Hippocrate

HIPPOCRATE

 

TOME IV

DES ARTICULATIONS : ARGUMENT

des articulations (1 à 50)

 

HIPPOCRATE

 

 

 

ŒUVRES

 

COMPLÈTES

 

D'HIPPOCRATE,

 

TRADUCTION NOUVELLE

AVEC LE TEXTE GREC EN REGARD,


COLLATIONNÉ SUR LES MANUSCRITS ET TOUTES LES ÉDITIONS ;


ACCOMPAGNÉE D'UNE INTRODUCTION,


DE COMMENTAIRES MÉDICAUX, DE VARIANTES ET DE NOTES PHILOLOGIQUES;


Suivie d'une table générale des matières.

 

PAR É. LITTRÉ,


DE L'INSTITUT (ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES - LETTRES ),

DE LA SOCIÉTÉ D'HISTOIRE NATURELLE DE HALLE,


Tοῖς τῶν παλαιν ἀδρῶν
ὁμιλῆσαι
γράμμασι.
GAL.


TOME QUATRIÈME.



A PARIS,

CHEZ J. B. BAILLIÈRE,

LIBRAIRE DE L'ACADÉMIE ΡΟΥΑΛΕ DE MÉDECINE,


RUE ΔΕ Λ'ΕΨΟΛΕ-ΔΕ-ΜΕΔΕΨΙΝΕ, 17.

LONDRES, CHEZ H. BAILLIÊRE, 219, REGENT-STREET ;


1844.

ΠΕΡΙ ΑΡΘΡΩΝ.

DES ARTICULATIONS.

ARGUMENT.

I. Hippocrate entre en matière par l'histoire de la luxation scapulo-huinérale ; il commence par dire que, sans nier l'existence des luxations en haut, en dehors et en avant, il n'a jamais vu que la luxation en bas. Il passe en revue les différentes méthodes de réduction: 1° la méthode par la main, susceptible de divers procédés ; 2e la méthode par le talon; 3° la méthode par l'épaule; 4° la méthode par le bâton; 5° la méthode par l'échelle; 6° la méthode par l'ambe, qui est celle qu'il préfère; il la regarde comme seule propre à triompher des luxations anciennes. Il examine les conditions qui rendent les luxations plus ou moins faciles ; il indique le mode de pansement, la position, les soins que réclame une luxation.de l'épaule réduite. Puis il donne les signes de la luxation du bras : comparaison avec le bras sain, saillie de la tête de l'humérus dans l'aisselle ; affaissement du moignon de l'épaule; saillie de l'acromion (ici il avertit de ne pas se laisser tromper par la luxation acromiale de la clavicule); écartement du coude, qu'on ne rapproche de la poitrine qu'en causant de la douleur; impossibilité de porter le bras le long de l'oreille, le coude étant étendu, et impossibilité de faire exécuter au bras des mouvements de va-et-vient. Il s'occupe du traitement radical de ceux qui sont sujets à de fréquentes récidives de la luxation de l'épaule : ce traitement consiste en cautérisations, dont il indique la position. 2 Enfin Hippocrate termine le chapitre relatif à l'épaule en décrivant les altérations que les os et les chairs .éprouvent quand une luxation, survenue soit dans l'âge adulte, soit dans la période de croissance, est demeurée non réduite.

Le chapitre suivant est relatif à la luxation acromiale de la clavicule. Après avoir indiqué le traitement, il ajoute que cet accident ne produit aucune lésion dans les mouvements de l'épaule, mais qu'il est impossible d'obtenir la coaptation exacte.

La fracture de la clavicule, si elle est exactement en rave, est plus difficile à maintenir réduite que si elle est oblique. Le fragment sternal est celui qui ordinairement fait saillie, et on ne peut en obtenir rabaissement; cette remarque sert à Hippocrate de règle critique pour apprécier les différents appareils que des médecins avaient proposés dans le traitement de cette fracture. Suivant lui, il n'y a pas autre chose à faire qu'à maintenir le coude rapproché du tronc, et l'épaule aussi élevée que possible. Il passé en revue deux autres cas, celui où le fragment acromial fait saillie, et celui où les fragments se déplacent dans le sens du diamètre antéro-postérieur. Chacune de ces lésions est le sujet de remarques utiles à la pratique.

Ici vient un abrégé d'un chapitre du livre Des fractures, chapitre relatif aux lésions du coude, et comprenant les luxations postérieures incomplètes ou du moins ce qu'il nomme inclinaisons du coude (γκλίσιες, t. 3, p. 544), les luxations latérales complètes, les luxations en avant et en arrière, là luxation du radius. Un paragraphe relatif aux effets consécutifs des luxations non réduites est sans analogue dans le traité Des fractures.

Chose singulière! immédiatement après vient un autre abrégé plus court du même chapitre du livre Des fractures, et comprenant, dans l'ordre suivant, les luxations latérales complètes, les luxations en avant et en arrière ; les luxations postérieures incomplètes, ou inclinaisons.

3 Quelques mots sur l'idée générale qu'on peut se faire des réductions sont jointe à ce chapitre.

Les luxations du poignet forment le chapitre suivant L'auteur y traite des luxations incomplètes du poignet en avant ou en arrière, des luxations complètes du poignet en avant ou en arrière, des luxations latérales du poignet, de la luxation du cubitus ou du radius, et de la diastase de l'articulation inférieure de ces deux os. Il y examine aussi les résultats des luxations du poignet non réduites, congénitales ou non. Tout cela n'est qu'un abrégé, ainsi qu'on le voie clairement par la comparaison avec le chapitre précédent , mais l'original est perdu. C'est à cet original perdu qu'il est fait allusion dans le traité Des fractures, t. iii, p. 450, l. 1, et p. 462, l. 1.

Lee luxations des doigts suivent les luxations du poignet; c'est encore un abrégé, mais cette fois-ci l'original est conservé, ou du moins il se trouve dans le traité même Des articulations, § 80, un chapitre qui a de grandes analogies avec cet abrégé.

La mâchoire peut éprouver une luxation d'un seul condyle ou de deux condyles. Hippocrate ajoute que les luxations incomplètes ne sont pas rares. Il donne les signes de la luxation soit d'un des condyles, soit des deux, et il détaille la manœuvre par laquelle on opère la réduction.

A l'histoire de la luxation de la mâchoire, Hippocrate a rattaché celle des fractures de cet os. Il les divise en fracture sans déplacement, fracture avec déplacement, et fracture de la symphyse du menton.

Dans la fracture du nez, Hippocrate blâme les bandages que les médecins ont l'habitude d'appliquer, et il déduit les raisons de ce blâme. Il examine successivement : 1° la contusion du nez, pour laquelle il conseille de préférence un cataplasme d'une pâte collante ; 2° la fracture du nez avec dépression des fragments ; il faut les redresser jen dedans par l'introduction des doigts ou d'une grosse sonde, en dehors 4 en comprimant le nez entre les doigts ; on met à demeure un tampon dans les narines, si la fracture est tout-à-fait en avant; sinon, on place aussi longtemps qu'on peut, pendant le temps de la consolidation, qui est court, deux doigts le long du nez, destinés à maintenir la coaptation ; 3° la fracture du nez avec déviation latérale ; le procédé de réduction est le même ; Hippocrate conseille en outre de coller, du côté de la narine déjetée, une pièce de cuir que Ton mène par dessus le nez au-dessous de l'oreille et autour de la tête, et avec laquelle on maintient le nez redressé; 4° la fracture du nez compliquée ; la complication de plaie ou d'esquilles ne doit rien faire changer au traitement.

La fracture de l'oreille (1) n'admet, selon Hippocrate, ni bandage, ni cataplasme; le mieux est de n'y rien mettre. S'il s'y forme de la suppuration, on ne se pressera pas d'ouvrir, car souvent le pus se résorbe; et, si l'on ouvre, on doit être prévenu que le pus est à une plus grande profondeur qu'on ne croirait. Hippocrate pense qu'en cas de suppuration, le meilleur moyen de prévenir la dénudation du cartilage est de brûler l'oreille avec un fer rouge.

Hippocrate passe à la colonne vertébrale. Les gibbosités de cause interne sont rarement susceptibles de guérison ; cependant il indique quelques terminaisons heureuses de cette affection. Dans la plupart des cas la gibbosité persiste; et alors Hippocrate examine les effets qu'elle produit soit pour l'attitude, soit pour le développement des membres, suivant qu'elle siège au-dessus ou au-dessous du diaphragme. Il mentionne la coïncidence de la gibbosité avec la présence de tubercules dans le poumon; il attribue la gibbosité à des tubercules qui sont en communication avec les ligaments vertébraux, et il parle des abcès par congestion ; après quel- 5 ques remarquée de pronostic, il remet à traiter plus amplement des gibbosités de cause interne, quand il parlera des affections chroniques du poumon. (Ce traité, ou n'a pas été fait, ou a été perdu dès avant l'ouverture des bibliothèques alexandrines.) Quant aux gibbosités de cause externe, il discute la méthode de la succussion, méthode qu'il déclare n'avoir jamais employée, parce qu'elle lui parait plutôt le fait des charlatans, mais qui, si elle était convenablement mise en œuvre, pourrait obtenir quelques succès. Il indique alors les précautions qu'il faudrait prendre (et que, dit-il, on ne prend pas), pour qu'elle réussît. Avant d'exposer sa pratique propre, il donne une description du rachis et en tire des conséquences sort pour établir les conditions de la luxation des vertèbres, soit pour relever les erreurs que certains médecins commettaient à cet égard. Dès lors Hippocrate traite du déplacement des vertèbres en arrière; l'appareil qu'il emploie pour y remédier est un appareil d'extension et de contre-extension, combinées avec la pression eur la vertèbre déplacée, pression qu'on opère soit avec la main, soit avec le talon, soit avec une planche. Quant au déplacement des vertèbres en avant, non seulement il est plus grave en soi que le déplacement en arrière, mais encore la réduction est fort chanceuse, attendu qu'on n'a à sa disposition que l'extension, sans pouvoir y joindre une pression sur la vertèbre déplacée. Hippocrate termine ce très-remarquable chapitre, en appelant l'attention sur la commotion du rachis.

Il fait observer à ce propos que des lésions considérables peuvent être innocentes, tandis que des lésions peu considérables peuvent être fâcheuses, et il cite en exemple la fracture des côtes, qui est généralement peu grave, et la contusion de la poitrine, qui souvent est suivie d'accidents. Il expose le traitement de la fracture des côtes et de la contusion de la poitrine.

Les luxations du fémur sont au nombre de quatre : luxation en dedans, luxation en dehors, luxation en arrière, 6 luxation en avant. Luxation en dedans : Hippocrate en expose les signes; il indique les effets de la non-réduction de cette, luxation, congénitale ou survenue chez un adulte, soit sur la marche, soit sur le développement des os, soit sur la nutrition des parties molles. Hippocrate suit ta même méthode pour la luxation en dehors, la luxation en arrière, et la luxation en avant.

Ici le traité Des articulations, au lieu de continuer le sujet des luxations de la cuisse, et d'en indiquer le traitement, s'engage dans quelques considérations sur les luxations en général. L'auteur établit que les luxations de la cuisse et de l'épaule ne peuvent jamais être incomplètes, et que la tête des deux os ou sort tout-à-fait de la cavité articulaire ou n'en sort pas du tout. Il remarque en même temps que, dans toute luxation, le déplacement est plus ou moins considérable, et, par conséquent, la difficulté de réduire plus ou moins grande. Aussi ajoute-t-il que certaines luxations congénitales ou du bas-âge sont susceptibles de réduction, si le déplacement est peu étendu.

Ceci le conduit au pied bot, Hippocrate expose avec grand détail le mode de réduction, l'application du bandage, et les soins qu'il faut continuer après que l'enfant commence à marcher.

Le chapitre suivant est consacré à l'examen des luxations compliquées de l'issue des extrémités articulaires à travers la peau. Hippocrate passe en revue la luxation du pied avec issue des os de la jambe, celle du genou avec issue soit du tibia, soit du fémur, celle du poignet avec issue des os de l'avant-bras et celle du coude avec issue soit des os de l'avant-bras, soit de l'humérus. Le danger est d'autant plus grand que les os ainsi luxés sont plus rapprochés du tronc. Hippocrate défend expressément toute réduction, toute tentative de réduction. Suivant lui, c'est condamner le blessé à la mort que de réduire dans des cas pareils ; au contraire, si on ne réduit pas, le blessé a des chances de salut, d'autant plus nom- 7 breuses que l'os est plus éloigné du tronc. Hippocrate expose avec détail le traitement tant externe qu'interne qui convient dans ces accidents. Le précepte de ne pas réduire est formel; Hippocrate ne fait d'exception que pour les luxations des phalanges avec issue à travers les parties molles; cas pour lequel il indique en grand détail le mode de réduction, les précautions qu'il faut prendre, et le traitement qu'il faut suivre.

L'accident dont il est question ensuite, est l'ablation complète des extrémités, faite par un instrument tranchant. Hippocrate ne mentionne que la section des doigts, celle du pied ou de la main, et celle de la jambe dans le voisinage des malléoles ou de l'avant-bras dans le voisinage du carpe. Suivant lui, ces accidents sont la plupart du temps sans conséquences funestes, à moins qu'une lipothymie n'enlève le blessé au moment même, ou qu'il ne survienne consécutivement une fièvre continue.

En poursuivant l'examen des accidents auxquels les extrémités sont exposées, Hippocrate arrive à la gangrène, résultat d'une constriction excessive dans le cas d'une hémorragie, ou d'une compression trop forte exercée par le bandage sur une fracture. Il la divise en profonde et superficielle; il indique le traitement à suivre dans chacun de ces cas ; il veut que l'ablation des parties en cas de gangrène profonde se fasse toujours dans le mort.

Après cela, il revient aux méthodes de réduction pour les luxations de la cuisse. La luxation en dedans peut se réduire par la méthode de la suspension, qu'il décrit minutieusement ; elle peut se réduire aussi à l'aide de la machine à treuil (bathrum, banc) et du levier ; et là il donne une description détaillée de cette machine. Cette machine avec le levier s'applique aussi à la réduction de la luxation en dehors, à laquelle la suspension est inapplicable. Dans la luxation en arrière et dans la luxation en avant, l'extension et la contre-extension, exécutées par la machine à treuil, sont 8 combinées avec une pression sur la tête de l'os déplace. Hippocrate remarque que la suspension pourrait aussi être employée dans la luxation en avant. De là, il vient à discuter la méthode de Foutre ; il fait voir que celte méthode est très-peu efficace, qu'elle ne s'applique qu'à la luxation en dedans, et dans tous les cas il enseigne comment il faut s'y prendre pour la rendre aussi peu défectueuse que possible. Il termine le chapitre de la réduction des luxations de la, cuisse en donnant quelques indications pour utiliser les objets domestiques qu'à défaut de moyens mieux appropriés, on convertira en appareils improvisés de réduction.

Ici sont intercalés quelques préceptes sur l'avantage de réduire aussitôt que possible les luxations.

Les luxations des phalanges, les procédés de réduction et le traitement consécutif viennent ensuite.

Enfin le traité Des articulations se termine par un morceau emprunté au Mochlique et comprenant les luxations du genou et celle des os du tarse, du calcanéum et du pied.

Examinons successivement quelques-unes des difficultés du traité Des articulations.

II. L'observation suivante, empruntée à M. Chaplain Durocher ( Sentences et observations d'Hippocrate sur la toux, thèse soutenue à Paris le 8 frimaire an xii, p. 37),éclaircit ce qu'Hippocrate a entendu par γαλιάγκων : « Le mot de γαλιάγκωνες, dit-il, a été rendu en latin par les mots de mustelani ou mustelœ brachio prœditi, mustelanci ou simplement anci, et en français par les expressions de coudes de belettes, bras courts ou bras accourcis. Le galianconisme peut exister également des deux côtés , ou , ce qui est le plus ordinaire , ne se trouver qu'à un seul, et il peut être déterminé par toutes les causes capables d'empêcher le développement de l'humérus, ou de détruire une portion plus ou moins grande de son corps, de son extrémité scapulaire. Ainsi, comme l'a remarqué Hippocrate , lorsque, dans la jeunesse, une luxation du bras n'est pas réduite, l'humérus prend moins d'accrois- 9 sement, le bras est plus court, il devient plus grêle à l'extrémité scapulaire, et les mouvements, surtout d'élévation et d'abduction, sont moins libres que dans l'état ordinaire. Dans ce cas, dont nous avons eu deux exemples, raccourcissement existe seulement .d'un côté ; l'autre bras conserve ses proportions, son volume naturel, et on trouve par la dissection que la tête de l'os déplacé est appuyée contre le scapulum, au-dessous ou à côté de la cavité glénoïde, qui est plus ou moins effacée; enfin on voit qu'il s'est formé une nouvelle surface articulaire, sur laquelle s'exécutent les mouvements du bras. Nous n'examinerons pas si, comme l'avance Hippocrate, le fœtus peut éprouver dans l'utérus une luxation du bras; nous avons bien vu un fœtus naître avec une luxation récente du cubitus et qui paraissait avoir été produite par des mouvements convulsifs très-violents que le fœtus avait éprouvés et dont la mère s'était bien aperçue ; mais il nous paraît difficile de concevoir comment une articulation qui présente une surface aussi grande que celle de l'humérus avec le scapulum peut se luxer dans le fœtus. La luxation d'ailleurs nous paraît la cause la moins fréquente de raccourcissement du bras; il nous paraît au contraire qu'il est plus ordinairement la suite des abcès, de la fracture ou du décollement de l'extrémité scapulaire de l'humérus.

« Dans la manœuvre d'un accouchement laborieux, la sage-femme, obligée d'introduire le doigt sous l'aisselle pour amener le fœtus, s'aperçut, après avoir fait l'extraction, qu'il y avait au bras une mobilité, un gonflement extraordinaires; l'examen de l'enfant me fit découvrir une fracture ou décollement de l'extrémité scapulaire. Je conseillai du repos, l'application d'un léger bandage, l'apposition du bras contre le thorax; mais l'enfant fut envoyé en nourrice, mes conseils oubliés , et, loin de tenir la partie en repos, on avait grand soin, toutes les fois qu'on changeait les langes de l'enfant, de la remuer pour y appliquer divers onguents, cataplasmes ou fomentations conseillées par toutes les commères.10 A la fin du mois, il se forma un abcès qui se fit jour spontanément par plusieurs petites ouvertures. La suppuration se tarit après quelques mois, et, lorsqu'à la fin de l'année l'enfant fut rendu à sa mère, il paraissait bien guéri, seulement le bras était plus court, plus maigre, et les mouvements très bornés. Le sevrage, la dentition, la diarrhée firent périr cet enfant le quatorzième mois après sa naissance, environ deux mois après avoir été ramené à la maison paternelle.

κ La dissection fit voir : 1° que l'épiphyse cartilagineuse qui forme l'extrémité scapulaire de l'humérus avait été séparée du corps de l'os; 2° qu'elle s'était agglutinée et intimement unie dans la cavité glénoïde du scapulum, de sorte qu'au lieu d'une cavité, le scapulum présentait une tête ou éminence articulaire, arrondie dans son milieu, aplatie, affaissée sur ses bords; 3° que le corps de l'humérus avait perdu plus d'un quart de sa longueur; 4° que l'extrémité de cet os, qui avait été séparée de son épiphyse , était concave, lisse, cartilaginiforme, et formait une nouvelle surface articulaire très-remarquable; 5e que le pourtour de cette nouvelle articulation était garni par un tissu filamenteux, compact, qui formait une sorte de capsule articulaire ; 6° enfin, que les muscles qui forment le sommet du bras avaient perdu de leur forme, de leur volume. »

III. σοισι δ' ἂν τ ρώμιον ποσπασθ, quibus summus humérus avulsus est, § 13, qu'entend Hippocrate par cet arrachement de l'acromion? Ambroise Paré (2), pense qu'il s'agit de la luxation de l'extrémité acromiale de la clavicule. Cette opinion est aussi celle de Boyer. Les signes que donne Hippocrate sont que l'os arraché fait saillie, que le moignon de l'épaule est bas et creux, et que cette luxation simule une luxation de l'humérus. Ces signes sont ceux de la luxation acromiale de la clavicule.

