Anthologie grecque
Édition de Jacobs, t. I, p. 305 ; de Tauchnitz, t. 1, p, 224.)
1. ALCÉE DE MESSÉNIE. - Dans l'île d'los, des enfants ont fait mourir de chagrin le chantre des héros, lui ayant proposé une énigme en vers ; mais les Nymphes de la mer ont parfumé son corps avec du nectar, et l'ont déposé sous un rocher du rivage, parce qu'il a glorifié Thétis et son fils, les combats d'autres guerriers et les exploits du héros d'Ithaque, fils de Laërte. Elle est heureuse entre toutes les îles la petite Ios (1) qui recèle dans son sein l'astre des Muses et des Grâces (2).
2. ANTIPATER DE SIDON. - Passant, le poète à la grande voix qui charmait, qui persuadait les mortels, dont les chants égalaient ceux des Muses, Méonide, il est ici : le sort en a gratifié mon île d'los. C'est sur les rochers de ma plage, non dans une autre contrée, qu'il a exhalé en mourant son souffle sacré, ce souffle qui a chanté le signe de tête du tout-puissant Jupiter, l'Olympe, le combat d'Ajax près des vaisseaux, et les chevaux thessaliens d'Achille, traînant le cadavre d'Hector dans la plaine de Troie. Que si, moi si petite, je cache un si vaste génie, sache qu'Icos (3), qui n'est pas plus grande, cache aussi l'époux de Thétis.
2 bis. ANONYME. - Bien que je sois un petit tombeau, étranger, ne passe pas devant moi avec indifférence ; mais décore-moi d'une couronne et honore à l'égal des dieux celui que je renferme, car c'est par excellence le favori des Muses, le poète des grandes épopées, c'est le divin Homère.
3. ANONYME. - Ici la terre recouvre les restes sacrés du chantre des héros, le divin Homère.
4. PAUL LE SILENTIAIRE. - Ici, sous un rocher du rivage, une tombe illustre renferme le savant interprète des Muses, le divin Homère. Si une île aussi petite contient un tel homme, ne t'en étonne pas, étranger, regarde : Délos, sa soeur, autrefois errante et misérable, a bien reçu Apollon sortant du sein de sa mère.
5. ALCÉE DE MITYLÉNE. - Non, me dressât-on une statue d'or aussi éclatante que les traits de feu de Jupiter, je ne suis pas (4), je ne serai pas de Salamine, je ne suis pas le fils de Démagoras, moi qui ai Mélès pour père ; que la Grèce ne voie jamais cette statue. Mettez à l'épreuve de vos dons un autre poète : [Chios est ma patrie] ; vous, Muses, et toi, Chios, vous chanterez à tout jamais mes vers à la Grèce.
6. ANTIPATER DE SIDON. - Le chantre des exploits héroïques, l'interprète des dieux, le second soleil dont s'éclairait la Grèce, la lumière des Muses, la voix toujours jeune du monde entier, Homère, il est là, étranger, sous le sable de ce rivage.
7. ANONYME. - Ici repose le chantre et le héraut de toute la Grèce, le divin Homère, qu'a vu naître Thèbes, la ville [d'Égypte] aux cent portes.
8. ANTIPATER DE SIDON. - C'en est fait, Orphée, vous n'attirerez plus par vos chants les forêts ni les rochers, ni les bêtes féroces si jalouses de leur liberté ; vous n'apaiserez plus le sifflement des vents, ni l'impétuosité de la grêle et de la neige, ni la fureur des flots. Hélas ! vous n'êtes plus : vous avez coûté bien des larmes aux filles de Mnémosyne et surtout à votre mère Calliope. Comment osons-nous donc nous plaindre de la perte de nos enfants, puisque les dieux eux-mêmes ne peuvent garantir leurs enfants de la mort ?
9. DAMAGÈTE. - Près du mont Olympe, dans la Thrace, est le tombeau d'Orphée, fils de la Muse Calliope. Les chênes obéissaient à sa voix ; les rochers insensibles, les hôtes les plus sauvages des forêts marchaient en foule à sa suite. C'est lui qui inventa les initiations et les mystères de Bacchus, c'est lui qui, le premier, assujettit la poésie au rythme héroïque. Enfin, il sut par les sons de sa lyre toucher le coeur, émouvoir les entrailles de l'inflexible et inexorable Pluton.
10. ANONYME. - Les femmes de la Thrace donnèrent mille témoignages de douleur à la mort d'Orphée, fils d'Oeagre et de Calliope : on les vit se meurtrir les bras, en faire jaillir le sang ; on les vit couvrir de cendre leur bonde chevelure. Les Muses elles-mêmes et le dieu qui rend ses oracles en Lycie, aussi affligé qu'elles, répandirent des torrents de larmes sur ce chantre [divin]. A ce concours de deuil se joignirent les rochers et les chênes, qu'il avait rendus sensibles aux accents de sa lyre.
11. ASCLÉPIADE. - Voici le doux et suave ouvrage d'Érinne, de peu d'étendue sans doute, comme étant d'une jeune fille de dix-neuf ans, mais supérieur à beaucoup d'autres poëmes. Si la mort ne l'eût pas si promptement moissonnée, quel poète eût laissé un nom aussi grand que le sien ?
12. ANONYME. - Ta venais de mettre au jour tes vers gracieux et parfumés comme le printemps, ta voix de cygne résonnait encore, lorsque la Parque qui file la quenouille (5) de nos destinées t'entraîna vers l'Achéron par les larges voies du trépas. Mais l'oeuvre admirable de tes poésies, Érinne, proclame que tu n'es pas morte et que tu as rejoint le Choeur des Piérides.
13. LÉONIDAS ou
MÉLÉAGRE. -
Pluton a enlevé, pour en faire son épouse, la vierge Erinne, jeune nourrisson des Muses,
jeune fille charmante abeille qui butine les fleurs de l'Hélicon. Alors la
jeune fille a dit ce mot plein de sens et de vérité : "O Pluton, tu es un dieu
jaloux !"
14. ANTIPATER DE SIDON. - Terre d'Éolie, tu renfermes Sapho, la muse mortelle qui chantait avec les Muses immortelles, que Cypris et l'Amour avaient élevée ensemble, avec laquelle Pitho tressait la couronne toujours fraîche des Piérides, le charme de la Grèce, et ta gloire. O Parques qui sur vos fuseaux filez à vous trois la trame de nos vies, comment n'avez-vous pas filé une vie impérissable pour Sapho, qui a rendu impérissables les dons des Muses ?
15. LE MÊME. - Sapho est mon nom ; en poésie, j'ai surpassé toutes les femmes, comme Homère tous les hommes.
16. PINYTUS. - Ce tombeau renferme les restes de Sapho et porte son nom mutilé, mais ses oeuvres de poésie sont immortelles.
17. TULLIUS LAURÉA. - Étranger, en passant devant cette tombe éolienne, ne dis pas que je suis morte, moi la poétique et docte fille de Mityléne. Les mains des hommes ont élevé ce monument, et leur ouvrage tombera bientôt dans la poussière de l'oubli ; mais juge-moi d'après l'honneur que m'ont fait les Muses, d'après leurs dons que j'ai déposés dans mes neuf livres de poésies, et tu reconnaîtras que j'ai échappé aux ténèbres de la mort. Dans tous les âges et sous tous les soleils, on parlera de la lyrique Sapho.
18. ANTIPATER DE THESSALONIQUE. - Ne juge pas l'homme d'après sa
tombe ; celle-ci est petite mais elle renferme les
cendres d'un grand poète, d'Alcman, le souverain maître de la lyre laconienne que les neuf Muses ont admis dans leur choeur,
Deux continents se disputent son origine : est-il de Lydie, est-il de Sparte ? les poètes sont de tous les pays.
19. LÉONIDAS. - Il est ici, sous cette tombe, le gracieux Alcman, le chantre des épithalames, le cygne dont les accents étaient dignes des Muses, la gloire et l'orgueil de Sparte, où il a exhalé son dernier souffle (6) avant de descendre chez Pluton.
20. SIMONIDE. - Tu es mort, vieux Sophocle, la gloire des poètes, étouffé par un grain de raisin (7).
21. SIMMIAS DE THÈBES. - Sophocle, fils de Sophile , qui as organisé tant de choeurs, étoile athénienne de la Muse tragique ; que (8) près de l'autel de Bachus et sur la scène le lierre flexible d'Acharnes a si souvent couronné, une tombe, un peu de terre a recueilli tes restes ; mais tu vis et tu brilles à jamais dans des pages immortelles.
22. LE MÊME. - Doucement sur la tombe de Sophocle, doucecement, ô lierre, rampe en poussant tes verts rameaux ; que les calices des roses s'y épanouissent ; que la vigne aux belles grappes l'entoure de ses pampres flexibles, en honneur des poésies éloquentes et si sages que composait le délicieux poète entre les Muses et les Grâces.
23. ANTIDATER DE SIDON. - Anacréon, qu'autour de ta tombe le lierre enlace ses grappes et ses pampres, que les fleurs des prés étalent leur calice de pourpre, que des sources de lait jaillissent de la terre, et que le vin épanche son doux parfum, afin que ta cendre et tes restes se réjouissent, s'il est pour les morts quelque joie, ô cher poète qui as aimé tendrement la lyre, qui as traversé l'océan de la vie avec le chant et l'amour.
24. SIMONIDE. - O vigne qui adoucis toutes les peines, qui nous prépares l'ivresse, ô mère du raisin, toi dont les pousses en spirale s'entre-croisent comme un tissu flexible, épanouis-toi sur le haut du cippe d'Anacréon de Téos et sur le tertre léger de sa tombe, afin que cet ami du vin et de la joie qui, dans son ivresse, charmait toute la nuit ses jeunes convives aux accords de sa lyre, porte sur sa tête, dans son sépulcre même, de belles grappes détachées de tes pampres, et que sans cesse ton jus s'épanche en rosée sur la bouche du vieux poète, d'où s'exhalaient des chants plus doux encore que ton nectar.
25. LE MÊME. - Cette tombe a reçu dans Téos sa patrie Anacréon, le poète immortel de par les Muses, à qui sa passion pour de beaux garçons inspira des vers tels qu'en font les Grâces et les Amours. Mais sur les bords de l'Achéron il est seul, il est triste, non parce qu'il a perdu la lumière du soleil et trouvé les demeures du Léthé, mais parce qu'il a laissé le gracieux Mégistès avec de jeunes amis, et qu'il ne peut plus aimer le Thrace Smerdis. Cependant il ne cesse pas de moduler des chants doux comme le miel, et il ne permet pas à sa lyre de se taire même dans le silencieux séjour des morts.
26. ANTIPATER DE SIDON. - Étranger qui passes devant la moleste tombe d'Anacréon, si de mes livres tu as retiré quelque profit, verse sur ma cendre du vin, afin que mes os ainsi arrosés se réjouissent ; car, initié aux mystères et aux orgies de Bacchus, bon compagnon de poésie et de table, je ne saurais habiter sans le dieu des vendanges le séjour funèbre destiné à tous les pauvres humains.
27. LE MÊME. - Anacréon, gloire de l'Ionie, ne sois dans le séjour des bienheureux ni sans banquet ni sans lyre. Puisses-tu avec des yeux languissants d'amour, en agitant sur ta tête parfumée une couronne de fleurs, chanter en face d'Eurypyle ou de Mégistès ou du Thrace Smerdis de Ciconie aux longs cheveux, et puisses-tu, exhalant une douce ivresse, les vêtements humides d'une rosée bachique, écraser dans ta coupe le pur nectar de grappes de raisin ! Car c'est aux Muses, à Bacchus, à l'Amour, à eux trois que tu as, ô vieillard, consacré ta vie entière.
28. ANONYME. - Étranger qui passes devant ce tombeau d'Anacréon, fais-moi une libation de vin, car je suis un grand buveur.
29. ANTIPATER DE SIDON. - Tu dors, Anacréon, parmi les morts, après avoir composé tant d'oeuvres charmantes ; elle dort, ta douce cithare aux chants nocturnes. Il dort aussi, Smerdis, le printemps des Amours, pour lequel tu épanchais de ton luth (9) un nectar d'harmonie. Car tu as été, ô vieillard, le but de l'Amour des jeunes gens : sur toi seul il dirigeait son arc et ses traits inévitables (10).
30. LE MÊME. - C'est le tombeau d'Anacréon : ici sommeille le cygne de Téos, l'amant passionné des beaux garçons. Sa lyre ne cesse pas de résonner pour Bathylle avec tendresse, et le lierre parfume encre le marbre funèbre. Non, le froid séjour d'Hadès n'a pas éteint tes amours ; sur les bords de l'Achéron, tu es encore plein des ardeurs de Cypris.
31. DIOSCORIDE. - 0 toi qui te consumas d'amour pour le Thrace Smerdis jusqu'à la moelle des os, Anacréon, le prince de l'orgie et des veillées amoureuses, le poète chéri des Muses. qui, au sujet de Bathylle, as souvent mêlé des larmes amères au vin de ta coupe, que d'elles-mêmes les sources épanchent pour toi du vin pur ; que les immortels versent dans tes amphores leur nectar et leur ambroisie ; que d'eux-mêmes les jardins t'apportent des violettes, la fleur qui s'épanouit le soir et des myrtes humides de rosée, afin que même chez le gendre de Cérès, dans une douce ivresse, tu danses voluptueusement en serrant dans tes bras la belle Eurypyle.
32. JULIEN D'ÉGYPTE. - Souvent je l'ai chanté, et du fond de ma tombe je le crierai : "Buvez, avant que vous ne soyez, comme moi, un peu de poussière."
33. ANTIPATER DE SIDON. - Ayant beaucoup bu, tu es mort. Anacréon. - Oui, mais ayant mené une joyeuse vie ; et toi qui ne bois pas, tu iras aussi chez Pluton.
34. ANTIPATER DE SIDON. - [L'éclatante] trompette des Muses, le laborieux forgeron d'hymnes bien travaillés, Pindare, il est ici sous ce tertre. En entendant ses poésies, tu pourras dire qu'un essaim d'abeilles envoyé par les Piérides les a distillées dans la cité de Cadmus (11).
35. LÉONIDAS ou PLATON. - Agréable aux étrangers, cher à ses concitoyens, cet homme c'est Pindare, le serviteur des éloquentes Muses.
36. ÉRYCIUS. - Que toujours, ô divin Sophocle, sur ta tombe brillante le lierre de Bacchus étende ses rameaux flexibles et bondissants ; que toujours ta tombe soit arrosée par les abeilles (12) de l'Hymette des libations de leur miel, afin qu'une cire éternelle parfume tes tablettes attiques, et que ta tête ne cesse pas d'être parée de couronnes.
37. DIOSCORIDE. - Passant (13), ce tombeau est celui de Sophocle qui, à cause de son caractère sacré, a obtenu des Muses une vierge divine (14) [pour ornement funèbre]. Il m'a recueilli à ma sortie de Phlionte (15), marchant à travers les ronces, et de bois d'yeuse il m'a changé en or et m'a couvert d'un manteau de pourpre. Après sa mort, mes pieds, par lui exercés à l'art de la danse, se sont ici reposés. - Heureux, toi qui as obtenu cette bonne demeure ! mais ce masque tragique que je vois dans ta main ; de quelle pièce est-il ? - Soit que tu veuilles y reconnaitre Antigone, soit que tu l'attribues à Électre, tu ne te tromperas pas, car l'une et l'autre sont des chefs-d'oeuvre.
38. DIODORE. - Si tu demandes quel poëte comique est ici inhumé, sache que c'est le divin Aristophane, qui fut lui-même le tombeau de la vieille comédie.
39. ANTIPATER DE THESSALONIQUE. - Eschyle, fils d'Euphorion, qui le premier, sur un solide échafaudage de poésie, éleva à une hauteur prodigieuse l'accent tragique et la pompe du choeur, ici, loin de la terre d'Éleusis, est inhumé, glorifiant par son tombeau la Sicile.
40. DIODORE. - Cette pierre sépulcrale dit qu'ici repose le grand Eschyle, loin d'Athènes, sa patrie, sur les bords siciliens du Gélas. Quelle envie, hélas ! quelle haine animent donc toujours les descendants de Thésée contre les hommes d'élite ?
41. ANONYME. - O fortuné convive des Muses qui se nourrissent d'ambroisie, Callimaque, sois heureux même dans les demeures de Pluton.
42. ANONYME. - O merveilleux et sublime songe du poète de Cyrène, oui, tu fus un songe de la porte de corne et non de la porte d'ivoire, car tu nous as révélé, Callimaque, des vérités que nous autres hommes nous ne connaissions pas encore et sur les immortels et sur les demi-dieux, lorsque, prenant ton vol de la Libye vers l'Hélicon, tu es venu, en rêve, au milieu des Piérides. Tu les as interrogées sur les anciens héros et sur les dieux; et les Muses t'en ont révélé les origines et les mystères (16).
43. ION. - Salut, Euripide, qui dans les vallées en deuil de la Piérie, reposes au sein de la nuit éternelle ; sache, dans la tombe, que ta gloire sera impérissable, comme celle des immortelles poésies dHomère.
44. ANONYME. - Euripide, si tu as péri victime d'un sort déplorable, si tu as été la proie de chiens dévorants, toi l'harmonieux rossignol de la scène, l'ornement d'Athènes, toi qui sus allier à la philosophie les Muses et les Grâces, du moins tu as trouvé un tombeau à Pella, afin que l'adorateur des Piérides pût habiter près de leur demeure sacrée.
45. THUCYDIDE. - Toute la Grèce est le tombeau d'Euripide ; la Macédoine ne possède que ses cendres : là, en effet, il a trouvé le terme de sa vie. Mais sa patrie, c'est la Grèce ; la Grèce, c'est Athènes; et comme par ses vers il a charmé tous les coeurs, il s'en élève un unanime concert de louanges.
46. ANONYME. - Ce monument ne t'honore pas, Euripide, c'est toi qui l'honores ; car il est tout rayonnant de ta gloire.
47. ANONYME. - Tu as pour tombeau la Grèce tout entière, Euripide ; mais le silence de la mort n'y règne pas : on y répète sans cesse ton nom et tes ouvrages.
48. ANONYME. - ... Et ses chairs (17) délicates, saisies par les feux étincelants du tonnerre, perdirent leur humidité et furent consumées. Les os seuls sont restés dans ce tombeau où les passants viennent pleurer ; mais ce n'est pas sans peine (18) qu'on s'en approche.
49. BIANOR. - La terre de Macédoine a recouvert tes restes, Euripide ; mais atteints par le feu du ciel, ils se sont dégagés de la poussière. En éclatant trois fois sur ta tombe, la foudre de Jupiter y a purifié, en effet, tout ce qu'on y voyait de mortel.
50. ARCHIMÈLE. - O poète, n'entre pas dans la voie d'Euripide, ne suis pas un sentier si rude, si difficile. En apparence, la route est unie et bien battue ; mais, dès les premiers pas, tu t'apercevras qu'elle est pleine d'épines et de ronces. Et quand bien même tu atteindrais les hauteurs de la Médée, tu n'en descendrais pas moins sans gloire chez les morts : laissons là les couronnes.
51. ADDÉE. - Ce n'est point une meute de chiens qui t'a donné la mort, ni la fureur d'une femme, Euripide, étranger que tu fus toujours aux fêtes nocturnes de Vénus ; c'est Pluton, c'est la vieillesse. Sous les murs d'Aréthuse de Macédoine, tu reposes dans le monument dont l'amitié d'Archélaüs a honoré ta cendre. Mais je ne regarde pas ce tombeau comme le tien. Le tombeau digne d'Euripide est le théâtre de Bacchus, cette scène où règne son génie.
52. DÉMIURGE. - Hésiode qui fut la couronne de la Grèce ; l'ornement de la poésie, la gloire d'Ascra, je le renferme (19).
53. ANONYME. - Moi, Hésiode, je dédie ce [trépied] aux Muses de l'Hélicon, après avoir vaincu à Chalcis, dans les luttes du chant, le divin Homère.
54. MNASALQUE. - La fertile Ascra est la patrie d'Hésiode ; mais le territoire des Minyens, dompteurs de chevaux, possède les cendres du poète, dont la gloire surpasse celle de tous les hommes les plus renommés pour leur sagesse.
55. ALCÉE. - Dans un bois épais de la Locride, les Nymphes, avec l'eau de leurs fontaines, lavèrent le corps d'Hésiode et lui élevèrent un tombeau ; des chevriers l'arrosèrent de lait mêlé avec du miel. Le vieillard n'avait-il pas, en effet. chanté des vers aussi doux que le miel et le lait, lui qui s'était abreuvé aux pures sources des neuf Muses ?
56. ANONYME. - C'était bien pour cela, certes, que riait Démocrite, et je pense qu'il ajoutera : "Ne disais-je pas en riant, tout est sujet de rire ? Et, en effet, j'ai pratiqué la science, j'ai fait des tas de livres, et voici sous cette dalle funèbre qu'à mon tour je prête à rire."
57. DIOGÈNE LAERTE. - Quel homme fut aussi savant que Démocrite, dont le savoir était universel ? qui a jamais accompli une aussi grande tâche ? pendant trois jours il a reçu sous son toit la mort et nourri cet hôte de l'odeur de pains chauds (20).
58. JULIEN D'ÉGYPTE. - Bien qu'aux enfers tu règnes sur des morts qui ne rient guère, Proserpine, accueille néanmoins avec bonté l'âme de Démocrite qui rit toujours, te rappelant que le rire (21) seul a pu suspendre les chagrins de ta mère, lorsqu'elle pleurait ta perte.
59. LE MÊME. - Puissant dieu des enfers, reçois Démocrite, afin que, régnant sur des sujets qui ne rient jamais, tu en aies un aussi qui rie toujours.
60. SIMMIAS. - Ici repose un homme divin, Aristoclès (22), qui l'emporte sur tous les mortels en sagesse, en vertu. Si quelqu'un entre tous a recueilli pour son mérite la gloire et l'admiration, ce fut lui, et devant lui s'est tue l'envie.
61. ANONYME. - Cette terre renferme dans son sein le corps de Platon : son âme immortelle est au séjour des bienheureux. O fils d'Ariston, tout homme de bien, quelque lieu qu'il habite, t'honore comme un demi-dieu.
62. ANONYME. - Aigle, pourquoi t'es-tu posé sur ce tombeau et regardes-tu la demeure étoilée des dieux ? - Je suis l'emblème de l'âme de Platon, qui a pris son vol vers l'Olympe : son corps, né de la terre, est seul resté sur la terre attique.
63. ANONYME. - Nocher des morts, reçois-moi dans ta barque, moi Diogène le Cynique, qui ai mis à nu le faste, l'orgueil et la vanité de toute l'espèce humaine.
64. ANONYME. - Chien, dis-moi à quel homme appartient le monument sur lequel tu veilles. - Au chien. - Quel était cet homme, que tu appelles chien ? - Diogène. - Dis-moi son pays. -Il était de Sinope. -- Celui qui habitait un tonneau ? - Précisément ; mais maintenant qu'il est mort, il a les astres pour demeure.
65. ANTIDATER. - Ce tombeau est celui de Diogène, le philosophe cynique qui, avec un mâle courage, a mené la vie d'un soldat armé à la légère. Une besace, un manteau, un bâton ont été ses seules armes ; elles ont suffi à sa tempérance, à sa frugalité. Allons, éloignez-vous de ce tombeau, gens sans moeurs ; car même chez Pluton, le sage de Sinope hait tous les méchants.
66. ONESTE. - Un bâton, une besace, un ample manteau, voilà mon léger bagage. Je porte tout à Charon, tout ; car je n ai rien laissé sur la terre. Allons, Cerbère, fais bon accueil au cynique Diogène.
67. LÉONIDAS. - Triste serviteur de Pluton, dont la sombre barque navigue sur ce fleuve de l'Achéron, reçois-moi dans ton esquif, quoiqu'il soit chargé de morts : je suis Diogène le Cynique. Ma fiole d'huile et ma besace forment tous mes bagages, avec mon vieux manteau et mon obole pour payer le passage. Je viens chez Pluton avec tout ce que j'avais parmi les vivants : je ne laisse rien sous la soleil.
68. ARCHIAS. - Nocher de Pluton, que réjouissent les larmes des passagers que tu transportes sur les eaux profondes de l'Achéron, bien que ta barque soit déjà chargée d'ombres, ne me laisse pas sur la rive, moi Diogène le chien. Je n'ai qu'une fiole, un bâton, un manteau et l'obole pour te payer mon passage. Mort, je n'apporte ici rien de plus que ce que j'avais vivant : je n'ai rien laissé sous le soleil.
69. JULIEN D'ÉGYPTE. - Cerbère, dont les aboiements effrayent les morts, toi aussi tremble à ton tour devant un mort vraiment formidable. Archiloque descend aux sombres bords. Garde-toi de sa colère et des iambes que vomit sa bouche pleine de fiel. Tu as connu la puissance funeste de sa voix, lorsque dans la même barque tu as vu passer les deux filles de Lycambe.
70. LE MÊME. - Maintenant plus que jamais, ô chien à trois tètes, garde bien sans fermer les yeux les portes de l'abîme infernal; car si, pour échapper aux traits furieux des iambes d'Archiloque, les filles de Lycambe ont renoncé à la lumière du jour, comment tous les morts ne se sauveraient-ils pas du noir séjour de l'enfer pour se soustraire à ses épouvantables invectives ?
71. GÉTULICUS. - Ce tombeau sur le bord de la mer est celui d'Archiloque qui, le premier, trempa l'iambe dans du venin de vipère et ensanglanta le doux Hélicon. Lycambe le sait bien, lui qui a tant pleuré le sort funeste de ses trois filles. Voyageur, passe sans bruit, afin de ne pas éveiller les guêpes qui sont posées sur ce tombeau.
72. MÉNANDRE. - Salut aux deux fils de Néoclès (23), dont l'un a affranchi notre patrie de l'esclavage, et l'autre, de la sottise.
73. GÉMINUS. - Pour pierre sépulcrale, placez sur ma tombe la Grèce ; ajoutez-y des carènes de vaisseaux, symboles de la destruction de la flotte persane et, sur la base du monument, gravez à l'entour les combats des barbares et de Xerxès. Voilà ce qui convient aux cendres de Thémistocle. Salamine sur ma tombe, dressée comme une stèle, proclamera mes exploits. Pourquoi m'inhumez-vous, moi si grand, dans une si petite sépulture ?
74. DIODORE. - Les Magnètes ont élevé à Thémistocle ce misérable (24) tombeau ; et celui qui délivra sa patrie des Perses, est inhumé dans une terre étrangère, sous une pierre qui n'est pas athénienne. Ainsi l'a voulu l'envie. Plus les vertus sont grandes, moindres sont d'ordinaire leurs récompenses.
75. ANTIPATER. - Stésichore, dont la bouche a chanté d'innombrables vers, est ici inhumé sous le sol brûlant de Catane, Stésichore dont la poitrine, au dire de Pythagore, a servi de demeure pour la seconde fois à la grande âme d'Homère.
76. DIOSCORIDE. - Philocrite, qui avait renoncé au commerce et s'était fait laboureur, avait trouvé dans Memphis l'hospitalité du tombeau. Là, le Nil débordé renversa de ses flots impétueux la modeste sépulture de l'étranger. Vivant, il avait échappé aux fureurs de l'onde amère, et maintenant qu'il n'est plus, le malheureux a sa tombe brisée par les vagues et ressemble à un naufragé.
77. SIMONIDE. - Cet homme est le sauveur de Simonide de Céos ; il lui doit, à lui mort, le bienfait de la vie (25).
78. DENYS DE CYZIQUE. - Tu t'es éteint, Ératosthène, dans une douce vieillesse, et non dans un accès de fièvre. Le sommeil auquel nul ne peut échapper est venu assoupir ta pensée qui méditait sur les astres (26). Ce n'est point Cyrène, ta nourrice, qui t'a reçu dans le tombeau de tes pères, fils d'Aglaüs ; mais, comme un ami, tu as trouvé une tombe sur ce bord extrême du rivage de Protée (27).
79. MÉLÉAGRE. - Passant, je suis Héraclite. A moi seul, j'ai trouvé la science et la sagesse, je te le dis, et mes services envers la patrie valent encore mieux que mes doctrines. Car, autrefois, j'ai aboyé après les ennemis de l'Asie et les ai déchirés à belles dents (28); ma gratitude envers nos bienfaiteurs a été éclatante ....(29) Ne t'éloigneras-tu pas ? - Ne sois pas si rude. Va-t'en. Peut-être te traiterai-je plus rudement encore. Porte-toi bien, mais que ce soit loin d'Éphèse, ma patrie.
80. CALLIMAQUE. - Quelqu'un, ô Héraclite, m'a dit ton trépas et m'a plongé dans les larmes, et je me suis ressouvenu combien de fois tous les deux nous avions, au milieu de nos doux entretiens, enseveli le soleil ; mais toi, cher hôte d Halicarnasse, depuis longtemps, je ne sais où tu n'es que cendre. Oh ! du moins tes rossignols (30) vivent, et sur eux, ravisseur de toutes choses, le dieu d'enfer ne portera pas la main.
81. ANTIPATER DE SIDON. - On compte sept sages : Linde t'a donné le jour, Cléobule; la terre de Sisyphe se glorifie d'avoir Périandre ; Mitylène, d'avoir Pittacus ; la divine Priène, d'avoir Bias ; Milet, d'avoir Thalès, vigoureux appui de la justice (31) ; Chiton est l'honneur de Sparte, et Solon, de la terre de Cécrops. Tous ont été les gardiens et les patrons de la vraie sagesse.
82. ANONYME. - J'ai ici le Sicilien Épicharme, que la Muse dorienne a comblé de ses dons, en faveur de Bacchus et des Satyres.
83. ANONYME. - L'Ionienne Milet a donné le jour à Thalès qui repose ici, le plus savant de tous les astronomes.
84. ANONYME. - Certes, ce tombeau est bien petit ; mais vois s'élever jusqu'aux cieux la gloire de l'homme de génie qu'il renferme, la gloire de Thalès.
85. DIOGÈNE LAERTE. - Un jour que le sage Thalès regardait les combats gymniques d'Olympie, ô Jupiter Éléen, tu l'as enlevé du stade. Je suis content que tu l'aies rappelé au ciel, car le vieillard ne pouvait plus de la terre voir les astres.
86. ANONYME. - Salamine, qui mit un terme aux iniquités et aux outrages des Perses, possède ici Solon, l'auguste législateur.
87. DIOGÈNE LAERTE. - Les flammes ont dévoré le corps de Solon à Chypre, sur la terre étrangère. Salamine a recueilli
ses cendres , et elles engraissent les moissons. Quant à son âme , elle s'est élevée au ciel sur un char rapide, dont les
essieux (32) emportaient aussi ses lois, charge bien légère
(33).
88. LE MÊME. - Brillant Pollux, je te rends grâce de ce que le fils de Chilon a remporté au pugilat la couronne d'olivier. Son père mourut de joie, en voyant son triomphe. Ne le plaignons pas. Pour moi, puissé-je avoir une pareille fin !
89. CALLIMAQUE. - Un étranger d'Atarnée vint consulter le fils d'Hyrrhadius, Pittacus de Mitylène : "Sage vieillard, on me propose un double mariage, une jeune fille dont la fortune, ainsi quels naissance, est égale à la mienne, et une autre qui est fort au-dessus de moi. Quel est le meilleur parti ? Donne-moi, je t'en prie, ton avis sur celle que je dois épouser." Il dit ; et le philosophe ayant levé son bâton, l'appui de sa vieillesse : "Vois là-bas ces enfants ; ils te donneront une réponse complète. (Or, des enfants, dans un large carrefour, faisaient tourner de rapides sabots, sous les coups de leurs lanières.) Va derrière eux, dit-il, et suis-les." Il s'approcha d'eux. Or ces enfants, dans leur jeu, répétaient sans cesse : "Garde bien ton rang." Entendant ces paroles ; et comprenant cette espèce d'oracle, l'étranger s'abstint de conclure avec la jeune fille de haute maison ; et de même qu'il prit pour compagne la femme de condition modeste, toi aussi, Dion, prends une épouse qui soit ton égale.
90. DIOGÈNE LAERTE. - Cette pierre recouvre un citoyen de l'illustre Priène, Bias, la gloire de l'Ionie.
91. LE MÊME. - Ici repose Bias. L'inflexible Mercure l'a conduit aux enfers, quand déjà la neige de la vieillesse couvrait son front. Il avait plaidé en faveur d'un ami ; puis, s'étant penché sur le bras d'un enfant, il s'endormit du dernier sommeil.
92. LE MÊME. - Anacharsis, de retour en Scythie après de longues pérégrinations, proposa à ses compatriotes d'adopter les moeurs de la Grèce ; mais il n'avait pas encore achevé de leur donner ce conseil qu'une flèche ailée le ravit à l'instant parmi les immortels.
93. ANONYME. (Sur Phérécyde.) - J'ai atteint le suprême degré de la sagesse. Que si Pythagore, mon disciple, s'est élevé un peu plus haut, proclame qu'il est le premier de tous les Grecs Je dis vrai, en parlant ainsi.
94. ANONYME. - Ici repose celui des hommes qui, dans l'étude du monde céleste, approcha le plus de la vérité, Anaxagore.
95. DIOGÈNE LAERTE. - Anaxagore avait dit que le soleil est une pierre incandescente, et pour cela on le condamna à mort. Périclès, son ami, le sauva ; mais lui-même s'ôta la vie par une faiblesse peu digne d'un philosophe.
96. LE MÊME. - Bois maintenant à la coupe de Jupiter, ô Socrate. La divinité elle-même t'a proclamé sage, et le sage est dieu. Tu as reçu la ciguë des Athéniens, mais ce sont eux qui l'ont bue par ta bouche.
97. LE MÊME. - Ce n'est pas seulement pour Cyrus que Xénophon est allé chez les Perses ; il y chercha la route qui devait le mener aux cieux. Il a montré là, en effet, les vertus helléniques de son éducation, et manifesté dans toute sa beauté la philosophie de Socrate.
98. DIOGÈNE LAERTE. - Les descendants de Cranaüs et de Cécrops t'ont banni, ô Xénophon, à cause de ton amitié pour Cyrus ; mais l'hospitalière Corinthe t'a reçu ; et charmé du bonheur dont tu y jouissais, tu as voulu t'y fixer pour toujours.
99. PLATON. - Les Parques ne filèrent que des larmes pour Hécube, pour les Troyennes, dès leur naissance. Mais toi, Dion, c'est après de glorieuses victoires que les dieux jaloux ont interrompu tes vastes desseins ; une belle patrie a recueilli tes cendres, et tes concitoyens t'honorent, ô Dion, que mon coeur a aimé passionnément.
100. LE MÊME. - Alexis n'était rien. J'ai dit seulement : "Enfant, que tu es beau !" et tous les yeux se sont tournés vers lui. O mon âme, pourquoi montres-tu une proie aux vautours ? Tu t'en repentiras bientôt. N'est-ce pas ainsi que nous avons perdu Phèdre ?
101. DIOGÈNE LAERTE. - Si je ne savais, à n'en pas douter, comment mourut Speusippe, jamais je n'aurais pu le croire : non, il n'était point du sang de Platon ; car il n'aurait pas eu la pusillanimité de se donner la mort pour une cause si légère.
102. LE MÊME. - Xénocrate, cet homme illustre entre tous, heurta un jour un bassin d'airain ; il se blessa au front, poussa un long cri plaintif et mourut à l'instant.
103. ANONYME. - Passant, sache que ce monument couvre le sublime Cratès et Polémon, deux âmes animées d'une même pensée, deux nobles coeurs ! De leur bouche divine, il ne sortit jamais que de saintes paroles ; et une conduite pure, réglée par les dogmes immuables de la sagesse, les a préparés à la vie des dieux.
104. DIOGÈNE LAERTE. - Arcésilas, pourquoi boire ainsi avec excès du vin pur, jusqu'à en perdre la raison ? Tu en es mort, et je m'en afflige moins que de l'outrage par toi fait aux Muses, en buvant à une trop large coupe.
