Anthologie grecque
ÉPIGRAMMES ÉROTIQUES.
(Édition de Jacobs, t. I, p. 83 ; de Tauchnitz, t. I, p. 58.)
I. ANONYME. - Pour allumer dans les jeunes coeurs une ardeur de poésie, je ferai de l'Amour le sujet de mes vers et commencerai par lui, car il met sa flamme aux vers qu'on lui adresse.
2. ANONYME. - Cette Sthénélaïs pour laquelle brûlent les cités, qui se met à si haut prix, qui soutire les trésors de ceux qui la désirent, un songe pendant une nuit entière l'a mise à mes côtés, nue et se prodiguant pour rien jusqu'à l'aurore. Je n'implorerai plus à genoux la cruelle, je ne pleurerai plus sur mon sort, ayant un sommeil qui procure sans frais tant de bonheur.
3. ANTIPATER DE THESSALONIQUE. - L'aube est venue,
Chrysilla ; depuis longtemps le coq matinal annonce l'arrivée de la jalouse Aurore. Sois maudit, ô de tous les oiseaux le plus odieux, toi qui me renvoies du logis pour les leçons qu'attend une foule
d'écoliers. Tithon, tu es bien vieux ; autrement chasserais-tu ainsi de ta couche l'Aurore ta
compagne ?
4. PHILODÈME. - Philénis, après avoir abreuvé d'huile la lampe, muette spectatrice de nos ébats, sors ; car l'amour n'aime pas un témoin vivant ; et ferme bien la porte, Philénis. Toi, Xantho, baise-moi, ô charmante maîtresse, et apprends ce qui te reste à savoir des mystères de Cypris.
5. STATYLLIUS FLACCUS. - Je suis la lampe, témoin fidèle des nocturnes amours, que Flaccus a donnée à l'infidèle Napé. Près de son lit je me consume, en voyant les infamies de toute nature de sa parjure amante. Flaccus, des soucis cuisants te tourmentent ; ils te privent du sommeil, et tous les deux nous brûlons, moi d'un côté, toi de l'autre.
6. CALLIMAQUE. - Callignote jura qu'Ionis lui serait toujours plus chère qu'aucun autre ami, qu'aucune autre amante ; il le jura, mais qu'on a eu raison de dire que les serments d'amour n'entrent pas dans les oreilles des dieux (26) ! Car maintenant un beau jeune homme brûle Callignote de tous ses feux, et de la malheureuse jeune fille il n'est pas plus question que des Mégariens.
7. ASCLÉPIADE. - O lampe, devant toi Héraclée a juré trois fois qu'elle viendrait, et elle ne vient pas. O lampe, si tu es une divinité, punis la trompeuse : lorsqu'elle prendra ses ébats, me tenant dans ses bras avec amour éteins-toi refuse-lui ta lumière.
8. MÉLÉAGRE. - Nuit sacrée, et toi, Lampe, nous n'en avons pas pris d'autres à témoin dans nos serments, mais à vous seules nous jurâmes l'un et l'autre, lui de m'aimer toujours, moi de ne le quitter jamais. Nous l'avons juré, et vous avez reçu la double promesse ; et maintenant il dit, lui, que nos serments ont été écrits (27) sur l'onde, et toi Lampe, tu le vois dans les bras des autres.
9. RUFIN. - Moi Rufin, à ma délicieuse Espis joie et bonheur ! Mais peut-elle en avoir sans moi ? Non, par tes yeux que j'atteste, il m'est impossible de rester plus longtemps loin de toi : la solitude de ma couche m'est insupportable. Toujours en pleurs, je vais sans trouver de soulagement dans la cité de Crésus, dans le temple de la grande Diane. C'en est fait, demain je retourne au pays, et je volerai vers toi, pour te redire encore mille fois adieu, adieu.
10. ALCÉE.
- Maudit soit
l'amour ! Car pourquoi ne lance-t-il pas ses traits contre les bêtes sauvages, plutôt que d'épuiser sur mon coeur son
carquois ? Est-il surprenant que le flambeau d'un dieu me brûle et me consume ? Et qu'y a-t-il de glorieux dans sa victoire sur un pauvre
mortel (28) ?
11. ANONYME. - Si tu sauves, ô Cypris, ceux qui sont
en péril sur mer, sauve-moi aussi, déesse propice, du naufrage sur cette terre, sauve-moi : je vais périr.
12. RUFIN. - Baignons-nous, couronnons-nous de fleurs, Prodicé ; pour boire, prenons des coupes plus grandes. Bien courte est la vie : jouissons-en. La vieillesse viendra bientôt entraver nos plaisirs ; et la mort, c'est la fin de tout (29) !
13. PHILODÈME. - Charito est près d'atteindre soixante ans ; et de longs cheveux noirs parent encore sa tête, sur sa poitrine s'arrondissent deux seins de marbre qui se passent encore d'une ceinture pour les soutenir, sa peau sans ride exhale encore l'ambroisie, la séduction, mille sortes de grâces et d'attraits. Allons, vous tous qui ne fuyez pas les amours provocants, venez ici sans songer au nombre des années.
14. RUFIN. - Les baisers d'Europe sont pleins de douceur, quand ils approchent des lèvres, quand ils effleurent la bouche ; mais elle ne les donne pas seulement du bout des lèvres, elle appuie sur la bouche ; et alors c'est l'âme qu'elle aspire jusqu'au bout des ongles.
15. LE MÊME. - Qu'est devenu Praxitèle ? Où est mainteriant Polyclète, dont la main donnait autrefois le souffle et la vie au marbre même ? Qui reproduira la chevelure parfumée de Mélite, ses yeux de flamme, l'éclat de son cou ? Où sont les statuaires ? où sont les sculpteurs ? Il faudrait pour une telle beauté avoir un temple comme pour une statue des dieux.
16. MARCUS ARGENTARIUS. - Lune aux cornes d'or, et vous, astres étincelants que l'Océan reçoit dans son sein, vous le voyez, la belle Aristé m'abandonne, elle est partie ; depuis six jours je ne puis trouver l'enchanteresse. Allons, mettons-nous a sa piste. Je vais sur ses traces lancer la meute de Cypris, des limiers en métal, de bons écus.
17. GÉTULICUS. - O toi qui veilles suri les rivages battus par les flots, je t'apporte des gâteaux secs et de modestes offrandes. Demain je traverserai les vastes ondes de la mer Ionienne, pressé d'arriver au port (30) de ma chère Idothée. Oh ! brille d'un éclat propice sur mes amours et sur mon navire, reine auguste des amants et des navigateurs (31).
18. RUFIN. - Bien mieux que les grandes dames, nous recherchons leurs suivantes, nous qui ne trouvons pas de charme aux splendides intrigues. Celles-là ont une peau parfumée, un regard altier, une escorte qui n'est pas sans péril ; celles-ci ont une peau aussi douce, une grâce avenante, une couche accessible ; les dons de la fortune ne leur inspirent pas d'orgueil (32). J'imite Pyrrhus, le fils d'Achille, qui préféra l'esclave Andromaque à la fière Hermione.
19. LE MÊME. - J'étais naguère passionné pour les garçons. je suis maintenant passionné pour les femmes ; maintenant le crotale me tient lieu de disque. Au lieu de la peau sans fard, sans artifice des garçons, ce qui me plaît c'est le gypse, le fard, la céruse, une fraîcheur, un éclat d'emprunt. [De quoi s'étonner désormais ?] Les Dauphins vont jucher dans les bois d'Érymanthe ; les flots écumants de la mer vont servir de gîte aux cerfs rapides.
20. ONESTE. - Je n'ai nulle envie d'épouser ni une jeune fille, ni une vieille femme. L'une m'inspire de la pitié, et l'autre du respect. Je ne veux ni d'une grappe de verjus, ni d'une grappe de raisin sec : la beauté qui est à point se trouve bien mieux faite pour la couche de Vénus.
21. RUFIN. - Ne te disais-je pas, Prodicé : "Nous vieillissons ?" Ne t'ai-je pas avertie que bientôt viendrait ce qui met en fuite les amours ? Maintenant sont venus les rides, les cheveux blancs ; la bouche a perdu ses grâces ; les attraits sont en ruine. Qui s'approche encore de la fière Prodicé pour la flatter, pour la supplier ? personne. Nous passons maintenant devant toi comme devant un tombeau.
22. LE MÊME. - L'amour qui fait de doux présents t'a gratifiée de mes services et de ma liberté, Boôpis ; il m'a mis sous un joug que je porte bien volontiers, taureau (33) soumis, obéissant, dévoué. L'indépendance me serait amère, et j'espère bien garder ma chaîne jusqu'à l'extrême vieillesse. Ah ! que jamais le mauvais oeil n'exerce sa funeste influence sur mes espérances et mes voeux.
23. CALLIMAQUE. - Puisses-tu dormir, Conopion, comme tu me fais dormir sous ce portique glacé ! Puisses-tu n'avoir pas d'autre lit, cruelle, que celui où tu laisses ton amant ! Quoi ! pas le moindre sentiment de pitié ! Les voisins sont émus de compassion ; mais toi, pas même en songe (34). Ah ! bientôt les cheveux blancs te rappelleront toutes ces rigueurs et me vengeront.
24. PRILODÈME. - Mon âme m'avertit de fuir l'amour d'Héliodora, sachant bien ce qu'il en coûte de pleurs et de tourments. Tel est son langage ; mais je n'ai pas la force de fuir cet amour, car elle-même, l'effrontée, en me parlant ainsi, aime Héliodora.
25. LE MÊME. - Toutes les fois que, soit de jour soit de nuit, j'ose voler dans les bras de Cydille, je sais bien que je cours sur les bords d'un abîme, je sais bien que je risque un coup de dé dont la vie est l'enjeu. Mais que m'importe et qu'y puis-je ? L'amour est téméraire, et partout où il se précipite, il n'a pas le moindre sentiment de peur.
26. ANONYME. - Soit que je te voie, ô ma reine, avec des cheveux noirs, soit qu'une couronne de blonds cheveux te pare, ta grâce est la même et brille du même éclat. Je suis sûr que tes cheveux, fussent-ils blancs, serviraient encore d'asile aux Amours.
27. RUFIN. - Mélissa, qu'est devenue cette beauté brillante, admirée, ce grand air qu'on vantait ? Où sont tes fières allures, ton maintien superbe, ces anneaux d'or qui paraient tes pieds ? Maintenant ta tête est chauve ; plus de cheveux ; à tes pieds des savates. Voilà donc comme finissent les fastueuses courtisanes !
28. LE MÊME. - Tu me dis bonjour, maintenant que tes joues ne sont plus lisses comme le marbre et deviennent
piquantes ; tu folâtres avec moi, maintenant que tu as coupé ces cheveux qui se déroulaient sur tes fières épaules. Orgueilleux, n'approche plus de
moi ; que je ne te trouve plus sur mes pas : car au lieu de la rose je n'accepte pas une ronce.
29. CILLACTOR. - Un baiser est une douce
chose ; qui dit le contraire ? Mais en demande-t-on le prix, le baiser devient plus amer que l'ellébore
(35).
30. ANTIPATER. - Elle est toujours belle et juste l'expression d'Homère
; mais il n'a jamais mieux dit que lorsqu'il a appelé
Vénus Chrysê la déesse d'or. En effet si tu apportes de l'or, ami, il n'y a plus de portier pour arrêter tes pas, plus de chien pour aboyer après
toi ; mais si tu viens les mains vides, c'est alors Cerbère qui te barrera le passage.
O les insatiables de richesses(36), combien à vous seules vous faites de mal aux pauvres
gens !
31. LE MÊME. - Il y a eu l'âge d'or, l'âge d'argent, puis l'âge de fer ; la Vénus d'aujourd'hui appartient à ces trois âges ; elle honore celui qui lui apporte de l'or, elle ne repousse pas celui qui lui offre de l'argent ; elle accueille même celui qui n'a que de la monnaie de fer. Notre Vénus est une Nestor, la déesse de trois âges. J'estime que chez Danaé Jupiter n'est pas descendu en pluie d'or, mais qu'il est entré en apportant cent pièces d'or.
32. MARCUS ARGENTARIUS. - Mélissa (Abeille), tu fais tout ce que fait l'abeille ; je le sais, et dans mon coeur j'en porte la preuve. Tu distilles le miel sur nos lèvres par tes doux baisers : mais en tendant la main tu nous piques d'un aiguillon bien cruel.
33. PARMÉNION. - Souverain maître de l'Olympe, tu t'es introduit chez Danaé en pluie d'or, afin que la jeune fille se laissât prendre comme à un don, afin qu'elle n'eût pas peur comme en présence de Jupiter.
34. LE MÊME. - Jupiter pour de l'or (37) a eu Danaé ; et moi aussi je t'ai pour de l'or ; car je ne puis te donner plus que Jupiter.
35. RUFIN. - J'ai jugé les fesses de trois beautés. D'elles-mêmes m'ayant pris pour arbitre, elles me montrèrent à nu leur corps éblouissant. L'une avait les fesses d'une peau blanche et douce, et l'on y remarquait de petites fossettes, comme sur les joues d'une personne qui rit. L'autre, étendant les jambes, laissa voir une chair aussi blanche que la neige et des couleurs plus vermeilles que des roses. De la troisième la cuisse ressemblait à une mer tranquille, la peau délicate n'offrant que de légères ondulations. Si le berger Pâris eût vu ces fesses, il n'aurait plus voulu voir celles des déesses.
36. LE MÊME. - Grand débat entre Rhodope, Mélite et Rhodoclée : il s'agissait de savoir laquelle des trois a les plus belles cuisses, et c'est moi qu'elles prirent pour juge, debout et nues comme les fameuses déesses, sauf qu'il leur manquait le nectar. Les cuisses de Rhodope avaient l'éclat inappréciable d'une rose dont le zéphyr entrouvre le calice ; celles de Rhodoclée ressemblaient à du cristal avec des contours souples et polis comme une statue qui vient d'être inaugurée dans un temple. Mais je me suis rappelé tout ce qu'avait souffert Pâris par suite de son jugement , et j'ai immédiatement couronné les trois immortelles.
37. LE MÊME. - N'ouvre pas tes bras à la femme trop maigre, ni à la femme trop grasse ; préfère celle qui tient le milieu entre l'une et l'autre. A celle-ci il manque le suc et le jus de la chair ; celle-là en a à l'excès. N'accepte ni le moins ni le plus.
38. NICARQUE. - Une belle grande femme me plaît, Simyle, même si elle touche à l'âge mûr, même si elle est vieille. Jeune, elle m'étreindra dans ses bras ; mais fût-elle âgée, vieille et ridée, elle servira encore à quelque chose (38).
39. LE MÊME. - Ne faut-il pas mourir (39) ? Que m'importe si c'est en boitant comme un goutteux ou en courant comme un athlète que j'arrive chez Pluton ! N'y aura-t-il pas assez de gens pour m'y porter ? Ainsi donc laissez-moi boiter : je ne renoncerai jamais sua joyeux festins (40).
40. LE MÊME. - (41) N'écoute pas ta mère, Philomène ; et si je pars, si je mets une fois le pied hors de la ville, ne tiens nul compte du blâme de la famille, moque-toi des parents, des amis, et avise à faire de meilleures affaires que moi. Mets tout en oeuvre nourris-toi bien, et écris-moi dans quelle villa, sur quel rivage tu mènes joyeuse vie. Essaye d'y faire une bonne pêche (42). Pense à payer le loyer, et s'il te reste quelque chose, achète-moi un manteau. Si à ce jeu tu deviens grosse, accouche (43), oui, accouche ; ne t'inquiète pas, le petit trouvera son père, quand il sera grand.
41. RUFIN. - Qui t'a mise ainsi à la porte toute nue? qui t'a frappée ? qui a pu avoir un coeur si dur ? qui a pu être aveugle à ce point ? Sans doute qu'étant venu à l'improviste, il a trouvé un amant caché (44). O mon enfant, toutes les femmes font de même. Mais à l'avenir lorsqu'il sera chez toi et que l'autre sera dehors, ferme ta porte au verrou, pour qu'il ne t'arrive plus le même accident.