11 Il n'est donc pas douteux qu'il s'agisse de cette luxation. Mais comment Hippocrate s'est-il représenté l'état des parties dans cette luxation? Il parle en termes exprès de l'acromion. A-t-il supposé que l'extrémité de l'acromion se fracturait, et que la clavicule se déplaçait avec le, fragment attenant ? On trouve dans Astley Cooper un cas de luxation de la clavicule avec fracture de l'acromion : « Un homme fit une chute et fut admis à l'hôpital de Saint-Thomas en 1814, le 19 octobre. Au premier abord l'épaule parut luxée (3); mais un peu d'attention montra qu'il n'en était rien... le blessé succomba à une affection de poitrine. En examinant le corps, on trouva la clavicule luxée à son extrémité scapulaire, et s'avançant beaucoup au-dessus de l'épine de l'omoplate. L'acromion était fracturé dans l'endroit même où il est uni à la clavicule ( A treatise on dislocations, Londres, 1822, p. 408). »

Ou bien faut-il rattacher l'explication du texte d'Hippocrate à une opinion anatomique qui avait cours dans l'antiquité? Un très-ancien anatomiste, Eudème, qui paraît avoir été contemporain d'Hérophile, faisait de l'acromion un petit os: « L'acromion, dit Rufus (Du nom des parties), est le lien de la clavicule et de l'omoplate. Eudème dit que c'est un petit os (4). » Galien, dans son commentaire du traité Des articulations, dit que l'acromion est un os cartilagineux placé sur l'union de la clavicule et de l'omoplate, πικείμενον τ συζεύξει τς κλειδς καὶ τῆς μοπλάτης. Et dans le traité Des parties de l'homme (13, 11) : « La clavicule est attachée à l'épine de l'omoplate par un petit os cartilagineux, qu'il ne faut pas chercher dans les singes. En ceci, comme en d'autres parties, leur organisation est inférieure à l'organisation humaine. L'homme a cet os en plus, pour sûreté. Les deux extrémités 12 des os ne sont pas unies par des liens seulement, elles le sont encore, de surcroît, par un autre os cartilagineux qui est placé au-dessus de ces extrémités. »

Dans le livre De ossibus attribué à Galien, on lit : Alii praeter haec ambo (jugulum et scapulam) quae conjunguntur, tertium os esse inquiunt, quod in ipsis tantummodo hominibus deprehenditur, id catacleida et acromion appellant.

Non seulement Paul d'Egine a admis l'existence de ce petit os appelé acromion, mais encore, après avoir décrit la luxation acromiale de la clavicule, il décrit, à part, la luxation de cet acromion. Voici les paroles de cet auteur : « L'extrémité de la clavicule qui est articulée avec l'épaule, ne se luxe guère, empêchée qu'elle est et par le muscle biceps et par l'acromion. La clavicule n'a, non plus, par elle-même, aucun mouvement violent ; elle n'a pas d'autre objet que d'empêcher la poitrine de s'affaisser. L'homme est le seul animal qui ait une clavicule. S'il arrive, dans la palestre sans doute, que la clavicule se luxe, on fera la réduction avec les mains, et on la maintiendra en place avec des compresses pliées en double, soutenues parles bandages convenables. Le même traitement ramène en place l'acromion subluxé ; c'est un petit os cartilagineux, unissant la clavicule à l'omoplate; on ne le voit pas dans les squelettes. Déplacé, il présente aux personnes inexpérimentées l'apparence d'une luxation de la tête de l'humérus ; car dans cette subluxation de l'acromion le moignon de l'épaule paraît plus pointu, et l'endroit d'où cet os s'est déplacé est creux (6, 113). » Ainsi Paul d'Egine distingue la luxation acromiale de la clavicule de la luxation de l'acromion ; et par les signes qu'il assigne à cette dernière luxation, et qui sont ceux que Hippocrate attribue à l'arrachement de l'acromion, on voit qu'il a entendu que cet arrachement était ce que lui, Paul d'Egine, appelle luxation de l'acromion.

Cocchi (Chirurg. vet., p. 133) dit, en parlant de cet acromion et du commentaire de Galien : Verborum vis (de ce 13 commentaire ) prohibet ne hoc de cartilagine intelligamus, qua tegitur extrema appendix spinae scapulae, seu processus ejus superior, summus humerus dictus et acromion, quo jugulo jungitur, vel de exili quadara cartilagine, quae in ea commissura aliquando intercedat, neque hoc fert ipsius Hippocratis sententia si recte iilum interpretari velimus. Ce petit cartilage dont parle Cocchi est ainsi décrit : « Le ligament capsulaire (connexio claviculœ cum acromio) réunit l'apophyse acromion de l'omoplate avec le bord humerai de la clavicule. On peut donc lui donner le nom de ligament acromio-claviculaire (ligamentum acromio-claviculare). Il est court, très-tendu, quelquefois double. Ce dernier cas a lieu quand il existe, entre les deux os , une cartilage inter-articulaire, qui n'est pas constant, et qui se fond assez souvent d'une manière complète avec eux (Manuel d'anatomie par J.-F. Meckel, traduit par A.-J. L. Jourdan et G. Breschet; Paris, 1825, t. II, p. 26). »

Il n'est guère probable que Galien et les anciens aient voulu parler de ce cartilage , et je ne puis saisir ce qu'ils ont entendu par cet acromion cartilagineux. Hippocrate se représente l'acromion comme le lien de la clavicule et de l'omoplate ; il en fait l'attribut de l'homme à l'exclusion des autres animaux ; il est possible, bien qu'il ne le dise pas, qu'il Tait considéré aussi comme un os à part, et que l'ancien anatomiste Eudème ait puisé son opinion sur l'acromion dans une anatomie encore plus vieille et qui remontait par de là Hippocrate. Dans tous les cas, ce dernier s'est fait une fausse idée de la disposition des parties dans l'état d'intégrité, et, par suite, de l'état des choses après la luxation.

IV. Hippocrate, exposant les conditions individuelles qui favorisent la luxation de l'épaule, dit que les personnes qui ont perdu leur embonpoint y sont plus sujettes qu'auparavant. Pour appuyer son dire, il invoque l'observation de ce qui se passe chez les bœufs : ces animaux sont plus maigres en hiver pour des raisons qu'il déduit longuement, 14 et l'amaigrissement facilite les luxations ; aussi est-ce pendant l'hiver que les luxations coxo-fémorales sont le plus fréquentes chez ces animaux. Tel est 1er raisonnement d'Hippocrate. Des renseignements que j'ai pris ne l'ont pas confirmé; ces luxations, rares en tout temps chez le bœuf, ne paraissent pas plus fréquentes en hiver que dans les autres saisons. Mais (ce qui est très-curieux) le Colchique, qui donne l'extrait de ce passage, l'a modifié, et, autant que j'en puis juger, véritablement corrigé. Suivant le Mochlique, il ne s'agit pas de la luxation coxo-fémorale chez les bœufs ; il s'agit de la saillie de l'extrémité supérieure du fémur, saillie que la maigreur rend plus apparente ; il en résulte des erreurs, on essaie de réduire les parties saillantes, on applique des bandages, et toutefois il n'y a pas de luxation. J'ai adressé à M. le docteur Bixio, qui publie le Journal d'agriculture pratique, des questions sur cet objet, il m'a répondu ce qui suit : « Il arrive souvent que les animaux de l'espèce bovine sont atteints d'une claudication des membres postérieurs, qui simule, à tromper parfaitement les yeux, une luxation de l'articulation coxo-fémorale. Cette claudication est due au déplacement d'un muscle; on rétablit instantanément la liberté des mouvements par4a section de la branche musculaire déplacée. C'est sans doute cet accident fréquent qu'Hippocrate aura observé et confondu avec la luxation. Je ne sais rien dans les membres antérieurs qui soit semblable à cela; la luxation de l'articulation scapulo-humérale est très-rare, et n'est simulée par rien. Maintenant la claudication du membre postérieur est-elle plus fréquente chez les bœufs maigres que chez les bœufs gras? je ne sais, mais je suis porté à le croire, l'état de vacuité des interstices musculaires devant nécessairement permettre un déplacement plus facile de leurs faisceaux. »

Hippocrate, en parlant de l'amaigrissement des bœufs, dit qu'ils ne peuvent paître l'herbe courte. « Quant à la question de savoir, continue M. Bixio, si les bœufs se plai- 15 sent plus à paître l'herbe haute que l'herbe courte, cela n'est point douteux. La mâchoire inférieure du bœuf, dépourvue de dents incisives, ne lui permet pas de couper facilement les herbes lorsqu'elles sont à ras de terre, parce qu'elles offrent peu de prise à l'appareil de préhension que constituent les mâchoires. Pour compenser cette imperfection, si tant est que cela en soit une, la nature a donné à la langue du bœuf une conformation qui la rend parfaitement apte à la préhension des herbes hautes sur tige. Cette langue est très-musclée, très-longue et revêtue, sur son plan supérieur, d'une multitude de pointes mousses, de nature cornée, disposées en arrière en manière de crochets. Lorsque le bœuf veut arracher les herbes, il contourne leurs tiges avec sa langue, et par un mouvement de rétraction de cet organe il les rompt. Cette aptitude du bœuf à se nourrir préférablement d'herbes hautes est si bien connue, que dans les pâturages on fait paître d'abord les bêtes à cornes, puis les chevaux, qui par la disposition de leurs incisives peuvent tondre l'herbe au ras du sol. »

V. Le § 24 : ἢν δὲ ἑτεροκλινς ἔῃ, ἐν τῇ διορθώσει μφότερα ἅμα χρ ποιέειν, est fort obscur, à cause de l'extrême brièveté. Il est susceptible de trois significations : 1° les luxations postérieures incomplètes ou inclinaisons d'Hippocrate ; 2° la luxation du radius qui persiste quelquefois après la réduction d'une luxation postérieure du coude ; 3° la luxation du radius en arrière et en avant. On n'a, pour se guider ici, que le passage parallèle du traité Des fractures dont le morceau du traité Des articulations est un extrait. Or, notre phrase :  ν δ τεροκλινς κτλ. vient après les luxations en avant et en arrière du coude ; c'est aussi la position que le chapitre relatif aux luxations du radius occupe dans le traité Des fractures (voy. t. 3, p. 555, § 44) j c'est la seule raison qui pourrait foire attribuer à τεροκλινς le sens de luxation du radius. Quant à la seconde signification, si on ponctuait ν δ τεροκλινς ἕῃ ν τῇ διορθώσει, ἀμφτερα μα χρ ποιέειν, on pourrait entendre,  16 comme ce qui précède immédiatement est relatif à la luxation du coude en arrière, qu'il s'agit du déplacement du radius qui persiste ou qui se reproduit après la réduction de la luxation en arrière. Reste enfin la première explication : elle s'appuie sur le mot même employé ici, et qui paraît représenter la phrase du traité Des fractures : ἔστι δὲ καὶ τούτων τ μν πλεστα σμικρα γκλίσιες, Les luxations du coude sont la plupart du temps de petites inclinaisons (t. 3, p. 544, § 39-40), phrase par laquelle on peut croire qu'Hippocrate désigne les luxations postérieures incomplètes ; c'est pour ce dernier sens que je me suis décidé dans la traduction. Quant à μφότερα μα χρ ποιειν, si l'on se réfère à ce qui précède immédiatement, cela signifiera faire simultanément la flexion de l'avant-bras et la coaptation. Si au contraire on se réfère au traité Des fractures, t. 3, p. 547, et au premier extrait qui s'en trouve dans le traité même Des articulations, on interprétera cela par pratiquer en même temps l'extension et la coaptation.

VI. Hippocrate, en parlant de la luxation du poignet, dit (§ 26): « Manus articuils in interiorem aut exteriorem partem luxatur (Foes); » et il ajoute que, si la luxation est en avant, le blessé ne peut fléchir les doigts; si en arrière, il ne peut les étendre. Par conséquent, dans la luxation en avant les doigts sont étendus, et dans la luxation en arrière ils sont fléchis. Dans un autre passage (§ 64), où il est question de la luxation du poignet avec issue des os de l'avant-bras, ce sont les os de l'avant-bras qui se déplacent, non le carpe , et, là encore, il se sert des mêmes désignations, et indique les mêmes symptômes; ce qui prouve que, pour désigner la luxation du poignet, Hippocrate considère, non, comme Boyer, le carpe, mais, comme Astley Cooper, les os de l'avant-bras. M. Malgaigne, dans son Mémoire sur les luxations du poignet et sur les fractures qui les simulent, a reconnu ce fait avec la sagacité qui lui est habituelle : « Le plus important à noter, dit-il, c'est que les symptômes indiqués par 17 Hippocrate, et que la physiologie indique naturellement, ont été enseignés à rebours par la plupart des écrivains venus après. On a cru que la luxation du poignet en avant signifiait le déplacement des os du carpe en avant, faute d'avoir recouru au second passage, où l'on aurait pu reconnaître que la saillie en avant est celle des os de l'avant-bras. De là une longue série d'erreurs (Gaz. méd., 1832, p. 731). » Cela est bien entendu : Hippocrate désigne les luxations du poignet par les os de l'avant-bras ; et il admet que, lorsqu'ils passent en avant du carpe, le blessé ne peut fléchir les doigts, et que, lorsqu'ils passent en arrière du carpe, le blessé ne peut étendre les doigts.

Comparons-lui d'autres chirurgiens. Boyer, qui considère le carpe, dit que dans la luxation en devant (c'est la luxation en arrière d'Hippocrate) la main est fixée dans une extension proportionnée au degré du déplacement, et les doigts plus ou moins fléchis; que dans la luxation en arrière (c'est la luxation en avant d'Hippocrate ) la main, est fixée dans la flexion, les doigts sont étendus ou peuvent l'être sans effort. C'est, avec des dénominations différentes, une exposition qui coïncide avec celle d'Hippocrate.

Il n'en est pas de même d'Astley Cooper. Celui-ci se sert, il est vrai, des mêmes dénominations qu'Hippocrate, et sa luxation en avant est celle du médecin grec ; mais il dit que la main est renversée eu arrière dans la luxation en arrière, il ne spécifie pas la position des doigts. Cela suffit néanmoins pour montrer son désaccord avec Boyer, et par conséquent avec Hippocrate. Dans la même luxation, appelée par Boyer luxation en arrière, par Hippocrate et Astley Gooper luxation en avant, d'après Boyer la main est dans la flexion, d'après Astley Gooper elle est renversée en arrière. Il y a ici une divergence du tout au tout. Quelle en est la cause? je ne sache pas qu'on s'en soit enquis, on a supposé qu'il n'y avait entre les chirurgiens de différence que pour les dénomina- 18 tions suivant l'os ou les os dont ils considéraient le déplacement. On voit qu'il y a quelque chose de plus.

Boyer dit que les luxations du poignet en avant et en arrière sont produites dans une chute l'une sur la paume, l'autre sur le dos de la main ; et, dans une observation rapportée plus loin, il cite un cas de luxation en arrière (en avant d'Hippocrate et d'Astley Cooper) qui fut causé par une chute sur le dos de la main. Par conséquent, il entendait que la luxation en avant (en arrière d'Hippocrate et d'Astley Cooper) était causée par une chute sur la paume de la main.

De son côté, Astley Cooper admet que la luxation en avant (en arrière de Boyer) est causée par une chute sur la paume de la main, et que la luxation en arrière (en avant de Boyer) est causée par une chute sur le dos de la main. Ceci est le contraire de Boyer. Non seulement Astley Cooper attribue aux luxations du poignet en avant et en arrière des symptômes qui sont opposés à ceux que Boyer leur attribue, mais encore il les suppose produites par un mécanisme opposé à celui que Boyer suppose.

Ainsi, entre trois hommes d'un savoir consommé et d'une expérience considérable, Hippocrate, Boyer et Astky Cooper, quand les os de l'avant-bras passent au-devant du carpe, Hippocrate pense que les doigts sont étendus, Boyer que les doigts sont étendus ou peuvent l'être sans effort, et que la main est fixée dans la flexion, Astley Cooper que la main est renversée en arrière ; Boyer pense que la luxation est produite par une chute sur le dos de la main, Astley Cooper qu'elle l'est par une chuta sur la paume de la main.On roit, par ces contradictions, que la doctrine des luxations du poignet est loin d'être éclaircie.

Je viens immédiatement à une observation fort curieuse et qui me semble importante dans la question. M. Haydon (Lond. Med, Gazette, septembre 1840 ) a rapporté un cas d'autant plus intéressant que, sur une même personne et par une forée appliquée de la même manière, il y eut, dans un 19 membre luxation de carpe en arrière, dans l'autre membre luxation du carpe en avant. Le sujet de cette observation est un enfant de treize ans qui fut jeté violemment en bas d'un cheval, et tomba sur la partie supérieure de la face palmaire des deux mains et sur le devant de la tête. Le poignet gauche présentait une protubérance considérable à sa face antérieure; l'apophyse styloïde du radius n'était plus dans sa position en face du trapèze, mais avait été portée devant le carpe et reposait sur lé scaphoïde et le trapèze ; le cubitus était luxé d'avec le radius, et reposait sur l'onciforme. L'avant-bras était légèrement fléchi sur l'humérus. Les doigts étaient semblablement fléchis sur la main dans toutes lettre articulations. Le poignet droit présentait une protubérance considérable à sa face postérieure, protubérance formée par la présence de l'extrémité carpienne du radius et du cubitus. Une protubérance très irrégulière , noueuse , se terminant abruptement sur la face antérieure du poignet, était formée par les os du carpe. L'avant-bras était considérablement fléchi sur l'humérus, et dans une position intermédiaire à la pronation et à la supination ; le pouce, dans une forte abduction ; l'articulation métacarpienne des phalanges, dans la plus forte extension sur le métacarpe ; les deux dernières phalanges dans une légère flexion.

On examina très soigneusement les mains pour déterminer quelles parties avaient été en contact avec le sol. Des contusions très-considérables furent trouvées sur la face palmaire des deux mains, aucune sur la face dorsale.

Nulle trace de fracture; une heure après là réduction des luxations , le patient pouvait communiquer au poignet les mouvements de rotation. La guérison fut parfaite.

Ainsi, dans une chute sur la face palmaire des deux mains, au poignet gauche les os de l'avant-bras ont passé au-devant du carpe, comme le veut Astley Cooper, et au poignet droit ils ont passé en arrière du carpe, comme le veut Boyer.

Quant à la position de la main et des doigts, dans la luxa- 20 tion du poignet gauche (en avant d'Hippocrate et d'Astley Cooper, en arrière de Boyer), les doigts étaient fléchis sur la main dans tontes leurs articulations, ce qui est contraire a Hippocrate, et, jusqu'à un certain point, à Boyer. Dans la luxation du poignet droit ( en arrière d'Hippocrate et d'Astley Cooper, en avant de Boyer), l'articulation métacarpienne des phalanges était dans la plus forte extension sur le métacarpe; les deux dernières phalanges dans une légère flexion ; ce qui est contraire à Hippocrate et à Boyer.

Dans l'histoire d'une luxation complète récente du poignet en arrière ( de Boyer, en avant d'Hippocrate et d'Astley Cooper), publiée par M. Voillemier (Gaz. méd. 1840, page 231), et constatée par l'autopsie, la main était à peine dans la flexion; les doigts presque entièrement étendus étaient demi-fléchis sur le métacarpe. Ici on se rapproche plus d'Hippocrate. Dans une luxation du poignet en arrière (de Boyer, en avant d'Hippocrate et d'Astley Cooper), il existait une déformation de l'articulation radio-carpienne sans changement de direction dans l'axe du membre ; les téguments étaient fortement soulevés en avant par l'extrémité inférieure des os de l'avant-bras; en arrière de cette extrémité, existait une saillie remontant assez haut et formée par la première rangée du carpe; la main était légèrement inclinée, les doigts légèrement fléchis ( Thèse de N. R. Marjolin, p. 32,4  juin 1839). Ici l'état des doigts est différent de celui qu'Hippocrate assigne à cette luxation.

