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ORIGÈNE

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 CONTRE CELSE

LIVRE I

 

 

VIE D'ORIGÈNE.

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Origène, docteur de l'Église, naquit à Alexandrie l'an 185 de Jésus-Christ, et fut surnommé Adamantius, à cause de son assiduité infatigable au travail. Son père, Léonide, l’éleva avec soin dans la religion chrétienne et dans les sciences, et lui apprit de bonne heure l'Écriture sainte Origène donna des preuves de la grandeur de son génie dès sa plus tendre jeunesse. Clément Alexandrin fut son maître. Son père ayant été dénoncé comme chrétien et détenu dans les prisons, il l'exhorta à souffrir le martyre plutôt que de renoncer au christianisme. A dix-huit ans il se trouva chargé du soin d'instruire les fidèles à Alexandrie. Les hommes et les femmes accouraient en foule à son école. La calomnie pouvait l'attaquer : il crut lui fermer la bouche en se faisant eunuque, s'imaginant être autorisé à cette barbarie par un passage de l'Evangile pris selon la lettre, qui tue, comme s'exprime S. Paul, au lieu de le saisir selon l’esprit, qui vivifie. Après la mort de Septime-Sévère, un des plus ardents persécuteurs du christianisme, arrivée en 211, Origène alla à Rome et s'y fit des admirateurs et des amis. De retour à Alexandrie, il y reprit ses leçons, à la prière de Démétrius, qui en était évêque. Une sédition, qui arriva ans cette ville, le fit retirer en secret dans la Palestine. Cette retraite l'exposa au ressentiment de son évêque. Les prélats de la province l'engagèrent à force d'instances d'expliquer en public les divines Ecritures. Démétrius trouva si mauvais que cette fonction importante eût été confiée à un homme qui n'était pas prêtre, qu'il ne put s'empêcher d'en écrire aux évêques de Palestine comme d'une nouveauté inouïe. Alexandre, évêque de Jérusalem, et Théoctiste de Césarée justifièrent hautement leur conduite : ils alléguèrent que c'était une coutume ancienne et générale de voir des évêques se servir indifféremment de ceux qui avaient du talent et de la piété, et que c'était une espèce d'injustice de fermer la bouche à des gens à qui Dieu avait accordé le don de la parole. Démétrius, insensible à leurs raisons, rappela Origène, qui continua d'étonner les fidèles par ses lumières, par ses vertus, par ses veilles, ses jeûnes et son zèle. L'Achaïe se trouvant affligée de diverses hérésies, il y fut appelé peu de temps après, et s'y rendit avec des lettres de recommandation de son évêque. En passant à Césarée de Palestine, il fut ordonné prêtre par Théoctiste, évêque de cette ville, avec l'approbation de S. Alexandre de Jérusalem et de plusieurs autres prélats de la province. Cette ordination occasionna de grands troubles. Démétrius déposa Origène dans deux conciles, et l'excommunia. Il alléguait : 1° qu'Origène s'était fait eunuque ; 2° qu'il avait été ordonné sans le consentement de son propre évêque; 3° qu'il avait enseigné plusieurs erreurs, entre autres choses que le démon serait enfin sauvé et délivré des peines de l'enfer, etc. Origène se plaignit a ses amis des accusations qu'on formait contre lui, désavoua les erreurs qu'on lui imputait, et se retira en 231 à Césarée en Palestine. Théoctiste l'y reçut comme son maître, et lui confia le soin d'interpréter les Ecritures. Démétrius étant mort en 231, Origène jouit du repos. Grégoire Thaumaturge et Athénodore, son frère, se rendirent auprès de lui et en apprirent les sciences humaines et les vérités sacrées. Une sanglante persécution s'étant allumée sous Maximin contre les chrétiens, et particulièrement contre les prélats et les docteurs de l'Eglise, Origène demeura caché pendant deux ans. La paix fut rendue à l’Église par Gordien, l'an 237; Origène en profita pour faire un voyage en Grèce. Il demeura quelque temps a Athènes, et, après être retourné Césarée, il alla en Arabie, à la prière des évêques de cette province. Leur motif était de retirer de l'erreur l'évêque de Bostre, nommé Bérylle, qui niait que « Jésus-Christ eût eu aucune existence avant l'incarnation, voulant qu'il n'eût commencé à être Dieu qu'en naissant de la Vierge. » Origène parla si éloquemment A Bérylle, qu'il rétracta son erreur et remercia depuis Origène. Les évêques d'Arabie l'appelèrent à un concile qu'ils tenaient contre certains hérétiques qui assuraient que « la mort était commune au corps et à l'âme. » Origène y assista et traita la question avec tant de force, qu'il ramena au chemin de la vérité ceux qui s'en étaient écartés. Cette déférence des évêques pour Origène, sur un point qu'on croit être fa principale de ses erreurs, semble l'en justifier pleinement. Dèce ayant succédé, l'an 249, à l'empereur Philippe, alluma une nouvelle persécution. Origène fut mis en prison. On le chargea de chaînes; on lui mit au cou un carcan de fer et des entraves aux pieds ; on lui fit souffrir plusieurs autres tourments et on le menaça souvent du feu; mais on ne le fil pas mourir, dans l'espérance d'en abattre plusieurs par sa chute, et à la fin il fut élargi. Il mourut à Tyr, peu de temps après, l'an 234, dans sa soixante-neuvième année. Peu d'auteurs ont autant travaillé que lui ; peu d'hommes ont été autant admirés et aussi universellement estimés qu'il le fut pendant longtemps; personne n'a été plus vivement attaqué et poursuivi avec plus de chaleur qu'il l'a été pendant sa vie et après sa mort, ta ne s'est pas contenté d'attaquer sa doctrine, on a attaqué sa conduite : on a prétendu que, pour sortir de sa prison, il fit semblant d'offrir de l'encens à l'idole Sérapis à Alexandrie; mais on peut croire que c'est une imposture forgée par ses ennemis et rapportée trop légèrement par S. Epiphane. Ses ouvrages sont: une Exhortation au martyre; qu'il composa pour animer ceux qui étaient dans les fers avec lui; des Commentaires sur l'Ecriture sainte. Il est peut-être le premier qui l'ait expliquée tout entière. Il semble cependant qu'on peut douter si l’Exposition sur l'Epître aux Romains est de lui, puisqu'elle parait d'un auteur latin, comme on voit dans ce passage : Sciendum primo est, ubi nos habemus, omnibus qui sunt inter vos, in Graeco habetur omni qui est inter vos. Les explications étaient de trois sortes : des Notes abrégées sur les endroits difficiles, des Commentaires étendus où il donnait l'essor à son génie, et des Homélies au peuple, où il se bornait aux explications morales, pour s'accommoder à la portée de ses auditeurs. Il nous reste une grande partie des Commentaires d'Origène, mais la plupart ne sont que des traductions fort libres. On y voit partout un grand fonds de doctrine et de piété. Il travailla à une édition de l'Ecriture à six colonnes. Il l'intitula Hexaples. La première contenait le texte hébreu en lettres hébraïques; la deuxième, le même texte en lettres grecques, en faveur de ceux qui entendaient l’hébreu sans le savoir lire; la troisième renfermait la version d'Aquila; la quatrième colonne, celle de Symmaque; la cinquième, celle des Septante, et la sixième, celle de Théodotion. Il regardait la version des Septante comme la plus authentique et celle sur laquelle les autres drivaient être corrigées. Les Octaples contenaient de plus deux versions grecques qui avaient été trouvées depuis peu, sans qu'on en connût les auteurs. Origène travailla i rendre l'édition des Septante suffisante pour ceux qui n'étaient point en état de se procurer l'édition à plusieurs colonnes. — On avait recueilli de lui plus de mille Sermons, dont il nous reste une grande partie : ce sont des discours familiers qu'il prononçait sur le champ, et des notaires écrivaient pendant qu'il parlait, par l'art des notes, qui s est perdu. Il avait ordinairement sept secrétaires, uniquement occupés à écrire ce qu'il dictait. — Son livre des Principes. Il l'intitula ainsi parce qu'il prétendait y établir des principes auxquels il faut s'en tenir sur les matières de la religion, et qui doivent servir d'introduction à la théologie. Nous ne l'avons que de la version de Ruffin, qui déclare lui-même y avoir ajouté ce qu'il lui a plu, et en avoir ôté tout ce qui lui paraissait contraire à la doctrine de l'Eglise, principalement touchant la Trinité. On.ne laisse pas d'y trouver encore des principes pernicieux. On croit y découvrir un système tout fondé sur la philosophie de Platon, et dont le principe fondamental est que toutes les peines sont médicinales. Où l'a accusé d'avoir fait Dieu matériel; mais il réfute si bien cette erreur, qu'il est raisonnable de donner un sens orthodoxe à quelques expressions peu exactes. — Le Traité contre Celse. Cet ennemi de la religion chrétienne avait publié contre elle son Discours de vérité, qui était rempli d'injures et de calomnies. Origène n'a fait paraître dans aucun de ses écrits autant de science chrétienne et profane que dans celui-ci, ni employé tant de preuves fortes et solides ; on le regarde comme l'apologie du christianisme la plus achevée et la mieux écrite que nous ayons dans l'antiquité. Le style en est beau, vif et pressant; les raisonnements, bien suivis et convaincants ; et s'il y répète plusieurs fois les mêmes choses, c'est que les objections de Celse l'y obligeaient. et qu'il n'en voulait laisser aucune sans les avoir entièrement détruites. Il est remarquable que ces objections sont presque toutes les mêmes que les prétendus philosophes de ce siècle ont ressassées : pauvres copistes qui n'ont pas même le funeste mérite d'imaginer des erreurs et des blasphèmes, et qui, se parant de cette triste gloire, sont obliges de recourir à des sophistes oubliés depuis quinze siècles. On a actuellement une édition complète des Œuvres d'Origène, en 4 vol. in-fol. Cette édition a été commencée par le père Charles de la Rue, bénédictin, mort en 1739, et continuée par dom Charles-Vincent de la Rue, son neveu, qui a donné le quatrième et dernier volume à Paris, en 1759, avec des notes sur plusieurs endroits des Origeniana de Huet. On trouve aussi les Œuvres d'Origène publiées dans notre Cours de Patrologie en 200 volumes.


 

PRÉFACE

 

Jésus-Christ, notre Seigneur et notre Sauveur, demeura dans le silence lorsqu'on le chargea par de faux témoignages, et il ne répondit rien quand on l'accusa. Il s'assurait que tout le cours de sa vie et les actions qu'il avait faites au milieu des Juifs le justifiaient plus hautement que tous les discours et toutes les apologies qu'il aurait pu employer pour détruire ces faux témoignages et pour repousser ces accusations. Cependant, pieux Ambroise, vous avez voulu, je ne sais pour quelle raison, que j’entreprisse de défendre les chrétiens et de soutenir la foi de leurs églises contre les fausses accusations de l’écrit injurieux de Celse comme s’il n'y avait pas, dans les choses mêmes, plu de force et plus d'évidence que dans toutes les paroles du monde pour confondre la calomnie et pour la mettre tellement hors de vraisemblance, qu'il ne lui reste pas le moindre crédit. S. Matthieu récite comment Jésus garda le silence quand ses faux témoins déposèrent contre lui, et il suffira de le rapporter ici ; car ce qu'en dit S. Marc est exprimé à peu près dans les mêmes termes. Le grand sacrificateur, dit S. Matthieu, et tout le conseil cherchaient de faux témoignages contre Jésus, afin de le faire mourir; et ils n'en trouvaient point, quoique plusieurs faux témoins se fussent présentés. Enfin il s'en présenta deux qui dirent. Celui-ci a dit: Je puis détruire le temple de Dieu, et le rebâtir en trois jours. Alors le grand sacrificateur se levant, lui dit : Ne réponds-tu rien à ce que ceux-ci déposent contre toi? Mais Jésus demeura dans le silence (Matth., XXVI, 59). Il nous marque dans la suite comment Jésus ne répondit rien lorsqu'on l'accusa. Jésus, dit-il, fut mené devant le gouverneur qui l'interrogea, disant : Es-tu le roi des Juifs ? et Jésus lui répondit, la chose est comme tu le dis. Et quoique les principaux sacrificateurs et les sénateurs l’accusassent, il ne répondit rien. Alors Pilate lui dit : N'entends-tu pas combien de choses ils déposent contre toi? Mais il ne répondit pas un seul mot ; de sorte que le gouverneur en était tout étonné (Matth. XXVII, 11). En effet, il y avait à s'étonner, pour les personnes même les moins capables de réflexion, qu'un homme accusé et calomnié, qui pouvait faire voir clairement son innocence et qui, par le récit de sa vie digne de tant d'éloges, et par celui de ses miracles pleins de caractères tout divins. aurait pu donner lieu à son juge de prononcer en sa faveur, n'en daignât pourtant rien faire et regardât ses accusateurs avec un si généreux mépris. Que Jésus n'eût qu'à se défendre pour être sur le champ mis en liberté, c'est ce qui parait évidemment par la proposition que le juge et lui-même aux Juifs : Lequel voulez-vous que je vous délivre, de Barrabas ou de Jésus qu’on appelle Christ ? Et parce que l'Ecriture ajoute : Car il savait bien que c'était par envie qu’ils le lui avaient livré (Matth., XXVII, 17, 18). La calomnie continue encore à vouloir attaquer Jésus, et comme la malice des hommes est toujours la même, ils le chargent toujours par leurs fausses accusations ; mais Jésus continue aussi à se taire et à ne se défendre que par la pureté des mœurs de ses vrais disciples, qui confond toutes les accusations de leurs ennemis, et dont la voix est plus forte que celle de la calomnie. J'ose même dire que l'apologie que vous m'avez demandée fait tort à celle que leur vie et leurs actions font pour eux, et qu'elle obscurcit l'éclat de la puissance de Jésus, qui frappe les yeux de tous ceux qui ne sont pas aveugles. Néanmoins, pour ne pas donner lieu de croire que je refuse d'exécuter vos ordres, j'ai tâché, autant qu'il m'a été possible, d'appliquer à chacune des objections de Celse les réponses qui m'ont semblé les plus propres à les renverser, bien que je sache qu'il n'y a point de fidèles qui puissent être ébranlés par ses paroles. Et à Dieu ne plaise qu'il se trouve quelqu'un qui, ayant reçu dans son cœur le sentiment de l'amour que Dieu nous a témoigné en Jésus-Christ, soit encore assez faible pour l'en laisser arracher par les discours de Celse ou de ses pareils ! S. Paul, ramassant ensemble un grand nombre de choses qui ont accoutumé de séparer quelquefois les hommes de l'amour de Jésus-Christ et de l'amour que Dieu nous a témoigne en Jésus-Christ, mais qui toutes ne pouvaient rien sur l'amour dont il sentait l'impression en lui-même, ne met point dans ce nombre les paroles ni les discours. Voyez comme il dit d'abord : Qui nous séparera de l'amour (de Jésus-Christ) de Dieu ? Sera-ce l'affliction, ou les misères, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou les périls, ou l'épée (Rom., VIII, 34, 35)? (selon qu’il est écrit ; on nous fait mourir tous 1es jours pour l'amour de toi, on nous traite comme des brebis destinées à la boucherie) (Ps. XLIII ou XLIV, 23). Mais en toutes ces choses, nous sommes plus que victorieux par celui qui nous a aimés (Rom., VIII, 37 ou 38). Il fait ensuite un autre ordre de choses capables de causer la séparation de ceux qui ne sont pas assez fermes dans la piété. Je suis assuré, dit-il, que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les choses présentes, ni les choses à venir, ni les puissances, ni aucune hauteur; ni aucune profondeur, ni quelque autre créature que ce soit, ne nous pourra séparer de l’amour que Dieu nous a témoigné en Jésus-Christ Notre-Seigneur. Pour nous, nous avons, à la verité, un juste sujet de nous glorifier de ce que, ni l'affliction, ni les autres choses qui suivent dans le même rang, n'ont aucun pouvoir sur nous; mais à l'égard de S. Paul, des apôtres, et de tous ceux qui approchent du degré de perfection où ils étaient, ils les regardent comme beaucoup au dessous d'eux ; ce qui leur fait dire : En toutes ces choses, nous sommes plus que victorieux par celui qui nous a aimés, ne trouvant pas que ce fût assez de dire : Nous remportons la victoire. S'il faut que les apôtres se glorifient de n'être point séparés de l'amour que Dieu nous a témoigné en Jésus-Christ, Notre-Seigneur, ils se glorifieront de ce que, ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les autres choses de cet ordre, ne les en peuvent séparer. Je ne serais donc pas fort satisfait d'un chrétien dont la foi serait si chancelante qu'elle pût être ébranlée, soit par Celse, qui non seulement n'a plus de part à la vie, mais qui est même depuis longtemps au nombre des morts, soit par la vaine apparence de quelques discours. Je ne sais, dis-je, en quel rang il faut mettre ceux qui, pour ne pas succomber, ont besoin qu'on soutienne et qu'on raffermisse leur foi par des écrits opposés aux accusations de celui que Celse a fait contre les chrétiens.

Mais, après tout, puisque dans le grand nombre de ceux qui font profession de croire, il s'en peut trouver qui, s'étant laissé entraîner aux raisonnements de Celse, seront aisément ramenés, si on leur en montre la faiblesse et qu'on leur fasse connaître la force de la vérité, j’ai pris la résolution de vous satisfaire et de réfuter cet écrit que vous m'avez envoyé. Celse lui donne le titre de Discours véritable; mais je serais bien trompé s'il passait pour tel dans l'esprit de quelqu'un qui eût (ait le moindre progrès dans la philosophie. S. Paul, qui savait que dans celle des Grecs il y a des raisons apparentes qui ont assez de couleur pour faire recevoir à plusieurs le mensonge sous la forme de la vérité, nous avertit bien de prendre garde que personne ne nous surprenne par ta philosophie et par une vaine tromperie, en suivant les traditions des hommes, selon les principes de la science mondaine, et non selon Jésus-Christ (Coloss., II, 8). El c'est parce qu’il remarquait dans les raisons dont se sert la sagesse humaine une certaine grandeur capable de donner dans la vue, qu'il dit que les raisonnements des philosophes sont selon les principes de la science mondaine. Mais pour ceux de Celse, personne de raisonnable ne peut dire qu'ils soient selon les principes de cette science. C'est encore parce que les premiers ont en eux quelque chose qui peut tromper, que S. Paul les appelle une vaine tromperie, pour les distinguer peut-être d'une autre espèce de tromperie qu'on ne doit pas nommer vaine, et que Jérémie avait en vue lorsqu'il ose dire à Dieu : Tu as usé de tromperie. Seigneur, et j'ai été trompé; tu as été le plus fort, et tu m'as vaincu (Jérém., XX, 7). Mais je ne pense pas qu'on puisse appeler vaine tromperie, les raisonnements de Celse, puisqu'ils n'ont pas même de quoi tromper, comme pourraient avoir les raisons de ceux qui ont fondé les diverses sectes des philosophes, et qui ont donné en cela même des preuves d'un esprit peu commun. Dans la géométrie, il ne suffit pas qu'une démonstration soit fausse, si elle n'a d'ailleurs quelque chose d'apparent, pour être appelée captieuse et pour mériter d'être proposée à ceux qui veulent s exercer en cette science : ainsi, il n'y a que des raisonnements semblables à ceux de ces philosophes dont je viens de parler, qui doivent porter comme eux le nom de vaine tromperie et de traditions des hommes selon les principes de la science mondaine.

J'avais avancé ma réponse jusqu'à l'endroit où Celse introduit un Juif disputant contre Jésus, lorsque j'ai formé le dessein de mettre cette préface à la tête de mon ouvrage, afin d'avertir les lecteurs, dès l'entrée, que je ne l'ai pas composé pour les vrais fidèles, mais, ou pour ceux qui n'ont aucun goût de la religion chrétienne, ou pour ceux qui sont encore faibles en la foi, comme les appelle l'Apôtre, qui nous ordonne de les recevoir (Rom., XIV, 1) et d'avoir pour eux de la condescendance. Cette même préface me servira d'apologie, si, l'on remarque de la différence entre le commencement et la suite de mon écrit. Car lorsque j'ai commencé à y travailler, je ne me proposais que d'en faire une simple esquisse, marquant sommairement les chefs d'accusation de Celse et les réponses qu'on y pouvait faire, pour donner ensuite une forme plus achevée à tout mon discours. Mais après quelques réflexions, j'ai cru que, pour ménager mon temps, je devais me contenter de cette ébauche à l'égard du commencement, et m'attacher à répondre au reste avec toute l'exactitude dont je serais capable. Je vous demande donc un peu d'indulgence pour ce qui va suivre immédiatement ma préface; et si ce que j'aurai plus travaillé dans la suite ne vous satisfait pas non plus, après vous avoir encore demandé la même grâce, je vous renverrai à ceux qui ont plus de lumières que je n'en ai, de qui vous pourrez avoir une réponse pleine et solide à toutes les objections que Celse nous fait, s'il vous en demeure encore quelque désir. Les plus louables au reste sont ceux qui, après avoir lu son livre, n'ont aucun besoin qu'on se mette en devoir de le réfuter, mais qui méprisent tout ce qu'il contient comme font avec justice les plus simples d'entre les fidèles éclairés par l'esprit que Jésus-Christ fait habiter dans leurs Amen.


 

TRAITÉ D'ORIGÈNE

CONTRE CELSE.

 

 

LIVRE PREMIER.

 

 

Celse commence par l'accusation qu'il forme contre le christianisme, sur ce que les chrétiens font des assemblées secrètes et contraires aux lois. Il dit qu'il y a de deux sortes d'assemblées ; les unes qui se font ouvertement, qui sont celles que les lois approuvent; les autres qui se font en cachette, qui sont celles que les lois défendent. Il veut par là décrier ce que les chrétiens appellent leurs Agapes; comme si ce n'était qu’un moyen dont ils se servent pour s'unir entre eux contre le danger commua qui les menace, et qu'un engagement mutuel plus fort que tous les serments. Puis donc qu'il parle si haut des lois publiques, et qu'il prétend que les chrétiens les violent par leurs assemblées, il lui faut répondre à cela : Que comme s'il arrivait à quelqu'un d'être engagé parmi les Scythes sans en pouvoir sortir, se trouvant séduit à vivre au milieu de ces peuples dont les lois sont abominables, il serait en droit, pour maintenir la vérité et ses lois, qui passent pour criminelles parmi eux, de faire ses assemblées avec ceux qui seraient de même sentiment que lui, bien qu'il ne le pût faire sans choquer les lois du pays. Ainsi, lorsqu'il s'agit de ces lois qui établissent parmi les nations le culte des simulacres et l'adoration de plusieurs dieux, qui est un vrai athéisme, l'on ne doit pas trouver étrange que ceux qui connaissent la vérité fassent des assemblées pour ses intérêts, malgré des lois qui, devant son tribunal, sont jugées aussi impies et plus impies même, s'il se peut, que celles des Scythes. Si un tyran s'était rendu maître de quelque république, ceux qui s'assembleraient en cachette pour conspirer contre lui mériteraient de la louange. Les chrétiens en méritent donc aussi, puisqu'ils ne s'assemblent que pour secouer le joug d'un cruel tyran qu’ils nomment le diable, avec qui règne le mensonge, et dont ils ne craignent point de violer les lois pour travailler au salut de ceux à qui fis peuvent persuader de se délivrer d'une loi dont on voit une image dans celles des Scythes et des tyrans.

Celse dit après cela de notre doctrine, qu'elle vient d'une source barbare, voulant parler du judaïsme, où la religion chrétienne est comme attachée. En quoi au moins il garde cette équité, de ne lui pas faire un sujet de reproche de son origine; car il demeure d'accord que les barbares ont cela de bon, qu'ils sont assez capables d'inventer des dogmes. Mais il ajoute que, pour en bien juger, pour les appuyer de raisons solides et pour les appliquer a la pratique des vertus, les Grecs y sont beaucoup plus propres, et que c'est à eux à perfectionner ce que les barbares inventent. Nous pouvons donc, sur ce qu'il pose lui-même, conclure en faveur des vérités fondamentales du christianisme, que si un homme élevé sous la discipline des Grecs et instruit dans leurs sciences, vient parmi nous, non seulement il jugera que notre doctrine est véritable, mais il la confirmera même par ses arguments et donnera aux preuves qui en établissent la vérité, tout ce qui semble leur manquer pour être une démonstration selon les règles de l'école grecque. Mais nous avons de plus une chose à dire, c'est que la religion chrétienne prouve ses principes par une espèce de démonstration qui lui est particulière et où il y a un caractère divin qui ne permet pas qu’on lui compare celle que la dialectique enseigne aux Grecs à former. C'est cette démonstration que l'Apôtre appelle la démonstration de l'esprit et de la puissante (I Cor., II, 4). De l'esprit, à ravie des prophéties et particulièrement de celles qui regardent la personne du Christ, dont l'évidence suffit pour convaincre ceux qui les lisent. De la puissance, à cause des miracles étonnants qui ont été faits pour la confirmation de cette doctrine, comme on le peut justifier par un grand nombre de preuves, et entre les autres par les vestiges qui restent encore de ces miracles, parmi ceux qui règlent leur vie sur les préceptes de l'Evangile.