42. LE MÊME. - Je hais l'ingénue, je hais la prude : celleci est trop lente à céder, l'autre cède trop vite.
43. LE MÊME. - Il te met à la porte, parce qu'il a trouvé chez toi un amant, comme s'il était pur de tout adultère, comme s'il était disciple de Pythagore. Et tu pleures, mon enfant, tu te déchires le visage, tu te morfonds à la porte de ce furieux ! Essuie tes joues, ne pleure plus, petite : nous en trouverons un autre qui saura fermer les yeux et qui ne te battra pas.
44. LE MÊME. - Felouque et Gabarre, les deux courtisanes, sont toujours au mouillage dans la rade de Samos. Jeunes gens, jeunes gens, fuyez tous ces galères de Vénus. Celui qui s'y embarque est englouti dans les flots.
45. CILLACTOR. - La jeune fille doit ses meilleures recettes, non à l'art, mais à la nature.
46. PHILODÈME. - Bonjour. - Bonjour aussi. - Comment t'appelles-tu?
- Et toi ? Tu sauras plus tard mon nom. - Tu es bien pressée. - Et toi, ne l'es-tu
pas ? - Est-ce que tu as quelqu'un ? - J'ai toujours celui qui m'aime. - Veux-tu aujourd'hui souper avec
moi ? - Si tu veux. - Bien. Combien te faudra-t-il ? - Ne me donne rien
d'avance. - C'est étrange.
- Mais après la nuit tu me donneras ce que tu voudras. Tu es une équitable fille. Où
demeures-tu ? Je t'enverrai chercher. - Apprends-le. D'un signe elle lui montre sa maison. - Quand
viendras-tu ? - Si tu veux, de bonne heure. - Tout de suite. - Va devant.
47. RUFIN. - J'ai bien souvent désiré t'avoir la nuit près de moi, Thalie, pour assouvir l'ardeur de mon
amour ; et maintenant que tu as étendu à mes côtés tes membres nus et charmants, frappé d'inertie je cède à la fatigue et au sommeil.
O mon pauvre coeur, qu'as-tu ? réveille-toi, ne te laisse pas abattre : tu trouveras cette suprême félicité que tu
souhaites (45).
48. LE MÊME. - Tes yeux ont l'éclat de
l'or ; ton teint a la transparence du cristal ; ta bouche est plus charmante qu'un calice de
rose ; ton cou est d'albâtre, tes seins sont de marbre. Thétis n'a pas d'aussi jolis pieds d'argent. Que si dans ta chevelure perce quelque blanche épine, je ne me trouble pas pour si peu de chose.
49. GALLUS. - Loquitur meretrix : sufficiet una tribus (46).
50. ANONYME. - La pauvreté et l'amour sont deux maux dont je souffre ; l'un, je le supporte encore ; mais je ne puis endurer le feu de l'amour.
51. ANONYME. - (L'amant discret). J'aimai, je demandai. j'obtins, je suis aimé. - Son nom ? sa famille ? par quels moyens ? - Vénus seule le sait [et le saura].
52. DIOSCORIDE. - Sur Arsinoé, la maîtresse de Sosipater. - Nous avions fait à l'amour le même serment. Ce serment garantissait à Sosipater la constante tendresse d'Arsinoé ; et voilà qu'Arsinoé est parjure, que ses promesses sont oubliées ; mais lui, il reste fidèle à ses engagements. Que la puissance des dieux tarde donc à se manifester ! O hyménée, puisses-tu entendre à la porte d'Arsinoé des sanglots qui lui reprochent sa trahison !
53. LE MÊME.
- La séduisante Aristonoé
m'a blessé au coeur, cher Adonis, en se frappant le sein devant ta chapelle funéraire. Si elle veut bien aussi m'accorder cette grâce de pleurer
sur mon tombeau, point de retard, prends-moi pour t'accompagner aux sombres
bords (47).
54. LE MÊME. - Quibus modis in uxorem gravidam utendum sit.
55. LE MÊME. - Cum Doride cubans, corporisque ejus rosarum compos, deus sibi esse videbatur.
56. LE MÊME. - J'aime à la folie ses lèvres roses au doux parler, vestibule d'une bouche divine, enivrante, ses yeux qui brillent sous de gracieux sourcils, filets où s'est pris mon coeur, ses seins plus blancs que le lait, bien appareilles, charmants ; d'une belle venue, plus frais qu'aucune corolle de fleurs. Mais que fais-je ? je montre une proie à des vautours. Les roseaux de Midas attestent le danger de trop parler.
57. MÉLÉAGRE. - Amour, si tu brùles trop souvent une âme (48) qui voltige vers ton flambeau, elle s'enfuira ; elle aussi, méchant, elle a des ailes.
58. ARCHIAS. - Petit amour, tu me cribles à outrance. Sur mon coeur épuise donc ton carquois, sans y laisser un seul trait, afin que seul je périsse sous tes coups, et que, si tu veux blesser quelque autre coeur, tu n'aies plus de flèche.
59. LE MÊME. - Fuis l'Amour. Peine inutile ! Comment à pied échapper à un dieu qui pour te poursuivre a des ailes ?
60. RUFIN. - Une jeune fille aux pieds d'argent se baigne, arrosant son beau sein plus blanc que le lait. Ses fesses arrondies frémissent d'un mouvement aussi souple que l'onde même. Sa main étendue couvre les charmes que révèle une saillie légère, non tout à fait, mais autant qu'elle peut en cacher.
61. LE MÊME. - Kontax, palus, pieu, lusus quoque in palaestris. Hic de alio ludo agitur.
62. RUFIN. - Les années n'ont pas encore effacé tes attraits ; il te reste bien des traces de ta première jeunesse. Tes grâces n'ont pas vieilli ; les roses de ton sein ont gardé leur fraîcheur, leur parfum. Ah ! combien ont brûlé de coeurs tes yeux naguère animés d'un feu divin !
63. MARCUS ARGENTARIUS. - Antigona, tu étais primitive ment de Sicile; mais tu es devenue Étolienne, et de mon côté, me voici Mède (49).
64. ASCLÉPIADE. - O Jupiter, que la neige et la grêle ravagent la terre, répands les ténèbres, lance ta foudre, secoue les nuées les plus sombres. Si je péris sous tes coups, je m'arrêterai ; autrement si tu me laisses vivre, même en bouleversant davantage encore la nature, je continuerai mes fredaines ; car le dieu qui te maîtrise aussi m'entraîne, ô Jupiter, ce dieu auquel tu cédais lorsqu'en pluie d'or tu pénétrais dans une tour d'airain (50).
65. ANONYME. - Jupiter, sous la forme d'un aigle, descendit auprès du beau Ganymède ; cygne, il vola vers la blonde mère d'Hélène. Auprès de l'une et de l'autre, qu'il goûta de voluptés incomparables ! De ces voluptés, ceux-ci préfèrent la première, ceux-là la seconde. Quant à moi, toutes les deux sont de mon goût.
66. RUFIN. - Ayant vu Prodicé seule, je profitai de l'occasion pour me jeter en suppliant à ses genoux : "Sauve, lui dis-je, un homme bien près de mourir, conserve-moi le peu de vie qui me reste." Et elle, en m'entendant, se prit à pleurer ; puis elle essuya ses yeux, et de ses jolies mains elle me mit à la porte.
67. CAPITON. - La beauté sans la grâce plaît, mais ne captive pas ; elle est à peu près comme un appât sans hameçon.
68. LUCILLIUS OU POLÉMON. - Amour, ou bien supprime tout à fait le aimer, ou bien ajoute le être aimé, afin d'ôter le désir ou de le satisfaire (51).
69. RUFIN. - Minerve et la fière Junon, ayant vu Méonis, s'écrièrent l'une et l'autre en soupirant :
"Ne nous désbabillons pas davantage. Un seul jugement de berger suffit : il n'est pas beau d'être vaincu deux fois sur une question de beauté."
70. LE MÊME.
Tu as la beauté de Cypris, les lèvres de la Persuasion, la taille et la fraîcheur des Heures du
printemps, la voix de Calliope, l'esprit et la retenue de Thémis et les mains de Minerve. Avec toi les grâces sont au nombre de
quatre, [chère] Philé (52).
71. LE MÊME. - Ayant épousé la fille de Protomaque et de Nicomaque, Zénon, tu as du micmac dans ton ménage. Va chercher Lysimaque ton ami, le franc vaurien. Il aura pitié de toi, et il t'affranchira d'Andromaque, la fille de Protomaque (53).
72. LE MÊME. - Oui, voilà la vie, ce n'est pas autre chose, c'est le plaisir, arrière les chagrins ! L'existence de l'homme dure si peu ! Tout de suite donc du vin, des danses des couronnes de fleurs, des femmes ! Amusons-nous aujourd'hui, car qui peut compter sur demain ?
73. LE MÊME. - Dieux, je ne savais pas que Cythérée fût au bain, qu'elle eût dénoué sa belle chevelure. Pitié, ô déesse, pitié ! ne punis pas mes yeux qui ont vu tes charmes divins. Ah! maintenant je reconnais mon erreur : c'est Rhodoclée, ce n'est pas Cypris. Mais alors d'où vient tant de beauté ? Sans doute qu'en te déshabillant tu as mis à nu la déesse.
74. LE MÊME. - Je t'envoie, Rhodoclée, cette couronne qu'avec de belles fleurs j'ai moi-même tressée de mes mains : il y a un lis, un bouton de rose, une anémone humide, un tiède narcisse, et la violette à l'éclat sombre. Ainsi couronnée, cesse d'être trop fière ! tu fleuris et tu finis, et toi et la couronne.
75. LE MÊME. - O Vénus, j'avais pour voisine la vierge Amymome qui me brûlait de tous les feux d'amour. Elle-même m'agaçait ; et un jour que l'occasion fut propice, j'osai. Elle rougit. Bref, elle comprit mes tourments. J'achevai non sans peine. Maintenant j'entends parler de grossesse. Que ferai-je ? faut-il fuir ? faut-il rester ?
76. LE MÊME. - Autrefois j'avais la peau douce, le sein ferme, le pied mignon ; ma taille était élancée, mon sourcil bien arqué, ma chevelure ondoyante. Le temps, l'âge ont tout changé. Je n'ai plus rien des trésors de ma jeunesse : mes cheveux sont d'emprunt, mon visage est tout ridé et plus laid que celui d'un vieux singe.
77. LE MÊME. - Si eadem erat mulierum gratia post venereos amplexus atque ante illos, nulla esset viro satietas, semperque conjugem amaret; (sed non ita se res habet,) quippe omnes mulieres post concubitum ingratae videntur (54).
78. PLATON (55). - Mon âme, quand je donnais un baiser à Agathon, était sur mes lèvres ; elle y venait, la malheureuse, comme pour s'envoler.
79. LE MÊME. - Je te jette cette pomme ; si tu es disposée à m'aimer, reçois-la, et en retour, donne-moi ta virginité. Que si tu es contraire à mes voeux, reçois-la encore, et vois comme son éclat et sa fraîcheur sont peu durables.
80. LE MÊME. - Je suis une pomme ; quelqu'un qui t'aime, m'a jetée. Allons, cède à ses voeux, Xanthippe. Et toi et moi nous nous fanerons bientôt.
81. DENYS. - O toi qui vends des roses, tu es fraîche et jolie comme tes bouquets. Mais que vends-tu ? Vends-tu tes attraits ou des roses, ou bien des roses et tes attraits ?
82. ANONYME. - O ravissante baigneuse, est-ce un bain de feu que tu me prépares ? Je ne suis pas encore déshabillé, et déjà je sens les ardeurs de la flamme.
83. ANONYME. - Plût au ciel que je fusse le vent ! En marchant sous les rayons du soleil tu mettrais à nu ta poitrine, et tu recevrais mon souffle dans ton sein.
84. ANONYME. - Plût au ciel que je fusse une rose d'un pourpre tendre ! Tu me cueillerais de ta belle main, et tu me placerais sur ton sein plus blanc que la neige.
85. ASCLÉPIADE. - Tu gardes ta virginité ; et à quoi bon ? Car ce n'est pas quand tu seras chez Pluton, que tu trouveras un amant, jeune fille. C'est chez les vivants qu'on jouit des douceurs de Cypris. Aux bords de l'Achéron, ma belle, nous ne serons plus que des os et de la cendre (56).
86. CLAUDIEN. - Ne te fâche pas, cher Apollon ; mais toi aussi, toi qui lances au loin des traits rapides, tu as été atteint par les inévitables flèches de l'Amour ....
87. RUFIN. - Mélissias prétend ne pas aimer, et tout son corps témoigne qu'elle est criblée des flèches de l'Amour : sa démarche est chancelante ; elle respire à peine ; ses yeux sont caves et éteints. Allons, Amours, au nom de Cythérée votre mère, brûlez l'indocile jeune fille jusqu'à ce qu'elle en convienne et dise : "Je brûle !"
88. LE MÊME. - Amour, si tu ne peux allumer une flamme suffisante pour deux coeurs, ou bien éteins celle qui n'en brûle qu'un, ou bien fais-la passer dans l'autre coeur.
89. MARCUS ARGENTARIUS. - Ce n'est pas aimer, que de vouloir posséder celle qui a reçu en, partage la beauté, c'est avoir des yeux intelligents ; mais qu'à la vue d'un laid visage, enivré comme par un philtre on s'éprenne, on s'enflamme, on perde la tête, voilà de l'amour, je reconnais ses feux. [Autrement c'est tout simple.] Le beau charme également tous ceux qui savent le reconnaître.
90. ANONYME. - (57) Je t'envoie ce doux parfum, honorant le parfum (58) par un parfum, comme on offre du vin au dieu du vin.
91. ANONYME. - Je t'envoie un doux parfum, rendant service au parfum bien plus qu'à toi-même ; car tu peux, toi, parfumer même le parfum.
92. RUFIN. - Rhodope est fière parce qu'elle est jeune et belle. Si je lui dis bonjour, à peine me salue-t-elle d'un regard dédaigneux. S'il m'arrive de suspendre à sa porte des couronnes, elle les foule aux pieds avec orgueil, avec colère. O rides, ô vieillesse sans pitié, venez vite, hâtez-vous ; vous du moins vous fléchirez cette altière Rhodope.
93. LE MÊME. - Je me suis armé contre l'Amour d'une cuirasse, la raison. Il ne me vaincra pas si nous combattons seul à seul : mortel, je lutterai contre un immortel. Mais si Bacchus vient à son aide, que puis-je seul contre deux (59)?
94. LE MÊME. - Mélite, tu as les yeux de Junon, les doigts de Minerve, le sein de Cypris, les pieds de Thétis. Heureux qui te voit ! plus heureux qui t'entend ! Celui qui te donne un baiser est un demi-dieu, il est un dieu celui à qui tu le rends.
95. ANONYME. - Il y a quatre Grâces, deus Vénus et dix Muses ; car Dercylis est à la fois une Muse, une Grâce, une Vénus.
96. MÉLÉAGRE. - Timarion, ton baiser a de la glu, tes yeux ont de la flamme. Celui que tu regardes, tu le brûles ; celui que tu touches, tu le prends.
97. RUFIN. - Amour, si tu lances tes traits à la fois sur deux coeurs, tu es un dieu ; mais si tu n'en atteins qu'un seul, non tu n'es pas un dieu.
98. ARCHIAS. - Tends ton arc, Cypris, mais vise un autre but : je n'ai pas un endroit que tu n'aies criblé de tes traits.
99. ANONYME. - Hic verba artis musicae ad obscoena translata sunt. Castiore modo lusit de cytharistria Paulus Silentiarius, Anthol. Planud. 278 : Kroæei d' Žmfot¡roiw kaÜ fr¡na kaÜ kiy‹rhn.
100. ANONYME. - Si quelqu'un me blâme d'errer à l'aventure, esclave de l'amour, ayant aux yeux comme de la glu pour prendre les belles, qu'il sache bien que Jupiter, que Pluton, que Neptune sont aussi les esclaves du puissant Cupidon. Or si les dieux en sont réduits là, et si les hommes doivent suivre l'exemple des dieux, en quoi suis-je coupable de faire ce qu'ils font ?