En définitive, le mécanisme et les effets consécutifs des accidents, soit luxations, soit fractures, qui surviennent au poignet, sont loin d'être bien éclaircis ; . et quant aux positions que prennent la main et les doigts, il faut s'en remettre aux résultats que donnent les observations particulières , lesquelles sont jusqu'à présent fort peu communes, surtout avec des détails suffisants.

VII. Nous venons de voir comment Hippocrate dénomme les luxations du poignet. Maintenant examinons quelles es-21 pèces il en a reconnues. D'un côté, il dit : Le poignet se luxe ou en avant ou en arrière ; et un peu plus bas : La main tout entière se luxe en avant ou en arrière ou en dehors ou en dedans. Qu'entend-il par cette distinction? Dans mon opinion, il s'agit, pour le premier cas, de la luxation incomplète du poignet, pour le second, de la luxation complète. Et pour cela je m'appuie sur le passage suivant de Boyer : « Les luxations en dedans et en dehors sont toujours incomplètes, tandis que les luxations en arrière et en devant sont presque toujours complètes; je dis presque toujours-; car il arrive quelquefois que la convexité articulaire du carpe ne sort qu'en partie de la cavité du radius , et qu'alors la luxation en arrière ou en devant est incomplète, comme je l'ai vu plusieurs fois. »

Hippocrate ajoute : «Est ubi ossis accrementum emovetur, interdum quoque alterum os dissidet. » Dans les passages douteux que je discute , je me sers de la traduction latine, parce qu'elle est une espèce de calque et ne décide rien de plus que le grec, tandis que ma traduction, prenant décidément parti pour un sens ou pour l'autre, suppose l'obscurité éclaircie, la difficulté levée. M. Malgaigne (Mémoire cité, p. 731) pense que alterum os dissidet (τ τερον τν στέων διέστη) indique la luxation complète du cubitus. Je crois que cette expression indique la luxation de l'un ou l'autre os, c'est-à-dire du cubitus ou du radius. La luxation de l'extrémité inférieure du cubitus est décrite dans Boyer, et on en trouve plusieurs exemples dans les recueils. Quant à la luxation de l'extrémité inférieure du radius, Boyer n'en parle pas ; mais Astley Cooper Ta décrite en ces termes : «Le radius est quelquefois luxé séparément sur la partie inférieure dur carpe et logé sur le scaphoïde et le trapèze. Le côté externe de la main est, dans ce cas, dévié en arrière, et le côté interne en avant; l'extrémité du radius peut être sentie et vue, formant une protubérance à la partie interne du poignet. L'apophyse styloïde du radius n'est plus située en face du 22 trapèze. » Il faut remarquer, malgré l'autorité du célèbre chirurgien anglais, que l'existence de cette luxation isolée du radius n'est pas suffisamment établie ; mais ici il s'agit de texte, et, sans que cette luxation existe réellement, Hippocrate peut l'avoir admias comme Astley Cooper.

Reste , est ubi ossis accrementum emovetur, ἔστι δ' ὅτε ἡ ἐπίφυσις ἐκινήθῃ) : M. Malgaigne dit (l. c.) : « Le déplacement de l'appendice que Desjardins rapporte, à tort, au cartilage inter-articulaire, semble indiquer la luxation incomplète du cubitus. » Il s'agit de déterminer le sens précis de ἐπίφυσις . Admettre que ce mot, sans autre spécification, signifie plutôt l'apophyse terminale du cubitus que celle du radius, me paraît arbitraire. Si l'on se reporte à la description qu'Hippocrate donne des os de la jambe, on voit qu'il nomme, là, ἐπίφυσις ; les deux malléoles, considérées dans leur réunion (voy. plus loin, p. 50); c'est le sens que ce mot doit avoir ici, si l'on veut lui conserver une signification établie par Hippocrate lui-même, pour un autre cas, il est vrai, et s'abstenir d'appeler externe ou interne une partie qu'il n'a pas caractérisée, et qu'il nomme simplement Vëpiphyse. Etant pose que ἐπίφυσις ; désigne les deux apophyses terminales, les deux malléoles de l'avant-bras considérées comme réunies, il en résulte que ἡ ἐπίφυσις ἐκινήθῃ désigne la diastase des deux os de l'avant-bras dans leur articulation inférieure. J'ajouterai que je ne sais à quoi rattacher parmi les descriptions données par des modernes cette diastase des os, à moins qu'on n'y voie, avec M. Malgaigne, la luxation incomplète du cubitus.

VIII. En parlant de la luxation de la mâchoire, Hippocrate dit : « La mâchoire se luxe rarement ; toutefois elle éprouve, dans les bâillements, de fréquentes déviations, telles que celles que produisent beaucoup d'autres déplacements de muscles et de tendons. » Cette mention du déplacement de muscles et de tendons m'a paru obscure. Pour l'éclaircir, j'ai fait quelques recherches. W. Cooper a rapporté un cas de déplacement du tendon du biceps brachial. Le voici : « Un 23 cas extraordinaire se rapportant au muscle biceps se présenta une fois dans notre pratique. Une femme, trois jours avant de nous consulter, se luxa, à ce qu'elle crut, l'épaule, en tordant des, linges lavés ( moyen ordinairement employé pour en exprimer l'eau). Elle nous dit qu'en étendant le bras dans cet acte, elle avait senti quelque chose se déplacer à l'épaule. Examen fait de la partie, nous restâmes convaincu qu'il n'y avait pas de luxation ; mais, observant une dépression à la partie externe du muscle deltoïde , et trouvant la partie inférieure du biceps rigide , et le coude dans l'impossibilité de s'étendre convenablement, nous soupçonnâmes que la portion tendineuse externe de ce muscle était sortie de la coulisse de l'humérus qui la reçoit. Cette partie présentait, à cette époque , un peu d'inflammation , et la femme ne s'en était pas servie depuis longtemps. Nous lui conseillâmes des applications émollientes et le repos jusqu'au lendemain matin. Le lendemain venu, nous trouvâmes que notre conjecture avait été juste, et, en tournant le bras entier en différents sens, nous fîmes rentrer le tendon à sa place, ce qui rendit immédiatement à la malade l'usage de cette partie (Myotomia reformata, p. 149, London, 1694). »

Cette observation est reproduite dans Manget. Petit-Radel, qui la cite aussi (Encyclopédie méthodique, chirurgie, t. ii, p. 39), ajoute : « Les tendons qui parcourent les sinuosités qui leur sont assignées pour faciliter leur jeu, s'échappent également quelquefois; d'où il s'ensuit une douleur et un engourdissement qui, à l'épaule, en a souvent imposé pour une vraie luxation Les tendons extenseurs des doigts de la main sont maintenus par un ligament en forme l'anneau pour diriger les effets de la force motrice jusqu'au bout des doigts. L'on a vu ce fort ligament manquer dans les efforts violents pour porter un poids ou faire résistance, et alors les tendons s'éparpiller et rendre nul tout mouvement, jusqu'à ce qu'on eût remédié au mal par un bracelet de cuir qui serrait fortement le poignet. »

24 A. Portal a fait, de la luxation des muscles, un article séparé, dans son Précis de la chirurgie pratique, en y ajoutant quelques réflexions sur la possibilité de ce déplacement et tirant ses preuves de l'inspection anatomique du cadavre d'un homme qui était tombé du haut d'un édifice. On trouva du sang épanché sous la membrane du fascia lata ; le muscle droit antérieur était sorti de sa gaine, qui était rompue en plusieurs endroits. Il y a dans les Mélanges de chirurgie de Pouteau un chapitre sur la luxation des muscles et sur leur réduction (p. 405); mais ce chapitre ne contient aucune observation particulière dont on puisse profiter.

M. Soden (Medico-chirurgical transactions of London, 1841, t. xxiv, p. 212) a rapporté deux cas de dislocation du tendon de la longue portion du biceps brachial. « Joseph Cooper, âgé de 19 ans, dit M. Soden, fut admis dans United-hospital de Bath, le 9 novembre 1839, en raison d'une fracture compliquée du crâne, résultat d'une chute à travers une trappe et qui occasionna la mort en peu d'heures. On put examiner une ancienne lésion de l'épaule, dont les symptômes avaient été enveloppés d'une grande obscurité, et qui s'était faite de la manière suivante : Dans le mois de mai 1839, le défunt était occupé à clouer un tapis, quand se relevant précipitamment, le pied lui ayant glissé, il tomba à la renverse sur le plancher. Pour amortir la force du coup, il plaça instinctivement le bras derrière lui, et de cette façon il reçut tout le poids de son corps sur le coude droit. Cette articulation, bien que seule frappée, n'éprouva pas de mal ; le choc fut transmis à l'épaule, et tous les effets de l'accident s'y concentrèrent» Une douleur aiguë se fit aussitôt sentir, et cet homme pensa qu'il avait éprouvé une fracture ou une luxation; mais, trouvant qu'il pouvait lever le bras au-dessus de la tête, il se rassura et s'efforça de reprendre sa besogne; toutefois la douleur l'obligea d'y. renoncer, et il retourna chez lui.

« Quand je le vis le lendemain matin, l'articulation était 25 très-gonflée, sensible à la pression, et douloureuse au moindre mouvement. Il était alors dans l'impossibilité de placer le bras au-dessus de la tête, mouvement que, disait-il, il avait exécuté immédiatement après l'accident. Je reconnus qu'il n'y avait ni fracture, ni luxation ; ne soupçonnant pas l'existence d'une lésion plus spéciale qu'une violente entorse, je me tins à cette idée, et j'épargnai au malade la souffrance d'un plus ample examen. Des moyens extrêmement actifs burent nécessaires pour dompter l'inflammation, et, au bout de trois semaines, quoique la tuméfaction fût beaucoup diminuée , la sensibilité au devant de l'articulation, et la douleur dans certains mouvements du membre, n'étaient guère moindres que le lendemain de l'accident.

« En comparant l'articulation avec l'articulation parallèle, maintenant que le gonflement était tombé, on apercevait une différence marquée entre leurs contours respectifs ; l'épaule lésée était évidemment en dehors de la conformation naturelle, sans toutefois présenter une difformité frappante. Quand l'homme était debout avec les deux bras pendants, la différence était très-manifeste, mais difficile à définir. Il y avait un léger aplatissement aux parties extérieures et postérieures de l'articulation, et la tête de l'humérus avait l'air d'être plus remontée dans la cavité glénoïde qu'elle n'aurait dû l'être. L'examen fit voir de deux façons qu'il en était ainsi : 1° en remuant le membre, pendant qu'une main était placée sur l'épaule, on percevait une crépitation qui simulait une fracture, mais qui en réalité était causée par le frottement de la tête de l'humérus contre la surface inférieure de l'acromion ; 2° en essayant de mettre le membre dans l'abduction, on sentait que le bras ne pouvait être élevé au-delà d'un angle très-aigu avec le corps, attendu que le bord supérieur de la grande tubérosité venait en contact avec l'acromion, et formait ainsi un obstacle à une abduction ultérieure. La tête de l'os faisait aussi en avant une saillie vicieuse qui équivalait presque à une luxation in- 26 incomplète. Le bras était impuissant pour tout usage utile : cet homme ne pouvait lever de terre le poids le plus petit, à cause de la douleur violente que lui causait l'emploi du. biceps ; autrement les mouvements de la partie inférieure du membre n'étaient pas limités, le bras pouvait être aisément porté en avant et en arrière, et le patient saisir un objet fortement et sans douleur, aussi longtemps qu'il n'essayait pas de le lever. L'humérus et l'acromion, s'engageant comme il a été dit, lors de l'abduction du membre, formaient un obstacle insurmontable à tous les mouvements d'abduction.

« Le patient représentait la douleur causée par l'action du biceps comme très-aiguë, et s'étendant tout le long du muscle, et il la ressentait principalement aux extrémités, à l'extrémité inférieure aussi bien, qu'à la supérieure; quand elle n'était pas excitée par l'action musculaire, il la rapportait à la portion antérieure de l'articulation, et la limitait à l'espace compris entre l'apophyse coracoïde et la tête de l'humérus, endroit où existaient une extrême sensibilité et un peu de gonflement.

« Le patient étant d'une disposition rhumatismale, une inflammation de nature rhumatismale s'établit bientôt dans les articulations, de sorte que les symptômes particuliers de la lésion furent masqués par ceux de la phlegmasie articulaire générale, ce qui ajouta grandement aux souffrances de cet homme, et augmenta matériellement la difficulté du diagnostic. Il n'est pas nécessaire de s'étendre sur le traitement; je dirai seulement que ce qui soulagea le plus le patient, ce fut d'avoir le coude bien soutenu, et placé près des côtes. On fit observer un repos absolu au malade pendant quelque temps, sous l'impression que la cavité glénoïde était le siège de la lésion, et que probablement la portion supérieure de cette cavité , y compris l'origine du tendon du biceps, était détachée.

« En examinant l'articulation sur le cadavre, on trouva 27 que la lésion était un déplacement de la longue tète du biceps hors de sa gouttière, sans autre complication. Le tendon était entier, et, renfermé dans sa gaine ; il reposait sur la petite tubérosité de l'humérus. La capsule n'était que peu déchirée. L'articulation offrait des traces d'une inflammation étendue. La membrane synoviale était vasculaire et tapissée d'une couche de lymphe. Des adhérences récentes étaient étendues entre les différentes parties des surfaces articulaires , et une ulcération avait commencé à se former sur le cartilage de la tête de l'humérus, là où elle était en contact avec la face inférieure de l'acromion. La capsule était épaissie et adhérente , et avec le temps il se serait probablement opéré une ankylose de l'articulation. »

« Observation du déplacement du tendon du biceps conjointement avec une luxation de l'humérus en avant. W. Mounlford , âgé de 55 ans , fut reçu dans l'hôpital-uni de Bath , le 24 avril 1841 , ayant été grièvement blessé par une masse de terre qui tomba sur lui. Outre des contusions fortes, il avait éprouvé une luxation de l'humérus en avant et la fracture de quelques côtes du même côté. Cet homme languit pendant un petit nombre de jours, et il succomba à une hémorragie dans la cavité de la plèvre , hémorragie consécutive à une perforation du poumon par une côte fracturée. « On avait éprouvé une difficulté extraordinaire à réduire la luxation , qui était très-élevée ; à la fin on réussit. En examinant l'articulation , on trouva , en dedans , à la capsule, une déchirure à travers laquelle avait passé la tête de l'os ; la gaine était déchirée , et le tendon, s'en étant échappé, avait glissé complètement sur les tètes de* os, et reposait sur la partie interne et postérieure de l'articulation. »

Les faits que j'ai mis sous les yeux du lecteur m'ont semblé le meilleur commentaire du passage où Hippocrate mentionne le déplacement des muscles et des tendons.

IX. La question de la luxation incomplète île la mâchoire inférieure est ainsi appréciée par M. Bérard :

28 « L'expression de luxation incomplète ne peut jamais s'appliquer aux déplacements de la mâchoire. Il ne semble pas possible, eu effet, que le condyle de la mâchoire s'arrête sur le rebord de la cavité glénoïde, c'est-à-dire sur la racine transverse de l'arcade zygomatique ; il doit ou retomber dans la cavité, ou passer au-devant de celte saillie. Cependant A. Cooper (Œuvres chirurgicales, traduction de MM. Chassaignac et Richelot, p. 127) admet une luxation incomplète due au transport du condyle au-dessous de la racine transverse , tandis que le ménisque inter-articulaire reste au fond de la cavité glénoïde. Ce genre de luxation reconnaît pour cause le relâchement des ligaments ; les symptômes en sont : un écartement léger des mâchoires , l'impossibilité de fermer la bouche, qui survient brusquement, et s'accompagne d'une légère douleur du côté luxé. D'ordinaire , de simples efforts musculaires suffisent pour en amener la réduction ; néanmoins A. Cooper l'a vue persister très-longtemps ; et cependant, dit- il, la mobilité de la mâchoire , ainsi que la faculté de fermer la bouche, ont été recouvrées. Cette description est trop peu détaillée pour qu'on puisse se former une bonne idée du genre d'accident dont parle A. Cooper. Mais, comme aucun fait anatomique n'est invoqué en faveur de la manière de voir du célèbre chirurgien anglais, nous conservons de très-grands doutes sur la cause que A. Cooper assigne aux désordres fonctionnels dont il parle. Le relâchement des ligaments est une chose bien rare, et qui ne se comprend guère à l'articulation temporo-maxillaire ; quant au glissement du condyle sur le ménisque inter-articulaire , la chose nous paraît tout-à-fait impossible. On sait que le tendon du muscle ptérygoïdien externe se fixe à la fois sur le col du condyle et sur le cartilage interarticulaire , de telle sorte que ces deux parties se meuvent toujours simultanément lors des glissements du condyle de la mâchoire sur l'os temporal (A. Bérard , Dict. de Médecine , art. mâchoire, 2e éd., t. 18, p. 409). »

29 J'ajouterai ici que Paul d'Egine , d'après Hippocrate , a parlé de la luxation incomplète de la mâchoire inférieure : « La mâchoire inférieure, dit-il, se luxe souvent d'une manière incomplète, parce que les muscles qui la maintiennent, étant plus mous à cause de l'exercice continuel de la mastication et de la parole , se relâchent facilement (vi, 112). » Albueasis , à son tour, a répété Paul d'Egine et Hippocrate: Alqui si fuerit, ut parum luxetur , illa equidem redibit in plerisque casibus sponte sua, parvo negotio (lib. 3 , sect. 24, p. 599 , éd. Channing). Je laisse aux chirurgiens à prononcer sur ce qu'il faut penser des luxations incomplètes de la mâchoire, indiquées par Hippocrate , Paul d'Egine , Albuensis et Astley Cooper

X. MM. Bérard et Cloquet ont apprécié le précepte donné par Hippocrate de lier les dents dans la fracture de la mâchoire: « On trouve dans Hippocrate un conseil reproduit depuis par un grand nombre de chirurgiens et rarement employé de nos jours : nous voulons parler du fil d'or ou d'argent à l'aide duquel on assujettit les dents voisines de la fracture, lorsque ces organes sont solidement implantés dans leurs alvéoles. Paul d'Egine (VI, 32) conseille même de se servir d'un fil de lin, de soie ou de crin de cheval, lorsque le malade n'est point assez riche pour se procurer un fil d'or. Ce moyen paraît à la fois très-simple et très-efficace : on n'a élevé contre lui aucune objection sérieuse; et cependant, nous le répétons, il est généralement abandonné. En voici peut-être la cause : Dans un cas où l'un de nous crut qu'il convenait d'y avoir recours, les dents voisines de la solution de continuité, bien solides dans leurs alvéoles, furent fixées entre elles par un fil d'argent recuit, qui s'enroulait deux fois autour de leur collet ; le rapprochement des fragments fut parfait; mais bientôt le tissu des gencives devint gonflé , douloureux, ramolli; les dents s'ébranlèrent dans leurs alvéoles et acquirent une telle mobilité , qu'il devint urgent d'enlever le fil qui les unissait. La guérison eut lieu par les moyens ordinaires ; elle fut re- 30 tardée par la formation d'un abcès au-dessous du menton, et la sortie d'une esquille par l'ouverture de l'abcès , mais les dents reprirent leur solidité ordinaire lorsque les gencives revinrent à leur état normal (J. Cloquet et A. Bérard, Dict. de méd., art. mâchoire, t. 18, p. 405). »

XI. Afin de rendre plus palpable ce qu'Hippocrate dit des luxations de la cuisse, j'établis ici la synonymie entre ses dénominations, celles de Boyer et celles d'Astley Cooper. La luxation en dedans, d'Hippocrate (voy. § 51), est la luxation in bas et en dedans, de Boyer, et la luxation en bas ou dans la fosse ovale, de A. Cooper. La luxation en dehors, d'Hippocrate (voy. § 54), est la luxation en haut et en dehors, de Boyer, et la luxation en haut ou dans la fosse iliaque , de A. Cooper. La luxation en arrière, d'Hippocrate (voy. § 57) est la luxation en bas et en arrière, de Boyer, qui ne l'a jamais observée et qui en donne les signes d'une manière fausse ; elle n'est pas la même que la luxation en arrière ou dans l'échancrure sciatique , de A. Cooper. Enfin la luxation en avant, d'Hippocrate (voy. § 59) est la luxation en haut et en dedans, de Boyer, et la luxation sur le pubis , de A. Cooper; les signes donnés par Hippocrate diffèrent un peu de ceux que donnent les deux autres chirurgiens; et surtout, Boyer et Cooper ne font aucune mention de la rétention d'urine qui peut accompagner cette luxation.