105. LE MÊME. - J'ai appris ce qu'on dit de toi, Lacyde ; on dit qu'ayant pris trop de vin, tu t'es attiré le mal funeste qui t'a enlevé. C'était évident: lorsque Bacchus est entré dans notre corps avec excès, il délie nos membres. Est-ce qu'a sa naissance on ne l'a pas surnommé pour cela Lyaeus (déliant).
106. LE MÊME. - "Adieu, souvenez-vous de mes doctrines." Telles furent les dernières paroles d'Épicure mourant à ses amis. Il entra dans un bain chaud, but une coupe de vin pur, et alla boire ensuite des froides eaux du Lethé.
107. LE MÊME. - Eurymédon, prêtre de Cérès et de ses mystères, se préparait à porter contre Aristote une accusation d'impiété. Celui-ci la prévint en buvant du poison. C'était certes vaincre sans combat (34) d'injustes calomnies.
108. LE MÊME. - Et comment, si Apollon n'eût fait naître Platon en Grèce, les maladies de l'âme eussent-elles été guéries par les lettres ? En effet, le fils d'Apollon, Esculape, est le médecin du corps, et le médecin de l'âme immortelle, c'est Platon.
109. LE MÊME. - Apollon a fait naître chez les mortels Esculape et platon, l'un pour soigner leurs corps, et l'autre leurs âmes. Afin d'assister à un banquet de noce, Platon est parti pour la cité, oeuvre de son génie, qu'y a fondée dans les parvis de Jupiter (35).
110. LE MÊME. - Oui, c'est avec raison qu'un sage a dit : "L'étude est un arc qu'il ne faut pas détendre ; ce serait le briser." Et, en effet, Théophraste, tant qu'il travailla, ne connut pas d'infirmités ; mais à peine a-t-il suspendu ses travaux, que ses forces l'abandonnent, et il meurt.
111. LE MÊME. - C'était un homme d'une complexion très affaiblie, si vous m'en croyez (36), par les frictions. Je parle de Straton, auquel Lampsaque a donné le jour. Après avoir lutté toute sa vie contre les maladies, il est mort sans s'en apercevoir, sans le sentir.
112. LE MÊME. - Non, par Jupiter ! nous n'oublierons pas Lycon, que la goutte a tué. Mais ce qui m'étonne le plus, c'est que lui, qui ne pouvait marcher qu'avec le secours d'autrui, a franchi en une seule nuit la longue route des enfers.
113. LE MÊME. - Un aspic a tué le sage Démétrius (37), un aspic plein d'un noir venin, dont les yeux ne lançaient pas de flammes, mais les ténèbres mêmes des enfers.
114. LE MÊME. - Tu as voulu laisser croire aux hommes, Héraclide, qu'après ta mort tu étais ressuscité sous la forme d'un serpent ; mais tu t'es trompé, habile philosophe ! La bête était bien un serpent (38), mais toi, tu as montré que tu étais une bête, non un sage.
115. LE MÊME. - Pendant ta vie, Antisthène, tu as été un chien hargneux, mordant tout le monde, sinon avec les dents, au moins partes discours. On dira peut-étre que tu es mort de phthisie, et qu'importe ? De toute manière, pour entrer aux enfers, il faut un introducteur.
116. DIOGÈNE LAERTE. - Eh bien ! parle, Diogène ; quel accident t'a conduit aux enfers ? - La dent d'un chien furieux a causé ma mort.
117. ANONYME. - Méprisant une vaine richesse, tu as appris à tes disciples à se contenter de peu, Zénon, vieillard au front vénérable ; auteur de mâles enseignements, tu as fondé par ton génie une doctrine, mère de la fière indépendance. La Phénicie est ta patrie, et qu'importe ? Cadmus aussi était phénicien, et c'est à lui que la Grèce doit l'écriture.
118. DIOGÈNE LAERTE. - Zénon de Citium mourut, dit-on, de vieillesse et de maladie ; d'autres assurent qu'il se laissa mourir de faim.
119. ANONYME. (Fragment.) - Lorsque Pythagore eut trouvé cette ligne (39) célèbre pour laquelle il offrit une brillante hécatombe...
120. XÉNOPHANE. (Fragment.) - On dit que, passant un jour près d'un chien qu'on battait, il en eut pitié, et s'écria : "Arrête, cesse de frapper ; c'est mon ami, c'est son âme ; je le reconnais à sa voix.
121. DIOGÈNE LAERTE. - Tu n'es pas le seul, ô Pythagore, à t'abstenir d'êtres animés ; nous aussi, nous nous en abstenons ; et qui pense à toucher aux bêtes vivantes ? Mais lorsqu'elles sont bouillies, rôties ou salées, nous en mangeons alors comme n'ayant plus de vie ni de sentiment.
122. LE MÊME. - Hélas ! pourquoi Pythagore a-t-il eu une si grande vénération pour les fèves ? Il en est résulté sa mort au milieu de ses propres disciples. Il y avait un champ de fèves ; plutôt que de fuir en les foulant sous ses pieds, il s'est laissé surprendre dans un carrefour et tuer par les Agrigentins.
123. LE MÊME. - Toi aussi, Empédocle, après avoir purifié ton corps dans un bain de flamme (40), tu as bu le feu aux coupes éternelles (41). Mais je ne dirai pas que tu t'es jeté volontairement dans le gouffre de l'Etna ; tu y es tombé sans le vouloir, ne cherchant qu'à t'y cacher.
124. LE MÊME. - Oui, l'on dit qu'Empédocle mourut pour être tombé d'un char et s'être cassé la cuisse droite. S'il s'était précipité dans la coupe de l'Etna et y avait bu l'immortalité, comment verrait-on encore aujourd'hui son tombeau à Mégare ?
125. LE MÊME. - Autant le soleil dans tout son éclat l'emporte sur les astre, et la vaste mer sur les fleuves, autant par la sagesse et la poésie s'élève au-dessus de ses rivaux Épicharme, que vient de couronner Syracuse, sa patrie (42) d'adoption.
126. LE MÊME. - Je vous le dis à tous, mettez-vous surtout à l'abri du soupçon. Ne fussiez-vous pas coupable, si on le croit, vous êtes perdu. Ainsi, Philolaüs fut autrefois mis à mort par les Crotoniates, ses concitoyens, parce qu'ils le soupçonnèrent d'aspirer à la royauté.
127. LE MÊME. - J'ai été souvent bien frappé de la manière dont est mort Héraclite, lui qui avait ôté de l'âme toutes les parties humides. Qui le croirait ? une affreuse hydropisie, inondant son corps, a éteint la lumière de ses yeux et l'a conduit aux sombres bords.
128. ANONYME. - Je suis Héraclite ; pourquoi mi'abaissez-vous à votre niveau, ignorants ? Je n'ai pas travaillé pour vous, mais pour ceux qui me comprennent. Selon moi, un homme, un seul, en vaut trente mille ; une multitude n'en vaut pas un seul. Voilà ce que je vous dis du séjour même de Proserpine.
129. DIOGÈNE LAERTE. - Tu voulus, ô Zénon, tu voulus, noble dessein ! en tuant un tyran, affranchir de l'esclavage Égée, ta patrie. Mais tu succombas. Le tyran te prit et te broya dans un mortier. Mais que dis-je ? C'est ton corps qu'il broya, ce n'est pas toi.
130. LE MÊME. - J'ai entendu dire, Protagoras, qu'étant sorti d'Athènes dans un âge avancé, tu étais mort sur la route. La ville de Cécrops, en effet, venait de t'envoyer en exil ; et toi, tu as bien pu échapper à la ville de Minerve, mais tu n'as pu échapper à Pluton.
131. ANONYME. - On dit que Protagoras est mort ici. Soit, si son corps a été confié à la terre (43), son âme s'est élancée aux cieux.
132. ANONYME. - Et toi, Protagoras, tu es, nous le savons, le trait aigu de la philosophie, mais ne blessant pas, étant même plein de douceur et de charme.
133. DIGGÉNE LAERTE. - Broyez encore et ferme, broyez, c'est le sac et l'enveloppe ; mais Anaxarque est depuis longtemps auprès de Jupiter. Et toi, Nicocréon (44), bientôt Proserpine te dira, ente déchirant avec des instruments de torture (45) : "Sois maudit, détestable broyeur."
134. ANONYME. - Je suis ici déposé, moi Gorgias le Cynique, qui ne tousse plus, qui ne crache plus (46).
135. ANONYME. - Ici gît Hippocrate, Thessalien [par son domicile], de Cos par sa naissance, de la souche immortelle d'Apollon par sa famille, qui a remporté sur les maladies d'innombrables victoires avec les armes d'Hygie (47), et acquis une gloire immense sans l'aide de la Fortune, mais par son talent.
136. ANTIPATER. - Ce tombeau du roi Priam est bien petit, non qu'il soit proportionné au mérite de l'homme, mais parce qu'il a été élevé par des ennemis.
137. ANONYME. - Ne me juge pas, moi Hector, d'après ce tombeau, ne mesure pas à sa sépulture l'antagoniste de toute la Grèce. L'Iliade, Homère lui-même, la Grèce, les Achéens en fuite, voilà mon tombeau, voilà ceux qui m'ont élevé un monument. Si tu considères le peu de terre qu'on a jeté sur ma cendre, ce n'est pas pour moi une honte, elle a été amoncelée là par les mains ennemies des Grecs.
138. ACÉRATE LE GRAMMAIRIEN. - Hector que citent à chaque page les poésies homériques comme la plus forte tour du rempart bâti par les dieux, avec toi Méonide a suspendu ses chants. A peine as-tu cessé de vivre que le poème de l'Iliade s'arrête et se tait.
139. ANONYME. - Troie mourut avec Hector ; elle ne lutta pas plus longtemps avec les Grecs qui l'assaillaient. Pella périt avec Alexandre. Les cités sont glorifiées par les hommes ; nous autres hommes, nous ne le sommes pas par les cités.
140. ARCHIAS. - Stèle, dis-nous le père du défunt, son nom, sa patrie, à quel. destin il a succombé. - Son père est Priam ; sa patrie Ilion ; son nom Hector ; il est mort en combattant pour sa patrie.
141. ANTIPHILE DE BYZANCE. - Protésilas de Thessalie, de longs siècles célébreront ta mémoire, comme ayant été la première victime immolée aux destins de Troie. Des Nymphes entretiennent autour de ta tombe de beaux peupliers, sur le rivage opposé à l'odieuse Ilion ; et ces arbres sont animés d'un tel ressentiment que lorsqu'ils aperçoivent le rempart troyen, leurs feuilles tombent desséchées ; tant était grande alors la colère des héros qu'il en reste encore des témoignages jusque dans des branches (d'ordinaire) inertes et sans vie !
142. ANONYME. - C'est le tombeau du vaillant Achille, que les Grecs ont élevé pour effrayer les Troyens et leurs descendants. Ils l'ont élevé près du rivage, afin que la mer pût honorer de ses gémissements le fils de la divine Thétis.
143. ANONYME. - Noble couple que votre amitié, que vos exploits ont élevé au premier rang des héros, Achille et toi , Patrocle, salut.
144. ANONYME. - Nestor de Pylos, le fils de Nélée, le héros à la douce éloquence, et inhumé [ici] dans la divine Pylos, après avoir vécu trois âges d'homme.
145. ASCLÉPIADE. - C'est moi, la Vaillance, qui près de ce tombeau d'Ajax suis assise, éplorée, les cheveux épars, le coeur atteint d'une vive douleur, en pensant que chez les Grecs l'astucieuse éloquence l'emporte sur moi.
146. ANTIPATER DE SIDON. - Au promontoire de Rhoetée, la Vertu gémissante, les cheveux coupés, en habits de deuil, est assise auprès du tombeau d'Ajax ; elle pleure au sujet du jugement des Grecs où elle a été vaincue, où la ruse a triomphé. Ah ! si les armes d'Achille, pouvaient parler, elles ne manqueraient pas de dire : "Nous aimons un mâle courage, nous détestons un langage artificieux."
147. ARCHIAS. - Seul en ligne, couvrant les morts de ton bouclier, tu as soutenu, Ajax, un rude combat près de la flotte contre l'armée troyenne. Tu n'as reculé ni devant le bruit des pierres, ni devant la grêle des flèches, ni devant le feu, ni devant les javelots, ni devant le choc des épées ; mais tu es resté là aussi ferme qu'un roc, qu'une citadelle, bravant l'ouragan de la mêlée. Si la Grèce ne t'a pas décerné les armes d'Achille comme une récompense proportionnée à ton courage, la faute en est aux Parques qui l'ont ainsi voulu, afin que tu ne tombasses sous les coups d'aucun ennemi, afin que tu ne périsses que de ta propre main.
148. ANONYME. - C'est ici le tombeau d'Ajax, fils de Télamon, que la Parque a tué en se servant et de sa main et de son épée; car pour le tuer, elle n'a pu trouver parmi les mortels, même en le cherchant bien, un autre meurtrier que lui-même.
149. LÉONCE. - Le fils de Télamon gît dans la plaine de Troie, mais sans avoir donné à aucun ennemi le droit de se glorifier de sa mort. Le temps, en effet, n'ayant pas trouvé de guerrier digne d'un tel exploit, l'a livré à ses propres mains, à ses propres armes.
150. LE MÊME. - Ajax, après les plus brillants exploits dans la plaine d'Ilion, descendu aux enfers, s'y plaint non de ses ennemis, mais de ses amis.
151. ANONYME. - Hector donna son épée à Ajax, et Ajax donna à Hector son baudrier. Pour les deux héros, ces dons c'était la mort (48).
152. ANONYME. - Hector et Ajax ont rapporté du combat un souvenir mutuel d'amitié, présent fatal pour tous les deux. Hector en échange d'un baudrier donne une épée, et l'un et l'autre ils ont en mourant éprouvé l'amertume de ces dons. L'épée a frappé Ajax dans sa folie, et par le baudrier le Priamide a été lié au char du vainqueur. Ainsi de la part d'ennemis il ne vient que des présents funestes sous un semblant d'amitié : c'est le trépas qu'ils recèlent.
153. HOMÈRE OU CLÉOBULE. - Je suis une vierge d'airain et repose sur le tombeau de Midas (49) ; tant que l'eau coulera et que les arbres verdiront, je resterai sur ce tombeau arrosé de larmes, et j'annoncerai aux passants que Midas est ici enterré.
154. ANONYME. - Les Mégariens et les descendants d'Inachus m'ont placée sur ce monument pour venger les mânes de Psamathé : je suis une Furie qui veille sur ce tombeau. C'est Coroebus qui m'a percé le sein. Il gît ici sous mes pieds, à la place que lui avait marqué le trépied. Ainsi l'a voulu le dieu qui rend des oracles à Delphes, afin que j'instruise la postérité des malheurs de sa jeune épouse, et que je signale sa tombe (50).
155. ANONYME. - Moi Philistion de Nicée, qui tempérais par le rire les misères de la vie, je suis ici enterré, triste reste de la comédie humaine (51), ayant souvent joué le mort, mais jamais aussi bien.
156. ISIDORE.
- Avec sa glu et ses pipeaux, Eumèle se nourrissait des produits de l'air, et vivait pauvrement, mais dans
l'indépendance. Jamais il ne baisa la main d'un riche pour en obtenir quelque bon
morceau ; sa chasse suffisait à son luxe, et lui apportait le contentement. Après une vie de trois fois trente années, il repose ici, ayant laissé à ses fils pour héritage sa glu, ses brins de paille et ses appeaux.
157. ANONYME. - Trois décades d'années, plus deux triades, voilà la durée de vie que m'ont assignée les astrologues. Je m'en contente ; car ce temps représente la plus belle époque de la vie, il en est la fleur. Après trois âges d'homme il est mort aussi le roi de Pylos.
158. ANONYME. Sur le médecin Marcellus de Sidé. - C'est ici le tombeau de Marcellus, médecin célèbre, citoyen illustre que les immortels ont comblé d'honneurs. Ses oeuvres ont été déposées dans la bibliothèque de la puissante Rome par l'empereur Adrien, plus grand que tous ses prédécesseurs, et par le fils d'Adrien, l'excellent Antonin, afin que jusque dans la postérité la plus lointaine elles fussent honorées et glorieuses en raison de l'éloquente perfection dont Apollon les a gratifiées. C'est dans le mètre héroïque et en quarante livres d'une science toute chironienne que Marcellus a chanté la thérapeutique des maladies.
159. NICARQUE. - Orphée avec sa lyre a obtenu les plus grands honneurs de la part des mortels ; Nestor les a obtenus par l'habileté de sa douce éloquence ; le divin Homère, d'une science si universelle, par la composition de ses épopées. Téléphane les a obtenus avec ses flûtes. C'est ici son tombeau.
160. ANACRÉON. - De Timocrite, si vaillant dans les combats, voici le tombeau : Mars n'épargne pas les braves, mais les lâches.
161. ANTIPATER DE SIDON. - Oiseau, messager du puissant Jupiter, pourquoi te tiens-tu fièrement sur le tombeau du grand Aristomène ? - J'annonce aux mortels que de même que je suis le plus brave des oiseaux, lui aussi est le plus brave des jeunes guerriers. Les lâches colombes se posent sur les tombeaux des lâches. Nous nous plaisons avec les hommes qui n'ont jamais eu peur.
162. DIOSCORIDE. - Philonyme, ne brûle pas ton esclave Euphrate, et pour moi ne souille pas le feu. Je suis Perse, et comme mes ancêtres Perse indigène, ô mon maître ! Profaner le feu, c'est pour nous pire que la mort. Mais enveloppe-moi d'un linceul et confie-moi à la terre. Ne verse pas même sur mon corps de l'eau lustrale : je vénère l'eau des fleuves, ô maître, [à l'égal du feu].
163. LÉONIDAS. - Qui es-tu, de qui es-tu fille, ô femme qui ris sous ce cippe de marbre ? - Je suis Praxo, la fille de Callitèle. - Et d'où es-tu ? - De Samos. - Qui t'a inhumée ici ? - Théocrite, à qui mes parents m'avaient mariée. - De quoi es-tu morte ? - Des suites de couche. - Ayant quel âge ? - Vingt-deux ans. - Est-ce que tu n'avais pas d'enfant ? - Si fait, je laisse un fils de trois ans, Callitèle. - Ah ! qu'il vive, cet enfant, et qu'il arrive à la vieillesse. - Et toi, passant, que la fortune te comble de toutes ses faveurs.
164. ANTIDATER DE SIDON. - Dis-nous, femme, ta famille, ton nom, ton pays. - Mon père est Callitèle ; on me nomme Praxo; ma patrie est Samos. - Qui t'a élevé ce, tombeau ? - Théocrite, qui délia ma ceinture virginale. - Comment es-tu morte? - Dans les douleurs d'un accouchement. - Quel âge avais-tu? - Deux fois onze ans. - Est-ce que tu es sans enfant ? - Non étranger, je laisse un fils de trois ans, le petit Callitèle. - Puisse-t-il arriver à l'âge où l'on honorera ses cheveux blancs ! - Et toi, passant, que la fortune t'accorde toute sorte de bonheur !
165. LE MÊME ou ARCHIAS. -Dis, femme, qui es-tu ? - Praxo. - De qui es-tu fille ? - De Callitèle. - Où es-tu née ? - A Samos. - Qui t'a construit ce monument ? - Théocrite, celui lui me prit pour épouse. - Comment es-tu morte ? - En couches. - Ayant quel âge ? - Vingt-deux ans. - Laisses-tu un enfant ? - Un tout petit enfant, Callitèle qui a trois ans. - Puisse-t-il arriver au terme de la carrière dans la classe des vieillards ! - Et toi, passant, que la fortune te donne tout ce qu'on souhaite en cette vie !
166. DIOSCORIDE ou NICARQUE. - Elle a rendu le dernier souffle dans les cruelles douleurs d'un accouchement, Lamisca la fille de Nicarète et d'Eupolis, [la belle] Samienne ; elle est morte à vingt ans, avec ses deux jumeaux ; et sur les bords du Nil, dans les sables libyens, on a creusé sa tombe. Apportez, jeunes filles, apportez à cette enfant les cadeaux de l'accouchée, et que sa froide tombe soit réchauffée par vos larmes.
167. LE MÊME OU HÉCATÉE DE THASOS. - Je suis PoIyxéne, l'épouse d'Archélaüs, la fille de Théocrite et de la malheureuse Démarète, et mère seulement par mes couches funestes ; car un dieu a enlevé mon fils avant même sa vingtième aurore, et moi je suis morte à dix-huit ans, tout récemment mère, tout récemment mariée, ayant en tout bien peu vécu.
168. ANTIPATER. - "Qu'une femme désormais souhaite donc des enfants" dit Polyxo, dont le sein était déchiré par un triple accouchement, et dans les bras de la sage-femme elle expira. Trois garçons glissèrent de ses flancs à terre, d'une pauvre mère inanimée progéniture vivante. Un même dieu, sans doute, a pris sa vie et l'a donnée à d'autres.
169. ANONYME. Sur la génisse érigée à Chrysopolis, en face de Byzance. - Je ne suis pas l'image de la vache Io, fille d'Inachus, et ce n'est pas moi qui ai donné à cette mer le nom de Bosphore. Celle-ci [Io], la violente colère de Junon l'a poursuivie autrefois et chassée jusqu'à Pharos [en Égypte], et moi, je suis une Athénienne, morte ici. J'étais l'épouse de Charès, et je naviguais avec lui dans ces parages, lorsqu'il y combattait les flottes de Philippe (52). Alors j'avais nom Damalis (génisse), et maintenant génisse en marbre je jouis de la vue des deux continents.
170. POSIDIPDE OU CALLIMAQUE. - Un enfant de trois ans, Archianax, qui jouait autour d'un puits, s'y laissa choir, attiré par la muette image de ses traits. Du fond de l'eau sa mère le retira tout ruisselant, pleine d'alarme et cherchant s'il lui restait un souffle de vie. 0 Nymphes, l'enfant n'a pas souillé votre onde [par son trépas] : c'est sur les genoux de sa mère qu'il s'est endormi du dernier sommeil.
171. MNASALQUE DE SICYONE. - Même ici les oiseaux du ciel arrêteront leur vol rapide, se perchant avec plaisir sur ce platane. Car Pimandre de Mélos est mort : il ne viendra plus, redoutable oiseleur, poser ici ses gluaux.
172. ANTIPATER DE SIDON. - Naguère, moi Alcimène, armé d'une fronde et de pierres, j'éloignais des champs ensemencés l'étourneau vorace et la grue de Bistonie au vol élevé ; mais tandis que je pourchasse des nuées d'oiseaux ravageurs, une vipère altérée de sang me pique à la cheville du pied, et son venin mortel, pénétrant mes chairs, me ravit le jour. Quelle étrange imprévoyance ! Je regarde en l'air, et ne vois pas à mes pieds le péril qui me menace.
173. DIOTIME OU LÉONIDAS. -- D'elles-mêmes et toutes tremblantes, les génisses sont revenues de la montagne à l'étable où les ont chassées la neige et l'ouragan. Mais Thérimaque, il dort, hélas ! du dernier sommeil sous un chêne auprès duquel l'a étendu la foudre céleste.
174. ÉRYCIUS. -Thérimaque, tu ne joueras plus sur ta syringe d'air pastoral près de ce beau platane ; tes génisses n'entendront plus les doux chants de tes pipeaux : te voilà gisant sous le feuillage d'un chêne. Atteint par la foudre du ciel, tu es mort, et ton troupeau rentre bien tard à l'étable, harcelé par la tempête.
175. ANTIPHILE. - Laboureurs, est-ce que la glèbe fait défaut à vos charrues, à ce point que les boeufs doivent fendre la terre des tombeaux, que le soc doive pénétrer chez les morts ? A quoi bon ? Combien peu de blé vous arracherez ainsi à la terre, que dis-je ? à la poussière des sépulcres ! Et puis, vous ne vivrez pas toujours, et d'autres laboureront vos cendres, imitant l'exemple de votre culture sacrilège.
176. LE MÊME. - Ce n'est pas faute de sépulture, qu' ici je reste gisant sur cette terre à blé ; car j'y fus autrefois enseveli. Mais le soc de fer de la charrue m'a déterré, m'a roulé sous la main du laboureur. Qui donc pourra dire que la mort est la fin des maux, lorsque pour moi la tombe même n'est pas la dernière des souffrances ?
177. SIMONIDE. - Spinthère a placé dans ce monument les restes de son fils.
178. DIOSCORIDE DE NICOPOLIS. - Je suis un esclave, oui, un esclave (53) ; mais dans une tombe libre, ô maître, dépose Timanthe ton père nourricier. Puisses-tu vivre de longues années sans chagrin ! et si, quand tu seras vieux, tu viens me rejoindre, maître, je serai à toi, même chez Pluton.
179. ANONYME. - Même maintenant chez les morts je te suis fidèle, ô maître, comme autrefois, n'ayant pas oublié tes bontés
:
trois fois, démon vivant, tu m'as soigné dans des maladies, tu m'as rendu la santé, et maintenant tu m'as mis dans une cellule très-convenable avec l'inscription de Manès, Perse de nation.
M'ayant ainsi bien traité, tu auras pour ton service des esclaves plus dévoués.
180. APOLLONIDAS. - Nous avons échangé nos destins : au lieu de toi, maître, c'est moi, l'esclave, qui remplis ce triste tombeau. Lorsque je te creusais sous terre ce monument que j'eusse arrosé de mes larmes en y déposant un jour tes restes mortels, la terre à l'entour a glissé sur moi [et m'a enseveli]. Le séjour d'Adès ne m'est pas pénible : j'y vivrai tout à toi (54), même loin du soleil.
181. ANDRONICUS. - Que je te plains, Damocratie ! te voilà descendue dans la ténébreuse demeure de l'Achéron, ayant laissé ta mère chérie dans le deuil et les larmes. Toi morte, elle a coupé avec un fer récemment aiguisé ses cheveux blanchis par l'âge.
182. MÉLÉAGRE. - Cléarista, en déliant sa ceinture virginale, n'a point épousé son fiancé, mais Pluton. Tout à l'heure, les flûtes du soir résonnaient encore aux portes de la chambre des époux et guidaient les pas bruyants des danseurs ; et les flûtes du matin ont éclaté en sanglots, et Hyménée a fait succéder au silence des cris lamentables. Les mêmes flambeaux, Cléarista, qui éclairèrent ta couche nuptiale, te montrèrent, après ta mort, le chemin des enfers.
183. PARMÉNION. - Je suis le tombeau de la jeune Hélène.
Le chagrin qu'elle eut de la mort d'un frère envoya prématurément chez Pluton cette vierge charmante, et les fêtes que préparait l'Hymen ont été remplacées par des pleurs. Ce n'est pas un mariage, c'est le tombeau qui a coupé court aux veaux des prétendants.
184. LE MÊME.
- Je suis le tombeau de la jeune Hélène, et comme un frère l'a précédée, je reçois de sa mère un double tribut de larmes. Des prétendants la douleur est la même ; tous pleurent également celle qui n'était encore à aucun d'eux.
185. ANTIPATER. - Jeune fille libyenne, la terre d'Ausonie couvre ma cendre, et je repose près de Rome sous ce sable. Pompéia, qui m'avait élevée et affranchie, m'a pleurée comme sa fille en me plaçant dans ce tombeau, lorsqu'elle me préparait des feux plus propices. Mais celui du bûcher a été prêt plus vite, et contrairement à mes voeux c'est pour Proserpine que se sont allumés les flambeaux de l'hymen.
186. PHILIPPE. - La douce flûte résonnait encore aux portes de Nicippis, et les joies bruyantes de l'hymen se continuaient au milieu des danses et des chants, lorsque le trépas força la chambre nuptiale. La fiancée, avant d'être femme, n'était plus qu'un cadavre. Cruel Pluton, comment as-tu séparé l'épouse de l'époux, brisé des liens légitimes, toi qui chéris la compagne qu'un rapt t'a procurée ?
187. PHILIPPE OU SIMONIDE. - La vieille Nico dépose des couronnes sur la tombe de la jeune Mélite. Pluton, est-ce là de la justice ?
188, ANTONIUS THALLUS. - Infortunée Cléanasse , tu étais bonne à marier, dans la fleur de la jeunesse ; mais l'Hyménée ne présida pas aux apprêts de tes noces ; les flambeaux de Junon-conjugale ne vinrent pas au-devant de toi. On entendit, au contraire, autour de ta demeure, les ris insultants de l'inexorable Pluton et les cris de mort de la sanglante Érinnys. Aussi, le jour même où les flambeaux illuminèrent ta couche nuptiale, le lit d'un époux fut remplacé par le fatal bûcher.
189. ARISTODICUS DE RHODES. - Sauterelle, le soleil ne te verra plus chanter harmonieusement dans la riche maison d'Alcis ; car tu t'es envolée vers les prairies de Clymène (55) et vers les frais parterres de la belle Proserpine.
190. ANYTÉ OU LÉONIDAS. - Myro a construit pour une sauterelle, rossignol des guérets, et pour une cigale prise sur un chêne, ce tombeau qu'elle a baigné de ses larmes ; la jeune fille est bien désolée, car l'implacable Pluton lui a ravi les deux objets de sa tendresse.
191. ARCHIAS. - Moi qui tant de fois ai rivalisé avec les chansons des bergers, des bûcherons et des pêcheurs, et dont la voix railleuse a si souvent contrefait, comme un écho, leurs paroles et leurs chants, me voilà, pauvre pie, gisante, muette et sans voir, ne pouvant plus rien imiter.
192. MNASALQUE. - Tu ne chanteras plus entre les sillons, gentille cigale, et moi, les yeux à demi fermés sous l'ombre de ce chêne, je n'entendrai plus le ramage de tes ailes sonores.
193. SIMMIAS. - En passant dans une chênaie touffue, j'ai pris avec la main cette sauterelle, tremblante de peur, sous les feuilles de la vigne consacrée à Bacchus, afin qu'enfermée dans une maisonnette bien close, elle me réjouisse par son chant agréable, bien que sa bouche soit muette.
194. MNASALQUE. - Le bourg d'Argile (56) sur sa grande route, possède les restes de la sauterelle de Démocrite, sauterelle aux ailes harmonieuses, et dont le chant délicieux remplissait toute sa demeure, lorsqu'elle se mettait à chanter son hymne du soir.
195. MÉLÉAGRE. - Sauterelle, charme de mes amours, consolation de mes insomnies, muse des guérets aux ailes harmonieuses, naturel écho de la lyre , chante-moi quelque air aimé, en frappant avec tes pieds tes ailes sonores, afin de me délivrer de mes soins et de mes peines, ô sauterelle, par ces délicieuses modulations qui dissipent les tourments de l'amour. Je te promets un présent matinal, une ciboule fleurie et des gouttelettes de la rosée des champs.
196. LE MÊME. - Enivrée de gouttes de rosée, tu modules, ô cigale, un air rustique qui charme la solitude, et sur les feuilles où tu te poses tu imites, avec des pattes dentelées, sur ta peau luisante les accords de la lyre. Oh ! chante, je t'en prie, aux Nymphes de la forêt quelque nouvel air qui rivalise avec ceux de Pan, afin qu'ayant échappé à l'Amour, je goûte un doux sommeil, ici couché à l'ombre de ce beau platane.
197. PHAENNUS. - Sauterelle, je chantais encore à Démocrite un air mélodieux avec mes ailes, lorsque je me suis endormie du sommeil de la mort ; et Démocrite m'a élevé cette tombe si bien proportionnée, que tu vois, étranger, près d'Orope (57).
198. LÉONIDAS. - Passant, quoique la pierre sépulcrale qui me recouvre soit petite et à peine au-dessus du sol, n'en loue pas moins Philénis ; car la sauterelle, qui naguère chantait sur les buissons et dans les chaumes, elle l'a aimée deux ans, elle l'a nourrie (58), s'endormant avec plaisir à ses chansons. Même après ma mort, elle ne m'a pas négligée : ce petit monument, c'est elle qui me l'a élevé en souvenir de mes vocalises.
199. TYMNÈS. - Oiseau cher aux Grâces, toi dont la voix ressemblait à celle des alcyons, aimable mésange (59), tu nous as été enlevée ; tes qualités, ton doux chant, c'est le ténébreux séjour du silence qui en jouit.
200. NICIAS.- Je (60) ne me glisserai plus sous la feuillée d'une branche touffue, je n'y prendrai plus mes ébats en agitant mes mélodieuses ailes ; car je suis tombée dans les mains maudites d'un enfant (61), qui m'a saisie à l'improviste sur le vert rameau où j'étais posée.
201. PAMPHILE. - Tu n'épancheras plus, du rameau vert où tu te posais, harmonieuse cigale, les sons de ta douce musique ; car, pendant que tu chantais, un enfant, cet âge est sans pitié ! a étendu sa main et t'a tuée.
202. ANYTÉ. - (62) Naguère encore réveillé de grand matin et agitant tes ailes, tu me chassais du lit ; tu ne le feras plus, car un voleur t'a surpris dans ton sommeil et t'a tordu le cou.
203. SIMMIAS. - Perdrix chasseresse, cachée dans l'ombre d'un bocage, tu ne pousseras plus le cri sonore qui attirait dans la région du bois tes compagnes aux ailes diaprées, car tu t'en es allée par la route souterraine de l'Achéron.
204. AGATHIAS. - Pauvre exilée des rocailles et des bruyéres, ô ma perdrix, ta légère maison d'osier ne te possède plus ; au lever de la tiède aurore, tu ne secoues plus tes ailes par elle réchauffées : un chat t'a tranché la tête. Je me suis emparé du reste de ton corps, et il n'a pu assouvir son odieuse voracité. Que la terre ne te soit pas légère, mais qu'elle recouvre pesamment tes restes, afin que ton ennemi ne puisse les déterrer.
205. LE MÊME. - Le chat domestique qui a mangé ma perdrix se flatte de vivre encore sous mon toit. Non, chère perdrix, je ne te laisserai pas sans vengeance, et sur ta cendre je tuerai ton meurtrier. Car ton ombre qui s'agite et se tourmente ne peut être calmée que lorsque j'aurai fait ce que fit Pyrrhus sur la tombe d'Achille.
206. DAMOCHARIS. - Rival des chiens homicides, chat détestable, tu es un des dogues d'Actéon. En mangeant la perdrix de ton maître Agathias, c'était ton maître lui-même que tu dévorais. Et toi, tu ne penses plus qu'aux perdrix. Aussi les souris dansent, en se délectant de la friande pâtée que tu dédaignes.
207. MÉLÉAGRE. - La gentille Phanium m'a élevé, moi lièvre aux longues oreilles, aux pieds rapides, dérobé tout petit encore à ma mère. M'aimant de tout son coeur, elle me nourrissait sur ses genoux des fleurs du printemps, et déjà je ne regrettais plus ma mère. Mais une nourriture trop abondante m'a tué, et je suis mort d'embonpoint. Phanium, tout près de sa demeure, a enseveli ma dépouille, afin de toujours voir dans ses rêves mon tombeau près de sa couche.
208. ANYTÉ. - Damas a élevé ce tombeau à son cheval de guerre dont un fer sanglant avait percé le poitrail. Un sang noir a jailli de la blessure, et la terre humectée but à regret ce sang généreux.
209. ANTIPATER. - Ici, près d'une aire à battre le grain, patiente et laborieuse fourmi, je t'ai construit un tombeau d'une motte de terre sèche, afin que le sillon et ses épis, don de Cérès, te charment encore dans ta sépulture rustique.
210. LE MÊME. - Hirondelle, un serpent aux replis tortueux s'est élancé sur ton nid et t'a ravi tes petits, ces petits récemment éclos quetu réchauffais encore sous ton aile ; et toi-même, il allait te saisir, pleurant ta couvée, lorsqu'il tomba dans la flamme dévorante d'un bûcher. Ainsi périt la bête scélérate. Admire comme Vulcain, dieu sauveur, a conservé la vie à la descendante d'Erichthonius (63).