101. ANONYME. - Bonjour, la jeune fille. - Bonjour. Quelle est cette femme qui s'avance? - Que vous importe ? J'ai mes raisons pour le demander. - C'est ma maîtresse. Peut-on espérer ? - Que demandez-vous ? - Une nuit. - Apportez-vous quelque chose ? - Un peu d'argent. - Il y a de l'espoir. - Voilà ce que j'apporte (ouvrant la main et montrant l'argent). - Ce n'est pas possible.
102. MARCUS ARGENTARIUS. - Tu verras Dosiclée , elle est bien maigre, c'est une beauté peu charnue, mais que ses moeurs sont honnêtes et pures ! Entre elle et moi il n'y aura pas grand' chose ; mais quand je la tiendrai dans mes bras, je sentirai son coeur de plus près.
103. RUFIN. - Jusqu'à quand, Prodicé, me désolerai-je ? Jusqu'à quand te supplierai-je à genoux, cruelle qui ne veux rien entendre ? Mais voici que quelques cheveux blancs me sautent aux yeux; bientôt tu vas te donner à moi, comme Hécube à Priam.
104. MARCUS ARGENTARIUS. - Lysidice, sans te défendre davantage, ôte cette tunique, et en t'approchant n'en rassemble pas à dessein les plis sur tes cuisses. Une étoffe aussi mince te protège mal, et je te vois toute nue sans te voir assez cependant. Si cela te semble gracieux, moi aussi, à ton exemple, je vais me courir d'un lin pudique.
105. LE MÊME. - Alterum quemdam mundum apud Menophilam, meretricem impurissimi oris, cernere licet. Agedum, astrologi, ad eam accedite, ejusque coelum contemplamini quod canem et geminos, astra notissima, intra se continet (60).
106. DIOTIME. - Vieille et chère nourrice, pourquoi hurler quand je m'approche et redoubler ainsi mes peines (61)? Tu conduis une belle jeune fille, et moi en marchant derrière elle, je suis mon chemin et me borne à contempler ses doux attraits. D'où vient, méchante, que tu te montres si jalouse de mes yeux ? Nous regardons bien les statues des immortels.
107. PHILODÈME. - "Ma belle, je sais aimer qui m'aime, mais aussi je sais mordre qui me mord. Ne me chagrine pas, moi qui t'aime éperdument, et garde-toi de provoquer le ressentiment des Muses." Voilà ce que je ne cessais de dire, mais tu étais aussi sourde à mes paroles que la mer d'Ionie. Aussi maintenant puisses-tu, à ton tour, pleurer et te lamenter ! Quant à moi, je suis heureux dans les bras de Naias.
108. CRINAGORAS. - Comment t'appellerai-je d'abord ? Infortunée ! Comment t'appellerai-je ensuite ? Infortunée ! C'est le mot propre dans toutes les peines. Tu n'es plus, ô femme charmante, qui par la beauté des traits, par les qualités du coeur, avais atteint la perfection. On te nommait Proté (première), et avec raison; car rien n'égala tes grâces inimitables.
109. ANTIPATER. - Pour une drachme tu peux avoir Europe l'Athénienne, sans craindre de rival, sans encourir de refus. Tu trouveras de plus un bon lit, et s'il fait froid, du feu. Certes ce n'était pas la peine, Jupiter, de te faire taureau.
110. MARCUS ARGENTARIUS.- Esclave, verse dix cyathes en l'honneur de Lysidice, et pour la charmante Euphranté verses-en un seul. Tu diras que c'est Lysidice que j'aime le mieux. Eh bien ! non, par Bacchus, dont je bois dans cette coupe le jus divin. Euphranté à elle seule en vaut dix ; la lune seule ne surpasse-t-elle pas en éclat les innombrables étoiles des cieux ?
111. ANTIPHILE.- Je l'ai dit, il y a longtemps, lorsque Térina était encore toute petite : elle incendiera tous les coeurs, quand elle sera grande. On se moquait du prophète. La voici arrivée, l'époque que j'annonçais. Moi tout d'abord j'avais pressenti les feux. Que faire ? la regarder ; c'est un brasier. Si j'y renonce, que de regrets ! Si je demande, c'est une vierge. Je suis perdu.
112. PHILODÈME. - J'ai aimé ; mais qui n'a pas aimé ? J'ai couru les fêtes ; qui n'a pas recherché les parties de plaisir ? J'ai perdu la raison, mais sous quelle influence ? N'est-ce pas celle d'une déesse ? Assez, assez : à des cheveux noirs succèdent des cheveux blancs qui m'annoncent l'âge de la sagesse. Dans la saison des jeux, nous avons folâtré ; mais cette saison est passée, nous aurons des idées et des goûts meilleurs.
113. MARCUS ARGENTARIUS. - Riche ; tu étais amoureux, Sosicrate ; mais te voilà pauvre, et tu n'aimes plus : la faim est le remède de l'amour. Celle qui naguère t'appelait son parfum, son charmant Adonis, Ménophile te demande ton nom : "Qui es-tu ? quelle est ta famille ? de quel pays viens-tu ?" Enfin, tu comprends le proverbe : Qui n'a rien n'a point d'amis.
114. MÉCIUS.- La méchante Philistium, celle qui ne reçut jamais son amant sans se faire payer, paraît maintenant plus traitable que par le passé. Ce n'est pas une grande merveille ; je ne crois pas qu'elle ait changé pour cela de nature : n'arrive-t-il pas que l'impitoyable aspic devient plus doux? mais pour cela sa morsure n'en est pas moins mortelle.
115. PHILODÈME.- J'ai aimé Démo de Paphos, rien d'étonnant ; en second lieu, Démo la Samienne, passe encore ; puis, Démo d'Ionie, n'est-ce pas plaisant ? enfin Démo d'Argos. Sans doute les Parques elles-mêmes m'ont imposé le nom de Philodème (62), et voilà pourquoi j'aime toujours une Démo.
116. MARCUS ARGENTARIUS.- Commendat quidem poeta muliebrem amorem pro puerili, sed ita ut flagitiosum puerilis amoris remedium indicet (63).
117. MÉCIUS. - Le beau Cornélius m'éblouit et me brûle ; je crains sa lumière, je crains ses feux (64).
118. MARCUS ARGENTARIUS. - Isias, bien que ta douce haleine exhale en dormant (65)tous les parfums de l'Arabie, réveille toi et de mes mains amies reçois cette couronne. Les fleurs en sont fraîches écloses, mais vers l'aurore tu les verras fanées : c'est l'emblème de notre vie.
119. CRINAGORAS. - Crinagoras, tu as beau te retourner à droite, te retourner à gauche sur ta couche solitaire, tu n'y trouveras pas le sommeil, mais la fatigue, à moins que la charmante Gémella ne vienne se mettre au lit près de toi.
120. PHILODÈME. - Au milieu de la nuit, trompant le sommeil de mon mari, je suis venue, et me voilà malgré le brouillard et la pluie. Après cela, restons-nous sans rien dire, sans rien faire, dormons-nous ? il n'est pas permis aux amants de dormir (66).
121. LE MÊME. - Philémon est petite et brune, mais ses cheveux frisent comme du persil et sa peau est plus douce que du duvet ; parle-t-elle, sa parole a le charme du ceste de Vénus ; elle donne tout et ne demande rien. O belle Cypris, j'aimerai Philémon, telle qu'elle est, jusqu'à ce que j'en trouve une autre plus parfaite.
122. DIODORE. - Jeune homme, ne considère pas de tes deux yeux l'illustre Mégistoclès, quelque supérieur qu'il te paraisse en beauté, et bien qu'à son éclat il semble sortir du bain des Grâces ; car l'enfant n'est ni facile, ni sans malice ; mais tout le monde le courtise, et les Amours lui ont fait la leçon. Malheureux, crains d'attiser la flamme.
123. PHILODÈME. - Astre des nuits dont le beau croissant protège les veillées, brille, ô lune, brille ! Que tes rayons pénètrent à travers nos fenêtres, éclaire la belle Callistium. Une immortelle ne saurait être jalouse des ébats d'un couple amoureux, et je sais, ô Lune, que tu proclames le bonheur de mon amante et le mien ; car Endymion a brûlé aussi ton coeur.
124. LE MÊME. - L'été est encore pour toi paré de boutons de rose, et la vigne, étalant ses grâces virginales ne noircit pas encore. Mais déjà les jeunes Amours aiguisent leurs flèches rapides, Lysidice, et la fumée s'échappe d'un brasier caché. Fuyons, malheureux amants, avant que la flèche ne soit posée sur l'arc. Bientôt, je le prédis, va éclater un incendie terrible.
125. BASSUS. - Je ne descendrai jamais en pluie d'or. Qu'un autre devienne taureau ou se change en cygne mélodieux. Ces plaisanteries peuvent plaire à Jupiter : qu'il en use. Pour moi je donne à Corinne deux oboles, et je ne m'envole pas.
126. PHILODÈME. - Moechus apud matronas multum impendit pecuniae, gravissimaque pericula subit (67).
127. MARCUS ARGENTARIUS. - J'aimais beaucoup la jeune Alcippe, et un jour elle voulut bien me recevoir dans sa chambrette. Nos poitrines palpitaient de crainte. Nous tremblions que quelqu'un ne survînt, qu'on ne vit indiscrètement nos ébats amoureux. Les chuchotements de la belle n'échappèrent pas à sa mère ; mais quand elle nous vit, soudain elle s'écria ....(68) "
128. LE MÊME. - Dans mes bras j'ai pressé Antigone, poitrine contre poitrine, sein contre sein, lèvres contre lèvres ; je tais le reste, m'en rapportant au témoignage de la lampe qui nous éclairait.
129. AUTOMÉDON. - Asiaticae saltatricis (69) modos ad nequitias versos lubricasque artes describit et miratur.
130. MÉCIUS. - Comme tu es triste, Philénis ! pourquoi tes cheveux sont-ils ainsi en désordre ? pourquoi tes yeux sont-ils baignés de larmes ? Est-ce que tu as vu ton amant en serrer une autre dans ses bras ? Dis-le moi. Je connais un remède à de tels chagrins. Tu pleures. Non, dis-tu. En vain tu cherches à le nier : les yeux sont plus croyables que la langue.
131. PHILODÈME. - Par le chant, par son babil, par un regard enchanteur, par sa voix, par le feu qui vient de s'allumer, Xanthippe va t'embraser, ô mon coeur. A quelle occasion, quand et comment, je ne sais ; tu le sauras, malheureux, quand tu seras en flamme.
132. LE MÊME. - 0 pied, ô jambe, ô charmes pour lesquels je me meurs, et c'est justice, ô épaules, sein, cou délié, ô mains, ô petits yeux qui font mon délire, ô mouvements divins, petits cris, baisers délicieux ! et que m'importe à moi qu'elle soit une Opique (70), même un peu brune (71) et qu'elle ne chante pas les vers de Sapho ! Persée fut bien amoureux de l'Éthiopienne Androméde.
133. MÉCTUS. - J'ai juré par toi, ô Vénus, que je passerais deux nuits de repos loin d'Hédylium ; mais comme je le suppose, tu as ri de mon serment, connaissant ma faiblesse. Non, je ne supporterai pas la seconde nuit, et je livre aux vents mon serment téméraire. J'aime mieux être parjure pour elle, que de mourir, ô déesse, pieusement victime de la foi jurée.
134. POSIDIPPE. - Amphore de Cécrops, verse ta rosée bachique, verse : je porte la santé des convives. Silence, cygne de l'école, Zénon ! Muse de Cléanthe, silence ! Nous ne nous soucions que de l'Amour, dieu cruel et charmant.
135. ANONYME. - Amphore aux flancs arrondis, à une seule anse, au long col, dont la bouche étroite murmure de doux sons, joyeuse servante de Bacchus, de Cythérée et des Muses, doux trésor des buveurs, riante amphore, pourquoi, si je suis vide, es-tu pleine ; et si je suis plein, es-tu vide ? Tu méconnais les lois de l'amitié.
136. MÉLÉAGRE. - Verse et dis : "Encore, encore, encore, à la santé d'Héliodora !" dis-le, mêlant ce doux nom au pur nectar. Et, en souvenir d'elle attache-moi cette couronne d'hier tout humide de parfums. Regarde, la rose amoureuse est en larmes, parce qu'elle la voit ailleurs, parce qu'elle ne la voit plus dans mes bras (72).
137. LE MÊME. - Verse : "A la santé d'Héliodora, la Persuasion et la Grâce !" Verse encore : "A la santé de la même, la charmante Cythérée !" Oui, pour moi elle seule est à l'état de déesse, elle dont je bois le doux nom mêlé au vin le plus pur.
138. DIOSCORIDE. - Athénien m'a chanté le cheval de Troie. Qu'il m'a été fatal ! Ilion était tout en feu, et moi je brûlai comme elle, sans qu'il ait été besoin des dix années de luttes et d'efforts des Grecs. Car dans un seul et même jour, Ilion et moi nous avons succombé.
139. MÉLÉAGRE. - Par le dieu Pan d'Arcadie, que ta lyre a de mélodie, Zénophile, que de mélodie a ta voix ! Où fuir ? De toutes parts les Amours m'assiègent ; ils ne me laissent pas respirer un seul instant. C'est ta taille qui me jette en extase, c'est ensuite ta voix, c'est ta grâce, c'est .... que dirai-je ? c'est toute ta personne : le feu me dévore.
140. LE MÊME. - Douces sont les Muses avec la lyre et leurs mélodies, douce est la persuasion avec sa parole sensée, douce est la beauté dont l'Amour est le guide (73). Zénophile, à toi l'empire des coeurs ; les Grâces te l'ont donné en te gratifiant de leur triple don, le chant, la persuasion, la beauté.
141. MÉLÉAGRE. - Oui, j'en atteste l'Amour, j'aime mieux entendre de mes oreilles la voix d'Héliodora que la lyre du fils de Latone.
142. ANONYME. - La rose est-elle la couronne de Denys, ou lui-même n'est-il pas la rose de la couronne ? Je le crois : la couronne a moins d'éclat que lui.
143. MÉLÉAGRE. - La couronne posée sur la tête d'Héliodora est éclipsée par l'éclat de sa beauté, couronne des couronnes (74).
144. LE MÊME. - Déjà laviolette blanche fleurit, le narcisse flenrit au bord des eaux, les lis fleurissent sur les montagnes ; mais la plus aimable de toutes,la fleur la plus fraîche éclose entre les fleurs, Zénophile s'épanouit comme une rose et en exhale le parfum. Prairies, pourquoi étalez-vous avec tant d'éclat vos riantes parures ? C'est en pure perte : l'enfant est plus belle que toutes vos couronnes (75).
145. ASCLÉPIADE. - O couronnes, restez là suspendues à cette porte, sans secouer précipitamment vos feuilles, ces feuilles que j'ai trempées de mes pleurs. Combien en versent les yeux des amants ! Mais, sitôt que vous verrez entrouvrir la porte, épanchez sur sa tête votre amère rosée, afin que sa blonde chevelure s'abreuve mieux de mes larmes.
146. CALLIMAQUE. - Il y a quatre Grâces. Une nouvelle vient d'être par les dieux ajoutée aux trois autres, et elle est encore tout humide des parfums célestes. C'est Bérénice (76), charmante et entre toutes admirée, sans laquelle les Grâces mêmes ne seraient pas les Grâces.
147. MÉLÉAGRE. - Je tresserai la giroflée blanche, je tresserai le tendre narcisse avec les myrtes, je tresserai les lis riants, je tresserai le doux safran, et encore l'hyacinthe pourpré, et aussi je tresserai les roses chères à l'amour, afin que, sur les tempes embaumées d'Heliodora la couronne émaille de ses fleurs les belles boucles de sa chevelure (77).
148. LE MÊME. - J'affirme qu'un jour, dans la conversation, la charmante causeuse Héliodora surpassera les Grâces elles-mêmes en grâce.
149. LE MÊME (78). - Qui m'a représenté Zénophile, l'étaire au doux parler ? Qui m'a amené ainsi une des trois Grâces ? Véritablement l'artiste a accompli là une oeuvre bien gracieuse, en me donnant la Grâce elle-méme, don plein de grâce (79) !
