu'ils étaient ordinairement doubles, les uns; pour les hommes, les autres pour les femmes : c'était ainsi, du moins, chez les Romains, qui en cela avaient plus consulté les bienséances que les Lacédémoniens, chez qui les deux sexes se baignaient pêle-mêle; 2° que les deux bains chauds étaient contigus, afin que le même fourneau pût échauffer les vases de l'un et de l'autre bain qui sont dans les pièces rr (fig. 86, p. 573) : aa sont les vases d'eau chaude; ee, ceux d'eau tiède; cc, ceux d'eau froide; 3° que le milieu de ces bains était occupé par un grand bassin m pour les hommes, n pour les femmes, qui recevait l'eau par divers tuyaux, et dans lequel on descendait par quelques degrés; qu'autour de ce bassin étaient, avec le degré inférieur ii, des accoudoirs ou balustrades vv, une espèce de corridor z (schola) assez large pour contenir ceux qui attendaient que les premiers venus sortissent du bain, et les reposoirs xx; 4° que les étuves appelées laconicum et tepidarium étaient jointes ensemble et arrondies; 5° que le plancher des étuves était creux et suspendu pour recevoir la chaleur de l'hypocauste.

117. - Palestrarum aedifiationes. La palestre, chez les Grecs, était un édifice public où les jeunes gens se livraient aux exercices de l'esprit, et principalement à ceux du corps. On sait quelle importance les Grecs attachaient à la célébration des jeux Olympiques. Rien n'était plus glorieux que d'y être proclamé vainqueur, et Cicéron, dans son Plaidoyer pour Flaccus, et ailleurs, fait remarquer que le consulat dans son ancienne splendeur, et le triomphe dans toute sa majesté, n'avaient rien de plus grand à Rome, que la couronne olympique en Grèce.
À Lacédémone, les filles s'exerçaient dans la palestre aussi bien que les hommes. Voyez PROPERCE, liv. II, élég, 14, et CICÉRON, Tuscul., liv. II, ch.15.
Aux palestres, les Romains joignirent des thermes, vastes et magnifiques édifices, dans lesquels les empereurs étalèrent un luxe prodigieux, et où le peuple trouvait réunis jeux, bains et promenades délicieuses.

118. - Quod Graeci vocant dÛaulon. Le diaule, ou double stade, était une espèce de course qui se faisait dans la longueur d'un stade, au bout duquel on tournait pour parcourir le même espace. La course qui se faisait des deux stades, toute droite et sans retourner, était appelée dñlixow.
Le stade était un espace de cent vingt-cinq pas géométriques, ou 625 pieds romains.

119. - Exedrae. Ce mot grec est différemment interprété par les auteurs. Alexander ab Alexandro croit que c'était une galerie ouverte en manière de loges. Accurse le prend pour une galerie entourée de fenêtres. Il signifie néanmoins, à la lettre, un lieu où plusieurs personnes sont assises; mais Perrault croit que les sièges y étaient fixés, comme les stalles dans le choeur de nos églises; c'est ce que semble croire aussi Philander, qui le compare à celui qu'on appelait chapitre dans les cloîtres des religieux. Vitruve, néanmoins, parle des exèdres au ch. 9 du liv. VII, comme de lieux fort ouverts, et exposés aux rayons du soleil et de la lune, ce qui semblerait appuyer l'opinion d'Alexander ab Alexandro.

120. - Ephebeum. C'était là que l'on apprenait aux jeunes gens qui sortaient de l'adolescence, les premiers principes de la gymnastique. On l'appelait ainsi du mot ¦fhbow, qui s'appliquait à ceux qui avaient atteint l'âge de puberté, c'est-à-dire leur quatorzième année. Palladio croit que c'étaient les petites écoles des garçons, et que le coryceum était celles des petites filles. Les jeunes gens qui n'avaient pas atteint leur seizième année, s'y assemblaient de grand matin pour y faire leurs exercices en particulier, sans spectateurs.

121. - Coryceum. Les commentateurs ne s'accordent point sur la signification de ce mot. Les uns prennent le corycée pour le lieu où les filles s'exerçaient à la lutte et à la course; Palladio, pour les petites écoles des filles; d'autres pour le lieu où l'on faisait le poil. Mercuriel et d'autres auteurs l'ont confondu avec l'apodyterion; mais Perrault, Galiani et Baldi qui font dériver ce mot du grec xorækion, balle ou ballon, l'ont traduit par jeu de paume. On sait que le jeu de paume était en usage chez les anciens; et comme Vitruve n'assigne pas pour ce jeu d'autre emplacement que celui-là dans la palestre, on doit croire que le corycée y était destiné, d'autant plus que sa disposition convenait parfaitement.