Après avoir parlé, comme il vient de faire, des assemblées secrètes que les chrétiens font pour pratiquer et pour enseigner leurs maximes, et après avoir dit qu'ils ont raison d'en user ainsi pour se mettre à couvert des supplices qui leur seraient autrement inévitables, il fait ensuite comparaison du péril où ils s'exposent avec ceux où la philosophie exposa Socrate. A Socrate il pouvait joindre Pythagore et les autres philosophes. Mais nous répondons à cela que les Athéniens se repentirent aussitôt de tous les outrages qu'ils avaient faits à Socrate, et qu'ils ne conservèrent aucune aigreur contre lui, non plus que les autres contre Pythagore, dont les disciples ont longtemps continué leurs exercices dans cette partie de l'Italie qu'on nomme la Grande Grèce. Au lieu qu'à l'égard des chrétiens, et les arrêts du sénat de Rome, et les persécutions des empereurs en divers temps, et la fureur des soldats, et la haine des peuples, et les embûches de leurs proches mêmes les auraient assurément accablés, s'ils n'avaient été soutenus contre tant d'assauts par une puissance divine dont le secours leur a fait tout surmonter, et leur a donné la victoire sur le monde entier, qui avait conspiré leur perte.

Voyons maintenant de quelle manière il se prend à chicaner notre morale, soutenant que les préceptes qu'elle donne n'ont rien de singulier ni de nouveau, et qui ne leur soit commun avec ceux des autres philosophes. Mais nous lui répondons que ceux qui attirent sur leurs têtes le juste jugement de Dieu, seraient exempts de la punition de leurs péchés, s'il n'y avait, dans l'esprit de tous les hommes, des notions communes du vice et de la vertu. Il ne faut donc pas s'étonner si le même Dieu qui a donné aux uns, par ses prophètes et par Jésus-Christ, les règles de bien vivre, a mis dans l'âme de tous les autres des lumières naturelles qui leur font connaître leur devoir, afin qu'il n'y ail aucun d'eux qui puisse trouver d'excuse quand Dieu le jugera, puisqu'il n'y en a aucun qui n'ait ce que la loi ordonne écrit dans son cœur (Rom., II, 15). C'est ce que l'Ecriture nous a voulu représenter par cet événement que les Grecs prennent pour une fable, lorsqu'elle nous raconte que Dieu ayant écrit de son doigt (Exode, XXXI, 18) ses commandements el les ayant donnés à Moïse, ils furent brisés par l'impiété de ceux qui s'étaient fait un veau d'or (Ibid., XXXII, 19), comme pour dire que l'inondation du vice les a emportés de l'âme des hommes ; après quoi Dieu les ayant une seconde fois écrits sur des tables de pierre que Moïse avait taillées (Exode, XXXIV, 1), il les lui redonna pour signifier que ce qui a été effacé du cœur des hommes par leur première corruption, y est retracé par la prédication des prophètes, comme si Dieu l’y écrivait de nouveau.

De là il passe au point de l'idolâtrie, et rapportant ce qu'en disent en particulier ceux qui font profession du christianisme, il établit lui-même les preuves de leur sentiment, lors qu'il dit qu'ils ne peuvent croire ces divinités, fabriquées par les mains des hommes, parce qu'il n'y a point d'apparence que des ouvrages faits le plus souvent par des hommes méchants et injustes et remplis de toutes sortes d'impuretés puissent être de véritables dieux. Mais voulant montrer ensuite que cette doctrine des chrétiens leur est commune avec d'autres et que ce ne sont pas leurs livres qui l'ont enseignée les premiers, il cite un passage d'Héraclite qui dit de ceux qui s'adressent à des choses inanimées, comme si c'étaient des dieux, qu'ils font tout de même que s'ils parlaient aux parois. Il faut donc encore lui répondre qu'il en est de cet article comme des autres de la morale, dont il y a des semences dans l'âme des hommes, d'où sont nées les réflexions d'Héraclite et des autres qui ont parlé comme lui, soit grecs, soit barbares. Car il nous allègue aussi le témoignage d'Hérodote, pour prouver que les Perses sont dans le même sentiment. A quoi l'on peut ajouter ce que dit Zénon Citien, dans sa République : Il ne faudra point s'amuser à bâtir des temples ; car on ne doit pas s'imaginer qu'il y ait rien de saint ou de sacré, ni qui mérite qu'on en fasse une haute estime dans tout ce qui passe par les mains des architectes et des autres ouvriers. Il est donc évident que c'est ici une de ces vérités que Dieu a imprimées dans le cœur des hommes pour les instruire de leur devoir.

Je ne sais par quel mouvement Celse est poussé à dire, comme il fait après cela, que tout le pouvoir qu'il semble que les chrétiens aient leur vient des noms et de l'invocation de certains démons, désignant par là sans doute ce qu'on dit de ceux qui conjurent et qui chassent les esprits malins ; mais c'est une calomnie manifeste contre le christianisme ; car si les chrétiens ont du pouvoir, ce n'est pas par le moyen de ces sortes d'invocations, mais par la prononciation du nom de Jésus jointe au récit des histoires de sa vie. C'est par là qu'on a vu souvent les démons contraints de sortir du corps de ceux qui en étaient possédés, surtout lorsque cette prononciation et ce récit se font avec une conscience pure et une foi ferme. Et ce nom de Jésus a tant de force contre les démons, qu'il est même quelquefois arrivé qu'étant prononcé par des méchants, il n'a pas laissé de produire son effet. Ce que Jésus-Christ nous a voulu enseigner lorsqu'il a dit : Plusieurs me diront en ce jour-là : Nous avons chassé le» démons et fait des miracles par ton nom (Matth. VII, S2). Et je ne sais si c'est par une négligence affectée et malicieuse que Celse a passé cela sous silence, ou si c'est qu'effectivement il ne le sut pas ; mais dans ce qui suit, il étend ses calomnies jusque sur la personnes de notre Sauveur, l’accusant d'avoir fait par art magique tout ce qui a paru de plus surprenant dans ses actions, et d'avoir ensuite banni de la société de ses disciples, par un effet de sa prévoyance, ceux qui, ayant appris les mêmes secrets, pourraient se vanter comme lui de faire leurs miracles par la vertu de Dieu. Voici donc comme il forme son accusation : Si c'est justement, qu'il rejette ces gens-là comme des méchants, il est un méchant lui-même puisqu'il a fait les mêmes choses ; et s'il n'est pas un méchant de les avoir faites, les autres ne sont pas plus à condamner que lui. Mais quand il serait vrai que nous n'aurions pas de quoi faire voir, sur le fait de Jésus, par quelle vertu il faisait ses miracles, il est assez clair que les chrétiens n'emploient ni charmes ni conjurations, et qu'ils ne se servent que du nom de Jésus, y ajoutant seulement quelques autres choses que l'Ecriture sainte leur apprend à croire.

Il faut maintenant repousser l'injure qu'il fait à notre doctrine, l'appelant par diverses fois une doctrine cachée; bien que presque tout le monde ait plus de connaissance de ce que prêchent les chrétiens que de ce qu'enseignent les philosophes. Qui est-ce, en effet, qui n'a point entendu parler de Jésus, né d'une vierge et mort sur une croix, de sa résurrection, qui est l'objet de la foi de tant de personnes, du jugement à venir, où les. méchants doivent recevoir la punition de leurs crimes, et où les justes doivent être récompensés? Et le mystère de la résurrection des morts, n'est-il pas tous les jours dans la bouche des incrédules, qui en font le sujet continuel de leurs railleries? Dire après cela que notre doctrine est une doctrine cachée, c'est dire la chose du monde la plus, absurde; car d'avoir quelques points qui ne viennent pas à la connaissance de tout le monde, et qui ne se présentent, pour ainsi dire, qu'après qu'on a passé les dehors, cela n'est pas particulier au christianisme, et l'on peut remarquer la même chose dans toutes les sectes des philosophes où il y a certains dogmes qui en sont l'extérieur, et d'autres qui ne sont pas si exposés à la vue de chacun. Parmi les disciples de Pythagore il y en avait qui s'en tenaient à leur C'est lui qui l’a dit, sans pénétrer plus avant ; mais il y en avait d'autres à qui il enseignait en particulier les choses qu’il ne fallait pas confier à des oreilles profanes et non encore purifiées. Et généralement dans tous les mystères, soit des Grecs, soit des Barbares, on n’a jamais trouvé à redire que le secret y fût observé C'est donc sans fondement aussi bien que sans connaissance que Celse déclame contre ce qu'il y a de caché dans la religion chrétienne.

L'on dirait ensuite qu'il a presque dessein de prendre hautement le parti de ceux qui ne refusent point de souffrir la mort pour rendre témoignage à la vérité du christianisme, lorsqu’il parle de cette sorte : Ce n'est pat que je veuille dire qu'un homme qui se voit exposé à quelques dangers dans le monde pour une bonne doctrine dont il est persuadé, doive l’abandonner pour cette raison ou feindre en l’abjurant de l'avoir abandonnée. Par où il condamne le déguisement de ceux qui, approuvant dans leur cœur la religion chrétienne, la rejettent en apparence ou en abandonnent la profession, puisqu'il ne veut pas que l'on feigne d'abandonner sa créance ou de l'abjurer. Il faut donc le convaincre de se contredire lui-même ; car, par ses autres écrits, il paraît manifestement qu'il est épicurien ; mais dans celui-ci. afin que ses accusations aient plus de couleur et plus de poids contre les chrétiens, il déguise les sentiments de sa secte, et feint de reconnaître en l'homme quelque chose de plus noble que le corps, et d'une nature qui approche de la divine. Ceux, dit-il, qui ont l'âme bien faite, portent tout leurs désirs vers celui à qui ils ressemblent par cette partie de leur être, je veux dire vers Dieu, et n'ont jamais plus de joie que quand on les en entretient. Remarquez la mauvaise foi de cet esprit double. Après avoir dit qu'un homme qui se voit exposé à quelques dangers dans le monde, pour une bonne doctrine dont il est persuadé, ne doit pas l'abandonner pour cette raison, ni feindre, en l'abjurant, de l'avoir abandonnée, il fait lui-même ce qu'il vient de condamner ; car il ne cache sa véritable créance que parce qu'il prévoyait qu'autrement ses objections seraient mal reçues, venant de la part d'un épicurien, contre des personnes qui, de quelque manière que ce soit, admettent la Providence et confessent que Dieu gouverne le monde. J'apprends au reste qu'il y a eu deux épicuriens qui ont porté le nom de Celse; l'un, sous l'empire de Néron ; l'autre, du temps d'Adrien et après, qui est celui à qui j'ai affaire.

Il nous exhorte à ne recevoir aucun dogme qu'après avoir pris conseil de la raison, et que suivant ce qu'elle nous dicte, parce qu'autrement on est sujet à se tromper dans les opinions qu'on embrasse. Et il compare ceux qui croient sans examen ce qu'on leur propose, à ceux qui se laissent séduire par les illusions de ces charlatans qui courent le monde sous le nom de prêtres de Mithras, ou (Gr. Sabbadiens) de Bacchus, de Cybèle, ou d'Hécate, ou de quelque autre divinité semblable ; car comme ces fourbes, abusant de la crédulité des simples qui s'arrêtent à eux, en font pour l'ordinaire tout ce qu'ils veulent: Ainsi, dit-il, en arrive-t-il parmi les chrétiens, entre lesquels il y en a qui, ne voulant ni écouter vos raisons, ni vous en donner de ce qu'ils croient, se contentent de vous dire : N'examinez point, croyez seulement; ou bien, votre foi vous sauvera: et qui tiennent pour maxime que la sagesse (de la vie) du monde est un mal, et que la folie est un bien. Il lui faut répondre que s'il était possible que tous les. hommes, négligeant les affaires de la vie, s'attachassent à l'étude et à la méditation, il ne faudrait point chercher d'autre voie pour leur faire recevoir la religion chrétienne ; car pour ne rien dire qui offense personne, on n'y trouvera pas moins d'exactitude qu'ailleurs, soit dans la discussion de ses dogmes, soit dans l'éclaircissement des expressions énigmatiques de ses prophètes, soit dans l'expression des paraboles de Ses Evangiles et d'une infinité d'autres choses arrivées ou ordonnées symboliquement. Mais puisque ni les nécessites de la vie, ni l'infirmité des hommes ne permettent qu'à un fort petit nombre de personnes de s'appliquer à l'étude, quel moyen pouvait-on trouver plus capable de profiter à tout le reste du monde, que celui que Jésus-Christ a voulu qu'on employât pour la conversion des peuples? et je voudrais bien que l'on me dit, sur le sujet du grand nombre de ceux qui croient et qui par là se sont retirés du bourbier des vices où ils étaient auparavant enfoncés, lequel leur vaut le mieux, d'avoir de la sorte changé leurs mœurs et corrigé leur vie, en croyant, sans examen qu'il y a des peines pour les péchés et des récompenses pour les bonnes actions, ou d'avoir attendu à se convertir qu'on les y reçût, lorsqu'ils ne croiraient pas. seulement, mais qu'ils auraient examiné avec soin les fondements de ces dogmes. Il est certain qu'à suivra cette méthode, il y en aurait bien peu qui en vinssent jusqu'où leur foi toute simple et toute nue les conduit; mais que la plupart demeureraient dans leur corruption : ce qui me fait dire qu'entre les plus illustres preuves qui font voir qu'une doctrine si avantageuse aux hommes ne peut leur être venue que du ciel, il faut mettre celle que cette considération nous fournit ; car une personne pieuse ne croira pas même qu'un médecin qui aura guéri une grande quantité de malades dans une ville ou dans tout un pays, y soit venu autrement que par une conduite particulière de la Providence, puisqu'il n'arrive rien de bon dans le monde dont Dieu ne soit l'auteur. S'il faut donc rapporter à Dieu ces guérisons corporelles, à combien plus forte raison lui faut-il attribuer la guérison de tant d'âmes, et reconnaître que c'est sa main qui leur a donné celui qui les convertit, qui les purifie, qui leur enseigne à dépendre uniquement du souverain. Maître du monde, à régler tout ce qu'elles font sur sa volonté et à éviter tout ce qui lui peut déplaire, jusque dans les moindres de leurs actions, de leurs paroles ou de leurs désirs? mais puisqu'ils font tant de bruit de cette manière de croire sans examiner, il leur faut encore dire que pour nous, qui remarquons l'utilité qui en revient aux personnes qui font le plus grand nombre, nous avouons franchement que nous la recommandons à ceux qui ne sont pas en état de tout abandonner, pour s'appliquer entièrement à la recherche de la vérité, au lieu que pour eux, ils ne veulent pas avouer qu'ils le font ; mais ils ne laissent pas de le faire effectivement; car lorsque quelqu'un embrasse l'étude de la philosophie, et qu'entre les diverses sectes des philosophes, ou le hasard, ou l'occasion d'un maître, lui fait choisir celle-ci plutôt que celle-là, ne s'y arrête-t-il pas, parce que sans autre examen il la croit la meilleure? Ce n'est pas après s'être donné la patience d'écouter tous les raisonnements des uns et des autres, leurs preuves et leurs objections, leurs réfutations et leurs réponses, qu'il se détermine à être platonicien ou péripatéticien, disciple de Zénon ou disciple d'Epicure ou de telle autre secte qu'il vous plaira. C'est, quand on ne voudrait pas l'avouer, c'est par un mouvement où la raison n'a point de part, qu'il est porté à se faire, par exemple, stoïcien et à rejeter les autres sectes : celle de Platon, parce qu'il ne lui semblera pas qu'elle ait assez de sublimité; celle d'Aristote, parce qu'elle a trop de complaisance pour les faiblesses des hommes, et qu'elle demeure trop facilement d'accord que ce qu'ils nomment des biens, en sont en effet ; et il y en a qui se laissent si fort troubler à la première vue de ce qui arrive sur la terre aux gens de bien et aux méchants, qu'ils prennent de là légèrement occasion de nier la Providence et de se ranger au sentiment d'Epicure et de Celse. Si l'on est donc obligé, comme je viens de le faire voir, d'ajouter foi à quelqu'un de ceux qui ont été fondateurs de sectes, soit parmi les Grecs, soit parmi les Barbares, combien est-il plus juste d'avoir la même déférence pour le grand Dieu et pour celui qui nous enseigne à le prendre lui seul pour l’objet de notre culte, et à laisser là toutes les autres choses qui ne sont point ou qui, si elles sont, peuvent être dignes qu'on les estime et qu'on les honore, mais ne sauraient mériter qu'on les adore ni qu'on ait de la vénération pour elles ? ce qui n'empêche nullement que ceux qui ne se contentent pas de croire, mais qui se servent aussi des lumières de leur raison, n'établissent solidement leur créance par les preuves convaincantes qui se présentent à eux d'elles-mêmes, ou qu'une recherche exacte leur fournit. Et puisque, dans toutes les affaires humaines, il y a une nécessité de croire, de laquelle elles dépendent, n'est-il pas beaucoup plus raisonnable que nous croyions à Dieu qu'à tout autre? car qui est l'homme qui monte sur mer, ou qui se marie, ou qui mette des enfants au monde, ou qui sème ses terres, qu'il ne le fasse parce qu'il croit que sa condition en sera meilleure, bien que le contraire puisse arriver et qu'il arrive souvent en effet? cependant cette créance qu'on a que les choses réussiront comme on le souhaite, fait faire à tout le monde des entreprises dont le succès est fort incertain. S'il est donc vrai que dans toutes les actions de la vie on ne s'expose à tant d'événements douteux, que parce qu'on croit et qu'on espère qu'ils seront favorables, n'y a-t-il pas infiniment plus de sujet de croire et d'espérer pour ceux qui n arrêtent pas leur pensée à courir les mers, à labourer la terre, à prendre une femme on à quelque autre objet de cette nature; mais qui la portent jusqu'à Dieu, le créateur de toutes ces choses, et jusqu'à celui qui, pour confirmera tous les nommes la vérité de ce qu'il enseignait, a bien voulu souffrir pour eux de cruelles persécutions et une mort même qui passe pour ignominieuse : laissant ce bel exemple de fermeté et de grandeur d'âme, à ceux à qui il commit le premier soin de publier sa doctrine, afin qu'il leur apprit que ni le nombre des dangers, ni la rigueur des supplices, ne les devaient détourner d'aller courageusement la répandre par toute la terre pour le salut de ses habitants ?

Celse exprime ainsi ce qu'il ajoute : S'ils veulent répondre aux questions que je leur ferai, non pour m'instruire de leurs sentiments, car je sais tout et qui se dit parmi eux, mais pour leur montrer que mes soins s'étendent également à tous les hommes ; s'ils le veulent, dis-je, à la bonne heure ; mais s'ils le refusent et qu'ils se renferment, à l'ordinaire, dans leur : N'examinez point, croyez feulement, il faut, du moins, qu'ils me disent quelles sont ces choses qu'ils veulent que je croie et d'où ils les ont tirées, etc. Je dis à cela que ce je sais tout est avancé avec une étrange présomption. En effet, si Celse avait lu, entre autres, les livres des prophètes qui, comme on ne le peut nier, sont pleins d'expressions énigmatiques et de discours que la plupart de ceux qui les lisent ne sont pas capables d'entendre; s'il avait pris garde aux paraboles des évangiles ou à a loi et à l'histoire des Juifs; si lisant les écrits des apôtres avec un esprit d'équité, il s'était mis en état de bien pénétrer le sens de leurs paroles, il ne se serait pas si légèrement donné la vanité de savoir tout ; puisque nous-mêmes, qui avons fait toute notre occupation de cette étude, n'oserions parler de la sorte : car il faut avouer la vérité. Beaucoup moins aurions-nous la hardiesse de nous vanter de savoir toute la doctrine d'Epicure ou de Platon, sur laquelle ceux-là mêmes qui l'expliquent aux autres ont tant de peine à s'accorder ; et où est l'homme assez téméraire pour prétendre savoir toute la philosophie stoïque ou tout ce qu'enseignent les péripatéticiens ? Mais peut-être que le je sais tout de Celse n'est fondé que sur ce qu'il peut avoir appris de quelques pauvres gens sans lettres, si ignorants qu'ils se connaissaient pas même leur ignorance, et que ce sont là les docteurs, dont il a épuisé tout le savoir. A peu près comme si quelqu'un étant allé voyager en Egypte, où les sages du pays font des spéculations profondes, selon les principes de leur philosophie, sur les cérémonies de leur religion, mais où le peuple, se repaissant de je ne sais quelles fables qu'il n'entend point, croit cependant être bien savant, s'imaginait savoir toute la doctrine des Egyptiens, sous prétexte qu'il aurait été instruit par quelque personne du commun, bien qu'il n'eût conféré avec aucun des sages ou des prêtres qui lui eût explique les mystères. Ce que je dis des Egyptiens, il le faut étendre aux Syriens, aux Indiens, aux Perses et à toutes les autres nations qui cachent leur religion sous des fables et qui pratiquent des cérémonies, dont l'écorce arrête les yeux et l'esprit du menu peuple, mais dont la signification mystique n’est que pour les personnes éclairées.

Puisque Celse a posé comme une maxime tenue par plusieurs chrétiens, que la sagesse de la vie est un mal, et que la folie est un bien. il lui faut répondre, qu'il falsifie le passage de saint Paul, au lieu de rapporter ses propres paroles, qui sont : Si quelqu'un d'entre nous pense être sage, qu'il devienne fou en ce siècle pour devenir sage; car la sagesse de ce monde est une folie devant Dieu (I Cor. III, 18, 19). L'Apôtre ne dit donc pas simplement que la sagesse est une folie devant Dieu; mais il dit que c'est la sagesse de ce monde. Et il ne dit pas non plus: Si quelqu'un d'entre nous pense être sage, qu’il devienne fou absolument, mais qu'il devienne fou en ce siècle, pour devenir sage. Par la sagesse de ce siècle nous entendons toute cette vaine philosophie qui doit être détruite, selon le témoignage de l'Ecriture (I. Cor., II, 6). Et lorsque nous disons que la folie est un bien, nous ne le prenons pas dans un sens précis; mais en tant que l'on passe pour fou dans le monde. Comme qui dirait que les platoniciens, qui croient l'immortalité de l'âme et ce qu'on dit de sa transmigration d'un corps dans un autre, sont des fous, au jugement des stoïciens, qui se moquent de leur crédulité ; des épicuriens qui nomment superstition tout ce qui suppose la Providence et l'empire de Dieu sur le monde (Platon, à la fin du Xe livre de la Républ.). Il est d'ailleurs fort aisé de faire voir qu'il est beaucoup plus conforme à l'esprit du christianisme d appuyer sa persuasion sur les fondements de la raison et de la sagesse que sur ceux d'une simple foi, et que si Jésus veut bien que l'on reçoive aussi sa doctrine par cette dernière voie, ce n'est qu'en des circonstances où sans cela elle demeurera entièrement inutile aux hommes.

Il n'en faut pas d'antre témoin que saint Paul, le fidèle interprète de l'intention de son maître. Puisque le monde, dit-il, n'a pas su se servir de la sagesse pour connaître Dieu dans sa sagesse divine, il a plu à Dieu de sauver par la folie de la prédication ceux qui croiraient en lui (I Cor., I. 21). Il est clair, par là, que le devoir des nommes était de connaître Dieu dans sa sagesse divine, et que ce n'est que parce qu'ils ne l'ont pas fait qu'il a plu à Dieu de se servir d'un autre moyen pour sauver ceux qui croiraient en lui, savoir, non pas absolument de la folie, mais de la folie de la prédication de Jésus-Christ crucifié, comme le témoigne encore saint Paul qui savait si parfaitement ce qui en était. Nous prêchons, dit-il, Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié, qui est la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu à ceux qui sont appelés, soit d'entre les Juifs, soit d'entre les Grecs (I Cor. I, 23).