150. ASCLÉPIADE. - La célèbre Nico m'avait promis de venir cette nuit, elle l'avait même juré par l'auguste Cérès. Mais elle ne vient pas ; déjà la première veille s'est écoulée. Ah ! a-t-elle voulu être parjure ? Esclaves, éteignez la lampe.
151. MÉLÉAGRE. - Cousins au vol bruyant, qui sans pudeur vous abreuvez du sang des humains, monstres ailés des nuits, laissez, je vous en supplie, dormir un peu Zénophile, et nourrissez-vous de ma chair. Mais c'est en vain que je parle. Ces bêtes, que rien ne touche, se plaisent sur sa peau délicate qui les attire. Ah ! je vous le redis une fois encore , détestable engeance, cessez de montrer tant d'audace, ou vous connaîtrez la puissance de mes mains jalouses.
152. MÉLÉAGRE. - Vole pour moi, moucheron, léger messager, et effleurant l'oreille de Zénophile, murmure-lui ces mots :"Tout éveillé il t'attend, et toi, oublieuse de ceux qui t'aiment, tu dors !" - Va, vole ; ô l'ami des Muses, envole-toi ! mais parle-lui bien bas, de peur qu'éveillant celui qui dort à côté, tu ne déchaînes sur moi ses jalouses colères. Que si tu m'amènes la belle enfant, je te coifferai d'une peau de lion, ô moucheron sans pareil, et je te donnerai à porter dans ta main la massue d'Hercule (80).
153. ASCLÉPIADE. - Le doux visage de Nicarète cher aux Amours, qui se montre si souvent à la fenêtre élevée, les yeux bleus de Cléophon qui se tient sur le seuil le pâlit et le consume, ces yeux, chère Vénus, qui lancent de délicieux éclairs.
154. MÉLÉAGRE. - J'en atteste Cypris qui vogue sur l'azur des mers, Tryphéra est Tryphéra (délicate, charmante) aussi par la beauté (81).
155. LE MÊME. - Dans mon coeur l'Amour lui-même a peint Héliodora au doux parler, Héliodora mon âme et ma vie.
156. LE MÊME. - La tendre Asclépias, avec des yeux où se reflètent l'azur et le calme d'un ciel serein, persuade à tous de s'embarquer sur la mer des amours.
157. LE MÊME. - Ongle acéré d'Héliodora, tu as crû sous les auspices da l'amour ; car la moindre de tes égratignures pénètre jusqu'au coeur (82).
158. ASCLÉPIADE. - Je folâtrais un jour avec la facile Hermione. Elle avait, comme Vénus, une ceinture brodée en fleurs et avec des caractères d'or. On y lisait en toutes lettres : "Aime-moi, et ne t'afflige pas si quelque autre me possède (83)."
159. SIMONIDE. - Boïdion, la joueuse de flûte, et Pythias, naguère encore courtisanes, t'ont consacré, ô Cypris, leurs ceintures et leurs portraits. Marins et marchands, vos bourses savent ce qu'ont coûté ces portraits et ces ceintures.
160. MÉLÉAGRE (84). - Belle Démo, un autre te possède et jouit de tes faveurs ; moi, je souffre et je gémis. Si les charmes du sabbat t'entraînent, dois-je m'en étonner? Dans tes froides (85) cérémonies se trouve aussi le brûlant amour.
461. HÉDYLUS ou ASCLÉPIADE. - Euphro, Thaïs, Boïdion, dignes filles du Thrace Diomède, galères à vingt rangs de rames qui attirent à leurs bords les riches armateurs, ont jeté à la côte leurs amants, Agis, Cléophon, Antagoras, plus misérables, plus nus que des naufragés. Ah ! fuyez à toutes voiles les corsaires de Vénus : ils sont plus funestes que les Sirènes.
162. ASCLÉPIADE. - La jolie Philénium m'a blessé ; si la blessure n'est pas visible, la douleur néanmoins a pénétré jusqu'au bout des ongles. C'en est fait, Amours ; je suis perdu, je suis mort ; car j'ai mis imprudemment le pied sur une vipère, et elle m'a fait une piqûre mortelle.
163. MÉLÉAGRE. - Abeille qui vis du suc des fleurs, pourquoi, t'élançant de leurs calices parfumés, viens-tu te poser sur Héliodora ? Est-ce que tu veux nous apprendre qu'elle aussi a dans son coeur l'aiguillon de l'Amour, si doux et si amer? Oui, ce me semble, tu l'as dit. Eh bien ! bonne conseillère, retourne à tes fleurs. Depuis longtemps nous le savons aussi bien que toi.
164. ASCLÉPIADE. - 0 nuit, je te prends à témoin, toi seule ! Vois comme Pythias, la fille de Nico, me trompe : c'est une amie sans foi. Invité par elle, bien invité, je viens .... Ah ! puisse-t-elle se plaindre à son tour d'un même affront, suppliante au seuil de ma maison !
165. MÉLÉAGRE. - Je te demande une grâce, ô nuit, mère de tous les dieux, nuit qui m'est chère, une seule grâce, nuit auguste et sacrée, compagne des orgies amoureuses, si quelque rival sous la couverture d'Héliodora se réchauffe à ces charmes qui éloignent le sommeil, que la lampe s'éteigne, et que dans les bras de son amante il s'endorme d'un profond sommeil comme un autre Endymion (86).
166. LE MÊME. - O nuit, ô amour d'Héliodora qui me tiens éveillé, ô morsures accompagnées de larmes que l'odieux matin provoque, lui reste-t-il des souvenirs de ma tendresse, et mes baisers reviennent-ils à sa mémoire, réchauffent-ils sa froide imagination ? Dort-elle avec mes larmes ? Aime-t-elle à prolonger un rêve qui lui rappelle mon image ? Ou bien s'abandonne-t-elle à un nouvel amour, à de nouveaux ébats ? O lampe, n'éclaire jamais de telles perfidies, veille bien sur celle que je t'ai confiée.
167. ASCLÉPIADE. - Il pleuvait, il faisait nuit, et pour comble de misère en amour, j'avais bu. Le vent était glacé, et j'étais seul, mais ma belle triomphait de tous les obstacles. "O Jupiter, m'écriai-je tout trempé de pluie, si par un temps pareil tu es venu faire le pied de grue à plus d'une porte, jusqu'à quand, Jupiter (87), feras-tu pleuvoir ? Calme la tempête, et toi aussi tu as connu l'amour."
168. ANONYME. - Que le feu, la neige, la foudre, si tu veux, m'accablent ; jette-moi au fond des précipices, dans les abîmes de la mer. Celui qui est épuisé par les chagrins du coeur et dompté par l'amour, celui-là, la foudre même ne Jupiter ne saurait l'anéantir.
169. ACLÉPIADE. - Douce est en été la neige aux buveurs, douce est après l'hiver la couronne du printemps aux matelots, plus douce encore est pour les amoureux la couverture qui les abrite, plus doux est l'hymne que chantent à Vénus deux coeurs bien épris.
170. NOSSIS. - Rien n'est plus doux que l'amour ; tous les autres bonheurs ne viennent qu'après. Je trouve même au miel moins de douceur. Nossis ajoute : "Celui que Vénus aime et protège, seul connaît ce que valent ses roses."
171. MÉLÉAGRE. - La coupe a souri de joie, elle a touché, dit-elle, la lèvre éloquente de l'aimable Zénophile. Qu'elle est heureuse ! O si, appliquant aussi bien ses lèvres à mes lèvres, Zénophile buvait en moi d'une seule haleine toute mon âme !
172. LE MÊME. - Étoile du matin,pourquoi,ennemie des amoureux, m'es-tu survenue si vite sur ma couche, lorsqu'à peine je commençais à me réchauffer auprès de ma chère Démo ! Puisses-tu, rebroussant chemin au plus tôt, devenir l'étoile du soir, ô toi qui lances une douce lumière si amère pour moi ! Déjà autrefois tu t'es rencontrée chez Alcmène avec Jupiter, et tu u ignores pas comment on s'en retourne (88).
173. LE MÊME. - Étoile du matin, cruelle aux amants, pourquoi tournes-tu si lentement autour du monde, maintenant qu'un autre se réchauffe sous la couverture de Démo ? Ah ! lorsque je tenais dans mes bras cette belle à la taille élancée, tu m'arrivais bien vite, comme pour me frapper d'une lumière qui riait de mes maux (89).
174. LE MÊME. - Tu dors, Zénophile, tendre tige ! puissé-je sur toi, maintenant, comme un sommeil ailé, pénétrer dans tes paupières, et n'en plus bouger, afin que pas même lui, lui qui charme les yeux de Jupiter, n'habite en toi, et que je te possède seul !
175. LE MÊME. - Je sais que tu trahis ma foi : tes cheveux, tout humides encore de parfums, dénoncent ta vie dissolue ; tes yeux, appesantis par la fatigue, montrent bien que tu as passé la nuit ; cette couronne qui te serre le front prouve que tu sors d'un festin ; tes cheveux en désordre portent les traces de mains amoureuses, et tous tes membres chancellent sous les vapeurs du vin. Va-t'en, femme au coeur banal ; le luth de l'orgie t'appelle; entends-tu le bruit des castagnettes lascives ?
176. LE MÉME. - Terrible est l'Amour, oui terrible. Mais à quoi bon dire encore et redire en gémissant, terrible est l'Amour ? Car l'enfant rit de nos invectives, elles l'enchantent ; il se nourrit de nos larmes et de nos injures. C'est toujours un étonnement pour moi que vous qui êtes sortie du sein de l'onde, ô Vénus, vous ayez pu avec des éléments humides enfanter du feu.
177. LE MÊME. - Je réclame et signale l'Amour, le traître Amour qui vient ce matin même de s'envoler de mon lit. C'est un enfant qui pleure avec charme, parlant toujours, vif et léger, que rien n'effraye, qui rit d'un air malin, ayant des ailes et un carquois. Je ne saurais dire quel est son père : ni le ciel, ni la terre, ni la mer ne se vantent de lui avoir donné le jour ; car partout et de tous il est détesté. Gardez-vous que dans vos âmes il ne tende ses filets. Mais le voici ! il est à son gîte. Je te vois bien, petit archer : tu es blotti dans les yeux de Zénophille (90).
178. MÉLÉAGRE. - Qu'on le vende, tout endormi qu'il est dans les bras de sa mère, qu'on le vende. Pourquoi nourrir cet être dangereux ? Il est ailé, camus ; ses ongles égratignent ; il pleure, puis il éclate de rire ; de plus il est obstiné, babillard, curieux, farouche, et sans pitié même pour sa mère. C'est un monstre fini. Donc il sera vendu. S'il est quelque marchand près de mettre à la voile qui veuille acheter un enfant, qu'il s'avance. Mais voilà qu'il pleure, qu'il supplie. Eh bien ! je ne te vends plus, rassure-toi et reste ici ; on t'y élèvera près de Zénophile (91).
179. LE MÊME. - Oui, par Cypris, Amour, je livrerai au feu toutes tes armes, arc, flèches; carquois ; je les brûlerai. A quoi bon cet air fat, ces ris moqueurs, cette moue insolente ? Bientôt peut-être tu ne riras pas de bon coeur. Car je vais te couper ces ailes, messagères des désirs, et t'enchaîner les pieds dans des entraves d'airain. Pourtant nous risquons d'engager une lutte aussi funeste que celle de Cadmus, en t'attachant trop près de nous : c'est mettre le lynx dans le bercail. Va-t'en donc au loin, dieu trop difficile à vaincre, ajoute des talonnières à tes ailes, et prends ton vol vers d'autres malheureux.
180. LE MÊME. - Quoi d'étonnant si le cruel Amour lance des traits de feu, et si sur ses jolies lèvres éclate un rire amer ? Sa mère n'aime-t-elle pas Mars, n'est-elle pas l'épouse de Vulcain ? Sa vie se passe entre le feu et le fer. La mère de sa mère, c'est l'onde azurée qui, au souffle des vents, se soulève et mugit. Il n'a pas de père connu. C'est pour cela que l'Amour a les feux de Vulcain, que sa colère est égale à celle des flots, et qu'il se sert des traits ensanglantés de Mars.
181. ASCLÉPIADE. - Carion (92), prends-nous trois pastilles à brûler, mais tu les choisiras, et cinq couronnes de roses, de roses uniquement. Tu dis que tu n'as pas d'argent ? nous sommes volé. Ne me rouera-t-on pas ce Lapithe ? Nous avons un pirate, non un serviteur. Ne vous pilles-tu pas ? non ? Apporte le compte. Viens, Phryné, avec les jetons à compter. O rusé renard ! Vin, cinq drachmes ; saucisson, deux drachmes ; oreilles de cochon, cinq drachmes ; lièvre, thon, sésame, miel..., demain, nous compterons tout cela. Mais aujourd'hui va chez Aeschra la parfumeuse avec cinq statères. Dis-lui comme mot d'ordre qu'elle a eu pour Bacchon cinq fois de suite des complaisances dont le lit peut porter témoignage.
182. MÉLÉAGRE. - Dis-lui cela, Dorcas, dis-lui et redis-lui, ô Dorcas, deux et trois fois toutes choses. Cours, ne tarde plus, vole. - Un instant, un instant encore, chère Dorcas, attends un peu ; pourquoi te hâter avant d'avoir tout entendu ? Ajoute à ce que j'ai dit dès longtemps ; ajoute .... Mais je déraisonne de plus en plus, ne dis rien, absolument rien..., ou seulement .... non, dis tout, ne t'épargne pas à tout dire .... Et cependant pourquoi est-ce que je t'envoie, ô Dorcas ? me voilà arrivé moi-même avec toi et avant toi (93).
183. POSIDIPPE. - Il y a quatre buveurs, chacun a sa maîtresse. Pour huit que nous sommes une seule cruche de Chios ne suffit pas. Esclave, va chez Aristion, dis-lui d'envoyer tout d'abord une demi-cruche. Cela fera bien certainement deux conges ; et je crois que nous lui en demanderons davantage. Allons, dépêche-toi, car à la cinquième heure nous nous réunissons (94).
184. MÉLÉAGRE. - Je le sais bien, rien ne m'a échappé. Pour quoi prendre à témoin les dieux ? Rien ne m'a échappé, te disje. Plus de serments ; je sais tout. Voilà donc, parjure, pourquoi tu voulais coucher seule. Quelle audace ! et maintenant. maintenant encore elle dit qu'elle était seule. Ce bel amant ne t'appelle-t-il pas (95)? Je devrais bien le .... Mais pourquoi des menaces ? Va-t'en, monstre, va-t'en au plus vite. Mais je te ferais trop de plaisir ; je sais que tu veux le rejoindre. Reste donc ici sous les verrous.
185. ASCLÉPIADE. - Va au marché, Démétrius, et prends chez Amyntas trois ombres, dix gobies et deux douzaines de crevettes (il te les comptera lui-même), et reviens. Rapporte aussi de chez Thauborius six couronnes de roses. En passant, invite (96) Tryphéra à venir sans se faire attendre.
186. POSIDIPPE. - Ne crois pas me tromper par tes larmes attendrissantes, Philénis; je sais à quoi m'en tenir : oui, tu n'aimes personne plus que moi, tout le temps que nous sommes couchés ensemble. Mais si un autre te pressait dans ses bras, tu lui dirais hardiment que tu l'aimes mieux que moi.
187. MÉLÉAGRE. - Dorcas, dis à Lycénis : Vois comme elle est prise, celle qui n'aime pas sincèrement. Le temps dévoile la fausseté de l'amour (97).
188. LÉONIDAS. - Je ne dis rien qui puisse offenser l'Amour, c'est un dieu doux et bon. J'en prends à témoin sa mère. Mais je sers de but à un arc bien perfide, et je ne suis plus que cendre. Des traits brûlants succèdent à des traits brûlants, et l'arc ne se repose pas une minute. Ah ! si un mortel pouvait se soustraire au méchant .... mais un mortel peut-il échapper à un dieu ? Je serai moins malheureux en supportant tout avec patience (98).