211. TYMNÉS. - Ici la pierre annonce qu'elle renferme un chien de Malte aux pieds rapides, fidèle gardien d'Eumèle. On l'appelait Taureau, lorsqu'il vivait ; mais maintenant sa voix résonne dans les silencieuses demeures de la nuit.
212. MNASALQUE. - Passant, tu peux dire que c'est la tombe dAethyia (64) aux pieds rapides comme le vent : la terre n'a pas enfanté un cheval plus agile, plus vigoureux. Que de fois, en effet, il a fait des courses égales à celles des vaisseaux, accomplissant sa longue carrière avec la rapidité de l'oiseau dont il portait le nom !
213. ARCHIAS. - Naguère posée sur un vert rameau de picéa ou sur la cime ombreuse d'un pin harmonieuse cigale, tu chantais ton air aux bergers sur tes flancs, avec tes pattes, plus agréablement que sur une lyre ; mais des fourmis t'ont rencontrée sur leur route, t'ont vaincue, et maintenant les ténèbres inopinées du Styx t'enveloppent. Si tu as succombé, il ne faut pas trop s'en indigner : le prince des poètes, Homère n'a-t-il pas été tué par des énigmes de pêcheurs ?
214. LE MÊME. - En traversant comme un trait l'abîme bouillonnant des mers, dauphin, tu n'effrayeras plus les bandes de poissons ; tu ne feras plus jaillir l'onde amère autour des navires en dansant aux sons d'une flûte harmonieuse ; tu ne prendras plus sur ton dos couvert d'écume les Néréides, tu ne les transporteras plus aux limites de l'empire de Téthys ; car, dans une affreuse tempête, le vent du midi (65) t'a jeté sur la plage, où tu ressembles à un débris du promontoire de Malée.
215. ANYTÉ. - Je ne bondirai plus dans les flots, je n'apparaîtrai plus à la surface des mers en m'élançant du fond d, l'abîme, je ne prendrai plus mes joyeux ébats en soufflant autour des navires aux proues d'airain, charmé d'y voir mon image : une noire tempête m'a poussé vers la terre, et je reste gisant sur le sable fin de ce rivage.
216. ANTIPATER. - Les flots et un rapide courant m'ont entraîné, moi dauphin, vers la terre, rare spectacle d'un sort étrange (66). Mais sur la terre il y a place à la pitié. Ceux en effet qui me virent sur la plage m'y ont tout de suite honoré d'un tombeau. La mer qui m'avait donné la vie m'a perdu. Quelle confiance avoir dans un élément qui n'épargne pas même sa propre famille ?
217. ASCLÉPIADE. - Je renferme Archéanasse, l'étaire de Colophon, dont les rides même servaient de gîte au cruel Amour. Ah ! malheureux qui reçûtes ses premières caresses, lorsqu'elle était jeune, quel incendie vous avez traversé !
218. ANTIPATER. - Je renferme Lais, la belle citoyenne de Corinthe, qui vécut dans l'or et la pourpre et avec l'Amour, plus recherchée, plus délicate que Vénus elle-même, plus brillante que les blanches eaux de Pirène, la Cypris terrestre dont les fiers prétendants étaient plus nombreux que ceux de la jeune Tyndaride et moissonnaient ses grâces et ses caresses achetées. Son tombeau même exhale une odeur de safran ; ses os sont encore imprégnés d'essences et de parfums ; de ses cheveux s'échappe un air embaumé. A sa mort, Vénus a déchiré ses belles joues, et l'Amour a poussé des cris plaintifs. Si sa couche n'eût pas été accessible à l'or de tous les Grecs, la Grèce se serait battue pour elle comme pour Hélène.
219. POMPÉE LE JEUNE. - Celle dont la radieuse beauté inspirait à tous l'admiration et l'amour, la seule que les Grâces eussent parée de tous leurs dons, Laïs ne voit plus le soleil parcourir le ciel sur son char d'or ; elle s'est endormie de l'inévitable sommeil, ayant dit adieu aux festins, aux jalousies des jeunes gens, aux querelles des amoureux, à la lampe témoin des nocturnes mystères.
220. AGATHIAS. - En arrivant à Corinthe, j'ai vu près de la route le tombeau de l'ancienne Laïs, comme le dit l'inscription. Mes yeux se mouillèrent de larmes. "Salut, femme ! m'écriai-je ; ton sort me touche d'après ce que j'entends dire da toi, de toi que je n'ai pas connue. Sur combien de jeunes coeurs tu as régné ! et voici que tu bois les eaux du Léthé, que ton beau corps gît sous cette terre funèbre.
221. ANONYME. - Dans l'âge des plaisirs et de l'amour, Patrophilé, tu viens de fermer pour jamais tes beaux yeux. Tout est fini, les charmantes causeries, les chants mélodieux, les folâtres orgies. Inexorable Pluton, pourquoi nous as-tu ravi cette délicieuse courtisane ? Est-ce que Cypris aurait aussi blessé ton coeur ?
222. PHILODÈME.- Ici gît le corps délicat de Tryphère, petite colombe, la fleur des voluptueuses étaires, qui brillait dans le sanctuaire de Cybèle, dans ses fêtes tumultueuses, dont les ébats et les causeries étaient pleins d'enjouement, que la mère des dieux chérissait, qui plus qu'aucune autre aima les orgies que célèbrent les femmes, et qui eut la grâce et les charmes de Laïs. Terre sacrée, fais pousser au pied de la stèle de la jolie bacchante, non des épines et des ronces mais de tendres violettes.
223. THYILLUS. - La danseuse aux crotales, Aristium, qui autour des pins de Cybèle et de la déesse elle-même bondissait échevelée, dont la flûte de lotus excitait les transports, qui trois fois de suite vidait d'un trait la coupe de vin pur, elle repose ici sous des peupliers insensible à l'amour et ne jouissant plus des douces fatigues de la veillée. Adieu pour toujours, orgies et fureurs amoureuses ! Me voilà cachée dans les ténèbres, moi qui naguère me cachais sous les fleurs et les couronnes.
224. ANONYME. - Moi Callicratie, la mère de vingt-neuf enfants, j'ai achevé ma cent cinquième année sans avoir vu mourir un seul de mes fils, une seule de mes filles, et sans avoir appuyé sur un bâton ma main tremblante. Célèbre à tous ces titres, je repose sous cette pierre, n'ayant délié ma ceinture que pour un seul mari (67).
225. ANONYME. - Le temps à la longue émiette même la pierre, par lui le fer n'est pas épargné, il détruit tout avec la même faux. Ainsi le tombeau de Laërte, qui est à une petite distance du rivage, se dégrade sous l'influence des pluies et des ans. Mais le nom du mort est toujours jeune ; car le temps, le voulût-il, ne peut rien sur les beaux vers.
226. ANACRÉON. - Toute la ville d'Abdère a poussé des cris de deuil autour du bûcher du vaillant Agathon, qui est mort pour la défendre. [Douleur bien légitime], car guerrier plus brave et plus beau n'a jamais été enlevé par l'implacable Mars dans l'ouragan de la mêlée.
227. DIOTIME. - Non, un lion sur les montagnes n'est pas plus terrible que ne l'était le fils de Micon, Crinagoras, dans le choc des boucliers. Que si sa tombe est petite, n'en murmure pas. Petit aussi est son pays ; mais il produit de vaillants hommes de guerre.
228. ANONYME. - Androtion a construit ce tombeau pour lui-même, pour ses enfants et sa femme. Je n'ai jusqu'à présent reçu aucun d'eux, et qu'il en soit ainsi longtemps encore ! mais s'il faut que je devienne leur dernière demeure, puissé-je du moins recevoir les plus anciens les premiers !
229. DIOSCORIDE. - A Pitane (68) Trasybule a été rapporté sans vie sur son bouclier, ayant reçu des Argiens sept blessures, toutes par devant. Son vieux père Tynnichus le plaça tout sanglant sur le bûcher et dit : "Que les lâches soient pleurés ; pour toi, mon enfant, c'est sans verser de larmes que je t'inhumerai, toi, mon fils, un brave, un Lacédémonien (69)."
230. ÉRYCIUS. - Lorsque déserteur du champ de bataille, et sans tes armes, Démétrius, tu revins auprès de ta mère, celle-ci te plongea dans le coeur un glaive homicide, et dit : "Meurs, et qu'aucune honte ne rejaillisse sur ta patrie ; Sparte, en effet, n'est pas coupable, si le lait de mon sein a nourri un lâche."
231. DAMAGÈTE. - Aristagoras, le fils de Théopompe, qui s'était armé de son bouclier pour secourir Ambracie, a préféré la mort à la fuite. Ne t'en étonne pas. Un Dorien ne songe pas à sauver sa vie, mais à sauver sa patrie.
232. ANTIPATER OU ANYTÉ. - Ce tertre lydien renferme Amyntor, fils de Philippe, qui souvent combattit au plus fort de la mêlée. Ce n'est point une maladie douloureuse qui l'a conduit aux portes du trépas, il est mort en protégeant un ami de son large bouclier.
233. APOLLONIDAS. - Lorsque Aelius, la gloire des légions romaines, dont le cou était chargé de colliers d'or décernés à sa valeur, sentit que sa maladie était mortelle, et que sa fin s'approchait, il eut recours à son courage et l'appela à son aide. Il enfonça dans son flanc son glaive, et dit en mourant : "Je me suis vaincu moi-même, de peur que la maladie ne se vantât de m'avoir vaincu."
234. PHILIPPE. - L'intrépide Aelius, la gloire d'Argos, dont le cou était paré de colliers décernés à sa valeur, se trouvant atteint d'une fièvre dévorante, eut recours à son mâle courage; dans son côté il enfonça son large glaive, en se bornant à dire : "Le fer tue les braves, et la maladie les lâches."
235. DIODORE DE TARSE. - Ne mesure pas à cette tombe magnésienne la grandeur du nom qui y est écrit, et que les exploits de Thémistocle (70) n'échappent pas à tes souvenirs. Juge le patriote par Salamine, par les vaisseaux qu'il y a pris, et ainsi tu reconnaîtras qu'il est plus grand que l'Attique (71).
236. ANTIPATER. - Non, je ne suis pas le tombeau de Thémistocle, je suis un monument magnésien, qui atteste la jalousie et l'iniquité des Grecs.
237. PHILIPPE OU ALPHÈE. - Représente l'Athos, la mer d'Hellé, Apollon témoin de la lutte entre la Grèce et l'Asie, les fleuves épuisés par les immenses armées de Xerxès ; représente aussi Salamine sur le monument où les Magnètes proclament le génie et le courage de Thémistocle.
238. ADDÉE. - Moi, Philippe, qui le premier ai glorifié les armes de la Macédoine, je repose sous les dalles des sépultures d'Aeges (72), ayant remporté plus de victoires qu'aucun prince avant moi. Si quelque roi se vante d'avoir surpassé la gloire de mon règne, c'est qu'il est de ma race et de mon sang (73).
239. PARMÉNION. - Alexandre est mort ! faux bruit, si Apollon (74) est véridique : "Les invincibles sont immortels."
240. ADDÉE. - Si quelqu'un demande (75) où est le tombeau d'Alexandre de Macédoine, réponds : "Les deux continents d"Europe et d'Asie, voilà son tombeau."
241. ANTIPATER. - O Ptolémée, que de cris de douleur ont poussés ton père et ta mère en s'arrachant les cheveux ! Combien a pleuré ton gouverneur qui souillait de poussière son front belliqueux ! La puissante Égypte s'est déchiré le visage ; la vaste Europe a retenti de gémissements. La lune elle-même prenant un voile de deuil a quitté les astres et les sentiers du ciel. Tu es mort de la peste qui a ravagé tout le pays, avant de prendre dans tes mains le sceptre de tes pères ; mais tu n'es pas descendu au ténébreux séjour (76) ; ce n'est pas Pluton qui reçoit des princes tels que toi, c'est Jupiter, et il les introduit dans l'Olympe.
242. MNASALQUE. - Ceux-ci (77) en combattant pour leur patrie dans les larmes et sous le joug de la conquête [ont reçu la mort et] gisent sous ce tertre funèbre. Mais quelle immense réputation de bravoure ils ont acquise ! Allons, qu'à leur exemple chaque citoyen soit prêt à mourir pour sa patrie !
243. LOLLIUS BASSUS. - Près d'une roche de la Phocide tu vois ce tombeau. Je suis la sépulture de ces trois cents que tuèrent autrefois les Mèdes, et qui tombèrent loin de Sparte leur patrie, ayant amorti le choc de la guerre entre la Perse et Lacédémone. Si sur moi tu aperçois un lion de pierre à la crinière hérissée, dis : "C'est le tombeau du roi Léonidas (78)."
244. GÉTULICUS. - Mars, le dieu de la guerre, a mis le glaive aux mains de trois cents Argiens et de trois cents Spartiates, et nous avons soutenu un combat d'où nul de nous n'est revenu, et où nous sommes tous morts les uns sur les autres. Mais aussi Thyrée était le prix de la victoire !
245. LE MÊME. - O temps qui vois d'un coup d'oeil toutes les actions des mortels, proclame partout ce que nous avons souffert ; dis qu'en cherchant à sauver le sol sacré de la Grèce, nous sommes morts dans les glorieuses plaines de la Béotie.
246. ANTIPATER. - Sur le plateau d'Issus, non loin des flots orageux de la mer de Cilicie, nous Perses, nous gisons au nombre de dix mille, oeuvre sanglante d'Alexandre de Macédoine. C'est en suivant notre roi Darius que nous avons trouvé le terme de la vie.
247. ALCÉE. - Passant, sous ce tombeau, privés d'honneurs et de larmes, nous gisons (79) au nombre de trente mille Thessaliens, grand désastre pour la Macédoine. Quant à Philippe, ce héros si présomptueux, il s'est enfui plus rapidement que le cerf timide.
248. SIMONIDE. - Ici contre trois millions d'hommes ont combattu autrefois quatre mille Péloponésiens (80).
249. LE MÊME. - Étranger, va dire à Lacédémone que nous sommes morts ici pour obéir à ses lois.
250. LE MÊME. - La Grèce tout entière allait périr, et nous l'avons sauvée en mourant pour elle.
251. LE MÊME. - Ces guerriers, après avoir doté leur patrie d'une renommée immortelle, ont revêtu le sombre linceul de la mort; mais ils survivent au trépas. La vertu qui fait leur gloire, les ramène des demeures de Pluton et les élève aux cieux.
252. ANTIPATER. - A ceux-ci, qui sont morts avec joie en guerriers, il n'a point été décerné, comme à d'autres, de stèles funéraires ; c'est dans leur courage qu'ils ont trouvé leur récompense.
253. SIMONIDE. - Si un beau trépas est le meilleur sort de la bravoure, la fortune nous en a gratifiés plus que tous les autres; car c'est en voulant à tout prix assurer la liberté de la Grèce que nous sommes morts, et nous en recueillons une impérissable gloire.
254. LE MÊME. - Salut, braves jeunes jeunes gens l'élite des Athéniens, excellents cavaliers que la guerre a gratifiés d'une gloire immortelle ! Pour votre belle patrie vous avez sacrifié votre jeunesse, en affrontant des milliers de Grecs.
255. ESCHYLE. - La sombre Parque a fait périr ces valeureux guerriers qui défendaient leur riche patrie. Mais elle vit à jamais, la gloire des morts qui, en combattant, sont tombés sur les flancs poudreux du mont Ossa.
256. PLATON. - Ayant autrefois sillonné les flots bruyants de la mer Égée, nous gisons au milieu de la plaine d'Ecbatane. Adieu, Erétrie patrie jadis glorieuse ! Adieu, Athènes, voisine de l'Eubée ! Adieu, mer que nous aimions (81).
257. ANONYME. - Les enfants d'Athènes (82), par la destruction de l'armée des Perses, ont préservé leur patrie du joug accablant de l'esclavage.
258. SIMONIDE. - Ceux-ci sur les bords de l'Eurymédon (83) firent autrefois le sacrifice de leur belle jeunesse en combattant avec la lance contre l'élite des archers mèdes, et sur terre et sur la flotte. Morts, ils ont laissé le plus glorieux souvenir de bravoure.
259. PLATON. - Nous sommes d'Érétrie en Eubée, et nous gisons prés de Suse. Hélas ! que c'est loin de notre patrie !
260. CARPHYLLIDAS. - Étranger, que mon tombeau, près duquel tu passes, ne t'inspire aucune plainte ; car même étant mort, je n'ai rien qui mérite la pitié. J'ai laissé des enfants de mes enfants ; je n'ai eu qu'une femme qui a vieilli avec moi. J'ai donné à mes trois fils des épouses dont bien souvent j'ai bercé les enfants sur mes genoux, n'ayant eu à m'attrister ni de la maladie ni de la mort d'aucun d'eux ; et ce sont eux qui ont rendu les derniers devoirs à leur aïeul fortuné, qui l'ont conduit vers le séjour des bienheureux pour y dormir d'un doux sommeil.
261. DIOTIME. - A quoi servent les douleurs de la maternité ? Pourquoi mettre au monde des enfants ? Qu'elle n'ait point d'enfants, celle qui doit les voir mourir. C'est sa mère qui a élevé un tombeau au jeune Bianor, et c'est de ce fils que su mère aurait dû l'obtenir.
262. THÉOCRITE. - L'inscription vous dira quel est ce monument et quelles cendres il renferme. Je suis le tombeau de Glaucé, la célèbre citharède.
263. ANACRÉON. - Toi aussi, Cléanoride, l'amour de la terre natale t'a perdu. Trop confiant dans le souffle hivernal du Notus, tu t'es laissé surprendre par une saison perfide ; et les flots ont englouti dans leurs tourbillons ton aimable jeunesse.
264. LÉONIDAS. - Je souhaite au navigateur une traversée heureuse ; mais si le vent le pousse, ainsi que moi, aux rivages de l'Achéron, qu'il n'accuse pas la mer inhospitalière, mais sa propre audace, mais lui-même qui a détaché ses amarres de mon tombeau.
265. PLATON. - Je suis le tombeau d'un naufragés en face est celui d'un laboureur. Sur terre comme sur mer, Pluton exerce un commun empire.
266. LÉONIDAS. - Je suis le tombeau du naufragé Dioclès. Quelle audace ! des marins mettent à la voile en détachant de ma stèle leurs amarres.
267. POSIDIPPE. - Matelots, pourquoi m'enterrez-vous près de la mer ? C'est bien loin du rivage qu'il fallait creuser la tombe du pauvre naufragé. J'ai peur du bruit des vagues, cause de mon trépas. Mais ainsi même, salut et joie à vous qui avez pitié de Nicétas.
268. PLATON. - Je suis un pauvre naufragé que la mer a eu honte et pitié de dépouiller de ses vêtements, seul bien qui me restât. Un homme, de ses mains impies, a osé me les enlever. Quelle profanation et pour quel bénéfice ! Ah ! puisse-t-il les revêtir, les porter aux enfers, et puisse Minos le voir avec mes dépouilles !
269. LE MÊME. - Navigateurs, soyez heureux et sur mer et sur terre ; mais sachez que vous passez devant le tombeau d'un naufragé.
270. SIMONIDE. - Ils portaient (84) au nom de Sparte des prémices de guerre à Apollon, et la même mer, la même nuit, le même navire (85) ont présidé à leurs funérailles.
271. CALLIMAQUE. - Plût au ciel qu'il n'y eût pas eu de navires ! Nous ne pleurerions pas le fils de Dioclide, Sopolis. Maintenant son cadavre est quelque part le jouet des flots ; et nous, nous passons devant un tombeau vide où il n'y a que son nom.
272. LE MÊME. - Lycus de Naxos n'est pas mort sur terre, mais dans les flots ; il y a perdu à la fois son navire et la vie, en quittant Égine où il était venu pour son commerce. La mer est sa sépulture, et moi, tombeau qui n'ai que son nom, je proclame cette sentence de toute vérité : "Marchands et marins, gardez-vous de tout contact avec la mer au coucher des chevreaux."
273. LÉONIDAS. - Un coup de vent du sud-est, impétueux, terrible, la nuit et les vagues soulevées par Orion à son coucher ont fait sombrer mon navire. J'ai perdu la vie, moi Calloeschros, courant des bordées au milieu de la mer de Libye, et mon corps ballotté par les flots sert de pâture aux poissons. Ce marbre [qui porte mon nom], est un imposteur.
274. ONESTE. - Je proclame le nom de Timoclès, regardant de tous côtés si j'aperçois quelque part son cadavre. Hélas ! hélas ! les poissons l'ont déjà mangé ; et moi, marbre superflu, je porte en vain son nom gravé.
275. GÉTULICUS. - Entre la presqu'île de Pélops et l'orageuse Crète, les rochers à fleur d'eau du promontoire de Malée ont causé le trépas du fils de Damis, d'Astydamas de Cydonie. Depuis longtemps j'ai assouvi la voracité des monstres marins, et sur leur rivage mes concitoyens m'ont érigé un tombeau menteur. Qu'y a-t-il là d'étonnant, dans un pays de mensonges, en Crète, où l'on vous montre le tombeau de Jupiter ?
276. HÉGÉSIPPE. - Des filets avaient ramené du fond de la mer un homme à demi dévoré, lamentable épave d'un navire ; mais les pêcheurs ne profitèrent pas d'une pêche qui leur semblait inviolable et sacrée, et les poissons qu'ils avaient pris ils les enfouirent avec le cadavre sous un petit tertre de sable. O terre, tu as le naufragé tout entier ; car pour ce qui manque de sa chair tu as les poissons qui l'ont mangée.
277. CALLIMAQUE. - [Pauvre], naufragé, Léontichus, étranger en ce pays (86), t'a trouvé mort ici sur la plage, et il t'a creusé cette tombe, en pleurant sur sa propre vie pleine de périls. Car lui, non plus, ne jouit pas d'une existence paisible, et comme une mouette il traverse les mers.
278. ARCHIAS. - Moi Théris, naufragé que les flots ont jeté à la côte, je n'oublierai pas même après ma mort les rivages où l'on ne peut dormir. Car sous des rochers battus par les vagues, près de la mer en fureur, j'ai obtenu de mains étrangères un tombeau. Mais toujours, et jusque chez les morts, infortuné j'entends le bruit odieux de la mer frémissante. L'enfer même ne me donne pas le calme et le sommeil ; car seul, même après le trépas, je ne repose pas dans un tombeau tranquille.
279. ANONYME. - Renonce à peindre sur ce tombeau, hélas (87) ! sur cette froide cendre, des rames et des proues : c'est la sépulture d'un naufragé. Pourquoi veux-tu rappeler encore à celui qui gît ici les désastres de la mer ?
280. ISIDORE D'AEGES. - Ce tertre, c'est une tombe. Retiens donc tes boeufs laboureur, et retire le soc, car tu remues de la cendre humaine. Sur une telle poussière ne sème pas du blé, mais verse des larmes.
281. HÉRACLIDE. - Arrête, arrête ta charrue, ô laboureur ! ne remue pas la poussière dans ce tombeau. Cette terre a été arrosée de larmes, et d'une terre ainsi arrosée il ne poussera jamais de beaux épis.
282. THÉODORIDE. - Je suis le tombeau d'un naufragé ; mais toi, n'en navigue pas moins, et en effet lorsque mon navire a sombré, d'autres navires voguaient à pleines voiles sans accident (88).
283. LÉONIDAS. - Mer tumultueuse, pourquoi, après une si triste catastrophe ne m'as-tu pas rejeté loin, bien loin de ta plage déserte ? Habitant du ténébreux séjour d'Adès, moi Phillée fils d'Amphimène, je ne serais pas si voisin de tes flots.
284. ASCLÉPIADE. - Mer orageuse, ne me touche pas, tiens-toi à une distance de huit coudées, et siffle écume, autant que tu voudras. Mais si tu renverses le tombeau d'Eumarès, qu'y gagneras-tu ? Tu ne trouveras que des os et de la cendre.
285. GLAUCUS DE NICOPOLIS. - Erasippe n'a ici ni tertre, ni marbre ; son tombeau, c'est cette vaste mer que tu vois, car il y a péri avec son navire. Quant à ses restes, où pourrissent-ils ? Les mouettes seules pourraient le dire.
286. ANTIPATER. - Infortuné Nicanor, voué par les destins à la mer écumante, tu gis donc sur une plage lointaine ou sur des récifs. Tous ces beaux palais que tu possédais, que deviennent-ils ? Combien est déçue l'espérance que fondait sur toi la cité de Tyr ! Tes richesses n'ont pu te protéger, infortuné, et tu es, hélas ! le jouet et la victime des poissons et des flots.
287. ANTIPATER. - Moi Lysis, enterré sous cette roche solitaire, je ne cesserai pas, même mort, d'être tourmenté par l'impitoyable mer, grondant à mes oreilles et près de mon tombeau qui en est assourdi. Pourquoi, pêcheurs, m'avez-vous placé près de cette mer qui a englouti un pauvre marchand, naviguant non sur un gros navire, mais sur une barque à quelques rames ? Je cherchais ma vie sur les flots, et sur les flots j'ai trouvé la mort.
288. LE MÊME. - Mon cadavre n'appartient tout entier ni à la terre ni à la mer ; la terre et la mer ont de mon corps, chacune, une égale moitié. Car les poissons ont dans la mer mangé ma chair, et mes os ont été rejetés par les vagues sur cette triste plage.
289. ANTIPATER DE MACÉDOINE. - Anthée, ayant gagné de nuit l'embouchure du Pénée sur une frêle planche, avait échappé au naufrage, lorsque, d'un buisson, un loup furieux se précipita sur lui à l'improviste et l'étrangla. O terre, tu es plus perfide que les flots.
290. STATYLLIUS FLACCUS. - Un naufragé qui avait échappé aux coups de vent et à la fureur des vagues, était étendu sur une plage libyenne, non loin du rivage, tout nu, et dormait d'un sommeil profond comme un homme épuisé par les fatigues d'un naufrage, lorsqu'un affreux serpent le surprit et le tua. Pourquoi avait-il lutté contre les flots, se dérobant bien en vain à une mort qui lui était réservée sur la terre ?
291. XENOCRITE DE RHODES. -Ta chevelure est encore toute ruisselante, infortunée jeune fille, Lysidice, pauvre naufragée qui as péri dans l'onde amère. Comme les vagues bondissaient avec fureur, épouvantée de la violence de la tempête, tu t'es élancée par-dessus le bord du navire, et maintenant on lit ton nom et celui de Cymé, ta patrie, sur un tombeau, tandis que ton corps est emporté sur une plage glacée. Quelle poignante douleur pour ton père Aristomaque, qui, devant te conduire à l'autel de l'hyménée, n'y a mené ni une fiancée ni un cadavre !
292. THÉON D'ALEXANDRIE. - Les alcyons, Lénée, prennent soin sans doute de tes funérailles. Pour ta mère, elle pleure, elle se lamente en vain sur une tombe qui irrite son désespoir.
293. ISIDORE D'AEGES. - Ce n'est ni une tempête ni le coucher des Pléiades qui ont submergé Nicophème dans les flots de la mer Adriatique. L'infortuné, au milieu de sa navigation, retenu hélas ! par un calme plat, a succombé aux tourments de la soif. Voilà l'ouvrage des vents ! ô que de maux éprouvent ceux qui courent les mers, soit que les vents soufflent, soit qu'ils ne soufflent point !
294. TULLIUS LAURÉA. - Grynée, le vieux pêcheur, dont la pauvre barque, les hameçons et les filets, soutenaient la pénible vie, a été surpris par un terrible coup de vent et englouti dans les flots. Le lendemain, la mer a rejeté sur le rivage son cadavre, mutilé et sans mains. Qui pourrait après cela refuser de l'intelligence aux poissons, qui n'ont dévoré que les mains, seuls instruments de leur mort ?
295. LÉONIDAS DE TARENTE. - Théris, le vieux Théris, qui ne vivait que de sa pêche et qui allait à la mer plus souvent qu'une mouette, qui dans toutes leurs retraites, avec tous les engins, poursuivait à outrance les poissons, qui ne naviguait que sur une petite barque mal équipée, n'a point péri cependant dans une tempête ; ce n'est point l'Arcture qui a précipité aux sombres bords le marin qui l'avait bravé si longtemps; non, il est mort dans sa hutte de jonc, il s'est éteint comme une lampe, de lui-même, consumé par le temps. Et ce tombeau, il ne lui a pas été élevé par ses enfants, par son épouse, mais par une troupe de pêcheurs compagnons de ses travaux.
296. SIMONIDE DE CÉOS. - Depuis que la mer a séparé l'Europe de l'Asie, depuis que l'impétueux Mars préside aux guerres des mortels, jamais les habitants de la terre n'avaient encore vu un pareil fait d'armes, ni sur terre ni sur mer. Ceux qui consacrent cette offrande (89) ont fait périr beaucoup de Mèdes en Chypre, et pris cent navires phéniciens avec tous les équipages. L'Asie, battue par une armée de terre et par la flotte, en a poussé de longs gémissements.
297. POLYSTRATE. - Lorsque Lucius (90) eut dévasté la grande citadelle achéenne de Corinthe, astre de la Grèce, et le double rivage de l'isthme, les ossements des morts, victimes du siège, furent ensevelis sous un immense bloc de rocher (91). Quant aux Achéens qui avaient incendié le palais de Priam, les descendants d'Enée les ont privés de funérailles.
298. ANONYME. - Hélas ! hélas ! c'est un affreux malheur que d'avoir à pleurer la mort d'un époux ou d'une épouse ; mais lorsque tous les deux périssent, comme Eupolis et la vertueuse Lycénium, dont la chambre nuptiale, en s'écroulant dans la nuit des noces, vient d'anéantir les amours, ah ! c'est là une catastrophe à nulle autre pareille et bien digne des larmes que tu verses, Nicis, sur ton fils, et toi, Eudicus, sur ta fille.
299. NICOMAQUE. - C'est Platée, que te dirai-je ? Platée qu'autrefois un soudain tremblement de terre a renversée de fond en comble. Il ne survécut à ce désastre qu'un bien petit nombre de nos concitoyens ; mais nous qui en avons été victimes, nous avons eu du moins pour tombeau notre chère patrie.
300. SIMONIDE. - Ici la terre recouvre Pythonax et son frère qui n'avaient pas encore atteint la limite de l'aimable jeunesse. Eux morts, Mégariste a élevé à ses fils mortels ce monument immortel avec la munificence d'un père.
301. LE MÊME. - Cette terre recouvre, ô Léonidas, roi de la vaillante Sparte, les guerriers glorieux qui sont morts ici avec toi, en soutenant le choc d'une impétueuse cavalerie, de flèches innombrables et de l'armée des Mèdes.
302. LE MÊME. - Chacun de nous, à part soi, pleure ceux. que la mort nous enlève ; mais Nicodice, ses amis le pleurent, et aussi la ville de Pola (92) tout entière.
303. ANTIPATER DE SIDON. - Le petit Cléodème, encore allaité par sa mère, lorsqu'il essayait ses pas sur le pont d'un vaisseau, a été jeté dans l'abîme de la mer par un coup de vent, bien digne de venir de la Thrace, le cruel ! et les flots ont étouffé le pauvre enfant. Ino, tu es une déesse impitoyable, toi qui n'as pas soustrait à la mort un enfant de l'âge de ton Mélicerte.
304. PISANDRE DE RHODES. - Ce guerrier se nommait Hippémon ; son cheval, Podarge ; son chien, Théragre ; son esclave, Babès. Lui, fils d'Hémon, était de Magnésie ; son chien était de Crète, son cheval de Thessalie. Il est mort au premier rang, dans un rude combat.
305. ALCÉE DE MITYLÈNE. - Le pauvre pêcheur Diotime, qui eut pour demeure, sur les flots, sa barque fidèle et, sur la terre, cette même barque, s'étant endormi du dernier sommeil, est allé chez le dur Pluton ; il fut à lui-même son rameur et il navigua sur sa propre barque, car ce soutien de sa vie, sa barque, lui a rendu un dernier bon office : elle lui a servi de bùcher.
306. ANONYME. - Abrotonum n'était qu'une femme de Thrace ; mais la postérité saura que la Grèce m'a dû la naissance du grand Thémistocle.
307. PAUL LE SILENTIAIRE. - Mon nom.... - Qu'importe-t-il ? - Ma patrie .... - Qu'importe-t-elle ? - Je suis de race illustre. - Et si tu étais de race inconnue ? - Je suis mort, après avoir vécu avec gloire. - Et si c'était sans gloire (93)'? - Je gis ici maintenant. - Mais qui es-tu, à qui parles-tu (94) ?
308. LUCIEN. - Enfant de cinq ans et n'ayant nul souci, la mort, qui est sans pitié, m'a enlevé, moi Callimaque. Mais ne me pleurez pas, car si j'ai vécu peu de temps, j'ai connu peu des maux de la vie.
309. ANONYME. - Mort à soixante ans, je gis ici, moi Denys de Tarse, sans avoir été marié ; et plût au ciel que mon père ne l'eût pas été non plus !
310. ANONYME. - L'homme qui m'a tué, m'a enseveli pour cacher son crime, et gratifié d'une tombe. Qu'il obtienne la même faveur (95) !
311. ANONYME. - Ce tombeau ne renferme la cendre d'aucun mort. Ce mort est sans tombeau ; mais lui-même est à la fois le tombeau et le mort (96).
312. ASINIUS QUADRATUS. - Ils gisent ici, après avoir soutenu contre les Romains un combat terrible, après avoir donné des marques de la plus rare bravoure ; car pas un n'est mort frappé par derrière, mais tous ensemble ont succombé dans l'embuscade perfide où ils trouvèrent la mort (97).
313. ANONYME. Sur Timon le misanthrope. - Ici, après m'être débarrassé du pénible fardeau de la vie, je repose. Ne demandez pas mon nom, misérables que vous êtes, et puissiez-vous périr misérablement !
314. PTOLÉMÉE. Sur le même Timon. - Ne cherche pas à savoir ni d'où je suis, ni quel est mon nom ; mais sache que je souhaite la mort de quiconque s'approche de mon tombeau.
315. ZÉNODOTE OU RHIANUS. - Aride poussière, fais croître autour de moi un buisson épineux, enveloppe-moi de ronces aux dards acérés, afin que pas même un oiseau au vol léger ne vienne au printemps se poser sur moi, et que rien ne trouble ma solitude et mon repos ; car je suis Timon le misanthrope, que ses concitoyens n'aiment guère, et que Pluton lui-même reconnaît à peine pour un des siens.
316. LÉONIDAS OU ANTIPATER. - Passe devant ma tombe sans me dire : Salut ! sans chercher à savoir qui je suis ni d'où je suis ; ou mieux, détourne-toi de ton chemin, et même si tu dois passer sans rien dire, détourne-toi encore et passe loin de moi.
317. CALLIMAQUE. - Timon, car tu n'es plus, que détestes-tu davantage du jour ou des ténèbres ? - Les ténèbres ; car dans l'enfer, vous autres humains, vous êtes plus nombreux que là-haut.
318. LE MÊME. - Méchant, passe outre et ne me souhaite pas joie et bonheur. Ce que je te souhaiterais en échange, ce serait du deuil et des larmes.
319. ANONYME. - Même mort, Timon est farouche. Toi donc, portier de Pluton, tremble qu'il ne te morde.
320. HÉGÉSIPPE. - Il y a de tous côtés, autour de cette tombe, des ronces et des épines : tu te déchireras les pieds si tu approches. J'habite ici, moi Timon le misanthrope ; passe donc, après m'avoir dit mille imprécations, si tu veux, mais va-t'en.
321. ANONYME. - Terre amie, reçois dans ton sein le vieil Amyntichus, te souvenant de ses nombreux travaux. Que de pieds d'olivier en effet il a plantés ! Que de vignes par ses soins se sont chargées de grappes ! Ici, il a couvert les champs de moissons ; là, en conduisant l'eau dans les rigoles, il a fécondé les plants de légumes et les vergers. Pour prix de ses labeurs, ô terre, ne pèse pas sur sa tête chauve, sois-lui légère et pour lui pare-toi des fleurs du printemps.