Celse ayant cette pensée que la nature a mis une certaine conformité de sentiments entre la plupart des nations, il fait un grand dénombrement de tous les peuples qui conviennent, selon lui, des mêmes principes. Il n'y a que la seule nation des Juifs, à qui il fasse injure de ne vouloir pas lui donner rang parmi les autres, ni reconnaître qu'elle agit et qu'elle raisonne sur des notions ou toutes pareilles ou du moins à peu près semblables. Je ne sais d'où cela vient ; mais je voudrais bien lui demander par quelle raison il reçoit comme des vérités ce que les histoires des Grecs et des Barbares racontent de l'antiquité des autres peuples, pendant qu'il rejette, comme des fables, les histoires de cette seule nation ? Car si tous les autres font un fidèle récit de ce qui s'est passé parmi eux, pourquoi les seuls prophètes des Juifs seront-ils suspects de mauvaise foi ? Et si l'on soupçonne Moïse et les prophètes d'avoir déguisé les choses pour favoriser leur nation, pourquoi le même soupçon ne tombera-t-il pas sur les écrivains des autres pays? Les Egyptiens, qui disent beaucoup de mal des Juifs dans leurs histoires, sont-ils plus croyables que les Juifs qui en disent autant des Egyptiens, et qui se plaignent d'en avoir été maltraités avec tant d'injustice, que Dieu en fit une terrible vengeance ? On doit dire la même chose des Assyriens, dont les histoires font foi qu'ils ont eu de longues guerres avec les Juifs, comme les auteurs juifs (car on pourrait m'accuser de préjugé, si je leur donnais ici le nom de prophètes) le témoignent aussi de leur côté. Voyez, dès là, s'il n y a pas de la préoccupation à Celse, de recevoir le témoignage des uns comme de gens sages et éclairés, et de rejeter celui des autres comme de personnes qui n'ont pas le sens commun : car voici de quelle manière il parle : C'est un sentiment, dit-il, reçu de toute ancienneté et dont les nations les plus sages, les peuples entiers et les personnes éclairées sont toujours demeurées d'accord. Mais parmi ces nations sages, il se donne bien de garde de compter les Juifs qui, à l'en croire, n'ont rien qui approche es Egyptiens et des Assyriens, des Indiens, des Odrysiens et des Perses, de ceux d'Eleusine ou de ceux de Samothrace. Combien est préférable à Celse le philosophe pythagoricien Numénius, qui s'est rendu si célèbre par son éloquence, qui a cherché la vérité avec tant de soin, et qui a ramassé tant d'autorités pour la confirmer, lorsqu'il a cru l'avoir trouvée? Ce savant homme nommant dans son premier livre du Souverain Bien, toutes les nations qui ne conçoivent rien de corporel dans la divinité, n'oublie pas de mettre les Juifs de ce nombre. Il se sert même, dans son ouvrage, de passages tirés des prophètes, et il prend plaisir à en donner des explications allégoriques. L'on dit aussi qu’Hermippe, en son premier livre des Législateurs, assure que Pythagore avait appris des Juifs la philosophie qu'il a enseignée aux Grecs. Et l'on voit encore un écrit de l'historien Hécatée, touchant les Juifs, où il s'attache aux sentiments de cette nation avec tant de marques d'estime pour la sagesse, que cela a donné lieu à Berennius Philon, dans le Traité qu'il a fait de ce même peuple, premièrement de douter si cet écrit était d'Hécatée, et de dire ensuite que s'il en était véritablement, il fallait qu’Hécatée se fût laissé persuader aux raisons des Juifs, et qu'il eût embrassé leur doctrine. Je m'étonne, au reste, que Celse, mettant les Odrysiens et les Hyperborées, ceux d’Eleusine et ceux de Samothrace au rang des nations les plus sages et les plus anciennes du monde, il ait absolument exclu les Juifs du nombre de celles qui pouvaient prétendre au moins à quelque degré d'antiquité et de sagesse; car les propres écrits des Egyptiens, des Phéniciens et des Grecs sont remplis d'un grand nombre de témoignages sur l'antiquité de ce peuple : et je ne me dispense de les rapporter que parce que ceux qui les voudront voir n'ont qu'à lire les deux livres où Joseph les a soigneusement ramassés. Tatien, qui a écrit depuis, a fait aussi un savant discours contre les gentils (contre Apion), où il produit les passages de divers auteurs qui déposent en faveur de l'antiquité du peuple juif et de celle de Moïse. Il semble donc que quand Celse a parlé de la sorte, il a moins eu dessein de dire la vérité que de contenter sa haine et de décrier jusque dans la nation des Juifs l'origine du christianisme qui y est comme attachée. Aussi voit-on que les Galactophages même d'Homère, les druides des Gaulois et des Gèles, qui ont eu quelques sentiments assez conformes à ceux des Hébreux, mais dont je ne sais s'il reste aucun écrit, sont selon lui des peuples très sages et très anciens : il n'y a que cette seule nation à qui il s'efforce d'ôter ces qualités. Il fait la même injure à Moïse en particulier, ne lui donnant aucun rang parmi les anciens sages dont il parle, qui ont travaillé pendant leur vie pour le bien des autres hommes, et qui les instruisent encore par leurs écrits après leur mort. Linus est celui qu'il met à la tête de tous les autres, mais de qui nous n'avons ni lois, ni livres pour le règlement de la société ou pour la correction des mœurs ; au lieu que les lois de Moïse sont encore observées par un grand peuple, qui les a répandues par toute la terre. Jugez donc si ce n'est pas l'effet d'une malignité toute visible de refuser à Moïse le litre de sage, et de l'accorder à Linus, à Musée, à Orphée, à Phérécyde, au persan Zoroastre et à Pythagore, sur ce qu'ils se sont appliqués a donner des préceptes aux hommes, et qu'ils ont eu soin de les laisser à la postérité, dans leurs écrits, où ils se sont conservés jusqu'à présent. Il affecte aussi de passer sous silence tous les contes que l'on fait et que fait Orphée, entre les autres, de ces prétendues divinités, à qui on attribue toutes les passions et toutes les faiblesses des hommes; et il déclame ensuite contre l'histoire de Moïse, sans vouloir souffrir qu'on l'explique allégoriquement, ni qu'on y cherche un autre sens que le littéral. Mais on pourrait demander à cet habile homme qui a donné à son livre le titre de Discours véritable : dites-nous, de grâce, vous qui trouvez de si beaux mystères dans les aventures étranges que vos sages poètes et vos philosophes éclairés nous racontent de leurs dieux, qui se sont souillés d'adultères et d'incestes, qui se sont soulevés contre leurs pères, qui en ont fait des eunuques et qui ont osé entreprendre ou qui ont été contraints de souffrir tant d'autres choses de cette nature; d'où vient que Moïse, qui ne dit rien de pareil de Dieu, ni même des saints anges, et qui ne rapporte rien d'aucun homme qui approche de ce que Saturne entreprit contre le ciel (ou Célus), son père, et Jupiter ensuite contre Saturne, ni de l'inceste que le père des dieux et des hommes commit avec sa propre fille; d'où vient, dis-je, qu'il passe en votre esprit pour un imposteur qui a séduit ceux qui se sont soumis à ses lois ? Quand je considère ce procédé de Celse, je trouve qu’il ne ressemble pas mal à celui du Thrasymaque de Platon, qui ne voulait pas permettre à Socrate de répondre comme il lui plairait sur l'essence de la justice. Ne n'allez pas dire, lui disait-il, que la justice soit Futilité, ni la bienséance, ni rien de semblable (Plat., liv. I de la Républ.). Celse, tout de même, ayant à son avis fait le procès aux histoires de Moïse, et trouvant mauvais ensuite qu'on leur donne un sens allégorique, bien qu'il avoue que ceux qui le font méritent au moins la louange d'être les plus équitables, il fait en cela comme si, après avoir formé son accusation à sa fantaisie, il voulait ôter à ceux qui sont capables de la repousser la liberté de le faire selon que la nature du sujet le leur conseille. Mais nous lui pouvons dire hardiment en le défiant d'opposer livre à livre: Produisez, si bon vous semble, les vers de Linus, de Musée et d'Orphée, et les écrits de Phérécyde ; faites comparaison de leurs ouvrages avec ceux de Moïse, de leurs histoires avec les siennes, de leurs préceptes avec ses lois et avec ses enseignements ; essayez lesquels seront les plus propres à gagner d'abord les cœurs, et à faire changer de sentiments au premier qui les entendra ; considérez combien ces auteurs, dont vous nous faites le dénombrement, se sont peu mis en peine du commun de ceux qui pourraient lire leurs écrits, où il n'ont renfermé leur philosophie particulière, comme vous la nommez, que pour ceux qui la sauraient démêler des figures et des allégories qui la couvrent; au lieu que Moïse a fait, dans ses cinq livres, à peu près comme un habile orateur qui se serait étudié à renfermer une double idée dans tout son discours, et qui aurait pris garde à ne se servir d'aucune expression qui ne se pût appliquer à l'une et à l'autre ; de sorte que ni le simple peuple d'entre les Juifs qui ont vécu sous ses lois, n'y trouvant rien qui blessât les bonnes mœurs, n'en a pu prendre occasion de se corrompre, ni les autres en plus petit nombre, qui ont eu l'esprit plus éclairé et qui ont pu pénétrer toute son intention, n'ont pas manqué de matière pour une méditation sublime. Et je ne vois pas que toute la sagesse de vos poètes ait empêché la perte de leurs ouvrages qui assurément se seraient mieux conservés, si leur utilité s'était fait sentir à ceux entre les mains de qui ils tombaient. Mais les écrits de Moïse ont eu la force sur l'esprit même de plusieurs personnes éloignées des sentiments et des coutumes des Juifs, de se faire reconnaître à eux pour être effectivement, comme ils se l'attribuent, l'ouvrage de Dieu, le créateur du monde, et de leur persuader que c'était lui qui les avait d'abord dictés à Moïse : car il était bien juste que celui qui avait formé l'univers, voulant aussi lui donner des lois, imprimât à ses paroles une vertu capable de se faire ressentir partout. Ce que je dis sans entrer encore dans l'examen de ce qui regarde Jésus : mais me contentant de faire voir, pour cette heure, que Moïse qui est si fort au-dessous de Notre-Seigneur, l'emporte manifestement de beaucoup sur vos sages, soit poètes, soit philosophes.

Celse qui veut après cela donner indirectement atteinte à l'histoire de la création, qui est dans Moïse, selon laquelle il s'en faut beaucoup que le monde ne soit encore vieux de dix mille ans, se range, en déguisant sa pensée, au sentiment de ceux qui disent que le monde n'a point eu de commencement ; car ce qu'il avance de ces divers embrasements et de ces diverses inondations, qui sont arrivées de tout temps, la dernière desquelles a été le déluge de Deucalion, dont la mémoire est encore fraîche, cela, dis-je, fait assez connaître à ceux qui sont capables de l'entendre que, selon lui, le monde est de toute éternité. Qu'il nous dise donc un peu, lui qui blâme tant la foi des chrétiens, par quelles raisons démonstratives il a été convaincu qu'il y a eu plusieurs embrasements et plusieurs inondations différentes, et que de ces embrasements le plus récent est celui qui arriva du temps de Phaéton, comme le déluge de Deucalion est la dernière des inondations. S'il nous allègue le témoignage de Platon dans ses Dialogues, nous lui dirons qu'il ne nous est pas moins permis de croire que la pure et sainte âme de Moïse, qui s'est élevée au-dessus de toutes les créatures pour s'attacher uniquement à leur créateur, a été toute remplie d'un esprit divin qui l'a fait parler de la Divinité avec beaucoup plus de clarté et d'évidence, que n'en ont parlé ni Platon, ni tous les sages, soit d'entre les Grecs, soit d'entre les Barbares. S'il nous demande des raisons de cette créance, qu'il nous en donne auparavant de ce qu'il a avancé lui-même sans preuve, et nous lui ferons voir ensuite que ce que nous croyons est bien fondé. Il lui est arrivé, au reste, de rendre malgré lui témoignage à la nouveauté du monde, et de reconnaître qu'il n'a pas encore dix mille ans lorsqu'il a dit que les Grecs mêmes regardent ces choses comme de vieux événements, parce que les embrasements et les inondations ont empêché qu'ils en aient vu de plus anciennes, et que la mémoire s'en soit conservée parmi eux. Que Celse appuie donc, tant qu'il lui plaira, la fable de ses embrasements et de ses inondations, sur l'autorité des docteurs égyptiens, les plus sages, selon lui, de tous les hommes : comme, en effet, on peut voir de beaux vestiges de leur sagesse dans l'adoration des animaux privés de raison et dans ce qu'ils allèguent pour prouver que le culte qu'ils rendent ainsi à Dieu est très raisonnable et tout rempli de profonds mystères. Pour ce qui est des Egyptiens, lorsqu'ils font des spéculations idéologiques pour donner du poids à ce qu'ils enseignent touchant les animaux, ils passent pour sages dans son esprit; mais si quelqu’un, conformément à la loi des Juifs et à l’intention de leur législateur, rapporte toutes choses à Dieu seul comme au créateur de l'univers, Celse et ses pareils le mettent infiniment au-dessous de ceux qui rabaissent la divinité non seulement jusqu'à la condition des animaux raisonnables et mortels, mais jusqu'à celle des bêtes mêmes, sous l'ombre de je ne sais quelle imaginaire transmigration de l'âme, qui tombe et qui descend du plus haut des cieux pour passer jusque dans le corps des animaux sans raison, aussi bien dans celui des plus farouches que dans celui des autres qui sont domestiques et privés. Quand les Égyptiens débitent leurs fables, l'on s'imagine que c'est qu'ils cachent leur philosophie sous des figures et sous des énigmes ; mais quand Moïse, après avoir écrit des histoires pour instruire toute une nation, lui donne aussi des lois pour la gouverner, l'on veut que ce ne soient que des contes sans fondement, qui ne puissent même recevoir de sens allégorique ; car c'est ainsi qu'en jugent Celse et les Epicuriens. Moïse, continue-t-il, ayant pris les sentiments de ces nations sages et de ces grands hommes, s'est acquis par le nom d'homme divin. Pour lui répondre, je veux qu'il soit vrai que Moïse ait pris les sentiments de ceux qui avaient été avant lui, et qu'il les ait introduits parmi les Hébreux, il faut toujours dire que si ces sentiments sont contraires à la vérité et à la sagesse, il est à blâmer de les avoir reçus et de les avoir donnés-aux autres ; mais si, comme vous le posez vous-mêmes, il n'y a rien que de sage et de véritable dans les dogmes qu'il a embrassés et qu'il a enseignes à son peuple, qu'a-t-il fait en cela qu’on doive lui reprocher? Plut à Dieu qu'Epicure, et qu'Aristote, qui est un peu moins impie qu'Epicure sur le sujet de la Providence, et que les stoïciens, qui veulent que Dieu soit un corps, eussent embrassé ces mêmes dogmes ! nous ne verrions pas le monde aussi rempli que nous le voyons de sentiments qui abolissent la Providence ou qui lui donnent des bornes, ou qui établissent un principe corruptible en rétablissant corporel; d'où il suit que Dieu lui-même est un corps, comme le soutiennent les stoïciens qui n'ont point honte de dire qu'il est de sa nature sujet à tous les changements, à toutes les altérations et à toutes les vicissitudes par ou passent les autres choses : en un mol, qu'il ne se pourrait défendre de la corruption, s'il se trouvait exposé aux causes qui la produisent; et que s'il a le bonheur d'être incorruptible, cela ne vient que de ce qu'il n'y a rien qui le corrompe. Mais la doctrine des Juifs et des chrétiens, qui conserve à Dieu son immutabilité, passe pour une doctrine impie, parce qu'elle ne consent pas à l'impiété de ceux qui ont des sentiments injurieux à la majesté divine, et qu'elle nous enseigne à dire dans nos prières à Dieu : Mais toi, tu es toujours le même (Ps. CI ou CII, 28), comme elle l'introduit ailleurs, qui dit, Je ne change point (Mat. III, 6).

Dans ce qui suit Celse ne condamne point la circoncision qui est en usage parmi les Juifs ; il dit seulement qu'ils l'ont tirée d'Egypte (Gen., XVII. 23) ; et il aime mieux s'en rapporter aux Egyptiens que d'en croire Moïse, qui nous assure qu'Abraham est le premier de tous les hommes qui ait pratiqué a circoncision. Ce nom d'Abraham, au reste, et la familiarité que celui qui le portait a eue avec Dieu, ne sont pas des choses renfermées dans les seuls livres de Moïse. La plupart de ceux qui conjurent les démons, mettent ces mots, Le Dieu d'Abraham, dans le Formulaire dont ils se servent; marquant assez par là l'étroite union qui a été entre Dieu et ce saint homme; car c'est pour celle raison qu'ils font leur conjuration au nom du Dieu d'Abraham, bien qu'ils ne sachent pas qui a été cet Abraham. J'en dis autant des noms d'Isaac, de Jacob et d’Israël qui, étant Hébreux, comme on ne le peut nier, sont très souvent employés par les Egyptiens dans ces sciences secrètes, par lesquelles ils prétendent faire quelque chose d'extraordinaire. Pour ce qui est de la circoncision, dont l’usage, établi en la personne d'Abraham, a été aboli par Jésus, qui n'a pas voulu que ses disciples pratiquassent cette cérémonie, ce n'est pas ici le lieu d'en examiner la signification. Il s'agit non d'expliquer ces mystères, mais de combattre et de repousser les accusations que Celse avance contre la doctrine des Juifs, s’imaginant qu'il lui sera beaucoup plus aisé de faire voir que la religion chrétienne est fausse, si attaquant d'abord ce qu'elle a pour son fondement, je veux dire la religion judaïque, il en montre aussi la fausseté.

Celse dit, après cela, qu'une troupe de gardeurs de chèvres et de brebis s'étant mis à la suite de Moïse, ils furent tellement éblouis de ses illusions grossières, qu'ils se laissèrent persuader qu'il n'y a qu'un Dieu. Qu'il nous fasse donc voir, puisqu'il croit que ces gardeurs de chèvres et de brebis n'ont pas eu raison d'abandonner le culte des dieux, qu'il nous fasse, dis-je, voir comment il pourra prouver lui-même celle multitude de divinités adorées par les Grecs et par les autres peuples qu'on nomme Barbares. Qu'il nous montre l'essence et la subsistance réelle, et de celle Mnémosyne, la Mémoire, et de cette Thémis, la Justice, qui ont eu de Jupiter l'une les Muses, et l'autre les Heures. Qu'il nous montre encore comment les Grâces, qui sont toujours nues, sont aussi des êtres qui subsistent réellement. Il ne saurait jamais nous prouver que ces fantaisies des Grecs, auxquelles on attribue des corps soient des divinités réelles. Car pourquoi les fables des Grecs touchant les dieux seront-elles plus véritables que celles des Egyptiens, par exemple, qui ne connaissent point en leur langue de Mnémosyne, mère des neuf Muses, ni de Thémis, mère des Heures, ni d'Eurynome, mère des Grâces, et qui n'ont aucun de tous ces autres noms d'origine grecque? Qu'y a-t-il donc, dans toutes ces vaines actions, de comparable à la force et à l'évidence des raisons qui nous persuadent, par tout ce que nous voyons, de nous rendre à la parfaite symétrie de l'univers pour adorer celui qui la fait, et pour reconnaître que l'unité de l'un est une preuve de l'unité de l'autre? En effet, il est impossible qu'un ouvrage, dont les parties ont un si juste rapport avec leur tout, doive sa naissance à plusieurs ouvriers, comme il n'est pas croyable que les mouvements des cieux soient réglés par plusieurs âmes, puisqu'il suffit d'une qui, faisant rouler le firmament d'Orient en Occident, renferme et gouverne toutes les choses inférieures qui, bien qu'imparfaites elles-mêmes, sont pourtant nécessaires à la perfection de l'univers; car toutes les choses que le monde contient en sont des parties. Mais Dieu n'est partie d'aucun tout : autrement il ne serait pas parfait comme- il doit être, puisque qui dit partie, dit quelque chose d'imparfait; et peut-être qu'à pousser plus loin le raisonnement, on prouverait que comme Dieu n'est point partie, il n'est pas non plus proprement tout : car un tout est composé de parties; or la raison ne saurait admettre qu'il y ait des parties dans la grand Dieu, dont chacune en particulier n'aurait pas le même pouvoir que les autres. Il dit ensuite que ces gardeurs de chèvres et de brebis se laissèrent ainsi persuader qu'il n'y a qu'un Dieu, soit qu'ils le nommassent le très Haut, ou Adonaï, ou le Céleste, ou Sabaoth; soit qu'il leur plût de désigner cet univers par tel autre nom que bon leur semblait, et que c'était que se bornait leur connaissance. Il ajoute qu'il n'importe quel nom l'on donne au grand Dieu; soit qu'on l'appelle Jupiter, comme font les Grecs; soit qu’on le nomme de telle ou de telle manière, conformément à l'usage des Egyptiens, par exemple, ou à celui des Indiens. Je réponds que ce discours nous conduit à une question difficile et épineuse, touchant la nature des noms; savoir, s'ils dépendent de l'institution et du choix, comme le croit Aristote, ou s'ils ont leur fondement dans la nature, selon le sentiment des stoïciens, les premières voix s'étant formées sur le modèle des choses mêmes et les représentant par leur son, d'où ensuite les noms entiers ont été tirés, comme on peut encore le remarquer dans les traces de diverses étymologies; ou enfin s'ils ont à la vérité quelque chose de naturel, mais, selon l'opinion d'Epicure, qui est différente de celle des stoïciens, les premiers hommes ayant fortuitement poussé de certaines voix à la rencontre des objets. Je dis donc que si nous pouvons établir comme une chose constante qu'il y a des noms qui ont naturellement de la vertu, tels que sont ceux dont se servent les sages des Egyptiens ou les plus éclairés d'entre les mages des Tarses, ou ceux qu'on appelle Samanées et Brachmanes parmi les philosophes indiens, et ainsi de toutes les autres nations : et si nous pouvons encore prouver que ce qu'on nomme la magie n'est pas un art purement vain et chimérique, comme l'estiment les sectateurs d'Aristote et d'Epicure, mais qu'il a des règles certaines, bien qu'elles soient connues de peu de personnes, comme le font, voir ceux qui l'entendent ; si nous pouvons établir cela, nous dirons alors que ni le nom de Sabaoth, ni celui d'Adonaï, ni tous ces autres noms que les Juifs conservent parmi eux avec tant de vénération, n'ont pas été faits pour des êtres créés et méprisables, mais qu'ils appartiennent à une théologie mystérieuse qui a son rapport au Créateur de l'univers. C'est de là que vient la vertu qu'ont ces noms, lorsqu'on les arrange et qu'on les prononce de la manière qui leur est propre Ainsi, encore il y en a qui, étant prononcés en égyptien, opèrent sur certains démons dont le pouvoir est borné à telle ou telle chose; d'autres qui, étant prononcés en la langue des Perses, opèrent sur d'autres démons; et tout de même parmi les autres nations où l'on employé d'autres noms pour d'autres usages; de sorte qu'il se trouvera, selon les divers endroits assignés aux démons qui font leur séjour sur la terre, que leurs noms aussi ont de la conformité avec le langage dont se sert le peuple du pays. Pour peu donc qu'un homme de bon sens fasse de réflexion sur ces choses, il fera scrupule d'appliquer indifféremment toutes sortes de noms à toutes sortes de sujets, de peur qu'il ne lui arrive de faire la même faute que font ceux qui attribuent grossièrement le nom de Dieu à une matière inanimée, ou ceux qui, au préjudice de la première cause ou de l'honnêteté et de la vertu, ravalent tellement le nom de souverain bien, qu'ils le donnent à des richesses aveugles ou à une prétendue noblesse, ou à je ne sais quelle proportion de la chair, du sang et des os, qui fait la santé et le bon tempérament. Et je ne sais s'il n'est point aussi dangereux de donner le nom de Dieu ou celui de souverain bien à des choses qui ne le méritent pas, que de se méprendre dans l'application des noms qui ont des vertus secrètes, et de donner ceux des puissances supérieures à des êtres inférieurs, ou ceux des êtres inférieurs à des puissances supérieures. Pour ne point dire ici que l'on ne saurait ouïr prononcer le nom de Jupiter sans se mettre aussitôt dans l'esprit le fils de Saturne et de Rhée, le frère de Neptune, le mari de Junon, le père de Minerve, de Diane et de Proserpine, souillé d'inceste avec la dernière; ni celui d'Apollon, sans concevoir que pour le porter il faut être fils de Jupiter et de Latone, et frère de Diane ; avoir le même père que Mercure et répondre, dans tout le reste, au caractère qu'y ont joint les anciens théologiens des Grecs, que Celse reconnaît pour les sages inventeurs de ses dogmes. Car sur quel fondement avoir en partage le nom de Jupiter pour nom propre, sans avoir en même temps Saturne pour père, et Rhée pour mère? ce qu'il faut aussi appliquer à toutes ces autres prétendues divinités. Mais on ne peut faire la même objection à ceux qui soutiennent que le nom de Sabaoth, on celui d'Adonaï, ou les autres noms semblables appartiennent à Dieu par des raisons secrètes et mystérieuses. Qui serait capable d'approfondir cette matière, trouverait aussi divers mystères dans les noms des saints anges, dont l'un se nomma Michel, l'autre Gabriel, l'autre Raphaël, conformément à la nature des emplois qu'ils ont dans l'univers par la volonté du Grand Dieu. Et c'est pareillement à cette philosophie des noms qu'il faut rapporter le nom de notre Jésus qu'on a déjà vu une infinité de fois déployer sa vertu sur les démons, les chassant, aux yeux de tout le monde, des corps et des âmes de ceux qui en étaient possédés. Ajoutez encore à tout ce que nous venons de dire sur le sujet des noms, qu'au rapport de ceux qui entendent l'art de conjurer, tant que Ion récitera la conjuration en la langue qui lui est propre, elle ne manquera pas de produire l'effet qu'elle promet; mais si l’on en change les termes en ceux de quelque autre langue que ce puisse être, on la verra demeurer sans force et sans vertu : pour montrer que ce n'est pas dans le sens des choses, mais dans les qualités et dans les propriétés des mots, que réside le pouvoir de faire telle ou telle opération. C'est par ces raisons que nous défendrons la résistance avec laquelle les chrétiens refusent jusqu'à la mort de donner à Dieu le nom de Jupiter ou quelqu'un de ceux qui sont en usage dans les autres langues ; car pour eux, ou ils le désignent indéterminément par le nom commun de Dieu, ou ils le caractérisent par ces épithètes : Celui qui a formé l'univers, celui qui a créé le ciel et la terre, celui qui a envoyé au monde tels sages dont les noms, étant joints à celui de Dieu, opèrent certaines vertus parmi les hommes. Il y aurait encore beaucoup d'autres choses à dire sur les noms contre l'opinion de ceux qui soutiennent que l'usage et l'application en doit être indifférente; car si l'on admire tant Platon pour avoir fait dire à Socrate (dans le Philèbe), sur ce que Philèbe, s'entretenant avec lui, avait donné à la Volupté le nom de déesse, pour moi, Protarque, j’ai un respect extrême pour les noms des dieux, combien plus devons-nous estimer la retenue des chrétiens qui font scrupule d'appliquer au créateur de l'univers aucun de ces noms tirés des fables? Mais en voilà assez pour cette heure.