122. - Conisterium. Le conisterium était le lieu du gymnase dans lequel les athlètes, après s'être frottés d'huile, se couvraient de poussière (kñniw), afin de pouvoir se saisir plus facilement. Cette poussière venait d'Égypte.

123. - Elaeothesium. C'était le lieu où l'on conservait l'huile ¦laion, et où s'allaient oindre ceux qui s'exerçaient. Elle ne servait pas seulement à rendre les membres glissants et moins capables de donner prise, mais encore elle les rendait plus souples et plus propres aux exercices. Outre l'huile dont nous venons de parler, il y en avait d'autres qu'on employait, après la lutte, pour frotter les membres qui avaient été froissés, et d'autres encore dont on se servait avant d'entrer dans le bain.

124. - Frigidarium. C'était une salle, près de l'étuve et du bain d'eau chaude, où se tenaient pendant quelque temps les personnes qui en sortaient pour se refroidir un peu, avant de se trouver en plein air; opinion confirmée par Pétrone qui dit (Satyricon, ch. XXVIII) : Itaque intravimus balneum, et sudore concalefacti momento temporis ad frigidam (ou bien frigidariam) eximus.
Galiani croit que ce frigidarium est la même chose que le tepidarium dont il est parlé au chapitre précédent, ces deux pièces étant destinées au même usage.

125. - Iter in propnigeum. Mercurial interprète le mot grec propnigeæw, praefurnium, comme étant dérivé de pnigeæw, qui signifie four. Philander, qui le fait venir de pnÛj, suffocation, croit que c'était un lieu plein d'une vapeur chaude propre à faire suer. Mais le laconicum et la concarnerata sudatio étaient faits pour cela. De sorte qu'il y a plus d'apparence que le propnigeum était l'endroit où l'on faisait le feu pour échauffer les chambres et les bains.

126. - Haec autem porticus justñw apud Graecos vocitatur. signifie polir, racler ou étriller. Ceux qui s'exerçaient dans ce lieu-là, se rendaient le corps poli et glissant en le raclant avec des strigilles et le frottant avec de l'huile. Sur un des côtés de la palestre, se trouvait un grand espace planté d'arbres que les Romains appelaient le xyste, xystus ou xystum. Bien que ce mot fût dérivé du grec, il ne signifiait pas exactement la même chose en latin, puisque le xyste proprement dit, chez les Grecs, était un portique ouvert, sous lequel était un stade où les athlètes s'exerçaient à la course et à la lutte. Il occupait, suivant Vitruve, un des côtés du xyste dont je viens de parler, et c'est celui dont il est question au ch. 10 du liv. VI, à propos des mots latins tirés du grec auxquels on a donné à Rome une signification différente de celle qu'ils ont dans cette langue. Une palestre comprenait donc :


1°. Les trois portiques simples du péristyle aaa (fig. 87).
2°. Le portique double zz, qui regarde le midi.
3°. Les exèdres hhh ou salles de conférences pour les philosophes.
4° L'ephebeum q, ou école des jeunes garçons
5°. Le corycée p , ou jeu de paume.
6°. Le conisterium x, ou magasin de poussiére.
7°.Le bain d'eau froide b frigida lavatio.
8°. Le magasin d'huile d, elaeothesium.
9°. La chambre froide g , frigidarium.
10°. Le passage i qui va au propnigeum.
11°. Le lieu où l'on allume le feu m, propnigeum.
12°. L'étuve c, laconicum.
13°. La chambre voûtée pour faire suer n, concamerata sudatio.
14°. Le bain d'eau chaude e, calida lavatio.
15°. Les trois portiques extérieurs 1, 2, 3.
16°. Le portique double qui regarde le septentrion rr.
17°. Le milieu oo du xyste couvert, où les athlètes descendaient par deux degrés pour s'exercer pendant l'hiver.
18°. Les allées découvertes vv, ou paradromides.
19°. Les bois de platanes compris entre les lettres vs, vs.
20°. Les sièges ss.
21°. Le stade uuu avec les degrés sur lesquels s'assoient les spectateurs.