189. ASCLÉPIADE. - C'est l'hiver ; les Pléiades sont au milieu de leur course, la nuit va disparaître ; et moi, sous les fenêtres d'Hélène (99), je me promène tout ruisselant de pluie et blessé par ses charmes ; car Vénus ne m'a pas mis au coeur seulement de l'amour, elle m'a décoché un trait douloureux et brûlant.
190. MÉLÉAGRE. - Amer est le flot de l'amour ; le souffle de ses jalousies ôte le sommeil ; les parages de ses joies sont pleins de tempêtes. Oû suis-je entraîné à la dérive ? La raison vogue à l'aventure sans gouvernail. Est-ce que, de nouveau, nous allons voir Tryphère, une autre Scylla (100)'?
191. LE MÉME. - Astres, et toi, lune qui brilles si belle aux amants, Nuit, et toi, petit instrument compagnon des sérénades, est-ce que je la trouverai encore l'amoureuse, sur sa couche, tout éveillée, et se plaignant à sa lampe solitaire ? Ou bien en a-t-elle un autre à ses côtes ? Au-dessus de sa porte, alors, je suspendrai ces couronnes suppliantes, non sans les avoir fanées auparavant de mes larmes, et j'y inscrirai ces mots : "A toi, Cypris, Méléagre, l'initié de tes jeux, a suspendu ici ces dépouilles de sa tendresse (101)."
192. MÉLÉAGRE. - Si tu as vu Callistion nue, ami, tu dois dire : "La double lettre des Syracusains n'y est plus (102)."
193. DIOSCORIDE. - La charmante Clio s'est emparée de mon coeur, Adonis, en frappant son sein plus blanc que du lait, dans ta veillée et devant ton image. Ah ! si elle veut bien m'accorder aussi cette grâce de pleurer sur mon tombeau, sans retard prends-moi pour t'accompagner aux sombres bords (103).
194. POSIDIPPE ou ASCLÉPIADE. - Les Amours eux-mêmes ont admiré la belle Irénium, ayant quitté pour la voir les splendides demeures de Cypris leur mère. De sa chevelure à ses pieds, tout en elle était pudique et charmant, comme une statue du plus beau marbre de Paros remplie de grâces virginales. Aussi de la corde pourprée de leurs arcs, les Amours ont-ils aussitôt lancé un nombre infini de flèches aux coeurs des jeunes gens.
195. MÉLÉAGRE. - Les trois Grâces ont accordé à la jeune épouse Zénophile un triple don, un triple gage deun beauté ; l'une sur son teint a mis le désir, l'autre le charme dans sa tournure, la troisième a mis dans sa bouche les doux propos. Trois fois heureuse, celle dont Vénus a préparé la couche, dont la Persuasion dicte le langage, et dont l'Amour a dessiné les traits.
196. LE MÊME. - A Zénophile l'Amour a donné la beauté et Cypris un charme qui partout la suit ; les Grâces lui ont donné la grâce.
197. LE MÊME. - J'en jure par la frisure de Timo aux belles boucles amoureuses, par le corps odorant de Démo, dont le parfum enchante les songes, j'en jure encore par les jeux aimables d'llias, j'en jure par cette lampe vigilante qui s'enivre, chaque nuit, de mes chansons, je n'ai plus sur les lèvres qu'un tout petit souffle que tu m'as laissé, Amour ; mais si tu le veux, dis, et ce reste encore, je l'exhalerai (104).
198. LE MÉME. - O (105) que les boucles de cheveux de Timo sont belles ! Qu'elles sont riches les sandales d'Héliodora ! Que le portique de Démarion est parfumé ! Qu'il est charmant le sourire d'Anticlée aux grands yeux ! Que les couronnes de Dorothée sont fraîches ! Non, ton carquois d'or, Amour, ne renferme plus de traits à me lancer : toutes tes flèches sont dans mon coeur.
199. HÉDYLUS. - Le vin et des libations ont endormi Aglaonice, libations perfides, et aussi le doux amour, l'amour de Nicagoras. Par Aglaonice sont consacrées à Cyprin ces offrandes encore humides de parfums, dépouilles de luttes amoureuses, ses sandales, ses molles ceintures arrachées des seins qu'elles protégeaient, témoignages de son sommeil et de sa résistance.
200. ANONYME. - Alexo consacre au doux et voluptueux Priape son voile de safran, sa ceinture encore humide de parfums, et de sombres couronnes de lierre, pieux souvenirs de la veillée (106).
201. ANONYME. - Léontis a veillé jusqu'au lever de l'astre du jour, heureuse dans les bras du beau Sthénius. Aussi consacre-t-elle à Vénus ce luth cher aux Muses en mémoire de cette veillée.
202. ASCLÉPIADE ou POSIDIPPE. - Plangone a dédié ce fouet et ces rênes brillantes sous le portique de Vénus équestre, après avoir vaincu à la course Philénis, sur le soir, lorsque les coursiers étaient pleins de désirs et d'ardeurs. Chère Vénus, accorde-lui la gloire d'un vrai triomphe, et fais que le souvenir s'en perpétue à jamais.
203. ASCLÉPIADE. - Vénus, Lysidice t'offre cet éperon d'or, bel aiguillon des courses équestres. Il a fait galoper plus d'une jument paresseuse ; mais ses flancs à elle n'ont jamais été ensanglantés, grâce à la légèreté de ses allures ; car sans être aiguillonnée, elle fournissait sa course ; et c'est pour cela qu'elle suspend cette arme d'or au milieu de ton temple.
204. MÉLÉAGRE. - Timarion, autrefois élégant et solide esquif, est désemparé des agrès de l'Amour. Son dos est courbé comme la vergue d'un mât, ses cheveux blancs sont épars comme des cordages. Ses seins pendent et flottent ainsi que des voiles détendues, et les rides que produit le choc des vagues sillonnent ses flancs. Plus bas tout est envahi par le eaux de la sentine ; dans la carène, la mer entre et bouillonne. Les genoux lui tremblent comme agités par le roulis. Malheureux, il naviguera sur le Styx, de son vivant, celui qui montera à bord de cette vieille galère, cercueil ambulant (107).
205. ANONYME. - L'iynx (108) de Nico, qui sait attirer un amant à travers les flots et faire sortir les enfants de la chambre de leur mère, qui, taillée dans une améthyste diaphane, est toute parsemée d'or, Nico te la consacre, ô Cyprin, comme son bien, son trésor, avec la laine rouge d'un tendre agneau qui s'y enroule ; elle l'avait reçue en présent d'une magicienne de Larinse.
206. LÉ0NIDAS. - Mélo et Satyre, filles d'Antigénide, laborieuses desservantes des Muses, devenues vieilles, ont fait ces offrandes : Mélo a consacré aux Muses de Pimplée ces flûtes qu'elle effleura d'un souffle rapide, et l'étui en bois qui les renferme. La tendre Satyre a consacré cette syrinx, dont elle-même a réuni les tuyaux avec de la cire, nocturne compagne des buveurs, douce flûte avec laquelle, toute la nuit, elle attendait l'Aurore, chantant (109) aux portes [avec les amoureux].
207. ASCLÉPIADE. - Les Samiennes Bitto et Nannium ne veulent pas aller au temple de Vénus pour y obéir à ses lois. Elles s'abandonnent à d'autres voluptés qui ne sont pas légitimes. Puissante déesse, punis les transfuges de ton culte et de tes plaisirs !
208. MÉLÉAGRE. - Furori in pueros valedicit, causa allata, quod voluptas non sit communis (110).
209. POSIDIPPE ou ASCLÉPIADE. - Vénus de Paphos, sur ton rivage Cléandre a vu Nico nageant dans la mer azurée, et dans son coeur il a jailli de la belle nageuse une flamme ardente, attisée encore par l'Amour. Pour lui, il est sur la plage comme un naufragé, tandis qu'elle, du sein des flots, gagne les bords hospitaliers. Maintenant un égal amour les unit tous deux : ils ne sont pas perdus les voeux qu'on fait sur ces rivages.
210. ASCLÉPIADE. - Par ses charmes, Didymé m'a ravi mon coeur. Hélas ! je fonds comme de la cire, en voyant combien elle est belle. Elle est noire, et qu'importe ? Les charbons aussi sont noirs ; mais quand ils sont en feu, ils brillent comme des calices de roses.
211 . POSIDIPPE. - Larmes et rires, pourquoi me poussez-vous, avant que je sois échappé aux feux de Cyprin, dans une autre fournaise? Je ne cesse pas un instant d'aimer. Toujours Vénus m'apporte de nouvelles peines ; ses tourments passés l'Amour fait succéder d'autres tourments (111).
212. MÉLÉAGRE. - Le son de l'amour plonge sans cesse en mes oreilles, mon oeil offre en silence sa douce larme aux désirs ; ni la nuit ni le jour n'ont endormi le mal, mais l'empreinte des philtres est déjà reconnaissable à plus d'un endroit dans mon coeur. O volages Amours ! n'auriez-vous des ailes que pour voler vers moi, et n'en avez-vous pas, si peu que ce soit, pour vous envoler (112) ?
213. POSIDIPPE. - Pythias (113), si elle a (114) quelqu'un, je m'en vais ; mais si elle dort seule, je t'en supplie, fais-moi entrer. Dis-lui pour qu'elle me reconnaisse, qu'ivre et à tâtons je suis venu conduit par un guide bien hardi, par l'Amour.
214. MÉLÉAGRE. - L'Amour qui me possède est un joueur de ballon. A toi, Héliodora, il lance le coeur qui palpite dans mon sein. Allons, laisse le Désir prendre part au jeu. Que si tu me rejettes loin de toi, je ne supporterai pas cet outrage contraire aux lois de la palestre.
215. LE MÊME. - Amour, ma passion pour Héliodora ne me laisse pas dormir ; je t'en prie, accorde-moi un peu de sommeil, par égard pour ma Muse suppliante. Autrement, je le jure par ton arc, par cet arc qui ne sait frapper que moi, qui sur moi épuise tous ses traits, je laisserai cette inscription pour ma tombe: "Passant, vois un assassinat de l'Amour."
216. AGATHIAS. - Si tu aimes, n'abaisse pas ton âme jusqu'à d'humbles supplications, mais montre un peu de fermeté, porte la tête haute, et qu'en même temps dans ton regard on voie de l'indulgence, de la bonté. D'ordinaire les femmes dédaignent les superbes et se rient des faibles. Il est un amoureux parfait, celui qui sait unir un caractère sensible à une certaine fierté.
217. PAUL LE SILENTIAIRE. - Jupiter, ayant pénétré en pluie d'or dans la tour d'airain de Danaé, dénoua la ceinture virginale de la jeune fille. Ce mythe signifie que l'or, cet universel vainqueur, triomphe des murs les plus épais, des chaînes les plus fortes. L'or se joue de toutes les entraves, de toutes les clefs ; il fait baisser la tête aux plus altières beautés, et l'âme même de Danaé a fléchi à sa vue. Qu'aucun amant donc n'implore la déesse de Paphos en lui offrant de l'argent: [c'est de l'or qu'il faut lui offrir.]
218. AGATHIAS. - Le fier Polémon, celui qui dans une pièce de Ménandre coupe les cheveux de son épouse Glycère, a trouvé un imitateur dans un nouveau Polémon, qui, d'une main hardie, a dévasté la chevelure de Rhodanthe, et qui, à l'oeuvre de la comédie mêlant des douleurs tragiques, a flagellé les membres délicats de la jeune fille. Châtiment bien cruel ! Car en quoi était-elle si coupable d'avoir pris en pitié ma peine et mes tourments ? Le méchant, il nous a, de plus, séparés ; il ne nous permet pas de nous voir, tant il est jaloux ! Mais cependant il est le haï (ho misoumenos), et moi le furieux(ho duskolos), ne voyant plus la belle aux cheveux coupés (hê perikeiromenê) (115)
219. PAUL LE SILENTIAIRE. - Dérobons à tous les regards, chère Rhodope, nos caresses, nos ébats, nos mystères d'amour. Il est doux de se cacher, de se soustraire aux avides regards des curieux. Oh ! combien une faveur secrète, mystérieuse, est cent fois plus douce qu'une faveur qui a le ciel et les hommes pour témoins !
220. AGATHIAS. - Bien que l'âge t'ait maintenant calmé et que le feu des passions se soit éteint, tu devrais, ô Cléobule, te rappeler les affections de ta jeunesse et compatir aux peines des jeunes coeurs. Fallait-il, pour un accident si commun, te fâcher tout rouge et arracher les cheveux d'une belle jeune fille ? Naguère cette enfant te regardait comme son père, et voilà que tout à coup tu deviens son bourreau.
221. PAUL LE SILENTIAIRE. - Jusques à quand, évitant la rencontre de nos regards enflammés, ne nous lancerons-nous plus quelques taillades furtives et mystérieuses ? Il faut faire connaître nos sentiments et nos voeux ; et si l'on empêche les douces étreintes de l'union qui doit finir nos peines, le fer sera pour nous deux le remède à nos maux. Ne sera-t-il pas plus doux de jouir ensemble et pour toujours du bienfait de la vie ou de la mort?
222. AGATHIAS. -Toutes les fois que la jeune fille (116) prend le plectre et touche la cithare, elle rivalise avec le jeu de Terpsichore. Déclame-t-elle une scène tragique, c'est la grande voix de Melpomène qui résonne. S'il s'agissait de savoir quelle est la plus belle, Vénus elle-même serait vaincue, Pâris fùt-il le juge. Silence sur ce qui nous touche, car Bacchus pourrait nous entendre, et de nouveau convoiter la couche d'Ariadne.
223. MACÉDONIUS. - Lucifer, ne trouble point l'oeuvre de l'Amour. Trop voisin de Mars, ne suis pas son exemple, n'aie pas un coeur impitoyable. Mais de même qu'envoyant le Soleil dans la chambre de Clymène tu as ralenti ta course rapide aux portes de l'orient, ainsi dans cette nuit qui commence à peine ne viens que lentement, comme chez les Cimmériens.
224. LE MÊME. - Amour, laisse mon coeur et mon foie (117) ; et si tu désires frapper, cherche quelque autre partie de mon corps.
225. LE MÊME. - J'ai une blessure, l'amour, blessure qui ne se ferme pas, et d'où sans cesse coule le plus pur de mon sang sous forme de larmes. Ma plaie m'a totalement épuisé, et Machaon lui-même n'a pas de remèdes qui puissent la guérir. Jeune fille, je suis Télèphe ; sois le fidèle Achille. Par ta beauté, guéris le mal que ta beauté a fait.
226. PAUL LE SILENTIAIRE. - O mes yeux, jusqu'à quand vous abreuverez-vous du nectar des Amours ? Serez-vous toujours altérés de beauté, buveurs insatiables ? Fuyons au loin, aussi loin que possible, et dans le calme de la solitude j'offrirai à Cypris pacifiée des libations de miel et de lait. Mais si là même je suis encore pris de passions, soyez, mes yeux, à jamais noyés dans les larmes, subissant une punition bien méritée; car c'est par votre faute, hélas ! que nous avons été la proie des flammes.
227. MACÉDONIUS. - Chaque année on vendange les vignes, et en coupant les grappes le vendangeur ne maudit pas les vrilles qui serpentent. Mais toi, doux trésor de mon âme, je t'enlace mollement dans mes bras, et je fais ma vendange amoureuse sans attendre l'été, ni un autre printemps, parce que tu es toujours chargée de fruits et charmante. Ainsi puisses-tu toujours être jeune et belle ! mais s'il te survient quelque ride, une vrille qui s'égare, je le supporterai sans cesser de t'aimer.
228. PAUL LE SILENTIAIRE. - Dis, pour qui friseras-tu encore ta chevelure ? Pour qui couperas-tu tes ongles, parfumeras-tu tes mains ? Dans quel but orneras-tu ton manteau d'une bande de pourpre, n'ayant plus à t'approcher de la belle Rhodope ? De ces yeux qui n'ont plus l'occasion de voir Rhodope, je ne me soucie pas même de voir le lever de la brillante aurore.