Voyons maintenant combien les calomnies de Celse contre les Juifs répondent mal à la vanité qu'il se donne de savoir tout. Ils s'adonnent, dit-il, au culte des anges et à la magie, suivant, en cela, les préceptes de leur Moïse. Qu'il nous marque donc un peu, lui qui est si savant dans la doctrine des Juifs et des chrétiens, l'endroit des écrits de ce législateur, où le culte des anges est établi, et qu'il nous dise comment la magie peut être en vogue parmi des personnes qui reçoivent les lois de Moïse, où ils lisent tous les jours : N’ayez nul commerce avec les magiciens pour vous souiller avec eux. (Lévitiq., XIX, 31). Il promet de faire voir dans la suite que c'est par simplicité et par ignorance que les Juifs, s'étant laissé surprendre, sont tombés dans l'erreur. Et j'avoue que s'il appliquait cela à l'aveuglement des Juifs sur le sujet de Jésus-Christ, qu'ils n'ont pas voulu reconnaître dans les oracles des prophètes, il aurait raison de dire qu'ils sont tombés dans l'erreur : mais sans vouloir seulement faire réflexion sur ces choses, il appelle erreur ce qui n'est nullement erreur. Remettant donc à une autre fois ce qu'il a à dire touchant les Juifs, il entre en matière par notre Sauveur, comme par le fondateur de la société qui fait que nous portons le nom de chrétiens. Il dit qu'il a passé parmi les chrétiens pour le Fils de Dieu. Mais sur cela même qu'il dit que Jésus a paru au monde depuis qu'ayant paru au monde depuis fort peu d'années, il y a été le premier auteur de cette doctrine, et fort peu d'années, nous avons lieu de lui demander si c'est ici on événement ou Dieu puisse n'avoir point de part, que Jésus, ayant depuis si peu d'années formé le dessein de répandre sa doctrine dans le monde, l'ait exécuté avec un si merveilleux succès, que presque dans toutes les parties de la terre que nous connaissons, un très grand nombre de Grecs et de Barbares, de savants et d'ignorants, aient embrassé le christianisme, et en retiennent la profession avec tant de fermeté, qu'ils aiment mieux mourir que d'y renoncer ; ce qu'on ne lit pas que personne ait jamais fait pour aucune autre doctrine. Pour moi, je puis dire, sans rien donner à la faveur de la cause, mais tâchant seulement d'examiner avec soin ce que sont les choses en elles-mêmes, que quand il arrive que ceux qui ne se proposent pour but que la santé du corps réussissent en la guérison de plusieurs malades, ils ne le font que par la bénédiction de Dieu. Et s'il se trouve quelqu'un capable de guérir les âmes des vices qui les possèdent, de leur intempérance, de leur injustice, de leur mépris pour la divinité, et qui, pour preuve de ce qu'il sait faire, vous fasse voir une centaine de personnes (car posons qu'il y en ait autant) dont il ait changé les mœurs, vous ne direz pas non plus que ce soit sans une grâce particulière du ciel qu'il leur ait donné les préceptes qui les ont retirés d'une telle corruption. Si ceux donc qui jugent équitablement des choses sont obligés d'avouer qu'il n'arrive rien de bon au monde que par les soins de la Providence, à combien plus forte raison doit-on dire hardiment la même chose de Jésus-Christ, si l'on fait comparaison de la première vie de ceux qui ont cru en lui avec celle qu'ils ont menée ensuite, et si l'on considère comment, de tout ce grand nombre de personnes, il n'y en avait aucun qui ne fût abandonné à plusieurs sortes de débordements, de violences et de fraudes, avant qu'ils se fussent laissé séduire, ainsi qu'en parlent Celse et ceux qui jugent comme lui, et qu'ils eussent reçu cette doctrine, qui est, disent-ils, la peste du genre humain; au lieu que depuis qu'ils l'ont reçue, ils n'ont fait paraître en leur conduite que des exemples de retenue, de douceur et d'équité, jusque là même qu'il s'en trouve que l'amour d'une pureté au-dessus de l'ordinaire, et le désir de se consacrer plus parfaitement au service de Dieu, ont portés à se priver volontairement des plaisirs qu'il est permis de prendre dans un mariage légitime. Il ne faut au reste qu'un peu d’application d'esprit, pour reconnaître que Jésus a fait une entreprise qui passe les forces humaines, et que l'ayant faite, il l'a exécutée. Car toutes choses s'opposant d'abord à l'établissement de sa doctrine dans le monde, les princes qui ont régné successivement, les gouverneurs et les généraux d'armée qui commandaient sous eux, les magistrats particuliers des villes, les peuples et les soldats, tous ceux, en un mot, qui avaient quelque autorité ou quelque crédit, ayant déclaré la guerre à cette doctrine, elle est demeurée victorieuse, et elle a fait voir qu'étant la doctrine de Dieu, il n'y avait rien qui fut capable de lui résister. De sorte que, malgré les efforts de tant d'ennemis, elle s'est répandue dans toute la Grèce et parmi la plupart des peuples barbares, ou elle a changé en mieux un nombre inouï d'âmes, les ayant instruites a servir Dieu, suivant ce qu'elle prescrit. Or comme il y a toujours plus de gens simples et grossiers qu'il n'y en a d'éclairés et de savants, il était inévitable que dans la foule de ceux qui se rendaient à la doctrine chrétienne, le nombre de ces grossiers et de ces simples ne fût beaucoup plus grand que celui des autres. Mais Celse, ne voulant pas considérer cela, parle avec mépris de ce divin soleil qui ne dédaigne point de se lever pour tout le monde, et il prend cette condescendance pour une marque de faiblesse, comme si la doctrine de Jésus n'avait rien de noble ni de relevé, et que sa simplicité la rendit incapable de gagner d'autres esprits que ceux des simples ; quoiqu'il ne puisse dire pourtant qu'il n'y ait que des gens simples et grossiers qui aient embrassé la doctrine et la religion de Jésus, puisqu'il avoue lui-même qu'il s'en trouve parmi eux dont les mœurs sont douces et bien réglées, et d'autres qui ont assez de lumière et de savoir pour se démêler heureusement des allégories.

Mais puisqu'il use de prosopopées, imitant en quelque sorte l'exemple d un jeune écolier que son maître ferait déclamer pour l'exercer dans la rhétorique, et qu'il introduit un Juif qui tient à Jésus certains discours puériles, où il n'y a rien de digne des cheveux blancs d'un philosophe, examinons aussi avec soin ce qu'il lui fait dire, et faisons voir qu'il n'a pas su même bien garder le caractère qui convenait à son Juif. Il l'introduit donc s'adressant à Jésus, et prétendant le convaincre de plusieurs choses, et premièrement, d'avoir supposé qu'il rfcv.nl sa naissance à une vierge. Il lui reproche ensuite d'être originaire d'un petit hameau de la Judée, et d'avoir eu pour mère une pauvre villageoise qui ne vivait que de son travail. Il dit qu'ayant été convaincue d'adultère, elle fut chassée par son fiancé qui était charpentier de profession ; qu'après cet affront, errant misérablement de lieu en lieu, elle accoucha secrètement de Jésus; que lui, se trouvant dans la nécessité, fut contraint de s'aller louer en Egypte, , ayant appris quelques-uns de ces secrets que les Egyptiens font tant valoir, il retourna en son pays, et que, tout fier des miracles qu'il savait faire, il se proclama lui-même Dieu. A bien considérer toutes ces choses, selon ma coutume de ne pouvoir rien laisser passer de ce qu'avancent les incrédules, que je ne l'examine à fond, je trouve qu'elles concourent à faire voir que Jésus a parfaitement répondu aux prophéties qui avaient prédit qu'il devait être Fils de Dieu. Car, pour ce qui est des hommes, il est certain que la noblesse de leur race et la gloire de leur patrie, les emplois et les richesses de leurs pères, le soin qu'on a pris de leur éducation et les dépenses qu'on y a faites contribuent beaucoup à leur donner de l'éclat, à leur acquérir de la réputation et à rendre leur nom célèbre. Mais lorsqu'une personne, qui se trouve dans une condition toute contraire, ne laisse pas de se faire connaître par toute la terre, malgré les obstacles qui s'y opposent, attirant sur soi les yeux de tous les hommes, faisant une forte impression sur l'esprit de ceux qui entendent parler de ses merveilles, et les portant à les publier eux-mêmes comme des choses hors de toute comparaison, qui n'admirera, dès la première vue, l'élévation et la fermeté d'une âme si capable de former de grands desseins, et si propre à les exécuter ? Si l'on descend ensuite à un examen plus particulier, ne se demandera-t-on pas à soi-même comment il s'est pu faire qu'un homme né dans la pauvreté et nourri dans la bassesse, qui n'a été instruit dans aucune des sciences inventées pour former l'esprit et pour le cultiver, qui n'a pris leçon ni des orateurs, ni des philosophes, pour se rendre propre au moins à s'intriguer dans le monde, à s'attirer nombre d'auditeurs, et à gagner le cœur de la multitude; qu'un tel homme ait entrepris de répandre par toute la terre une nouvelle doctrine, enseignant des dogmes qui abolissaient les coutumes des Juifs, sans déroger pourtant à l'autorité de leurs prophètes, et qui renversaient les lois des Grecs, celles particulièrement qui regardaient le culte de divinité? Comment encore il s'est pu faire qu'un homme élevé, comme nous venons de le dire, et qui, par la propre confession de ceux qui médisent de lui, n'a rien appris d'aucun autre homme qui dût le faire écouter, ait si bien parlé du jugement de Dieu, des peines destinées aux méchants et des récompenses préparées pour les gens de bien, que non seulement les simples et les ignorants aient embrassé sa doctrine, mais qu'elle ait même été suivie par plusieurs d'entre les plus éclairés, qui sont capables de faire un juste discernement des choses, et de reconnaître que sous l'écorce des enseignements les plus vils en apparence il y a, pour ainsi dire, des mystères cachés qui en rehaussent infiniment le prix? Un certain Sériphien (liv. 1, de la Républ.), dont Platon nous raconte l'histoire, reprochant un jour à Thémistocle, qui s'était rendu fameux par ses exploits, que sa grande réputation venait moins du mérite de sa personne que du bonheur qu'il avait eu de naître dans une ville célèbre par toute la Grèce; Thémistocle, qui voyait bien que la gloire de sa patrie avait en quelque sorte contribué à la sienne, répondit sagement au Sériphien : Si j'étais à Sériphe, je n'aurais jamais acquis tant d’honneur que j’ai fait, mais quand vous auriez eu l'avantage de naitre à Athènes, vous n'auriez jamais été Thémistocle. Au lieu que notre Jésus, à qui l'on reproche d'être né dans un hameau, et encore dans un hameau qui n'est ni de Grèce, ni d'aucun autre pays pour lequel on ait communément de l'estime, d'avoir eu pour mère une pauvre femme qui travaillait pour gagner sa vie, et d'avoir été contraint lui-même d'aller en Egypte chercher à gagner la sienne, chez des étrangers ; notre Jésus qui, pour nous servir de notre exemple, non seulement est né à Sériphe, la plus petite et la moins connue de toutes les îles, mais qui est même, pour le dire ainsi, le dernier des Sériphiens, a eu pourtant pouvoir de faire sur l'esprit de tous les hommes du monde une impression plus vive et plus forte que n'a jamais fait, je ne dirai pas l'Athénien Thémistocle, mais ni Pythagore, ni Platon, ni quelque autre que ce puisse être, soit sage, soit prince, soit conquérant. Qui ne sera donc surpris, s'il n'est d'humeur à réfléchir sur les choses bien légèrement, de voir surmonter à Jésus de si grands obstacles, de lui voir faire éclater sa gloire au travers de tout ce qui semblait le devoir ensevelir dans l'obscurité, de lui voir laisser infiniment au-dessous de soi tout ce qu'il y a jamais eu d'illustre parmi les hommes ? En effet, de ceux que l'on nomme illustres dans le monde, il y en a bien peu qui le soient par plusieurs endroits à la fois. L’un se rend célèbre par sa sagesse, l'autre par ses emplois militaires, quelques-uns d'entre les barbares se font admirer par les effets surprenants de leurs charmes et de leurs conjurations, et quelques autres par d'autres qualités, toutes en petit nombre. Mais Jésus, outre tant d'autres vertus, s'est rendu admirable, et par sa sagesse, et par ses miracles, et par son autorité. Car s il s'est fait des sectateurs, il ne les a fait ni comme un tyran qui gagne des gens pour l'aider à renverser les lois de son pays, ni comme un voleur qui arme contre les autres hommes ceux qui le suivent, ni comme un homme puissant qui prend à gages et qui entretient ceux qui s'attachent ses intérêts, ni comme aucun de ceux dont le procédé est manifestement condamnable ; mais il l'a fait comme un docteur qui enseigne aux hommes ce qu'ils doivent penser du grand Dieu, quel culte ils lui doivent rendre et quelle morale ils doivent suivre pour se mettre en état d'approcher de lui familièrement. Pour ce qui est de Thémistocle et des autres qui se sont acquis de la réputation, il n'y a rien eu qui en ait traversé l'établissement; mais à l'égard de Jésus, outre tout ce que nous avons déjà dit, et qui n'était que trop suffisant, pour couvrir de ténèbres la vie d'un homme, quelque heureusement né qu'il pût être, la mort et la croix, qu'il a soufferte et qui passe pour si ignominieuse, était bien capable de ternir toute sa gloire précédente, de détromper ceux qui, comme en parlent les ennemis de sa doctrine, s'étaient laissé surprendre à ses impostures, et de les obliger à détester l'imposteur. Il y a encore de quoi s'étonner que les disciples de Jésus qui, si l'on en croit ses adversaires, ne l'avaient point vu ressusciter et n'étaient nullement persuadés qu'il y eût en lui rien de surnaturel, se soient mis dans l'esprit d'affronter et de mépriser tous les périls qui les menaçaient d'une fin pareille à celle de leur maître, et d'abandonner leur patrie pour aller prêcher par le monde la doctrine que Jésus leur avait enseignée. Je m'assure que qui en voudra juger et parler sans passion, ne dira jamais que des gens aient bien voulu se réduire à mener une vie si agitée pour l'amour de la doctrine de Jésus, sans être fortement persuadés qu'ils étaient obligés non seulement de vivre eux-mêmes selon ses préceptes, mais aussi d'y faire vivre les autres. Car il était aisé de comprendre, de la manière que les affaires du monde étaient disposées, que c'était travailler soi-même à sa perte et s'attirer la haine de tous ceux qui avaient de l'attachement pour leurs anciens sentiments et pour leurs anciennes coutumes, que d'oser établir en tous lieux de nouveaux dogmes et exhorter tous les hommes à les recevoir. Les disciples de Jésus ne voyaient-ils pas où allait ce qu'ils avaient la hardiesse d entreprendre, c'est-à-dire non seulement de prouver aux Juifs, par les écrits des prophètes, que Jésus était celui que les anciens oracles avaient prédit, mais de persuader même aux autres peuples qu'un homme, crucifié depuis trois jours, s'était volontairement abandonné à ce supplice pour le salut du genre humain, conformément à ce qu'avaient rail autrefois ceux qui avaient bien voulu mourir pour délivrer leur patrie de quelque peste qui la ravageait, de quelque stérilité qui la menaçait de famine, ou de quelque tempête qui empêchait la navigation? Car il faut que dans la nature des choses il y ait de certaines causes secrètes dont les ressorts ne sont pas aisés à comprendre à tout le monde, par lesquelles cet ordre soit établi, que quand un homme de bien s'expose volontairement à la mort pour le public, il détourne l'effort des mauvais démons qui produisent les pestes, les stérilités, les tempêtes et les autres désordres semblables, et je voudrais bien demander à ceux qui refusent de croire que Jésus ait été crucifié pour les hommes, s ils ont la même incrédulité pour toutes ces autres histoires des Grecs et de Barbares, qu'on dit qui sont morts pour délivrer ou une ville ou tout un pays, des maux qui les affligeaient; ou si, recevant ces histoires, ils ne rejettent, comme entièrement éloignée de la vraisemblance, que celle de la mort de Jésus, revêtu de la forme humaine, a soufferte sur la croix, pour détruire l'empire que le grand démon, le prince des autres démons, s'était acquis sur les âmes de tous les hommes qui venaient au monde. Les disciples de Jésus donc voyant toutes ces choses et plusieurs autres encore, qu'il y a apparence que leur maître leur avait découvertes en particulier, étant d'ailleurs soutenus par une vertu plus qu'humaine qu'ils avaient reçue, non de je ne sais quelle vierge de l'invention des poètes, mais de la vraie sagesse de Dieu, ils se hâtèrent

D'aller dire admirer l'ardeur de leur courage,

non seulement parmi les Grecs, mais encore, parmi les Barbares.

Il faut maintenant retourner à notre prosopopée, et écouter ce que le Juif dit de la mère de Jésus : qu'elle fut chassée par le charpentier, son fiancé, ayant été convaincue d'avoir commis adultère avec un soldat, nommé Panthère. Voyons donc un peu si ceux qui ont inventé cette fable n'ont point été aveugles dans ces circonstances, et si celles de l’adultère commis avec le soldat, et de l'emportement du charpentier, sont fort propres diminuer la créance de l'opération miraculeuse du Saint-Esprit dans la conception de Jésus. Car une histoire aussi surprenante que celle-là se pouvait aisément falsifier d'une autre manière, sans qu'on fût obligé de confirmer, comme malgré soi, que Jésus n'est pas né par les voies ordinaires du mariage. Il fallait bien que ceux qui ne voulaient pas avouer le miracle inventassent quelque fausseté; mais d'en avoir inventé une qui est contre l'apparence et qui laisse subsister, comme un fait constant, que Jésus n'est pas né de Joseph et de la Vierge, c'est découvrir l'imposture à ceux qui ont du discernement et qui savent pénétrer les suppositions. Est-il vraisemblable, en effet, que celui qui a fait de si grandes choses en faveur du genre humain, n'oubliant rien pour obliger tous les hommes, tant grecs que barbares, à renoncer au vice, dans l'attente du jugement de Dieu, et à régler toutes leurs actions sur la volonté du Créateur de l'univers, ait eu la plus sale et la plus honteuse de toutes les naissances, bien loin d'avoir eu en cela quelque chose d'extraordinaire? C'est aux Grecs, et particulièrement à Celse qui, soit qu'il approuve les sentiments de Platon ou qu'il ne les approuve pas, fait au moins fort valoir son autorité, c'est à eux à nous dire s'il est croyable que celui qui prend le soin de distribuer à chaque corps l'âme qui le doit animer, ait voulu qu'un homme qui devait en instruire tant d'autres, corriger tous les dérèglements de leur vie et rendre la sienne illustre en tant de façons, soit né de la manière du monde la plus infâme et n'ait pas même eu l'honneur de sortir d'un mariage légitime ; ou, pour parler selon l'opinion de Pythagore, de Platon et d'Empédocle, allégués assez souvent par Celse, s'il est vrai qu'il y ait de certaines causes occultes qui fassent que chaque âme soit appropriée à un corps digne d'elle par rapport aux mœurs et aux qualités qu'elle a eues auparavant, n'est-il pas vrai aussi qu'une âme qui venait au monde pour y faire plus de bien que ne font la plupart des autres (je ne veux pas dire toutes, de peur que cela sente le préjugé), a dû être jointe à un corps non seulement plus parfait que ceux du commun, mais excellent même entre tous ? Car s'il se trouve des âmes qui, par la secrète disposition de ces causes, ne méritent pas d'être renfermées dans le corps d'une brute, mais qui, n'étant pas dignes aussi d'animer un corps parfaitement bien formé pour la raison, ont pour partage un corps contrefait, dont la tête mal proportionnée au reste, et petite outre mesure, ne permet pas à la raison de se déployer; s'il s'en trouve d'autres qui sont jointes à un corps où elles ont un peu plus de moyens de se perfectionner, et ainsi des autres par degrés selon que la nature du corps s'oppose plus ou moins à cette dernière perfection : pourquoi n'y aura-t-il pas quelque âme, qui anime un corps si avantageusement disposé, qu'ayant quelque chose de commun avec les hommes, il la mette en état de converser avec eux; et qu'ayant aussi quelque chose au-dessus de la condition des hommes, il ne l'infecte point de la contagion de leurs vices? Enfin, si l'on veut suivre la pensée des physionomistes, comme de Zopyre, de Loxe, de Polémon, ou des autres, quels qu'ils soient, qui ont écrit sur cette matière, et qui, par les règles de leur science, desquelles ils parlent fort magnifiquement, prétendent que chaque corps ait de la conformité avec les inclinations de son âme : y a-t-il de l'apparence qu'une âme, qui devait paraître au monde avec tant d'éclat, et y faire des choses si extraordinaires, ait été jointe à un corps formé, comme le pose Celse, par l'adultère d'un soldat impur, et d'une fille débauchée? Ces amours déréglées ne devaient-elles pas plutôt produire un esprit mal fait, une peste publique, un docteur d'injustice, d'impureté, et de toutes sortes d'ordures, qu'un exemple d'équité et de tempérance, et qu'un prédicateur de la vertu? Mais c'est d'une vierge, selon la prédiction des prophètes et conformément au signe promu, que devait naître celui dont le nom et la personne devaient avoir ensemble un rapport si juste, et faire véritablement voir Dieu avec les hommes. Et je crois qu'à l'occasion de la prosopopée du juif, il est à propos de rapporter ici l'oracle du prophète Isaïe, où il prédit qu'une vierge devait mettre au mande un fils nommé Emmanuel; d'autant plus que Celse n'en a rien dit, soit qu'il ne le sût pas, lui qui se vante de savoir tout, soit qu'encore qu'il l'eût bien lu, il ait affecté de le passer sous silence, pour ne sembler pas confirmer, malgré soi, une opinion qu'il a entrepris de combattre. Voici le passage entier : Le Seigneur continuant de parler à Achaz, lui dit : Demande au Seigneur ton Dieu un signe pour toi, soit du plus bas lieu, soit du plus haut. Achaz répondit : Je n'en demanderai point, et je ne tenterai point le Seigneur. Alors Isaïe dit : Ecoutez donc, maison de David : N'est-ce pas assez pour vous, de vous en prendre aux hommes, que vous vous en preniez aussi, au Seigneur? C'est pourquoi le Seigneur vous donnera lui-même un signe. C'est qu'une vierge concevra, et qu'elle mettra au monde un fils, que l'on nommera Emmanuel, qui signifie, Dieu avec nous (Is. VII, 10). Ce qui me fait, au reste, clairement connaître que c'est à mauvaise intention que Celse a tu cette prophétie, c'est qu'il rapporte plusieurs autres endroits de l'Evangile selon saint Matthieu, comme l'apparition de l'étoile, à la naissance de Jésus (Matth., II, 2) et divers événements mémorables ; et que cependant il ne dit pas un mot de cet oracle qui s'y trouve. Si quelque Juif, accoutumé pointiller sur les mots, nous vient dire que, dans le texte du prophète, il n'y a pas : C'est qu'une vierge, mais, C’est qu'une jeune fille (Matth., I, 23), nous lui répondrons que le mot Alma, que les Septante ont traduit par celui de vierge, et que d'autres traduisent par celui de jeune fille, se trouve aussi, à ce qu'on dit, employé pour signifier une vierge, dans le livre du Deutéronome, où il est dit : Si une fille vierge, étant fiancée à un homme, est trouvée dans la ville par quelqu'un qui la déshonore, vous les ferez sortir tous deux à la porte de leur ville, vous les lapiderez, et ils mourront ; la fille, parce qu'étant dans la ville, elle n'a pas crié, et l'homme, parce qu'il a abusé de la femme de son prochain. (Deut., XXII, 23). Et dans la suite : Si quelqu'un trouve aux champs une fille fiancée, et que, lui faisant violence, il la déshonore, vous ferez mourir l’homme tout seul, et vous ne ferez rien à la fille, il n'y a point en elle de crime digne de mort (Deut., XXII, 26). Mais de peur qu'il ne semble que nous tâchions de nous prévaloir d'un mot hébreu, pour faire croire à ceux qui ne sont pas capables d'en juger par là que, selon l'oracle du prophète, celui par la naissance duquel Dieu serait avec nous, devait naître d'une vierge, allons au-devant de ce scrupule, en faisant voir, par toute la suite du discours, dans le passage même, quel en est le véritable sens, Le Seigneur, dit le texte, parla à Achaz, disant : Demande au Seigneur ton Dieu un signe pour toi, soit du plus bas lieu, soit du plus haut. Et le signe qui est promis ensuite, c'est qu'une vierge concevra, et qu'elle mettra au monde un fils. Or quel signe et quelle merveille serait-ce qu'une jeune fille qui ne serait point vierge mit un fils au monde? Et à qui convenait-il plutôt de mettre au monde Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous, à une fille qui l'aurait conçu à la manière ordinaire des femmes, ou à une vierge pure et chaste qui l'aurait conçu sans perdre sa virginité? C'est à celle-ci, sans doute, qu'il appartenait d'être mère d'un enfant, à la naissance duquel on pût dire Dieu est avec nous. Si l'on chicane encore, et qu'on nous objecte qu'il a été dit à Achaz, Demande au Seigneur ton Dieu un signe pour toi, nous demanderons, à notre tour, qui, du temps d'Achaz, a eu un enfant auquel on ait pu donner le nom d'Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous ; et s'il ne s'en trouve point, il faudra reconnaître que ce qui a été dit à Achaz a été dit à la maison de David, parce que c'est de la postérité de David que les Ecritures disent que le Sauveur est sorti, selon la chair (Jean, VII, 42). Et ce qu'il est encore ajouté, que ce signe devait être soit du plus bas lieu, soit du plus haut, c'est parce que celui qui est descendu, est le même qui est monté au-dessus de tous les deux. afin de remplir toutes choses (Ephés., IV, 10). Je parle, au reste, comme ayant affaire à un juif qui reçoit l'autorité des prophéties. Mais que Celse, ou ceux de son parti, nous disent eux-mêmes par quel esprit le prophète a fait toutes les prédictions que nous lisons dans ses écrits, et sur ce sujet et sur plusieurs autres. Est-ce avec connaissance ou sans connaissance de l'avenir? Si c'est avec connaissance, les prophètes ont donc été inspirés de Dieu ; si c'est sans connaissance, qu'on nous marque donc quel a pu être l'esprit de ces gens qui ont parlé si hardiment des choses futures, et dont les écrits ont toujours été admirés par les Juifs comme de vrais oracles.

