Paulin de Périgueux

PAULIN DE PERIGUEUX

 

Lettre A Perpetuus , évéque de Tours - PoËME DE Paulin sur la Visitation de son petit-fils

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

PAULIN DE PERIGUEUX

 

Paulinus Petricordiensis

 

 

 

EPISTOLA B. PAULINI AD PERPETUUM EPISCOPUM.

Domino sancto ac beatissimo patrono Perpetuo episcopo Paulinus.

Iterato asinae ora reserastis qui mihi loquendi fiduciam praestitistis, cum objecta ore in eo loco verecundius silentio conticescerem quam imperita verbositate garrirem. Sed quaerit de suffragii assidui suggestione: votum loquendo prodidere, domine sancte ac beatissime, specialis apud Dominum patrono conversationis angelicae et apostolicae dignitatis. Ego conscientia perurgente credideram etiam hoc fuisse nimium quod potueras notare temerarium, ut ad illam virtutum tam perspicuam claritatem quasi illuminandus accederem, lucemque tam claram tenebrarum mearum nube restringerem. Sed benigne de his quae scripseram sentiendo duplicatis audaciam jussione, ut etiamnum illi parietes consecrati versuum meorum ferant lituras, qui ad remedium imbecillitatis imbuimur. Versus per dominissimum meum diaconum sicut praecepistis, emisi, quos pagina in pariete reserata susciperet, etiam illis de visitatione Nepotuli mei memor tanti favoris adjectis, quem charta inscripta virtutibus, et manu beatitudinis vestrae subscripta sanaverat. Vestra praestabit oratio ut credulitas crescat auxiliis, et quae adipisci cupimus, scribere quia permittimur, adeamus.

 

A SON SEIGNEUR SAINT, A SON BIENHEUREUX PATRON,

A PERPETUUS, ÉVÊQUE,

 

Vous avez ouvert de nouveau la bouche de l'ânesse, car vous m'avez inspiré le courage de parler, alors que, content de prêter l'oreille en ce lieu, je gardais par retenue un profond silence plutôt que de m'abandonner à l'intempérance grossière d'un indiscret bavardage. Mais vos suffrages continuels m'ont suggéré le désir de reprendre la parole, et je vais le satisfaire, ô seigneur saint et bienheureux, mon patron spécial auprès du Seigneur, image des anges sur la terre et digne successeur des apôtres. Les scrupules de ma conscience m'avaient persuadé que j'avais été trop hardi, et tu avais pu toi-même m'accuser de témérité, quand j'osai, comme pour en attirer sur moi les reflets lumineux, m'approcher des splendeurs éclatantes de tant d'œuvres miraculeuses, et envelopper du nuage de mes ténèbres ces clartés éblouissantes. Mais vous avez avec bienveillance approuvé mes écrits, et vous doublez aujourd'hui mon audace, en me demandant encore un nouveau brouillon, pour charger les parois sacrées de mes vers, qui se graveront dans nos cœurs pour remédier à notre faiblesse. Je vous envoie donc, d'après vos recommandations, par le diacre Dominissimus, mon ami, ces vers auxquels vous ouvrez, sur le mur du temple, une page qui s'apprête à les recevoir. J'y ajoute ceux que j'ai composés sur la Visitation de mon petit-fils, en mémoire de l'incomparable faveur et de la guérison qu'il obtint, grâce au recueil des miracles du saint, signé de la main même de votre béatitude. Vos prières nous viendront en aide pour que notre foi grandisse et se fortifie, et que nous osions dans nos écrits, puisque vous le permettez, marquer le but que nous brûlons d'atteindre.


 

 

 

 

 

 

 

De visitatione nepotuli sui

 

INCIPIT VERSUS PAULINI DE VISITATIONE NEPOTULI SUI.

Quam modicam stillam quanto torrente rependis,

Sancte Deus, licet ipsa hujus vel guttula roris

A te tam sterili data sit vel praestita cordi.

Non his obsequiis tam largum flumen egebat,

Et tenuis levibus foliis qui decidit humor

Tam profluo augmento faceret dum labitur amni

Cum magis ad ramos de rupi surgeret humor,

Dum virens fundit nebularum stamina gurges,

Contiguumque rapit sitiens vicinia frigus

Inque haec gutta meas tetigit tam prodiga fauces,

Tangeris ut marmor solidi crystalla fluenti.

Quantum haec sola mihi ferret patientia donum

Ut nullam incideret felix audacia culpam.

Nunc vero his etiam duplicaret gratia signis

Ut nullo te fine canam, venerande sacerdos,

Non finitur opus quo susciter, addita crescunt,

Quae meminisse jubet virtus, dum proditur astat,

Tune meas visus lacrymas, tu fletibus illis

Fers miseratus opem, te vitae altissimus auctor

Exorante gravis cohibet lamenta senectae.