127. - De opportunitate autem portuum non est praetermittendum. On sait ce que c'est qu'un port. On n'ignore pas qu'il y eu a de naturels, qu'il y en a d'artificiels. Athènes avait trois ports naturels (THUCYDIDE, liv. I, ch. 93; PAUSANIAS, liv. 1, ch. 2). La description que fait Tite-Live de celui de Carthagène (liv. XXVI, ch. 42) a inspiré à Virgile le tableau qui commence ainsi :
Est in secessu longe locus ......
(Aen. lib. 1, v. 159
Pour bien comprendre ce que dit Vitruve de la construction des ports, il faut se rapporter au temps où il écrivait. Point de boussole alors; on ne pouvait donc guère naviguer que sur les côtes; aussi ne se servait-on que de petits bâtiments plats et à rames qui ne tiraient que fort peu d'eau. Presque toutes les rades étaient pour eux des ports, dit de Bioul; et lorsqu'il n'y en avait point de naturels dans les lieux où besoin était qu'il y en eût, on en avait bientôt forme un au moyen d'une simple jetée ou môle. Ainsi, dans ce chapitre, Vitruve ne parle que de la construction de ces môles, et de celle des arsenaux où l'on construisait les navires, où même on les enfermait, puisqu'ils étaient si légers qu'on pouvait assez facilement les tirer à terre. Voyez M. de CAUMONT, 3e part., ch. 4.

128. - Uti si nullum flumen in his locis impedierit. Cette observation ne peut convenir qu'aux ports de la Méditerranée, où le flux et le reflux ne se font point sentir. Les rivières d'Italie, qui viennent presque toutes des montagnes de l'Apennin qui sont la plupart volcanique, composées de cendres, de pierre ponces, de terre et d'autre matières légères qu'elles charrient, auraient bientôt encombré un port qui serait à leur embouchure. Il n'en est pas de même de ceux de l'Océan : l'agitation du flux et du reflux empêche que la vase et les immondices des rivières ne comblent les ports, et le flux qui y fait monter l'eau très haut, permet à l'art de se servir avantageusement de ce secours de la nature, en retenant l'eau qui est montée pendant le flux dans les écluses et dans les barres que l'on ouvre quand la mer est descendue, et qui, par sa chute impétueuse, achève de balayer le port, ce que le reflux a commencé à faire.

129.- Sed erit ex un parte statio. Ulpien, au liv. XLIII des Pandectes, de Fluminibus, interprète le mot statio par un lieu où les vaisseaux. peuvent rester en sûreté. Ce mot, en effet, signifie généralement un lieu commode pour les vaisseaux. Et pour cela il faut deux choses : l'une, qu'il y ait assez de fond pour porter les vaisseaux; l'autre, que ce lieu soit à couvert des vents. Or, il est évident qu'il ne s'agit ici que de la première, parce que le môle qui doit être bâti mettra les vaisseaux à l'abri des vents.

130. - Arcae stipitibus robusteis et catenis inclusae. Perrault traduit arcæ par pièce de bois rainée, c'est-à-dire creusée sur son épaisseur par un petit canal destiné à recevoir une coulisse. Philander et Barbaro partagent cette opinion.
J. Martin donne à ce mot la signification de coffres, qu'on aurait remplis de mortier fait avec de la pouzzolane, pour les jeter dans la mer. Bien que cette manière se pratique eu quelques endroits, le texte de Vitruve ne s'accorde pas avec ce genre de structure, continue Perrault, parce qu'il est dit que les choses appelées arcæ une fois plantées dans la mer, on garnit d'ais les entre-deux, et qu'ensuite tout l'espace destiné à la maçonnerie est rempli de mortier et de pierres qui, par leur pesanteur, rejettent toute l'eau hors de l'enceinte formée par les cloisons, et par la vertu particulière que la pouzzolane a de sécher et de s'endurcir dans l'eau, font comme une masse fusible coulée dans un moule.
Galiani n'adopte pas ce sentiment. Il dit que les paroles de Vitruve semblent faire entendre qu'on doit seulement lier avec des chaînes toute l'enceinte de pieux; que, comme nous nous servons aussi d'ais terminés en queue d'aronde pour unir ces pieux les uns aux autres, au moyen des rainures destinées à recevoir les tenons, Perrault, qui a cru cet usage antique, s'est persuadé qu'ici arca signifiait un poteau aux deux côtés duquel on avait creusé des rainures propres à recevoir les tenons d'une autre pièce de bois; qu'il lui semble très clair qu'une fois qu'on a donné à arca l'épithète d'inclusa, ce mot ne peut signifier autre chose que la totalité de l'arc formé par les pieux, c'est-à-dire toute l'enceinte même; et que l'expression de dimittere arcam ne doit pas apporter une difficulté, puisqu'il s'en sert probablement eu lieu de dimittere stipites quibus fiunt arcae.
L'opinion de Perrault est assurément la plus vraisemblable, la véritable. Arca signifie un batardeau, c'est-à-dire un ouvrage quelconque construit dans l'eau avec des madriers et des pilots qui forment une espèce de coffre ; stipitibus robusteis sont ces madriers de chêne qui, solidement fixés au fond de la mer, le sont également par le bout d'en haut à l'aide de pièces de bois mises en travers : car les mots catenæ et catenationes, dans Vitruve, signifient, selon Perrault, les liaisons qui se font des pièces de bois avec le bois même, comme claves dans la charpenterie et la menuiserie ne signifie pas des clés de fer; et s'il faut niveler la terre, c'est pour que les ais qui glissent dans les rainures, la touchent partout également, afin qu'il ne reste point d'ouverture par laquelle le mortier puisse s'échapper.