Mais puisque nous sommes tombés sur le sujet des prophètes, ce que je vais établir pourra être utile, non seulement aux Juifs, qui croient que c'est par l'esprit de Dieu que les prophètes ont parlé ; mais encore aux plus équitables d'entre les Grecs. Je dis donc, et je le dis particulièrement pour ceux-ci, qu'il faut de toute nécessité reconnaître que les Juifs ont eu leurs prophètes, si l'on ne veut que leur loi leur ait elle-même donné occasion de violer ses ordonnances et d'abandonner le service du Créateur pour se ranger au culte de toutes ces divinités que les autres nations adoraient. Et voici comment je prouve cette nécessité. Les autres nations, comme il est dit dans la loi même des Juifs, observent les présages et consultent les devins. Mais pour vous, est-il dit à ce peuple, c'est ce que le Seigneur votre Dieu ne vous permet point. A quoi cette promesse est incontinent ajoutée : Le Seigneur votre Dieu vous fera naître un prophète d'entre vos frères (Deut. XVIII, 14 et 15). Si donc les autres nations avaient des gens qui leur prédisaient l'avenir, soit par le moyen de leurs présages, soit par la considération du vol ou du chant des oiseaux, soit par l'inspection des entrailles d'une victime, soit par les voix qui se formaient dans l'estomac de certaines personnes., soit par les horoscopes des Chaldéens; et que les Juifs, à qui toutes ces choses étaient défendues, n'eussent rien eu qui leur en tint lieu : l'esprit de l'homme est naturellement si rempli de curiosité pour l’avenir, qu'il n'en eut pas fallu davantage pour leur faire mépriser leur propre religion, comme n'ayant rien de divin ; et pour les porter à courir aux chapelles et aux oracles des païens, ou à tâcher d'en établir de semblables parmi eux : de sorte qu'ils n'auraient eu garde d'écouter aucun des autres prophètes qui sont venus après Moïse, ni d'en rédiger les discours par écrit. Ainsi, l'on ne doit pas trouver étrange que parmi les prédictions de leurs prophètes, qui voulaient satisfaire le désir de ceux qui les consultaient, il y en ait quelques-unes sur des choses de peu d'importance; comme sur la perte des ânesses, pour lesquelles on s'adressa à Samuel; et sur la maladie du fils du roi (I Rois. IX, 20), dont il est parlé au troisième livre des Rois (XIV, 12). Autrement quelle raison auraient eue les personnes zélées pour la loi des Juifs de reprendre ceux qui allaient consulter les oracles des idoles ; comme nous lisons qu'Elie reprit Ochozias, disant : Est-ce donc qu'il n'y a pas de Dieu en Israël, que vous allez à l'idole de Baal, consulter le roi des mouches, le Dieu d'Accaron (IV Rois, I, 3)?

Je crois a cette heure avoir suffisamment prouvé, et que notre Sauveur devait naître d'une vierge, et que les Juifs ont eu des prophètes qui, non seulement leur prédisaient es révolutions des empires de la terre, les changements de l'état des Juifs, la conversion des Gentils à notre Sauveur, et plusieurs autres choses touchant sa personne; mais qui les éclaircissaient aussi de quelques faits particuliers, comme du moyen de recouvrer es ânesses que Kis avait perdues, du succès de la maladie du fils du roi d'Israël, et de telles autres choses, s'il s'en trouve de rapportées dans l'Ecriture. L'on peut encore dire aux Grecs, qui refusent de croire que Jésus soit né d'une vierge, que le Créateur, qui préside aux diverses manières dont les animaux se forment, fait assez voir par ce qu'il fait dans une espèce, que s'il veut, il peut faire la même chose dans toutes les autres, et même dans celle des hommes ; car il y a des animaux dont les femelles font leurs petits et conservent ainsi l'espèce sans l'opération du mâle, comme les naturalistes l'assurent des vautours. Qu'y a-t-il donc de si incroyable à dire que Dieu ayant dessein d'envoyer aux hommes un docteur tout divin et tout extraordinaire, ait voulu qu'au lieu que les autres doivent leur naissance à un homme et à une femme, il ait eu dans la sienne quelque chose de singulier ? Outre que selon les Grecs mêmes, tous les hommes n'ont pas eu un père et une mère ; car s'il est vrai que le monde ait commencé d'être, comme plusieurs d'entre les Grecs mêmes l'ont reconnu, il faut nécessairement que les premiers hommes ne soient pas nés par la voie de la génération, mais qu'ils soient sortis de la terre, par la vertu des semences qui s'y étaient ramassées. Ce qui, à mon avis, est beaucoup moins vraisemblable que ce que nous disons de la naissance de Jésus, qui, si elle diffère de celle des autres hommes, a au moins la moitié de ressemblance. Et puisque nous avons affaire à des Grecs, il ne sera pas hors de propos de nous servir des histoires grecques, afin qu'on ne dise pas que nous sommes les seuls qui rapportions un événement si peu commun. Car il y a des auteurs qui, parlant non des vieux contes du temps héroïque, mais de choses arrivées depuis trois jours, n'ont point fait de difficulté d'écrire, comme une chose possible, que Platon était né d'Amphictione, sans qu'Ariston y eût en rien contribué; lui ayant été défendu de toucher à sa femme, qu'elle n'eût mis au monde l'enfant qu'elle avait conçu du fait d'Apollon. Quoique dans le fond ce ne soit là qu'une fable inventée en faveur d'un homme dont l'esprit et la sagesse extraordinaire faisaient croire que, comme il avait quelque chose de plus qu'humain, il fallait que les principes de son corps fussent plus excellents et plus divins que ceux du corps des autres hommes. Mais pour revenir au Juif de Celse qui, continuant son discours, et se moquant de la fiction, comme il parle, par laquelle on prétend que Jésus soit né d'une vierge, la met au rang des fables grecques de Danaé, de Melanippe, d'Augé et d'Antiope ; il lui faut dire que ses railleries seraient bonnes pour un bouffon, et non pour un homme qui s'attache à traiter sérieusement une matière importante.

Prenant aussi dans l'Evangile selon saint Matthieu ce qui nous y est raconte (Matth., II, 13) touchant la fuite de Jésus en Egypte, il rejette tout ce qu'il y a de surnaturel dans cette histoire, comme l'avertissement de l'ange à Joseph ; et il n'examine pas même s'il n'y a point eu quelque chose de mystérieux dans cette retraite de Jésus hors de la Judée et dans son séjour en Egypte ; mais il en invente je ne sais quelle autre occasion ; et reconnaissant, en quelque sorte, la vérité des miracles de Jésus, qui l'ont fait suivre par tant de peuple comme le Messie, il tâche seulement de leur ôter leur caractère divin pour les attribuer à une vertu magique; car il dit qu'ayant été élevé obscurément, il s'alla louer en Egypte, ayant appris à faire quelques miracles, il s'en retourna en Judée, et s'y proclama lui-même Dieu. Mais pour moi, je ne vois pas comment un magicien aurait mis toute son étude à persuader aux hommes qu’ils ne doivent rien faire que dans la pensée que Dieu les jugera tous un jour selon ce qu'ils auront fait, et à imprimer cette même créance dans l'esprit de ses disciples, dont il voulait faire les prédicateurs de sa doctrine. Il faut en effet, ou qu'il leur eût appris ses secrets, afin qu'ils se fissent des sectateurs par le moyen de leurs miracles, ou qu'il ne leur eût rien appris de pareil. Si l'on dit le dernier, et qu'on veuille que sans faire aucun miracle, et sans nul secours de l'art de raisonner, tel que l'enseigne la dialectique dans les écoles des Grecs, ils aient entrepris d'aller par tout le monde publier la doctrine de leur maître, l'on dira une chose fort absurde; car sur quel fondement auraient-ils eu la hardiesse d'aller ainsi répandre partout ces nouveaux dogmes? Si l'on dit qu'ils faisaient aussi des miracles, quelle apparence que des magiciens eussent voulu s'exposer à tant de dangers pour établir une doctrine qui condamne la magie comme un art illicite ?

S'arrêter ici à réfuter un discours où le bon sens a moins de part que la froide raillerie, ce serait, à mon avis, mal employer son temps. Si la mère de Jésus était belle, dit-il, et que ce soit à cause de sa beauté que Dieu l'ait voulu honorer de ses embrassements, lui qui n'est pas d'une nature à se laisser prendre par les beautés mortelles, toujours semble-t-il qu'il se soit fait tort de s'abaisser à aimer une personne qui n'était ni d'une naissance royale, ni dans une haute fortune, puisqu'elle n'était pas même connue de ses voisins. Il continue ses railleries en disant que quand le charpentier vint à la haïr et à la chasser, ni la foi qu'il devait avoir pour ce qu'elle lui disait, ni toute la puissance de Dieu ne furent d'aucun secours pour elle. Il n'y a rien , ajoute-t-il, qui sente le royaume de Dieu. Quelle différence y a-t-il entre ces paroles et celles de ces gens qui se disent des injures dans les carrefours, sans garder aucune sorte de bienséance ?

Après cela il tire de S. Matthieu et peut-être aussi des autres évangélistes ce qu'ils nous racontent de la colombe (Matth., III, 16) qui descendit sur notre Sauveur lorsque Jean le baptisait : et il en veut faire passer l'histoire pour une fable. Mais après s'être, ce lui semble, assez diverti sur ce qu'ils disent de la virginité de la mère de Jésus, il ne suit pas l'ordre que la disposition même des choses lui marquait. Aussi la haine et la colère n'ont-elles rien de réglé. On voit ceux qui sont possédés de ces passions dire à ceux contre qui ils s'emportent tous les outrages qui leur viennent à la bouche, leur émotion ne leur permettant pas d'exposer distinctement et avec ordre les sujets de plainte qu'ils prétendent avoir. Pour agir régulièrement, il fallait prendre en main l'Evangile et s'attacher à le combattre pied à pied, passer de la première histoire à la seconde, et de celle-là successivement aux autres; mais, au lieu d'en user ainsi, Celse, qui se vante de savoir tous nos mystères, passe de la naissance de Jésus à l'histoire de son baptême et à l'apparition du Saint-Esprit en forme de colombe. Après quoi il attaque la prédiction de la venue de notre Sauveur sur la terre, d'où il retourne encore à ce qui suit immédiatement la naissance, à la nouvelle étoile qui parut au ciel, .et aux mages qui vinrent d'Orient adorer l'enfant. Si vous y voulez prendre garde, vous remarquerez vous-même quantité de choses que Celse rapporte dans tout son livre avec beaucoup de désordre et de confusion.

Et cela seul le doit convaincre d'une étrange vanité devant tous ceux qui aiment l'ordre et qui savent l'observer, d'avoir osé donner à son livre le titre de Discours véritable; ce qu'aucun des philosophes les plus éclairés n'a jamais fait. Platon dit qu'il n'est pas d'un homme sage de rien affirmer positivement sur une matière obscure; et Chrysippe, après avoir expliqué son sentiment et les raisons qui le lui font suivre, nous renvoie presque toujours à ceux en qui nous trouverons plus de lumières qu'en lui. Mais celui-ci plus habile que ni Platon, ni Chrysippe, ni tous les autres philosophes de la Grèce, pour ne pas démentir la louange qu'il s'est donnée de savoir tout, a intitulé son livre Discours véritable. Cependant, de peur qu'on ne dise que c'est parce que nous ne savons que lui répliquer que nous passons à dessein par-dessus quelques-uns de ses chapitres, nous avons résolu d'examiner avec soin chacun des articles de son écrit, non dans l'ordre que la suite et la liaison naturelle des choses nous pourrait prescrire ; mais dans celui qu'il lui a plu de donner lui-même à ses matières. Voyons donc un peu ce qu'il avance pour combattre l'apparition du Saint-Esprit à notre Sauveur, sous la forme corporelle d'une colombe. C'est encore son Juif qui adresse la parole à ce Jésus que nous reconnaissons pour notre Seigneur : Vous prétendez, lui dit-il, qu'un fantôme d'oiseau vint fondre d'en haut sur vous au bord du fleuve Jean vous avait plongé. Mais, ajoute-t-il, quel témoin digne de foi nous pouvez-vous produire de cette vision? Et qui hors vous seul, et si l'on vous en veut croire, un misérable supplicié comme vous, a entendu cette voix céleste par laquelle Dieu a déclaré qu'il vous recevait pour son fils ?

Avant de lui répondre, il faut remarquer qu'en matière d'histoire, quelque véritable qu'elle soit, il serait le plus souvent très difficile et même quelquefois impossible d'en établir la vérité par des preuves convaincantes. Si quelqu'un niait, par exemple, qu'il y eût jamais eu de guerre de Troie, se fondant principalement sur l'impossibilité de certains faits particuliers, comme sur ce qu'il est incroyable qu'il y ait eu un Achille, fils de la déesse de la mer et d'un homme nommé Pelée, un Sarpédon, fils de Jupiter, un Ascalaphe et un Jalmène, fils de Mars, et un Enée, fils de Vénus ; comment pourrions-nous le convaincre et nous démêler de tout cet embarras de fables qui se trouvent, je ne sais comment, enchâssées dans une histoire aussi universellement reçue qu'est celle de la guerre des Grecs avec les Troyens? Si quelque autre révoquait en doute les aventures d'Œdipe et de Jocaste et celles d'Etéocle et de Polynice, leurs enfants, à cause du conte qu'on y mêle de je ne sais quel monstre demi-femme qu'on nomme sphinx, comment lui en prouverions-nous la vérité? J'en dis autant de la seconde guerre de Thèbes qu'entreprirent les enfants de ceux qui étaient morts à la première ; bien qu'il n'y ait point de telles fictions dans le récit qu'on nous en fait ; du retour des Héraclides dans le Péloponnèse et d'une infinité d'autres vieux événements. Ainsi donc, ceux qui lisent les histoires sans avoir pour but de contredire, mais qui veulent aussi se garder d'être trompés, doivent faire un juste discernement des choses pour connaître celles auxquelles on doit ajouter foi, celles qu'il faut expliquer allégoriquement, suivant l'intention de celui qui les a inventées, et celles qu'il faut rejeter comme écrites par complaisance on par flatterie. J'ai pris occasion de dire cela par avance sur toute l'histoire de la vie de Jésus, non pour demander aux personnes éclairées qu'elles croient aveuglément et sans examen; mais pour faire voir que quand on lit les Evangiles, il est nécessaire d'y apporter une grande application, avec une âme vide de préjugés et d'entrer, pour le dire ainsi, dans l'esprit de nos auteurs, afin de juger dans quelle vue ils ont écrit chaque chose. Je réponds maintenant, en premier lieu, que si celui qui refuse de croire l'apparition du Saint-Esprit en forme de colombe, était quelque disciple d'Epicure, de Démocrite ou d'Aristote, cette incrédulité serait plausible à son égard, puisqu'elle serait conforme au caractère de la personne. Mais Celse, avec toutes ses lumières, n'a pas même pris garde qu'il fait faire son objection par un Juif, à qui les écrits des prophètes ont persuadé une infinité de choses beaucoup plus surprenantes que n'est l'apparition de la colombe; car l'on pourrait dire à ce Juif, qui fait ici l'incrédule, et qui prétend faire passer la vision de Jésus pour un conte fait à plaisir ; mais dites-nous de grâce, vous-même, comment nous prouveriez-vous que Dieu ait dit à Adam, ou à Eve, ou à Caïn, ou à Noé, ou à Abraham, ou à Isaac, ou à Jacob, toutes les choses que vos Ecritures rapportent qu'il leur a dites ? Et pour opposer histoire à histoire, je lui demanderais : votre Ezéchiel n'écrit-il pas aussi que les cieux furent ouverts et qu'il eut une vision de Dieu? Et après l'avoir racontée, n'ajoute-t-il pas, c’est la vision dans laquelle me fut représentée la gloire du Seigneur: et il me dit, etc., (Ezéch., I, 28 ; II, 1 ] ? Si l'histoire de l'apparition du Saint-Esprit et de la voix venue du ciel doit passer pour fausse, parce que nous n'avons pas, à votre avis, de quoi en prouver clairement la vérité qui n'est attestée que par Jésus seul, et par un misérable supplicié, comme porte votre remarque ; n'y a-t-il pas encore plus de sujet de dire que ce n'est aussi que pour étonner les simples par un miracle supposé, qu'Ezéchiel écrit que les cieux furent ouverts, etc. ? Et lorsqu'Isaïe dit, qu’il vit le dieu des armées assis sur un trône haut élevé, autour duquel se tenaient les séraphins, ayant chacun six ailes, etc. (Is., VI, 1), comment êtes-vous assuré de la vérité de celle vision? Car vous qui êtes Juif, vous ne doutez pas qu'elle ne soit véritable et que ce ne soit l'esprit de Dieu qui, non seulement l'a fait voir au prophète, mais qui a aussi conduit sa langue et sa plume dans le récit qu'il en a fait. A qui est-il plus juste d'ajouter foi, quand ils nous disent que les cieux leur ont été ouverts, qu'ils ont entendu une voix, qu'ils ont vu le Dieu des armées assis sur un trône haut élevé, qui, dis-je, faut-il plutôt croire d'Isaïe et d'Ezéchiel, qui n'ont rien fait de fort extraordinaire, ou de Jésus dont la vertu et la puissance ont non seulement éclaté pendant qu'il a paru sur la terre, revêtu de notre chair, mais se déploient magnifiquement jusqu'à cette heure dans la conversion et dans la correction de ceux qui croient en Dieu par lui ? Car que ce soit encore à Jésus que soit due toute la gloire de ces conversions, cela paraît manifestement de ce que, comme il l’avait prédit et comme l'expérience le justifie, y ayant si peu d'ouvriers pour travailler à la moisson des âmes (Matth. X, 37), elle est néanmoins si riche et si abondante dans toutes les aires de Dieu qui sont ses églises. Au reste, lorsque je parle ainsi au juif, ce n'est pas qu'étant chrétien comme je le sais, je veuille révoquer en doute le témoignage d’Isaïe ou d'Ezéchiel ; mais c'est pour le convaincre par des principes qui lui sont communs avec nous ; et pour lui faire comprendre que Jésus est beaucoup plus digne de foi que les prophètes, dans sa déposition et dans le récit qu'on doit supposer qu'il fit à ses disciples de la vision qu'il avait eue et de la voix qu'il avait ouïe. On pourrait peut-être encore dire, que tous ceux qui nous ont rapporté cet événement dans leurs écrits, ne l'avaient pas appris de Jésus : mais que le même esprit, qui a donné à Moïse la connaissance d'une histoire beaucoup plus ancienne que le temps auquel il vivait, et qui l'a instruit de ce qui s'était passé depuis la création du monde jusqu'à Abraham, l'auteur de sa race, a aussi révélé aux évangélistes le miracle qui arriva au baptême de Jésus. Pour ce qui regarde la cause de l'ouverture des cieux, de l'apparition de la colombe et du choix que fit le Saint-Esprit de la figure de cet oiseau plutôt que d'un autre ; on pourra l'apprendre de ceux qui ont reçu de Dieu cette grâce, qui est nommée le don de sagesse (I Cor., XII, 8). Notre dessein ne demande pas que nous nous y arrêtions à présent. Il ne s'agit que de faire voir que Celse a fort mal pris ses mesures, d'avoir mis de telles raisons en la bouche d'un juif, pour lui faire rejeter une histoire qui a beaucoup plus de vraisemblance que celles qu'il reçoit lui-même. Et il me souvient là-dessus, que disputant un jour en présence de plusieurs témoins, contre de certains docteurs juifs du nombre de ceux qu'on nomme sages, je leur fis ce raisonnement : Dites-moi un peu, je vous prie ; deux personnes de qui on raconte des choses fort extraordinaires et fort au-dessus de la nature humaine, ayant paru dans le monde ; savoir, Moïse votre législateur qui a lui-même écrit son histoire, et Jésus notre maître qui n'a rien écrit de ce qu'il a fait, mais à qui ses disciples rendent témoignage dans leurs évangiles ; sur quelle raison fondez-vous la distinction que vous mettez entre eux, de vouloir qu'on tienne Moïse pour sincère, sans s'arrêter à ce que les Egyptiens lui reprochent, qu'il était un imposteur, qui n'a rien fait de surprenant que par le moyen de ses illusions, et qu'on regarde Jésus comme un fourbe sur les accusations dont vous le chargez. Car on voit qu’ils sont soutenus chacun par un grand peuple ; Moïse par les Juifs, et Jésus par les Chrétiens qui font profession de croire tout ce que ses disciples nous disent de ses miracles; mais qui laissent, d'ailleurs, à Moïse son caractère de prophète, se servant même de son autorité pour appuyer leur sentiment. Si vous voulez que nous vous rendions raison de notre foi sur le sujet de Jésus, rendez-nous auparavant, raison de la vôtre sur le sujet de Moïse, qui l’a précédé; et nous vous satisferons ensuite. Mais si vous reculez et que vous n'osiez entreprendre de nous donner des preuves démonstratives de votre créance, trouvez bon que nous vous imitions pour le présent, et que nous ne vous en donnions point non plus de la nôtre. Ou, afin que nous n'usions pas de tout notre droit, avouez que vous n'avez point de démonstrations pour Moïse, et écoutez celles que nous tirons pour Jésus de votre loi et de vos prophètes. Ce qu'il y a de merveilleux, c'est qu'en prouvant par la loi et par les prophètes, que Jésus est le Christ, nous prouverons en même temps que Moïse et les prophètes ont été véritablement inspirés de Dieu. Leurs écrits, au reste, sont pleins d'événements extraordinaires, de même nature que celui de la colombe qui parut, et de la voix qui fut entendue au baptême de Jésus. Mais une preuve convaincante que ce fut le Saint-Esprit qui se fit voir alors sous la forme d'une colombe, ce sont sans doute les miracles que Jésus a faits, que Celse veut faire passer pour des secrets appris en Egypte. Et non seulement les miracles de Jésus, mais encore ceux de ses apôtres nous peuvent ici, à bon droit, servir de preuves ; car si la prédication des apôtres, n'eût pas été accompagnée d'actions miraculeuses, elle n'eût jamais porté ceux qui l'entendaient à renoncer aux opinions de leurs pères, pour embrasser une nouvelle doctrine, dont la profession ne les exposait pas à moins qu'à la mort. Il reste même encore parmi les chrétiens, des traces de cet Esprit, qui parut en forme de colombe. Car ils chassent es démons, ils guérissent diverses maladies, et par les lumières qui leur viennent d'en haut, quand il plaît à Dieu, ils voient quelquefois clair dans l'avenir. Et quand Celse ou son juif se devraient moquer de ce que je vais dire, je dirai pourtant qu'il y en a plusieurs qui se sont faits chrétiens comme malgré eux ; un esprit secret faisant tout à coup sur le leur une impression si vive et si puissante, soit en songe, soit en vision, et produisant en eux un tel changement, que d'ennemis du christianisme, ils en devenaient les défenseurs et les martyrs : nous en avons vu divers exemples, et si nous voulions les rapporter, nous à qui la vérité en est connue par le témoignage de nos propres yeux, nous donnerions beau champ aux railleries, des infidèles, qui ne manqueraient pas de nous traiter comme ils traitent nos auteurs, et de dire que nous prenons plaisir comme eux, à conter des fables. Dieu qui voit notre conscience sait pourtant que notre dessein, n'est pas d'établir la doctrine de Jésus par des narrations fabuleuses; mais d'en prouver la divinité par l'évidence de plusieurs raisons différentes. Après tout, puisque c'est un juif qui doute de la vérité de ce que les évangélistes nous disent de la descente du Saint-Esprit sur Jésus, en forme de colombe, on lui pourrait demander qui est celui qui dit dans Isaïe : .Maintenant le Seigneur m'a envoyé, et son esprit aussi (Is., XLVIII, 16); car ces paroles pouvant avoir un double sens, savoir, ou que le Père et le Saint-Esprit ont envoyé Jésus, ou que le Père a envoyé et le Christ et le Saint-Esprit ; c'est au denier qu'il s'en faut tenir. Et comme notre Sauveur a été envoyé le premier, et le Saint-Esprit ensuite, pour l'accomplissement de la prophétie, et qu'il fallait que les siècles à venir eussent connaissance de cet accomplissement, c'est pour cela que les disciples de Jésus nous en ont fait le récit.