Ipsa salus vitam revehit: dejecerat aegrum

Et pene exanimem morbi vis tanta nepotem,

Conjunctamque eidem nubendi lege puellam,

Ut vix jam tenui spirarent corpora flatu,

Nec posset solers tactus deprendere venas

Subtracti pulsus filo languente latentes.

Me quoque submotum pietas arcebat ab omni

Officio: exosam vitabant lumina lucem,

Dum poena est quodcunque vident. Spes una paventis

Cor tetigit juvenis, causam mandare patrono,

Indulti et toties proprii meminisse favoris.

Nuper contigerat perlectam evolvere chartam

Quae tanti ad nosmet meriti pervenerat, index

Innumera ut miris fulgeret gratia signis,

Queis Dominus veri meritum testatus amici,

Ornabat sanctum per dona immensa sepulcrum.

Haec signa antistes dextra signaverat alma

PERPETUUS, tanti gavisus laude magistri.

Hanc igitur chartam vix linguae murmure parvo,

Incunctante fide spes non incerta poposcit.

Exanimi juveni vires fiducia fandi

Praestitit, et fessam laxavit gratia linguam.

Ergo inter medios quos febris moverat ignes

Virtutum palmas stomacho conjunxit anhelo,

Et rapuit recolendo fidem quae scripsit in ipsis

Condita visceribus quidquid conclusa tegebat

Pagina, et ad votum velox medicina cucurrit.

Exiluit jussus tanta ad miracula sudor,

Crevit et ad numerum tanti quoque muneris ordo

Ut scribendo fidem faciem quam scripta retentant:

Non tam pernici suspendunt succina saltu

Festucam feni vicini glute vaporis,

Quam citus ad chartam madefacti corporis humor

Mandato celebrante redit, saepe vita revertens

Affectu quaesivit avum, quasi nuntia tanti

Muneris, et reliquis jussit me jungere signis

Quam praesentit opem, tali mandanda patrono est

Causa rei, assistit propior clementia sanctis

Et culpae offensam relevat tutela favoris.

Nec mora commoditas numerum praegressa dierum

Qua saepe ignaros spes dinumerata fefellit

Auxiliis orantis adest, nec clauditur ullis

Gratia vera locis, nec vires terminus arctat

Quas Deus accumulat, propter curatio tangit

Qua Salvator adest: tam longe abjuncta sepulcro

Cellula suscepit quod mens attenta poposcit,

Atque ipsa est ingressa locum, quo credita puncto.

Ille aeger, lethumque pavens uxoris amatae,

Fit medicus, suadetque fidem mittendo salutem,

Poscit et illa toris quidquid persenserat iste.

Est certamen opem retinere, et quaerere partam,

Hic possessa timet dimittere, illa probatis

Se quoque salvari festinat credula signis,

Se quoque salvari festinat credula signis,

Sique dure inque vices ambo orant, ambo retentant ( sic ),

Atque haerens uni pietas succurrit utrique.

 

Grates, sancte, tibi dum spiritus hos reget artus

Mens et lingua canet, nunc respice caetera clemens

Membra domus, celeris revehens fomenta salutis

Et tibi commissam propior solare senectam,

Optata indulgens propere, vel praestita servans.

 

SUR LA VISITATION DE SON PETIT-FILS.

Quel torrent tu nous dispenses, Dieu saint, pour prix d'une goutte légère! et encore cette gouttelette de rosée, c'est toi qui l’as donnée, qui l’as fournie à ce cœur stérile ! Un fleuve si riche n'avait pas besoin de notre humble tribut; la pauvre larme qui découle du léger feuillage ne pourrait accroître, en tombant dans le fleuve, le trésor de ses ondes, car c'est plutôt l'arbre qui profite, au contraire, de l'humidité qui monte du rivage vers ses rameaux, quand du sein de l'abîme s'élève un limpide réseau de vapeurs transparentes, et que le voisinage altéré vient au bord des eaux aspirer la fraîcheur. Cette goutte de ta rosée a si abondamment coulé dans mon gosier, qu'elle a pénétré d'un doux murmure le cristal de ma veine glacée. Quelle faveur pour moi si je pouvais être absous, même par tolérance, si mon heureuse audace ne m'attirait aucun reproche ! Aujourd'hui encore ta grâce se signale envers moi par un double bienfait, ô vénérable évêque ! tu veux que je te chante sans cesse ; tu ne mets point de terme à tes prodiges, afin d'exciter ma verve ; tu les prodigues, tu les multiplies, pour me forcer à en conserver le souvenir, et ta puissance m'assiste à l'instant même où ma voix la révèle. N'est-ce pas toi, en effet, qui me visites dans ma douleur, qui as pitié de mes larmes et soulages ma peine ? Vaincu par tes prières, l'auteur suprême de nos jours allège les chagrins et le fardeau de ma vieillesse.