229. MACÉDONIUS (118). - Un pâtre, en voyant Niobé pleurante, s'étonna qu'un rocher pût ainsi verser des larmes ; et moi, qui gémis dans les ténèbres d'une nuit si longue, je ne puis toucher Évippé, vrai rocher vivant. L'amour est pour tous deux la cause de nos peines ; Niobé pleure sur ses enfants, je pleure sur mon amante.
230. PAUL LE SILENTIAIRE. - La blonde Doris, ayant pris un cheveu de sa tète, me lia les mains, comme si j'étais son prisonnier. D'abord je me mis à rire aux éclats, pensant qu'il me serait facile de briser ce lien de l'aimable Doris. Mais dès que je vis que je n'avais pas la force de le rompre, je poussai des gémissements comme un homme chargé de chaines et pris dans des entraves ; et maintenant, ô honte ! ô misère ! je suis suspendu à ce cheveu, obligé d'aller partout où ma maîtresse m'entraîne.
231. MACÉDONIUS. - Tu armes ta bouche de grâce, ton teint de fleurs (119), tes yeux d'amour, ta main d'une lyre ; tu t'empares de nos yeux par ta vue, de nos oreilles par ta voix ; de toute manière tu fais ta proie des pauvres humains.
232. PAUL LE SILENTIAIRE. - Quand j'embrasse Hippoménès, je pense à Léandre ; les baisers de Léandre me rappellent l'image de Xanthus, et dans les bras de Xanthus je retourne à Hippoménès, toujours éprise de celui que je ne possède pas. Tantôt l'un, tantôt l'autre est ainsi reçu dans mes bras avec une tendresse qui alterne ; et par là j'imite et j'honore Cythérée aux nombreux amants. Que celle qui m'en blâme végète dans la pénurie d'adorateurs et se contente d'un mari.
233. MACÉDONIUS. - Demain je penserai à toi. - Mais elle n'arrive pas, cette faveur que retardent des ajournements toujours nouveaux. Mon amour, mes désirs n'obtiennent que cette vaine promesse. A d'autres tu accordes d'autres faveurs ; mais ma foi, ma tendresse, tu les repousses. - Eh bien ! ce soir. Sais-tu ce que c'est que le soir pour une femme ? c'est la vieillesse, avec les cheveux blancs et les rides.
234. PAUL LE SILENTIAIRE. - Dans ma jeunesse autrefois, ayant banni de mon coeur indifférent le culte de Cythérée, insensible autrefois aux traits dévorants des Amours, je courbe maintenant sous tes lois, ô Vénus, une tête à moitié blanchie. Accueille-moi avec joie, avec orgueil ; car tu as vaincu la sage Minerve bien plus aujourd'hui que jadis en remportant la pomme des Hespérides.
235. MACÉNONIUS. - Te voilà ! je te désirais, mais je ne t'attendais pas. Aussi la surprise trouble-t-elle toutes mes idées. Je tremble, mon coeur est ému, agité; mon âme se noie dans cette mer des Amours ; pauvre naufragé, je vais périr sur la plage. Sauve-moi, reçois-moi dans tes bras, comme dans un port.
236. PAUL LE SILENTIAIRE. - Non, les tourments de Tantale, sur les bords de l'Achéron n'approchent pas de ceux que j'endure. A-t-il, en effet, été empêché, après avoir vu tes attraits, d'unir ses lèvres à tes lèvres plus douces que le calice des roses ? Tantale gémit sans raison : il craint le rocher suspendu sur sa tête ; mais il ne peut mourir deux fois. Et moi, vivant, je suis consumé, dévoré par l'Amour, et par mon épuisement, mes défaillances, je me trouve sans cesse en face de la mort.
237. AGATRIAS.
- Toute la nuit je me
lamente ; et lorsque le matin arrive et avec lui un peu de repos, les hirondelles se mettent à gazouiller autour de moi et renouvellent mes chagrins en chassant le doux sommeil. Mes yeux se remplissent de
larmes ; car le souvenir de Rhodanthe revient à ma pensée. Hirondelles jalouses, cessez votre babillage : je n'ai pas, moi, coupé la langue à Philomèle. Allez pleurer Ityle sur les montagnes et gémir sur les rochers où la huppe fait son nid, afin que je
goûte un peu de sommeil ; et peut-être me viendra-t-il quelque songe qui me mettra dans les bras de
Rhodanthe (120).
238. MACÉDONIUS. - Pourquoi ai-je tiré l'épée du
fourreau ? Ce n'est pas, je te le jure, ô jeune fille, pour faire rien d'indigne de
Cypris ; mais c'est afin de te montrer Mars, malgré ses emportements, soumis à la douce Vénus. Cette arme est mon compagnon, mon
confident ; elle me sert de miroir, en elle je me vois moi-même, et aussi beau que le permettent l'amour et ses tourments. Mais toi, que tu t'éloignes de moi, que tu m'oublies, et cette épée se plongera dans mon sein.
239. PAUL LE SILENTIAIRE. - La violence du feu qui me brillait s'est calmée ; je n'en souffre plus, mais je n'en meurs pas moins d'épuisement et comme desséché par l'amour. Car ce dieu qui dévore tout, après avoir consumé ma chair, s'est glissé dans mes os et mes veines. Et pourtant la flamme des autels, lorsqu'elle a consumé les victimes, faute d'aliment s'éteint d'elle-même.
240. MACÉDONIUS. - On n'obtient d'être aimé qu'avec de l'or. Ni la charrue ni la pioche ne procure le miel des abeilles ; c'est le printemps fleuri qui le donne. Mais le miel de Cythérée, ses faveurs, sont un des produits variés de l'or.
241. PAUL LE SILENTIAIRE. - Au moment de te dire adieu je me retiens, je me tais, et je reste près de toi. Te quitter ! C'est une séparation que je redoute à l'égal de la nuit des enfers. Car tu brilles d'un éclat semblable au jour ; mais il est muet le jour, et toi tu me parles, et elle est plus douce à entendre que celle des Sirènes, cette bouche à laquelle sont suspendues toutes les espérances de mon âme.
242.
ÉRATOSTHÈNE LE SCOLASTIQUE. - A la vue de Mélité je devins tout pâle
; car elle était accompagnée de son mari. Je lui dis en tremblant : "Puis-je enlever les barres de ta porte, ayant ouvert le pêne de notre serrure, et franchir le seuil humide
de ton vestibule, en plantant au milieu la pointe du levier ?" Elle me répondit en souriant et après avoir regardé de côté son
mari : "N'approche pas de ta maison, si tu ne veux pas perdre tes outils (121)."
243. MACÉDONIUS. - Je tenais serrée entre mes bras pendant la nuit, en songe, une jeune fille folâtre et rieuse. Elle avait pour moi toute sorte de complaisances, et se prêtait à tous les plaisirs que je voulais goûter. Mais un Amour jaloux qui, même pendant la nuit, se tenait en embuscade, la fit évanouir en dissipant mon sommeil. Ainsi l'Amour m'envie, jusqu'en songe, les doux plaisirs de Vénus.
244. PAUL LE SILENTIAIRE. - Galatée vous baise longuement et avec bruit, Démo avec tendresse, Doris en mordant. Laquelle émoustille le plus ? Ce n'est pas aux oreilles à juger des baisers ; mais ayant savouré ces triples lèvres, nous en dirons notre avis. O mon coeur, que tu t'étais trompé ! Tu as enfin connu la douceur des baisers de Démo, la rose et le miel de sa bouche. Jouis-en bien. Elle a la palme la mieux méritée. Que si on en préfère une autre, soit ; mais c'est Démo que je préférerai toujours.
245. MACÉDONIUS. - Tu ris enfin de ce rire qui prélude à l'hymen, tu me fais signe que tu cèdes ; mais tu me provoques inutilement. J'ai juré par la malheureuse épouse, Proserpine, par les trois soeurs, de ne jamais te regarder que d'un oeil courroucé. Joue donc pour toi seule des lèvres, appelle-toi toi-même en sifflant ; et que de ta bouche solitaire aucune autre bouche ne s'approche. Pour moi je prends un autre chemin ; car il y a d'autres servantes de Vénus dont le lit vaut mieux que le tien.
246. PAUL LE SILENTIAIRE. - Doux et, tendres sont les baisers de Sapho, doux et tendres sont ses bras qui m'enlacent, tous ses membres sont doux et tendres ; mais son âme est du métal le plus dur. L'amour n'est que sur ses lèvres ; tout le reste est d'une vierge [insensible]. Et qui pourrait le supporter ? celui qui en serait capable supporterait aisément une soif de Tantale.
247. MACÉDONIUS. - Par le fait tu n'es pas Parménis (122) ; j'ai cru que tu l'étais, ayant entendu ce nom charmant ; mais tu es pour moi plus cruelle que la mort. Tu fuis celui qui t'aime, et celui qui ne t'aime pas tu le poursuis pour le fuir à ton tour quand il t'aime. Ta bouche a été un hameçon funeste ; j'y ai mordu, et je reste suspendu à tes lèvres trompeuses.
248. PAUL LE SILENTIAIRE. - O main téméraire, as-tu bien pu saisir, arracher une boucle de ses cheveux d'or ? Tu l'as osé. Sa voie plaintive, sa chevelure en lambeaux, son cou mollement incliné ne t'ont point attendrie. Maintenant tu frappes en vain mon front à coups redoublés ; car tu ne toucheras plus ses seins charmants. Ah ! je vous en prie, ma souveraine, ne me punissez pas à ce point : je supporterais plus volontiers un coup d'épée.
249. IRÉNÉE. - Fière Rhodope, cédant à la puissance de Vénus, tu as abdiqué ton orgueil insolent. Tu m'as pris dans tes bras, tu m'as reçu dans ton lit. Me voici donc dans tes fers, et sans regret de la liberté ; si délicieusement se pénètrent et se mélent l'âme et le corps des amants dans les épanchements de l'amour !
250. PAUL LE SILENTIAIRE. - Amis, qu'il est doux le sourire de Laïs ! Qu'elles sont douces les larmes qui tombent de ses yeux charmants ! Hier, sans raison elle gémissait, la tête appuyée sur mon épaule et pleurante. Je la baisai. Ses larmes comme des gouttes de rosée glissaient le long de ses joues. "Pourquoi, lui dis-je, pleures-tu ? - Je crains que tu ne me laisses, répondit-elle; car vous autres, vous ne tenez guère vos serments."
251. IRÉNÉE. -Tes yeux brillent d'un éclat qui trahit une flamme cachée, tes lèvres roses s'avancent de côté [comme pour un baiser], en riant tu agites ta chevelure abondante et splendide, je vois tes mains superbes qui se livrent et s'abandonnent ; mais l'orgueilleuse fierté de ton coeur n'a pas fléchi. Tu n'es pas devenue plus tendre, malgré l'amour qui te consume.
252. PAUL LE SILENTIAIRE. - Jetons, ô ma toute belle, nos vêtements ; enlaçons-nous dans une douce étreinte. Qu'il n'y ait rien entre nous. Ce léger tissu qui te cache me semble une muraille de Babylone. Joignons nos poitrines nos lèvres. Ne parlons pas du reste ; je hais une langue indiscrète et sans frein.
253. IRÉNÉE. - Pourquoi, Chrysilla, la tête baissée, regardestu le plancher, et ne touches-tu à ta ceinture que du bout des doigts ? La pudeur n'a rien à voir avec Vénus. Que si tu hésites à parler, par un signe du moins indique que tu cèdes à la déesse.
254. PAUL LE SILENTIAIRE. - J'avais juré de rester loin de toi, charmante jeune fille, jusqu'à la douzième aurore. Grands Dieux ! je ne l'ai pas pu, malheureux que je suis ! A peine l'aube du lendemain parut, qu'il me sembla que déjà douze grands mois, oui, je te l'atteste, s'étaient écoulés. Supplie les dieux, je t'en conjure, de ne point inscrire ce serment sur le livre où ils enregistrent les châtiments et les vengeances. Que tes gracieuses caresses me charment, me rassurent, et que ta colère, divine amie, que celle des dieux, ne me punissent pas de mon parjure !
255. LE MÊME. - J'ai vu de vrais amants ! Avec une insatiable fureur, longtemps rivés l'un à l'autre par leurs baisers, ils ne se lassaient pas d'un amour prodigue et sans réserve, désirant, s'il était possible, pénétrer dans le coeur l'un de l'autre. Ils soulageaient seulement la violence de leur ivresse, en échangeant entre eux leurs vêtements : lui, il ressemblait à Achille, lorsqu'il était à la cour de Lycomède ; elle, avec sa tunique qui descendait jusqu'à son blanc genou, c'était Phébé. Et de nouveau leurs bouches se rencontraient, car ils avaient une soif dévorante d'un amour incessant. On séparerait plus aisément deux ceps de vigne que la nature aurait noués ensemble par de tortueuses étreintes, que ces amants, dont les bras s'enlaçaient autour de leur cou en flexibles entraves. Trois fois heureux celui qui est lié par de tels noeuds d'amour (123), oui, trois fois heureux ! Pour moi, je brûle seul.
256. LE MÊME. - Galatée, hier soir, m'a jeté les deux battants de sa porte au nez avec d'injurieuses paroles. Une injure dissipe les amours, dit le proverbe. O combien il se trompe ! Ces paroles n'ont fait qu'accroître ma passion. J'avais en effet juré de rester une année loin de Galatée, et, dès ce matin, grands dieux ! je suis accouru vers elle en suppliant.
257. PALLADAS. - Maintenant je tiens Jupiter pour le plus insensible des dieux, puisqu'il ne se métamorphose pas pour cette fière beauté. Certes, elle n'est pas moins adorable qu'Europe, que Danaé, que la tendre Léda. Est-ce qu'il mépriserait tes courtisanes ? Je sais en effet qu'il exploite plus particulièrement les vierges des familles royales.
258. PAUL LE SILENTIAIRE. - Philinna, tes rides sont préférables au teint frais de toutes nos jeunes filles. J'aime moins tenir dans mes mains leurs seins droits et fermes que les tiens qui s'inclinent comme une rose épanouie. Car ton automne plus beau que leur printemps, leur été est moins chaud que ton hiver.
259. LE MÊME. - Tes yeux, pleins de langueur et d'amour sont appesantis, Charicle, comme si tu te réveillais et sortais du lit. Ta chevelure est en désordre ; sur tes joues fraîches et roses quelle pâleur ! Tu as l'air d'être épuisée, défaillante. Si les exercices de la veillée t'ont laissé ces traces, il est bien le plus heureux des hommes celui qui t'a tenue dans ses bras. Que si un brûlant amour te consume, puisse-t-il te consumer pour moi !
260. LE MÊME. - Un réseau retient-il ta chevelure je me sens consumé d'amour, en contemplant l'image de Rhée avec sa couronne murale. Ta tête est-elle nue, tes cheveux blonds me causent un trouble qui m'ôte la raison. Caches-tu, sous des voiles blancs, tes nattes pendantes, une flamme dévorante s'acharne à mon coeur. La triade des Grâces t'escorte sous cette triple forme, et chacune de ces formes épanche sur moi le feu qu'elle recèle.
261. AGATHIAS. - Je n'aime pas le vin ; mais quand tu voudras m'enivrer, effleure d'abord la coupe et présente-la-moi ; je la prendrai. Quand tu l'as touchée de tes lèvres, est-il possible d'être sobre et de fuir le doux échanson ? car la coupe qui vient de toi m'apporte un baiser, et me raconte la faveur qu'elle a reçue.
262. PAUL LE SILENTIAIRE. - Hélas ! la jalousie qui nous surveille nous interdit de doux entretiens et jusqu'au secret langage des yeux. Une vieille, toujours en sentinelle, nous épouvante comme les cent yeux du pâtre qui surveillait Ino. Reste là. examine ; tu t'épuises en vain, car tes regards ne pénétreront pas jusqu'à nos coeurs.
263. AGATHIAS. - O lampe, ne porte jamais de lumignon, n'amène pas la pluie, n'empêche pas mon amant de venir. Toujours tu te montres hostile à Vénus ; et, en effet, lorsque Héro t'alluma pour Léandre .... O mon coeur, n'achève pas. Tu es du parti de Vulcain, ô lampe, et je crois que, pour contrarier Vénus, tu sers la jalousie de l'époux.