322. ANONYME. - Voici le tombeau d'Idoménée de Cnosse ; et moi Mérion, fils de Molus, j'ai mon tombeau près du sien (98) .
323. ANONYME. - Le même tombeau renferme les deux frères [et à bon droit], car le même jour les a vus naître et mourir.
324. ANONYME.- Moi, honorée et célèbre [à tous ces titres (99)], je suis inhumée sous cette dalle, n'ayant délié ma ceinture que pour un seul mari.
325. ANONYME. Sur Sardanapale. - Je ne possède que ce que j'ai mangé, que ce que j'ai bu, que les jouissances partagées avec les Amours. Tout le reste de mon bonheur s'est évanoui (100).
326. CRATÈS DE THÈBES. - Je possède tout ce que j'ai appris, tout ce que j'ai médité, tout ce que m'ont enseigné les doctes Muses. Le reste, même le bonheur, s'est envole en fumée (101).
327. ANONYME.- Étant mortel, n'aie pas les idées d'un immortel, car il n'y a rien de certain ici-bas pour des êtres d'un jour. Ce tombeau, en effet, renferme Cassandre mort, un homme digne de vivre de la vie des dieux.
328. ANONYME. - A ta mort, Cassandre, quelle pierre n'a pas versé des larmes ? Quel coeur assez dur pour oublier ta beauté ? C'est un dieu sans pitié et jaloux qui t'a privé de la vie dans la fleur de la jeunesse , à vingt-six ans, qui a laissé une épouse dans le veuvage de vieux parents dans les larmes et dans le désespoir.
329. ANONYME. - Moi Myrtade qui, auprès des pressoirs sacrés de Bacchus, mourus en vidant de larges coupes de vin, je ne suis pas enterrée sous un tertre. C'est un tonneau, symbole de joie, qui me sert de tombe, et je m'y plais.
330. ANONYME. - Ce tombeau que tu vois, Maxime de son vivant se l'est fait à lui-même, afin de l'habiter quand il aurait cessé de vivre. Il a construit aussi ce tombeau pour son épouse Calépodie, désirant, même chez les morts, posséder l'objet de son amour.
331. ANONYME. - Phrourès, mon époux, m'a gratifié de ce tombeau, et mon amour se trouve dignement récompensé. Dans la maison conjugale je lui laisse un choeur de nobles enfants, fidèle témoignage d'une chaste vie. Je meurs l'épouse d'un seul homme, et dans dix êtres vivants je vis encore, ayant recueilli le fruit nuptial d'une heureuse fécondité.
332. ANONYME. - Malheureuse branche qui jadis nourrissais de mes feuilles les bêtes sauvages, [devenue le thyrse] d'une bacchante je suis morte, non sur place par une fracture (102), mais clans les bruyants exercices [de l'orgie].
333. ANONYME - Ne sois point privée chez les dieux infernaux de nos hommages que tu es en droit d'obtenir, Ammia. Aussi, moi Nicomaque (ton époux] et Dioné ta fille, nous avons élevé ce tombeau et cette stèle pour honorer ta mémoire.
334. ANONYME. - Dieu sans pitié, pourquoi as-tu ouvert mes yeux à la lumière pour un si petit nombre d'années ? Était-ce afin d'affliger par ma mort une mère éplorée, afin de réduire au désespoir celle qui m'a mis au monde, qui m'a entouré de tendresse et de soins, qui bien plus que mon père a eu les soucis de mon éducation ? car lui, en mourant, m'a laissé orphelin bien jeune encore, et c'est-elle qui a supporté pour moi toutes les fatigues. Comme j'aimais sous des maîtres vertueux à me préparer à l'éloquence pour briller dans les tribunaux ! Mais ma mère ne m'a pas vu lui offrir ma première barbe, cette fleur de l'aimable jeunesse, elle ne m'a pas vu allumer les flambeaux de l'hyménée, elle n'a pas chanté l'hymne de mes noces, elle n'a pas reçu dans ses bras, l'infortunée, un petit-fils, pour perpétuer notre race, notre race bien à plaindre ; mais ce qui m'afflige, même dans ma tombe, c'est d'avoir mis un surcroît de chagrin et de deuil par-dessus les regrets douloureux qu'a laissés Fronton mon père dans le coeur de Politta, mère inconsolable d'un fils dont la trop courte existence a trompé l'espérance et la joie de sa patrie.
335. ANONYME. - Politta, supporte ta douleur, apaise tes sanglots. Bien des mères ont vu le trépas de leurs fils. - Mais ils n'étaient pas comme lui des modèles de vertu, ils ne regardaient pas leur mère avec un aussi pieux respect. - Pourquoi ces lamentations superflues, cet inutile désespoir ? Tous les mortels iront dans l'Hadès, la commune patrie.
336. ANONYME. - Brisé par l'âge et la misère, ne recevant plus une obole pour soulager mes besoins, d'un pas tremblant je me suis acheminé vers cette tombe et j'ai trouvé là, non sans peine, le terme de ma déplorable vie. Pour moi la loi des morts s'est trouvée intervertie ; car on ne m'a pas enterré après avoir cessé de vivre ; mais ma sépulture a précédé mon trépas.
337. ANONYME. - Ne passe pas si vite devant moi, cher voyageur qui poursuis ta route sans t'arrêter, regarde ce tombeau et demande qui est là, et de quelle famille ; tu apprendras que c'est Harmonie, et que sa famille est célèbre à Mégare. Tous les avantages qui procurent de la gloire aux mortels, elle les a eus, noblesse aimable, moeurs pures, chasteté. Voilà la femme dont tu vois la tombe. Aussi son âme, ayant quitté sa dépouille mortelle, est montée vers les célestes régions qu'elle admire.
338. ANONYME. - Moi, cippe de pierre, debout sur ta tombe, fils d'Archias, ô Périclès, je suis orné de symboles de chasse. Sur mes parois funèbres sont sculptés des chevaux, des épieux, des chiens, des perches, sur les perches des filets. Hélas ! tout est en pierre, et de tous côtés courent les bêtes fauves, tandis que toi, à vingt ans, tu dors d'un éternel sommeil.
339. ANONYME. - Ce n'est pas ma faute si je suis né, et à peine suis-je né que je m'achemine, infortuné ! vers Pluton. O fatale union de mes parents ! ô nécessité qui me soumit à l'odieuse mort ! Je n'étais rien, de nouveau je ne serai rien, comme devant ; la race humaine n'est rien, absolument rien. Donc, ami, apporte-moi la coupe qui reluit, et verses-y avec le vin l'oubli des maux (103).
340. ANONYME. - Marathonos a déposé sous cette pierre Nicopolis, après avoir trempé de ses pleurs le marbre du cercueil. Mais il n'a point été soulagé ; et quel soulagement à sa douleur peut espérer l'homme qui a perdu son épouse et qui reste seul sur la terre ?
341. ANONYME. - J'étais Proclus, Lycien de naissance, celui que Syrianus éleva pour être son successeur dans l'enseignement. Ce tombeau renferme les corps du maure et du disciple, et puisse une même demeure être échue en partage à leurs âmes !
342. ANONYME. - Je suis mort, et je t'attends ; toi aussi, à ton tour, tu en attendras un autre. Le même Hadès reçoit également tous les mortels.
313. ANONYME. - Une tombe est fatalement échue à l'aimable et charmant Patérius, fils de Miltiade et de la malheureuse Atticie, rejeton et parure de la Cécropie, issu du sang des Éacides. Ce gracieux jeune homme, qui connaissait à fond la législation romaine et toutes les philosophies, qui brillait de tout l'éclat des quatre vertus fondamentales, un sort funeste l'a enlevé à vingt-quatre ans, comme le vent détache de sa tige une, belle fleur, et il a laissé ses bien-aimés parents dans les larmes et dans le désespoir.
344. SIMONIDE. - Je suis le plus fort des animaux (104), et il était le plus fort des mortels, celui que je garde ici debout sur son sépulcre de marbre. Ah ! s'il n'eût pas eu mon courage et mon nom, je n'aurais pas posé mes pieds sur ce tombeau.
345. SIMONIDE OU AESCHRION DE SAMOS. - Ici, moi Philénis. fameuse parmi les mortels, j'ai été endormie par la longue vieillesse. Garde-toi, insensé nautonier, quand tu doubleras le cap, de faire de moi un objet de moquerie, de dérision et d'insulte ; car, j'en atteste Jupiter, j'en atteste les deux jeunes déités de l'enfer ; je ne fus ni femme luxurieuse, ni vile courtisane : c'est Polycrate, d'origine athénienne, espèce de bavard retors, langue perverse, qui a écrit ce qu'il a écrit ; quant à moi, je ne sais rien (105).
346. ANONYME. - Que cette pierre sépulcrale, vertueux Sabinus, quoique bien petite, témoigne de ma grande amitié pour toi. Je te regretterai toujours; et toi, si c'est permis chez les moris, ne bois pas pour moi une seule goutte des eaux de Léthé.
347. SIMONIDE. - Cette tombe est celle d'Adimante ; à ses conseils la Grèce doit sa couronne de liberté.
348. LE MÊME. - Après avoir beaucoup bu, beaucoup mangé, beaucoup médit et calomnié, je gis ici, moi Timocréon de Rhodes.
349. ANONYME. - Après avoir peu mangé, peu bu, beaucoup souffert, me voilà tardivement, mais enfin me voilà au tombeau. Passants, vous y allez tous.
350. ANONYME. - Nautonier, ne me demande pas de qui je suis ici la tombe ; mais toi, puisses-tu avoir une mer moins orageuse !
351. DIOSCORIDE. - Non, nous en faisons le serment à l'usage des morts (106), nous les filles de Lycambe qui avons eu une odieuse réputation, nous n'avons déshonoré en rien notre jeunesse virginale, ni nos parents, ni Paros, la plus célèbre des îles sacrées. Mais sur notre famille Archiloque a déversé l'outrage et d'odieuses calomnies. Nous n'avons connu Archiloque, et nous en prenons à témoin les dieux et les déesses, ni dans des carrefours, ni dans le grand temple de Junon ; et si nous avions été des filles impudiques et perdues, il n'aurait pas voulu, lui, avoir de nous des enfants légitimes.
352. ANONYME OU MÉLÉAGRE. - Par la main droite du dieu Hadès, par la couche glorieuse de l'auguste Proserpine, nous jurons que nous sommes véritablement des vierges, même aux enfers. Ce sont des infamies qu'a lancées contre notre virginité l'amer Archiloque. La belle harmonie de ses vers, il ne l'a pas employée à célébrer les exploits des héros, il s'en est servi comme d'une arme de guerre contre des femmes. O Muses, avezvous bien pu diriger contre de jeunes filles d'injurieux iambes, en prodiguant vos dons à un impie ?
353. ANTIPATER DE SIDON. - Ce tombeau est celui de la vieille Maronis. Vois-tu une coupe sculptée en marbre qui le surmonte ? Passionnée pour le vin et bavarde sempiternelle, elle ne pleure ni ses enfants ni leur père qu'elle a laissés dans l'indigence ; elle ne s'afflige, même dans ce sépulcre, que d'une chose, c'est que la coupe de Bacchus qui est sur sa tombe ne soit pas pleine de la liqueur du dieu.
354. GÉTULICUS. - Ce tombeau est celui des fils de Médée, qu'une jalousie brûlante a immolés comme des victimes aux noces de Glaucé ; et la terre de Sisyphe (107) ne cesse pas de leur envoyer des offrandes de miel et de lait pour expier les emportements d'une mère au coeur de fiel.
355. DAMAGÉTE. - Passants, dites au bon Praxitèle la parole honorable et pieuse dont on salue les morts ; dites-lui "joie et bonheur." Il fut excellemment doué par les Muses du génie de l'art, et quand il avait le verre en main, quelle franchise ! O salut, Praxitèle d'Andros.
356. ANONYME. Sur un homme tué par un brigand et par lui inhumé. -Tu m'as ôté la vie et tu me donnes une tombe. Mais tu me caches, tu ne m'ensevelis pas. Toi aussi puisses-tu jouir d'une semblable tombe !
357. ANONYME. - Bien que tu me caches au regard de tous les hommes, l'oeil de Dieu n'en voit pas moins tout ce qui se fait.
358. ANONYME.-Tu m'as tué, puis tu m'as creusé une tombe de ces mêmes mains qui m'ont assassiné. Que Némésis ne t'oublie pas !
359. ANONYME. - Si touché de compassion à la vue de mon cadavre tu m'avais enseveli, les immortels récompenseraient cet acte pieux ; mais lorsque tu m'enfouis dans une tombe, toi mon assassin, oh ! puisses-tu obtenir le service que je te dois.
360. ANONYME. - Après m'avoir assassiné tu m'as creusé une tombe, non pour m'inhumer, mais pour me cacher. Je souhaite qu'il t'en arrive autant (108).
361. ANONYME. - Un père a élevé ce tombeau à son fils : c'est le contraire qui eût été juste ; mais la jalousie du sort est plus expéditive que la justice.
362. PHILIPPE DE THESSALONIQUE. - Ici cette tombe recèle la dépouille vénérée du vertueux Aétius, l'éloquent orateur. Son corps est descendu chez Pluton, mais son âme est montée au ciel (109) où elle se récrée avec Jupiter et les autres immortels. [Il méritait de ne pas mourir] ; mais il n'est pas donné, même aux dieux, de faire d'un homme un immortel.
363. ANONYME. - Ce cippe en métal bien ciselé est un hommage (110) au mérite d'un grand homme ; il couvre la dépouille mortelle de Zénodote. Quant à son âme, elle est au ciel où elle a trouvé sa place auguste près d'Orphée et de Platon. C'était un chevalier de la cour impériale, brave,illustre, franc et loyal, ressemblant à un dieu. Parlait-il, on croyait entendre Socrate s'exprimer en latin. Il est mort dans une verte vieillesse, laissant à ses enfants un immense patrimoine et d'éternels regrets à ses nobles amis, à sa ville, à l'ordre des chevaliers (111).
364. MARCUS ARGENTARIUS. - Myro a élevé ce monument à une sauterelle et à une cigale, que de ses mains elle a recouvertes d'un peu de poussière, après avoir versé des larmes de regret sur leur bûcher ; c'est Pluton qui lui a ravi sa cigale, et Proserpine, sa sauterelle.
365. ZONAS DE SARDES ou DIODORE. - Toi qui, dans l'enfer, rames sur ce marais couvert de roseaux pour conduire ta barque pleine de morts à la rive opposée, sombre Charon, tends ta main au fils de Cinyras (112) et reçois-le lorsque, de l'échelle, il passera dans ta barque. Car l'enfant marche mal avec ses sandales, et il craint de poser ses pieds nus sur le sable du rivage.
366. ANTISTIAS. - Ménéstrate, tu as péri à l'embouchure de l'Aoüs ; toi, Ménandre, dans les parages de Carpathos ; et toi, Denys, au détroit de Sicile. Quelle douleur pour la Grèce qui pleure ses plus illustres athlètes !
367. ANTIPATER. - Aie pitié de moi, le prince Égérius, qui ne suis plus qu'une ombre. Quand je rejoignis ma fiancée, un nuage sombre se répandit sur mes yeux. Ma vie s'est éteinte, et j'expirai n'ayant qu'entrevu mon épouse. Soleil, quelle triste destinée ! Maudit soit le flambeau funeste qu'alluma ou l'hymen à regret ou l'enfer avec joie !
368. ÉRYCIUS. - Je suis de l'Attique; Athènes est ma ville natale. De cette cité, l'impitoyable vainqueur de la Grèce m'a transportée en Italie et m'a faite habitante de Rome. Maintenait que je suis morte, c'est l'île de Cyzique qui a recueilli ma cendre. Paix et bonheur à la cité qui m'a donné le jour, à celle qui m'a servi ensuite de demeure, à celle enfin où j'ai trouvé le dernier asile !
369. ANTIPATER. - Je suis le tombeau d'Antipater le rhéteur. Tous les Grecs te diront combien aux fêtes d'Olympie il s'est distingué par les inspirations de son éloquence. Était-il d'Athènes ou des bords du Nil, c'est controversé ; mais il était digne de l'une et l'autre patrie. D'ailleurs Athènes et Thèbes ont la même origine, suivant la tradition hellénique. Par le sort l'une échut à Pallas, l'autre à Jupiter (113).
370. DIODORE. - Le Ménandre d'Athènes, cher à Bacchus t aux Muses, le fils de Diopithe, que le feu a réduit en un peu de cendre, il est là, passant, sous ma pierre sépulcrale : mais si tu cherches le vrai Ménandre, tu le trouveras dans l'Olympe de Jupiter ou dans les îles des bienheureux.
371. CRINAGORAS. - Une terre m'a donné la vie, une autre terre me couvre mort. Celle-ci ne fait pas moins pour moi que l'autre: dans son sein je vais faire un plus long séjour. C'est la chaleur trop ardente du soleil qui m'a enlevé à celle qui fut ma mère, et je gis à l'étranger, sous une pierre, honoré de bien des larmes, moi Inachus, serviteur dévoué de Crinagoras.
372. LOLLIUS BASSUS. - Terre de Tarente, garde ce corps d'un homme de bien, avec une douce bienveillance. Trompeuse destinée des mortels ! Atymnios, parti de Thèbes, n'a pas été bien loin, et sous ce tertre il a trouvé sa dernière demeure. laissant après lui un orphelin sans surveillance et sans guide. Que la terre du tombeau lui soit légère.
373. THALLUS DE MILET. - Milet, deux de tes enfants, brillants météores, ont été s'éteindre prématurément sur la terre d'Ausonie ; ils étaient ta parure, ta couronne, et tout cela s'est changé en larmes. Leurs restes, hélas ! tu les a vus renfermé dans une petite urne : O patrie trois fois malheureuse ! d'où et quand de tels astres brilleront-ils de nouveau pour ta gloire dans le ciel de la Grèce ?
374. MARCUS ARGENTARIUS. - Les flots ont englouti mon cadavre infortuné, et sur le rivage ma mère Lysidice ne cesse de me pleurer en face d'un tombeau vide et menteur. Mais le destin a voulu que Pnytagore en mourant eût le sort des mouettes, et il a eu ce sort dans la mer Égée, alors qu'il tendait les cordages de la proue pour mieux résister à Borée. Mais je n'ai pas même alors cessé de naviguer, puisque de mon navire je suis passé dans la barque de Charon.
375. ANTIPHILE DE BYZANCE. - La maison ébranlée s'était écroulée sur moi ; mais ma chambre à coucher resta debout, les murailles ayant été secouées de bas en haut. Là, enfouie comme dans une tanière, les douleurs de l'enfantement me surprirent, autre terreur qui se mêlait à celle du tremblement du terre. Je n'eus pas d'autre sage-femme que la nature, et tous les deux, [la mère et l'enfant], retirés des décombres, nous avons ouvert ensemble les yeux à la lumière du soleil.
376. CRINAGORAS. - Malheureux, à quoi bon ces voyages que nous entreprenons, confiants dans des espérances trompeuses, oubliant la mort menaçante ? Séleucus était par son éloquence et par ses moeurs tout à fait remarquable ; mais qu'il a peu joui de sa jeunesse ! à l'extrémité de l'Ibérie, loin, bien loin de Lesbos, il gît, étranger, inconnu, sur une plage solitaire.
377. ÉRYCIUS. - Bien que la terre le recouvre, versez encore de la poix sur Parthénius dont la bouche impie a vomi contre les Muses le venin (114) d'abominables élégies. Il a poussé l'audace et la folie jusqu'à appeler l'Odyssée de la boue et l'Iliade une ordure (115). Aussi est-il enchaîné au milieu des Furies, sur les bords du ténébreux Cocyte, avec un collier comme un chien.
378. APOLLONIDE. - Héliodore a précédé son épouse chérie, mais Diogénie l'a suivi de près, à moins d'une heure d'intervalle ; et tous deux, pour continuer d'habiter ensemble, se sont fait enterrer sous la même dalle (116), heureux et fiers d'avoir un seul tombeau comme ils avaient eu un seul lit.
379. ANTIPHILE DE BYZANCE. - Dis-moi, Dicéarchie (117), pourquoi t'a-t-on construit un si grand môle s'avançant au milieu de la mers ? De telles constructions n'ont pu être élevées sur les flots que par les mains de Cyclopes. Jusqu'à quelle distance, ô terre, serons-nous refoulée ? - On m'a fait ainsi pour recevoir la flotte du peuple maître du monde. Contemple Rome qui est près d'ici, et juge si je suis un port en proportion avec elle.
380. CRINAGORAS. - Quoique ce tombeau soit de marbre de Paros et que le lapicide l'ait taillé avec soin, il ne renferme pas pour cela un homme de bien. Ainsi, ne juge pas le mort d'après le marbre. Elle est dépourvue de sens, la pierre des tombeaux, et elle recouvre (volontiers] le cadavre d'un méchant. Ici, en effet, gît et pourrit, réduite en cendre, la misérable dépouille du vil Eucinidas !
381. ÉTRUSCUS DE MESSINE. - Le même navire a conduit Hiéroclide en ce monde et chez Pluton, ayant été destiné à ce double office. Il le nourrissait, lui pêcheur ; il le brûla, lui mort, compagnon de pêches, compagnon de funérailles. Heureux le pêcheur qui avec le même navire navigua sur les flots, et débarqua chez Pluton !
382. PHILIPPE DE THESSALONIQUE. - M'ayant rendu à la terre, ô mer furieuse, tu roules encore mon cadavre, tu tourmentes mes tristes restes. Même mort, moi seul, panure naufragé, n'aurai-je pas sur les rochers de la plage le repos de la tombe ? Ou bien engloutis-moi dans tes flots, ou bien, m'ayant cédé à la terre, ne lui prends plus un corps qui lui appartient.
383. LE MÊME. - Du rivage vois le corps d'un malheureux naufragé épars sur ces rochers où se brisent les flots. Ici est la tête dépouillée de cheveux et de dents, ici la main avec ses cinq doigts ; là, des flancs sans chair, des pieds sans nerfs ni tendons, et le débris d'un squelette. Tous ces fragments humains formaient un tout naguère. O bienheureux, ceux qui en sortant du sein de leur mère n'ont pas vu le jour !
384. MARCUS ARGENTARIUS. - Lorsque la vieille bavarde Aristomaque, celle qui aima Bacchus bien plus qu'il n'était aimé d'Ino sa nourrice, fut descendue aux sombres bords, et qu'elle sentit sa gorge toute desséchée faute de coupes à vider comme autrefois : "O Minos, dit-elle, ordonne qu'on apporte une urne légère, afin que je puise de l'eau dans le noir Achéron ; car moi aussi j'ai tué un jeune époux." Elle parlait ainsi, la menteuse, afin de pouvoir, même parmi les morts, contempler un tonneau.
385. PHILIPPE. - Vaillant Protésilas, le premier tu as fait sentir à Ilion la vengeance des épées grecques, et les arbres qui grandissent autour de ta tombe manifestent tous leur inimitié contre Troie. De leurs plus hautes branches ils n'aperçoivent pas plus tôt Ilion, qu'ils se dessèchent et que leurs feuilles jonchent la terre. De quelle colère étais-tu donc animé contre Troie, puisque même des arbres conservent ton ressentiment contre tes ennemis !
386. BASSUS LOLLIUS. - C'est moi, moi Niobé, autant de fois changée en pierre que, mère infortunée, j'ai épuisé le lait de mes mamelles (118). Ce grand nombre d'enfants [dont j'étais si fière] enrichit le royaume de Pluton : c'est pour lui que je les ai mis au monde. O déplorables restes d'un immense bùcher !
387. BIANOR. - Je pleurais la mort de mon épouse Théonoé, mais l'espérance d'élever notre enfant me rendait mon malheur plus supportable ; et voici que l'arrêt de la Parque jalouse vient de m'en séparer. Hélas ! cher enfant, seul bien qui me restait, toi aussi tu as trompé mon attente. O Proserpine, écoute ce voeu d'un père au désespoir, place l'enfant sur le sein de sa défunte mère.
388. LE MÊME. - Une troupe ennemie jeta Clitonyme dans le fleuve en pâture aux poissons, lorsqu'il était monté à la citadelle, ayant tué le tyran. Mais Dicé veilla sur ses funérailles ; car une portion de la rive se détacha pour recouvrir tout son corps de la tête aux pieds. Là il gît non mouillé par les eaux, et la terre avec respect abrite l'homme qui fut l'asile et le vengeur de la liberté.
389. APOLLONIDE. - Et quel est celui qui ne croit pas avoir supporté le plus grand des malheurs en perdant un fils ? Eh bien ! Posidippe en a perdu quatre que Pluton lui a enlevés en quatre jours, le privant ainsi de toutes les espérances que ses fils lui donnaient. Les yeux du malheureux père se sont éteints dans les larmes. Une même nuit les enveloppe à peu près tous également.
390. ANTIPATER. - Tu as entendu parler du Cyllène, montagne d'Arcadie. Au pied de cette montagne est le tombeau d'Apollodore. Il revenait de Pise à une heure de nuit, lorsque la foudre de Jupiter est tombée sur lui et l'a tué. Ainsi, loin d'Éane et de Béroé (119), repose vaincu par Jupiter le coureur [olympique].
391. BASSUS LOLLIUS. - Gardiens des morts, surveillez bien toutes les routes qui mènent aux enfers, et vous, portes [du Ténare], qu'on vous ferme avec des barres et des verrous. C'est moi Pluton qui l'ordonne. Germanicus (120) appartient aux astres, il n'est pas des nôtres. L'Achéron [d'ailleurs] n'a pas une barque assez grande pour le porter (121).
392. HÉRACLIDE De SINOPE. - Un coup de vent et une vague énorme, le lever de l'Arcture, la nuit, une tempête affreuse telle qu'il n'y en a que dans la mer Égée, tout cela réuni a désemparé mon navire ; le mât s'est brisé en trois, et avec la cargaison j'ai été englouti dans l'abîme. O mes parents, pleurez votre fils Tlésimène, après avoir élevé un tombeau vide au naufragé.
393. DIOCLÈS DE CARYSTOS. - Ne me couvrez pas de sable. A quoi bon recommencer ? Sur ce rivage ne m'inhumez pas non plus sous un monceau de terre (122). La mer exerce sur moi sa colère, et dans les rochers du rivage elle sait me trouver, infortuné que je suis : elle me poursuivrait jusque dans mon tombeau. Si à cause de moi la mer en fureur veut franchir ses bords, je me résigne sur le rivages (123) à rester ainsi sans sépulture.
394. PHILIPPE DE CARYSTOS. - Un meunier, de son vivant, m'a possédée, moi pierre à broyer le grain, au mouvement circulaire et bruyant, servante de la féconde Cérès ; mort, il m'a placée comme une stèle sur cette tombe, emblème de son métier. Ainsi il m'a toujours connue pesante, vivant, dans l'exercice de sa profession, et, mort, sur sa cendre.
395. MARCUS ARGENTARIUS. - Ce tombeau ne renferme pas Callaeschros. Une vague énorme l'a englouti, courant des bordées dans les parages de la Libye, alors qu'une épouvantable tempête, au funeste coucher d'Orion, bouleversait la profonde mer. Les monstres de l'abîme l'ont dévoré, et sa stèle porte une inscription qui n'est pas vraie.
396. BIANOR DE BITHYNIE. - Thèbes est la sépulture des fils d'Oedipe, mais leur tombe sacrilège s'y ressent de guerres encore vivantes. La mort ne les a pas domptés, et jusque chez Pluton, ils se battent. Leurs cendres ont été aux prises, le feu a lutté contre le feu, le bûcher a constaté leur haine. O malheureux enfants, qui vous êtes armés de glaives que rien ne peut assoupir.
397. ÉRYCIUS DE THESSALIE. - Ce n'est point le tombeau de l'infortuné Satyrus ; non, Satyrus ne repose pas, comme on le croit, dans cette urne funéraire. Mais s'il vous arrive d'entendre la mer mugir, la mer en fureur, celle qui se brise en vagues énormes sur le promontoire de Mycale, c'est là, dans les tourbillons de ces affreux parages, que je gis encore, accusant l'inclémence de Borée.
398. ANTIPATER. - Je ne sais si je dois accuser le jus de Bacchus ou la pluie de Jupiter. L'un et l'autre font trébucher les pieds les plus sûrs. Ainsi Polyxéne, revenant d'une campagne où il avait dîné, est tombé du haut d'un tertre détrempé par la pluie ; et maintenant il est au tombeau, gisant loin de Smyrne d'Éolie. Qui que tu sois, si tu es ivre, garde-toi bien de te mettre en route par la pluie et par les ténèbres.
399. ANTIPHILE. - Il faudrait creuser à une grande distance l'une de l'autre les tombes des fils d'Oedipe, à la haine desquels la mort même n'a pas mis un terme. Sur les bords de l'Achéron ils ont refusé d'entrer dans la même barque, et leur lutte odieuse vit jusque chez les morts. Vois le feu du bûcher qui s'agite et se divise; d'un seul brasier s'élèvent deux flammes qui se combattent.
400. SÉRAPION D'ALEXANDRIE. - De qui ces ossements ? d'un homme laborieux sans doute. Tu étais ou bien un marchand franchissant les mers, ou bien un hardi pêcheur. Dis donc aux mortels qu'aspirant à d'autres destinées, nous arrivons tous à cette destinée finale.
401. CRINAGORAS. - Cette terre hérissée d'épines recouvre les ossements d'un homme malhonnête et laid, d'Eunidicus; la tombe pèse ici sur une tête odieuse, sur une poitrine difforme, sur une bouche puante, sur des jambes flétries par les ceps de l'esclavage, sur un front chauve, sur des débris à moitié brûlés, pleins encore de pus et de sanie. O terre qui as le malheur de recevoir dans son sein un tel homme, ne lui sois pas légère, pèse de tout ton poids sur sa cendre détestée.
402. ANTIPATER. - Après une fonte de neige qui dégrada les murs, la maison de la vieille Lysidice tomba et l'écrasa sous ses ruines. Les villageois ses voisins n'ont pas creusé la terre pour l'y ensevelir, mais ils ont fait de la maison même écrouléee sa sépulture.
403. MARCUS ARGENTARIUS. - Psyllus, celui qui envoyait toujours dans les joyeux banquets de la jeunesse d'aimables filles qu'il faisait payer fort cher, celui qui prenait dans ses piéges les novices imprudents et prélevait sur eux de honteux bénéfices, il est ici, passant; voilà sa tombe. Mais ne lui jette pas des pierres, et n'excite pas les autres à en jeter. Une sépulture est chose sacrée. Abstiens-toi, non parce qu'il a gagné de l'argent, mais parce qu'au moyen de courtisanes il a appris aux jeunes gens à se passer d'adultères.
404. ZONAS DE SARDES. - Je répandrai sur ta tête le sable froid du rivage, et j'élèverai à ta dépouille glacée cette sépulture ; car ta mère n'a pas pleuré sur toi, elle n'a pas vu ton corps mutilé par les flots ; et ce sont des plages désertes et inhospitalières, voisines de la mer Égée, qui t'ont recueilli. Reçois donc un peu de sable, beaucoup de larmes, étranger, car ton commerce t'a entraîné jusque chez les morts.
405. PHILIPPE. - Passant, fuis ce tombeau d'où s'exhalent l'outrage et la terreur. L'ombre d'Hipponax forge encore des ïambes avec la rage qui tua Bupale (124). Fuis, de peur d'irriter la guêpe endormie, dont la fureur ne s'est pas même calmée chez Pluton, après avoir lancé droit au but tant de vers sur un rythme boiteux (125).
406. THÉODORIDAS. - Euphorion, celui qui a su faire des poésies exquises, gît ici près des longs murs du Pirée. Allons, offre à ce poète des Muses une grenade ou une pomme ou un myrte ; car lui, toute sa vie, il a aimé.
407. DIOSCORIDE. - Charmante consolatrice des jeune, amoureux, Sapho, soit que la Piérie ou l'Hélicon paré de lierres t'honore à l'égal des Muses, toi qui chantes comme elles, toi qui es la Muse de l'éolienne Érésos (126), soit que l'Hymen agitant son brillant flambeau se tienne avec toi près des couches nuptiales, soit que, t'associant au deuil de Vénus, tu pleures le jeune fils de Cinyras dans le bois sacré des immortels ; à tous ces titres, auguste Sapho, salut ! car maintenant encore nous avons un culte divin pour tes oeuvres, immortelles filles de ton génie.
408. LÉONIDAS. - Passez auprès de ce tombeau doucement, sans bruit, de peur d'éveiller la guêpe furieuse qui là sommeille. Hipponax, qui n'épargnait pas même sa famille, ne vient que tout récemment de s'endormir, donnant enfin quelque relâche à sa colère. Prenez donc bien gardes car même chez Pluton ses paroles de feu peuvent blesser bien cruellement encore.
409. ANTIPATER DE THESSALONIQUE. - Admire la forte poésie du laborieux Antimaque (127), digne des fiers demi-dieux d'autrefois, forgée sur l'enclume des Muses, si tu as en partage une oreille délicate, si tu aimes un air sérieux, austère, si tu préfères aux voies battues les voies non frayées et nouvelles. Homère tient le sceptre de la poésie, et Jupiter aussi est au-dessus de Neptune ; mais si Neptune est au-dessous de Jupiter, il domine les autres immortels. Le citoyen de Colophon est inférieur à Homère, mais il marche à la tête de tous les autres poètes.
410. DIOSCORIDE. - C'est ici Thespis, celui qui le premier imagina le chant tragique, gratifiant les campagnards de ce nouveau divertissement, lorsque Bacchus ramenait le char des vendanges (128), et qu'un bouc lascif avec une corbeille de figues attiques était encore proposé en prix. De nouveaux poètes en changent la forme, et le temps dans son cours ajoutera bien d'autres perfectionnements ; mais l'honneur de l'invention me reste.
411. LE MÊME. - La tragédie est une invention de Thespis ; mais ses jeux sur la lisière d'un bois, ses chants encore timides, Eschyle (129) les a fortifiés, agrandis, en traçant des vers qui ne sont pas minutieusement travaillés, mais qui s'épanchent comme un torrent, et il a renouvelé en l'améliorant le matériel de la scène. O poète d'un talent universel, tu as été un des anciens demi-dieux [de la Grèce].
412. ALCÉE DE MESSÉNIE. - A ta mort, Pylade, toute la Grèce a éclaté en gémissements, dénouant ses tresses, rasant sa chevelure ; Apollon lui-mème a déposé les lauriers qui ceignent ses longs cheveux, honorant, autant qu'il lui était permis, son citharède ; les Muses ont pleuré ; l'Asopus, en entendant leurs voix plaintives, a suspendu son cours, et dans les temples de Bacchus les danses ont cessé, lorsque tu as franchi le seuil de fer des demeures de Pluton.
413. ANTIPATER DE THESSALONIQUE. - Aux travaux des femmes vêtues d'amples robes, moi Hipparchie, j'ai préféré la rude vie des cyniques. La tunique qui s'agrafe, les chaussures à talons élevés, les résilles parfumées n'étaient pas de mon goût ; je m'accommodais mieux d'une besace et d'un bâton, d'un manteau à l'unisson, d'un lit jeté à terre n'importe où ; et ma vie a été ainsi plus glorieuse (130) que celle de la Ménalienne Atalante dans la mesure où la sagesse est au-dessus de la chasse et de la course.
414. NOSSIS. - Passe [devant ma tombe] en riant aux éclats, en m'adressant un mot d'amitié. Je suis Rhinthon (131) de Syracuse, petit rossignol des Muses ; et pourtant avec mes farces tragiques j'ai obtenu une couronne bien méritée.
415. CALLIMAQUE. - Tu portes tes pas auprès du tombeau d'un descendant de Battus (132), poète et chantre habile, qui sut aussi dans l'occasion rire et boire.
416. ANONYME. - Passant, je renferme Méléagre, fils d'Eucrate, celui qui sut allier à l'Amour et aux Muses les Grâces au doux langage.