C'est le salut de l'âme qui rend la vie au corps. Abattus par une maladie cruelle, mon petit-fils et la jeune compagne que les lois du mariage devaient unir à lui, allaient mourir. Telle était la violence du mal, que leur poitrine exhalait à peine encore un faible souffle, et qu'une main habile ne pouvait retrouver le fil caché de leurs veines défaillantes, dont les battements avaient cessé. Je n'avais pas le courage de les approcher ; c'était pour ma tendresse un devoir trop pénible : mes yeux fuyaient le jour, je maudissais la lumière ; car tout ce que je voyais faisait mon supplice. Un dernier espoir rassura le cœur tremblant du jeune homme : il voulut confier sa cause au patron sacré ; il se rappela les faveurs que sa grâce avait tant de fois accordées près de nous. Il avait eu, quelques jours auparavant, le bonheur de dérouler et de lire un papier que nous avions reçu et qui renfermait la preuve des mérites de Martin : c'était la relation de ces miracles brillants et sans nombre accomplis par le Seigneur, qui, pour attester la puissance de son véritable ami, embellissait le tombeau du saint de ses dons incomparables. Ce recueil était signé de la vénérable main de l'évêque Perpetuus, heureux de constater la gloire de son illustre maître. Le malade demande ce papier : sa langue ne peut qu'avec peine murmurer quelques mots, mais sa foi n'est pas douteuse et son espoir est certain. Cette sainte assurance donne au jeune mourant la force de parler, et la grâce détend sa langue fatiguée. Aussitôt, au milieu des feux allumés par la fièvre, il applique ces palmes des miracles sur sa poitrine haletante ; et repassant en sa mémoire chacun des actes retracés par la foi et gravés par elle en son cœur, il attire à lui tout ce que ces pages renfermaient de vertu secrète, et la guérison s'empresse d'accourir au gré de ses vœux. La sueur jaillit sous l'influence de ces grandes merveilles : ce nouveau bienfait, par sa grandeur et son mérite, s'éleva au niveau des autres, pour que le récit qu'on en ferait confirmât la vérité du récit de ces premiers prodiges. Le brin de paille qui s'élance d'un mouvement rapide vers le succin, dont la chaleur attractive l'enlève et le suspend dans l'air, monte avec moins de vitesse que cette moiteur salutaire qu'une invincible volonté provoque et ramène vers ces pages, d'où elle se répand sur tous les membres. L'espoir du malade se réalise : il revient à la vie ; dans sa tendresse il appelle son aïeul, il veut lui annoncer ce merveilleux bienfait : il me force ainsi d'ajouter au nombre des anciens prodiges la guérison qu'il a su pressentir. « Voilà, lui dis-je, à quel défenseur un coupable doit confier le soin de sa cause ; la clémence du saint l'assiste de plus près, et sa faveur tutélaire atténue la gravité du péché. » Bientôt en effet, devançant le nombre de jours qui déjoua si souvent l'espoir et les calculs d'un malade ignorant, la santé reparaît secondée par la prière. La grâce efficace ne saurait s'enfermer dans d'étroites limites ; il n'est point de bornes capables d'arrêter le développement des forces que Dieu déploie : le remède approche et opère là où paraît le sauveur. Bien que séparée du sacré tombeau par une longue distance, une pauvre chambre reçoit la guérison qu'un cœur fervent implore, et la santé entre au logis à l'heure même où le croyant l'appelle. Ce malade, qui tremblait de mourir, devient le médecin de la femme qu'il aime ; il lui conseille la foi pour lui envoyer le salut. Elle demande à son fiancé le secours dont il a lui-même ressenti les effets. Lutte touchante ! l'un voudrait garder le bien qui lui est acquis, l'autre voudrait l'obtenir à son tour ; le mari craint de se dessaisir de son trésor, mais la femme, non moins confiante en ces saintes pages, est impatiente d'éprouver aussi leur salutaire influence que des signes certains lui révèlent. Et pendant qu'ils passent ainsi l'un et l'autre du refus à la prière et de la prière au refus, le livre pieux, appliqué sur un seul, leur profite à tous deux.

Grâces te soient rendues, ô saint évêque! tant qu'un souffle de vie animera ce corps, mon cœur et ma langue chanteront tes louanges. Et maintenant jette un regard de bonté sur les autres membres de cette famille ; apporte-leur au plus tôt les remèdes vivifiants du salut, veille de plus près au soulagement de cette vieillesse vouée à ton culte, dispense-lui sans retard les biens qu'elle désire, conserve-lui les dons qu'elle a reçus.