131. - Pulvinus. Ce mot signifie proprement un oreiller. Par métaphore on l'emploie pour désigner une plate-forme, ou assemblage de charpenterie sur lequel on traîne de lourds fardeaux, et qu'on appelle en français poulain, peut-être de pulvinus Ici, il signifie un massif de maçonnerie, dont plus de la moitié posait sur un amas de sable soutenu par un petit mur qu'on abat-tait, lorsque la maçonnerie était sèche. La mer alors emportait le sable, et la masse qui se trouvait dessus tombait dans l'eau. Virgile (Énéide, liv. IX, v. 710) décrit cette manière de faire un môle.
Il semblerait par là que les anciens ne faisaient pas leurs môles, comme nous les faisons aujourd'hui, en jetant dans la mer, les uns sur les autres, de gros quartiers de pierres. Peut-être n'avaient-ils pas remarqué combien les moules et tous les autres coquillages, en s'attachant aux pierres roulées sur le rivage, les attachent et les lient les unes aux autres; ce qui leur donne une solidité inébranlable, supérieure peut-être à celle des rochers produits par la nature.
Cependant dans l'Hydrographie du P. Fournier, et dans l'Architecture hydraulique de M. Bélidor, on lit qu'à l'ancienne Tyr, deux môles fondés à pierres perdues, à la profondeur de vingt-cinq à trente pieds d'eau, dirigés en portion de cercle et s'étendant dans la mer, formaient l'entrée du grand port qu'un troisième môle couvrait , eu le garantissant de l'impétuosité des vagues. Voyez dans Pline le Jeune (liv. VI, lettre 31) la manière dont fut construit le port de Trajan.

132. - Inter destinas creta meronibus ex ulva palustri factis calcetur. La véritable signification du mot mero est très incertaine, bien que le sens indique clairement qu'il est ici question de sacs ou autres choses semblables. Cesariano, Caporali et Philander croient qu'il faut lire perones, qui signifie bottes ou chausses, comme si Vitruve voulait que ces paquets fussent longs et étroits, de même qu'étaient les sacs dont Pline dit que Chersiphron se servit pour poser les pierres énormes des architraves du temple de Diane d'Éphèse (Hist. Nat., liv. XXVI , ch. 21). Différentes éditions de Pline portent perones, herones, ærones, Cujas, Turnèbe et Saumaise veulent qu'on lise herones, mannequins.
Ex ulva palustri
. Ce jonc ou plante de marais, que les anciens appellent ulva, est demeurée inconnue aux botanistes. Virgile en parle (Énéide liv. II , v. 135 , et liv. VI , v. 416) comme d'une plante aquatique. Ce doit être cette espèce de joncs, très communs dans les marais, dont on se sert en Italie pour rempailler les chaises et entourer les bouteilles. Ces joncs entrelacés empêchaient l'argile qui était dedans de se dissoudre trop vite dans l'eau, ce qui donnait le temps de battre et de pétrir ces paquets.

133.- Tunc cochleis, rotis, tympanis. Ces machines sont expliquées aux ch. 9 et 11 du liv. X

134. - Navaliorum. Ce mot est mis pour navalium, par le changement de déclinaison. On trouve aussi viridiorum, anciliorum, saturnaliorum. Vectigaliorum a souvent été employé par Asinius Pollion, s'il faut en croire ce que dit Macrobe au liv. 1er de ses Saturnales.

135. - Tineam, teredines.... procreant. Vitruve établit une différence entre la teigne et le térédon, comme Pline qui fait du térédon un insecte marin, et de la teigne un insecte terrestre. Théophraste avait dit avant lui (Hist. des plantes, liv .V) : « Le térédon a le corps petit, la tête grosse ; il est armé de dents. La teigne ressemble à un petit ver qui perce insensiblement le bois. »
Les Latins ont écrit que le térédon rongeait les vaisseaux
Estur ut occulta vitiata teredine navis.
(OVIDE, de Ponto, lib. I, ep. 1.)
Voyez PLINE, Hist. Nat., liv. XVI , ch. 80.