XII. Hippocrate décrit l'état des personnes qui ont une luxation en dehors, non réduite, des deux cuisses, luxation soit congénitale, soit survenue pendant que le sujet était encore dans la période de croissance. M. le professeur Sédillot (De l'anatomie pathologique des luxations anciennes du fémur en haut et en dehors , p. 19 , et aussi dans l'Expérience , 29 décembre 1838, 3 et 10 janvier 1839, etc. ) a décrit un cas de luxation congénitale des deux fémurs. Je le mets sous les yeux des lecteurs pour qu'ils le comparent avec la description d'Hippocrate. « M. X..., âgé de 22 ans , me fut présenté par M. le docteur Vital pour une double luxation con- 31 génitale des deux fémurs ; la mère de ce malade présente la même lésion, et sa sœur à la cuisse gauche entièrement luxée de naissance. La taille de M. X. est de cinq pieds un pouce, il paraît d'une constitution un peu lymphatique, a la peau blanche , les cheveux blonds, et est peu musclé. Lorsqu'on Voulut le faire marcher dans son enfance et le faire tenir debout, on s'aperçut d'une très-grande faiblesse de la cuisse droite et d'une direction vicieuse du bassin. On consulta plusieurs hommes de l'art, et des tentatives de réduction eurent lieu , mais sans succès. Cependant ce jeune homme , en se développant, commença à marcher avec peine et en boitant, et, pour combattre autant que possible les résultats de son accident, il se livra à des exercices fréquents et soutenus, tels que l'équitation, l'escrime, la danse ; mais il ne put jamais les continuer quelque temps sans être pris de sueurs excessives, qui l'affaiblissaient. Aujourd'hui il marche avec assez de liberté en s aidant d'une canne , qui , portée de la main droite, a fini par rendre l'épaule du même côté plus haute que la gauche. Les pieds sont habituellement dans la rotation en dehors, que l'infirme peut augmenter au point de placer facilement les deux pieds sur une même ligne , talon contre talon. Le bassin est fortement incliné de haut en bas et d'arrière en avant, ce qui dépend du mouvement de bascule que lui impriment les fémurs rejetés en arrière, et il a souffert un mouvement de rotation latérale qui rend plus saillant eu avant le côté gauche, et paraît tenir au déplacement moins considérable en arrière de la cuisse de ce côté. Les reins sont profondément cambrés et le ventre proéminent, tandis que les épaules sont rejetées en arrière. La fesse droite est étroite, saillante de haut en bas et postérieurement, où elle dépasse beaucoup la fesse gauche ; elle se continue directement avec la cuisse sans pli intermédiaire bien marqué, excepté tout-à-fait en dedans, et elle est séparée, par un sillon profond, du grand trochanter, qui forme une saillie considérable en haut et en dehors. »

32 Dans le même Mémoire (p. 10), M. Sédillot a décrit une luxation, en dehors, des deux fémurs, rencontrée sur un cadavre porté à l'amphithéâtre de dissection ; dans l'examen de ce fait fort intéressant, M. Sédillot dit: « Nous ne supposerons pas une double luxation traumatique; ce serait un exemple unique. » À cause de la rareté de la luxation traumatique des deux fémurs, je rapporte l'observation suivante; seulement ici, la double luxation est en bas et en avant : « Un matelot était assis à cheval sur une planche, lorsqu'une vague le jeta soudainement sur le beaupré qui frappa son dos violemment, la planche étant encore entre ses jambes. Le pauvre homme était étendu sur son dos quand le docteur Sinogowitz fut appelé à son secours. Les deux membres étaient absolument immobiles, et évidemment ils avaient subi une grande déformation. Les cuisses étaient écartées l'une de l'autre, et ne pouvaient être rapprochées; les trochanters étaient beaucoup plus bas et beaucoup moins proéminente qu'à l'ordinaire, et les muscles de la hanche qui sont au-dessus d'eux, étaient dans un état d'extension extrême. Le corps était fléchi en avant sur les cuisses, et il était impossible de les redresser,  les genoux étaient modérément fléchis et les orteils n'étaient tournés ni en dedans ni en dehors. Le diagnostic fut, en conséquence, que la tête des deux fémurs était luxée en bas et en avant. La réduction fut opérée de la manière suivante : Le bassin étant maintenu par deux aides, le chirurgien se plaça entre les jambes du patient ; et, ayant mis une serviette autour de la cuisse droite au-dessus du genou, il en passa autour de son propre cou l'extrémité nouée.. L'extension fut alors faite au moyen d'une serviette attachée au-dessus du coude-pied, et inclinée un peu à gauche. Tandis que l'extension était pratiquée, M. Sinogowitz éleva l'extrémité supérieure de l'os, et la dirigea en haut et un peu en dehors, en élevant et en avançant sa tête de toutes ses forces. La tête de l'os rentra à sa place sans aucun bruit. L'autre membre fut alors réduit d'une manière analogue. La mobilité 33 des membres fui presque immédiatement rétablie, au moins dans la position horizontale; mais plusieurs mois s'écoulèrent avant que le malade pût marcher avec quelque facilité. La longueur du rétablissement fut causée, en grande partie, par la grave lésiou qu'avaient éprouvée les vertèbres lombaires au moment de l'accident : pendant trois semaines, les sphincters de la vessie et du rectum furent complètement paralysés (Preussische medicin, Zeitung, extrait dans the London medical Gazette, new series, 1838-1839, t. 1, p. 31).»

XIII. Hippocrate, qui attaque avec beaucoup de vigueur la pratique de certains de ses contemporains, avait lui-même essuyé des critiques, peut-être fort nombreuses ; il nous apprend, au commencement du traité des Articulations, § 1, que, pour avoir nié qu'il y eût luxation de l'humérus en un cas qui eh présentait l'apparence, il compromit sa réputation (κουσα φλαυρῶς) auprès des médecins et des gens du monde. De ces critiques il ne nous reste que l'exemple suivant : Ctésias l'avait blâmé de réduire la cuisse luxée, attendu que cette luxation se reproduisait presque aussitôt (Gal. Comm. sur le traite des Artic,, 4, 40). Ctésias était, comme Hippocrate, de la famille des Asclépiades, mais il appartenait aux Asclépiades de Cnide. Cette controverse ne s'arrêta pas là ; Galien dit (l. cit.) qu'outre Ctésias, d'autres avaient lait le même reproche à Hippocrate. Les Hérophiliens, qui se vantaient de leurs connaissances anatomiques, et l'un d'eux, Hégétor (et non pas dux Herophileorum, comme le disent Cocchi et Massimini), dans son livre Sur les causes, chapitre De la luxation de la cuisse, s'était exprimé ainsi (Dietz, Scholia, 1, 34): «Pourquoi les médecins qui ne consultent que l'empirisme ne se mettent-ils pas à chercher quelque mode de réduction différent de ceux dont on se sert maintenant pour la luxation de la tête du fémur, réduction par laquelle l'os, réduit, resterait en place? Ils voient se maintenir la réduction de la mâchoire inférieure, de la tête de l'humérus, du coude, du genou, des doigts et de presque 34 toutes les articulations sujettes à se luxer, et ils ne peuvent se rendre compte à eux-mêmes de la raison qui fait que la seule tâte du fémur, luxée, pois réduite, ne demeure pas en place. Considérant ce qui arrive le plus souvent pour les autres articulations, ils seront autorisés à examiner s'il n'y aurait pas un meilleur mode de réduction qui empêcherait la reproduction de la luxation. Mais s'ils connaissaient par l'anatomie la cause de cette condition, s'ils savaient qu'à la tête de l'os s'attache un ligament qui se fixe au milieu de la cavité cotyloïde; que, ce ligament demeurant intact, il est impossible que l'os se luxe, mais que, rompu, il n'est pas susceptible de se rejoindre, et que dès lors le fémur réduit ne peut rester à sa place, ils comprendraient qu'il faut renoncer à la réduction de la cuisse, et ne pas poursuivre des impossibilités. » Apollonius de Citium répond que Hégétor, non seulement se trompe, mais encore égare autant qu'il est en lui ceux qui s'occupent de la médecine, « Que le fémur, dit-il, luxé et puis réduit, se luxe nécessairement de nouveau, c'est ce qui est contraire à l'observation présente et à celle des anciens. Hippocrate, plus qu'aucun autre, s'est livré à l'étude des articulations; lut qui était si sincère, et quia signalé les particularités des autres luxations, n'a point dit que la cuisse ne pût être maintenue réduite ; au contraire, il nous a encouragés à en pratiquer la réduction, et a même imaginé un instrument destiné à cet usage. »

Héraclide de Tarente, médecin qui a appartenu à la secte empirique et qui a joui dans l'antiquité d'une très-grande réputation, s'était exprimé ainsi à ce sujet dans le quatrième livre de ses Moyens thérapeutiques extérieurs (ἐν τῷ τετάρτ τν κτς θεροπευτικν (Gal. l. cit. ) :« Ceux qui pensent que la cuisse, réduite, se luxe de nouveau à cause de ht rupture du ligament (5) qui unit le fémur à la cavité cotyloïde, montrent de l'ignorance en faisant une négation générale. Autrement, 35 des moyens de réduction n'auraient été décrits ni par Hippocrate, ni par Diodes, ni par Philotime, ni par Evenor, ni par Nilée (6), ni par Molpis, ni par Nymphodore, ni par quelques autres. Nous-même nous avons réussi sur deux enfants. Il est vrai que la récidive est plus commune chez les adultes. Mais il ne faut pas décider la question par la théorie ; il est de fait que parfois la luxation demeure réduite ; on doit donc croire que le ligament (rond) ne se rompt pas toujours, mais qu'il se relâche et puis se resserre. » Celse avait ce passage d'Héraclide de Tarente sous les yeux, quand il a écrit (8, 20) : Magnum autem femori periculum est, ne vel fifficulter reponatur, vel repositum rursus excidat. Quidam iterum semper excidere contendunt, sed Hippocrates, et Diocles, et Philotimus, et Nileus, et Heraclides Tarentinus, clari admoduni authores, ex toto se restituisse memoriae prodiderunt. Neque tot genera machinamentorum quoque ad extendendum in hoc casu femur Hippocrates, Andreas, Nileus, Nympkodorus, Protarchus, Heraclides repetassent, si id frustra esset. Sed, ut haec falsa opinio est, sic illud verum est, cum ibi valentissimi nervi musculique sint, si suum robur habent, vix admittere, si non habent, postea non continere... Posito osse, nihil aliud novi curatio requirit, quain ut diutius is in lecto detineatur, ne, si motum adhuc nervis laxionibus femur fuerit, rursus erumpat. Galien (l. cit.) examine longuement la question de la récidive de la luxation de la cuisse après la réduction; suivant lui, l'intégrité du ligament rond est nécessaire pour que la tête du fémur reste dans la cavité cotyloïde; mais il ajoute que plus d'une fois le fémur réduit est resté dans la cavité, et que des observations de ce genre ont été rapportées et par Héraclide de Tarente et par bon nombre d'autres médecins plus modernes. Ambroise Paré (14, 41, t. 2, p. 587, éd. Maîgaigne) dit  : «Aux luxations de la cuisse il y a danger ou que l'os soit réduit malaisément, 36 ou qu'estant réduit ne tombe derechef. Car si les muscles, tendons et ligaments de ceste partie sont, forts et dure, à peine laissent-ils réduire l'os en sa place. Pareillement s'ils sont trop faibles, taxes et mois, ils ne le peuvent tenir quand il est réduit : semblablement quand le ligament court et rond qui joint estroitement la teste du dit os au tond de sa cavité, est rompu ou relasché. Or, ledit ligament se rompt par quelque violente force et se relasche par une humidité glaireuse et superflue, amassée es parties voisines de ceste jointure, qui l'abreuve et mollifie. Et si ce dit ligament est rompu, encores que l'os soit réduit, ne lient jamais et retombe tousjours, quelque diligence qu'on y puisse faire ; ce que j'ai veu plusieurs fois... Donc, pour le dire en un mot, quand ce ligament est rompu ou trop relasché, l'os ne peut tenir ferme en sa boette  lorsqu'il y est remis, principalement eu ceux qui sont maigres, pource qu'icelle jointure n'est liée de ligaments par dehors, comme est la jointure du genouil. »

Massimini, dans son Commentaire sur le traité Des fractures , p. 161, examine ce point de doctrine, et pense que les chirurgiens anciens qui ont admis que la luxation de la cuisse réduite se reproduisait, se sont trompés dans leur diagnostic, et ont pris une fracture du col pour une luxation. Cela est fort possible, cependant cette remarque n'est peut-être pas applicable à Ambroise Paré, qui a consacré un chapitre spécial (t. 2, p. 325) à la fracture du col.

De cette récidive de la luxation du fémur, il n'est fait aucune mention ni dans Boyer, ni dans Astley-Cooper. A part les assertions des chirurgiens de l'antiquité cités plus haut et d'Ambroise Paré, qui dit avoir vu plusieurs fois cette récidive, je ne connais que bien peu d'observations particulières où cela ait été constaté. Je vais mettre sous les yeux du lecteur celles que j'ai trouvées :

« Luxation de la cuisse : la tête de l'os reposait sur le trou ovale, la jambe était plus longue que celle du côté sain, et le pied était tourné en dehors. La luxation avait déjà quatre 37 jours de date, lorsqu'on fit les premières tentatives pour la réduire, lesquelles, il est vrai, furent infructueuses. Enfin un chirurgien exercé réussit : il embrassa la cuisse avec son bras droit, et, tandis qu'elle était suffisamment étendue, il la tira à lui en dehors de toutes ses forces ; en même temps il faisait mouvoir le genou en dedans et en haut vers le ventre; pendant ces manœuvres, la tête rentra dans la cavité. Le lendemain elle se déplaça de nouveau, et on la réduisit une seconde fois. Mais, comme au moindre mouvement elle se luxait derechef, on renonça finalement à la réduire ultérieurement, et on laissa la tête de l'os sur le trou ovale. Toutefois le malade apprit peu-à-peu si bien à se servir de son pied, qu'au bout de huit semaines il sortit de l'hôpital un bâton à la main ( J. Mohrenheim, Beobachtungen verschiedener Chirurgischer Vorfœlle, Dessau, 1737, analysé dans Richter, chirurgische Bibliothek, t. 6, p. 605). »

J'ai été moi-même témoin d'un fait analogue : Grandidier, Jean-Pierre, 21 ans, maçon, entra à l'hôpital de la Charité le 26 mars 1829, salle Saint-Augustin n°10, service de MM. Boyer et Roux, dans lequel j'étais alors interne. Ce malade étant arrivé le soir, je l'examinai, et reconnus une luxation en haut et en dehors de la cuisse gauche. J'entrepris immédiatement la réduction de la luxation avec l'aide de M. le docteur Campaignac, qui se trouvait présent; deux infirmiers nous secondèrent. Après environ dix minutes de tractions vigoureuses, la cuisse fut réduite. J'attachai les deux cuisses ensemble. Lé lendemain, M. Boyer examinant le blessé retrouva la luxation, et me dit que je m'étais trompé et que la réduction n'avait pas été opérée. Je le crus sur le moment. M. Roux pratiqua la réduction, et attacha aussi ensemble les deux cuisses; mais le lendemain, à la visite, on retrouva la luxation reproduite, et dès lors il fut évident que je l'avais réellement réduite la première fois. M. Roux réduisit de nouveau le fémur, et au lieu d'attacher les cuisses ensemble, il attacha, à l'aide d'un lien passé 38 autour de la cheville, la jambe au pied du lit : le membre au lieu d'être tourné en dedans, fut maintenu en dehors. Le malade sortit le 19 mai.

Il faut probablement rattacher au même ordre de faits l'observation suivante : « Luxation du fémur avec une fracture supposée de la cavité cotyloïde, non réduite. Un homme fut apporté à l'hôpital de Saint-Georges avec une luxation du fémur, et M. Brodie, se trouvant à l'hôpital en ce moment, l'examina immédiatement avec d'autres chirurgiens. Le récit du blessé ne jeta que peu de lumière sur la lésion. L'accident était arrivé, il y avait environ douze semaines,  et, peu après, cet homme fut mené chez un chirurgien. Là l'extension fut pratiquée pendant six heures; au bout de ce temps, sur un léger mouvement du membre, l'os, dit le blessé, rentra dans l'articulation avec un bruit qu'on entendit. Toutefois cela n'est guère probable, car peu d'heures après, en examinant le membre, on trouva de nouveau l'os luxé. Une seconde tentative fut faite par un autre chirurgien pour réduire le membre, mais sans succès. Après cela , le blessé ne demanda plus conseil jusqu'au moment où il fat amené à l'hôpital. En examinant le membre, on trouva la luxation en haut, et on put sentir la tête de l'os sur la face externe de l'ilion : mais le membre jouissait de plus de mobilité que d'ordinaire dans des cas pareils , on pouvait lui faire exécuter des mouvements de rotation et le mouvoir librement. L'opinion des chirurgiens présents fut que, outre la luxation, il y avait fracturé de la cavité ou de quelques-uns des os adjacents. Le surlendemain, des efforts de réduction furent faits par M. Brodie, mais infructueusement (The lancet, 1832-1833,  p. 671). »

XIV. Quand Hippocrate dit que le genou se luxe en dedans, en dehors, et en arrière, qu'entend-il par ces expressions? considère-t-il dans cette dénomination, le fémur ou le tibia? On pourra penser tout d'abord qu'il considère le fémur, attendu que généralement il dénomme les luxa- 39 tions d'après le déplacement de l'os supérieur. Mais il est permis d'arriver à une conclusion décisive en discutant ce qu'il dit de l'effet des luxations non réduites: suivant lui, quand le genou se luxe en dedans, et que la luxation n'est pas réduite , l'estropié a la jambe cagneuse ; avoir la jambe cagneuse, c'est avoir le genou tourné en dedans, et le pied, en dehors. Si on suppose que dans la luxation du genou en dedans, c'est le fémur qui s'est porté en dedans, l'angle formé par la rencontre du fémur et du tibia aura le sinus tourné en dehors ; si l'on suppose au contraire que, dans la luxation du genou en dedans, c'est le fémur qui s'est porté en dehors, l'angle formé par la rencontre du fémur et du tibia aura le sinus tourné en dedans. En d'autres termes : dans le premier cas, le fémur pèse par son condyle externe sur le condyle interne du tibia, et tend incessamment à porter le haut du tibia en dedans et le pied en dehors ; dans le second cas, le fémur pèse par son condyle interne sur le condyle externe du tibia et tend incessamment à porter le haut du tibia en dehors et le pied en dedans. Dans le premier cas, la jambe sera cagneuse; dans le second, bancale. La luxation du genou en dedans qui rend la jambe cagneuse, est donc le déplacement du fémur en dedans. Hippocrate ajoute que, la luxation restant non réduite, celle qui est en dedans et qui rend l'estropié comme cagneux, le laisse plus faible, que celle qui est en dehors et qui rend l'estropié comme bancal; et sa raison, c'est que dans la luxation en dehors le poids du corps porte sur le tibia. Pour avoir la clé de cette phrase il faut se référer au traité Des fractures, t. 3, p. 481. Là, Hippocrate dit que dans la station la tête du fémur est un peu en dedans du tibia, mais peu, ce qui fait la solidité de la station. Ainsi, suivant lui, le pied se trouvant en dehors de la tête du fémur, le poids du corps est transmis sur cette base avec une petite obliquité; cette obliquité augmente et la solidité diminue, quand le pied se trouve porté encore davantage en 40 dehors, ce qui arrive dans une luxation du fémur en dedans non réduite.