Je voudrais encore avertir Celse qui, au sujet du baptême de Jésus, fait en quelque sorte reconnaître à son juif la mission de Jean pour baptiser, qu'un auteur qui vivait peu de temps après Jésus et après Jean, reconnaît expressément la même chose. C'est Josèphe qui, au xviiie livre de son Histoire des Juifs, témoigne que Jean était revêtu de l'autorité de baptiser, et qu'il promettait la rémission des péchés à ceux qui recevaient son baptême. Le même auteur, bien qu'il ne reconnaisse pas Jésus pour le Christ, recherchant la cause de la prise de Jérusalem et de la destruction du temple, ne dit pas véritablement comme il eût dû faire, que ce fut l'attentat des Juifs contre la personne de Jésus qui attira sur eux ce malheur, pour punition d'avoir fait mourir le Christ qui leur avait été promis : mais il approche pourtant de la vérité, et lui rendant témoignage comme malgré soi, il attribue la ruine de ce peuple à la vengeance que Dieu voulut faire de la mort qu'ils avaient fait souffrir à Jacques le Juste, pomme de grande vertu, frère de Jésus, nommé Christ. C’est ce Jacques que Paul, le vrai disciple de Jésus, alla visiter, ainsi qu'il le dit lui-même, le considérant comme frère du Seigneur (Gal., I. 19) : qualité qui lui était moins due pour la liaison du sang ou pour la société de l'éducation, que pour la conformité des mœurs et de la doctrine. Si donc cet auteur dit que ce fut à cause de Jacques que la ville de Jérusalem fut détruite, ne peut-on pas dire avec beaucoup plus de raison, que ce fut à cause de Jésus, le Christ, dont la divinité est attestée par tant d'églises, composées de personnes qui ont renoncé à la corruption générale, pour s'attacher au service du Créateur et pour dépendre uniquement de sa volonté?

Mais quand le juif abandonnerait Ezéchiel et Isaïe, dont nous faisons voir que la cause est la nôtre, puisque nous trouvons dans leurs écrits et dans ceux de quelques autres prophètes, des choses semblables aux. cieux qui furent ouverts en faveur de Jésus, et à la voix qu'il en entendit sortir; nous ne laisserions pas de nous défendre nous-mêmes de notre mieux, et nous dirions alors, que comme tous ceux qui admettent la providence reconnaissent qu'il y a souvent des songes qui, frappant l'imagination d'un homme endormi, y impriment ou des idées distinctes ou des images énigmatiques, tantôt de choses surnaturelles, tantôt d'événements à venir qui regardent les affaires de la vie ; il n'est pas difficile de concevoir que cette vertu qui agit sur l'esprit pendant que l'on dort, peut aussi pendant que l'on veille y agir tout de même, soit pour l'avantage particulier de celui sur qui elle se déploie, soit pour l'utilité de ceux à qui il doit faire part de sa révélation. Et comme, durant le sommeil, nous nous imaginons voir et entendre effectivement, quoique rien ne frappe ni nos yeux ni nos oreilles, et que le tout se passe dans notre esprit : ainsi rien n'empêche de croire que la même chose est arrivée aux prophètes, lorsqu'il est dit qu'ils ont eu quelque vision surprenante, qu'ils ont ouï la voix du Seigneur ou qu'ils ont vu les cieux ouverts; car je ne pense pas qu'il faille poser que les cieux se soient réellement fendus, ni qu'il se soit fait une ouverture dans leur substance pour donner lieu à Ezéchiel de l'écrire. Et je m'assure que ceux qui lisent les Evangiles avec discernement, avoueront que c'est aussi de la sorte qu'il faut entendre la vision de notre Sauveur. Je sais bien que cela peut choquer les simples qui, prenant tout à la lettre, ne craignent point de faire un si étrange remuement dans le monde, ni de fendre un corps aussi vaste et aussi solide qu'est celui des cieux. Mais ils pourront apprendre de ceux qui approfondissent la chose, que selon l'Ecriture, il y a en général un certain sentiment divin qui n'est que pour les seuls bienheureux, et duquel parle Salomon, lorsqu'il dit : Vous trouverez moyen d'acquérir le sentiment divin (Prov., II, 5); et que les espèces de ce sentiment sont : une vue capable de voir des objets d'une nature plus excellente que la corporelle, tels que sont les chérubins et les séraphins ; une ouïe propre pour d'autres voix que pour celles qui se forment dans l'air ; un goût qui savoure le pain vivant, le pain qui est descendu du ciel et qui donne la vie au monde (Jean. VI, 33) ; un odorat qui flaire cette bonne odeur de Jésus-Christ à Dieu dont parle S. Paul (II Cor., II, 15), et un toucher tel que celui qui a fait dire à S. Jean, Nous avons touché de nos mains la parole de vie (I Jean, I, 1). Les bienheureux prophètes ayant donc acquis ce sentiment divin, voyant, entendant et goûtant, flairant même, pour parler ainsi d'une manière divine, où il n'y avait rien de corporel ; touchant aussi la parole par leur foi et recevant en eux-mêmes son impression, qui les purifiait; c'est ainsi qu'ils voyaient et qu'ils entendaient ce qu'ils nous disent avoir vu et entendu, et qu'ils avaient les autres sentiments semblables dont ils nous parlent ; comme quand ils disent qu'ils ont mangé un livre qui leur avait été donné (Ezéch., III, 2). C'est de cette manière qu'Isaïe sentit la bonne odeur des vêtements divins de son fils, et qu'il en prit occasion de lui donner une bénédiction spirituelle : Voici, dit-il, l’odeur de mon fils, telle que l'odeur d'un champ fertile que le Seigneur a béni (Gal., I, 19). C'est encore à peu près de la même sorte, et plus à l'égard de l'esprit qu'à regard du corps, que Jésus toucha le lépreux (Matth.,VIII, 3) pour lui faire, à mon avis, une double grâce et pour le nettoyer non seulement comme la plupart l'entendent, de sa lèpre corporelle par un attouchement sensible, mais principalement de sa lèpre intérieure par un attouchement vraiment divin. C'est donc aussi dans le même sens que Jean témoigne, qu'il vit le Saint-Esprit descendre du ciel, comme une colombe, et demeurer sur Jésus. Pour moi, dit-il, je ne le connaissais point : mais celui qui m'a envoyé pour baptiser d'eau, m'avait dit: Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit, est celui qui baptise du Saint-Esprit. Je l'ai vu et j’ai rendu témoignage qu'il est le Fils de Dieu. Lorsque les cieux furent ouverts à Jésus, l'Ecriture ne dit pas que ce fut en présence d'autre que de Jean : mais notre Sauveur prédit à ses disciples, qu'eux aussi les verraient ouverts : En vérité, je vous dis que vous verrez le ciel ouvert, et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l'homme (Jean, I, 32). C'est ainsi que S. Paul fut ravi au troisième ciel ; l'ayant auparavant vu ouvert puisqu'il était du nombre des disciples de Jésus. A l'égard de ce qu'il dit, si ce ne fut en corps, ou sans corps, je ne sais, Dieu le sait (II Cor., XII, 2) ; ce n'est pas ici le lieu de l'examiner.

J'ajouterai seulement que Celse, posant comme il fait, sans y être autorisé par l'Ecriture, que ce fut Jésus qui raconta lui-même le miracle arrivé en sa faveur sur les bords du Jourdain, ne prend pas garde, tout habile homme qu'il est, que celui qui disait à ses disciples au sujet de sa transfiguration : Ne parlez à personne de cette vision jusqu'à ce que le Fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts (Matth. XVII, 9), n'a pas dû être d'humeur à leur réciter ce que Jean avait vu et entendu en le baptisant. Il n y a rien de plus ordinaire dans l'histoire de l'Evangile que devoir Jésus éviter avec soin de parler avantageusement de lui-même jusqu'à dire: Si je parle de moi-même, mon témoignage n'est, pas véritable (Jean, V, 31). Et c'est parce qu'il en usait ainsi et qu'il aimait mieux se déclarer le Christ par ses actions que par ses paroles, que les Juifs lui disaient : Si tu es le Christ, dis-le-nous clairement (Jean, X, 24.). Il faut encore faire voir à Celse que rien ne convient, moins à son juif que la manière dont il lui fait faire son objection contre la vérité de la descente du Saint-Esprit sur Jésus en forme de colombe. Elle n'est attestée, lui fait-il dire, que par vous seul ; et, si l'on vous en veut croire, par un misérable supplicié comme vous. Car les Juifs n'associent pas Jean avec Jésus, et ils ne regardent pas le supplice de l'un de la même manière que celui de l'autre. Ce qui est une nouvelle preuve que cet homme qui sait tout, n'a pas su comment il devait faire parler un juif à Jésus.

Après cela il nous présente lui-même, et il nous abandonne je ne sais comment l'argument le plus fort que nous ayons poux Jésus, savoir, qu'il a été prédit par les prophètes des Juifs, par Moïse et par ceux qui sont venus après Moïse, et par ceux mêmes qui l'ont précédé. Je crois que Celse en use ainsi parce qu'il ne savait que nous répondre sur ce consentement général, tant des Juifs que de tous les hérétiques dont aucun ne nie que le Christ n'ait été prédit par les anciens prophètes ; peut-être aussi ne savait-il pas ces prophéties. En effet, s'il avait su que les chrétiens disent qu'il y a eu plusieurs prophètes qui ont prédit la venue de notre Sauveur, il n'aurait pas mis en la bouche de son juif des paroles qui auraient meilleure grâce en celle d'un Samaritain ou d'un Saducéen ; et il ne lui aurait pas fait dire : Mon prophète disait autrefois dans Jérusalem que le Fils de Dieu devait venir pour faire justice aux gens de bien et pour punir les méchants : car il y a bien plus d'un prophète qui parle du Christ. Ce n'est pas que quand ce seraient des Samaritains ou des Sadducéens qui parleraient de ce qui se trouve touchant le Christ dans les livres de Moïse qui sont les seuls livres qu'ils reçoivent, ils pussent dire que la prophétie aurait été prononcée à Jérusalem dont le nom n'était pas encore connu du temps du Moïse. Plût à Dieu que tous les ennemis de notre doctrine fussent aussi ignorants dans l'Ecriture, non seulement à l'égard des choses, mais à l'égard même de la lettre et des simples faits ! Leurs objections contre le christianisme n'ayant aucune couleur, elles ne seraient pas capables de faire impression sur les esprits les moins fermes ni d'ébranler, je ne dirai pas la foi, mais la légère persuasion de ceux qui ne croient que pour un temps. Un juif, au reste, n'avouera jamais que quelque prophète ait dit que le Fils de Dieu devait venir. Ce que les Juifs disent, c'est que le Christ de Dieu doit venir. Et ils ne disputent presque jamais contre nous, qu'ils ne nous demandent d'abord qui est ce Fils de Dieu : comme s'il n'y en avait point, et que les prophètes n'en dissent rien. Pour moi, je n'ai garde de dire que les prophètes n'en ont pas parlé : mais je dis qu'un juif qui le nie n'eût pas dû être introduit tenant ce discours : Mon prophète disait autrefois dans Jérusalem que le Fils de Dieu devait venir. Il ajoute : Pour faire justice aux gens de bien et pour punir les méchants : comme si c'était la seule chose qui en fût prédite, et qu'il ne fût rien dit ni du lieu de sa naissance, ni du supplice que les Juifs devaient lui faire souffrir, ni de sa résurrection, ni des grands miracles qu'il devait faire. Et c'est là-dessus qu'il lui demande : Pourquoi vouloir que ce soit de vous qu'il faille entendre cette prophétie plutôt que d'un million d'autres qui sont venus depuis la prédiction? Et que voulant montrer ensuite qu'il y en a bien d'autres à qui l'on pourrait avec autant de vraisemblance rapporter la prophétie, il avance je ne sais sur quel fondement, qu'il y a des fanatiques et des imposteurs qui s’attribuent aussi le nom du Fils de Dieu descendu du ciel, car nous ne voyons pas que l'on demeure d'accord qu'il soit rien arrivé de pareil parmi les Juifs. Il faut donc lui répondre premièrement qu'il y a plusieurs prophètes qui ont fait diverses prédictions touchant le Christ, les uns en énigmes, les autres en allégories ou autrement, et quelques-uns en termes formels. Et puisque ci-après dans le discours que le juif adresse à ceux de sa nation qui ont embrassé la foi chrétienne, Celse lui fait dire que les prophéties qu'on rapporte aux aventures de Jésus peuvent être également appliquées à d'autres sujets : témoignant en cela sa passion et sa malignité : il sera bon d'en produire quelques-unes que vous choisirons entre plusieurs autres. S'il y a quelqu'un qui les veuille combattre, qu'il emploie ici tous ses efforts pour voir s'ils seront capables de triompher de la foi de ceux qui n'ont pas cru sans connaissance de cause.

Touchant le lieu de la naissance du Christ, il est dit que le prince devait sortir de Bethléem. Voici les paroles du prophète : Et toi, Bethléem, ville d'Ephrata, tu n'es pas trop petite pour tenir rang entre les communautés de Juda ; puisque c'est de toi que nous verrons sortir celui qui doit être prince en Israël, et qui a aussi une issue d'où il sort de tout temps dis l'éternité (Mich. V, 2). Cette prophétie ne saurait être appliquée à aucun de ces fanatiques ou de ces imposteurs qui, si nous en croyons le juif de Celse, disent qu'ils sont descendus du ciel; à moins qu'on ne fasse voir clairement qu'il soit né à Bethléem, ou si l'on veut, qu'il soit sorti de Bethléem pour être le chef du peuple. A l'égard de Jésus, que Bethléem soit le lieu de sa naissance, si quelqu'un en veut encore d'autres preuves après la prophétie de Michée et le rapport des évangélistes, il n'a qu'à considérer que conformément à l'histoire de l'Evangile, l'on montre encore aujourd'hui dans Bethléem la grotte où Jésus naquit, et dans la grotte, la crèche où il fut emmailloté (Luc, VII, 2). Et cette vérité est tellement reconnue sur les lieux que les ennemis mêmes du nom chrétien disent tous les jours : C'est ici la grotte naquit ce Jésus qui est l'objet de l'admiration et de l'adoration des Chrétiens. Et je ne doute pas qu'avant la venue du Christ les sacrificateurs et les docteurs, voyant cette prophétie si claire et si formelle, n'enseignassent au peuple que le Christ devait naître à Bethléem, ni que la plupart des Juifs n'en eussent connaissance. De là vient que quand Hérode interrogea là-dessus les principaux sacrificateurs et les docteurs du peuple, il nous est dit qu'ils lui répondirent que le Christ devait naître à Bethléem ville de la tribu de Juda, d'où était David (Matth. II, 5) : et que dans l'Evangile selon S. Jean il nous est aussi rapporté que les Juifs disaient que le Christ devait naître à Bethléem, d'où était David (Jean, VII, 43). Mais depuis sa venue, ceux qui n'ont rien oublié pour ôter de l'esprit des hommes que sa naissance ait été prédite par les prophètes de Dieu, ont banni cet enseignement du nombre de ceux qu'ils donnent leur peuple : se montrant par là dignes frères de ceux dont il nous est dit qu'ils gagnèrent les soldats qui, étant à la garde de son sépulcre, l'avaient vu ressusciter d'entre les morts, et qu'ils leur donnèrent cette instruction « Dites que ses disciples sont venus la nuit pendant que vous dormiez, et l'ont dérobé. Et si le gouverneur vient à le savoir, nous l'apaiserons et nous vous tirerons de peine (Matth. XXVIII, 13). Car, les préjugés et l'envie de contredire ont un étrange pouvoir pour faire qu'on résiste aux vérités les plus claires plutôt que d'abandonner des sentiments qui sont comme nés avec nous, et dont notre âme est pour ainsi dire toute pénétrée. Il est même beaucoup plus aisé de se défaire de toutes les autres habitudes, quelque enracinées qu'elles soient, que de renoncer à une opinion dont notre esprit est revenu : quoiqu’en général il n'y ait point d'habitudes qui ne nous donnent de la peine à vaincre. C'est ainsi que nous ne pouvons nous résoudre à quitter les pays ni les villes, les maisons ni les personnes auxquelles nous sommes accoutumés. Et c'est aussi pour cette raison que Jésus trouva la plupart des Juifs si obstinés à ne se rendre ni à l'évidence des prophéties qui parlaient de lui, ni à l'éclat des miracles qu'ils lui virent faire, ni à tout ce qui nous est dit des circonstances extraordinaires soit de sa vie, soit de sa mort. Pour reconnaître, au reste, que c'est là une des faiblesses de la nature humaine, il ne faut que considérer avec combien de difficulté on arrache les sentiments les plus honteux de l'esprit de ceux qui y ont été nourris par leurs pères, ou qui les ont pris de la tradition de leur pays. Il est rare, par exemple, qu'un Egyptien, se laissant désabuser de la croyance dans laquelle il a été élevé, cesse de regarder quelques brutes comme des dieux, et d'avoir une telle répugnance pour la chair de certains animaux, qu'il mourra plutôt que d'en manger. Je me suis un peu étendu sur ce sujet à l'occasion de Bethléem et de son oracle ; et j'ai cru que cela était nécessaire pour répondre à ceux qui nous pourraient demander pourquoi, si les prophéties des Juifs désignent si clairement Jésus, les Juifs n'ont pas reçu sa doctrine lorsqu'il s'est présenté à eux, et pourquoi ils n'ont pas pris la bonne voie qu'il leur montrait. Pour nous, qui croyons en lui, que l'on ne nous reproche pas que ce soit par un aveuglement semblable, puisque notre foi trouve des défenseurs qui font voir qu'elle est appuyée sur des raisons très solides.

S'il faut produire encore quelque prophétie, du nombre de celles qui me paraissent les plus formelles pour Jésus, j'en produirai une, écrite plusieurs centaines d'années avant sa naissance. C'est celle qui nous est rapportée par Moïse, lorsqu'il dit que Jacob, étant au lit de la mort, prophétisa à chacun de ses enfants quelle serait leur condition, et qu'entre les autres choses, il dit à Juda : Le prince ne cessera point d'être pris de Juda, ni le chef du peuple de sortir de sa postérité, qu'on no voie venir celui à qui il est réservé de l’être (Gen. XLIX, 10). Cette prophétie qui, dans la vérité, est beaucoup plus ancienne que Moïse, mais dont un incrédule peut soupçonner que Moïse soit l'auteur, doit donner à tous ceux qui la lisent un juste sujet d'admirer comment, y ayant douze tribus parmi les Juifs, Moïse a pu prédire que les rois que devaient gouverner tout le corps de la nation seraient de la tribu de Juda : comme en effet ils en ont été; à cause de quoi, le peuple entier a été nommé le peuple des Juifs, du nom de la tribu dominante. Ce qu'on y doit encore admirer, si l'on n'a pas l'esprit prévenu, c'est que Moïse, après avoir dit que les princes et les chefs du peuple seraient de la tribu de Juda, ait de plus marqué le terme de la durée de leur autorité, disant que le prince ne cesserait point d'être pris de Juda, ni le chef du peuple de sortir de sa postérité, qu'on ne vit venir celui à qui il était réservé de l'être; qui serait aussi l'attente des nations. Car celui à qui l'empire était réservé, le Christ de Dieu, le prince que Dieu avait promis, est effectivement venu; et c'est lui seul, à l'exclusion de tous ceux qui ont été avant lui et de tous ceux mêmes je ne craindrai point de le dire, qui viendront après lui, qu'on peut véritablement appeler l’attente des nations, puisqu'il n'y a point de nation où il n'ait fait à Dieu des fidèles ; et que toutes les nations espèrent en son nom, selon qu'Isaïe l'avait prédit. Toutes les nations, avait-il dit, espéreront en son nom (Is., XLII, 4). C'est lui encore qui a publié la liberté aux captifs, qui étaient dans les liens de leurs péchés, comme le sont tous les hommes; et qui a dit à ceux qui étaient dans les ténèbres de l'ignorance, qu'ils vinssent a la lumière de la vérité. Ce qui avait aussi été prédit en ces termes : Je t'ai établi pour chef de mon alliance avec les nations, afin que tu répares la terre, et que tu possèdes l'héritage du désert ; que tu dises à ceux qui sont dans les chaînes, Sortez de prison ; et à ceux qui sont dans les ténèbres. Venez à la lumière (Is., XLIX, 8). Le grand nombre de ceux qui crurent en lui à sa venue, et qui reçurent sa doctrine avec docilité, par toutes les parties de la terre, fit encore voir l'accomplissement de la suite de cet oracle : Ils paîtront dans tous les chemins, et leurs pâturages seront le long de tous les sentiers (Is., XLIX, 9).