264. PAUL LE SILENTIAIRE. - Pourquoi me reproches-tu mes cheveux prématurément blanchis et mes yeux noyés de larmes ? Ce sont les effets de tes rigueurs, les suites des soucis d'un amour sans espoir, les marques des traits qui me percent, le fruit de mes longues insomnies. Déjà mes flancs amaigris se rident, la peau de mon cou se plisse avant le temps. A mesure que s'augmente l'ardeur de mes feux, mon corps se consume de plus en plus et vieillit, usé par les soucis rongeurs. Oh ! de grâce, aie pitié de moi, et bientôt mes cheveux redeviendront, noirs, mes joues reprendront leurs couleurs.
265. COMÉTAS. - Phyllis fixait son regard sur la mer immense : il n'y voguait que des serments ; Démophon était un époux parjure. Maintenant, chère Phyllis, c'est moi, Démophon fidèle, qui suis sur le bord de la mer ; et toi, Phyllis, comment as-tu trahi ta foi (124) ?
266. PAUL LE SILENTIAIRE. - On dit que l'homme mordu par un chien enragé voit dans les eaux l'animal dont le venin le tue (125) . Sans doute que l'amour, enragé aussi, m'a mordu de sa dent envenimée, et que mes sens sont en proie à ses fureurs : car dans la mer, dans les flammes, dans la coupe des échansons, je vois ton image adorée.
267. AGATHIAS. - Pourquoi gémis-tu ? - J'aime. - Qui ? - Une jeune fille. - Elle est belle sans doute ? - Elle paraît belle à mes yeux. - Où l'as-tu remarquée ? - Ici même où je soupais, je l'ai vue assise sur le même lit que moi. - Espères-tu l'obtenir ? - Oui certes, ami, mais je cherche une liaison voilée, mystérieuse. - Et tu ne veux pas un mariage légal? - Je sais, à n'en pas douter, qu'elle a beaucoup moins de bien que moi. - Tu sais cela ? tu n'aimes pas, tu te fais illusion. Comment peut-on être épris de coeur, quand on calcule si bien ?
268. PAUL LE SILENTIAIRE. - Que personne ne redoute plus les traits de l'Amour ; car il a épuisé sur mon cmur tout son carquois. Que personne ne craigne plus l'approche de ses ailes ; car, depuis qu'il a mis en vainqueur son pied sur ma poitrine, il y reste ferme, immobile, sans changer de place, ayant coupé à mon intention ses deux ailes.
269. AGATHIAS. - Je me trouvais un jour seul entre deux jeunes filles, aimant l'une, aimé de l'autre. Celle qui m'aimait m'attirait à elle ; et moi, de mon côté, comme un voleur, à la dérobée et d'une bouche discrète, j'embrassais l'autre, trompant la jalousie de la voisine dont je craignais les reproches et des révélations qui auraient mis un terme à nos tendresses. Ennuyé de ma situation : "Certes, m'écriai-je, il est aussi pénible d'aimer que d'être aimé; c'est un double malheur. "
270. PAUL LE SILENTIAIRE. - Ni la rose n'a besoin de couronnes, ni toi de voiles brodés et de réseaux en pierreries. Les perles sont moins blanches que ta peau, et l'or n'ajoute aucun éclat à ta chevelure négligée. De l'hyacinthe indien jaillit un feu noir et charmant, mais moins vif que celui de tes prunelles. Tes lèvres si fraîches, ta taille harmonieuse et divine ont la puissance de la ceinture de Vénus. Je suis anéanti par tant de beautés ; tes yeux seuls me rassurent et me raniment, parce que la douce espérance y repose.
271. MACÉDONIUS. - Celle qui autrefois était si fière de sa beauté, dont le corps s'agitait avec tant de grâce au son de crotales d'or, maintenant elle est vieille, elle est malade. Ses adorateurs, qui jadis accouraient lui offrir leurs voeux, maintenant se sauvent effrayés. La pleine lune, la nouvelle lune, tout a disparu ; l'astre n'a plus de conjonction.
272. PAUL LE SILENTIAIRE. - Ma main caresse son sein ; ma bouche presse sa bouche ; éperdu, enivré, je dévore son cou d'albâtre. Mais je n'ai pu forcer le dernier retranchement. Je lutte, que d'efforts ! Elle me repousse de son lit. C'est qu'elle s'est donnée la moitié à Vénus, la moitié à Minerve ; et moi, contre les deux je languis et me consume.
273. AGATHIAS. - Celle qui naguère était fière de sa beauté, qui secouait les nattes de beaux cheveux, qui marchait d'une allure altière, l'orgueilleuse qui se jouait de mes peines a perdu son prestige et ses grâces : ses mains se rident, son sein s'affaisse, ses sourcils s'éclaircissent, ses yeux s'éteignent, sa vois chevrote sur ses lèvres pâlies. Les cheveux blancs ! je les appelle les vengeurs de l'Amour ; ce sont de bons justiciers, et pour les coquettes leur justice ne se fait pas attendre.
274. PAUL LE SILENTIAIRE. - Cette image de mes traits qu'autrefois l'Amour osa graver dans ton coeur brûlant, hélas ! hélas ! contre mon attente tu l'abjures, tu la repousses. Pour moi, j'ai toujours présente à la pensée ta belle image, elle y restera gravée ; et cette image, je la montrerai, cruelle (126), au Soleil, à Pluton, excitant contre toi les vengeances du tribunal de Minos
275. LE MÊME. - La gracieuse Ménécratis était couchée, vaincue par le premier sommeil, et son bras s'arrondissait autour de sa tête. Je m'enhardis, je montai sur son lit, et déjà mon ardeur avait à demi remporté la victoire, quand l'enfant s'éveilla, et de ses blanches mains ravagea ma chevelure ; elle luttait, mais je n'achevai pas moins l'amoureux exploit. Alors, les yeux pleins de larmes : "Méchant, dit-elle, tu as contenté ton désir, et pourtant n'ai-je pas bien des fois refusé l'or que m'offrait ta main ? Tu vas t'éloigner maintenant, et tes bras enlaceront une autre maîtresse, car vous êtes insatiables dans les travaux de Vénus."
276. AGATHIAS. - Ma belle fiancée, je t'apporte ce bandeau brodé sur un fond d'or, mets-le sur tes cheveux ; couvre tes épaules de cette mantille, et ramène-la sur ta blanche poitrine, oui, sur ta poitrine, afin qu'elle t'enveloppe bien de ses plis et protége tes seins. Porte-la comme une vierge ; mais puisses-tu voir aussi l'hymen t'entourer d'enfants, fleurs de la famille ; et alors je t'offrirai un voile au blanc tissu et une résille parsemée de pierreries.
277. ÉRATOSTHÈNE. - Qu'un autre recherche les hommes ; pour moi, je préfère les femmes, dont la tendresse nous réserve de durables plaisirs. Arrière, jeunes gens ; car je déteste votre barbe, votre barbe odieuse et sans cesse renaissante.
278. AGATHIAS. - Cythérée elle-même et les aimables Amours frapperont mon coeur d'une incurable plaie, j'y consens, s'il m'arrive d'aimer les garçons. Que jamais je ne réussisse auprès d'eux, que je ne tombe jamais dans de tels égarements ! Je me contente d'amourettes avec de jeunes filles ; voilà ce que je préférerai toujours. Mais les jeunes gens, je les abandonne à l'insensé Pittalacus (127).
279. PAUL LE SILENTIAIRE. - Cléophantis tarde bien. Déjà la troisième lampe commence à baisser, s'éteignant peu à peu. Plût à Dieu aussi que le feu de mon coeur s'éteignît avec la lampe, et qu'il ne me consumât pas plus longtemps, en proie aux désirs et privé de sommeil ! Combien de fois a-t-elle attesté Vénus qu'elle viendrait sur le soir ! Mais elle offense également son amant et les dieux.
280. AGATHIAS. - Est-ce que toi aussi, Philinna, tu éprouverais les tourments de l'amour ? Souffrirais-tu à ton tour, consumée par une insomnie brûlante ? ou plutôt ne dors-tu pas du sommeil le plus doux, sans tenir le moindre compte de nos peines ? [Prends garde] ; tu éprouveras pareil sort, et je verrai tes belles joues ruisselantes de larmes. Car Vénus est sévère, vindicative, et elle a cela de bon qu'elle hait les coquettes.
281. PAUL LE SILENTIAIRE. - Tout dernièrement, Hermonassa, après une joyeuse orgie, et tandis que j'ornais de couronnes la porte de sa maison, m'a jeté l'eau de son verre sur la tête et m'a tellement inondé que de trois jours j'ai pu à peine arranger mes cheveux. Mais, ô prodige ! je me suis senti comme brûlé par cette eau : c'est qu'Hermonassa avait communiqué à son verre le feu secret de ses charmantes lèvres.
282. AGATHIAS. - Mélité à la taille élancée n'a pas déposé sur le seuil de la vieillesse la gràce, celle de la jeunesse. Ses joues conservent de l'éclat et de la fraîcheur ; son oeil sait encore charmer, et pourtant elle compte un certain nombre de décades d'années. Il lui reste même l'air superbe d'une jeune fille, et ici je reconnais que le temps ne peut vaincre la nature.
283. PAUL LE SILENTIAIRE. - Toute la nuit, j'ai eu Théano dans mes bras versant des larmes, émue de volupté et de crainte ; car du moment qu'elle vit l'astre du soir remonter vers l'Olympe, elle l'accusa d'être le messager de l'aurore. Rien ne vient à souhait aux mortels. Les serviteurs de l'Amour ne devraient-ils pas jouir de la nuit des Cimmériens ?
284. RUFIN. - J'aime tout de toi, moins tes yeux, que je déteste : ils se plaisent à regarder des hommes que je hais.
285. AGATHIAS. - Surveillée et ne pouvant m'embrasser, la belle Rhodanthe déploya sa ceinture virginale, en prit un bout et le baisa ; et moi, à l'autre bout, j'attirai le courant d'amour comme par un canal, aspirant le baiser. Je pressai de mes lèvres la ceinture de la jeune fille, et de loin lui rendis ainsi sa caresse. Ce jeu fut un adoucissement à nos peines ; car sur la douce ceinture, d'un bord à l'autre, passaient et repassaient nos baisers.
286. PAUL LE SILENTIAIRE. - Dis, Cléophantis, quel ravissement, quand un mutuel amour agite deux amants de son souffle impétueux. Est-il un dieu, fût-ce Mars, est-il une terreur assez grande, une pudeur assez vive, qui puissent les arracher à leurs tendres embrassements ? Que mes membres soient chargés des liens mystérieux que forgèrent l'enclume de Lemnos et l'insidieuse adresse de Vulcain, pourvu que, ô ma belle amie, te pressant dans mes bras, je savoure les délices de tes enivrantes étreintes ! Alors, certes, peu m'importe d'être vu par un étranger, par un voisin, par un passant, par un prêtre, même par mon épouse.
287. AGATHIAS. - Curieux de savoir si la belle Éreutho m'aimait, je fis sur son coeur une épreuve astucieuse. "Je vais partir pour l'étranger, lui dis-je ; toi, reste, sois heureuse et n'oublie pas notre amour"» Elle, aussitôt, pousse un cri; elle bondit, se frappe le visage, s'arrache une touffe de cheveux ; elle me supplie de rester. Et moi, comme ne cédant qu'avec peine et d'un air compatissant, je finis par le lui promettre. Suis-je assez heureux en amour ! On me demande ce que je désirais le plus, je l'accorde comme une faveur insigne, [et l'on m'en sait gré].
288. PAUL LE SILENTIAIRE. - Depuis qu'à mon insu ; pendant que je buvais, Chariclo. en folâtrant, a mis sur ma tête sa propre couronne, un feu dévorant me consume. Il me semble que sa couronne a quelque chose du poison qui brûla Glaucé, la fille de Créon.
289. AGATHIAS. - La vieille, qui a déjà vécu trois âges de corneille, et qui pour nos peines a reçu si souvent des remises de trépas, a un coeur impitoyable : elle ne se laisse attendrir ni par l'or, ni par des coupes du vin le plus pur. Son oeil vigilant ne perd pas de vue la jeune fille. Si elle l'aperçoit promenant autour d'elle un regard furtif, ah ! quelle audace ! elle frappera au visage la pauvre enfant plaintive et gémissante. O Proserpine, si tu as vraiment aimé Adonis, aie pitié de nos communes douleurs. Accorde-nous, à nous deux, une grâce : délivre la jeune fille de la vieille, avant que celle-ci ne meure, [car elle ne mourra jamais].
290. PAUL LE SILENTIAIRE. - Échappant à l'oeil soupçonneux de sa mère, une belle jeune fille m'a donné une couple de pommes fraîches comme des roses. Sans doute elle avait en secret communiqué à ces pommes rougissantes le feu magique des amours, car je suisun malheureux que la flamme dévore; mais au lieu de seins à caresser, je porte, grands dieux ! des pommes dans mes mains oisives.
291. LE MÊME. - O ma belle ! si tu m'as donné ces [pommesj comme des emblèmes de ton sein, je bénis le don, j'en apprécie la valeur. Mais si tu en restes là, quelle iniquité d'allumer un feu si violent et de refuser de l'éteindre ! Celui qui blessa Télèphe le guérit aussi ; toi, jeune fille, ne sois pas plus cruelle à mon égard que les ennemis de Télèphe.
292. AGATHIAS. - (Agathias, qui était en mission de l'autre côté de Constantinople, pour résoudre des questions de droit, envoya comme souvenir cette épigramme à Paul le Silentiaire.) Ici la terre verdoyante et fleurie est gracieusement parée des plus beaux fruits ; ici chantent sous l'ombre épaisse des cyprès des oiseaux qui couvent leurs petits sous leurs ailes ; ici bourdonne le gazouillement des chardonnerets. La plaintive grenouille module ses soupirs dans les buissons où elle se cache. Mais que me font tous les charmes de ce séjour, à moi qui aimerais mieux entendre ta parole que les accords de la lyre du dieu de Délos ? Une double passion me chasse de ces lieux : je brûle de te voir, ainsi que ma jeune Glycère, pour laquelle tant de soins me consument. Pourquoi faut-il que des devoirs de juge m'éloignent ainsi d'une charmante maîtresse ?
293. PAUL LE SILENTIAIRE. - (Réponse.) L'amour ne connaît ni les lois ni les entraves. Nul obstacle ne peut séparer un amant de celle qu'Il aime avec transport. Si des préoccupations judiciaires t'arrêtent, c'est qu'une ardente passion n'est pas dans ton coeur. Quel amour que le tien, si un petit détroit peut te séparer de la jeune fille que tu idolâtres ! Léandre, en nageant à travers des flots que la nuit rendait plus terribles, a montré, lui, toute la puissance de l'amour (128). D'ailleurs, ami, il y a des barques de passage. Mais tu fréquentes plus les autels de Minerve que ceux de Vénus, dont tu méprises le culte. Minerve préside aux lois, Vénus à l'amour. Dis-moi quel est l'homme qui peut à la fois servir Minerve et Vénus.
294. AGATHIAS. - L'odieuse vieille reposait près de la jeune fille ; étendue sur le dos, elle occupait le travers du lit, et s'avançait comme un inexpugnable rempart; sa tunique aux longs plis recouvrait l'enfant comme pour la protéger. Une farouche servante avait étroitement fermé la porte de la chambre, et dormait appesantie par des libations trop généreuses. Pourtant elles ne m'intimidèrent point ; d'une main discrète je soulevai la verrou ; j'éteignis, en agitant le pan de ma robe, le flambeau qui veillait dans la nuit, et je me glissai de côté dans la chambre, trompant la sentinelle endormie. Là, le rampai doucement sur le plancher et m'approchai du lit, puis je me redressai peu à peu et franchis l'endroit faible du rempart. Serrant alors ma poitrine contre la jeune fille, je pressais son sein d'une main amoureuse, et sur sa douce lèvre ma lèvre cueillait de savoureux baisers. Sa bouche charmante était ma conquête, et ses caresses les arrhes des nocturnes travaux. Toutefois je ne forçai pas les suprêmes barrières, et la victoire qu'on ne me disputait pas se trouva retardée. Mais si nous engageons une fois encore la lutte de l'amour, ah ! j'aurai bientôt triomphé de tous les obstacles, nul rempart ne m'arrêtera plus, et, vainqueur, je te tresserai des couronnes, ô Cypris, déesse des trophées.