XV. La figure que je reproduis ici est celle des manuscrits 2247 et 2248 ; elle a été adoptée par Vidus Vidius, par Gorraeus dans ses Définitions médicales, par Foes, qui renvoie à Gorraeus , par Scultet, Armamentarium, pl. 33, fig. 5 ,

 

A Madrier long de six coudées, large de deux, épais de neuf doigta;
BBBB Quatre bois longs d'un pied, arrondis à leurs extrémités.
CC Aies des treuils, ayant au milieu un clou, et, à leurs extrémités, des manches.
DDD Fosses dont la profondeur est de trois doigts.
E Petit pilier, arrondi en haut, enfoncé profondément dans le madrier qui offre une excavation quadrangulaire.
FF Deux piliers.
G Pièce de bois transversale en forme d'échelon.

Cette explication est celle que Vidus Vidius donne de sa figure. Indépendamment des points qui vont être discutés, on y remarquera les inexactitudes suivantes : le madrier est épais non de neuf doigts, mais de douze (σπιθαμή), Hippocrate ne dit pas que les bois BBBB doivent avoir un pied de haut, il dit seulement qu'ils seront courts. Enfin il ne parle pas de clou mis au milieu de CC, disposition judicieuse, qui figure sur le banc de Rufus, qu'Hippocrate employait peut-être, mais qu'il ne mentionne pas.

41 par le Lexique de Castelli au mot Bathrum, qui renvoie à Scultet, enfin par Massimini dans son Commentaire sur le traité Des Fractures d'Hippocrate, pl. 4, fig. 2. Si l'on se reporte au texte d'Hippocrate, on voit qu'ils ont représenté sur leur figure, les κάπετοι du texte par des entailles DDD quadrangulaires placées dans le milieu de la machine, et sur une seule ligne. Est-ce bien cela qu'Hippocrate a voulu exprimer par le mot κάπετος? je ne le pense pas. Etudions attentivement sa description.

Le mot κάπετος, dont il se sert, signifie fossé. Hippocrate veut que ce fossé ait trois doigts de large, trois doigts de profondeur. Quant à la longueur, il ne la détermine pas; il se contente de mettre μακράς fossés longs. Fixant la largeur et la profondeur, aurait-il omis de fixer la longueur, si cette longueur avait eu une dimension qui importât? Il est bien vrai que Vidus Vidius a mis parvas fossas, il a donc lu μικράς ; mais tous les manuscrits sont uniformes pour donner μακράς. Je ne blâme pas Vidus Vidius d'avoir fait ce changement; car c'était le seul moyen de mettre d'accord le texte avec la figure qu'il donnait; et Foës, qui a dans sa traduction fossulœ longae, et qui a adopté la figure de Vidus Vidius, est inintelligible, car ces entailles de la figure ne sont pas longae.

Un peu plus bas, Hippocrate dit que les fossés sont creusés afin que, placé dans relui qui conviendra, un levier de bois agisse sur les têtes osseuses, soit qu'il faille les repousser en dehors, soit qu'il faille les repousser en dedans. Les fossés , tels que les représente la figure, serviront sans doute à repousser en dehors la tête du fémur luxée en dedans ; mais comment pourront-ils (le malade étant supposé placé sur le milieu de la machine, et la position du petit pilier central Ε indique qu'il en doit être ainsi), comment pourront-ils, dis-je, servir à repousser en dedans la tête du fémur luxée en dehors ?

Plus bas encore, parlant de la luxation en dehors, Hippo- 42 crate dit qu'on se sert d'un levier large, agissant de dehors en dedans et appliqué sur la fesse même, et qu'en même temps un aide, du côté de la hanche saine, maintient la fesse avec un autre levier qu'il fixera sous la fesse dans celui des fossés qui conviendra. Comment, avec les fossés de la figure, est-il possible d'exercer cette double action ? il faudrait que les deux leviers, passant sous le corps du patient, allassent se fixer dans le même fossé ; mais alors ils seraient presque horizontaux, et tendraient non à agir sur les hanches, mais à soulever le patient. Ceci est décisif.

Galien, dans son commentaire» dit qu'Hippocrate exige plusieurs fossés, parce que les individus différent par l'âge , la taille et toute leur disposition corporelle. Cela paraît plutôt s'appliquer à des rainures parallèles qu'à des coches rangées sur une seule ligne. Hippocrate a dit : « Dans la moitié (cela suffit, mais rien n'empêche qu'on n'en fasse autant dans la machine entière ) seront creusées des espèces de fossés au nombre de cinq ou six.» Galien, expliquant ce passage, dit que la moitié signifie ici la moitié inférieure, et que dans la machine entière signifie dans toute la longueur. Or, il n'y a que des rainures longitudinales qui puissent, sans augmenter de nombre, occuper indifféremment la moitié ou la longueur entière d'une pièce de bois.

Rufus, antérieur à Galien, a donné une description de la machine d'Hippocrate : « Cette machine, dit-il, est creusée dans une moitié, à des intervalles de quatre doigts, d'espèces de gouttières, à la profondeur de quatre doigts; ces gouttières ont été nommées par Hippocrate κάπετοι  (7). « Rufus est explicite : suivant lui ces κάπετοι sont des gouttières. 43 Un peu avant ce passage de Rufus, dans le 49e livre d'Oribase, chap. 4, p. 121 (éd. Mai), les κάπετοι sont nommées parmi les parties constituantes des instruments de réduction , et on lit en note : « Les gouttières des instruments de réduction ont été appelées κάπετοι par Hippocrate, comme le dit un peu plus loin, chap. 27, Rufus, expliquant le banc d'Hippocrate (8) » (Ce passage .de Rufus est celui que je viens de citer.)

Paul d'Egine , parlant du banc d'Hippocrate et de la réduction des luxations de la cuisse, dit: « Cette machine sera creusée d'espèces de fossés allongés (πιμήκεις), n'ayant pas plus de trois doigts de largeur et de profondeur, et n'étant pas séparés par un intervalle de plus de quatre doigts, de sorte que, plaçant l'extrémité du levier dans ces fossés, on le fasse agir du côté qui conviendra (VI, 117). » Ce sont encore ici des cavités allongées et non des coches.

Ces raisonnements et ces textes concourent au même but. Les raisonnements, tirés de la description même qu'Hippocrate donne de la machine, tendent à monter que cette description d'une part repousse l'existence de coches telles qu'on les a figurées, d'autre part implique l'existence de rainures ou gouttières parallèles ; les textes empruntés à Rufus et à Paul d'Égine, nomment explicitement des gouttières, des fossés allongés. Je me crois donc autorisé à conclure : la figure par laquelle on a représenté jusqu'à présent le banc d'Hippocrate , est fautive, et au lieu de coches, on doit y pratiquer des rainures disposées ainsi que le montre la figure placée à la page suivante.


 

A Madrier long de six coudées, large de deux, et épais de douze doigtσ et νον de treize comme le porte fautivement la figure.
BBBB Jambes des treuils, lesquelles sont courtes.
CC Axes des treuils.
DD Fosses profondes de trois doigts, larges de trois, écartées les unes des autres de quatre.
Ε Petit piller enrouée au milieu de la machine datas une excavation quadrangulaire.
FF Piliers d'un pied de large.
G Traverse posée sur les deux piliers FF, et qu'on peut mettre à des hauteurs diverses à l'aide des trous dont les piliers sont percée.

Hippocrate ne s'explique pas sur le moyen qu'il emploie pour faire varier la hauteur de la traverse G. J'ai copié celui qu'a figuré Vidus Vidius ; mais on pourrait imaginer que les deux piliers FF étaient tout simplement percés de trous qui se correspondaient, qui étaient, dans chaque pilier, placés les uns au-dessus des autres, et dans lesquels on passait la traverse.

Mais toute difficulté n'est pas encore levée ; il en reste une dont la solution me laisse dans une perplexité beaucoup plus grande que celle qui vient d'être discutée. Qu'entend 45 Hippocrate par ντομή, entaille, dans cette phrase : Id (la machine) praeterea hinc et inde in longitudinem sectionem habeat, ne molitio convenientem altitudinem excedat. Postes insuper asellos continentes, breves, validos utraque parte insertos habeat. Tum satis quidem est si in dimidia ligni parte, nihil tarnen prohibet quominus etiam per totum quinque aut sex fossulae longœ, etc. (Foes) (9). La figure publiée par Vidus Vidius, et adoptée par tous les autres, ne présente rien qu'on puisse rapporter à cette entaille. Voici comment Galien commente ce passage : « Par νθεν κα ἔνθεν Hippocrate veut dire la gauche et la droite : cela est évident par κατ μκος, qui est ajouté. De plus παραμήκεα est synonyme (10) de κατ μκος; car, s'il avait voulu parler de la tète et des pieds de la machine, il aurait plutôt dit transversale, γκαρσίαν, et non ποφαμκη. Ce qu'Hippocrate a entendu est ceci (car il n'y a aucun mal à paraphraser ce passage pour plus de clarté) : Ensuite, suivant la longueur, à droite et à gauche, il y aura dans la machine une entaille longitudinale d'une profondeur convenable pour l'action du levier afin que cette action ne soit pas plus élevée qu'il ne convient. Les Grecs disent το καιρού au lieu de τ προσκον ou τ δέον, pour exprimer ce qui convient. Ainsi l'entaille sera d'une profondeur telle qu'on pourra y fixer le levier convenable à faction qui doit être exercée. » Essayons de comprendre Galien : suivant lui l'entaille est destinée à fournir un point d'appui au levier ; or, c'est la fonction que le texte même d'Hippocrate assigne aux κάπετοι. Dans le reste de son commentaire, Galien, rencontrant plusieurs fois le mot κπετος, 46 ne fait aucune remarque qui distingue la κάπετος de l'ντομ telle qu'il vient de la définir. Il a donc probablement entendu que ces deux mots avaient ici la même signification, et que Hippocrate désignait d'abord par l'expression générale d'entaille, ντομ , ce qu'un peu plus loin il décrivait en détail sous le nom de fossé, κάπετος, indiquant alors la position, la profondeur, la largeur et les intervalles. De cette façon, ντομ et κάπετος, entaille et fossé, sont identiques et se confondent sur la représentation de la machine.

J'adopte l'interprétation de Galien, et c'est celle que j'ai suivie dans ma traduction. Toutefois je dois ajouter qu'elle est loin de me satisfaire ; elle me paraît offrir plusieurs difficultés: 1° Hippocrate aurait-il employé deux expressions différentes, ντομ et κάπετος, pour signifier un seul et même objet? 2° Après avoir parlé de lντομ, aurait-il, si ἐνομὴ avait été la même chose que la κάπετος, interrompu ce qu'il disait de l'ντομ, pour parler des treuils, et revenir ensuite aux ντομα sous le nom de κάπετοι? 3° Enfin, comment est-il possible d'admettre que ne molitio convenientem altitudinem excedat, ς μ ψηλοτρη το καιρο μηχάνησις ἔῃ, signifie une cavité assez profonde pour recevoir l'extrémité du levier? Ces objections m'ont fait penser à une autre explication : prenant en considération ce membre de phrase que je viens de rappeler, et essayant de déterminer ce que l'auteur avait voulu exprimer par là, il m'a semblé qu'il s'agissait des treuils, qui, en effet, ne doivent pas être trop élevés; sinon, ils soulèveraient le patient. Dès lors j'ai pensé que l'ἐντομὴ était une entaille faite transversalement à l'extrémité de la machine, de manière que l'axe du treuil fût au-dessous du niveau du banc. Sans doute il serait possible d'obtenir le même résultat par plusieurs dispositions différentes de celle-ci ; mais celle que j'indique satisfait à cette condition, qui n'est pas sans importance; dans la figure de Vidus Vidius les axée des treuils sont tellement hauts, que le patient en serait soulevé. La difficulté la plus considérable 47 que je trouve à celte explication, c'est κατ μκος, qui signifie en longueur, et dont Galien argue pour établir que νθεν καὶ νθεν veut dire non pas aux pieds et à la tête de la machine, mais à droite et à gauche. Cette difficulté me paraît insoluble, à moins qu'on n'entende κατ μῆκος comme signifiant sur la longueur. Toutefois dans le commentaire que j'ai cité plus haut, Galien, d'après l'insistance qu'il met à établir que ἔνθεν κα νθεν signifie longitudinal et non transversal, laisse croire que les commentateurs anciens n'avaient pas été unanimes sur l'interprétation de ce passage. Toujours est-il que le Mochlique, qui donne eu abrégé la description du banc, que Rufus et Paul d'Égine ne font aucune mention de l'entaille, ντομ , et parlent uniquement des fossés, κάπετοι. L'explication nouvelle que je propose a pour but d'appeler l'attention sur un passage obscur ; mais elle laisse subsister une trop grave difficulté, pour que je la préfère à celle de Galien ; celle-ci est sujette aussi à des objections ; mais du moins, en la suivant, on s'appuie sur l'autorité d'un commentateur ancien et éclairé.

Les moyens mécaniques, que les chirurgiens modernes ont souvent négligés pour la réduction des luxations, étaient familiers à Hippocrate. Celui qu'il recommande comme propre à tous les usages, et dont je viens de discuter quelques détails, est une machine à treuil; cette machine lui permettait de porter l'extension et la contre-extension fort loin, et, comme il dit lui-même, de les graduer à volonté. Elle devait se trouver dans la maison du médecin, surtout de celui qui exerce dans une ville peuplée. Hippocrate en donne une description détaillée, sans dire qu'elle soit de son invention. Après lui, les chirurgiens de l'antiquité s'en sont servis constamment, tout en y introduisant diverses modifications.

XVI. Un paragraphe très-bref, qui figure aussi dans le Mochlique, est consacré à la luxation du pied. Les variétés de cette luxation sont exprimées par ce peu de mots : Οἷσι  48 δ' ἂν ἐκβῇ ὁ ποὺς ἢ αὐτὸς, ἢ ξὺν τῇ ἐπιφύσει, que Foés rend ainsi · At quibus pes ipse solus aut cum adnato osse excessit. Cette traduction est peu explicite. M. Malgaigne, qui n'a guère laissé de points de la chirurgie hippocratique sans discussion et sans lumière, a interprété ce passage : « On lit, dit-il, dans le traité Des articles attribué à Hippocrate, une description brève et comme aphoristique des diverses luxations du pied. Il distingue les luxations des os avec ou sans leurs appendices. Les commentateurs, ne surent longtemps comment expliquer ce passage tout-à-fait contradictoire à l'enseignement banal que l'on faisait sur ces luxations. En général, il est très-rare que la luxation du tibia en avant, ou, comme l'appelle M. Dupuytien, du pied en arrière, ait lieu sans fracture, et par simple échappement des surfaces articulaires. Dans le plus grand nombre des cas, le péroné est; rompu, et la malléole reste en arrière; c'est ce qui explique très-bien la luxation d'Hippocrate avec un seul appendice (Revue de la clinique de M. Dupuytren, Gaz. méd.9 1832, p. 647). »

Ce passage du traité Des articulations ou du Mochlique est l'abrégé d'an passage du traité Des fractures; c'est donc à l'original qu'il faut se référer, avant d'essayer l'interprétation de l'extrait. Le passage original est ainsi conçu : λισθάνει δ στιν τε τ πρς τν ποδς, τι μν ξν τ πιφύσει μφότερα τ στέα, ὅτε δ πίφυσις ἐκινήθῃ, ὁτε δ τ τερον στέον; ce que Foës a traduit par : Atque haec utraque ossa interdum quidem qua pedem contingunt, una cum adnato osse suis sedibus excidunt, quandoque vero adnatum os dimovetur, quandoque etiam alterum os. Massimini, dans son Commentaire sur le traité Des fractures, p. 110, entend que una cum adnato osse exprime la luxation en avant ou en arrière, que quandoque adnatum os dimovetur exprime la luxation en dedans ou en dehors, et que quandoque etiam alterum os exprime la diastase du péroné et du tibia. La première partie de l'explication de Massimini est d'accord avec celle 49 de M. Malgaigne. J'ai essayé de mon côlé, t. 3, p. 393, d'interpréter ce passage; mais cette explication ne me satisfait plus complètement.

Ayant d'y revenir, je vais mettre sous les yeux du lecteur les principales opinions sur les luxations du pied. Celse admet (VIII, 22) que l'articulation du pied, talus, se luxe en avant, en arrière, en dedans et en dehors. Héliodore et Rufus n'en distinguent que trois : l'articulation du pied τ σφυρν, se luxe, suivant eux, en dedans, en dehors et en arrière. Ambroise Paré distingue la luxation du péroné (t. S, p. 392, éd. Malgaigne), la luxation du tibia d'avec l'astragale, p. 399, et puis la luxation de l'astragale d'avec la jambe, p. 401. D'après Boyer, dans la luxation en dedans, la face interne de l'astragale devient inférieure, la face supérieure devient interne, la face externe devient supérieure; dans la luxation en dehors, la face externe devient inférieure, la face supérieure devient externe, la face interne devient supérieure ; en d'autres termes : dans ces deux luxations, l'astragale se place de champ ; dans les luxations en avant et en arrière, l'astragale se porte en avant ou en arrière. Astley Cooper se fait une toute autre idée de l'état des choses : dans la luxation en dedans, le péroné se fracture, le tibia glisse sur l'astragale et se porte au côté interne de cet os; dans la luxation en dehors, le péroné se luxe, le tibia se fracture à la malléole et se luxe en dehors ; dans la luxation en avant, le péroné se fracture, et le tibia se porte en avant sur le pied. J'ai déjà, t. 3, p. 392, appelé l'attention sur cette dissidence, qui me parait être autre chose qu'une dispute de mots. La luxation de Boyer est toute différente de celle d'Astley Gooper.

Après ce préliminaire, venons au passage du traité Des fractures. Ce qui se présente d'abord, c'est qu'Hippocrate distingue la luxation simultanée des deux os, μφότερα τ στα, et la luxation d'un des os. Il ajoute ( et c'est sans doute pour spécifier cette luxation des deux os), il ajoute 50 que ces deux os se luxent avec l'épiphyse, ξὺν τῇ ἐπιφύσει. Mais qu'entend-il par ces mots : avec l'épiphyse ? Si on demande à Hippocrate lui-même ce qu'il entend par πφυσις, en parlant de l'extrémité inférieure des os de la jambe, on trouve cette phrase : ξυνέχεται δ λλλοισι τ πρς το ποδς, κα πίφυσιν κοινν χει (t. 3, ρ. 460), du côté du pied ils tiennent l'un à Vautre, et ont de commun une épiphyse. Ainsi ce qu'Hippocrate appelle πφυσις est non la malléole interne ou l'externe, mais la réunion des deux malléoles considérées comme une seule pièce.

Ce ne doit pas être sans intention qu'Hippocrate a ajouté ξν τ πιφύσει ; il, a donc voulu dire que, dans cette luxation des deux os, les deux malléoles étaient jetées hors de leurs rapports. Il y a en effet des luxations où les deux os sont déplacée, mais où. les deux, malléoles ne le sont pas ; dans la luxation en dedans, d'Astley Gooper, le tibia est luxé d'avec l'astragale, le péroné fracturé a, suivi le tibia,, mais la malléole externe est restée dans sa position naturelle; et réciproquement dans la luxation en dehors, d'Astley Gooper, le péroné est luxé d'avec l'astragale, le tibia fracturé a suivi le péroné, mais la malléole interne est dans, sa position normale. J'ai déjà remarqué que la luxation en avant d'Astley. Cooper, ne comportait le déplacement, que de la. seule malléole interne.

Je ne vois que deux, cas où dans la luxation, des deux os les deux malléoles sortent hors de leurs rapports avec l'astragale. Le premier de ces cas est la luxation en, arrière de l'astragale (en ayant, des deux, os de la jambe); quoique Astley Cooper ne décrive que cette luxation en, avant où le péroné s'est fracturé, il y a des observations d'échappement de l'astragale en arrière sans fracture de l'une ou l'autre malléole; on en peut voir deux, Gaz. méd de Paris, p. 585. Le second cas est celui de la luxation en dehors, ou, en dedans, de Boyer. dans laquelle l'astragale, se plaçant de 51 champ, est véritablement luxé à la fois sur les deux malléoles (11).