417. MÉLÉAGRE. - Ma nourrice est l'île de Tyr; pour patrie attique (133), j'ai eu la Syrienne Gadara ; fils d'Eucrate, moi Méléagre, j'ai grandi sous la tutelle des Muses, et ma première course s'est faite en compagnie des Grâces Ménippées (134).Que je sois Syrien, est-ce étonnant ? O étranger, nous habitons une seule patrie, le monde ; un seul chaos a engendré tous les mortels. Agé de beaucoup d'années, j'ai gravé ceci sur mes tablettes en vue de la tombe, car celui qui est voisin de la vieillesse n'est pas loin de Pluton. Mais toi, si tu m'adresses un salut à moi le babillard et le vieux, puisses-tu toi-même atteindre à la vieillesse babillarde !
418. LE MÊME. - L'illustre ville de Gadara fut ma première patrie. Ma vie d'homme s'est écoulée dans la cité hospitalière et sacrée de Tyr. Lorsque je suis devenu vieux, c'est la divine Cos, le pays des Méropes, qui m'a nourri comme un citoyen d'adoption. Les Muses, par une faveur toute particulière, avaient paré le fils d'Eucrate, Méléagre, des grâces homériques (135) !
419. LE MÊME. - Passant, approche sans crainte : avec les gens de bien, dans l'Élysée repose, depuis qu'il dort du dernier sommeil, le fils d'Eucrate, Méléagre, qui a célébré l'Amour aux douces larmes, les Muses et les Grâces enjouées. Son âge viril, il l'a passé dans la divine Tyr et sur le territoire sacré de Gadara, et l'aimable Cos a abrité, a nourri sa vieillesse. Donc, si tu es Syrien, Sélom ; si tu es de Phénicie, Audoni; es-tu Grec, Khairé. Et toi, dis de même.
420. DIOTIME D'ATHÈNES. - Espérances des humains, légères déesses .... Autrement, la mort eût-elle enveloppé de ses voiles funèbres Lesbos qui naguère voyageait avec un roi et avec les Amours ?... Loin d'ici, déesses les plus frivoles de l'Olympe. Elles sont muettes à jamais, on ne les entendra plus, les flûtes qui signalent ici ta tombe, car l'enfer ne connaît ni les danses ni les chants (136).
421. MÉLÉAGRE. - Jeune homme ailé, pourquoi. as-tu un javelot à deux tranchants, une peau de sanglier ? qui es-tu ? de qui es-tu le symbole funèbre ? Car tu n'es pas l'Amour. Non ! L'Amour se plait-il parmi les morts ? l'insolent ne sait pas pleurer. Tu n'es pas non plus le Temps ; car le Temps est bien vieux ; et toi, tu es brillant de jeunesse. Mais, à ce qu'il me semble, celui qui est là sous la terre, est un poète; et toi, jeune homme ailé, tu dis (137) son nom. Ce n'est pas sans raison (138) que tu as un javelot à double tranchant, pour le genre sérieux et gai, et aussi pour la poésie amoureuse. Oui, ces attributs de la chasse au sanglier désignent Méléagre, l'homonyme du fils d'Oenée. Salut, bien que tu sois chez les morts ; car tu allies ensemble les Muses et l'Amour, les Grâces et la Sagesse.
422. LÉONIDAS DE TARENTE. - Que devons-nous penser, Pisistrate, en voyant sculpté sur ta tombe un dé marqué d'un as, le point de Chios ? que Chios est ta patrie ? car c'est vraisemblable ; ou bien que tu étais un joueur, et un joueur malheureux, ou bien encore, ces conjectures étant erronées, que tu t'es noyé dans des coupes de pur Chios ? Oui, je le crois, voilà qui s'approche de la vérité.
423. ANTIPATER DE SIDON. - Passant, cette pie te dira que je fus toujours causeuse et bavarde, et cette coupe qu'à table j'étais une bonne convive ; ces flèches, que la Crète est ma patrie ; cette quenouille, que j'aimais le travail ; ce bonnet et ces bandelettes, que mes cheveux avaient blanchi. Telle était Bittis, chaste épouse que, sous cette tombe, a déposée le marbrier Timalus (139). O mon époux, adieu ; de ton côté, à ceux qui partent pour l'enfer, accorde la faveur de ce même mot d'amitié.
424. LE MÊME. - Je cherche dans quelle intention, Lysidice, on a gravé sur ton cippe ces emblèmes. En effet, une bride, un frein, cet oiseau qui pullule à Tanagre, vif et belliqueux, n'ont pas coutume de plaire ni de convenir aux femmes sédentaires ; ce qu'elles aiment, ce sont leur quenouille, leur métier. - Cet oiseau au chant matinal dira que je me levais de bonne heure pour filer ; cette bride, que je conduisais bien ma maison ; ce frein, que je n'étais ni causeuse ni bavarde, mais que je savais garder un modeste silence.
425. LE MÊME. - Ne t'étonne pas de voir sur la tombe de Myro un fouet, une chouette, un arc, une chienne et une oie à l'oeil vigilant. L'arc annonce que je dirigeais bien ma maison en visant à l'ordre, à l'économie
; la chienne, que j'avais une tendre sollicitude pour mes enfants ; le fouet, que je n'étais pas
une maîtresse impitoyable pour nos domestiques, mais sévère et punissant avec justice leurs
fautes ; l'oie que j'étais une soigneuse gardienne du logis ; et la chouette, que j'étais une servante active et dévouée de Minerve. Telles étaient les occupations qui me rendaient heureuse. Aussi mon époux Biton a-t-il fait graver ces symboles sur la stèle de mon tombeau.
426. LE MÊME.
- Dis-moi, lion, ravageur des troupeaux, de quel mort protèges-tu la tombe ? qui a mérité ainsi ton valeureux emblème
? C'est le fils de Théodore, Téleutias, qui surpassait en force et en courage tous les hommes, comme je surpasse tous les animaux. Je ne suis pas un vain simulacre, je suis le symbole de la valeur de ce héros : car il était vraiment un lion pour les ennemis.
427. ANTIPATER.
- Cette tombe, voyons, quel mort
renferme-t-elle ? Mais je ne découvre aucune inscription gravée sur la pierre
; seulement, j'y vois neuf dés qui semble tombés d'un cornet. Les quatre premiers marquent le point
d'Alexandre (140); les quatre autres indiquent la fleur de l'adolescence, le point de l'Ephèbe
; le dernier, le coup de Chios, par son unité, signifie misère et néant. Ces dés veulent-ils dire que le roi, fier de sa puissance, et le jeune homme, florissant de santé, ne sont également
rien ? Ou bien, ont-ils un autre sens ? Je devine, et cette fois mon trait a atteint le but, comme s'il eût été lancé par un arc crétois.
O mort, tu étais de Chios, Alexandre était ton nom, et tu as péri dans l'âge de l'adolescence. Que ces dés nous expriment bien le trépas imprévu d'un jeune homme et les chances aléatoires de la vie
!
428. MÉLÉAGRE.
Sur Antipater de Sidon. - Funèbre colonne, que signifie ce coq à l'oeil vif, perché sur ton sommet, avec ce sceptre passé dans son aile de pourpre et cette palme de victoire dans ses
serres ? Sur l'extrême bord de sa base est posé un dé tout prêt à tomber. Est-ce que tu couvres les restes d'un roi puissant et
victorieux ? Mais alors que veut dire ce dé ? En outre, pourquoi cette tombe simple et
nue ? Elle conviendrait à un pauvre artisan que réveillent les cris de l'oiseau matinal. Je ne le pense pourtant pas, car le sceptre se refuse à une semblable interprétation. Allons, tu caches un athlète qui a remporté le prix de la course. Pas
davantage ; quel est en effet le coureur qui ressemble à un dé ? J'y suis enfin, et cette fois j'ai deviné juste. La palme n'indique pas une victoire, mais la patrie glorieuse où naissent les palmiers, la populeuse Tyr. Le coq indique un homme qui avait la voix haute et sonore, un favori de Vénus, un poète cher aux Muses
par la variété de son génie. Le sceptre est le symbole de l'éloquence. Quant au dé tout prêt à tomber, il nous révèle un trépas par suite d'une chute dans
l'ivresse (141). Voilà ce que signifient ces emblèmes. Pour le nom, la pierre proclame Antipater, issu d'illustres et puissants aïeux.
429. ALCÉE DE MITYLÈNE.
- Je cherche dans ma pensée pourquoi ce cippe n'offre aux regards des passants que la lettre phi gravée deux fois par le ciseau du marbrier. Est-ce que la femme ici inhumée avait le nom de
Chilias (142)[ou mille ? car le nombre de cinq cents doublé fait mille [ou Chilias]. Ou bien par cette voie ne suis-je pas arrivé au vrai sens, et celle qui habite cette funèbre demeure s'appelait peut-être Phidis. Cette fois, j'ai résolu, nouvel OEdipe, l'énigme du Sphinx. Félicitons celui qui avec cette double lettre a imaginé une énigme claire comme le jour pour les gens d'esprit, pour les imbéciles obscure comme l'Érèbe.
430. DIOSCORIDE.
- Qui a suspendu à ce chêne ces armes, récentes dépouilles
? Au nom de qui est l'inscription sur ce bouclier dorien ? La plaine de Thyrée est jonchée de morts, et nous deux nous restons seuls de tous les Argiens. Examine tous ceux qui gisent sur ce champ de bataille, de peur que quelque ennemi encore vivant n'attribue à Sparte une gloire usurpée. Que vois-je ? des caractères, tracés sur ce bouclier avec le sang d'Othryadas, proclament le triomphe des Lacédémoniens
; et lui, après ce dernier exploit, expire près de là. 0 Jupiter, père de notre race, vois avec indignation ce trophée qui proteste contre notre victoire
(143).
431. ANONYME ou SIMONIDE. - O Sparte, chère patrie, nous sommes les trois cents qui, après avoir combattu pour Thyrée contre le même nombre de descendants d'Inachus, avons quitté la vie sans détourner la tête, à la même place où nous avons engagé le combat. Sur le bouclier du fier Othryadas on lit, écrit avec son sang : "Jupiter, Thyrée est aux Lacédémoniens." Si quelque Argien a échappé au trépas, c'est qu'il est du pays d'Adraste (144). Pour Sparte, ce n'est pas mourir, c'est fuir qui est la mort.
432. DAMAGÈTE. - O Lacédémoniens , ce tombeau renferme le brave Gyllis, mort pour Thyrée, celui qui tua trois Argiens et qui dit cette belle parole : "Puissé-je mourir, après des exploits dignes de Sparte !"
433. TYMNÈS. - Démétrius avait transgressé les lois. Sa mère le tua, elle Lacédémonienne, lui Lacédémonien. Tenant la pointe d'une épée en arrêt, elle s'écria, en grinçant des dents, comme une Spartiate : "Va-t'en, fils dégénéré et maudit, va-t'en aux enfers, va-t'en, non, je n'ai pas mis au monde un fils aussi indigne de Sparte."
434. DIOSCORIDE. - Démaenète, après avoir envoyé huit fils contre des bataillons ennemis, les a ensevelis tous dans une même tombe; elle n'a point éclaté en gémissements, et de sa bouche il n'est sorti que ces mots : "O Sparte, c'est pour toi que j'avais mis au monde ces enfants."
435. NICANDRE. - Nous fils d'Iphicratidas, au nombre de six, Eupylidas, Ératon, Choeris, Lycos, Agis, Alexon, avons péri sous les murs de Messène. Le septième, Gylippe, nous a placé sur le bûcher et a emporté nos cendres, grande gloire pour Sparte, pour notre mère Alexippe grande douleur. Le même tombeau nous a réunis tous: est-il une plus belle sépulture ?
436. HÉGÉMON. - Que le passant qui s'approche tristement de ce tombeau, dise ces paroles héroïques : "Ici mille guerriers de Sparte ont soutenu avec bravoure le choc de huit cent mille Perses, et sont morts sans reculer. Telle est la discipline dorienne."
437. PHAENNUS. - Brave Léonidas, tu n'as pas supporté l'idée de revenir sur les bords de l'Eurotas, épuisé de fatigues (145) par une guerre désastreuse ; mais tu as attaqué l'armée des Perses aux Thermopyles, et tu as succombé en respectant les institutions des ancêtres.
438. DAMAGÈTE. - Tu es donc mort en défendant le pays de tes pères, toi aussi Machatas, dans la rude guerre dont tu bravais les périls, en combattant tout jeune encore contre les Étoliens. Qu'il est difficile, en effet, de voir un Achéen, quand il est brave, atteindre l'âge des cheveux blancs !
439. THÉODORIDAS. - Ainsi donc , Parque inique, tu as moissonné avant le temps une fleur de la jeunesse éoliennne, Pylius, le fils d'Agénor. Contre lui, tu as ameuté les Kères (146), chiennes qui ont dévoré sa vie, et maintenant, grands dieux ! cet homme si vaillant gît la proie du cruel Pluton.
440. LÉONIDAS DE TARENTE. - O tombeau, de quel mort tu gardes la dépouille ! ô terre, quel homme tu as reçu dans ton sein ténébreux ! Tu possèdes Aristocrate que les blondes Muses aimaient, qui a laissé un souvenir dans tous les coeurs ; il savait, Aristocrate, discuter avec douceur, avec bonté, sans jamais prendre de grands airs ; il savait, à table, au milieu des coupes, diriger une conversation générale, joyeusement et sans disputes ; il savait rendre des services aux étrangers et à tous ses concitoyens. O terre favorisée, jouis bien (147) d'un tel mort.
441. ARCHILOQUE. - O terre de Naxos, tu as reçu dans ton vaste sein Mégatime et Aristophon, tes plus solides colonnes.
442. SIMONIDE. - Souvenons-nous de ces hommes vaillants dont voici la tombe ; ils sont morts en combattant pour Tégée, les armes à la main, en face de la ville, afin de conserver, en dépit de la Grèce (148), par le sacrifice de leur vie, la liberté.
443. SIMONIDE. - Autrefois dans la poitrine de ces braves, l'homicide Mars a rougi d'une sanglante rosée des flèches aux longs dards. La mémoire de ces guerriers frappés tous par devant leur survit (149) ; des restes inanimés gisent seuls sous cette poussière.
444. THÉÉTÈTE. - Par une nuit d'hivers (150), la nombreuse famille d'Antagoras, plongée dans l'ivresse, ne s'aperçut pas que le feu était à la maison. Quatre-vingts personnes, maîtres et esclaves, trouvèrent là un affreux bûcher. Les parents n'eurent pas les moyens de mettre de côté les ossements [des esclaves] : une seule urne fut commune à tous ; ils eurent tous les mêmes obsèques ; on n'éleva aussi qu'un même tombeau. Mais du moins Pluton sut bien, même dans les cendres de ces morts reconnaître chacun d'eux (151).
445. PERSÉS DE THÈBES. - Passant, nous Mantiadas et Eustrate, fils d'Échellas, du bourg de Dymé, gisons ici sous une pierre de la forêt, rustiques bûcherons de père en fils. Les haches à fendre du bois que tu vois sur notre tombe, sont les indices de la profession.
446. HÉGÉSIPPE. - Zoïle d'Hermione a été inhumé loin de sa ville sur le territoire d'Argos. C'est une terre étrangère que son épouse en voile à longs plis, que ses enfants, les cheveux rasés, ont amoncelée sur lui, en y mêlant leurs pleurs.
447. CALLIMAQUE. - L'homme était petit de taille, et l'épitaphe ne sera pas plus grande : "Théris, fils d'Aristaeos, Crétois, gît ici." C'est bien long.
448. LÉONIDAS DE TARENTE. - C'est le tombeau de Pratalidas de Lycastos (152), qui obtint la palme des amours, la palme des combats, la palme de la chasse, la palme de la danse et du chant. Dieux infernaux, mettez ce Crétois auprès du Crétois Minos (153) comme assesseur.
449. LÉONIDAS. - Éros initia Pratalidas à l'amour des beaux garçons, Diane à la chasse, les Muses à la danse et au chant, Mars aux combats. Comment le Lycastien n'aurait-il pas été heureux, lui qui fut partout victorieux, en amour, dans le chant, à la chasse, dans les batailles ?
450. DISCORIDE. - Passant, c'est le tombeau de Philénis de Samos ; mais [pour cela] ne crains pas de m'adresser la parole, et d'approcher de ma stèle. Ce n'est pas moi qui ai décrit des actes dont rougit notre sexe, qui ai méconnu la Pudeur, auguste déesse. Pour moi, j'ai toujours été fidèle à son culte, je le jure par ma tombe. Si quelqu'un, pour déshonorer ma mémoire, a forgé un mensonge odieux, que le temps révèle un jour son nom (154) ; et puisse ma cendre avoir cette joie d'être affranchie de cette désolante renommée !
451. CALLIMAQUE. - Ici Saon d'Acanthe, le fils de Dicon, dort d'un sommeil sacré. Ne dis pas que les gens de bien meurent.
452. LÉONIDAS. - Passants, n'oublions pas qu'Eubulus fut sobre et tempérant, et buvons à pleines coupes. Il nous faut tous descendre chez Pluton.
453. CALLIMAQUE. - Philippe a déposé ici son fils âgé de douze ans, Nicotèle, sa grande espérance.
454. LE MÊME. - La coupe de vin pur, deux fois de suite présentée, a disparu, mais en emportant le vaillant buveur Érasixène.
455. LÉONIDAS. - Maronis, la vieille buveuse qui vidait les jarres jusqu'à la lie, gît ici, et sur sa tombe on a posé, comme chacun peut le voir, une coupe athénienne. Or elle gémit, même chez les morts, non à cause de ses enfants, de son époux qu'elle a laissés dans la misère ; au lieu de tout cela, ce qui l'afflige, c'est une seule chose, c'est que la coupe est vide.
456. DIOSCORIDE. - Hiéron a enterré ici sa nourrice Silénis, celle qui, lorsqu'il s'agissait de boire du vin pur, ne reculait devant aucune coupe, [si grande qu'elle fût;] il l'a enterrée dans l'enceinte du domaine, afin que cette illustre buveuse, même morte, n'eût pas sa tombe trop loin des pressoirs.
457. ARISTON. - La vieille Ampélis qui aime à boire, aidant ses pas chancelants de l'appui d'un bâton, vint en cachette près d'une cuve pour y dérober la liqueur nouvellement foulée de Bacchus et remplir sa coupe ; mais avant d'y puiser, la main lui manqua, et notre vieille, comme un vieux navire délabré, sombra sous des flots de vin. Euterpe mit pour symbole une coupe de pierre sur la tombe qu'on lui creusa près d'un coteau de vignes.
458. CALLIMAQUE. - La vieille Aeschra de Phrygie, excellente nourrice, Miccos, tant qu'elle a vécu, l'a entourée de tendresse et de soins, et morte, il lui a consacré une statue, afin que ses descendants pussent voir combien le nourrisson a été reconnaissant envers les mamelles qui l'ont allaité.
459. LE MÊME. - Créthis qui savait tant d'histoires, qui était si enjouée, qui avait toujours quelque chose à dire, compagne charmante, les jeunes filles de Samos ne cessent de la redemander ; mais elle dort ici de ce sommeil qui assoupit tous les humains.
460. CALLIMAQUE. - Moi Micyle, avec mes petites ressources j'ai vécu petitement, sans faire rien de mal, sans offenser personne. O terre amie, si je me suis permis la moindre méchanceté, ne me sois pas légère, et vous, dieux infernaux qui me tenez, ne me soyez pas propices.
461. MÉLÉAGRE. - O terre, la mère de tous, salut ! A celui qui naguère n'était pas un fardeau pour toi, à Aesigène, toi aussi maintenant sois légère.
462. DENYS. - Pluton possède Satyra, tout récemment accouchée. La terre de Sidon la couvre ; Tyr, sa patrie, la pleure.
463. LÉONIDAS. - Celle-ci est Timoclée, celle-ci Philo, celle-ci Aristo, celle-ci Thimaetho, toutes filles d'Aristonicus, toutes mortes dans les douleurs de l'enfantement. Aristonicus a élevé ce tombeau à ses filles, puis il est mort.
464. ANTIPATER - Lorsque de la barque infernale tu fus descendue sur la rive du Cocyte , Arétémias, portant dans tes bras un nouveau-né qui venait de mourir, de jeunes Cariennes (155) émues de pitié te questionnèrent sur ton sort ; et toi, les joues inondées de larmes, tu leur as dit ces tristes paroles : "Amies, ayant mis au monde deux enfants, j'en ai laissé un à mon époux Euphron, j'emporte l'autre avec moi chez les morts."
465 HÉRACLITE. - La terre a été récemment creusée. Sur le devant du cippe sont suspendues des couronnes de fleurs à demi fanées. Ayant distingué une inscription, examinons la pierre. Elle indique que les tristes restes de quelqu'un reposent ici. "Passant, je suis Arétémias. Cnide est ma patrie. J'ai partagé la couche d'Euphron et connu les douleurs de l'enfantement. En mettant aumondedeux enfants à la fois, j'ai succombé, laissant l'un à son père pour guide de sa vieillesse, et emmenant l'autre comme souvenir de mon époux."
466. LÉONIDAS. - Ah! malheureux Anticlès, et moi, mère plus malheureuse encore ! Dans la fleur de la jeunesse je t'ai mis sur le bûcher, toi mon fils unique, mort à dix-huit ans, et je gémis, je pleure, délaissée et sans appui dans mes vieux jours. Puissé-je descendre dans la sombre demeure de Pluton ! Ni l'aurore ni les rayons du soleil n'ont plus de charmes pour moi. Ah, malheureux Anticlès, puisque tu des plus, apporte un remède à ma douleur en me retirant de cette vie.
467. ANTIPATER. - Sur ta tombe, Artémidore, ta mère, désespérée de ta mort prématurée, à douze ans ! exhalait ainsi sa douleur : "Il est perdu, le fruit de mes couches laborieuses ; en fumée, en cendre (156) s'est dissipée la peine d'un père vigilant ; elle s'est évanouie, la douce jouissance de te posséder ; car tu es allé dans l'inexorable région des morts d'où l'on ne revient pas. O mon enfant, tu n'es pas même parvenu à l'adolescence, et à ta place que nous reste-t-il ? une stèle, une muette poussière."
468. MÉLÉAGRE. - Charixène, ta mère t'a envoyé, à dix-huit ans, paré de la chlamyde (157) en don aux enfers, don lamentable. Certes, la pierre du sépulcre a gémi, lorsque tes jeunes amis ont porté ton corps à sa dernière demeure. Au lieu du chant nuptial, tes parents ont poussé des cris de désespoir : "Hélas! il est perdu, le fruit de l'allaitement, le fruit de couches laborieuses. O Parque, vierge funeste, tu livres aux vents les affections des mères, parce que tu es stérile." Cher Charixène, parmi tes camarades que de regrets, dans ta famille quel deuil, chez ceux même qui t'ont connu à peines (158) que de pitié !
469. CHÉRAEMON.
- Eubulus, fils d'Athénagore, fut inférieur à tous par la brièveté de sa vie et supérieur à tous par son
éloquence.
470. MÉLÉAGRE - Réponds à mes questions. Comment t'appelles-tu, et de qui es-tu fils? - Philaulos, fils d'Écratidas. - Et ton pays? - Thria (159). - De quel métier vivais-tu? - Je n'étais ni laboureur ni marin, mais philosophe. - Es-tu mort de vieillesse ou de maladie ? - Je suis descendu chez Pluton de mon plein gré, en vidant une coupe de Céos (160) - Étais-tu âgé ? - Oui, très âgé. - Alors que la terre te soit légère, ta vie ayant été d'accord avec tes sages principes.
471. CALLIMAQUE - En s'écriant : "Adieu, soleil !" Cléombrote d'Ambracie s'est précipité du haut d'un toit dans le royaume de Pluton, sans avoir éprouvé de malheur qui explique sa mort ; seulement il avait lu un dialogue de Platon (161), celui qui traite de l'âme.
472. LÉONIDAS. - O homme, des milliers de siècles se sont écoulés avant ta naissance, et des milliers de siècles s'écouleront après ta mort. Quelle part de vie te reste-t-il ? Un instant, et quelque chose de moins qu'un instant. Et encore cette courte existence n'a-t-elle pas le moindre charme : elle est plus triste que le noir trépas (162). Soustrais-toi donc à cette vie de tempête, et réfugie-toi dans le port, comme j'ai fait, moi Phidon, fils de Critus, en descendant chez Pluton.
473. ARISTODICUS. - Lorsque Démo et Mathymna eurent appris la mort d'Euphron qui, dans les orgies triennales (163), se distinguait (164) par ses bachiques fureurs, elles renoncèrent à la vie, et avec leurs longues bandelettes elles firent de leurs propres mains des liens pour se pendre.
474. ANONYME. - Un seul tombeau, celui-ci, réunit les enfants de Nicandre ; une seule matinée a vu périr la belle famille de Lysidice.
475. DIOTIME. - La fille de Polyen, Scyllis, s'élança vers les grandes portes de la cité (165), appelant avec des cris son époux Évagoras, fils d'Hégémaque, encore sur le bûcher. Cette veuve ne retourna pas dans la maison de son père (166) ; et dès le troisième mois, elle périssait, l'infortunée ! consumée par les douloureuses peines de son coeur. Cette tombe leur a été élevée à tous les deux, sur la voie publique, touchant souvenir de leur affection.
476. MÉLÉAGRE. - Je t'offre mes larmes là-bas à travers la ferre, Héliodora, je te les offre comme gage de mon amour jusque dans les enfers, ces larmes douloureuses ; et sur ta tombe où elles ruissellent je verse en libation le souvenir de nos tendresses, le souvenir de notre affection ; car tu m'es toujours chère, même parmi les morts ; et moi, Méléagre, je me désole, je me lamente ; mais qu'importe à l'Achéron ? Hélas ! hélas ! où est ma fleur bien-aimée ? Pluton me l'a ravie, il me l'a ravie, et la poussière a terni son éclat. Ah ! je te supplie à genoux, ô terre, notre nourrice à tous, d'embrasser dans ton sein doucement, comme une mère, cette morte tant pleurée (167).
477. TYMNÈS. - Philénis, qu'il ne soit pas trop douloureux pour ton coeur (168) de n'avoir pas obtenu du destin une sépulture sur les bords du Nil ; cette tombe d'Éleutherne (169) a recueilli tes restes [: console-toi]. De tout pays on se rend aisément cher Pluton.
478. LÉONIDAS. - Qui es-tu donc, de qui es-tu fils, malheureux dont les os restent nus le long du chemin dans un cercueil entrouvert ? Ta sépulture est incessamment broyée par l'essieu et les roues des chariots ; bientôt les chariots briseront jusqu'à tes côtes, infortuné ! et personne ne versera plus de larmes sur toi.
479. THÉODORIDAS. - Moi, pierre autrefois unie (170) et intacte, je renferme les restes d'Héraclite ; mais le temps m'a broyée comme les cailloux du rivage, étant posée sur la voie publique où passent tous les chars. Je n'ai plus de stèle, cependant j'annonce encore aux passants que je possède le philosophe cynique, le divin aboyeur.
480. LÉONIDAS. - Mon squelette à moitié découvert a déjà été froissé, et les dalles de ma sépulture sont toutes disjointes. Déjà même on voit les vers de mon cercueil. A quoi sert, ô passants, de recouvrir de terre les morts ? Les habitants, en effet, se sont frayé un sentier, là où naguère ils ne passaient pas, foulant ainsi mes restes. Mais au nom des divinités infernales, de Pluton, de Mercure, de la Nuit, prenez donc un autre chemin.
481. PHILÉTAS DE SAMOS. - Cette colonne funéraire surmontée d'un buste, nous dit : "Pluton a enlevé la toute jeune et toute petite Théodoté ;" et la petite, de son côté, dit à son père: "ssuie tes larmes, Théodote ; les mortels sont souvent bien malheureux."
482. ANONYME. - Ta chevelure n'avait point encore été coupée, et la lune n'avait pas encore accompli trois fois sa course annuelle, Cléodicus, que déjà ta mère Nicasis et Périclitus, ton père, jetaient des cris lamentables sur ton cercueil et sur ta tombe. Ta jeunesse, ô Cléodicus, va s'écouler sur les bords de l'obscur Achéron, sans que nous puissions te revoir.
483. ANONYME. - Impitoyable Pluton, pourquoi as-tu privé ainsi de la vie le tout petit Calleschros ? Sans doute cet enfant sera un amusement dans les demeures de Proserpine ; mais dans la maison de ses parents, qu'il laisse de douloureux regrets !
484. DIOSCORIDE. - Bio, qui donna à Didymon cinq garçons et cinq filles, n'a recueilli d'aucun d'eux le moindre fruit. Cette mère excellente et féconde est morte, et ce n'est point par ses enfants, c'est par des mains étrangères qu'elle a été ensevelie.
485. LE MÊME. - Jetez sur la tombe d'Alexamène des lis blancs, que les tambours accoutumés y retentissent ; livrez au vent vos longs cheveux, Thyades, et bondissez autour de la ville du Strymon (171), laquelle dans vos fêtes (172) bachiques dansait aux doux airs de la flûte harmonieuse d'Alexamène.
486. ANYTÈ. - Bien souvent sur cette tombe, Clino, la mère d'une jeune fille qui vécut peu de temps, appelle éplorée son enfant chérie, invoquant l'âme de Philénis qui, avant l'hymen, est prématurément descendue sur les bords de l'Achéron.
487. PERSÈS. - Tu es donc morte avant l'hyménée, Philénium, et ta mère Pythies ne t'a pas conduite dans la belle chambre de ton fiancé ; mais en se déchirant les joues à faire pitié, elle a enseveli dans ce tombeau une fille de quatorze ans.
488. MNASALQUE. - Hélas I Aristocratie, tu es descendue aux sombres demeures de l'Achéron, morte avant l'hyménée, et il ne reste plus à ta mère que les larmes dont elle arrose sans cesse (173) ta tombe dans son désespoir
489. SAPPHO. - Ici reposent les cendres de Timade qui, morte avant l'hyménée, est entrée dans la sombre demeure de Proserpine. Elle morte, toutes ses compagnes ont, avec le fer aiguisé, coupé leur chevelure, et l'ont déposée sur sa tombe.
490. ANYTÉ. - Je pleure la jeune Antibia. Pour la demander en mariage, des prétendants étaient venus en foule chez son père, attirés par sa beauté et sa sagesse ; mais la Parque cruelle a emporté loin d'eux celle qui était l'objet de leurs espérances.
491. MNASALQUE. - Hélas I aimable Clio, comme la fleur de ta jeunesse a été impitoyablement moissonnée ! Aussi, nous autres Sirènes, dont les belles statues de pierre ornent ta tombe, nous te couvrons de nos larmes.
492. ANYTÉ. - Toutes trois nous sommes mortes, ô Milet, chère patrie, pour nous soustraire aux outrages infâmes des barbares Gaulois, jeunes vierges de cette cité que l'impitoyable Mars des Celtes a réduites à cette destinée. Non, nous n'avons pu supporter leur joug impie, pas même celui de l'hyménée, et nous avons été trouver Pluton pour protecteur et pour époux.
493. ANTIPATER DE THESSALONIQUE. - Ma mère Boïsca et moi Rhodope, nous n'avons succombé ni à une maladie ni sous le glaive des Romains ; mais de nous-mêmes, lorsque l'impitoyable Mars livrait aux flammes Corinthe (174) notre patrie, nous avons choisi un trépas secourable. Ma mère m'a donc tuée avec le fer dont on immole les victimes, et elle-même n'a point épargné sa propre vie : elle a attaché à son cou un noeud fatal. Une mort libre n'était-elle pas pour nous préférable à la servitude ?
494. ANONYME. - Le Crétois Sodamus est mort en pleine mer, lui qui, cher Nérée, ne connaissait que les filets et ces parages qui t'appartiennent. C'était le plus habile des pêcheurs ; mais la mer ne distingue rien, dans une tempête, pas même les pêcheurs.
495. ALCÉE DE MESSÉNIE. - Sous la constellation de l'Arcture, la navigation est pour les marins bien terrible. Aspasius dont tu vois le tombeau, étranger, en fut la victime : un coup de vent de Borée a causé son naufrage ; la mer Egée a enseveli son corps sous les flots. Que la mort des jeunes gens est lamentable ! et la mer est surtout pour eux pleine de deuil et de funérailles.
496. SIMONIDE. - Aérienne Géranée, roche funeste (175), plût au ciel que tu visses le lointain Ister et le Tanaïs au long cours du pays des Scythes ! Plût au ciel que tu ne fusses pas battue par les vagues de la mer Scironienne près du cap Mélourias à la cime neigeuse ! car maintenant il erre, lui sur les flots, cadavre glacé, et cette tombe vide proclame les rigueurs de la mer.
497. DAMAGÈTE. - Thymodès, pleurant la mort inattendue de son fils Lycus, lui a érigé ce cénotaphe [en s'écriant:] "Peut-être (176) n'a-t-il pas même obtenu un peu de poussière à l'étranger ; mais quelque plage, quelque roche (177), quelque île possède ses restes, épave de la mer. Là on peut voir son squelette privé de sépulture, gisant sur un rivage inhospitalier."
498. ANTIPATER. - Damis de Nysa (178), conduisant de la mer Ionienne vers la terre de Pélops un petit navire qui transportait de nombreux passagers, fut assailli par une tempête et des tourbillons de vent ; mais grâce à son expérience, navire et gens,tout fut sauvé. Puis, ayant jeté l'ancre sur des rochers, le vieux marin s'endormit. [Il ne s'éveilla plus:] la neige et le froid l'avaient tué. Étranger, vois comme ayant amené les autres à bon port il est allé se perdre dans le port du Léthé.
499. THÉÉTÈTE. - Matelots qui êtes en partance, Ariston de Cyrène vous prie par Jupiter hospitalier de dire à son père Ménon qu'il gît sur les roches icariennes, ayant perdu la vie dans la mer Égée.
500. ASCLÉPIADE. - O toi qui passes devant mon tombeau aide, étranger, lorsque tu iras à Chios,dis à mon père Mélésagore que le funeste Eurus m'a fait périr avec le navire et la cargaison, et que d'Évippe il ne reste que le nom [ici gravé].
501. PERSÈS. - Les tempêtes hivernales de l'Eurus t'ont jeté nu, Phillis, sur une plage désolée à l'extrémité de l'île de Lesbos chère à Bacchus ; et là tu gis sous une haute falaise battue par les flots.
502. NICÉNÈTE. - Étranger, je suis le tombeau de Biton. Que si, quittant Torone (179), tu vas à Amphipolis, dis à Nicagore que le vent de Thrace (180) a fait périr son fils unique au coucher des chevreaux.
503. LÉONIDAS. - Pierres amoncelées sur cet antique rivage, dites quel est le nom de celui que vous couvrez, le nom de son père, et sa patrie. - C'est Phinton d'Hermione, fils de Bathyclès, qui a péri sous une immense vague, surpris par une tempête d'automne.
504. LE MÊME. - Parmis, fils de Callignote, comme pêcheur un des plus habiles de la plage à harponner la cichle et le score, la perche gloutonne qui happe l'appât et toute la gent aquatique séjournant dans les trous des rochers ou sur les bas-fonds, un jour, dès sa première capture, en prenant sous des roches une ioulis, en la retirant de la mer, périt misérablement: le poisson, glissant de sa main, s'élança et disparut en frétillant dans son étroit gosier ; et lui, près de ses nasses, de ses lignes, de ses hameçons, expira en se roulant par terre ; ainsi s'accomplit sa triste destinée. Après sa mort, un autre pêcheur lui a élevé ce monument.
505. SAPPHO. - Ménisque a déposé sur la tombe de son fils Pélagon le pêcheur une nasse et une rame (181), souvenir de sa vie misérable.
506. LÉONIDAS. - J'ai pour sépulture et la terre et la mer. Ce privilège tout particulier, Thrasis, fils de Charmide, le doit aux Parques. Pour ravoir une ancre engagée par son poids dans le sable je plongeai sous les flots de la mer d'Ionie, et mon ancre fut sauvée ; mais en remontant du fond des eaux, lorsque déjà je tendais la main aux matelots, un énorme cétacé s'élança sur moi et me dévora jusqu'au nombril. Les matelots enlevèrent de la mer la moitié de mon corps tout glacé ; l'autre moitié était broyée sous les dents du monstre marin. Sur cette plage on a enseveli les restes informes de Thrasis, et je n'ai plus revu ma patrie.