295. LÉONCE. - 0 coupe, savoure des lèvres plus douces que le miel ; tu les as, suce-les. Je ne te porte pas envie, mais que je voudrais être à ta place !
296. AGATHIAS. - Le vin avec le bruit sonore d'une feuille de pavot (129) qui éclate s'est échappé des flancs de la coupe prophétique : je reconnais que tu m'aimes. Mais tu me le persuaderas véritablement en venant passer la nuit à mes côtés. Cela montrera que tu es sincère, et je laisserai les ivrognes s'amuser au jeu du cottabe.
297. LE MÊME. - Les chagrins des jeunes gens ne sont pas comparables à ceux des pauvres filles. Ils ont, eux, des camarades auxquels ils racontent avec confiance les peines de leur coeur ; ils se livrent à des jeux qui les consolent ; ils se promènent par les rues où des images amoureuses peuvent les distraire ; mais nous, il ne nous est pas même permis de voir la lumière, nous sommes cachées au fond de nos appartements, en proie à de sombres douleurs.
298. JULIEN D'ÉGYPTE. - La charmante Maria fait la fière. Viens, Justice auguste, punis son insolence et son orgueil, non par la mort, déesse toute-puissante ; bien au contraire, qu'elle arrive à la vieillesse, qu'elle en ait les cheveux et les rides ; que des cheveux blancs vengent mes larmes (130) ; que sa beauté, cause de tant d'égarements, expie l'égarement de son coeur.
299. AGATHIAS. - "Rien de trop, " a dit un sage; et moi, comme un homme aimé et beau, j'avais pris de grands airs. Je m'étais imaginé que l'âme tout entière de la jeune fille était dans ma main ; mais elle ne tarda pas à montrer son adresse. Se repentant de sa naïveté première et renchérissant sur moi, elle releva la tète, me regarda d'un oeil superbe et dédaigneux ; et moi, naguère si orgueilleux, si dur, si intraitable, si altier, je change tout à coup de ton. Les rôles furent intervertis ; et tombant aux genoux de la jeune fille : "Pitié ! m'écriai-je, grâce pour une erreur de jeune homme !"
300. PAUL LE SILENTIAIRE. - Le brutal, le fat, le dédaigneux est devenu le jouet d'une faible jeune fille. Naguère il croyait la dominer de toute sa hauteur ; maintenant, vaincu, il a perdu même l'espérance ; il a recours aux prières, il gémit comme une femme ; quant à elle, dans ses regards éclate une mâle colère. Jeune fille au coeur de lion, quelque légitime que soit ton ressentiment , modère-le , modère ton orgueil ; prends garde, Némésis n'est pas loin.
301. LE MÊME. - (Avec un envoi de poissons.) Si tu portes tes pas par delà Méroë, l'amour a des ailes, et il m'y portera ; si tu vas en Orient, vers l'aurore moins fraîche que toi, à pied je t'y suivrai, si loin que ce puisse être. Mais si je t'apporte un tribut des mers, avec bonté reçois-le, jeune fille : c'est la déesse des mers qui te le donne, vaincue par ta grâce et tes charmes, et n'aspirant plus à la suprématie de la beauté.
302. AGATHIAS. - Quelle voie suivras-tu à la recherche des amours ? Dans les rues, la luxure cupide des prostituées ne te donnera que des chagrins. Si tu t'approches du lit d'une jeune fille, tu en viendras à un mariage légal, ou tu t'exposeras à la peine des suborneurs. Y a-t-il rien de plus insipide que les caresses forcées, obligatoires, de la femme mariée ? T'y exposeras-tu ? Détestable est la couche de l'adultère : elle t'offriramoins de jouissances que de périls. Renonces-y, aussi bien qu'aux débauches criminelles des garçons. Mais une veuve ! Si elle est de moeurs déréglées, le premier venu est son amant, et il n'y a pas d'artifices de courtisane qu'elle n'imagine. Si elle est honnête, à peine a-t-elle cédé qu'elle sent, à défaut d'amour, l'aiguillon du repentir, et qu'elle déteste ce qu'elle a fait ; ayant un reste de pudeur, elle se retranche dans des ajournements qui équivalent à une rupture. T'uniras-tu à ta servante ? te voilà devenu l'esclave d'une esclave. T'uniras-tu à l'esclave d'un autre ? alors la loi te flétrira comme portant le déshonneur chez tes voisins. Diogène sut échapper à tous ces inconvénients ; il chantait à lui seul l'hymne nuptial, sans avoir besoin de Lais.
303. ANONYME. - Des cris perçants viennent à mes oreilles. Quel tumulte dans la rue ! N'y fais-tu pas attention, déesse de Paphos ? C'est ton fils, qu'ont pris ici au passage tous ceux dont il a blessé et brûlé les coeurs.
304. ANONYME. - Le raisin était vert, et tu me refusais. Lorsqu'il était mûr, tu passais fièrement devant moi ; maintenant qu'il se dessèche, n'hésite plus à m'en donner quelques grains.
305. ANONYME.- L'autre jour, sur le soir, une jeune fille m'a donné un baiser humide. Ce baiser sentait le nectar, car de nectar sa bouche était pleine ; et maintenant je suis ivre d'amour, ayant bu trop d'amour dans ce baiser (131).
306. PHILODÈME. - Tu as des larmes dans la voix, tu soupires comme un jaloux, tes regards sont pénétrants, tes mains indiscrètes, tes baisers incessants. D'un amant voilà bien les marques ; mais lorsque j'ai dit : "Je suis couchée," et que tu restes [ainsi qu'une statue], franchement tu n'as rien d'un amant.
307. ANTIPHILE. - Ce fleuve, c'est l'Eurotas de Laconie ; la femme sans voile, c'est Léda ; l'amant caché sous le plumage du cygne, c'est Jupiter. Et vous, [Amours], qui consumez mon pauvre coeur, voulez-vous aussi me changer en oiseau ? Si Jupiter est un cygne, moi je ne puis être qu'une alouette.
308. LE MÊMEOU PHILODÈME. - La belle, attends-moi. Quel est ton nom charmant ? Où peut-on te voir ? Je te donnerai ce que tu voudras. Es-tu muette, que tu ne parles pas ? Où demeures-tu ? J'enverrai avec toi quelqu'un pour que tu lui montres ta maison. Est-ce que quelque autre te possède ? Orgueilleuse, bonsoir. Tu ne dis pas même bonsoir ? Souvent, bien souvent tu me trouveras sur tes pas. J'en ai apprivoisé de plus sauvages que toi. Maintenant réfléchis ; bonsoir (132).
309. DIOPHANE DE MYRINE. - L'Amour peut être appelé réellement un voleur : il veille, il est hardi, il déshabille les gens.
(26)
Cf. Théocrite, XIV, 48.
(27) Au lieu de f¡resyai, je lis gr‹fesyai.
(28)
Virgile, Aen., IV, 93.
(29)
Voy. Longepierre, Anacréon, p. 212.
(30) Kñlpon a le double sens de golfe et de sein.
(31)
Sur la Vénus marine, voir le Mém. sur Vénus, de Larcher, p. 109.
(32) Ainsi
Horace : "Parabilem amo Venerem facilemque .... Desine matronas sectarier.
" Sat. I, II - "Ne sit ancillae tibi amor pudori. Od., II.
(33)
Les mots boÇpiw et taèron sont en grec dans un rapport poétique et ingénieux.
(34) Oéd' önar en aucune manière, nullement, comme ci-après, 76.
(35)
Ainsi Catulle, 99 :
"Suaviolum tristi tristius elleboro."
(36) Au lieu
de oß ploètou penÛhn je lis ploætou, t¯n penÛhn.
(37) Xrusoè, s. ent. eàxen ŽntÛ.
(38)
Au lieu de dik‹zetai, il faut lire lixm‹zetai, sensu obscoeno.
(39) C'est
un goutteux qui parle.
(40)
Au lieu de gŒr àsvw, je lis xartoæw.
(41)
Ce sont les conseils d'un vil amant à une courtisane.
(42)
Au lieu de eékarteÝn, je lis
eéargeÝn.
(43) Au lieu de t¡ke kaÜ tr¡fe, je lis t¡ke, naÜ t¡ke.
(44)
Au lieu de ginñmenon, je lis kruptñmenon.
(45)
Cf. Ovide, Amor., III, 7.
(46) Cf. Martial, IX, 33.
Voy. les Mélanges de Chardon de la Rochette, t. II, p. 329.
(47)
Adonis passait six mois de l'année aux Enfers.
(48) Cux®, amour et papillon, fait ici un concetto intraduidible.
(49) AÞtvl®, demandeuse, de aÞteÝn. M°dow, non donnant, m¯ doæw.
(50)
"Inclusam Danaën turris ahenea." Horace, Od., III, XVI.
(51) Cf. Ausone,
Épigr. LXXIX, et Tibulle, IV, V, 13.
(52)
Voy. Longepierre, Anacréon, p. 146.
(53)
Lusus grammaticus de ƒAndrom‹xh, quae viro bellum indicit, e parentibus male ominati nominis prognata, et de
Lusim‹xÄ, unde læsetai. Jacobs.
(54)
Sic apud Achillem Tatium, IV, 8 : Tò m¢n gŒr ¦rgon ƒAfrodÛthw kaÜ öron ¦xei kaÜ kñron.
(55) Voy.
les Pensées de Platon, par M. Le Clerc, p. 12.
(56) Voy. Longepierre,
Anacréon, p. 38.
(57)
Voy. Longepierre, Bion et
Moschus, p. 19.
(58) Mæron est un terme d'amour. Voy. ci-après 113
(59)
Voy. Longepierre, Anacréon, p. 88.
(60) Oéranñw, le palais de la bouche.
Kævn, tò ŽndreÝon mñrion. DÛdumoi, oß örxeiw.
(61) DÜw tñson, lisez dæstonon.
(62)
Voir la note de M. Boissonade, sur le mol
phil en composition, dans le Télémaque de Lefèvre, 1824, t. II p.
180.
(63)
Cf., Martial, Épigr.,
XI, 43.
(64) Dans Korn®liow, il y a ´liow, soleil ; de là
yermaÛnei, fÇw,
pèr.
(65) ösdeiw. Lectio
eëdeiw elegans est, et sensum habet optimum.
Jacobs.
(66) Au lieu de eëdomen,
Ëw... je lis eëdomen ;
Ëw... avec un point final.
(67)
Cf. Horace, Sat. I , 2, 38 et 127.
(68) Koinòw „Erm°w. Sic apud Phaedrum, V, 3 : in commune quidquid est lucri.
(69) Une bayadère.
(70) Opique, par ce mot les Grecs désignaient injurieusement les Romains.
(71) Flvr‹ nec graecum nec latinum est (Brunck). Lisez xlvr‹.
(72) Voy.
Sainte-Beuve, Méléagre, p. 499.
(73)
Je lis k‹llow êchnioxÇn.
(74) Puis est-ce le velours ou le satin encor?
Non, mon duc, c'est ton cou qui sied au collier d'or.
(Victor-Hugo, Hernani, avant-dernière scène.)
(75) Voy.
Sainte-Beuve, Méléagre, p. 496.
(76)
La soeur et l'épouse de Ptolémée Évergéte.
(77) Sainte-Beuve,
Méléagre, p. 498.
(78) Sur un portrait de la courtisane Zénophile.
(79) Le poéte joue sur les mots kexarism¡non, X‹rin, x‹riti.
(80)
Sainte-Beuve, Méléagre, p. 497.
(81) Truf¡ra non pas seulement de nom. Remarquer le changement de l'accent.
(82) Ceci rappelle les
proelia virginum sectis in juvenes unguibus acrium d'Horace, Od., I, VI, 47.
(83) Voy. Ausone, Épigr. XCIV.
(84)
Ad Judaeam. Il faut se rappeler que Méléagre était de Gadara en Palestine.
(85) CuxroÝw. "Cui frigida sabbata
cordi." Itin. Rutilii, I, 389.
(86) ƒEndumÛvnow ìpnon kayeædeiw, proverbe grec.
(87)
Sur l'Hymette il y avait l'autel de
Jupiter pluvieux, Diòw ômbrÛou.
(88)
Voy. Sainte-Beuve, Méléagre, p.
495.
(89) C'est la contre-partie de l'épigramme précédente.
(90)
Voy. Longepierre, Bion et Moschus, p. 67.
(91) Voy.
Longepierre, Bion et Moschus, p. 68.
(92) Je lis TreÝw, KarÛvn, ²mÝn l‹be bÅlakaw.
(93)
Sainte-Beuve, Méléagre, p. 494.
(94) D'ordinaire on ne se mettait pas à table avant la neuvième heure du soir ou trois heures de l'après-midi.
(95) Au lieu de ¦klaion ; kn m® .... je lis kaleÝ ; kn min...
(96) K‹leson. cf. Horace. Od. II, II, 18.
(97)
C'est peut-être le commencement de l'épigr. 182.
(98)
Ici je lis daÛmona ynhtñw ; ·sson ¤gÆ tl®mvn ¦ssom' Žnejñmenow.
(99) KeÛnhw est ici remplacé par „El¡nhw.
(100) Horace, Od. 1,
27, 19. Ah ! miser quanta laboras in Charybdi.
(101) Sainte-Beuve,
Méléagre, p. 498.
(102)
C'est la lettre x, dont l'invention est attribuée à Épicharme de Délos, qui résidait à Syracuse, et qui ferait
kallÛsxion, la fille aux belles hanches. Celte lettre a disparu : elle n'est plus
kallÛsxion.
(103)
Adonis passait six
mois aux enfers. V oy. plus haut l'épigr. 63.
(104)
Sainte-Beuve, Mélèagre, p. 492.
(105)
A la palce de oé repété, je lis Ê.
(106)
C'est le Pervigilium
Veneris.
(107) Cr. Horace,
ad Lycen, Od. IV, 13. Comme il est moins grossier ! Dans eÞkosñrÄ il y a le double sens de vingt paires de rames ou d'amants, et aussi l'idéé de
cercueil, sorñw.
(108) …Iugj, sabot magique. Voir Théocrite II, 17.
(109) Au lieu de oé kot¡ousa
je lis ¤gktrot¡ousa.
(110)
Cf. Ovide, Ars amandi, II, 682.
(111)
Lisez lgow, ÷ t' ¤k kainÇn kainòn gvn ti pñyow.
(112)
Sainte-Beuve. Méléagre, p. 493.
(113) PuyÛaw, c'est une esclave.
(114) Lisez ¦xei.
(115)
Ce sont des titres de
pièces de Ménandre.
(116)
C'est la citharède Ariadne.
(117) †Hpatow. Les anciens mettaient le siège de l'amour dans le foie :
kaÛ me tæptei m¡son ¸par. Anacréon.
(118)
Ineptissimum Carmen.
Jacobs.
(119) Lisez
prñsvpa per' nyesi b‹llú.
(120)
Cf. l'ode XII d'Anacréon eÞw xelidñna.
(121)
Sensu obscoeno.
(122) ParmenÛw, constante, de param¡nein, rester auprès.
(123)
Felices ter et amplius quos
irrupta tenet copula.
Horace, Od. I. III, 18. Au lieu de fÛlh il faut lire fÛxoiw.
(124)
Le poète s'applique l'histoire de Démophon. Voy. Ovide, Héroïd.
(125)
Ancienne croyance populaire.
(126) B‹rbare, attique pour barb‹ra.
(127)
C'est une esclave
public dont parle Eschine, KatŒ Tim‹rxon, 54.
(128)
Cf. Virgile, Géorg., III, 258 : Quid juvenis, magnum ....
(129)
Voy. Théocrite, Idyl. III, 24.
(130)
Parodie du vers 42 de
l'Iliade, ch. 10.
(131)
Voy. Longepierre, Anacréon, p. 50.
(132) „UgÛaine, sanam
mentem et optat. Brodeau.