De ces deux interprétations laquelle admettre? En faveur de la première, on remarquera qu'Hippocrate n'a pas dû ignorer la luxation eu avant, laquelle n'a pas été ignorée des chirurgiens postérieurs, comme le témoignent Celse, Héliodore et Rufus. On pourrait penser aussi que les expressions d'Hippocrate comprennent à la fois les deux interprétations, et qu'Hippocrate a entendu désigner par là fous les dépla- 52 cements de l'astragale considéré dans ses rapports avec les os de la jambe, soit qu'il se porte en arrière, soit qu'il se renverse en dehors ou en dedans. Mais un passage parait restreindre ces expressions à la seconde interprétation ; c'est celui ou Hippocrate, exposant les effets des luxations du pied non réduites, dit: « Quand les os n'ont pas été remis complètement et que la réduction est restée défectueuse, à la longue la hanche, la cuisse et la jambe s'amaigrissent en dehors si la luxation s'est faite en dedans, en dedans si elle s'est faite en dehors ; en général c'est en dedans qu'elle se fait (t. 3, p. 471). » On le voit, il n'est ici question que de luxations en dehors et en dedans, il n'est pas question de luxation en avant. Cela me semble faire pencher la balance en faveur de la seconde opinion. Dès lors le passage tout entier s'expliquerait ainsi : ξν τ πιφύσει μφότερα τ στέα, déplacement des deux os avec leurs malléoles, c'est-à-dire luxation en dedans ou en dehors de l'astragale dans son articulation avec les os de la jambe ou luxation considérée comme fait Boyer; τέ δ πίφυσις κινθη, diastase des deux malléoles, c'est-à-dire ce qu'on a appelé luxation en haut ; ὁτὲ δὲ τὸ ἕτερον ὀστέον, luxation du péroné ou du tibia (et non comme je Fai cru, t. 3, p. 398, luxation du seul péroné), c'est-à-dire luxation en dedans ou en dehors considérées comme fait Astley Gooper. Avec cette explication, on comprend pourquoi Hippocrate n'a mentionné, dans les effets de la luxation non réduite, que la luxation en dedans ou en dehors ; car, de la sorte, il n'aurait observé et décrit, que des luxations en dedans ou en dehors. On voit aussi qu'Ambroise Paré se rapproche d'Hippocrate ainsi commenté.

Revenons à notre point de départ, à l'extrait de ce passage, à la phrase du traité Des articulations ou du Mochlique : οἷσι δ' ἂν ἐνβῇ ὁ ποὺς ἢ αὐτὸς ἢ ξὺν τῇ ἐπιφύσει. Cela veut dire , ainsi que le remarque M. Malgaigne, luxation des os avec ou sans leurs appendices. La luxation avec les appendices, je viens d'exposer ce qu'elle me parait être ; la luxation sans 53 les appendices comprend dès lors celles dans lesquelles le tibia se luxe en dedans ou le péroné en dehors, c'est-à-dire les luxations en dedans ou en dehors, d'Astley-Cooper.

XVII. Qu'entend Hippocrate par ποκάψιες στέων, § 68? S'agit-il de l'amputation des membres, de la résection des os, ou d'une section accidentelle? Cornarius traduit : Quaecumque vero circa articulos digitorum penitus resecantur, ea plerumque innoxia sunt, si non quis in ipsa vulneratione ex animi deliquio laedatur... sed et quœ non circa articulos, sed juxta aliam quamdam ossium rectitudinem resecantur, et hœc innoxia sunt, et adhuc aliis curatu faciliora... at resectiones ossium perfectae circa articulos et in pede et in manu et in tibia ad malleoles, et in cubito ad juncturam manus, plerisque quibus resecantur innoxiae sunt, si non statim animi deliquium evertat, aut quarta die febris continua accedat. Cette traduction laisse indécise la question de savoir s'il s'agit d'une opération pratiquée par le médecin, ou d'un accident.

Il en est de même pour Foës, dont la traduction concorde avec celle de Cornarius, si ce n'est qu'il a prœciduntur au lieu de resecantur, et prœcisiones au lieu de resectiones, Vidus Vidius a été plus explicite ; il a mis en tête de ce chapitre : De ossibus prœcidendis; dès lors il est évident que ce traducteur a entendu parler d'une opération, non d'un accident. Seulement il ne serait pas facile de décider s'il a cru qu'il s'agissait d'une amputation ou d'une résection : quaecumque circa digitorum articulos ex toto abscinduntur, ferait penser à une amputation, et ossa ad articulos in manu, in pede prœciduntur, aune résection. Grimm, en rendant d'un côté ποκόπτεται par abgelœst werden, être détaché, et ποκψιες τέλειαι par das gœnzliche Abnehmen, l'enlèvement total, a tout laissé dans l'incertitude. Quant à Gardeil, il a traduit ποκόπτεται par se déplacer, et ποκάψιες par fracturce : « Quand les doigts sont, dit-il, entièrement déplacés de leur articulation, le mal est ordinairement sans danger, 54 à moins qu'où ne tombe en syncope dans l'accident... Il y a bien des fractures complètes des os, au pied, à la main, à la jambe, aux malléoles, au coude, qui, même près des articulations, sont sans danger. » Examinons maintenant le passage en lui-même.

S'agit-il d'une opération pratiquée par le médecin ? M. Malgaigne (Mémoire sur les luxations du poignet, Gaz. méd., 1832, p. 731) traduit ainsi le passage en question : « Les résections complètes des os autour des articles, soit au pied, soit à la main, soit à la jambe près des malléoles, soit à l'avant-bras vers la jointure du poignet, sont sans danger. » Il entend, ainsi qu'on le voit par la suite de son Mémoire, qu'il s'agit de la résection des extrémités des os qui dans les luxations ont traversé les parties molles et les téguments. Je vois beaucoup de difficultés à admettre cette interprétation. D'abord , comment se fait-il qu'Hippocrate n'ait pas ajouté à sa phrase (relisezr-en les traductions latines que j'ai rapportées) : par le médecin, ce qui aurait levé toute espèce de doutes ? En second lieu, comment lui, si soigneux d'indiquer les jours, n'aurait-il rien dit sur l'époque -où cette résection devait être pratiquée? En troisième lieu, pourquoi, au lieu d'employer, comme dans le traité Des fractures, où il s'agit de la résection de pointes osseuses, le mot ἀποπρίειν, scier, qui est le mot propre, a-t-il employé le mot ποκόπτειν, couper?

Les mêmes objections s'élèveraient, si l'on pensait qu'Hippocrate a voulu parler non de résection , mais d'amputation.

Ces raisons, mais surtout l'absence de toute mention de l'intervention du médecin, me paraissent obliger à recevoir le sens direct et naturel, qui est qu'il s'agit non d'une opération chirurgicale, mais d'un accident, non d'une résection ou d'une amputation faite par le médecin, mais d'une section complète faite par une arme tranchante quelconque.

XVIII. Il ne serait pas impossible qu'Hippocrate eut 55 entrevu quelques-uns des phénomènes de la maladie que dans ces derniers temps on a désignée sous le nom de phlébite ou de résorption purulente. En pariant de la gangrène du talon, § 86 , et traité Des fractures, t. 3, p. 457, il dit : « Il survient des fièvres suraiguës, continues, tremblantes, singultueuses, troublant l'intelligence, et en peu de jours causant la mort; il peut encore survenir des lividités des grosses veines, des regorgements du liquide quelles contiennent, et des gangrènes par l'effet de la pression. » Galien, dans son commentaire, dit que les veines régurgitent et pour ainsi dire vomissent le sang, d'un côté par la faiblesse que leur donne l'inflammation, d'un autre côté à cause de l'abondance et de la mauvaise qualité de ce liquide, qui évidemment s'altère dans cette affection.

XIX. Hippocrate, en signalant le rapport entre la phtisie tuberculeuse et les déviation» de l'épine, attribue la plupart de ces dernières à des tubercules, § 41. M. Natalis Guillot a, dans un excellent mémoire, retracé l'historique de cette Question : « Les premiers aperçus, dit-il, que l'on rencontre dans la science sur les tubercules des os, appartiennent évidemment à Hippocrate : il dit que les amas tuberculeux développés dans les poumons, ou bien en dehors de ces organes, sont la cause de la gibbosité et de la distension des ligaments de la colonne vertébrale. La même opinion est répétée par Galien, daris son Commentaire sur le livre Des articulations. Cette manière de voir ne paraît pas avoir été soumise à aucune espèce de contestation jusqu'en 1617, époque à laquelle Jérôme Mercuriali cherche à la détruire, en disant quel jamais les tumeurs tuberculeuses ne siègent dans les vertèbres, et que les poumons sont les organes dans lesquels on les rencontre (Medicina practica, 2, 2). En 1643, ce qu'Hippocrate et Galien avaient avancé, fut affirmé de nouveau, malgré l'autorité de Mercuriali , qui cependant était grande à cette époque et méritait de l'être, par Marc-Aurèle Severini, dans son livre, l'un des 56 bons que la science possède, intitulé : De recondita abcessuum natura. Il indique avec précision les affections tuberculeuses de la colonne vertébrale comme cause fréquente de la gibbosité et des luxations des vertèbres; et il annonce avec clarté que ces tubercules ne naissent pas dans la substance des poumons.

« Jusque là, c'est-à-dire jusqu'au milieu du dix-septième siècle, l'idée d'une affection tuberculeuse, cause des déviations ou des destructions de l'épine, parait être la seule, malgré son peu de précision, à laquelle les hommes dominants se soient rattachés. Ce qui paraissait certain à Severini, ne put néanmoins fixer l'attention des observateurs venus immédiatement après lui. Aussi le fait hippocratique disparaît-il pour se perdre longtemps dans un oubli complet.

« Les histoires de déviations et de destruction des vertèbres se succèdent dans Bonet (Sepulchretum), dans Ruisch ( Observ. anatom, ), dans W. Gooper (Anatomy of human body), dans Hunauld (An ab ictu, lapsu, nisuve quandoque vertebrarum caries, 1742), et dans beaucoup d'autres encore; et dans aucun de leurs ouvrages il n'est, pendant un siècle entier, fait aucune mention des tubercules à propos de ces affections ; toutes sont attribuées sans hésitation à la carie. Vers le milieu du xviiie siècle, en 1749, un homme d'une grande supériorité, Zacharie Platner, s'élève seul contre cette opinion régnante, et reproduit, en la développant dans deux précieux mémoires, l'idée d'Hippocrate et de Galien (Collect. opuscul. Diss. 4, de thoracibus, prolusio 22: De iis qui ex tuberculis gibberosi fiant). Ces travaux, qui auraient dû avoir une influence sur les esprits élevés de ce temps, ne changèrent pas le moins du monde l'idée vulgaire; celle-ci se propagea toujours sans s'amender; et, quand à la fin de la même époque l'aperçu d'Hippocrate renaît encore après tant d'épreuves dans les œuvres de Ludwig en 1783 (Adversaria medico-practica, t. 3, p. 507), et surtout en 1787 dans les recherches si intelligentes de Paletta , les savants sont si 57 peu disposés à l'accueillir, que les travaux du second de ces observateurs, malgré leur perfection, se dispersent sans éclat dans d'obscurs recueils italiens. Ce que ne peuvent faire ni Galien, ni Severini, ni Platner, ni Palet ta, plus habile que ses devanciers et de beaucoup plus complet que ses successeurs , Delpech, plus heureux, l'accomplit enfin en 1838 (De l'orthomorphie). Cependant antérieurement à cet observateur, M. Marjolin parlait chaque année, depuis 1815, dans ses leçons publiques, de l'affection tuberculeuse des vertèbres (L'Expérience, 1839, n° 109,1e août). »

Hippocrate, dans le traité Des articulations, parle de la gêne de la respiration que cause la luxation spontanée de la grande vertèbre du cou (axis). Il est question de cette luxation dans les Aphorismes (III, 26), dans le Prorrhétique, 1er livre, n° 87, et dans les Coaques ; enfin il en est donné une description détaillée dans le 2e livre des Épidémies; c'est alors que je m'en occuperai. J'ai voulu seulement ici signaler ces mentions diverses, pour montrer les connexions des livres hippocratiques.

XX. Avec un auteur d'une époque aussi reculée qu'Hippocrate, et dont les ouvrages forment le plus ancien livre touchant la médecine qui soit arrivé jusqu'à nous, il est intéressant, pour l'histoire de la science, de faire remarquer certaines notions, certaines pratiques qui sont ou antérieures à lui ou du même temps. Hippocrate, par la critique à laquelle il soumet si souvent les procédés des autres, offrant plusieurs renseignements de ce genre, je vais les passer rapidement en revue. Des médecins soutenaient que l'humérus pouvait se luxer en haut et en dehors ; il ne nie pas ces luxations, mais il ne les a jamais vues. Même remarque pour la luxation en avant ; mais il ajoute que des médecins prennent pour une luxation de ce genre une forte saillie que fait l'humérus chez des personnes amaigries ; il a vu des méprises de ce genre ; et il a été fort blâmé pour avoir nié dans ces cas la réalité de la luxation. Quant aux moyens de 58 réduction de l'humérus, aucun n'est de son invention ; car il dit : « Il est d'une bonne instruction de connaître les procédés de réduction que les médecins emploient » Suit rémunération de ces procédés. Ainsi la médecine les possédait dès avant Hippocrate. L'idée de cautériser l'épaule pour prévenir les récidives de luxation auxquelles cette articulation est sujette, s'était présentée à l'esprit de plusieurs médecins avant Hippocrate; celui-ci le montre en les critiquant; ces médecins plaçaient malles eschares.

Les signes de la luxation de l'humérus n'étaient pas familiers à tous les médecins. Hippocrate dit qu'il a vu plusieurs médecins, non des plus mauvais, qui ont pris une luxation de la clavicule pour une luxation de l'humérus, et qui ont fait des tentatives de réduction. La fracture de la clavicule avait suggéré aux prédécesseurs ou aux contemporains d'Hippocrate plusieurs moyens pour maintenir les fragments réduits : un plomb mis sous le bandage et devant peser sur les fragments ; un bandage prenant un point d'attache à une ceinture mise autour du corps, ou même passant par le périnée. Les fractures de la mâchoire étaient traitées par certains médecins avec des bandages roulés ; Hippocrate blâme cette pratique. L'art d'arranger des bandages de formes compliquées était trouvé, et des médecins en faisaient, dans les fractures du nez, un usage malencontreux, signalé par Hippocrate. Les luxations des vertèbres par cause externe avaient été de la part des médecins antérieurs à Hippocrate, l'objet de tentatives fort téméraires s je veux parler de la succussion par l'échelle (on la pratiquait en attachant un blessé sur une échelle, qu'on laissait tomber d'assez haut sur un sol résistant). Hippocrate dit que ce procédé est ancien, il loue l'inventeur ainsi que tous ceux qui ont imaginé des machines conformes à la disposition des parties ; mats il ne l'a jamais employé, attendu que ce procédé est tombé entre les mains des charlatans. Les fractures des apophyses épineuses des vertèbres avaient été, de la part des confrères 59 d'Hippocrate, l'objet d'une erreur: ils prenaient ces fractures pour une luxation des vertèbres en avant, et d'après cela déclaraient la luxation en avant très-facile à guérir. Au reste, d'autres avaient essayé, pour en obtenir la réduction, de faire tousser le blessé, de le faire éternuer, d'injecter de l'air dans les intestins, d'appliquer une grande ventouse sur le lieu de la lésion. Hippocrate signale toute l'impuissance de ces moyens. Remarquons en passant que les ventouses sont antérieures à Hippocrate. Plus loin il relève l'inexpérience des médecins qui, dans la luxation de la cuisse en dedans, voulant comparer les deux membres, rapprochent le membre sain du membre lésé, au lieu de les mettre tous deux au milieu, et de cette façon exagèrent l'allongement produit par la luxation. Un procédé ancien pour la réduction des luxations de la cuisse, était l'outre; il avait beaucoup de réputation ; Hippocrate y compte médiocrement, et il fait voir que les médecins qui l'appliquaient à toutes les luxations de la cuisse indistinctement, n'en comprenaient pas le mécanisme.

Il faut joindre à ces renseignements ceux qui sont fournis par le traité Des fractures : Des médecins (t. 3, p. 419) mettaient le bras cassé dans la position que prend l'archer quand il décoche une flèche ; et ils avaient fait à ce sujet une théorie qu'Hippocrate combat longuement ; d'autres (p. 423), pensaient que la supination était la position naturelle. La polémique d'Hippocrate montre que ses contemporains avaient discuté, soit oralement soit par écrit, sur la question de la meilleure position à donner aux membres cassés. Une phrase où Hippocrate dit que dans la fracture de l'avant-bras les médecins ne font pas généralement une extension suffisante, montre que la méthode de l'extension et de la contre-extension pour les fractures et incontestablement aussi pour les luxations, était dès lors du domaine commun. L'usage des gouttières qu'on place sous le membre inférieur dans la fracture de la jambe ou de la cuisse (p. 475) 60 est antérieur à Hippocrate; il en fait la critique et en discute l'utilité. Quant aux fractures compliquées de plaie, Hippocrate , ayant d'exposer sa méthode, signale deux méthodes qu'il blâme ; l'une consistait à mettre immédiatement sur la plaie quelque mondificatif, ou cérat à la poix, ou quelqu'un des médicaments destinés aux plaies récentes, ou la laine en suint, à soutenir le tout arec un bandage roulé, puis à attendre que les plaies se fussent mondifiées, pour appliquer les bandes et les attelles. Ce passage curieux montre que l'appareil à bandes et à attelles n'est pas de l'invention d'Hippocrate, puisque le voilà entre les mains des praticiens étrangers à son enseignement; il montre dès avant lui, l'usage, dans les plaies, du cérat à la poix , des médicaments destinés aux plaies récentes, de la laine en suint, substances qu'emploie aussi Hippocrate. Au reste, on peut croire que le pansement avec les bandes, le cérat et la laine en suint était le plus généralement employé; et par conséquent le plus connu des gens du monde ; car un contemporain d'Hippocrate, un poète comique, Aristophane, en fait mention : « Ο serviteurs qui êtes dans la maison de Lamachus , est-il dit dans une scène, de l'eau ! faites chauffer de l'eau dans une marmite ; préparez des bandes, du cérat, de la laina en suint, et un bandage pour le coude-pied. Lamachus s'est blessé en sautant un fossé ; il s'est luxé le pied, et il s'est cassé la tête en tombant sur une pierre (Acharn. 1174-1180).» Tout dans le traité Des fractures fait voir un certain nombre de moyens appartenant au domaine commun de la médecine, moyens dont Hippocrate discute la valeur et cherche à assujettir l'emploi à des règles dictées par l'expérience et la raison. Au reste, il serait fort difficile de reconnaître ce qui est de l'invention d'Hippocrate ; on pensera, si l'on veut, que le bandage à bandelettes séparées, t. 3, p. 515, l'appareil à extension continue, p. 519, le banc, t. 4, § 72 , lui sont dus, quoiqu'il ne le dise aucunement; les bandages avec la colle qu'il emploie pour la fracture 61 de la mâchoire et pour celle du nez, et sur lesquels il s'étend avec complaisance, lui appartiennent peut-être; peut-être encore a-t-il imaginé le mécanisme par lequel il réunit la pression et l'extension pour les luxations des vertèbres et certaines luxations de la cuisse. Mais dans tout cela on ne peut que conjecturer avec plus ou moins de probabilité; nulle part Hippocrate, en parlant d'un mécanisme, d'un appareil, ne dit : ceci est de moi. Et en général, ce qui est surtout à lui, c'est la discussion des idées, la condamnation des mauvaises théories, l'établissement des principes, en un mot une polémique dogmatique.

La seconde méthode de traitement des fractures compliquées de plaie consistait à appliquer immédiatement un bandage roulé, mais à mettre la bande de manière que la plaie restait à découvert, tandis que le membre était comprimé au-dessus et au-dessous. Hippocrate n'a pas assez de blâme pour une pareille pratique. Dans les fractures de la jambe (t. 3, p. 519), des médecins avaient l'habitude d'attacher le pied au pied du lit, comme moyen d'extension continue ; Hippocrate fait voir l'inutilité et le danger de ce procédé; et c'est à ce sujet qu'il expose son moyen d'extension continue, l'appliquant seulement à la fracture de la jambe. L'époque de la réduction dans les fractures sans plaie ou avec plaie était aussi un point sur lequel la pratique se partageait du temps d'Hippocrate (p. 525) : les uns laissaient passer les sept premiers jours, puis réduisaient et mettaient l'appareil. Les autres laissaient passer un jour ou deux, puis le troisième ou le quatrième jour ils pratiquaient la réduction.