507. SIMONIDE.
- Passant, ce n'est point le tombeau de Crésus qui s'offre à tes
vyeux, c'est celui d'un homme qui vivait du travail de ses mains. Il est petit, mais il me suffit. Gorgippe n'a point vu le lit nuptial ; il est descendu dans celui de la blonde
Proserpine, auquel nous sommes tous destinés.
508. LE MÊME. - Pausanias, médecin digne de son nom (182), fils d'Archytas, de la famille des Asclépiades, est ici : sa patrie Géla lui a érigé ce tombeau. Combien d'hommes consumés par de cruelles maladies ne sont pas, grâce à lui, descendus dans le royaume de Proserpine !
509. SIMONIDE. - Je suis le monument de Théognis de Sinope, que lui a élevé Glaucus en témoignage d'une longue amitié.
510. LE MÊME. - Une terre étrangère couvre tes restes, Clisthène. La mort t'a surpris dans le Pont-Euxin, et tu as été privé des douceurs du retour : tu n'es pas revenu dans ton île de Chios
511. LE MÊME. - Lorsque je vois le tombeau dé Mégaclès, j'ai pitié de toi, infortuné Callias. Comme tu as souffert !
512. LE MÊME. - Tégée, tu dois au courage de ces guerriers de n'avoir pas vu la flamme de tes maisons s'élever en tourbillons dans les airs. Ils ont voulu laisser à leurs enfants la cité florissante et libre, et ils sont morts en combattant aux premiers rangs.
513. LE MÊME. - Quand le jeune Timarque, dans les bras de son père, exhala son dernier souffle : "O fils de Timénor, lui dit-il, tu n'oublieras jamais de regretter le mérite et la modestie de ton fils bien-aimé."
514. LE MÊME. - L'honneur a causé le déplorable trépas de Cléodème qui, à l'embouchure de l'intarissable Théère (183), tomba dans une embuscade de Thraces. Là, le courageux fils de Diphile a couvert de gloire le nom de son père.
515. LE MÊME. - Hélas ! hélas ! maladie impitoyable, pourquoi par envie prives-tu les âmes de rester unies à l'aimable jeunesse ? Voici que tu viens encore de ravir une douce vie à l'adolescent Timarque, avant qu'il ait eu une jeune épouse.
516. LE MÊME. - Que ceux qui m'ont tué périssent de même, Jupiter hospitalier, et que ceux qui m'ont accordé la sépulture jouissent de tous les biens de la vie !
517. CALLIMAQUE. - Le matin, nous avons enterré Ménalippe, et au coucher du soleil sa jeune soeur Basilo s'est tuée de ses propres mains, ne pouvant supporter la vie après avoir mis son frère sur le bûcher. Ainsi la maison d'Aristippe a été frappée d'une double perte, et Cyrène tout entière s'est associée au deuil de ce malheureux père, naguère si fier de ses enfants, maintenant sans famille.
518. LE MÊME. - Une nymphe des montagnes a ravi le chevrier Astacide de Crète, et maintenant Astacide est une divinité : il habite sous les chênes du mont Dicté. Nous autres pasteurs, nous ne chanterons plus Daphnis, nous chanterons toujours Astacide.
519. LE MÊME. - Qui peut compter sur demain, dieu bien trompeur, lorsqu'en sanglotant nous t'avons enterré aujourd'hui, Charmis, toi qui hier encore jouais sous nos yeux ? Non, son père Diophon n'a jamais éprouvé un malheur plus affreux.
520. LE MÊME. - Si tu cherches Timarque chez Pluton pour qu'il t'éclaire sur la nature de l'âme, sur son état après la mort, cet Athénien (184), de la tribu Ptolémaïde, fils de Pausanias, tu le trouveras dans les champs Élyséens.
521. LE MÊME. - Si tu vas à Cyzique, il ne te sera pas bien difficile de trouver Hippace et Didymé : cette famille est très connue. Tu auras à leur apprendre une nouvelle affligeante ; n'importe, dis-leur que je retiens ici un de leurs fils, Critias.
522. LE MÊME. - Timonoé ! Mais qui es-tu ? par tous les dieux, je ne t'aurais pas reconnue, si le marbre ne m'eût pas appris le nom de ton père et celui de Méthymne ta patrie. Oui, je puis dire que ta perte a causé une bien grande douleur à ton époux Euthymène.
523. LE MÊME. - Vous qui passez devant le tombeau de Cimon l'Éléen, sachez que vous avez devant vous le fils d'Hippée.
524. LE MÊME. - Est-ce que sous ta pierre repose Charidas ? - Oui, si tu veux parler du fils d'Arimmas de Cyrène, il est ici. - O Charidas, qu'y a-t-il là-bas ? - Une épaisse nuit. - Existe-t-il des voies qui ramènent à la vie ? - Non, c'est un pur mensonge. - Et Pluton ? - Un mythe. Nous sommes morts, bien morts. Ce que je te dis, c'est la vérité ; mais si tu préfères un agréable propos, eh bien ! aux enfers on a un gros boeuf pour moins d'une drachme (185).
525. LE MÊME. - Qui que tu sois qui portes tes pas près de ce tombeau, sache que je suis le fils et le père de Callimaque de Cyrène. Tu les connaîtras tous les deux. L'un autrefois a commandé les troupes du pays ; l'autre a modulé des vers qui triomphent de l'envie. Ne t'en étonne pas ; ceux, en effet, que, enfants, les Muses ont regardé d'un oeil propice, restent leurs amis jusqu'à l'extrême vieillesse, et reçoivent toujours leurs inspirations.
526. NICANDRE DE COLOPHON. - Puissant Jupiter, as-tu jamais vu quelque autre guerrier aussi vaillant qu'Othryadas, qui n'a pas voulu revenir seul de Thyrée à Sparte sa patrie, mais qui a plongé son glaive dans sa poitrine, après avoir écrit sur un trophée : "Ces armes ont été enlevés aux Argiens (186)."
527. THÉODORIDAS. -Théodote, tes parents t'ont bien pleuré ; à ta mort ils ont poussé des cris de douleur en allumant le bûcher funèbre. "O victime du destin, disaient-ils, ô fleur cueillie avant le temps !" Et toi au lieu de ton hymen, au lieu de ta jeunesse, tu as laissé à ta douce mère les sanglots et le désespoir.
528. LE MÊME. - Les jeunes Thessaliennes autour du vaste tombeau de Phénarète ont coupé leurs blonds cheveux, en pleurant sur la jeune épouse, sur la jeune mère. L'infortunée a réduit au désespoir ses père et mère et sa chère Larisse.
529. LE MÊME. - L'audace précipite le guerrier aux enfers et l'élève jusqu'au ciel. C'est l'audace qui a mis sur le bûcher le fils de Sosandre, Dorothée. En procurant à Phthie la liberté, il a trouvé la mort entre Sèkes et Chimara (187).
530. ANTIPATER DE THESSALIE. - Seule avec mes enfants, reçois-moi, passager des morts, moi qui ai trop parlé (188). Le chargement de la fille de Tantale te suffit : ma seule famille remplira ta barque. Voici mes fils et mes filles, les victimes d'Apollon et de Diane.
531. LE MÊME. - La mère qui t'a donné le jour, Démétrius, t'a plongé son glaive dans le flanc et t'a donné la mort, parce que tu as eu peur et que tu as manqué à ton devoir. Tenant encore dans sa main le fer sanglant, grinçant les dents avec fureur, et comme une louve (189) regardant de travers, elle s'est écriée : "Quitte les bords de l'Eurotas, descends au Tartare, tu as lâchement fui, tu n'es pas mon fils, tu n'es pas Spartiate."
532. ISIDORE D'AEGES. - De mon petit champ l'espérance du gain m'avait entraîné, moi Étéocle, sur les mers comme marchand de denrées étrangères, et je naviguais sur les flots de la mer Tyrrhénienne. Mais avec mon vaisseau j'ai été englouti sous les eaux de cette mer par d'affreuses rafales de vent. Certes ce n'est pas le même vent qui souffle sur l'aire des laboureurs et dans les voiles des marins.
533. DENYS D'ANDROS. - Tout humide des vapeurs de Jupiter (190) et de Bacchus, il est bien difficile de ne pas broncher, et de lutter seul contre deux, un mortel contre des immortels.
534. AUTOMÉDON. - O homme, ménage ta vie ; garde-toi, dans la mauvaise saison, de braver la mer : l'existence tient déjà à si peu de chose ! Infortuné Cléonice, tu faisais voile en toute hâte vers l'opulente Thasos, ayant quitté la Coelé-Syrie, [heureux] commerçant, ô Cléonice ; mais tu te mis en mer au coucher des Pléiades, et tu t'es couché avec elles pour toujours.
535. MÉLÉAGRE. - Je ne veux plus vivre avec les chèvres, moi Pan aux pieds de bouc, je ne veux plus habiter les crêtes des montagnes. Quel plaisir, quel attrait m'offrent les montagnes et les bois ? Daphnis est mort, Daphnis qui fit naître une flamme dans mon coeur. J'habiterai cette ville (191). Que d'autres aillent à la chasse des bêtes sauvages. Ce qui plaisait autrefois à Pan ne lui plaît plus.
536. ALCÉE DE MITYLÈNE. - Mort, ce vieillard n'entretient pas même sur sa tombe la vigne aux douces grappes, mais il y fait pousser l'épine et la ronce, le poirier sauvage dont le fruit crispe les lèvres du passant, prend à la gorge et cause une soif brûlante ! Ah ! que celui qui passe près ce tombeau, demande bien aux dieux qu'Hipponax ne sa réveille pas.
537. PHANIAS. - Non pour son père, mais pour son fils, Lysis dans sa douleur a élevé ce monument vide et l'a arrosé de larmes ; c'est le tombeau d'un nom, car les pauvres parents n'ont pu recueillir les restes de Mantithée mort dans un naufrage (192).
538. ANYTÉ. - Cet homme était de son vivant Manès [l'esclave] ; maintenant qu'il est mort il se trouve l'égal de Darius le Grand.
539. PERSÈS. - Sans te préoccuper du funeste coucher de l'Arcture pluvieux, tu t'es embarqué, Théotime, et ton navire bien équipé t'a conduit; toi et tes compagnons, à travers la mer Égée jusque chez Pluton. Hélas ! hélas ! Eupolis et Aristodice qui t'ont donné le jour, embrassent un tombeau vide et l'inondent de pleurs.
540. DAMAGÈTE. - Au nom de Jupiter hospitalier, nous t'en conjurons, étranger, va dire à notre père Carinus dans la Thèbes d'Éolie, que Méris et Polynice sont morts ; ajoute ceci, que nous ne pleurons pas sur notre sort, bien que tués par la main perfide de Thraces, mais sur sa vieillesse attristée par la privation de ses enfants.
541. LE MÊME. - Tu t'es tenu au premier rang, Chéronidas, en disant : "Jupiter, donne-moi la mort ou la victoire," lorsque autour du fossé des Achéens, dans la nuit témoin de ton trépas, les ennemis ont engagé un combat terrible. Oui, certes, en récompense de ta valeur l'Élide te glorifie tout particulièrement d'avoir rougi de ton sang la terre ennemie.
542. FLACCUS. - Un jeune garçon, en glissant sur l'Hèbre dont les froids de l'hiver avaient enchaîné le cours, brisa la glace, et par un glaçon au tranchant aigu il eut le cou séparé du tronc. Les tourbillons du fleuve bistonien entraînèrent le corps, et la mère ne déposa dans la tombe que la tête laissée sur la glace. "O mon fils, mon fils, s'écriait la malheureuse en sanglotant, le bûcher a constitué une part de ton corps, l'autre part a sa sépulture dans l'onde impitoyable."
543. ANONYME. - On ferait voeu de fuir toute navigation, lorsque, toi aussi Théogène, tu as trouvé ta tombe dans la mer Libyenne [et comment?] parce qu'une nuée d'innombrables grues fatiguées est venue s'abattre sur ton vaisseau.
544. ANONYME. - Si jamais tu vas en Phthie aux belles vignes et dans la cité antique de Thaumacie, dis, étranger, qu'en passant par la forêt déserte de Malée tu as vu ce tombeau érigé au fils de Lampon, à Derxias, que des brigands ont surpris seul traîtreusement et dans l'ombre, lorsqu'il se dirigeait vers la divine Sparte.
545. HÉGÉSIPFE. - On dit que, par le chemin qui est à droite du bûcher, Mercure conduit les hommes de bien à Rhadamanthe ; c'est par là qu'Aristonoüs aussi, le fils tant pleuré de Chérestrate, est descendu dans les demeures de Pluton, le pasteur des peuples.
546. ANONYME. - Contre la pauvreté, contre la faim, Ariston n'avait d'autre ressource qu'une fronde, machine de guerre qui de loin abattait les oies en dépit de leurs ailes ; si bien, en s'avançant sans bruit par une voie insidieuse, il savait les surprendre dans les champs où, l'oeil au guet, elles paissaient ! Et maintenant il est mort, sa fronde ne résonne plus dans sa main, et les oiseaux qui étaient sa proie passent en volant par-dessus sa tombe.
547. LÉONIDAS D'ALEXANDRIE. - Sur cette stèle, Bianor n'a écrit ni le nom de sa mère, ni celui de son père dont le trépas eût été naturel, mais le nom de sa jeune fille. Ah ! comme il gémissait en conduisant, non pas à l'Hyménée, mais à Pluton, une fiancée de douze ans !
548. LE MÊME. - Quel est ce Daemon d'Argos qui gît sous cette tombe ? Est-ce que c'est le frère de Dicéotèle ? - C'est le frère de Dicéotèle. - Est-ce l'écho ou la vérité qui a parlé ? Est-ce que c'est bien lui ? - C'est bien lui (193).
549. LE MÊME. - Devenue rocher sur le Sipyle, Niobé se lamente encore, elle pleure le trépas de quatorze enfants, et avec le temps ses gémissements ne s'apaiseront pas. Ah ! pourquoi a-t-elle tenu un langage superbe et téméraire qui lui a ravi l'existence et ses enfants (194)?
550. LE MÊME. - Le naufragé Anthée, après avoir échappé aux menaces de Triton, à la fureur des flots, n'échappa point à un énorme loup de Phthie ; sur les bords du Pénée un loup le dévora. Hélas ! l'infortuné a trouvé les Nymphes moins clémentes que les Néréides.
551. AGATHIAS. - Latoüs et Paul, deux frères, ont mené une vie commune, ils ont obtenu des Parques une mort commune, et sur les rives du Bosphore une poussière commune les recouvre. Ils ne purent, en effet vivre l'un sans l'autre, et d'un même pas ils allèrent ensemble chez Proserpine. Salut ! ô couple si bien uni et d'une amitié si douce ! Sur votre tombeau devrait s'élever l'autel de la Concorde.
552. LE MÊME. - Passant, qui te fait pleurer ? - Ton sort. - Sais-tu qui je suis ? - Non, je le jure ; cependant ta triste fin me touche. - Qui es-tu ? - Périclie. - Femme de qui ? - D'un homme excellent, rhéteur d'Asie, nommé Memnonius. - Comment te trouves-tu inhumée sur les rives du Bosphore ? - Demande-le à la Parque qui m'a donné loin de mon pays une sépulture étrangère. - As-tu laissé un fils ? - Oui, un fils de trois ans qui, dans ma maison, triste et pleurant, attend le lait de mon sein. - Puisse-t-il vivre heureux ! - Oui, demande-le au ciel pour lui, afin que, devenu grand, il arrose ma cendre de ses larmes.
553. DAMASCIUS LE PHILOSOPHE. - Zosimé, qui naguère était esclave de corps seulement, est libre maintenant même de corps.
554. PHILIPPE DE THESSALONIQUE. - Architèle le marbrier a, de ses mains douloureusement émues, construit le tombeau de son fils Agathanor. Hélas ! la pierre sépulcrale a été moins taillée par le fer qu'elle n'a été creusée par d'abondantes larmes. O pierre, reste légère sur le mort afin qu'il dise : "C'est bien la main paternelle qui l'a posée sur moi."
555. JEAN LE POÈTE. - Lorsque la Parque allait trancher le fil de sa vie, les yeux fixés sur son époux elle disait : "Je remercie les dieux du Styx, je remercie les dieux de l'hymen, les uns d'avoir laissé mon époux vivant, les autres de m'avoir donné un tel époux. Ah ! qu'il reste un père à mes enfants .... " Nosto, tu as trouvé cette récompense de tes vertus : un époux verse sur ta cendre une libation de larmes.
556. THÉODORE LE PROCONSUL. - Pluton est sans pitié, Tityre ; car à ta mort il s'est mis à rire et t'a établi l'histrion des morts.
557. CYRUS LE POÈTE. - Trois décades d'années composent la vie de Maia ; le cours s'en est prolongé de trois années en sus. Alors Pluton a lancé son trait amer, et ainsi nous a été ravie une jeune fille semblable à un calice de rose, dans tous les travaux aussi habile que Pénélope.
558. ANONYME. - Pluton a dépouillé ma jeunesse en pleine récolte , et ses fruits gisent sous cette pierre du tombeau de mes aïeux. On m'appelait Rufin, j'étais fils d'Éthérius et d'une mère vertueuse. Mais à quoi m'a-t-il servi de naitre ? J'étais au sommet de la science, à la fleur du jeune âge ; et me voilà, savant, dans l'enfer, jeune, aux bords de l'Érèbe. Pleure envoyant cette inscription, passant ; car au nombre des vivants, tu es ou fils ou père.
559. THÉOSÉBIE. - Acestorie (195) a porté trois deuils : elle a coupé pour la première fois ses cheveux à la mort d'Hippocrate, ensuite à celle de Galien ; et maintenant elle est assise sur les degrés du tombeau d'Ablabius, honteuse, après l'avoir laissé mourir, d'être vue encore vivante.
560. PAUL LE SILENTIAIRE. - Bien qu'une terre étrangère recouvre tes restes, Léontius, bien que tu sois mort loin de tes parents désolés, que de larmes, de celles qu'on verse sur des cendres chéries, ont coulé des yeux de tes concitoyens en proie à la plus vive douleur ! car tu étais aimé de tous, comme un fils, comme un frère. Ah ! la Parque a été bien cruelle, bien impitoyable, n'ayant pas même eu pitié de ta jeunesse.
561. JULIEN D'ÉGYPTE. - La nature, après une longue gestation, mit au monde un homme égal en mérite à ceux des siècles anciens ; il se nommait Cratère (196) (le Fort), et il l'était de fait et de nom. Son trépas (197) a fait pleurer ses rivaux même les plus moroses. S'il est mort jeune, accusez-en les suprêmes arrêts des Parques qui ont voulu priver le monde de sa parure (198) [et de sa gloire].
562. LE MÊME. - Éloquent Cratère, que te revient-il d'avoir été pour tes rivaux une cause de paroles et de silence ? De ton vivant, tous parlaient de toi , depuis ta mort ils n'ouvrent plus la bouche (199) ; car personne ne supporte l'idée de prêter l'oreille aux rhéteurs qui te survivent. L'eloquence et Cratère ont eu la même fin.
563. PAUL LE SILENTIAIRE. - Tu te tais, Chrysomalle, dorayant d'un sommeil d'airain (200). Tu ne nous représentes plus les personnages des anciens âges par des gestes muets ; mais ton silence nous est maintenant odieux, ce silence qui naguère nous charmait.
564. ANONYME. - Ici autrefois la terre reçut dans son sein entrouvert Laodice (201) toute vivante (202), cherchant à se soustraire par la fuite aux outrages des ennemis. Le temps avait peu à peu détruit son tombeau. Maxime, proconsul d'Asie, l'a rétabli, et ayant découvert l'image en bronze de la jeune fille gisant ailleurs sans gloire, il l'a placée sur le monument.
565. JULIEN D'ÉGYPTE. - C'est bien Théodoté, c'est elle-même. Mais plût au ciel que l'art du peintre se fût trouvé en défaut, et qu'il eût ménagé l'oubli à ceux qui la pleurent !
566. MACÉDONIUS. - Ilithyie, tu nous mets au monde ; terre, tu couvres nos restes. Salut, toutes deux ! j'ai achevé ma course. Je m'en vais, ne sachant où j'irai; [et ce n'est pas étonnant], car je ne sais ni de qui je suis né ni qui je suis, ni d'où je suis venu jusqu'à vous [, Ilithyie et terre].
567. AGATHIAS. - C'est le tombeau de Candaule. La justice, qui fut témoin de mon trépas, a déclaré que mon épouse n'était pas coupable ; car elle ne voulut pas s'être montrée à deux hommes, elle voulut que le premier pérît (203) ou le dernier. Il fallait (204) certes qu'il arrivât malheur à Candaule, car il n'aurait pas eu l'idée de montrer sa femme aux regards d'un étrangers (205).
568. LE MÊME. - J'avais quatorze ans lorsqu'un sort funeste m'emporta, moi la fille unique de Didyme et de Thalie. O Parques, pourquoi tant de rigueurs ? Pourquoi m'avoir interdit la chambre nuptiale et les joies de la maternité ? Mes parents allaient me conduire à l'autel de l'Hymen, et me voilà descendue sur les tristes bords de l'Achéron. O dieux, je vous en conjure, faites que mon père et ma mère cessent de gémir et de pleurer, eux qui se consument de douleur sur ma cendre.
569. LE MÊME. - Oui , je t'en supplie, étranger, raconte en détail à mon cher époux, lorsque tu verras ma patrie thessalienne, que sa compagne est morte et que ses restes sont confiés à une tombe, hélas ! sur les rives du Bosphore. Ah ! là où tu es, élève-moi un cénotaphe près de toi, afin de ne pas oublier celle qui naguère était ta jeune épouse.
570. ANONYME. - Des empereurs ont élevé Dulcitius, à cause de son mérite ; aux suprêmes honneurs de cette vie et jusqu'au glorieux proconsulat ; mais lorsque la nature délia les noeuds qui l'attachaient à la terre, Dulcitius s'éleva vers le séjour des immortels : son corps seul a été mis dans ce tombeau.
571. LÉONCE LE SCOLASTIQUE. - Orphée mort, il restait du moins quelque Muse ; mais avec toi, Platon (206), c'est fini de la cithare ; car le peu qui restait de l'art des anciens citharèdes s'était conservé dans tes doigts et dans ton génie.
572. AGATHIAS. - Un homme en secret jouissait d'un rendez-vous criminel, usurpant la couche d'un mari absent. Tout à coup le toit de la maison s'effondre et couvre les coupables, encore dans les bras l'un de l'autre. Tous deux sont pris au même piège, et ensemble ils gisent sans cesser d'être unis.
575. LÉONCE LE SCOLASTIQUE. - Ce tombeau est celui de Chirédias, nourrisson de l'Attique, image vivante de la première décade des orateurs (207). Avocat, il persuadait facilement le juge ; juge, il ne s'écarta jamais de la ligne droite.
574. AGATHIAS. - Agathonicus avait étudié avec soin les lois et les coutumes ; mais la Parque n'a pas appris à tenir compte des lois, et elle l'a enlevé à ses doctes études de jurisprudence avant qu'il eût atteint l'âge légal. Sur sa tombe ses camarades ont poussé des gémissements, ont pleuré l'ornement de leurs réunions. Sa mère s'arrachait les cheveux, se frappait le sein, se rappelant par quelles douleurs elle l'avait mis au monde. Heureux cependant celui qui, enlevé dans la jeunesse , échappe plus vite aux perversités de la vie.
575. LÉONCE LE SCOLASTIQUE. - C'est le tombeau de Rhodé ; elle était de Tyr ; mais, après la mort de ses parents, elle quitta sa patrie et vint en cette ville. Elle y fut l'ornement de la maison de Gémellus d'illustre mémoire, qui de son vivant a rendu Constantinople célèbre par l'enseignement du droit. Elle est morte dans un âge avancé, mais elle eût dû vivre des siècles se lasse-t-on jamais de ce qui est bon ?
576. JULIEN D'ÉGYPTE. - Es-tu mort, Pyrrhon? - Je ne sais. - Après le suprême arrêt des Parques, comment peux-tu dire : "Je ne sais." - Je ne sais ; la mort a mis fin à mes recherches.
577. LE MÊME. - Que celui qui a déposé ma cendre au milieu d'un carrefour, reste en butte à tous les outrages, qu'il n'obtienne pas même la plus petite sépulture ; et en effet tous les passants ne foulent-ils pas sous leurs pieds les restes de Timon ? La mort pour moi seul est pleine de tumulte et de bruit.
578. AGATHIAS. - Le vigoureux Panopée,le chasseur de lions, le destructeur de farouches léopards, est dans ce tombeau. Un affreux scorpion, sorti de son trou, l'a tué en le piquant au talon lorsqu'il escaladait la montagne. Son javelot, son épieu gisent à terre, hélas ! jouets des chevreuils qui n'en ont plus peur.
579. LÉONCE LE SCOLASTIQUE. - Tu vois les traits toujours riants du rhéteur Pierre, excellent avocat, excellent ami. En regardant les fêtes de Bacchus il est tombé du haut d'un toit avec une foule de spectateurs, et seul il est mort, ayant survécu autant qu'il suffisait (208) Pour moi je n'appelle pas cruelle une telle mort, mais bien la mort naturelle (209).
580. JULIEN D'ÉGYPTE. - Jamais tu ne me cacheras dans le sein de la terre assez profondément pour dérober ta victime à l'oeil vigilant de la Justice.
581. LE MÊME. - En dédommagement de ton meurtre tu me gratifies d'un tombeau ; eh bien ! puisses-tu, toi aussi, obtenir du ciel le même bienfait.
582. LE MÊME. - Salut, ô naufragé ! descendu chez Pluton, n'accuse pas les flots de la mer, accuse les vents. Ce sont eux qui t'ont fait périr ; mais les vagues de la mer t'ont roulé doucement vers le rivage jusqu'aux tombeaux de tes pères.
583. AGATHIAS. - PIût à Dieu qu'il n'y eût pas eu d'hyménée ni de fête nuptiale ! on n'aurait pas à déplorer des couches bien sinistres. Voici qu'une malheureuse mère languit dans les douleurs de l'enfantement, et que le fruit de ses amours est mort dans son sein infortuné. Le troisième jour a terminé sa course, depuis que l'enfant reste là trompant les espérances de sa famille éplorée. Le sein de ta mère, pauvre petit, est léger pour toi comme le serait la poussière de la tombe, car elle et porte, et tu n'as pas besoin de la sépulture de la terre.
584. JULIEN D'ÉGYPTE. - Vas-tu mettre à la voile après m'avoir retiré des flots et confié à la terre ? Va, pars, te gardant bien du promontoire de Matée. Ami. que ton voyage s'accomplisse heureusement. Mais si la Fortune ne t'était pas propice, puisses-tu obtenir, le même service que je te dois !
585. LE MÊME. - Mygdon, arrivé au terme de sa vie, s'en est allé chez Pluton sur sa propre barque, sans avoir besoin de celle de Charon. Elle avait été la nourrice de sa vie, le témoin de ses travaux. Que de fois elle avait fléchi sous les produits de sa pêche ! Il l'a eue aussi pour compagne de ses funérailles au bout de sa carrière : elle a fini avec lui dans le même bûcher. Ainsi cette barque a été fidèle à son maître, elle a accru son avoir et navigué avec lui pour soutenir sa vie, pour aller chez les morts.
586. LE MÊME. - Tu n'as pas été victime des flots ni des vents orageux, mais de l'insatiable amour du commerce et du gain. Puisse la terre me procurer une modeste existence ! que d'autres cherchent sur les mers des bénéfices qu'il faut disputer aux tempêtes.
587. LE MÊME. - La terre t'a mis au monde, tu as péri dans la mer, la demeure de Pluton t'a reçu, de là tu es monté au ciel. Ce n'est pas comme un naufragé que tu es mort dans les flots, c'était afin qu'il n'y eût pas un seul domaine des immortels, ô Pamphile (210), qui ne fût par toi glorifié.
588. PAUL LE SILENTIAIRE. - La Parque vient d'imposer à Démocharis le silence du trépas. Hélas ! le beau luth de la Muse se tait ; la grammaire a perdu son soutien, sa colonne. Illustre Cos, de nouveau te voilà en deuil comme à la mort d'Hippocrate.
589. AGATHIAS. - Passant, garde-toi d'annoncer à Antioche, de peur que de nouveau les eaux de Castalie (211) ne gémissent, qu'Eustorgius a tout à coup interrompu ses études de legislation romaine, et que les espérances qu'il donnait se sont évanouies. il venait à peine d'accomplir sa dix-septième année lorsque sa florissante jeunesse s'est changée en une stérile poussière. Un lugubre tombeau renferme sa cendre, et à sa place nous ne voyons plus que son image peinte et son nom.
590. JULIEN D'ÉGYPTE. - [Ci gît] Jean l'illustre. - Dis le mortel. - Le gendre d'une impératrice (212). - Mortel néanmoins. - La fleur de la race d'Anastase. - Lui aussi mortel.- Ayant eu pour règle de sa vie la justice. Tu n'as plus dit mortel : les vertus sont supérieures au trépas et lui survivent.
591. LE MÊME. - Je suis le tombeau d'Hypatius (213).Tout vaste que je suis, je ne renferme pas les restes de ce prodigieux héros de l'Italie. La terre, en effet ; ayant craint de ne pouvoir accorder à ce grand homme qu'un monument mesquin, a préféré lui donner la mer pour sépulture.
592. AGATHIAS. - L'empereur, lui aussi, s'indigna contre les flots de la mer qui avaient englouti Hypatius. Car il voulait qu'on lui rendît les derniers honneurs, et la mer n'a pas permis cet acte de magnanimité. C'est alors, glorieuse preuve de clémence et de bonté, qu'il a glorifié cet illustre mort par l'érection de ce cénotaphe.
593. LE MÊME. - Celle qui naguère était si belle et chantait si bien, qui même n'avait pas négligé la glorieuse étude des lois, Eugénie (214),est ici cachée sous un tertre funèbre ; mais sur sa tombe les Muses, Thémis et Vénus ont coupé leurs beaux cheveux.
594. JULIEN D'ÉGYPTE. -Ton véritable monument, ô Théodore, n'est pas ce tombeau, ce sont les pages sans nombre que tu as écrites, ces pages où tu as fait revivre, en les arrachant à l'oubli, le travail des grands poètes qui ne sont plus.
595. LE MÊME. -Théodore n'est plus ; c'est maintenant que la foule des anciens poètes est bien morte ; car ils vivaient tous, lui vivant, et ils se sont éteints avec lui. Tout a disparu dans le même tombeau.
596. AGATHIAS. - Non, j'en atteste le tribunal des juges aux enfers (215), Eugénie, mon épouse, ne me haïssait pas, et moi Théodote, je n'étais pas volontairement l'ennemi d'Eugénie : c'est l'envie , c'est quelque fatalité qui nous entraînèrent à un tel égarement ; et maintenant, amenés au tribunal de l'équitable Minos, nous avons reçu l'un et l'autre un suffrage d'absolution.
597. JULIEN D'ÉGYPTE. - Celle qui chantait avec tant de douceur et de force, qui tirait de sa poitrine des sons mâles (216) et graves, avec un art parfait, elle gît ici silencieuse. A ce point est puissant l'arrêt des Parques qu'il a fermé les mélodieuses lèvres de Calliope.
598. LE MÊME. - La puissance de ta voix n'a souffert ni de la nature de ton sexe ni des atteintes énervantes de la vieillesse ; et même ayant cédé, hélas ! à la commune loi de l'humanité, tout au plus, ô Calliope, si tu as cessé de chanter.
599. LE MÊME. - Kalé, (belle) de nom, et plus encore par l'esprit que parle visage, est morte ; hélas ! le printemps des Grâces a disparu. Et en effet elle était toute semblable à la déesse de Paphos, mais pour son époux seul ; pour les autres, c'était une Pallas armée. Quel rocher n'a pas gémi, lorsque le puissant Pluton l'a enlevée des bras de son époux ?
600. LE MÊME. - A temps le lit d'hymen, avant le temps la tombe t'ont reçue, Anastasie, ô la plus charmante des Grâces. Ton père, ton époux ont versé sur ta cendre des libations de larmes, peut-être même as-tu arraché des pleurs au nocher des morts. Car tu n'as pas passé une année entière avec ton époux, et c'est à seize ans, hélas ! que tu entres au tombeau.
601. LE MÊME. - Hélas ! une vapeur qui, des sombres bords du Styx s'est répandue autour de toi, a détruit des grâces sans nombre dans tout l'éclat du printemps. La tombe t'a ravi la lumière du soleil, lorsque s'accomplissait, bien amèrement, ta seizième année, et elle a plongé dans les ténèbres du deuil ton père, ton époux ; pour eux tu brillais plus que le soleil, Anastasie.
602. AGATHIAS. - Eustathe, ton visage est doux et gracieux ; mais c'est de la cire que je vois, et la parole qui nous charmait ne réside plus sur tes lèvres. Après avoir accompli tes quinze ans, tu n'as plus vu que vingt-quatre soleils. Ni le sceptre de ton aïeul, ni la puissance de ton père n'ont pu prévaloir contre le sort. Chacun en accuse l'injuste rigueur à la vue de ton image, et s'écrie : "O Parque impitoyable, comment as-tu détruit tant de grâce et de beauté ?"
603. JULIEN D'ÉGYPTE. - Charon est bien cruel. - Dis plutôt qu'il est bon. - Il vient d'enlever un jeune homme. - Mais, par sa raison, il était l'égal des vieillards. - Pour lui, plus de joie.- Plus de chagrins aussi. - Il n'a pas connu le mariage. - Il en ignore les peines.
604. PAUL LE SILENTIAIRE. - Tes parents en pleurs, jeune fille, t'ont dressé ce lit funèbre au lieu du lit conjugal. Pour toi, tu échappes aux peines de la vie, aux douleurs de l'enfantement ; mais eux, quel chagrin les navre et les oppresse ! à douze ans, hélas ! la mort t'a frappée, Macédonie, jeune de grâce et de beauté, mais vieille de mérite et de vertu.
605. JULIEN D'ÉGYPTE. - Rhodo, ton doux mari t'a consacré un beau monument, une urne de marbre ; il a distribué aux pauvres des aumônes pour le rachat de ton âme : tout cela témoigne de sa reconnaissance. C'est que, par une mort prématurée, tu lui as, en effet, rendu la liberté (217).
606. PAUL LE SILENTIAIRE. - Doué d'un caractère aimable et bon, d'une âme généreuse, recherché par ses amis, et pour charmer ses vieux jours, ayant eu les tendres soins d'un fils, Théodore a quitté cette vie pour une autre meilleure, lui qui fut heureux dans toute sa carrière et jusque dans sa mort.
607. PALLADAS. - La vieille Psyllo, jalouse de ses héritiers, s'est faite sa propre héritière. Puis, d'un bond, en un instant elle est descendue chez Pluton, ayant trouvé à vivre aussi longtemps que ses prodigalités. Après avoir tout mangé, elle est morte avec son dernier écu, et elle ne s'en est allée chez les morts que lorsqu'elle n'eut plus une obole.
608. EUTOLMIUS. - Ménippé, désespérée de la mort, prématurée de son fils, en poussant des cris de douleur, perdit connaissance, et elle ne reprit pas ses sens pour pleurer de nouveau son malheur ; mais en même temps elle cessa de se lamenter et de vivre.
609. PAUL LE SILENTIAIRE. - Atticus, dans la commune attente du sort qui n'épargne rien, d'un coeur confiant et courageux, m'a creusé de son vivant pour lui servir de tombeau, se jouant avec une mâle vertu des terreurs de la mort. Ah ! puisse longtemps ce soleil de sagesse rester au soleil !