Mais puisque Celse, qui prétend ne rien ignorer de ce que nous enseignons, insulte à notre Sauveur sur sa passion, comme si le Père n'avait pas voulu le secourir, ou que lui-même n'eût pu se défendre ; il le faut faire souvenir que cette passion du Sauveur avait été prédite, et que la cause en avait été marquée; savoir, que ce serait une chose avantageuse aux hommes qu'il mourût pour eux, étant traité comme un criminel condamné au supplice. Il avait encore été prédit que les Gentils, à qui les prophètes ne s'étaient point adressés, ne laisseraient pas de le connaître, et qu'il se ferait voir aux hommes sous une forme qui leur paraîtrait méprisable. La prophétie est exprimée en ces termes : Sachez que mon serviteur sera rempli d'intelligence, de majesté et de gloire: qu'il sera extrêmement élevé. Tu seras un sujet d'étonnement à plusieurs par l'excès au mépris ta beauté et ta gloire seront parmi les hommes. Mais aussi divers peuplée seront dans l'admiration à cause de lui, à cause, dis-je, de mon serviteur; et les rois se tiendront devant lui dans le silence, parce que ceux à qui on ne l'avait point découvert le verront, et que ceux gui n'avaient point entendu parler de lui le connaîtront (Is., LII, 13, etc.). O Dieu ! qui a cru à notre prédication, et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé? Nous avons publié qu'il est devant le Seigneur comme un enfant, comme une racine dans une terre aride ; il n'y a en lui aucun éclat ni aucune gloire. Nous l'avons vu, il n'avait au dehors ni beauté, mais son extérieur était méprisable et abject, plus que d'aucun autre d'entre les hommes. C'est un homme tout noirci de coups, et qui sait ce que c'est que de souffrir, car il s'est vu réduit à n'oser lever les yeux; on lui a fait les plus grands outrages, on l'a traité avec le dernier mépris. C’est lui qui porte nos péchés et qui est dans les tourments à cause de nous. Nous n'avions de lui d'autre pensée, sinon qu'il était dans le travail, dans la peine et dans la souffrance ; mais c'était à cause de nos péchés qu.il était frappé, et à cause de nos iniquités qu'il était accablé de douleurs. Le châtiment qui nous procure la paix est tombé sur lui, et c’est par sa blessure que nous avons été guéris. Nous nous étions tous égarés comme des brebis errantes, et chacun s'était détourné pour suivre sa propre voie; mais le Seigneur l'a donné pour porter la peine des péchés, sans qu'il ait jamais ouvert la bouche pour les maux qu'on lui a faits. Il a été mené à la mort comme une brebis que l'on va égorger, et il s'est tenu dans le silence comme un agneau qui demeure muet devant celui qui le tond. Au plus fort de son abaissement l'arrêt de sa condamnation a été cassé. Mais qui pourra faire le récit, et suivre le fil de sa durée, puisque sa vie a été bannie de la terre, qu'il a été mené à la mort à cause des iniquités de mon peuple (Is., LIII, 1, etc.) ? Il me souvient qu'en une dispute que j’eue un jour avec ceux qui portent le nom de sages parmi les Juifs, je me servis de ces prophéties. Le juif me disait que ces choses devaient s'entendre de toute la nation, qui ne fait qu'un corps, et, comme les Juifs ont été dispersés parmi diverses nations, il prétendait que le peuple ainsi répandu avait été frappé, afin d'amener par là plusieurs prosélytes à la connaissance de Dieu. C'est de la sorte qu'il expliquait ces paroles : Ta beauté sera en mépris parmi les hommes ; et celles-ci : Ceux à qui on ne l'avait point découvert le verront; et celles-ci encore : C’est un homme tout noirci de coups. J'alléguai alors plusieurs raisons, pour faire voir à ceux contre qui je disputais, que c'était à tort qu'ils appliquaient à tout le peuple une prophétie qui se rapportait manifestement à une seule personne. Je leur demandais de qui étaient ces paroles : C’est lui qui porte nos péchés, et qui est dans les tourments à cause de nous; et ces autres : C'était à cause de nos péchés qu'il était frappé, et à cause de nos iniquités qu'il était accablé de douleur; et de qui encore étaient celles-ci : C’est par sa blessure que nous avons été guéris; car ceux qui parlent ainsi dans ce passage sont évidemment tous ceux, soit d'entre les Juifs, soit d'entre les Gentils, qui étant travaillés de leurs péchés en ont été guéris par la passion du Sauveur. C'est en la personne tant des uns que des autres que le prophète, éclairé par le Saint-Esprit, s'exprime dès lors comme nous voyons qu'il fait ; mais je ne leur alléguai rien qui, à mon avis, les pressât tant que ces dernières paroles : Il a été mené à la mort à cause des iniquités de mon peuple; car si c'est au peuple juif qu'il faut rapporter toute la prophétie, comme ils le prétendent, comment peut-on expliquer ce qui est dit, qu'il a été mené à la mort à cause des iniquités du peuple de Dieu, si l'on ne l'entend de quelque personne différente de ce peuple ? Et de quelle personne peut-on l'entendre, sinon de Jésus-Christ, parla blessure duquel nous avons été guéris, nous qui croyons en lui, et qui savons qu'il a désarmé les principautés et les puissances qui nous tyrannisaient, et qu'il a publiquement triomphé d'elles sur la croix (Col., Il, 15)? Expliquer maintenant cette prophétie en détail, et n'y rien laisser sans examen, le dessein n'en serait pas de saison. Je m'y suis même beaucoup étendu, mais j'ai cru le devoir faire pour repousser les attaques du juif de Celse.

Au reste, ce qui trompe et Celse et son juif, et tous ceux qui ne croient pas en Jésus, c'est qu'ils ne savent pas que les prophètes nous parlent de deux venues du Christ. La première, où il devait paraître dans la bassesse et s'assujettir à toutes les infirmités des hommes; afin que vivant avec eux, il leur enseignât la voie qui conduit à Dieu, et ne laissât a qui que ce soit aucun lieu de s'excuser sur l'ignorance du jugement à venir. La seconde qui serait seule glorieuse et divine, sans aucun mélange des faiblesses humaines. Il serait trop long de rapporter les prophéties : il suffira, pour celle heure, d'alléguer celle du psaume 44, qui est un cantique pour le Bien-Aimé, comme porte le titre entre autres choses, et où notre Sauveur est expressément nommé Dieu. La grâce (Ps. XL1V ou XLV, 3, 7), dit le texte sacré, est répandue sur tes lèvres, à cause de quoi Dieu t’a béni pour jamais. Mets ton épée à ton côté, vaillant prince, pour rehausser ton éclat et ta beauté. Pousse tes desseins, fais-les réussir, et règne à cause de ta fidélité, de ta douceur et de ta justice : ta main t'ouvrira le chemin à de merveilleux exploits. Tes dards sont aigus, vaillant prince, ils feront tomber les peuples sous toi : et le cœur des ennemis du roi en sera percé. Prenez garde soigneusement à ce qui suit, où le nom de Dieu lui est donné : Ton trône, ô Dieu, est ferme éternellement : le sceptre de ton règne est un sceptre d'équité. Tu as aimé la justice, et tu as haï l'iniquité ; c'est pourquoi Dieu, ton Dieu, t'a oint d'une huile de joie, au-dessus de tes compagnons. Remarquez comme le prophète qui adressant la parole à Dieu, dit que son trône est ferme éternellement, et que le sceptre de son règne est un sceptre d'équité, ajoute ensuite que ce Dieu, à qui il s'adresse, a été oint par Dieu qui est son Dieu, et qu'il a été oint parce qu'il a aimé la justice, et qu'il a haï l'iniquité plus que l’ont fait ses compagnons. Il me souvient que citant un jour cet oracle à un de ces juifs qu’on nomme sages, je l'embarrassai extrêmement. Ne sachant qu'y répondre, il eut recours à une défaite, conforme aux principes de sa créance. Il me dit que c'était au grand Dieu que s'adressaient ces paroles : Ton trône, ô Dieu, est ferme éternellement, le sceptre de ton règne est un sceptre d'équité; et que celles-ci s'adressaient au Messie : Tu as aimé la justice, et tu as haï l'iniquité : pour cette cause Dieu, ton Dieu, t'a oint ; et ce qui suit.

Le juif de Celse objecte encore ceci à notre Sauveur : Si, comme vous dites, tous ceux qui naissent par les ordres de la Providence, sont enfants de Dieu, quel avantage avez-vous au-dessus des autres ? Nous répondons, qu'à la vérité tous ceux qui ne sont plus menés par la crainte, comme parle saint Paul, mais qui aiment la vertu à cause d'elle-même, sont enfants de Dieu. Mais qu'il y a bien de la différence et bien de la disproportion, entre ceux qui ne sont nommés enfants de Dieu, qu'à cause qu'ils aiment la vertu, et celui qui est comme la source et le principe de tout le bien qui est en eux. Voici le passage de saint Paul : Car vous n'avez point reçu l'esprit de servitude pour vivre encore dans la crainte; mais vous avez reçu l'esprit d'adoption des enfants de Dieu, par lequel nous crions Abba, c'est-à-dire mon Père (Rom., VIII, 15).

Le juif ajoute : Qu'il y a une infinité de gens qui accuseront Jésus de témérité, et qui soutiendront que c'est à eux que se doivent rapporter toutes les prophéties qu'il s'applique. Je ne sais si Celse a entendu parler de ceux qui ont voulu faire dans le monde quelque chose d'approchant de ce que Jésus y a fait, et s'y faire appeler le Fils ou la vertu de Dieu. Mais comme en lui répondant nous n'avons que la vérité en vue, nous ne ferons point de difficulté de dire, qu'avant la naissance de Jésus, il parut parmi les Juifs un certain Theudas, qui prétendait être quelque chose de grand; mais qui ne fut pas plus tôt mort, que ceux qu'il avait séduits se dissipèrent (Act. V, 36). Quelque temps après, lorsque l’on fit le dénombrement du peuple, celui-là même, si je ne me trompe, pendant lequel naquit Jésus, il s'éleva un certain Galiléen, nommé Judas, qui attira à sa suite grand nombre de Juifs, par la sagesse qu'il affectait et par l'amour qu'on a pour la nouveauté (Act. V, 37) ; mais ayant aussi été puni comme il méritait, sa doctrine fut éteinte ou renfermée parmi quelque peu de personnes sans nom. Depuis Jésus, Dosithée de Samarie voulut tout de même faire croire aux Samaritains qu'il était le Messie prédit par Moïse, et il sembla le persuader à quelques-uns. Mais on peut fort justement appliquer ici la sage maxime de ce Gamaliel, dont il est parlé dans le livre des Actes des apôtres, pour faire voir que tous ces gens-là n'avaient rien de commua avec la promesse de Dieu, el qu'ils n'étaient ni ses enfants ni, sa vertu, au lieu que Jésus-Christ est véritablement son fils. Si cette entreprise et cette doctrine vient des hommes, disait-il, elle se détruira, comme en effet tous les desseins de ceux-là se sont évanouis arec eux; mais si elle vient de Dieu vous ne sauriez la détruire, et vous vous mettriez même en danger de combattre contre Dieu (Act. V, 38). Simon, magicien de Samarie, voulut pareillement se faire des sectateurs par ses arts magiques, et il y réussit pour un temps; mais à présent je crois qu'à peine trouverait-on dans le monde trente de ses disciples, encore en dis-je peut-être plus qu'il y en a, et ce petit nombre demeure caché aux environs de la Palestine, pendant que son nom n'est presque pas connu dans tout le reste de la terre, où il prétendait de le rendre célèbre à jamais. Car ceux qui le connaissent ne le connaissent que par l'histoire des Actes des apôtres (Act., VIII, 9). Ainsi, sans les chrétiens, on ne parlerait plus de lui, et l'expérience a bien fait voir qu'il n'y avait rien de divin en sa personne.

Après cela, le juif de Celse, au lieu des mages dont il est parlé dans l'Evangile, dit que des Chaldéens, à ce que prétend Jésus, vinrent, par un sentiment secret de sa naissance, pour l’adorer comme Dieu, qu'il n'était encore qu'un enfant : et qu'en ayant dit la nouvelle à Hérode le Tétrarque, il envoya massacrer tous les enfants de ce même âge, dans le dessein de faire périr Jésus avec eux, de peur que si on le laissait vivre, il ne s'emparât du royaume. Remarquez donc ici, d'abord, la méprise de notre homme, qui confond les mages avec les Chaldéens, ne prenant pas garde à la différence de leur profession, et qui falsifie ainsi le texte de l'Evangile. Je ne sais, au reste, d'où vient qu'il a passé sous silence la cause de ce sentiment secret des mages, et qu'il n'a pas dit que ce fut, comme il nous est rapporté, la vue de l'étoile qui leur apparut en Orient (Matth., II, 2). Voyons néanmoins ce qu'il y a à dire sur ce sujet. Je crois que l'étoile qui parut en Orient était d'une nouvelle espèce, et qu'elle n'avait rien de semblable à celles que nous voyons, soit dans le firmament, soit dans les orbes inférieurs : mais qu'elle était à peu près de même nature que les comètes, et les autres feux qui paraissent de temps en temps, tantôt sous la figure d'une poutre, tantôt sous celle d'un tonneau ; tantôt avec une longue chevelure, et tantôt sous d'autres formes, que les Grecs, marquent par les noms qu'ils jugent à propos de leur donner. Voici les preuves de mon opinion. On a observé que dans les grands événements et dans les changements les plus remarquables qui arrivent sur la terre, il paraît de ces sortes d'astres, qui présagent ou des révolutions d'empires, ou des guerres, ou d'autres tels accidents capables de causer du remuement dans le monde. J'ai même lu dans le Traité des comètes, composé par le stoïcien Chérémon, qu'il en a quelquefois paru à la veille de quelque événement favorable ; et il en rapporte des exemples. S'il est donc vrai qu'à l'établissement de quelque nouvelle monarchie, ou à l'occasion de quelque autre telle vicissitude des affaires humaines, on voit paraître des comètes ou quelque autre astre de même nature, faut-il s'étonner qu'il ait paru une nouvelle étoile à la naissance d'une personne qui devait causer un si grand changement parmi les hommes, et répandre sa doctrine non seulement parmi les Juifs et parmi les Grecs, mais au milieu même de plusieurs nations barbares? A l'égard des comètes, je puis bien dire qu'on n'a jamais vu qu'aucun oracle ait marqué qu'il en paraîtrait une certaine en tel temps, ou à l'établissement de tel empire : mais pour celle qui parut à la naissance de Jésus, Balaam l'avait prédite en ces termes, selon que Moïse nous le rapporte : Une étoile se lèvera de Jacob, et un homme sortira d'Israël (Nomb., XXIV, 17). S'il faut maintenant examiner ce qui nous, est dit touchant les mages et touchant l'apparition de cette étoile, j'en raisonnerai avec les Grecs sur un principe, et avec les Juifs sur un autre. Je dirai aux Grecs que les mages, qui ont commerce avec les démons, et qui s en servent pour faire ce qu'il leur plaît, selon que les règles de leur art le leur apprennent, ont le succès qu'ils désirent, pendant que rien de plus divin et de plus puissant que les démons qu'ils évoquent, ou que les paroles qu'ils emploient pour les évoquer, n'empêche l'effet de leur conjuration. Mais si quelque puissance plus divine vient à se montrer, ou s'il arrive que quelques paroles plus fortes soient prononcées, alors les démons demeurent sans aucun pouvoir, et sont contraints de se cacher devant la lumière de la Divinité, dont ils ne peuvent soutenir l'éclat. Il est donc croyable que, puisqu'à la naissance de Jésus une grande troupe de l'armée céleste (comme S. Luc le raconte, et comme j'en suis persuadé) loua Dieu en disant, Gloire à Dieu au plus haut des cieux, paix sur la terre, et grâce aux hommes (Luc, II, 13), tout l'art et tout le pouvoir des démons en fut déconcerté, leurs prestiges rendus vains, et leurs forces détruites. Ce qui ne fut pas seulement l'effet de la présence de ces anges que la naissance de Jésus avait fait descendre vers la terre ; mais qui doit aussi être attribué à l'âme de Jésus même, et à la Divinité qui était en lui. Les mages donc voulant faire leurs opérations accoutumées, et n'y pouvant réussir ni par leurs conjurations, ni par leurs autres sortilèges, en cherchèrent la cause, qu'ils jugèrent devoir être extraordinaire. Voyant aussi, au même temps, un signe divin dans le ciel, ils en voulurent examiner la signification ; et ayant sans doute les prophéties de Balaam, qui avait été fort expert en leur profession, ces mêmes prophéties, dis-je, que Moïse nous a laissées, ils y trouvèrent l’oracle de l'étoile, avec ces autres paroles : Je le lui ferai voir, mais non pas si tôt, j'en célèbre le bonheur, mais il n'est pas proche (Nomb., XXIV, 17). D'où ils conjecturèrent que cet homme, dont la naissance était prédite avec l'apparition de l'étoile, devait être venu au monde: et le jugeant dès lors plus puissant que les démons et que tous ces esprits qui avaient accoutumé de leur apparaître et de les servir, ils voulurent l'adorer. A ce dessein ils vinrent dans la Judée, tout persuadés qu'un grand roi y était né ; mais ne sachant pas quelle devait être la nature de son royaume, ni le lieu de sa naissance. Après qu'on leur eut appris où il devait naître, ils allèrent lui offrir les présents qu'ils avaient apportés, et qui paraissaient destinés pour un sujet composé, s'il faut ainsi parler, d'un Dieu et d'un homme mortel : savoir, de l'or, comme à un roi ; de la myrrhe, comme à une personne qui devait mourir; et de l'encens, comme à un Dieu (Matth., II, 11). Comme donc en la personne de ce Sauveur du genre humain, il y avait un Dieu maître des anges qui s'emploient pour le secours des hommes, la piété des mages, qui étaient venus adorer Jésus, fut récompensée par l'avertissement divin qu'un ange leur donna, de n'aller point trouver Hérode, mais de s'en retourner en leur pays par un autre chemin (Matth., II, 12). Pour ce qui est des embûches par lesquelles Hérode voulut faire périr l'enfant, on ne doit pas s'en étonner, bien que le juif de Celse révoque en doute la vérité de l'histoire. La malice des hommes est si aveugle, que, comme si elle était plus forte que le destin, elle entreprend de le vaincre. C'est ce qui arriva à Hérode, qui persuadé que le roi des Juifs était né, se mit dans l'esprit un dessein tout opposé a cette persuasion : ne considérant pas, ou que c'était effectivement ce roi qui était né, et qu'ainsi il régnerait quoi qu'où pût faire, ou que celui qui était né ne règnerait point, et que par conséquent il ne fallait pas se mettre en peine d'avancer sa mort. Il entreprit donc de le faire mourir, formant par sa passion des pensées contradictoires, et suivant la suggestion du diable aveugle et malin, qui, dès le commencement, dressa lui-même des embûches à notre Sauveur, prévoyant qu'il serait un jour, comme il était déjà, quelque chose de grand et d'illustre. Mais un ange avertit Joseph de se retirer en Egypte avec l'enfant et sa mère (Matth., II, 13) : et l'ange ne fit en cela rien qui ne soit dans l'ordre, quoi que Celse en veuille dire. Cependant Hérode fit tuer tous les enfants qui étaient dans Bethléem et dans tout le pays d'alentour, espérant de faire périr avec eux le roi des Juifs qui était né (Matth., II, 16). Car il ne voyait pas celle puissance qui veille continuellement pour la défense de ceux qui sont dignes de sa protection et de ceux dont la conservation est importante pour le salut des hommes entre lesquels Jésus tient le premier rang, puisqu'il surpasse infiniment tous les autres en honneur et en dignité. Il devait être roi, non d'un royaume tel qu'Hérode se l'imaginait; mais tel qu'il était juste que Dieu le formât lui-même, pour celui qui, au lieu d'un bonheur de la nature des choses indifférentes, comme on parle, devait procurer à ses sujets une félicité parfaite, les gouvernant et les conduisant par des lois vraiment divines. C'est i quoi Jésus avait égard, lorsque niant qu'il fût roi au sens qu'on l'entend d'ordinaire, et montrant en même temps l'excellence de ton royaume, il disait : Si mon royaume était de ce monde, mes gens combattraient pour empêcher que je ne fusse livré aux Juifs : mais mon royaume n'est point de ce monde (Jean. XVIII, 36). Celse ne parlerait pas comme il fait, s'il avait considéré cela. Si Hérode a eu peur, dit-il, que venant en âge de régner vous ne régnassiez en sa place, pourquoi, y étant venu, ne régnez-vous pas ? Il fait beau voir le fils de Dieu faire le coureur et le vagabond, se cachant honteusement comme un criminel que l'on poursuit, et ne sachant presque donner de la tête. Mais il n'y a point de honte à user de prudence pour éviter les périls ; et si Jésus ne les a pas affrontés, ce n'est pas qu'il craignit la mort; c'est qu'étant venu au monde dans la vue de s'y rendre utile, il voulait y demeurer, pour cela, jusqu'à ce que le temps fût arrivé, ou il fallait que, puisqu'il avait pris la nature humaine, il mourût aussi comme un homme, pour le bien et pour l'avantage des hommes. C'est ce que reconnaîtront aisément ceux qui savent que Jésus n'est mort que pour le salut du genre humain; comme je l'ai montré ci-dessus, autant que j'en ai été capable.

Celse fait voir ensuite, qu'il ne sait pas même le nombre des apôtres : s'étant accompagné, dit-il, de dix ou onze scélérats, de publicains et de mariniers, les plus perdus de tous les hommes, il se mit avec eux à courir le monde, quêtant sa vie comme un misérable et comme un infâme. Examinons pourtant avec soin ce qu'il en dit; et ne laissons pas cet article sans réponse. Il semble que Celse n'ait jamais lu l'histoire de l'évangile ; car pour peu qu'on ait de connaissance, on sait que les apôtres, que Jésus choisit, étaient au nombre de douze (Matth. X, 1); et qu'entre ces douze il n'y avait que Matthieu de publicain (Marc, III, 14; et Luc, VI, 13). Par les mariniers, qu'il renferme dans son expression générale, il peut entendre Jacques et Jean (Matth.. X, 3), puisque pour suivre Jésus ils quittèrent leur barque, et Zébédée leur père (Marc, I, 20). Car pour les deux frères Pierre et André (Matth.. IV, 18), qui se servaient de leurs filets comme d'un moyen de se nourrir, on ne doit pas les compter entre les mariniers, mais entre les pécheurs (Marc, II, 14), qui est aussi le nom que l'Ecriture leur donne. Si l'on veut encore mettre Lévi le publicain au nombre de ceux qui suivaient Jésus, à la bonne heure : mais du moins n'était-il pas du nombre de ses apôtres; si ce n'est que l'on veuille suivre quelques exemplaires de l'évangile selon saint Marc (Marc, III, 18). Pour ce qui est d'autres, nous ne savons pas quelle était la profession à laquelle ils vaguaient leur vie avant que de s'attacher à Jésus. Mais nous pouvons bien dire que qui considérera d'un esprit tranquille et sincère quels étaient les apôtres de Jésus, sera contraint d'avouer que le succès avec lequel ils prêchaient le christianisme et soumettaient es hommes à la parole de Dieu ne pouvait être que l'effet d'une vertu divine. Ce n'était ni par la force de leur éloquence, ni par la netteté de leur méthode, ni par les autres artifices de la rhétorique ni de la dialectique, qu'on apprend dans les écoles des Grecs, qu'ils se rendaient maîtres de l'esprit de leurs auditeurs. Si Jésus avait choisi pour prédicateurs de sa doctrine des personnes qui eussent eu dans le monde une grande réputation de sagesse, et dont les pensées et les discours eussent été capables de plaire au peuple, on aurait eu raison, à mon avis, de soupçonner sa conduite d'être conforme à celle de ces philosophes, qui ont voulu être fondateurs de quelque secte. Ainsi sa doctrine n'aurait plus eu ce caractère de divinité qu'il lui attribuait; étant alors soutenue par tout ce que l'art d'arranger les mots et de chatouiller l'oreille a de plus propre, à persuader : et la foi qu'on y aurait ajoutée, comme celle que les philosophes du monde ont pour leurs dogmes, aurait été fondée sur la sagesse des hommes, et non sur la puissance de Dieu. Mais quand on voit des publicains et des pécheurs, qui n'avaient pas la moindre teinture des lettres (car c’est ainsi que l'évangile nous les décrit, et qu'ils se représentent eux-mêmes : et Celse ne fait pas difficulté de recevoir leur témoignage sur ce point) : quand on les voit, dis-je, disputer hardiment contre les Juifs, de la foi que l'on doit à Jésus; et porter même, avec succès, leur prédication au milieu des autres peuples; peut-on s'empêcher de demander d'où leur venait cette vertu de gagner l'esprit? Car elle n'était pas de même nature, que celle qu'on voit ordinairement dans les autres. Et n'est-on pas forcé de la regarder comme un effet de cette promesse : Suivez-moi, et je vous ferai pécheurs d'hommes (Matth. IV, 19) ; de laquelle Jésus faisait voit l'accomplissement dans ses apôtres avec une puissance divine? C'est à cette occasion que saint Paul disait, comme nous l'avons rapporté ci-dessus : Je n'ai pas employé, en vous parlant et en vous prêchant, les discours dont la sagesse humaine se sert pour persuader, mais la démonstration de l’esprit et de la puissance : afin que votre foi ne soit pas fondée sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu (I Cor. II, 4 et 5). Car comme en parlent les prophètes, qui prédisaient dès leur temps, la prédication de l'Evangile : Le Seigneur a donné la parole aux messagers des bonnes nouvelles, qui les publient avec une grande force. C'est le roi des armées : il conduit celles de son bien-aimé (Ps. LXVII ou LXVIII, 12). Afin que celle autre prophétie fût aussi vérifiée : Sa parole court avec vitesse (Ps. CXLVII, 4, ou 15). Nous voyons en effet que la prédication des apôtres de Jésus s'est répandue par toute la terre, et que le bruit de leur voix est parvenu jusqu'au bout du monde (Ps. XVIII, ou XIX, 5). Aussi les auditeurs de cette doctrine sont-ils eux-mêmes remplis de la vertu qui en accompagne la prédication ; d'une vertu qu'ils font paraître et dans les dispositions de leur âme, et dans toutes les actions de leur vie, et dans la constance avec laquelle ils soutiennent la vérité jusqu'à la mort. Mais il y en a quelques-uns qui, quelque attachement qu'ils témoignent pour la parole de Dieu, et quelque profession qu'ils fassent de croire en Dieu par Jésus-Christ, sont pourtant tout vides de cette vertu divine et n'en ont jamais senti l'impression dans leur cœur. J'ai déjà allégué ce que disait notre Sauveur dans l'Evangile; mais il y a lieu de le répéter ici, pour faire voir comment il avait divinement prévu quelle devait être la prédication de sa doctrine ; et pour montrer encore combien est puissante la divine vertu de cette parole, qui sans l'aide des docteurs persuade invinciblement ceux qui croient. ; moisson est grande, disait-il, mais il y a peu d'ouvriers ; priez donc le Seigneur de la moisson, qu'il envoie des ouvriers en sa moisson (Matth. IX, 37).