En définitive, du temps d'Hippocrate, indépendamment de son influence, et dès avant lui, les fractures simples ou compliquées et les luxations étaient assujetties à un traitement qui comprenait différents procédés de réduction et différents appareils pour la contention des parties.

XXI. On lit dans le traité Des articulations au sujet de la réduction des doigts luxés, § 80: « Les tresses à nœud coulant 62 que l'on fait avec le palmier, sont aussi un moyen, commode ; on exerce sur le doigt l'extension en prenant d'une main le bout de la tresse, et la contre-extension en saisissant le carpe avec l'autre main (12). » Aristote (De part,, anim. 4,9) dit ; « Les cotylédons et les suçoirs dont les pieds des poulpes sont garnis, ont la même action et la mène disposition que les tresses dont les anciens médecins se servaient pour réduire la luxation des doigts (13). Ces suçoirs sont composés de fibres avec lesquelles les poulpes attirent les petits morceau de chair ; relâchés, ils embrassent les objets tendus, ils les pressent et y adhèrent par leur intérieur, qui y touche partout. » Sans vouloir chercher dans ce passage une allusion au passage du traité Des articulations que je viens de rappeler, je n'en juge pas moins ce rapprochement intéressant, d'autant plus qu'on peut mettre à coté un autre rapprochement avec un morceau de Diodes de Caryste que nous a conservé Apollonius de Gitium. « L'articulation des doigts, avait dit Dioclès, soit au pied, soit à la main, ce luxe en quatre sens, en-dedans, en dehors, ou latéralement. De quelque côté que soit la luxation, il est facile de la reconnaître, en comparant le doigt lésé au doigt de même nom et sain. La réduction se fait par l'extension avec les mains, on roule quelque chose autour du doigt afin d'empêcher qu'il n'échappe. Il faut savoir aussi que les tresses que font les enfants, mises au bout du doigt, peuvent servir à l'extension en même temps que la contre-extension se fait avec les mains (14). » 63 Ce passage de Dioclès est manifestement un abrégé du passage correspondant du traité Des articulations ; le mode de réduction, le soin d'envelopper le doigt pour qu'il ne glisse pas, les expressions mêmes, (περιελίξας πως μ ξολισθάνῃ) , voy. t. 4, § 80), la mention des tresses à nœud coulant, tout le fait voir. J'ai rapporté, t. 1, p* 334* un passage de Diclès, copié, d'après Galien, sur une phrase de ce même traité Des articulations; celui-ci est un nouvel exemple de ces emprunts du célèbre médecin de Caryste, et contribue à reporter le traité Des articulations avant Dioclès. Il n'est pas inutile (l'histoire de la collection hippocratique est si dénuée de faits), il n'est pas inutile, dis-je, de recueillir ces indications fugitives. Dioclès et Aristote, placés ainsi en regard du traité Des articulations, éclairent l'histoire de ce livre.

Au reste le passage d'Aristote, comme l'a bien vu Schneider à l'article σαύρα, donne l'explication de ce mot : σαύρα signifie, dans le traité Des articulations, une tresse à nœud coulant, si tant est même que la leçon soit certaine et qu'il ne faille pas lire σειρ, comme le porte le passage de Dioclès.

XXII. Il est dans le traité Des articulations un point qui, pour ceux qui ne connaissent que nos traités classiques, paraîtra neuf, quelque étrange que cela puisse sembler, dit d'un livre qui a plus de 2200 ans de date. Hippocrate a décrit avec soin les changements que les luxations non réduites, produisent dans la conformation des os, dans la nutrition des chairs et l'usage des parties. Il distingue soigneusement les effets» des luxations non réduites sur un adulte des effets des, luxations non réduites de naissance ou sur un sujet encore dans la période de croissance. Cette étude est d'un haut, intérêt pour la mécanique du corps humain.

XXIII. A côté d'Hippocrate et sans doute de son école, qui, possédait des notions exactes sur plusieurs points d'anatomie et entre autres, sur l'ostéologie, se trouvaient des médecins qui étaient sur ces objets dans une ignorance sin- 64 gulière. Ainsi Hippocrate cite (t. 3, p. 425) des médecins qui croyaient que la tubérosité interne de l'extrémité inférieure de l'humérus appartenait à l'avant-bras, et d'autres médecins , t. 4, § 46, qui s'imaginaient que les apophyses épineuses constituaient le corps même des vertèbres. Sans doute, dans une époque où l'anatomie était si peu appréciée et entourée de tant de difficultés, nombre de médecins ne s'en occupaient aucunement, tandis qu'Hippocrate et son école s'y appliquaient autant que le permettaient les circonstances. Dès lors on comprendra comment la secte des Empiriques, qui, dans des temps postérieurs, prétendit ne prendre que l'expérience pour guide, s'écartait, sur ce point comme sur bien d'autres, de ce qu'Hippocrate entendait par expérience.

Toutefois, on se tromperait si l'on pensait qu'Hippocrate lui-même n'a pas commis, même en ostéologie, des erreurs qui sont inexplicables. Il suffit de rappeler la description qu'il a donnée des sutures du crâne (t. 3, p. 183) ; tandis que dans le traité Des articulations se trouvent d'excellentes notions sur la colonne vertébrale, dans le traité Des plaies de tête les sutures du crâne sont exposées d'une façon tout à fait étrange. Autre singularité : Aristote, qui était très versé dans certaines parties de l'anatomie, assure que le crâne des femmes n'a qu'une suture circulaire ( voy. t. 3, p. 174). De sorte que, pour deux hommes aussi instruits qu'Hippocrate et Aristote. ces sutures sont, par une coïncidence digne de remarque, l'objet d'une grave erreur, et d'une erreur qui contraste avec le reste de leur savoir an atomique. Au reste, étant aussi dépourvus que nous le sommes de renseignements touchant les notions qu'à cette époque reculée on possédait sur le corps humain, et touchant la manière dont ces notions s'acquéraient, se perdaient ou se transmettaient, noue devons, en général, ne jamais conclure, pour Hippocrate, et les livres hippocratiques, arrivés si incomplets jus- 65 qu'à nous, de l'ignorance ou de la connaissance de tel fait à l'ignorance ou à la connaissance de tel autre.

Cette conclusion serait dangereuse ; c'est de là sans doute qu'on était parti pour reporter jusqu7après l'ouverture de l'école d'Alexandrie les livres hippocratiques où se trouvait le mot μς, muscle, attendu, disait-on, que la connaissance des muscles en général, et de certains muscles particuliers, tels que ceux du rachis, les massé ter s, les crotaphites, n'est pas compatible avec l'ignorance d'autres parties de l'anatomie. J'ai combattu cette opinion t. l, p. 230-233 ; aux faits que je citai alors, mes lectures ont ajouté un nouveau fait que je vais mettre sous les yeux du lecteur. On sait que le livre des Sentences cnidiennes est antérieur à Hippocrate, et qu'il y en avait même eu deux éditions au moment où ce dernier écrivait son traité Du régime dans les maladies aiguës (t. 2, p. 225 et 227), Or, un fragment du livre des Sentences cnidiennes qui nous a été conservé par Rufus, contient la mention d'un muscle spécial, du psoas , auquel on avait donné le nom singulier de renard. Voici le passage de Rufus « Les muscles, au-devant des lombes, sont les psoas, qui, seuls parmi les muscles rachidiens, sont, dans les lombes , placés latéralement. D'autres les nomment mères des reins ; d'autres-les nomment renards. C'est ce qui était écrit dans les Sentences cnidiennes : S'il y a néphrite, voici les signes : le malade rend une urine épaisse, purulente, et des douleurs se font sentir dans les lombes, dans les flancs, dans les aines, au pubis et dans les renards... Clitarque dit, à tort, qu'on donne le nom de psoas, de mères des reins, de renards aux muscles postérieurs du rachis (15) .» On lit dans 66 Athénée, IX, 59 : « Cléarque, dans le second livre Sur les squelettes, s'exprime ainsi : chairs musculaires des deux côtés, auxquelles les uns donnent le nom de psoas, les autres celui de renards, d'autres celui de mères des reins (16).. » Le Clitarque critiqué par Rufus, et le Cléarque cité par Athénée doivent être un seul et même auteur. Quoi qu'il en soit, les psoas, sous un nom bizarre, mais spécial, se trouvent mentionnés dans un livre plus ancien qu'Hippocrate.

XXIV. Le traitement des luxations du genou suivant Hippocrate présente des difficultés ; elles ont été examinées par M. Malgaigne, qui a étudié la chirurgie hippocratique avec tant de soin et que j'aime à avoir pour guide dans des discussions de ce genre. « Hippocrate, dit ce savant chirurgien, traite, dans le livre Des fractures, des luxations du genou et de leur cure; et, bien que mentionnant la luxation en arrière, il ne parle que du procédé de réduction des luxations latérales. Galien, en digne commentateur, a cherché la cause de ce silence; et il pense qu'Hippocrate ne dit rien de la réduction des luxations en arrière, parce que le procédé ne diffère point. Mais on trouve dans le livre des Articles, qui n'est, selon moi, que la dernière partie d'un grand traité auquel se rattachent les livres De officina medici et De fracturis, un article beaucoup plus complet sur -les luxations du genou, où Hippocrate recommande bien les extensions modérées comme méthode générale, mais où il indique en même temps la flexion subite et ce que les traducteurs latins ont rendu par la calcitration... Nous avons un petit livre attribué à Hippocrate, le Mochlique, qui n'est que l'abrégé du grand traité Des fractures et Des luxations ; j'ai recouru à cet abrégé, où j'ai trouvé en effet tout entier le chapitre 67 du livre des Articles ; bien plus, avec pluσ d'étendue et de clarté... Le chapitre du Mochlique est surtout plus complet et plus clair que l'autre, en ce qu'il établit nettement que la flexion et la calcitration sont spécialement applicables aux luxations en arrière. Mais en quoi consistaient ces procédés ? La flexion brusque n'a pas besoin d'être expliquée ; on la pratiquait encore après avoir préalablement placé dans le pli du jarret une bande roulée. La calcitration était simplement un procédé pour favoriser cette flexion. Dujardin dit que le chirurgien laissait tomber tout le poids du corps sur la plante du pied; ce qui est le procédé le plus absurde qu'on put imaginer. Le traducteur latin, dans le Mochlique, a donné comme synonyme de calcitratio, calcium impulsio, l'impulsion des talons. Le talon se plaçait dans le jarret comme dans l'aisselle, en vue de fournir un point d'appui sur lequel on faisait basculer les os pour obtenir la flexion complète (Lettre à M. Velpeau sur les luxations fémorotibiales, dans les Archives de médecine, 1837, 2« série, t. 14, p. 160). »

Hippocrate indique, pour la luxation en arrière  trois procédés : ξυγκάμπτειν , flectere; 2° ἐχκακτίσαι, calcitrare; 3° ἐς ὄκλασιν ἀφιέναι τὸ σῶμα, corpus in suras et talos demittere. La flexion, comme dit M. Malgaigne, n'a pas besoin d'explication. Quant à la calcitration , Foes l'explique ainsi dans ses notes : Excalcitratio, per calces elapsi ossis impulsio, aut ea quae fit repente calcibus in sublime jactatis et per subitum flexum articuli repositio. Le sens que M. Malgaigne attribue à calcitratio, est fort ingénieux, et j'y accéderais complètement si le verbe grec s'y prêtait sans peine. Mais ἐκλακτίζειν veut dite proprement donner un coup de pied en arrière, une ruade, et non pas appuyer le pied, comme le voudrait le sens adopté par M. Malgaigne. En raison de cette difficulté, j'ai songé à l'iinterprétation suivante: ἐκλάκτισμα ou ἐκλακτισμὸς désignait en grec une sorte de danse où l'on jetait fortement les pieds en arrière et en 68 haut. Cela établi, voici comment je conçois le procédé de l'eclactisme : le patient était placé debout sur la jambe saine, et des aides le maintenaient dans cette position; la jambe luxée était en l'air : le médecin la saisissait par lé pied et la fléchissait brusquement en la portant vers les fesses. Ce procédé, dans l'hypothèse que je propose, ne différerait de la flexion simple que parce qu'il se pratiquerait le malade étant debout.

Reste l'ὄκλασις, corpus in suras et talos demittere, faire asseoir le blessé sur les mollets et les talons. M. Malgaigne ne , dit rien de ce procédé, auquel se rapportent les paroles de Dujardin citées plus haut. Cette flexion se faisait ainsi, à ce qu'il me semble : le blessé était placé sur les deux genoux ; puis, après avoir mis préalablement un globe dans le jarret, on produisait la flexion en faisant asseoir de force le blessé sur ses mollets et ses talons.

La luxation du genou en arrière, selon Hippocrate, est la luxation dans laquelle le fémur passe dans le jarret, c'est-à-dire la luxation en avant de Boyer et d'autres auteurs. J'ai examiné cette question, p. 38.

XXV. Dans le traité Des fractures, t. 3, p. 453, § 11, Hippocrate parle de la diastase des os qui survient quand dans une chute d'un lieu élevé on se heurte fortement l'os du talon. J'ai interprété la lésion dont il s'agit ici, par : luxation du calcanéum, mais sans donner aucune explication. Comme il se trouve, dans le traité Des articulations, un passage venant du Colchique, lequel passage est un extrait du § 11 du livre Des fractures, je saisis l'occasion de revenir sur ce sujet.

M. Rognetta (Mémoire sur les maladies du pied, Archives générales de médecine, 1834, 2e série, t. 4, p. 40 et suiv.). distingue deux espèces de luxations du calcanéum : « 1° La première espèce, dit cet auteur, consiste dans la déviation permanente de la tubérosité antérieure de cet os, des surfaces correspondantes du cuboïde et du scaphoïde, sans que l'astra- 69 gale ait cessé d'être eu rapport normal avec le calcanéum. Pour que cette luxation arrive, il faut nécessairement que la tête de l'astragale ait quitté la cavité du scaphoïde.

« 2° Espèce de luxation du calcanéum. Lorsque le calcanéum, tout en perdant ses rapports normaux avec le cuboïde et le scaphoïde, cesse d'être en harmonie articulaire avec la face inférieure de l'astragale, c'est là une véritable luxation du calcanéum. Il y a dans cette espèce de luxation un double déplacement articulaire à la fois, savoir : déviation de la tubérosité calcanéenne antérieure du cuboïde et du scaphoïde, et perte de rapports articulaires entre la face calcanéenne supérieure et la face astragalienne inférieure... Soit que la tubérosité antérieure du calcanéum ait été déplacée en dedans, soit qu'elle l'ait été en dehors,- deux ordres de symptômes annoncent la luxation, savoir : la proéminence de la tubérosité antérieure du calcanéum au côté interne ou externe du pied, et la disparition partielle de la tubérosité postérieure de ce même os avec déviation du tendon d'Achille.»

M. Rognetta rapporte deux faits de la seconde espèce de luxation du calcanéum. Le premier lui appartient : « Un homme âgé de 36 ans, ouvrier, est entré à l'Hôtel-Dieu , salle Saint-Martin, pour être traité d'une luxation en dehors de la tubérosité antérieure du calcanéum au pied gauche. C'est en tombant sur les pieds d'une très-grande hauteur, dans une carrière, que cela lui est arrivé. On voit manifestement la tubérosité antérieure du calcanéum, sortie en avant, faire saillie au-dessous et au devant de la malléole externe. L'espace malléolo-plantaire de ce côté externe est beaucoup plus court que celui de l'autre pied, ce qui indique que la tubérosité antérieure est en même temps relevée en haut et en dehors. En effet le talon de ce pied est presque disparu ; il est dévié en dedans et en bas. L'espace tarsien-dorsal supérieur qui correspond au coude-pied est beaucoup plus large que celui de l'autre pied. Le pied entier semble déformé et. agrandi à cause de cette déviation. »

70 L'autre fait est emprunté à Astley Cooper : « Un individu ayant été enterré sous un tas de pierres qui tombèrent sur son corps, éprouva un désordre tel à un pied qu'il fallut lui couper la jambe. L'autre pied présentait une luxation du calcanéum en dedans. Voici quels étaient les phénomènes qui accompagnaient la luxation : La protubérance postérieure du calcanéum avait presque entièrement disparu de sa place naturelle ; elle se trouvait déjetée eu dehors et faisait saillie au-dessous de la malléole externe. Immédiatement au-dessous de cette tumeur on remarquait une dépression assez prononcée. A la partie interne du pied et au-dessous de la malléole interne, on voyait une saillie formée par la tubérosité antérieure du calcanéum. Le calcanéum avait par conséquent quitté la face inférieure de l'astragale et s'était mis de travers d'une malléole a l'autre. L'astragale avait aussi de son côté quitté la cavité scaphoïde ; la réduction de cette luxation ne fut pas difficile. On la pratiqua de la manière suivante : la jambe fut pliée sur la cuisse, et celle-ci sur le bassin à angle droit ; ensuite en prenant d'une main le métatarse, de l'autre le talon déplacé, on tira doucement dans ht direction de la jambe. Pendant cette extension, le chirurgien , M. Cline, appliqua son genou contre l'os déplacé, et toutes les parties rentrèrent à leur place naturelle ; le pied revint à son état normal (A treatise on dislocations, etc., Londres, 1822, p. 364). »

M. Malgaigne a pensé que le passage dont il s'agit ici, et qui présente plusieurs difficultés, était peut-être susceptible d'une explication différente; cette explication repose sur quelques faits qu'il a eu tout récemment l'occasion d'observer et dont il a bien voulu me faire part. Le hasard lui a mis sous les yeux, dans un court intervalle de temps, des cas de chute, d'un lieu élevé, sur les talons, et il a reconnu la fracture du calcanéum. Faisant application de ces cas à l'interprétation du passage d'Hippocrate, il a admis qu'il s'y agissait d'une fracture semblable. La chute, d'un lieu élevé, sur 71 le talon y est mentionnée expressément comme cause de la lésion ; la diastase des os (διίσταται τ ὀστέα du livre Des fractures, διαστναι τ ὀστέα de celui Des articulations) lui paraît exprimer l'élargissement que subit le pied à la suite de la fracture du calcanéum. Cette explication mérite d'être prise en considération dans l'examen du chapitre d'Hippocrate.

Hippocrate remarque que, dans la lésion du calcanéum qu'il décrit, il survient un sphacèle de l'os quand on comprime les parties avec un bandage mal appliqué. Il s'établit un sphacèle semblable quand dans les fractures ou les plaies de la jambe la position du talon n'est pas surveillée.

XXVI. Hippocrate, § 33, en décrivant un appareil propre à maintenir la mâchoire fracturée, dit qu'on colle des bandelettes de cuir avec de la colle. Mais suivant le ms. 2142 on peut lire, avec de la gomme, laquelle est plus douce que la colle. Il semble que la gomme n'est pas assez collante pour l'usage auquel Hippocrate la destine. Cependant on peut penser que dans l'antiquité une gomme ou une préparation gommeuse s'employait comme la colle. En effet, on lit dans Hérodote que les embaumeurs enduisent le corps avec de la gomme, dont les Égyptiens se servent généralement au lieu de colle (ποχρίοντες τ κόμμι, τ δ ντ κόλλης ταπολλ χρέωνται Αγύττιοι, 2, 86).

Hippocrate emploie souvent le mot ὕπερον pour désigner les bâtons auxquels il attache en certains cas les bouts des liens afin de pratiquer l'extension et la contre-extension ; ὕπερον signifie pilon de mortier ; or, le pilon, tel que nous nous le représentons, est trop court pour servir à l'usage auquel Hippocrate destine les ὕπερα. En conséquence, dans l'incertitude sur ee que ce pilon était réellement, on aurait pu songer à laisser dans la traduction le mot grec, hyperon, en indiquant l'obscurité qui restait sur la signification précise du pilon d'Hippocrate; mais cette difficulté a été levée par un vers d'Hésiode qui m'est tombé sous les yeux. On lit dans les Heures et jours, v. 421 :

72. Ὅλμον μὲν τριπόδην τάμνειν, ὕπερον δὲ τρίπηχυν.