610. PALLADAS. - On enleva la mariée, et Pluton enleva la noce, en faisant périr une foule d'invités au milieu de leur joie. Une seule noce a rempli de morts vingt-cinq tombeaux, une chambre nuptiale est devenue un cimetière. Penthésilie, Penthée, infortunés époux, votre hymen a enrichi les sombres bords.
611. EUTOLMIUS. - La jeune Hélène ayant suivi de près un frère au tombeau, sa malheureuse mère, frappée d'un double coup, éclata en sanglots. La douleur des prétendants ne fut pas moindre ; car chacun d'eux pleura celle qui n'avait été à personne comme sa propre fiancée.
612. AGATHIAS. - Hélas! la dixième Muse, la grande citharède de Rome et de Pharos, est ici sous ce tertre. Elle morte, sa lyre s'est tue, les chants ont cessé, tout semble avoir disparu avec Jeanne. Peut-être aussi et avec raison les neuf Muses se sont-elles fait une loi d'habiter la tombe de Jeanne au lieu de l'Hélicon.
613. DIOGÈNE L'ÉVÊQUE. - Diogène, Phryx ton père t'a élevé cette tombe, à toi si jeune et si florissant, sur les rivages de l'Euxin, hélas ! bien loin de ta patrie. La volonté divine ta amené ici pour que par ta mort ton oncle (218) éprouvât les chagrins qu'elle lui réservait ; et lui, en t'inhumant de ses mains consacrées ; en priant pour toi, il t'a introduit dans les choeurs de bienheureux.
614. AGATHIAS. - La bienheureuse Ellanis et Lamaxis toute pleine de grâces étaient les brillantes étoiles de Lesbos leur patrie. Lorsque avec la flotte athénienne Pachès eut abordé ici et dévasté Mitylène, il s'éprit d'un coupable amour pour ces jeunes femmes, et tua leurs maris, espérant ainsi les posséder. Mais celles-ci s'embarquèrent sur les flots de la mer Égée et coururent vers la cité de Mopsus (219). Là, elles dénoncèrent au peuple les actes impies de Pachès, et parvinrent à obtenir une sentence de mort. Voilà, ô jeunes filles, ce que vous avez fait. Puis, vous êtes revenues dans votre patrie, et vous y avez fini vos jours. Le fruit de vos peines n'a pas été perdu, car vous dormez près des tombeaux qui vous sont chers en récompense de votre chasteté glorieuse ; et tout le monde célèbre encore les héroïnes qui ont uni leurs efforts, et vengé leur pays et leurs époux.
615. ANONYME. - Sous ce tombeau, le territoire de Phalère possède le corps de Musée, fils chéri d'Eumolpe.
616. ANONYME. - Ici la terre a reçu, après sa mort Linus de Thèbes, fils de la Muse Uranie au front couronné d'étoiles.
617. ANONYME. - Ici les Muses ont déposé, dans la terre de Thrace, Orphée à la lyre d'or, que Jupiter frappa d'un trait enflammé de sa foudre.
618. ANONYME. - Le sage Cléobule n'est plus ; Lindes, sa patrie, d'ordinaire si joyeuse, est tout entière plongée dans le deuil.
619. ANONYME. - Périandre, supérieur à tous par sa sagesse et son opulence repose ici dans le sein de Corinthe sa patrie, près du rivage de la mer.
620. DIOGÈNE LAERTE. - Ne t'afflige pas si tu n'obtiens pas ce que tu désires, mais réjouis-toi de tout ce que Dieu t'accorde ; ne fais pas comme Périandre qui, tout sage qu'il était, s'est laissé abattre et mourir pour avoir manqué le but auquel il aspirait.
621. ANONYME. - Ici, moi malheureux Sophocle (220), je suis entré dans l'odieuse demeure de Pluton, en riant, ayant mangé de l'ache de Sardaigne (221). Ainsi je suis mort, d'autres mourront autrement, mais tous mourront sans exception.
622. ANTIPHILE DE BYZANCE. - Le pâtre Borchus venait de prendre un doux rayon de miel sur une roche escarpée où il s'était hissé à l'aide d'une corde, lorsqu'un de ses chiens qui d'ordinaire suivait ses boeufs et qui l'avait suivi, se mit à ronger la corde le long de laquelle coulait du miel dérobé. Le pâtre tomba dans les abîmes de Pluton. Ainsi ce miel, que personne n'avait encore récolté, coûta la vie d'un homme.
623. ÉMILIEN. - Suce, pauvre enfant, ce sein que tu ne tetteras plus ; tires-en jusqu'à la dernière goutte de lait. Percée de coups d'épée, je succombe, je meurs ; mais l'amour d'une mère, même chez Pluton, sait veiller sur son enfant.
624. DIODORE. - Sois maudite, turbulente mer d'Ionie qui es sans pitié parage du noir Pluton où tant de victimes disparaissent ! Qui pourrait dire tous tes méfaits, en observant le sort des malheureux navigateurs ? Tu viens encore d'engloutir sous tes flots Labéon et Aegée avec leurs jeunes compagnons, le navire et l'équipage.
625. ANTIPATER DE SIDON. - Ce Diodore d'Olynthe, fils de Calligène, qui connaissait les parages de la mer d'Atlas, qui connaissait la mer de Crète et la navigation de l'Euxin, sache qu'il s'est noyé dans un port en tombant la nuit de son vaisseau, lorsqu'il rejetait en vomissant une trop copieuse nourriture. Ah ! combien peu d'eau a fait périr un marin qu'avaient éprouvé tant de mers !
626. ANONYME. - Régions lointaines des Libyens Nasamons (222), dont les plaines desséchées (223) ne sont plus surchargées de bêtes féroces, vous n'entendrez plus avec effroi des rugissements de lions dans vos solitudes jusque par delà les sables des Nomades ; car leurs innombrables tribus, prises dans des piéges, ont été livrées par l'empereur au fer des combattants dans un seul spectacle (224) ; et sur ces crêtes de montagnes naguère habitées par des bêtes féroces, les pâtres mènent maintenant leurs troupeaux.
627. DIODORE. - Jeune fiancé, tu as quitté la chambre nuptiale qui allait s'ouvrir pour toi, et tu as pris la sombre route de l'enfer. Quelle douleur en a ressentie Thonium d'Astate (225) ! Comme elle a pleuré la cruelle destinée de son Hipparque, enlevé à sa tendresse avant d'avoir vu mûrir la vingt-quatrième moisson !
628. CRINAGORAS. - D'autres îles aussi ont renié leur nom primitif peu brillant, et se sont parées de noms d'hommes illustres. Soyez donc appelées, vous aussi, Érotides. Némésis assurément ne vous en voudra pas d'avoir adopté cette dénomination. Car l'enfant qui est déposé sous ce tertre sacré a reçu d'Éros lui-même sa beauté et son nom. O terre amoncelée sur cette tombe, ô mer qui baignes ce rivage, soyez pour l'enfant l'une légère, l'autre silencieuse.
629. ANTIPATER. - Si grand, as-tu disparu sous si peu de terre? [non,] Socrate, et en te voyant chacun accuse l'iniquité des Grecs, les cruels qui ont tué l'homme excellent sans rien donner à la pudeur. Que de fois les Cécropides ont agi de même!
630. ANTIPATER DE BYZANCE. - N'étant déjà plus qu'à une certaine distance de ma patrie : "Demain, ai-je dit, je verrai la fin de ma pénible navigation." A peine avais-je fermé la bouche que la mer devint plus noire que l'enfer, et que ce mot plein de confiance causa ma perte. Gardez-vous bien de toute locution exprimant l'idée de demain. Les moindres écarts de langage n'échappent pas à Némésis qui les punit.
631. APOLLONIDAS. - Si par hasard vous abordez à Milet q'Apollon protège, annoncez à Diogène la lugubre nouvelle que son fils Diphile, victime d'un naufrage, est inhumé dans l'île d'Andros, ayant bu les flots de la mer Égée.
632. DIODORE. - Dans la maison de Diodore un tout jeune esclave tomba d'un petit escalier, et se brisa les vertèbres, ayant roulé la tête en bas. Son maître accourut à son secours, et lui, dès qu'il le vit (226), il lui tendit ses mains enfantines. O toi, terre qui deviens la nourrice du petit, ne pèse pas sur ses os, épargne Corax, un enfant de deux ans.
633. CRINAGORAS. - La lune elle-même en se levant un soir s'est obscurcie, elle a voilé des ténèbres de la nuit sa douleur et son deuil, lorsqu'elle vit la gracieuse Séléné, du même nom qu'elle, descendre sans vie dans la sombre demeure de Pluton. De même qu'elle lui avait communiqué l'éclat de sa belle lumière, elle voulut aussi unir ses ténèbres à son trépas.
634. LE MÊME. - Le vieux Philon, portant sur ses épaules un cercueil pour gagner son salaire journalier, fit une petite chute et en mourut. Il était en effet mûr pour Pluton, et son grand âge n'attendait qu'une occasion. Ainsi cette bière qu'il destinait à un mort, c'était pour lui-même que le vieillard la portait sans s'en douter.
635. CRINAGORAS. - La barque d'Hiéroclide a vieilli avec lui, compagne de sa vie et de sa mort, naviguant ensemble, ensemble faisant le commerce de la pêche. Jamais barque se montra-t-elle à la mer plus équitable, plus dévouée. Jusqu'à ses derniers jours elle a nourri son vieux maître par son travail, et lui mort, elle a pourvu à ses funérailles (227) : avec lui elle a navigué jusque chez Pluton.
636. LE MÊME. - Heureux berger, plût aux dieux que, moi aussi, j'eusse mené des troupeaux dans la montagne, sur cette cime dont la neige blanchit la verdure, mêlant une voix aux bêlements des béliers et des brebis, plutôt que d'avoir manoeuvré sur les mers le gouvernail d'un vaisseau ! car j'ai disparu sous les flots amers, et les rafales de l'Eurus m'ont jeté sur cette plage.
637. ANTIPATER. - Pyrrhus qui, sur sa petite barque à deux rames, allait avec une ligne à plombs, pécher des atres et des mendoles, loin du rivage fut frappé par la foudre et tomba mort. Quant à sa barque, d'elle-même elle courut vers la plage, et là, par le soufre et la suie, elle annonça l'accident, sans avoir besoin de la quille d'Argo (228).
638. CRINAGORAS. - Au sujet de ses enfants dont les destinées s'étaient échangées, une mère bien digne de pitié disait, en les tenant embrassés tous deux : "O mon fils, je ne m'attendais pas à pleurer sur ton cadavre, ni toi, à te voir aujourd'hui parmi les vivants. Les dieux viennent de permuter vos destinées, mais mon deuil est toujours le même."
639. ANTIPATER. - La mer est partout la mer. Pourquoi sans raison s'en prendre aux Cyclades, au détroit d'Hellé, aux Oxies (229) ? On les incrimine bien à tort, car autrement, comment, après leur avoir échappé, aurais-je été mourir dans le port de Scarphée (230) ? Que celui qui navigue fasse des voeux pour son retour ; car la mer se ressemble partout : Aristagore, dont voici la tombe, ne l'ignore pas.
640. LE MÊME. - Le coucher des Chevreaux est redouté des marins ; mais pour Pyron le calme fut bien plus funeste que Ia tempête (231). Se trouvant enchaîné dans une mer immobile, un vaisseau de pirates, léger et allant bien à la rame, l'atteignit. Il avait échappé aux tempêtes, et c'est en plein calme qu'il périt d'une mort cruelle. Quelle triste fin de voyage !
641. ANTIPHILE. Sur une horloge d'eau. - Ce cénotaphe à douze compartiments du soleil qui n'est plus, duquel douze fois (232) aussi sort une voix qu'aucune bouche n'articule, lorsque, par l'étroit canal de l'eau foulé, l'air s'échappe et lance un son qui retentit au loin, est une consécration d'Athénée qui l'a placé là pour l'usage du peuple, afin que le soleil fût encore visible quand il est caché par des nuées jalouses.
642. APOLLONIDAS. - Entre Syros (233) et Délos, Ménoetès, fils du Saurien Diophane, a disparu dans les flots avec son pieux chargement (234) ; il avait grand'hâte d'arriver au but sacré de son voyage, mais la mer est impitoyable pour ceux qui s'y exposent même en vue de la santé d'un père.
643. CRINAGORAS. - Inexorable Pluton, tu as enlevé Hymnis, la fille d'Évandre, l'amour et la joie de la famille, une charmante enfant de neuf ans. Pourquoi cet arrêt de mort prématurée, lorsque da toute manière elle devait t'appartenir ?
644. BIANOR. - Pour la dernière fois Cléariste a pleuré son jeune enfant ; près de son tombeau s'est terminée sa vie douloureuse. Car en se lamentant comme une mère au désespoir, elle a perdu haleine, elle a été suffoquée. O mères infortunées, pourquoi vous abandonnez-vous à des chagrins sans terme qui se prolongent jusque chez Pluton ?
645. CRINAGORAS.- O Philostrate (235) que les richesses n'ont pas préservé du malheur, à quoi t'ont servi ces sceptres de rois, ces faveurs qu'ils t'ont prodiguées et dont tu as toujours été fier ? Voici que sur les bords du Nil tu gis en vue de la Judée sans qu'on te remarque. Des étrangers (236) se sont partagé les biens, fruits de tes travaux, et ta cendre restera enfermée, dans une poterie grossière.
646. ANYTÉ. - Érato, en serrant son père dans ses bras, lui dit ces dernières paroles, et ses yeux étaient pleins de larmes: "O mon père, je n'existe plus pour toi ; la mort étend son voile ténébreux sur les yeux de ta fille qui est perdue (237)."
647. SIMONIDE OU SIMNIAS. - Pleurante et tenant sa mère embrassée, Gorgo lui dit ces dernières paroles: "Reste ici près de mon père, et donne-lui avec une chance plus heureuse une autre fille : elle aura soin de tes vieux jours."
648. LÉONIDAS DE TARENTE. - L'honnête Aristocrate, avant de descendre aux sombres bords, le doigt sur son front où la pensée allait s'éteindre, disait : "L'homme doit songer à des enfants, et prendre femme, même si la dure pauvreté le harcèle. Qu'il étaye sa vie : une maison sans colonnes (238) n'est pas d'un bel aspect ; le foyer, au contraire, semblera meilleur avec de bons appuis, avec un âtre où l'on amoncelle le bois, où le feu ne s'éteint jamais." Aristocrate connaissait le vrai ; mais des femmes, ô lecteur, il haïssait la perversité.
649. ANYTÉ. - Au lieu de te conduire à la chambre nuptiale, à l'autel de l'Hyménée, ta mère, ô Thersis, a placé sur ce tombeau le marbre d'une statue qui te ressemble par la taille et la beauté. Même morte, on dirait que tu vas parler.
650. FLACCUS ou PHALÉCUS. - Fuis les travaux de la mer, attache-toi aux travaux des champs, si tu désires atteindre le terme d'une longue vie. Sur terre, en effet, la vie est longue, mais sur mer il est rare que l'homme puisse voir blanchir ses cheveux.
651. EUPHORION. - Ses restes si chers (239), ce n'est pas la pierreuse Trachis (240) qui les recouvre, ni un marbre orné d'une inscription funéraire ; la mer Icarienne les roule sur les grèves du long et haut promontoire de Dracanum (241). Et moi, à titre de sépulture hospitalière, j'ai été amoncelé, tertre vide, dans les prairies desséchées de la Dryopie.
652. LÉONIDAS DE TARENTE. - Mer oruyante et furieuse, pourquoi le fils de Timarès, Téleutagore, qui naviguait sur un petit navire, a-t-il été avec sa cargaison englouti dans l'abîme sous tes vagues amoncelées ? Sans doute les mouettes et les alcyons ont à sa mort poussé des cris plaintifs ; de son côté, Timarès, en face du tombeau vide du jeune naufragé (242), ne cesse de pleurer son fils Téleutagore.
653. PANCRATE. - Un vent d'Afrique qui s'éleva violent, terrible, au coucher des Hyades, a fait périr dans les flots de la mer Égée Épieride avec son navire et l'équipage. Voilà le tombeau vide qu'en pleurant un père a élevé à son fils.
654. LÉONIDAS. - Toujours les Crétois ont été des pirates, des écumeurs de mer, des hommes sans le moindre sentiment de justice. Qui a jamais entendu parler de la justice des Crétois ? Tandis qu'avec un mince chargement je naviguais dans leurs parages, ils m'ont assailli et jeté à la mer, moi pauvre Timolyte. Les mouettes, les alcyons ont seuls pleuré mon trépas, et Timolyte n'a point de tombeau.
655. LE MÊME. - Un humble tertre suffit à ma cendre. Que de riches colonnes décorent d'autres tombes, et les surchargent de leur poids fastueux. Ceux qui m'aiment (243) sauront bien qu'ici gît Alcandre, fils de Callitélès.
656. LE MÊME. - Passant, adresse quelques mots à ce petit tertre, à la petite stèle du malheureux Alcimène, bien que tout soit caché par les épines et les ronces. Jadis, moi Alcimène, je leur faisais une rude guerre (244).
657. LE MÊME. - Bergers qui fréquentez la cime de cette montagne avec vos chèvres et vos brebis à longues laines, accordez-moi, par Cybèle et à cause de Proserpine, une grâce légère, mais pour Clitagoras, d'un prix infini et pleine de charmes. Que les brebis bêlent auprès de ma cendre ; qu'assis sur un rocher, pendant qu'elles broutent, le berger me siffle ses plus doux airs ; qu'aux premiers jours du printemps, le villageois, ayant cueilli des fleurs de la prairie, en couronne ma tombe, et que, pressant la mamelle d'une brebis mère, il en répande le lait sur le tertre funéraire. Il est entre les morts et les vivants un doux commerce d'affection et de souvenir (245).
658. THÉOCRITE ou LÉONIDAS. - Je nais savoir, passant, si , tu accordes plus de bienveillance et de faveur aux braves qu'aux lâches. Dis avec moi : "Honneur à ce tombeau ! Car il pèse légèrement sur la tête sacrée d'Eurymédon."
659. THÉOCRITE OU LÉONIDAS. - Tu as laissé un fils enfant, et, mort toi-même à la fleur de l'âge, Eurymédon, tu reposes sous cette pierre. Tu as ta place parmi les hommes divins, et tes concitoyens honoreront ton fils, en se souvenant des vertus de son père.
660. LÉONIDAS DE TARENTE. - Passant, Orthon de Syracuse te recommande de ne jamais t'en aller ivre par une nuit d'hiver ; et en effet j'ai commis cette fatale imprudence. Aussi, au lien de ma glorieuse patrie, c'est une terre étrangère qui recouvre mes restes.
661. LE MÊME. - C'est le tombeau d'Eusthène, l'habile physionomiste, celui qui savait d'après les yeux deviner les caractères. Des amis l'ont inhumé avec une certaine pompe, lui étranger sur la terre étrangère, et s'étant rendu cher même à des poètes (246), il en a obtenu tout ce qu'il convenait d'obtenir. Ce sophiste à sa mort, bien que sans famille (247)a eu comme des parents à ses funérailles.
662. LE MÊME. - Cette jeune fille s'en est allée avant le temps, dans sa septième année, chez Pluton, ayant devancé l'âge en sagesse. L'infortunée, elle regrettait trop un frère de vingt mois, petit enfant que l'implacable mort avait ravi. Hélas ! ô Péristéris si douloureusement éprouvée, que de maux terribles les dieux ont toujours prêts pour les pauvres humains !
663. LÉONIDAS OU THÉOCRITE. - Le petit Médéus a élevé à sa nourrice Thrace ce tombeau sur le bord de la route, et il y a inscrit le nom de Clita. Cette femme aura la récompense des soins qu'elle a donnés à l'enfant. A bon droit donc elle est de plus, après sa mort, nommée Chrésima (248).
664. ANONYME. - Arrête, et contemple Archiloque, l'ancien poète, le poète des ïambes. Sa gloire infinie s'est répandue du couchant à l'aurore. Il a été le favori des Muses et du dieu de Délos, parce qu'il était plein de poésie et d'art, aussi habile à composer des vers qu'à les chanter sur sa lyre.
665. LÉONIDAS. - Ne navigue avec confiance ni sur un long ni sur un haut navire ; il n'y en a pas qui résiste à la violence du vent (249). Une seule rafale a fait périr Promaque, et les flots ont englouti en masse ses compagnons dans la mer blanche d'écume. Cependant le sort n'a pas été impitoyable pour lui jusqu'au bout : dans sa patrie il a obtenu de ses parents une tombe et des funérailles, la rude mer ayant poussé son cadavre sur la vaste plage.
666. ANTIPATER DE THESSALONIQUE. - Voici le passage de Léandre, voici le détroit qui fut fatal et à l'amant et à l'amante. Devant nous est la demeure de Héro. Je vois les débris de la tour. C'est là qu'était placé le flambeau qui s'éteignit traîtreusement. Les deux amants reposent ici dans une tombe commune, et maintenant encore ils se plaignent des vents jaloux qui règnent dans ces parages.
667. ANONYME. - Pourquoi restez-vous auprès de ma tombe à gémir sans raison ? Je n'ai chez les morts rien qui motive vos larmes. Cesse de pleurer, calme-toi, cher époux, et vous, mes enfants, réjouissez-vous, et conservez le souvenir d'Amazonie.
668. LÉONIDAS. - Quand même Galéné (250) souriante m'aplanirait les flots, quand même le Zéphyre effleurerait la mer de sa plus douce haleine, non, vous ne me verriez pas m'embarquer sur un vaisseau ; car je me souviens avec effroi des dangers que j'ai eu à subir en luttant contre les vagues et les vents.
669. PLATON. - Tu regardes les astres, ô mon Aster. Puissé-je devenir le ciel, afin d'avoir mille yeux pour te regarder !
670. LE MÊME. - Aster, naguère tu brillais parmi les vivants, étoile du matin, et maintenant que tu n'es plus, tu brilles étoile du soir chez les morts.
671. ANONYME. - Insatiable Charon, pourquoi as-tu enlevé ainsi le jeune Attale ? N'aurait-il pas toujours été à toi, même s'il fût mort vieux ?
672. ANONYME. - La terre a le beau corps d'Andréas, le ciel a son noble coeur. Administrateur et juge chez les Daces (251) et dans l'Illyrie, il a gardé ses mains pures de tout gain illégitime.
673. ANONYME. - Si la race des hommes pieux survit au terme de leur existence, se conservant par une loi sacrée sur les lèvres de tout le monde, tu vis, Andréas, tu n'es pas mort ; seulement le séjour divin des saints immortels t'a reçu après ton trépas.
674. ARRIEN. - Ce tombeau est celui d'Archiloque, à qui les Muses, dans l'intérêt et pour la gloire d'Homère, inspirèrent l'idée de composer ses ïambes furieux.
675. LÉONIDAS. - Sans crainte, détache le câble du tombeau du naufragé ; alors même que nous périssions, d'autres navires voguaient à pleines voiles.
676. ANONYME. - Je fus Épictète, esclave, infirme et mutilé, pauvre comme Irus, mais cher aux immortels.
677. SIMONIDE. - C'est ici le tombeau de l'illustre Mégistias (252), que tuèrent jadis les Mèdes, après avoir passé le Sperchius : quoique, comme devin, il prévît bien le trépas qui le menaçait, il ne voulut pas abandonner les chefs de Sparte.
678. ANONYME. - Après avoir accompli mes années de service, je repose ici, moi Sotérichus, ayant laissé à mes chers enfants le fruit de mes travaux. J'ai commencé ma carrière parmi les cavaliers comme Nestor de Gérène (253), et ce n'est point à des actes injustes que je dois ce que je possède. Aussi, après ma mort, je vois la pure lumière des cieux.
679. SAINT SOPHRONIUS. - Tombeau, dis-nous quel est celui que tu renfermes, son nom, son pays, de qui il était fils, ses oeuvres et sa fortune. - C'est Jean, de l'île de Chypre, fils du noble Stéphane, celui qui fut pasteur de Pharos (254). Par ses biens il était riche et puissant, plus qu'aucun Chypriote, du fait de ses ancêtres et par ses pieux travaux. Dire toutes les saintes oeuvres qu'il a accomplies sur la terre est au delà de ma portée, et toutes les bouches n'y suffiraient pas ; car par l'éclat de ses mérites il éclipsa tous ceux qui passent pour s'être élevés par leurs vertus au-dessus de leurs semblables. Tous les embellissements que cette ville a obtenus, elle les lui doit, et ils proclament sa rare bonté.
680. LE MÊME. - Jean de Pharos repose ici, après avoir accompli la carrière des plus saintes vertus. Il était mortel, et s'il a maintenant une vie impérissable, c'est qu'il a fait ici-bas et sans nombre d'immortelles actions.
681. PALLADAS. - Tu t'es mis en route, non pour arriver au consulat, mais à la mort, et, tout boiteux que tu es, tu as atteint ce but au pas de course, Gessius, et plus vite que ne le voulaient les Parques. Au lieu de l'ascension que tu rêvais, quelle chute tu as faite !
682. LE MÊME. - Gessius n'est pas mort, atteint par les Parques ; c'est lui qui a prévenu les Parques chez Pluton.
683. LE MÊME. - Rien de trop, a dit des sept sages le plus sage, mais tu ne l'as pas cru, Gessius, et de là tous tes malheurs. Tout spirituel que tu es, tu as reçu le plus sot affront, pour avoir ambitionné de t'élever jusqu'aux cieux. Ainsi le cheval Pégase a causé la mort de Bellérophon, qui avait voulu connaître la marche des astres ; mais il avait un cheval, il était vigoureux et jeune, tandis que tu as à peine, Gessius, vim cacandi (255).
684. LE MÊME. - Mortels, ne cherchez pas à vous élever au rang des dieux. Par son exemple, Gessius vous a montré le danger d'un grand pouvoir et des honneurs suprêmes. A peine y était-il monté qu'on l'a jeté à bas, et de ses félicités éphémères il n'a rien (256) gardé.
685. LE MÊME. - Par ton ambition, Gessius, tu as atteint le but suprême de la fortune et de la vie. Ce pouvoir que tu demandais, il t'est venu à la fin ; tu as obtenu le consulat, mais c'est sur ton cercueil qu'on a déposé les faisceaux.
686. LE MÊME. - Lorsque Baucalus vit Gessius qui venait de mourir , et qui boitait encore plus qu'auparavant, il lui adressa ces paroles épiques : "Comment et par quelle aventure es-tu descendu dans la demeure de Pluton, nu, sans deuil, sans funérailles ?" et gessius aussitôt lui répondit en poussant un gros soupir : "Baucalus, l'ambition désordonnée donne aussi la mort."
687. LE MÊME. - Quand Gessius eut reconnu la fausseté des oracles d'Ammon, et qu'il vit la mort s'approcher, la mort sur la terre étrangère, il maudit ses idées d'ambition, la vaine science de l'astrologie, et tous ceux qui ont foi dans les astres désastreux (257).
688. LE MÊME. - Les oracles de deux Calchas ont perdu Gessius en lui promettant la chaise curule du consulat. O race des humains que la vanité enivre et gonfle, que l'emportement égare, pendant toute la vie qu'apprends-tu ? rien d'utile et de bon.
689. ANONYME. - Ici Appellianus, l'homme vertueux par excellence, a laissé son corps ; quant à son âme, il l'a remise entre les mains du Christ.
690. ANONYME. - La mort ne t'a rien fait perdre de la bonne réputation dont tu jouissais par toute la terre ; les brillantes qualités de ton âme, toutes celles que tu as reçues et acquises, gardent leur éclat, excellent Pythéas. Aussi tu es certainement allé dans l'île des bienheureux.
691. ANONYME. - Nouvelle Alceste, je suis morte pour mon excellent époux Zénon, que j'ai aimé seul de toutes les forces de mon âme, que j'ai préféré à la vie, à mes chers enfants. Mon nom est Callicratie, et tous les mortels m'admirent.
692. ANTIPATER ou PHILIPPE. - Glycon, la gloire de Pergame et de l'Asie, la foudre des athlètes, le nouvel Atlas aux larges pieds, aux bras invincibles, n'est plus. Celui que jusqu'à présent aucun lutteur ni en Italie , ni en Grèce, ni en Asie, n'avait vaincu (258), Pluton, le grand triomphateur, l'a terrassé.
693.ANONYME. - Cailloux du rivage, nous couvrons Glénis, qui fut attiré (259) par le fatal tourbillon de la vague, tandis qu'il pêchait du haut du précipice. La foule entière de ses compagnons réunis nous a amoncelés. Protège-les, ô Neptune, et daigne toujours accorder un rivage paisible aux pécheurs à la ligne.
694. ADDÉE. - Lorsque tu passeras devant ce défunt (il sappelle Philopragmon) , inhumé sur la voie publique déviant Potidée, dis-lui ce que tu te proposes de faire, et il ne tardera pas à trouver avec toi un moyen facile d'exécution (260).
695. ANONYME. - Tu vois les traits de la chaste Cassia. Bien qu'elle soit morte, la beauté de son âme se révèle par ses vertus, plus encore que la beauté de son corps.
696. ARCHIAS. - Te voilà pendu, malheureux, à ce pin épais où ta dépouille velue est le jouet des vents. Pendu ! aussi pourquoi as-tu provoqué Apollon à une lutte inégale, ô Satyre (261), toi qui habites [non le ciel, mais] les rochers de Célénes ? Et nous, Nymphes, nous n'entendrons plus sur les monts phrygiens, comme autrefois, les doux sons de ta flûte.
697. CHRISTODORE. - Ce tombeau renferme Jean, la lumière et la gloire d Épidamne que fondèrent autrefois les magnanimes fils d'Hercule: aussi, ce héros livra t-il une guerre sans trêve aux méchants. Il eut par ses pieux parents pour glorieuse patrie la ville de Lychnide (Flambeau), que construisit le Phénicien Cadmus qui, le premier, enseigna aux Grecs l'usage des lettres, et c'est pour cela qu'il fut un des flambeaux de l'Hélicon. Préfet de l'Illyrie, il brilla également parmi les consuls et les juges, honorant à la fois les Muses et Thémis.
698. LE MÊME. - C'est Jean. lui-même Jean d'Épidamne dont tu vois l'image, celui qui fut l'ornement et la gloire du consulat, qui a répandu sur moi (262) la douce lumière des Muses, qui plus que tout autre a élargi le cercle des vertus hospitalières, et dont le coeur, plein de modération d'ailleurs, n'a jamais connu les bornes de la libéralité, celui qui illustra sa magistrature consulaire par des lois nationales qui purifièrent l'administration de la justice. Grands dieux ! que sa vie a été courte ! Après avoir accompli sa quarante-deuxième année, il est mort, laissant d'éternels regrets à tous les poètes, qu'il avait aimés d'une affection plus que filiale.
699. ANONYME. - Icarie, tombeau du malheureux Icare, qui sur des ailes s'aventura dans l'air inexploré, plût au ciel que ce naufragé (263) ne t'eût jamais vue, et que Triton ne t'eût jamais fait monter au-dessus du niveau de la mer Égée ! car tu n'as aucun refuge pour abriter les navires, ni sur ta plage boréale ni au midi. Sois maudite, île funeste aux navigateurs, détestable hôtesse! et puissé-je naviguer loin de toi, aussi loin que de l'odieuse demeure de Pluton !
700. DIODORE LE GRAMMAIRIEN. - Que ces demeures de ténèbres et de pierre où je suis renfermée, que les eaux du lamentable Cocyte le sachent bien [et l'attestent], mon époux ne m'a pas tuée, ainsi qu'on le dit, en vue de s'unir à une autre femme. Pourquoi sans motif Rufinius sert-il de texte (264) à ces rumeurs ? Ce sont les Parques dont l'arrêt fatal m'amène ici. Et certes Paula la Tarentine n'est pas la seule qui soit morte prématurément.
701. DIODORE. - Pour Achaeus, brave citoyen, sa patrie a composé cette inscription sur les bords du beau lac d'Ascanie (265). Nicée l'a pleuré. Son père Diomède lui a fait élever ce tombeau dont le marbre brille au loin. Le malheureux, comme il gémit sur son funeste sort ! Et en effet, il semble que son fils devait lui rendre ces mêmes honneurs funèbres.
702. APOLLONIDE. - Le pêcheur Ménestrate a reçu la mort d'une proie suspendue aux crins de cheval (266) de sa ligne, alors que s'étant jeté sur l'amorce meurtrière et trompeuse de l'hameçon un rouge gobius eut fait trembler l'insidieux roseau du pécheur. Brisé (267) par sa dent, le poisson le tua, d'un saut agile ayant pénétré dans le canal glissant de son gosier.
703. MYRINUS. - Le villageois Thyrsis qui fait paître les troupeaux des Nymphes, Thyrsis qui joue de la flûte aussi bien que Pan, vers midi, un peu ivre, s'est endormi à l'ombre d'un pin. L'Amour, qui a pris sa houlette, veille sur les troupeaux. Nymphes, réveillez le berger qui ne se méfie pas des bêtes sauvages, réveillez-le, de peur que l'Amour ne devienne la proie des loups.
704. ANONYME. - Moi mort, que la terre s'embrase. Cela m'est bien égal : je n'ai plus rien à perdre (268).
705. ANTIDATER. - Le tombeau de l'Edonienne Phyllis, qui s'élève prés du Strymon et de la vaste mer d'Hellé, les vestiges du temple d'Artémis Brauronia et les eaux de son fleuve magnifique, voilà ce qui te reste, Amphipolis. Cette ville qui jadis a suscité tant de débats dans Athènes (269), nous apparaît comme un lambeau de pourpre étendu sur les deux rives.
706. DIOGÈNE. - Chrysippe ayant vidé trop de coupes de vin en perdit la tête, et ne ménagea ni le Portique, ni sa patrie, ni lui-même. Aussi s'en est-il allé dans les demeures de Pluton.
707. DIOSCORIDE. - Moi aussi, Satyre bondissant, je garde le tombeau de Dosithée, comme dans Athènes un de mes frères à la barbe dorée garde les cendres de Sophocle. Car mon poète a porté la couronne de lierre, j'en jure par les choeurs, avec une grâce digne des Satyres phliasiens. Je lui dois, moi formé à de nouvelles moeurs, d'avoir retrouvé les souvenirs de la patrie, grâce à ses archaïsmes, et comme autrefois j'ai dansé au rhythme mâle et sévère de la Muse dorique, entraîné par sa grande voix. Que j'aimais le bruit des thyrses récemment coupés sur la montagne (270), qu'agitait le hardi génie de Dosithée !
708. LE MÊME. - O terre qui lui es légère, fais naître en l'honneur du poète comique Machon le lierre dont on couronne les vainqueurs, et pares-en sa tombe ; car tu n'as pas dans ton sein un de ces plagiaires qui refont les oeuvres des autres, mais tu possèdes un poète dont les vers ont le mérite de l'art ancien. Aussi le vieillard peut dire: "Ville de Cécrops, il croît aussi du thym parfumé sur les bords du Nil, pour les Muses."
709. ALEXANDRE. - Sardes, antique demeure de mes aïeux, si j'eusse été nourri dans tes murs, je serais un pauvre artisan, ou un prêtre de Cybèle, richement vêtu et battant d'un beau tambour. Mais aujourd'hui, Alcman est mon nom, je suis citoyen de Sparte aux trépieds sans nombre, et les Muses héliconiennes dont je suis l'élève m'ont fait plus grand que les rois Dasyclès et Gygès.
710. ÉRINNE. - Stèle, et vous, mes Sirènes, et toi, urne funéraire qui contiens les cendres des morts, dites à tous ceux qui passeront près de mon tombeau, qu'ils soient de ma ville ou d'autres pays, dites un amical adieu, et que ce monument renferme une jeune mariée, dites-le aussi, et que mon père m'appelait Baucis, que j'étais de Ténos, afin qu'ils le sachent, et qu'Érinne, ma compagne, a gravé ces lignes sur mon tombeau.