Mais puisque Celse parle des apôtres comme de scélérats, disant que Jésus s'accompagna de publicains et de mariniers, les plus perdus de tous les hommes, nous lui répondons à cela, qu'on dirait que pour trouver quelque prétexte de décrier notre profession, il ajoute foi, quand il lui plaît, aux écrits des évangélistes ; mais qu'il rejette aussi, quand il veut, l'autorité de ces mêmes livres, pour n'être pas obligé de recevoir le témoignage qu'ils rendent à la divinité de ce qu'ils enseignent. Au lieu que, voyant avec quelle sincérité nos auteurs rapportent les choses qui leur sont les moins avantageuses, cette considération devait l'obliger à les croire sur le reste, et à prendre pour divin ce qu'ils nous représentent comme tel. Nous lisons dans l'épître catholique de Barnabé (et c'est de là, peut-être, que Celse a pris ce qu'il nous dit des apôtres, lorsqu'il les traite de scélérats, et de gens perdus) : Que Jésus choisit pour ses apôtres des hommes injustes au delà de toute injustice. Et dans l'Evangile selon saint Luc, Pierre disait à Jésus : Seigneur, retire-toi de moi, car je suis un pécheur (Luc, V, 8). Paul qui dans la suite, fut aussi l'un des apôtres de Jésus, disait tout de même, écrivant à Timothée : C'est une vérité certaine que Jésus-Christ Dieu est venu au monde pour sauver les pécheurs, entre lesquels je suis le premier (I Tim. I, 15). Et je ne sais comment Celse a oublié, ou a négligé de dire quelque chose de ce Paul, qui après Jésus est celui qui a fondé les églises chrétiennes. Il a vu apparentent que ce n était pas un sujet favorable pour sa cause; et qu'il aurait à rendre raison comment cet homme, après avoir persécuté l'Eglise de Dieu (Act. XIX, 1), et fait une cruelle guerre aux fidèles, jusqu'à vouloir faire traîner au supplice les disciples de Jésus, comment, dis-je, il a pu tellement changer (Rom. XV, 19), qu'il ait porté et établi l'évangile de Jésus-Christ, depuis Jérusalem jusqu'en Illyrie, prenant à tâche, lorsqu'il le prêchait, de ne point bâtir sur le fondement d'autrui, mais de choisir les lieux où l'évangile de Dieu n'avait en aucune manière été encore annoncé au nom de Jésus-Christ. Faut-il donc s'étonner, que Jésus voulant montrer à tout les hommes, combien sont puissants les remèdes qu'il leur offre pour la guérison de leurs âmes, ait pris des scélérats et des gens perdus, et les ait fait devenir des exemples de toutes sortes de vertus à ceux qui embrassaient son évangile par leur ministère?

Si l'on voulait que des personnes, qui se sont corrigées de leurs vices, fussent encore responsables des désordres de leur vie passée, il faudrait faire le procès à Phédon, dans le temps même qu'il vivait en philosophe ; puisque l'histoire nous apprend que Socrate le retira d'un lieu infâme, pour lui faire embrasser l'étude de la sagesse. Il faudrait, encore, reprocher à la philosophie les débauches de Polémon, successeur de Xénocrate : au lieu qu'il faut avouer, qu'à cet égard même, elle mérite des louanges, d'avoir eu assez de force, en la bouche de deux de ses sectateurs, pour persuader des esprits si mal disposés et pour les porter au bien, malgré la profonde impression que le vice avait faite en eux. Dans les écoles des Grecs, au reste, nous ne voyons qu'un Phédon et un Polémon et quelque autre encore, tout au plus, qui aient renoncé à la débauche pour suivre la philosophie : mais dans l'école de Jésus, outre ces douze premiers, de qui nous venons de parler, nous en voyons toujours, depuis, un beaucoup plus grand nombre, qui étant devenus une troupe de personnes sages et vertueuses, parlent ainsi de leur condition passée : Nous étions aussi nous-mêmes autre fois, insensés, désobéissants, égarés du chemin de la vérité, asservis à une infinité de passions et de voluptés, menant une vie toute pleine de malignité et d'envie, dignes d'être haïs et nous haïssant les uns les autres : Mais depuis que la bonté de Dieu notre sauveur et son amour pour les hommes a paru dans le monde, nous sommes devenus tels que nous sommes maintenant, ayant été lavés pour renaître et renouvelés par l'esprit qu'il a répandu sur nous avec une riche effusion (Tit., III, 3). Car comme dit le prophète, dans le livre des psaumes ; Dieu a envoyé sa parole et les a guéris ; il les a tirés de la corruption ils étaient (Ps. CVI ou CVII, 20). Je pourrais encore ajouter à ce que je viens de dire, que Chrysippe, dans son art de guérir les passions, voulant essayer de vaincre celles qui troublent notre repos, les combat par les différents principes de chaque secte ; sans se mettre en peine quels principes sont les plus conformes à la vérité, pourvu qu'il réussisse dans son dessein. Si l'on veut, dit-il, que la volupté soit le souverain bien, il faut combattre les passions par ce principe : Si l'on veut qu'il y ait trois genres de biens, il faut, en le supposant, tâcher de bannir le désordre de nos âmes. Mais les accusateurs du christianisme ne voient-ils pas combien de passions sont calmées, combien de vices sont corrigés et combien d'esprits féroces sont adoucis, à l'occasion de celle doctrine ? Certainement, elle devrait être pour eux un sujet d'admiration et de reconnaissance, par la considération des divers avantages qu'elle procure et du grand nombre de ceux qui profitent de la nouvelle méthode dont elle se sert pour la correction de nos mœurs. S'ils ne veulent pas reconnaître qu'elle est véritable, du moins faudrait-il qu'ils demeurassent d'accord de l'utilité que tout le genre humain en retire.

Jésus, qui ne roulait pas que ses disciples fussent des factieux ni des téméraires, leur faisait cette leçon : Si l'on vous persécute dans une ville, fuyez dans une autre, et si la persécution continue dans celle-ci, fuyez encore ailleurs (Matth., X, 23) Et pour leur servir de modèle, il joignit à ce précepte, l'exemple d'une vie égale et ennemie du trouble; ne s'exposant pas imprudemment aux dangers, mais prenant soin de les éviter, lorsque le temps et la raison le lui permettaient. Celse prend de là occasion de calomnier encore Jésus, qu'il accuse, par la bouche de son juif, d'avoir couru le monde avec ses disciples. Mais sur cette accusation, dont il charge Jésus et ses disciples, nous lui dirons qu'on peut trouver un fait tout semblable dans l'histoire d'Aristote, qui se voyant près d'être condamné comme impie, à cause de quelques-uns de ses dogmes, qui, au jugement des Athéniens, sentaient le libertinage, sortit d'Athènes et transporta ses exercices à Chalcis; disant à ses amis, pour raison de sa retraite : Quittons Athènes, de peur que nous ne donnions lieu aux Athéniens de se rendre coupables d'un crime pareil à celui qu'ils ont déjà commis en la personne de Socrate, et de commettre une nouvelle impiété contre la philosophie. Celse ajoute que Jésus, courant le monde avec ses disciples, quêtait sa vie, comme un misérable et comme un infâme (Luc, VIII, 3). Mais qu'il nous dise qui lui a donné sujet d'en parler ainsi. L'Evangile nous apprend bien que quelques femmes qui avaient été guéries de leurs maladies et du nombre desquelles était Susanne, fournissaient, de leurs biens à ses disciples ce qui leur était nécessaire pour vivre. Mais qui, d'entre les philosophes et d'entre ceux qui donnaient leur temps à instruire les personnes de leur connaissance, n'a pas reçu d'elles ce dont il pouvait avoir besoin? Est-ce que quand ceux-ci l'ont fait, ils n'ont rien fait que de bienséant et d'honnête : mais quand les disciples de Jésus font la même chose, ils méritent d'être traités de misérables et d'infâmes ?

Le juif continuant à jouer son personnage, dit encore à Jésus : Pourquoi fallut-il que, pour vous sauver de l’épée, on vous emportât en Egypte peu de temps après votre naissance ? Un Dieu devait-il craindre la mort? Un ange vint du ciel, vous ordonner, à vous et aux vôtres, de prendre la fuite, de peur qu'étant surpris, vous ne périssiez. Mais le grand Dieu ne pouvait-il pas garantir son propre fils dans le lieu même, lui qui avait déjà envoyé deux anges pour l'amour de vous? Celse s'imagine que nous croyons, non qu'il y avait quelque chose de divin dans le corps et dans l'âme de Jésus, mais que son corps même était à peu près semblable à ceux qu'Homère attribue à ses divinités fabuleuses. C'est ce qui donne lieu à la raillerie qu'il fait du sang que Jésus versa sur la croix, dont il dit, Que n'était pas une liqueur pareille à celle

Qui roule doucement dans les veines des dieux.

Mais ce que nous croyons, c'est ce que Jésus témoigne lui-même, disant de la divinité qui était en lui, Je suis la voie, la vérité, et la vie (Jean, XIV, 6) ; et d'autres telles choses; et montrant aussi, par ces paroles, qu'il avait un corps humain, mais maintenant vous cherchez à me faire mourir, moi qui suis un homme qui vous ai dit la vérité (Jean,, VIII, 40). Nous disons donc que Jésus était quelque chose de composé, et qu'ainsi étant venu au monde à dessein d'y vivre comme un homme, il fallait qu'il ne se mît pas lui-même hors de saison, en danger de mort; il fallait encore qu'il se laissât conduire à ceux qui avaient le soin de son éducation et aux ordres qu'un ange leur apporta de la part de Dieu. Joseph, fils de David, dit d'abord l'ange, ne crains point de prendre avec toi Marie, ta femme, car ce qui -est engendré en elle a été formé par le Saint-Esprit (Matth. I, 20) : et ensuite, Lève-toi, prends l'enfant et sa mère, et t'enfuis en Egypte, et n'en pars point que je ne te le dise, car Hérode cherchera l'enfant pour le faire périr (Matth. II, 13). Je ne vois pas même ce qu'il y a là-dedans de si incroyable; car ce qui est dit dans l'un de ces endroits de l'Écriture, que ce fut en songe que Joseph reçut de l'ange ces avertissements, est une chose qui arrive à plusieurs autres à qui, soit un ange, soit une autre puissance, apprend ce qu'ils doivent faire, le leur découvrant par le moyen des idées qu'il imprime dans leur esprit. Est-il donc étrange que Jésus, ayant une fois pris la nature humaine, se soit gouverné en homme pour éviter le danger? Non qu'il ne le pût éviter d'une autre façon, mais parce qu'il fallait que son salut lût ménagé avec la conduite et l'ordre convenable. En effet, il valait beaucoup mieux que, pour garantir l'enfant des embûches qu'on lui dressait, ceux qui le nourrissaient se retirassent avec lui en Egypte, jusqu'à la mort de son ennemi, que si la Providence, qui veillait en sa faveur, eût arrêté la fureur d'Hérode, qu'elle eût couvert Jésus de ce que les poètes appellent le casque de Pluton (Hom. Iliad. V, v. 845), ou de quelque autre chose semblable, ou qu'elle eût frappé ceux qui seraient venus pour le perdre, d'un aveuglement pareil a celui dont les habitants de Sodome furent frappés. Car un secours si peu ordinaire et si éclatant, n'eût pas été propre pour le dessein qu'il avait d'enseigner au monde, comme un homme autorisé par le témoignage de Dieu ; que dans cet homme que l'on voyait, il y avait quelque chose de divin; savoir, le propre Fils de Dieu, Dieu le Verbe, la puissance et la sagesse de Dieu, celui qui est appelé le Christ. Mais ce n'est pas ici le lieu de parler de ce composé, ni d'examiner ce qu'il y eut de joint ensemble dans la personne de Jésus, après qu'il se fut fait homme, y ayant entre les fidèles une question particulière, et, s'il faut ainsi parler, une dispute domestique sur ce sujet.

Après cela, le juif de Celse, parlant comme s'il avait étudié parmi les Grecs, et qu'il eût l'esprit rempli de leurs idées, Les anciennes fables, dit-il, qui attribuent une naissance divine à Persée, à Amphion, à Eaque et à Minos, bien qu'en cela même elles ne disent rien à quoi nous ajoutions foi, y gardent du moins la vraisemblance, en nous représentant les actions de ces gens-là comme grandes, merveilleuses et véritablement plus qu'humaines. Mais vous, ajoute-t-il, vous ne nous sauriez rien produire de remarquable ni d'extraordinaire, soit dans vos actions, soit dans vos discours, quoique l'on vous ait assez sollicité, dans le temple, de faire voir, par quelque preuve convaincante, que vous étiez fils de Dieu. Pour lui répondre, il ne faut que demander aux Grecs que parmi les actions de quelqu'un de ceux dont il s'agit, ils nous en montrent qui, par leur éclat, par l'étendue et par la durée de leur utilité, et par leurs autres caractères, ayant été capables de persuader aux générations suivantes que la naissance de ces hommes ait été telle que les fables la décrivent. Ils n'y sauraient rien marquer qui ne soit beaucoup au-dessous de ce qu'a fait Jésus, si ce n'est que nous renvoyant à ces contes fabuleux qu'ils débitent, ils nous veuillent obliger à les croire sans raisonner, et à rejeter nos histoires, nonobstant toute leur évidence. Nous disons donc que la vertu et la force de Jésus s'est assez fait connaître par toute la terre où sont répandues les églises de Dieu qu'il a formées, après avoir retiré ceux qui les composent d un nombre infini de vices et de désordres. Le nom de Jésus soulage même encore ceux qui ont l'esprit troublé, il chasse les démons, et il guérit les maladies. Il n'y a rien enfin de si admirable que la modération, la retenue, la douceur, la bonté, l'humanité, que sa doctrine produit en ceux qui ne se contentent pas d'en faire une feinte profession, pour quelques considérations humaines, ou pour quelques avantages temporels mais qui croient sincèrement ce qu'elle enseigne touchant Dieu et le Christ, et le jugement à venir.

Celse prévoyant ensuite qu'on ne manquerait pas d’alléguer en faveur de Jésus les grands miracles qu'il a faits, dont nous n'avons rapporté qu'une très petite partie, nous accorde, par supposition, qu’il n'y ait rien que de véritable dans ce qu'on lit des malades que Jésus a guéris, des morts qu'il a ressuscités, du peu de pain dont il a nourri de grosses troupes qui en laissaient même plus de reste qu'il n'y en avait d'abord, et dans toutes les autres choses semblables qui dans le fond ne sont, à ce qu'il prétend, que des fictions des disciples de Jésus. Supposons, si vous voulez, dit-il, que vous ayez fait toutes ces choses. Mais au même temps qu'il nous l'accorde, il met ces actions de Jésus au rang de celles des magiciens qui se vantent d'en faire encore de plus admirables. Il les compare avec ce que font au milieu des places publiques ceux qui ont étudié en Egypte, qui, pour quelques oboles, vous étalent toutes les merveilles de leur science, chassant les démons hors du corps des hommes, guérissant les malades en soufflant dessus, évoquant les âmes des héros, dressant des tables qui semblent toutes couvertes de mets exquis, quoique en effet il n'y ait rien, et faisant mouvoir, comme si c'était des animaux de certaines figures qui n'en ont pas l'apparence. Après quoi il demande si lorsqu’on leur voit faire cela, on doit conclure qu'ils sont les enfants de Dieu, ou s'il ne faut pas plutôt les prendre pour des misérables et pour des méchants. Vous voyez qu'en parlant ainsi, il avoue, en quelque façon, le pouvoir de la magie ; je ne sais cependant si ce n'est point lui qui a écrit plusieurs livres pour prouver qu'il n'y en a point. Quoi qu'il en soit, il a cru qu'il lui était avantageux, dans la dispute présente, de soutenir que les actions de Jésus sont semblables aux effets de la magie; ce qu'on pourrait dire, si Jésus s'était contenté de faire une vaine parade de ses miracles, comme les magiciens; car ceux-ci quelque chose qu'ils fassent, n'ont jamais pour but d'obliger ceux qui le voient et qui l'admirent, à changer leurs mauvaises habitudes et à craindre Dieu, ni de leur persuader que, devant l'avoir pour juge, il faut qu'ils règlent leur vie sur ses lois. Ils ne veulent point se mettre en peine de la correction des hommes, et ils ne sont pas capables d'y travailler, étant eux-mêmes tout remplis de vices honteux et abominables. Mais pour Jésus, qui n'a rien fait d'extraordinaire qu'en vue de corriger les mœurs de ceux qui étaient les témoins de ses miracles, oserait-on nier qu'il n'ait donné en sa personne l'exemple d'une vie toute parfaite, tant à ses premiers disciples qui ont porté proprement ce nom, qu'à tous les autres, afin que ceux-là se missent en état d'enseigner aux hommes la volonté de Dieu; et que ceux-ci, apprenant d'eux à bien vivre, plus par l'excellence de la doctrine et par la beauté des exemples, que par l'éclat des miracles, ne se proposassent, dans toute leur conduite, que de plaire au Dieu souverain ? Si donc la vie de Jésus a été telle, comment peut-on le comparer avec des magiciens, et ne pas reconnaître qu'étant Dieu, comme il l'assurait, il se montrait aux hommes dans un corps humain, pour leur bien et pour leur salut? Celse confond ensuite les choses : et pour former une nouvelle accusation contre la doctrine céleste que nous professons, il attribue à tous les chrétiens, des sentiments qui sont particuliers à une certaine secte. Le corps d'un Dieu, dit-il, ne serait pas fait comme le vôtre. Mais mous lui répondons, que Jésus venant au monde, a pris un corps humain, tel qu'une femme le lui pouvait donner, et sujet à la mort, comme celui des autres hommes. C'est ainsi que nous parlons : et c'est à l'égard de ce corps humain que nous disons, entre autres choses, que Jésus a soutenu de grands combats, ayant été tenté en toutes choses (Héb., IV, 15), de la même manière que tous les hommes, non pourtant avec péché, comme eux mais entièrement sans péché (I Pierre, II, 22). Car nous voyons clairement qu'il n'a point commis de péché, et que jamais aucune parole trompeuse n'est sortie de sa bouche (Is., LIII, 9; Pierre, II, 22); et c'est à cause qu'il n'a point connu le péché, que Dieu l'a livré à la mort pour tous les pécheurs, comme une victime pure et sainte.

Le corps d'un Dieu, continue-t-il, n'aurait pas été formé comme le vôtre l'a été (II Cor., V, 21). Mais il ne peut nier que si la naissance de Jésus a été telle qu'elle nous est décrite, son corps n'ait quelque chose de plus divin que les autres, et ne puisse même, en un sens, être appelé le corps d'un Dieu aussi ne veut-il pas avouer ce que l'Ecriture nous dit de la conception de Jésus par la vertu du Saint-Esprit (Matth., I, 20); et il prétend qu'il soit né de l'adultère d'un certain Panthère avec la Vierge. C'est ce qui lui fait dire : Le corps d'un Dieu n'aurait pas été formé comme le vôtre l'a été. Mais nous en avons amplement parlé ci-dessus.

Il ajoute, comme s'il pouvait montrer, par l'histoire de l'Evangile, que Jésus se nourrissait, et de quoi il se nourrissait: Le corps d'un Dieu ne se nourrit pas de la manière dont le vôtre s'est nourri ? Mais soit : je veux, comme on le dira sans doute, que Jésus faisant la pâque avec ses disciples, ne se soit pas contenté de dire : J’ai eu un désir extrême de manger cette vaque avec vous (Luc, XXII, 15) ; mais qu'il l'ait mangée en effet: je veux qu'étant pressé de la soif, il ait bu à la fontaine de Jacob (Jean, IV, 6) ; que fait cela à ce que nous disons de son corps. Nous savons qu'il est dit expressément, qu'après être ressuscité, il mangea du poisson (Luc, XXIV, 43). Aussi disons-nous qu'il avait pris un corps, tel qu'il le devait avoir, ayant été formé d'une femme (Gal., IV, 4).

Le corps d'un Dieu, dit-il encore, ne se sert pas d'une voix pareille à la vôtre, et il n'emploie pas de tels moyens pour persuader. Mais il n'y a rien de plus faible, ni de plus digne de mépris, que cette objection ; car on lui dira qu’Apollon, qui passe pour Dieu parmi les Grecs, sous les noms de Pythien, et de Didymée, se sert bien d'une voix pareille toutes les fois qu'il fait parler la Pythie ou la prêtresse de Milet : et que cependant les Grecs n'en prennent point occasion de lui disputer sa divinité, et n'en adorent pas moins, ni lui ni les autres dieux du pays, qui comme lui, sont attachés à de certains lieux, où ils rendent leurs oracles. N'était-il pas incomparablement plus digne de Dieu (Matth, VII, 29) de se servir d'une voix, qui étant accompagnée d'autorité et de vertu (Jean, VII, 46), portait avec foi une secrète persuasion dans le cœur de ceux qui l'entendaient?

Il en vient ensuite aux injures contre la personne de Jésus; et il dit, lui qui pour son impiété et pour ses dogmes détestables, est s'il faut ainsi parler, haï de Dieu ; que ce sont les actions d'un homme haï de Dieu, et d'un détestable imposteur. Quoiqu'à bien examiner la nature des choses et la signification des mots, il soit impossible qu'il y ait proprement aucun homme haï de Dieu ; car Dieu aime tous les êtres : il ne hait rien de ce qu'il a fait ; et il ne l’aurait pas fait, s'il l’avait haï. (Gen., I, 31; Sag., XI, 25]. S'il y a quelques expressions semblables dans les écrits des prophètes, il les faut expliquer par cette règle générale, Que l’Ecriture, parlant de Dieu, se sert d'expressions prises des mouvements et de la coutume des hommes (Gen., VI, 6; I Sam., XV, 11, etc.). Je ne lui réponds point, au reste sur cet article : car quelle réponse pourrait-on faire à un homme qui, dans un discours où il ne nous promettait que des raisons solides et des preuves convaincantes, a cru qu'il lui était permis d'user d'injures et d'invectives, et de traiter Jésus de détestable imposteur? C'est là agir, non en philosophe, qui cherche la vérité ; mais en homme de la lie du peuple, qui se laisse emporter à ses passions. Ce qu'il fallait faire, c'était d'établir nettement la question de l'examiner, ensuite d'un esprit tranquille et d'alléguer, sans s'éloigner du sujet, les meilleures raisons dont on aurait pu s'aviser, en faveur du parti que l'on aurait pris. Mais puisque Celse finit ici le discours de son juif à notre Sauveur, nous y finirons aussi notre premier livre : et si Dieu nous accorde les lumières de sa vérité, qui détruit tous les artifices du mensonge, selon cette parole, détruis-les par la vérité (Ps. LIII ou LIV.7) ; nous commencerons dans le livre suivant, l'examen de la seconde prosopopée, où Celse introduit le Juif disputant contre ceux qui croient en Jésus.