Tailler un mortier à trois pieds, et un pilon de trois coudées. Trois coudées font 1 m, 386; or, des piloνs d'une pareille longueur satisfont aux conditions du pilon d'Hippocrate, lequel, comme on voit, est celui d'Hésiode.

XXVII. Rappelons ici quelques allusions du traité Des articulations au traité Des fractures, allusions qui prouvent la connexion de l'un et de l'autre. Dans le traité Des articulations, § 67, Hippocrate recommande, pour la réduction de la luxation des phalanges avec issue à travers les parties molles, d'employer le levier comme cela a été dit précédemment pour les fractures des os compliquées de l'issue des fragments. Ces paroles se réfèrent évidemment au § 31 du traité Des fractures, t. 3, p. 528, et on peut conjecturer de là que, dans le livre unique que formèrent le traité Des fractures et celui Des articulations, le premier est le commencement et le second la fin. On tire une même conclusion du passage suivant, § 72 : « Il a déjà été dit précédemment qu'il importe au médecin pratiquant dans une ville populeuse déposséder une machine ainsi disposée, etc. » Or, on lit dans le traité Des fractures : « Le meilleur pour l'homme qui exerce dans une grande ville, c'est d'avoir un instrument fait exprès qui présentera toutes les forces nécessaires à l'extension et à la réduction des os tant fracturés que luxée (t. 3, p. 467). Dans le traité Des fractures, t.3, p. 541, l'auteur dit en parlant des fractures du bras ou du fémur compliquées de l'issue des fragments : « Ce sont là des cas dont il faut surtout éviter de se charger (διαφυγεν) pourvu qu'on le puisse honorablement. » Dans le traité Des articulations, § 69, l'auteur, en parlant des gangrènes causées par la compression, dit : « Il faut sans hésitation en accepter le traitement (προσδέχεσθαι) ; elles sont plus effrayantes à voir qu'à traiter. » Διαφύγειν et ττροσδχεσθαι, fuir, s'il est possible, les cas qui paraissent sans bonne issue, et accepter sans hésitation les 73 cas qui paraissent plus graves qu'ils ne le sont, ces deux idées, ces deux règles de conduite sont évidemment connexes et appartiennent au système de prudence d'Hippocrate, qui s'efforçait toujours de mettre sa responsabilité à couvert, et qui, ainsi que le remarque avec justesse Galien, inculque, autant qu'il est en lui, le même esprit de précaution aux médecins.

Je ne terminerai pas ce paragraphe sans signaler une conformité frappante de doctrine entre le traité Des articulations et celui Du régime dans les maladies aiguës. À la fin du livre des Articulations, § 87, on lit : « Diminuer les aliments, car il y a repos. » Δίαιτα μεiων, λινύουσιν. C'est le même esprit qui, dans le traité Du régime des maladies aiguës a dicté ces-paroles : « Il faut, quand on fait succéder subitement le repos et l'indolence à une grande activité corporelle, donner du repos au ventre, c'est-à-dire diminuer la «quantité des aliments ( t. 2, p. 328). » Des deux côtés, même doctrine, à savoir qne le repos du corps exige diminution dans la quantité des aliments que l'on prenait lorsqu'on se livrait au mouvement.

XXVIII. Si, tournant les feuillets à fur et mesure, on lit successivement les titres que j'ai mis au-devant de chaque chapitre, ou si l'on parcourt le résumé qui est en tête de cet Argument, on se trouvera aussitôt porté à soupçonner que l'ordre actuel des matières n'est pas l'ordre primordial ; en effet, il est douteux que, dans la composition telle qu'elle avait été conçue par l'auteur, la description des luxations de la cuisse ait été disjointe du traitement de ces luxations, et séparée pur des objets aussi disparates que le pied-bot, les luxations compliquées de plaies, la section des extrémités des membres, et la gangrène de ces mêmes extrémités. Mais ce n'est pas la singularité la plus remarquable que présente l'eut actuel de ce traité : le fait est qu'il y a eu un temps où le texte de ce traité passait directement de la fracture de la clavicule à la luxation de la mâchoire, n'ayant pas les luxa- 74 tions du coude, du poignet et des doigts qui y figurent aujourd'hui. A tort ou à raison, un éditeur ou un possesseur de ce traité a cru qu'il y avait là une lacune, et il l'a remplie, avec quoi ? avec un morceau pris au Mochlique. Ceci n'est pas contestable : le Mochlique est un extrait des livres Des fractures et Des articulations ; or, qu'est ce morceau emprunté au Mochlique? un extrait du chapitre du traité Des fractures relatif aux luxations du coude, un extrait du chapitre relatif aux luxations du poignet, chapitre qui a péri, enfin un extrait du chapitre des luxations des doigts, chapitre qui figure dans le traité même Des articulations, § 80. Il faut encore remarquer que la fin du traité Des articulations, §§ 82, 837 84, 85, 86 et 87, est prise dans le Molchlique, sauf une phrase importante sur laquelle M. Malgaigne a appelé l'attention, p. 67 ; et encore cette omission est due sans doute à une erreur de copiste. le dis toujours que ces chapitres semblables dans les deux livres ont passé du Mochlique dans le livre Des articulations; cela est évident : ces chapitres sont conformes au reste du Mochlique, qui est un abrégé ; et ils forment une disparate complète avec le style du livre Des articulations ; donc ils ont été introduits du premier dans le second.

Ainsi, à une époque inconnue et quand le traité Des fractures et celui Des articulions existaient dans leur intégrité, un extrait en a été fait, et il nous est parvenu sous le nom de Mochlique. A une époque également inconnue, mais postérieure , et lorsque dans les traités originaux le chapitre relatif à la luxation du poignet avait péri, on a intercalé dans le traité Des articulions un morceau emprunté au Mochlique, afin de combler la lacune qui semble exister dans le premier de ces livres, mais qui n'est; pas réelle. Car, des trois luxations ainsi intercalées, celle du coude est dans le traité Des fractures, celle des doigts est ailleurs dans le traité Des articulions, § 80 ; et celle du poignet, qui a péri, il est vrai, figurait probablement dans le traité Des fractures ; 75  du moins c'est là qu'il en est fait mention. Je remarquerai ici, comme je l'ai déjà remarqué plusieurs fois, que ces remaniements, même les plus récents, sont néanmoins antérieurs au commencement des travaux critiques de l'école d'Alexandrie , et qu'ils appartiennent à cette époque si obscure de la collection hippocratique qui sépare Hippocrate lui-même du temps d'Erasistrate et d'Hérophile.

On voit qu'en lisant le traité Des articulations il est une part à faire aux injures du temps ; et, cette part faite, on reste pénétré d'admiration pour l'auteur qui l'a composé. On peut le dire sans aucune crainte : c'est avec le livre Des fractures le grand monument chirurgical de l'antiquité; et c'est aussi un modèle pour tous les temps. Connaissance profonde des faits, appréciation judicieuse de la valeur des procédés, critique saine et vigoureuse, sagesse qui craint autant la timidité que la témérité, style d'une élégance sévère qui est la vraie beauté du langage scientifique; telles sont les qualités supérieures qui font des traités Des fractures et Des articulations une des plus, précieuses productions de la science et de la littérature grecques.

BIBLIOGRAPHIE.

MANUSCRITS

Codex Med. = Β
2146 = C
2255 = Ε
2144 = F
2141 = G
2142 = H
2140 = I
2143  = J
2145 = Κ
Cod. Sev. = L
2247 M
76 2248 = Ν
1868 (17) = Ο
1849 (18) = Ρ
71 (19) =, U
Cod. Fevr. = Q'

77 ÉDITIONS, TRADUCTIONS ET COMMENTAIRES.

Chirurgta e graeco in latinum conversa, Vido Vidio interprete, Parisiis, 1544, in-fol.

Editio libri De articulis prodiit, Lugd. Batav., vertente Anut. Foesio, 1638, in-4°.

(1) La fracture de l'oreille était commune en Grèce. On lit dans Platon, Gorg. 74 : τν τ τα κατεαγτων ; et le Scholiaste dit : « On se frottait les oreilles dans les palestres. » τι ν τας παλαίστραις πετρίβουν τα. De la aussi le nom de casseur d'oreilles, τοκαταξίας, dans Aristophane.

(2) Œuvres complètes, publiées par J.-F. Malgaigne, Paris, 1840, t. 2, p. 359.

(3) Hippocrate signale la possibilité de cette méprise.

(4) κρώμιον δὲ ὁ σύνδεσμος τς κλειδὸς κα τς μοπλάτης· Εὔδημος δὲ ὀστάριον ενα φησι μικρὸν τ κρώμιον.

(5) Διὰ τὸ μὴ διασπᾶσθαι, je pense qu'il faut supprimer μή.

(6) Ἰηλεὺς. de Bâle; Νιλεὺς ms. 2247.

(7λον δὲ τ ξύλον κατ τν ρισείαν ἐκ διαστημάτων τετραδακτυλιαον σεσωλνισται, σωλνι μοιον, κατ βάθους τετραδακτυλαίους· τούτους δὲ τος σωληνισμοὺς καπετος νόμασεν πποκράτης, (Mai, Classicorum auctorum, etc., t. 4, p. 168, in-8°, Romœ 1851). Lisez avec le ms. 3218, qui contient ce qu'a publié Mgr Mai, μίσειαν, τετραδακτυλιαίων, τετραδακτυλαίου, et καπτους.

(8Τοὺς τῶν ξύλων σωληνισμοὺς καπέτους προσηγόρευσεν Ἱπποκράτυης, ὡς προιόντες ἐν τῷ κζ κεφ. τὸν Ῥοῦφον εὑρήσομεν λέγοντα, τὸ Ἱπποκράτους βάθρον ἐξηγούμενον.

(9Ἔπειτα κατὰ μῆκος μὲν, ἔνθεν καὶ ἔνθεν ἐντομὴν ἔχειν χρὴ, ὡς μὴ ὑψηλοτέρη τοῦ καιροῦ ἡ μηχάνησις ἔῃ· ἔπειτα φλιὰς βραχείας, ἰσχυρὰς, καὶ ἰσχυρῶς ἐνηρμοσμένας, ὀνίσκον ἔχειν ἑκατέρωθεν· ἔπειτα ἀρκέει μὲν ἐν τῷ ἡμίσει τοῦ ξύλου, οὐδὲν δὲ κωλύει καὶ διὰ παντὸς ἐντετμῆσυαι ὡς καπέτους μακρὰς κτλ.

(10) Il semblerait d'après cela que le texte que Galien avait donc les yeux portait ντομὴν παραμκεα.

(11)  Comme les luxations de ce genre sont rares et ont été contestées, j'en mets ici, sous les jeun du lecteur, une observation toute récente.

« Observation d'une luxation du pied en dehors, par M. le docteur Keisser. — Le 13 juillet 1841 je fus appelé auprès du nommé Jean, âgé de 32 ans, d'une constitution forte, d'un tempérament sanguin. Cet homme, employé sur les bateaux à tapeur, montait à une échelle ayant une caisse de 150 kil. sur les épaules ; arrivé au onzième échelon, l'échelle se brisa sous lui et il tomba sur les pieds ayant encore la caisse sur ses épaules ; le pied gauche porta à faux et il y eut une luxation en dehors sans accompagnement de plaie ni de fracture. J'arrivai un moment après l'accident, et je trouvai le pied dans l'état suivant : Il était fortement porté en dedans, sa face plantaire regardait en dedans, son bord externe était dirigé en bas, la face dorsale en dehors, le pied faisait un angle presque droit avec la jambe. L'astragale était renversé de manière que la face supérieure était devenue externe, l'interne supérieure, et l'externe inférieure ; il formait une éminence assez considérable au-dessous de la malléole externe, et cette dernière poussait assez fortement la peau en dehors. J'opérai la réduction, qui exigea des efforts assez grande, en faisant fixer la jambe par des aides et en faisant tirer le pied par un autre aide assez intelligent; moi-même je pressai sur l'astragale et sur la face externe du pied, et je parvins à faire rentrer dans- leur articulation les os qui avaient été déplacés. La luxation réduite, je m'assurai qu'il n'y avait pas de fracture des malléoles. En effet, je ne constatai ni mobilité ni crépitation ; j'insistai fortement sur ce point, car il est excessivement rare qu'une luxation aussi complète n'entraîne pas la fracture de la malléole ; comme il n'y avait point encore de gonflement, je pus (aire les recherches les plus minutieuses.... Trois mois après l'accident, le malade marchait bien, seulement il ressentait de la faiblesse dans l'articulation et quelquefois de la douleur (Mémoires de la Société médicale d*émulation de Lyon, t. 4, p. S8S, in-8°, 4 8*2). » Voyez aussi un mémoire de M. A. Thierry sur les luxations du pied (l'Expérience, 1859, 3 octobre).

(12) Ἐμβάλλουσι δὲ ἐπιεικέως καὶ αἱ σαῦραι αἱ ἐκ τῶν φοινίκων πλεκόμεναι, ἢν κατατείνῃς ἔνθεν καὶ ἔνθεν τὸν δάκτυλον, λαβόμενος τῇ μὲν ἑτέρῃ τῆς σαύρης, τῇ δὲ ἑτέρῃ τοῦ καρποῦ τῆς χειρός.

(13Οἵαν περ τὰ πλεγμάτια, οἷς οἱ ἰατροὶ οἱ ἀρχαῖοι τοὺς δακτύλους ἐνέβαλλον.

(14Δακτύλου μὲν ἄρθρον ἄν τε ποδὸς ἄν τε χειρὸς ἐκπεσῃ, τετραχῶς ἐκπίπτει ἢ ἐντὸς ἢ εἰς τὰ πλάγια.  Ὅπως δ' ἂν ἐκπέσῃ, ῥᾴδιον γνῶναι πρὸς τὸ ὁμώνυμον καὶ τὸ ὑγιὲς θεωροῦντα.  Ἐμβάλλειν δὲ κατατείνοντι (sic) εὐθὺ ἀπὸ χειρῶν, περιελίξας τε ὅπως μὴ ἐξολισυάνῃ.  Ἰστέον δὲ καὶ τὰς σειρὰς, ἃς οἱ παῖδες πλέκουσι, περιθέντα περὶθέντα περὶ ἄρκων τῶν δακτύλων, ἐκ δὲ τοῦ ἐπὶ θάτερα ταῖς χερσίν.Scolia in Hipp. ed. Dietz, t. 1, p. 19.

(15Οἱ δὲ μύες οἱ ἔνδοθεν τῆς ὀσφύος, ψόαι οἵπερ καὶ μόνοι τῆς ἄλλης ἁάχεωϲ τῇ ὀσφύ[ι παραπεφύκασιν· ἄλλοι δὲ νευρομήτορας (l. νεφρομήτρας), ἄλλοι δε ἀλώπεκας.  Τοῦτο ἄρα ἦν καὶ τὸ ἐν ταῖς Κνιδίαις γνώμαις γεγραμμένον· ἐὰν δὲ νεφρῖτις ἔχῃ, σημεῖα τάδε· ἐὰν οὐτῇ παχὺ, πυῶδες, καὶ ὀδύναι ἔχουσι ὥστε ( l. ἔς τε) τὴν ὀσφὺν καὶ τοὺς κενεῶνας, καὶ τοὺς βουβῶνας, καὶ τὸ ἐπείσον, τότε δὲ καὶ ἐς τὰς ἀλώπεκας... Κλείταρχος δὲ τοὺς ἔξω κατὰ τῆς ῥάχεωϲ μύας, ψόας καὶ νευρομήτορας ( l. νεφρομήτρας) καὶ ἀλώπεκάς φησι καλεῖσθαι, οὐκ ὀρθῶς. (Rufus, de Part. corp. hum., p. 50. Paris, 1554).  Il est évident qu'il faut entendre ici ἔνδοθεν et ἔξω  comme chez Hippocrate, dans le sens de antérieur et postérieur.

(16) Κλέαρχος δ' ἐν δευτέρῳ Περὶ σκελετῶν οὑτως φησί· σάρκεις μυωταὶ καθ' ἑκάτερον μέρος, ἃς οἱ μὲν ψύας, οἱ δὲ ἀλώπεκας, οἳ δὲ νεφρομήτρας καλοῦσι.

(17) J'ai donné, t. 1, p. 597, une notice incomplète de ce manuscrit, parce que les feuillets y sont intervertis. Après : περ ρθρων, f. 375, verso, ajoutes : νόμος, f. 377. - περ τέχνης, f. 377. - περ ρχαίας ἰητρικῆς, f. 379, verso. Dans mon édition du Περ ρχαίης ἱητρικῆς je n'ai pas mentionné ce texte, qui m'avait échappé. - f. 389 , reprise du Περ ρθρων, qui avait été interrompu. - f. 594, autre reprise du Περ ρθρων. - f. 597, reprise du Περὶ ἀρχαίας ἰητρικῆς, définitivement interrompu prés de sa fin.
 

(18) A la notice sur ce manuscrit, inséré et. 3, p. 971, ajoutes qu'il contient le Commentaire de Galien sur le traité Des fractures et son Commentaire sur celui Des articulations.

(19) Ce manuscrit appartient à la bibliothèque royale de Munich. M. le docteur Thomas a collationné pour moi les traités Des articulations, du Mochlique et Des plaies de tête. Je le prie de recevoir ici l'expression de ma reconnaissance pour avoir bien voulu se charger de cette tâche pénible et s'en être acquitté avec une attention scrupuleuse et une exactitude parfaite. Voici la description et la table de ce manuscrit, que m'a envoyées M. Thomas.

Codex LXXI.

Chartaceus titulo et initiali prima miniata, literie minutie et nitidis manu diversa, in folio, cum variantibus et notis marginalibus, cum lacunulis, constans foliis 106, possessus quondam ab Adolpho Aron Afan medico, cujus imago et arma in fine aeri incisa habentur ; scriptus anno 1551 ; probe conserva tus et inscriptus.

Κατ στοιχεον πποκράτους λεξικν.
fol. 9.

πποκράτους γένος κα βίος κατ σωρανν.
fol. 41.

πποκράτους ρκος. - το ατο νμος. - περ τέχνηνς. - περ πάρξεως ητρικς. - περ ρχαίας ατρικς, - το ατο παραγγελίαι. - περ εύσχημοσύνης. - περ φύσεως νθρπου. - περ πυρετν. - περ διαίτης. - περ μέτων. - περ γυναικν. - περ γονς. - περ φύσεως παιδίου - περ ρθρων. - περ χυμν. - περ τροφς. - περ λκν. - περ ερς νσου. - το ατο γνσιον νούσων περ (sic) βιβ. δ. - περ παθν - περὶ διαίτης.- περ νυπνίων. - περ ψιος. - περ κρισίμων. - φορισμο - προγνωστικόν. - περ ητρο. - περ διαίτης ξεων. - περ φυσν. - μοχλιχν. - περί στέων φύσεως. - τ περ γμῶν. - κατιητρεῖον (sic). - περ γκατατομς μβρύου. - περ γυναικν βιβ. β. - περ φρων. - περ πικυσεως. - περ πτάμηνου. - περ κτάμηνου. - περ παρθενίων. - περ γυναικείης φύσεως. - περ ἐγατατομῆς παιδίου. - προρρητικο λόγοι β. - περ συργγων. - πεp αμορροδων. — κωαχα προγνώσεις. - πιδημίων ζ βιβ. - πρεσβευτικός. - περί νατομῆς. - περ έρων, δάτων, τόπων. - περ καρδίης. - περ σαρκν. - μέρος τι περ τς μανίης ν τ περ ερς νόσου. - περί ἀδένων ολομελίης - περ τόπων τν κατὰ νθρωπον. - περὶ κρίσεων. - περ δοντοφυΐας. - περὶ τῶν ἐν κεφαλ τρωμάτων.

ou une préparation