711. ANTIPATER. - Déjà, dans une chambre dorée, le lit nuptial aux rideaux de safran était préparé pour la jeune Clinarète de Pitane. Sa belle-mère Démo, Nicippe son beau-père, espéraient qu'ils allaient prendre les flambeaux d'Hyménée et de leurs bras étendus en agiter la flamme. Mais une maladie a enlevé la jeune fille et l'a plongée dans le gouffre de l'oubli. Ses compagnes, au désespoir, au lieu d'organiser des choeurs de danses, ont chanté l'hymne funèbre du dieu des morts.
712. ÉRINNE. - Je suis le tombeau de la jeune mariée Baucis. En passant près de la pierre arrosée de pleurs, dis au dieu des morts : "Pluton, tu es un dieu jaloux," et si tu regardes mes symboles divers, ils t'apprendront le sort cruel de Baucis, comment son fiancé la brûla sur le bûcher avec les mêmes torches qui auraient fait la joie de l'Hymen. Et toi, Hymen, tu changeas tes doux chants de noces en cris funèbres de deuil.
713. ANTIPATER. - Les poésies d'Érinne ne sont ni nombreuses ni longues, mais le peu de vers qu'elle a laissés ont obtenu le suffrage des Muses. Aussi sa mémoire s'est conservée, elle n'a pas été obscurcie par l'aile sombre de la nuit fatale. Mais nous, passant, nous poètes nouveaux, nous nous consumons par milliers dans l'oubli. Combien la petite mélodie des cygnes est préférable au chant criard dont les geais remplissent au printemps les nuées !
714. ANONYME. - Je chante la cité de Rhégium, qu'à l'extrémité de l'humide Italie baigne sans cesse la mer de Sicile ; je la chante, parce qu'elle a déposé sous un orme touffu Ibycus, le poète qui aima la lyre et les vers, les beaux garçons, et qui goûta toutes les voluptés, parce que sur sa tombe (271) elle fait croître en abondance le lierre et des roseaux aux blanches aigrettes.
715. ANONYME ou LÉONIDAS. - Je gis bien loin de la terre d'Italie et de ma patrie Tarente, et cela est plus amer pour moi que la mort. Vivre à l'étranger, ce n'est pas vivre; mais les Muses m'ont souri, et aux peines a succédé la joie. Le nom de Léonidas me survit ; les dons mêmes des Muses [, mes vers,] me rendront célèbre dans tous les siècles.
716. DENYS DE RHODES. - Avant le temps, mais bien regretté de nous tous habitants d'Ialyse, te voilà, Phénocrite, descendu sur les sombres bords du Léthé, n'ayant eu que peu de temps à cueillir les fleurs de la poésie. Autour de ta tombe gémit même l'insensible oiseau de Minerve. Non, rien d'égal à tes vers ne se fera entendre chez les races futures, tant que durera le monde.
717. ANONYME. - Naïades, et vous, frais pacages, dites aux abeilles qui partent pour leurs expéditions printanières, que le vieux Leucippe est mort en tendant des piéges par une nuit d'hiver aux lièvres agiles. Il ne peut plus soigner ses essaims, et les landes où paissent les troupeaux regrettent leur voisin d'Accra (272).
718. NOSSIS. - Étranger, si tu navigues vers la belle et poétique Mitylène, pour recueillir (273)les gracieux chefs-d'oeuvre de Sapho, dis aux Mityléniens qu'une femme de Locres, chère à Sapho et aux Muses, amis au jour des poésies égales à celles de la lesbienne (274), et qu'elle s'appelle Nossis. Va.
719. LÉONIDAS. - C'est ici la tombe de Tellène ; sous ce tertre, je renferme ce vieillard qui, le premier, sut faire des chansons bouffonnes.
720. CHAERÉMON. - O Clévas, en brandissant ta lance pour la possession de Thyrée, et en tombant sur le terrain contesté, tu n'es pas mort sans gloire (275).
721. LE MÊME. - Argos et Sparte avaient des combattants en nombre égal ; avec les mêmes armes nous engageâmes le combat : Thyrée était la prix de la victoire. Mais, des deux côtés, sans un instant d'hésitation, on renonça à toute idée de retour dans ses foyers, et c'est aux oiseaux que nous laissâmes le soin d'annoncer notre mort (276).
722. THÉODORIDAS. - Je pleure une victime de la guerre, Timesthène, fils de Molossus, mort étranger sur la terre étrangère de Cécrops.
723. ANONYME. - O Lacédémone, naguère invincible et inabordable, tu vois sur les bords de l'Eurotas la fumée des Achéens (277). Tes bois sont saccagés : les oiseaux, forcés de faire leur nid par terre, se lamentent, et les loups n'entendent plus de troupeaux bêler.
724. ANYTÉ. - Ton courage t'a perdu, Proarque (278), et en mourant tu as rempli la maison de ta mère Phédra de tristesse et de deuil ; mais le marbre de ta tombe proclame ce glorieux éloge que tu es mort en combattant pour ta chère patrie.
725. CALLIMAQUE. - Et toi aussi, Ménécrate d'Aenos (279), te voilà dans la tombe ! tu n'as plus été le plus fort. Quel vin t'a ainsi privé de la vie ? C'est le même sans doute qui a tué le Centaure. - Mon heure fatale était arrivée, et c'est injustement qu'on accuse de ma mort ce malheureux vin.
726. LÉONIDAS. - Le soir et le matin, la vieille Platthis a bien souvent repoussé le sommeil pour combattre la pauvreté ; arrivée au seuil de la blanche vieillesse, elle n'a pas cessé de chanter sa cantilène à la quenouille, à son auxiliaire le fuseau, et de parcourir avec les Grâces le stade de Minerve, travaillant à son métier jusqu'à l'aurore, y dévidant d'une main tremblante autour de ses genoux tremblants l'écheveau qui devait suffire à la trame, avec une adresse élégante. A quatre-vingts ans elle a vu les bords de l'Achéron, l'ouvrière Platthis qui avait fait de si beaux tissus et si bien.
727. THÉÉTÈTE. - Philéas passait pour ne le céder à personne en sagesse, et puisse l'envieux souffrir de cet éloge à en mourir ! Et cependant à quoi lui sert une réputation si flatteuse ? Chez Pluton Thersite est-il en rien moins honoré que Minos ?
728. CALLIMAQUE. - Vieille, je fus autrefois prêtresse de Cérès, ensuite des dieux Cabires, puis de la bonne déesse, et maintenant je ne suis que poussière, moi qui, dans les fêtes des dieux, marchais à la tête des choeurs de jeunes femmes. Deux enfants m'étaient nés, deux garçons, et c'est dans leurs bras que j'ai fermé les yeux, au terme d'une heureuse vieillesse. Passe sans t'attrister.
729. TYMNÈS. - Évéthé, fille de Tryton, n'est pas accouchée sous d'heureux auspices ; car elle ne serait pas morte ainsi, la pauvre femme et son enfant ne serait pas descendu avec elle chez Pluton : il n'a pas survécu à la dixième aurore.
730. PERSÈS. - Infortunée Mnasylla, pourquoi sur un tombeau cette peinture où l'on te voit pleurant ta fille , où l'on voit ta fille Neutima, expirant dans une couche laborieuse avec les ombres de la mort sur les yeux, et la tête appuyée sur le sein de sa mère ? Hélas ! Aristote son père, non loin d'elle, s'arrache les cheveux. Oh !que vous êtes à plaindre ! même morts vous n'avez pas oublié vos douleurs (280).
737. LÉONIDAS. - "Je m'appuie sur mon bâton ainsi qu'une vigne sur son échalas ; la mort m'appelle chez Pluton. Gorges, ne fais pas la sourde oreille. Que gagneras-tu à te chauter encore au soleil trois ou quatre étés ?" Ayant ainsi parlé sans faste, le vieillard se débarrassa du fardeau de la vie et s'en alla dans la région des morts.
732. THÉODORIDAS. - Cinésias, desservant de Mercure (281), tu es parti, sans te servir encore de bâton, pour aller payer à Pluton la dette que tu lui devais, lui portant, malgré l'âge, tes membres au complet et en bon état. L'Achéron, le porteur de contraintes, t'ayant trouvé un honnête débiteur, t'aime [et te garde].
733. DIOTIME. - Nous sommes deux vénérables vieilles du même âge, Anaxo et Clino, filles jumelles d'Épicrate, Clino prêtresse des Grâces, Anago prêtresse de Cérès, Nous avions quatre-vingts ans quand est venue pour nous l'heure fatale ; mais il n'y a pas à nous plaindre d'une telle abondance d'années (282) : nous avons aimé [plus longtemps] nos époux, nos enfants ; avant eux et les premières, étant plus âgées, nous avons été voir le doux Pluton.
734. ANONYME. - Étranger, ne passe pas si vite. - Et pourquoi ? - Il y a ici un mort qui a eu tout un choeur (283) de braves fils, dont la vieillesse a atteint le plus grand âge et qui a toujours été très-aimé des siens. - O vieillard, puissent tes enfants, toujours heureux, arriver aussi au terme extrême de la blanche vieillesse !
735. DAMAGÈTE. - Glorieuse ville de Phocée, voici les dernières paroles que prononça Théano au moment d'entrer dans l'éternelle nuit : "Hélas! que je suis malheureuse ! Apollichus, cher époux, tu parcours les mers sur ton rapide navire, et moi je vois la mort s'approcher. Ah ! que j'aurais voulu mourir en tenant ta main chérie dans ma main !"
736. LÉONIDAS DE TARENTE. - O homme, ne te rends pas malheureux en traînant une vie vagabonde, en roulant d'une contrée dans une autre ; non, ne te rends pas ainsi malheureux. Qu'une simple masure t'abrite, une masure que réchauffe un petit feu flambant. Sache t'en contenter, s'il s'y trouve un pain commun, d'une farine mal blutée, pétrie de tes mains dans une pierre creuse, si tu ne manques ni de pouliot, ni de thym, ni de ce gros sel amer si doux à mêler aux aliments.
737. ANONYME. - O trois fois malheureux, ici j'ai péri par le fer d'un brigand, et je gis sans que personne me pleure.
738. THÉODORIDAS. - Les Clides (284) de la mer de Chypre et les récifs de Salamine, un furieux coup de vent du midi t'ont fait périr, Timarque, avec ton navire et l'équipage. Infortuné, tes parents au désespoir ne t'ont pas déposé (285) dans la noire poussière du tombeau.
739. PHÉDIME. - Passant, je pleure Polyanthe, que son épouse Aristagora a mis dans ce monument, après avoir reçu sa cendre et ses os. Les vents orageux de la mer Égée l'ont fait périr près de Sciathe, et un matin des pêcheurs ont retrouvé son corps infortuné dans le port de Torone (286).
740. LÉONIDAS. - Je suis la tombe de Créthon, comme l'inscription le proclame ; mais Créthon n'est plus ici qu'un peu de cendre. Celui qui naguère avait une fortune égale à celle de Gygès, qui possédait de grands troupeaux de chèvres et de boucs, celui qui naguère .... Qu'ajouterai-je encore ? Celui qui était pour tous un objet d'envie, ne possède de tous ses vastes domaines, hélas ! que l'espace de son tombeau.
741. CRINAGORAS. - Othryade, l'orgueil de Sparte, Cynégire aux prises avec un vaisseau, les plus brillants faits d'armes, ne sont-ils pas surpassés par l'héroïsme du soldat romain Arius ? Sur les bords du Nil, étendu à demi mort sous les traits dont il est percé il voit l'aigle de sa légion enlevée par les ennemis. Aussitôt il s'élance du milieu des morts, tue le soldat qui emportait le trophée et remet à ses chefs l'aigle sauvée par son courage, ayant la gloire unique de mourir dans son triomphe.
742. APOLLONIDAS.- Timoclée, on ne pourra plus dire que tu es privée de la vue, ayant mis au monde deux enfants à la fois ; mais par plus d'yeux qu'une autre tu vois le char radieux du soleil, étant plus parfaite que tu n'étais auparavant (287).
743. ANTIPATER. - Moi Hermocratie mère de vingt-neuf enfants, je n'ai vu la mort ni d'un seul fils ni d'une seule fille. Les flèches d'Apollon ont épargné mes fils, et Diane ne m'a pas enlevé mes filles en mal d'enfant. Au contraire, elle les a assistées de sa présence dans leurs couches, et Apollon a conduit mes enfants jusqu'à la puberté sans qu'ils soient atteints de maladies. Aussi vois combien je l'emporte sur la fille de Tantale (288) et par le nombre de mes enfants et parla retenue de mes discours.
744. CRINAGORAS. - On dit qu'Eudoxe, étant à Memphis, voulut apprendre sa destinée du taureau aux belles cornes. L'animal ne répondit rien ; un boeuf peut-il parler ? Apis n'a pas reçu de la nature l'usage de la voix ; mais, placé à côté d'Eudoxe, il lécha son habit, annonçant clairement par là que sa vie serait courte. En effet, il ne tarda pas à mourir, après avoir vu cinquante-trois fois se lever les Pléiades (289).
745. ANTIPATER. - Ibycus, des brigands t'assassinèrent, après t'avoir déporté sur la plage d'une île déserte ; mais tu imploras une bande de grues qui passaient non loin de cette scène de meurtre, et tu n'imploras pas en vain leur témoignage ; car c'est par leurs cris que la vengeresse Érinnys dans la cité de Corinthe, punit ton assassinat (290). Cupides et impitoyables brigands, comment n'avez-vous pas craint la colère des dieux, de ces dieux qui autrefois, punirent le meurtrier du poète (291) de Clytemnestre et livrèrent Égisthe aux noires Euménides ?
746. PYTHAGORE. Sur un tombeau de Jupiter en Crète. - Ici gît le grand Zan (292) qu'on appelle Jupiter.
747. LIBANIUS. - Ici est inhumé Julien, qui mourut après avoir franchi le Tigre au cours impétueux, à la fois excellent empereur et vaillant guerrier (293).
748. ANTIPATER DE SIDON.
- Quel Cyclope a construit ce palais tout de pierre d'une Sémiramis
assyrienne (294) ? Ou quels géants, fils de la terre ont élevé jusqu'aux sept Pléiades cette tour, droite, inébranlable, égale au pic de l'Athos, poids énorme qui pèse sur la vaste
terre (295) ? Non, c'est l'oeuvre d'un peuple qui a disparu pour
toujours ; il avait ainsi préparé aux villes la voie d'Hercule qui conduit par delà les nuages.
(1)
Ile des Cyclades.
(2) Voy. le peuso-Hérodote, Vie d'Homère, 36.
(3) Autre île des Cyclades, près de l'Eubée.
(4) C'est Homère qui parle.
(5) Allusion au poème célèbre qu'Érinne avait composé sur le fuseau, hêlakatê
(6) Lisez enth' hoge loisthon, au lieu de eith' hoge Ludos.
(7) Le raisin était consacré à Bacchus qui présidait à la tragédie ; il y a peut-être ici une allusion au prix remporté par Sophocle au moment de sa mort.
(8) Au lieu de pollakis en, lisez pollakis hon.
(9) En lisant barbitôi agkrouou.
(10) En lisant kou skolias.
(11) Thèbes de Béotie.
(12) Boupaisi rappelle la fin de l'épisode d'Aracée, Géorg. IV.
(13) Bacchus, le dieu de la tragédie, interpelle le passant.
(14) Sophocle, appelé Seirês hê nea avait une sirène sur son tombeau ; voy. Pausanias, I, 22.
(15) C'est à Phlionte, ville du Péloponése, que la tragédie fut, dit-on, inventée.
(16) Aitia, les Causes, est le tifre de l'ouvrage de Callimaque auquel il est fais allusion.
(17) Il s'agit d'Euripide.
(18) A cause de l'odeur du cadavre foudroyé.
(19) C'est l'urne ou le tombeau qui parle.
(20) Voy. Diog. Laërte, IX, 7.
(21) Felôs. vol. la Bibliothèque d'Apollodore, I, 5, 1.
(22) Platon s'était d'abord appelé Aristoclès.
(23) Thémistocle et Épicure qui, l'un et l'autre, eurent un Néoclès pour père.
(24) Au lieu de kenon, avec Grotius lisez kakon.
(25) Simonide avait inhumé un cadavre gisant sans sépulture. L'ombre du mort l'avertit de ne pas se mettre en mer le lendemain. Ses compagnons, qui s'étaient rembarqués, périrent. Le poète reconnaissant décora la tombe du mort de ce distique. Voy. Valère Maxime, I, 7.
(26) Au lieu de akra, je lis astra qui fait allusion aux katasterismoi d'Eratosthène.
(27) A Pharos, en Égypte, où Protée régna.
(28) En lisant avec Jacobs dax gar kai tok' helôn.
(29) Il manque un distique.
(30) Aêdones, carmina. il s'agit ici d'un poète Héraclite, non du philosophe.
(31) Timon, dans Diog. Laërte, 1, 34, qualifie Thalès de sage des sages, epta Thalêta sophon sophôn.
(32) Axones, essieux de char et tables sur pivot où l'on inscrivait les lois, donne lieu à un jeu de mots intraduisible.
(33) Allusion à la douceur de sa législation.
(34) Akoniton, akoniti font le sel assez fade de cette épigramme. Grotius est parvenu à traduire le calembour : ille nihil contra niti, sed pocla acontini sumere.
(35) C'est-â-dire dans le ciel où seulement peuvent se réaliser sa république et ses mariages.
(36) Eu lisant avec Jacobs ei moi prosechêis, apo chrismôn.
(37)Démetrius de Phalère.
(38) Il avait tait mettre un serpent dans son lit à sa place.
(39) L'hypoténuse. Voy. Diog. Laërte, VIII, 1.
(40) La lave de l'Etna.
(41) Kratêr signifie coupe et cratère.
(42) Épicharme était de l'île de Cos.
(43) En liant avec Jacobs autou hessato sôma gaian, psucha d'alt'eis ouranous.
(44) Tyran de Chypre.
(45) Lisez diasteilasa gnaphois.
(46) Tenendum est crebrius sputum ejicere nasumque emungere, veteribus turpius fuisse visum quam nobis. (Jacobs.)
(47) Au moyen de l'hygiène.
(48) En lisant eis thanaton.
(49) Roi de Phrygie. Voy. Hérodote, vie d'Homère, XI.
(50) Voy. Pausanias, I, 43.
(51) Bion, allusion à ses comédies que Suidas appelle biologiques.
(52) Père d'Alexandre le Grand, vers 358 av. J. C.
(53) Avec Planude, avec Grotius, lisez doulos au lieu de Ludos.
(54) En lisant dzêsô d'ôn sos ap'êeliou.
(55) Surnom de Pluton.
(56) En Macédoine, prés d'Orope.
(57) Voy. I'épigr. ci-dessus, 194.
(58) Avec la leçon kai sph'etreph'hupnigiôi chêramenê (gaudens).
(59) Au lien de lare, mouette, oiseau vorace et sale, je lis comme Planude et avec Meineke, phil'elaie.
(60) C'est une cigale qui parle.
(61) Lisez paidos apênaiou.
(62) Sur un coq.
(63) Vulcain était le père d'Érichthonios, aïeul de Philomèle changée en rossignol, et de Procné changée en hirondelle.
(64) Aithuia, en latin mergus, plongeon, oiseau de mer.
(65) Au lieu de kuma polupsammous, lisez avec Jacobs kumata lips anemos s'.
(66) En lisant xeinês kainon.
(67) Voy. l'épigr. ci-après 324.
(68) Ville de Laconie.
(69) Voy. Ausone, épigr. 23.
(70) II mourut â Magnésie, ville de Lydie, âgé de soixante-cinq ans. Voy. Plutarque, Vie de Thémistocle, 30-34.
(71) "Général, vous êtes grand comme le monde," dit en Égypte Kléber à Bonaparte.
(72) Ville dle Macédoine où les rois étaient inhumés.
(73) Hêmeterou, Alexandre le Grand.
(74) Voy. Plutarque, vie d'Alexandre, 14 : Anikêtos ei ô pai.
(75) Lisez ereiêi.
(76) Nux ek nuktos, la nuit des enfers.
(77) Les Spartiates et Léonidas morts aux Thermopyles, 480 av. J. C.
(78) Voy. Hérodote, V, 455.
(79) A la bataille de Cynocéphles. Voy. Plutarque, Vie de Flaminius, XI.
(80) Voy Hérodote, VII, 228.
(81) Voy. Hérodote, VI, 119.
(82) Dans sens de hoi Athênaioi, comme deute, paides tôn Hellênôn, pour Hellênes.
(83) Rivière de Pamphylie, près de laquelle Cimon vainquit les Perses, 370 av. J. C.
(84) Voy. Pausanias, V, 25.
(85) Heis taphos, mieux hen skaphos.
(86) En lisant avec Jacobs têi xenos ôn, vauêge, .... s'euren.
(87) Jacobs remplace aiein par ai ai.
(88) En remplaçant ai par eu.
(89) En reconnaissance de la victoire remportée par Cimon, l'an 470, à l'embouchure de l'Eurymédon. Notez que Simonide de Céos était mort en 446 ; c'est donc une fausse attribution.
(90) Lucius Mummius prit et brûla Corinthe 146 ans avant J.-C.
(91) Les Corinthiens n'avaient pas pris part au siège de Troie.
(92) En Istrie, fondé par les Cholques, Phugadôn asturon, la ville des réfugiés. Voy. Lycophron, V. 1022.
(93) En serais-tu moins mort ? est sous-entendu.
(94) Cf. Pensées de Marc Aurèle, V, 19.
(95) Voy. plus bas les épigr. 356 et suiv.
(96) Le mot de cet énigme est probablement Niobé. Voy. Ausone, Épitaphes, 29.
(97) Historia obscura. Jacobs. Voy. Salluste, Catil. LXI.
(98) Idoménée et Mérion, son neveu, étaient honorés en Crète comme des héros protecteurs du pays.
(99) C'est la fin de l'épigr. ci-dessus 224.
(100) Inscription, disait Aristote, plus digne d'être mise sur la fosse d'un boeuf que sur le tombeau d'un roi (Cicéron, Tuscul. V. 35).
(101) Très belle parodie de l'épigramme précédente.
(102) Lisez ou klasei en stadiôi. Aenigmatis haec speciem habent. Jacobs.
(103) En lisant lêthên odunês.
(104) Un lion de pierre fut érigé sur le tombeau de Léonidas, par allusion à son nom et à son courage. Voy. Hérodote, VII, 225, et 1 épigr. ci-dessus 243.
(105) Voy. Athénée, VIII, p. 335.
(106) Voy. ce serment dans l'épigramme qui suit.
(107) Corinthe, l'ancienne Éphyre, fondée par Sisyphe.
(108) Voy. plus haut l'épigr. 310.
(109)
Dans Planude il y a de plus ces deux vers
:
Terpet' hama Dzêni kai alloisi makaressin.
Athanaton de poiein oude theos dunatai.
(110) Au lieu de Tetmemanês, lisez Mnêm'aretês hode.
(111) En lisant ch' hippelataisi.
(112) Adonis.
(113) C'est pour cela que Thèbes fut appelée la ville de Jupiter, Diospolis.
(114) Phlegmata, pus atque venenum, d'Horace, Sat., I, 7, I.
(115) Au lieu de baton, lisez paton, comme apobaton.
(116) Au lieu de humenaion epi lisez sunevaion, heni.
(117) C'est la mer Tyrrhénienne qui interpelle Dicéarchie, depuis Puteoli, aujourd'hui Pouzzoles, où était le portus Julius, construit par M. Agrippa, l'an 710 de Rome.
(118) Lisez avec Brunck ek mastôn thermon etêxagala, et plus bas remplacez arithmous, hê par arithmos, hôi.
(119) Deux villes de Macédoine.
(120) Empoisonné par Pison, à Antiocbe, l'an de Rome 771.
(121) Frigidum acumen ! Jacobs.
(122) Au lieu de ouk onotên, lisez ogrôtên.
(123) Variante, akroumai trapherêi.
(124) Voy. Pline, Hist. nat. XXVI, 5, 2.
(125) Scazons ou choliambes, iambes boiteux.
(126) Dans l'île de Lesbos.
(127) Cf. Quintilien, Instit. orat., X, I, 53.
(128) Remplacez trithun par trugikon et athlôn par aithôn.
(129) Cf. Horace, Art poét. 278.
(130)En lisant charron lam' ên.
(131) Poète du troisième siècle av. J. C., l'auteur de la Ilarotragôdia, tragédie gaie, ou des pluakes tragikoi d'où lui vint le surnom de pluakographos.
(132) Callimaque de Cyréne, fondée par Battus.
(133) Ob ingenium culturam altera Attica, Jacobs.
(134) Ménippe était un cynique aimant l'élégance et les arts, dont les satires ou ménippées ont servi de modèle à Lucien.
(135) Ou ménippéennes, menippeiais, comme dans l'épigramme précédente.
(136) En lisant epei ouk ôidas, ou chorou oid'Acherôn.
(137) Au lieu de logos, lisez legeis.
(138) Au lieu de Latrôias, lisez allôs oud'.
(139) Remplacez tumbos, timel, par tumbôi Timalos.
(140) L'Alexandre, l'Éphèbe, l'as ou Chios, comme en latin Canis, Venus, sont des dénominations de coups de dés.
(141) Peut-être le dé marquait-il l'as ou Chios, d'où il résultait une allusion au vin qu'aimait trop le poète.
(142) Un phi vaut 600, deux phi mille ou chilias.
(143) Voy. Hérodote, I, 82, et l'épigr. ci-après 526.
(144) Seul des sept chefs, ce roi d'Argos ne périt pas devant Thèbes et revint dans son royaume.
(145) Sperchomenos, peut-être truchomenos.
(146) Morborum mala saeva. Grotius.
(147) En lisant echois au lieu de echeis.
(148) La Grèce est ici pour Sparte, ad augendam rei magnitudinem, dit Jacobs.
(149) Lisez empsuch' apsuchous hade.
(150) Aux saturnales peut-être.
(151) C'est-a-dire distinguer les esclaves des maitres.
(152) Ville de Crète.
(153) Jacobs propose: chtonoi, Minôi ton andra touton Krêtaiei Krêta.
(154) Les Aphrodisia schêmata étaient l'oeuvre infâme de Polycrate d'Athènes. Voy. Athénée, VIII, p. 335.
(155) De la Doride, partie occidentale de la Carie.
(156) Au lieu de ponon, lisez spodon ou stonon.
(157) C'était le costume des éphèbes.
(158) En remplaçant hagnôs par allôs, seulement.
(159) Un des dèmes de l'Attique.
(160) Dans cette île, les vieillards mettaient fin à leur vie en buvant de la ciguë dans un banquet (Elien, Hist. div., III, 37).
(161) Le Phédon ou de l'âme. Voy. Cicéron, Tuscul, I, 34, et la note de M. Victor Le Clerc.
(162) Les
dix vers qui suivent sont indéchiffrables ; ils ont été remplacés dans l'Anthologie de Planude par ce distique dont la moralité est par trop stoïcienne
:
Cheimerian dzôên hupaleuso, neio d'es hormon,
Hôs kêgô Pheidôn ho Kritou, eis Aidên.
(163) Fêtes de Bacchus revenant tous les trois ans, dont parle Virgile, Éneide, IV, 302.
(164) Au lieu de hêra lisez hêrô, in trietericis praecellentem.
(165) On brûlait tes morts en dehors des portes et des murs.
(166) Filiae, defunctis maritis, ad parentes redire solent, Jacobs.
(167) Voy. M. Sainte-Beuve, Méleagre, p. 499.
(168) Lisez touto .... epi kardion. -
(169) Lisez Eleuthernês. C'est une ville de Crète.
(170) Leurê plutôt que gurê.
(171) Amphipolis, en Macédoine.
(172) Lisez humeteraisi thaleiais.
(173) Ek kephalas, c'est le katakrêthen d'Homère, Iliade, XVI, 648.
(174) La prise de Corinthe par les Romains est de l'an 146 av. J. C.
(175) Entre Mégare et Corinthe.
(176) En lisant oude tach'.
(177) En lisant Hê spilas.
(178) V0Y. Nisa dans Étienne de Byzance : il y avait dix villes de ce nom.
(179) Torone et Amphipolis, villes de Macédoine.
(180) Strumoniês ou Strumonias est synonyme de Borée.
(181) Cf . Homère, Odyssée, V, 163, et Virgile, Énéide, VI, 232,
(182) Formé de pauein anias, faire cesser le mal.
(183) C'est le Téare d'Hérodote et de Pline, fleuve de Thrace.
(184) Au lieu de didzesthai, lisez avec Jacobs Keropidên.
(185) Au lieu de pellaiou lisez chermadiou.
(186) Voy. plus haut les épigrammes 430 et 431.
(187) Nomina ignobilium in Thessalia vicorum. Brunck.
(188) Niobé. Magniloquos luis impia flatus. Stace, Théb., III, 192.
(189) En lisant lukaina.
(190) Le dieu de la pluie, Jupiter pluvius.
(191) Probablement cette inscription se lisait sur une statue de Pan placée à l'entrée d'une ville.
(192) En lisant vausêgou, au lieu de dustênou.
(193) Ces distiques, très médiocres, n'ont d'excuse, comme ceux de l'épigramme suivante, qu'en ce qu'ils sont isopséphes. (Voy. les épigr. votives 321, 322 , etc.)
(194) Voy. l'épigr. ci-dessus 530 et là note de l'épigr. 548.
(195) Fille d'Esculape et d'Épione.
(196) Sophiste ; voy. dans les épigrammes descriptives l'épigr. 661.
(197) Au lieu de goöi, lisez morôi.
(198) Mundum mundo suo (ornamento) privare voluit. Jacobs.
(199) Faute d'auditeurs.
(200) Le pantomime Chrysomalle avait été honoré peut-être d'une statue d'airain, chalkeon. Plus probablement il y a là un souvenir du ckalkeon hupnon d'Homère, Iliade, XI, 241. Ce qui est certain, c'est la mauvaise antithèse de Chruseomalle et chalkeon.
(201) Fille de Priam.
(202) Voy. Lycophron, Alexandra, 315.
(203) Au lieu de echein, lisez helein pour anelein.
(204) ên, lisez chrên.
(205) Gygès. Voy. Hérodote, I, II.
(206) Musicien inconnu.
(207) Plutarque a écrit les vies des dix Orateurs.
(208) Sans doute pour régler ses affaires.
(209) Voy. Tacite, Annales, IV, 62.
(210) Philosophe. Voy. les Biographoi de Westermann, p 433.
(211) Fontaine d'Antioche, en Syrie.
(212) Vigilantia, soeur de Justinien, dont Jean épousa la fille, Praejecta.
(213) Hipatius, neveu de l'empereur Anastase, que le peuple romain avait couronné malgré lui, fut mis à mort par l'ordre de Justinien, et jeté ensuite à la mer. L'empereur lui fit plus tard élever un tombeau.
(214) Soeur du poète Agathias.
(215) Au lieu de pumaton drumon, lisez pênuton thronon.
(216) En lisant moun' ou thêluterês. C'était un contralto. Mounê est rendu par eximie.
(217) Planude appelle cela une épigramme railleuse, epigramma tôthastikon.
(218) Diogène, évêque d'Amisus, auj. Samsoun, à l'est de Sinope.
(219) Athènes où Mopsus régna.
(220) Il ne s'agit pas du ponte tragique.
(221) Sardôô, de là le rire sardonique.
(222) Entre Carthage et Cyrène.
(223) Brunck remplace êpeirou par auchmêra
(224) En lisant ethêke thean.
(225) Ville de Bithynie.
(226) Au lieu de ide theion anakta, Brunck a lu ideth' eio anakta.
(227) Cujus tabulis cadaver semiustulatum est. Brodeau.
(228) Minerve y avait enchâssé un morceau du chêne prophétique de Dodone.
(229) Iles de la mer Ionienne, prés des Échinades.
(230) En Locride, prés du golfe Maliaque.
(231) Remplacez aploiêi par apnoiêi et nautais par kôpais.
(232) Au lieu de trissakis, lisez tossakis.
(233) Hebrou, variante Surou.
(234) D'offrandes, anathêmata pour le dieu de Délos.
(235) Philosophe qui suivit la fortune d'Antoine et de Cléopatre.
(236) Les soldats romains.
(237) "Vix integrum carmen." Jacobs.
(238) Euripide, Iphig. en Tauride, 57 : Stuloi gar oikôn eisi paides arsenes.
(239) Le nom du défunt était sur le cénotaphe, keneê chthôn.
(240) Lisez ou Trêchis lithiaios.
(241) Promontoire de file Icarie.
(242) En lisant kechlusmenou, au lieu de keklaumenou.
(243) Au lieu de thanonta, lisez philountes.
(244) Sans doute comme cultivateur ou jardinier.
(245) Voy. la traduction d'André Chénier, Idylles, XVII.
(246) En lisant humnothetêis pour humnothetais.
(247) Remplacez akikus par akoinos.
(248) C'est-à-dire bonne, utile, serviable.
(249) Peut-être is anemou.
(250) Galênê, Néréide, la Sérénité des mers.
(251) Lisez Dakoisi.
(252) Voy. Hérodote, VII, 221.
(253) Parmi les Lapithes et les Centaures.
(254) C'est-â-dire d'Alexandrie.
(255) Gessios, chesein dégoûtant jeu de mots.
(256) Au lieu de mêketi lisez avec Grotius mêden.
(257) Astrologois alogois, mauvais jeu de mots.
(258) En lisant propôton au lieu de to prôton.
(259) Il y a dans l'abîme quelque chose qui attire, kataspâi.
(260) Le poète joue sur le nom Philoprêgmôn, qui aime â se mêler des affaires des autres.
(261) Le satyre Marsyas.
(262) C''est la ville d'Épidamne, (depuis Dyrrachium, aujourd'hui Durazzo) qui parle.
(263) Son nom était écrit sur le cippe.
(264) Onoma, comme dans l'épigramme plus haut, 639.
(265) En Bithynie.
(266) Lisez Hippeias ou hexamitou à six brins.
(267) Lisez agnumenê, manière de tuer le poisson encore usitée.
(268) Voy. Cicéron, de Finibus, III, 19 ; Suétone, Néron, 38.
(269) Aegidae sunt Athenienses ab Aegeo vocati. Jacobs.
(270) En lisant ouresi, au lieu de ou cheri.
(271) Ainsi Ibycus, assassiné près de Corinthe, fut rapporté et inhumé à Rhegium. Ce fait n'est connu que par cette épigramme.
(272) L'Accra d'Hésiode en Béotie.
(273) Lisez enausomenos, sibi sumpturus (Jacobs).
(274) Lisez Tikten isas (charitas), hoti th'hoi tounoma.
(275) Lisez Kleuas, ou ti moi akleios, huper Thureas, et à la fin gaian ephessamenos.
(276) Voy. plus haut l'épigramme 431.
(277) Lacédémone succomba sous les efforts de la ligne achéenne vers 138 avant J. C.
(278) Lisez ê rha menos se Proarch' ôles' en dai, dôma te mêtyros Phaidras en.
(279) Ville de Thrace. Les Thraces étaient de grands buveurs.
(280) La peinture ou la sculpture (graptos tupos) les perpétue.
(281) Peut-être Hermeolatri. Mercure est le dieu de la banque, et Cinésias était sans doute banquier.
(282) En lisant ou phthonos aphthonias.
(283) Remplacez hêd' ên par choros ên.
(284) Groupe d'îles, à la pointe orientale de Chypre.
(285) Lisez konin d'ou s'amphi melainan.
(286) Ville de la Chalcidique, en Macédoine.
(287) Avant d'être mère ; la femme qui n'a pas d'enfant étant pour ainsi dire incomplète, infirme.
(288) Niobé .
(289) Au lieu de paidas, lisez Pleiadas.
(290) L'assassinat du poète Ibycus. Voy. Plutarque, Du trop parler, XIV.
(291) Voy. Homère, Odyssée, III, 267.
(292) Dzan, dorien pour Dzên, Dzeus Jupiter. Dzanô, Junon.
(293) C'est un vers de l'lliade, III, 179, au sujet d'Agamemnon.
(294) II s'agit sans doute de la tour et du temple de Bélus.
(295) Au lieu de
phurêthen, de Hêrakleiês, de ouraniôn, lisez purgôthen,
Hêracklêos, atrapiton.