Saint Jérôme

SAINT JERÔME

 

LETTRES

A RUFIN D'AQUILÉE.

EPISTOLA LXXXI  AD RUFFINUM.

à Pammaque       à Océanus

 

 

 

 

SÉRIE VI. LETTRES.

A RUFIN (1) D'AQUILÉE

Préface du Livre des Principes. — Reproches à Rufin à ce sujet.

Lettre écrite du monastère de Bethléem, en 399.

EPISTOLA LXXXI  AD RUFFINUM.

 

Diu te Romae moratum sermo proprius indicavit. Nec dubito spiritalium parentum ad patriam revocatum desiderio, quem matris luctus ire prohibebat, ne magis coram doleres, quod absens vix ferre poteras.

Quod quereris, stomacho suo unumquemque servire, et nostro non acquiescere judicio, conscientiae nostrae testis est Dominus, post reconciliatas amicitias nullum intercessisse rancorem, quo quempiam laederemus: quin potius cum omni cautione providimus, ne saltem casus in malevolentiam verteretur. Sed quid possumus facere, si unusquisque juste putat se facere quod
facit? et videtur sibi remordere potius quam mordere? Vera amicitia quod sentit dissimulare non debet. Praefatiuncula librorum περὶ    Ἀρχω̃ν ad me missa est, quam ex stylo intellexi tuam esse, in qua oblique, imo aperte ego petor: qua mente sit scripta, tu videris: qua intelligatur, et stultis patet. Poteram et ego, qui saepissime figuratas controversias declamavi, aliquid de vetere artificio repetere, et tuo te more laudare. Sed absit a me, ut quod reprehendo in te, imiter: quin potius ita sententiam temperavi, ut et objectum crimen effugerem, et amicum quantum in me est, nec laesus laederem. Sed obsecro te, ut si deinceps aliquem sequi volueris, tuo tantum judicio sis contentus. Aut enim bona sunt quae appetimus, aut mala. Si bona, non indigent alterius auxilio; si mala, peccantium multitudo non parit errori patrocinium. Haec apud te amice potius expostulare volui, quam lacessitus publice desaevire; ut animadvertas, me reconciliatas amicitias pure colere, et non juxta Plautinam sententiam, altera manu lapidem tenere, panem offerre altera.

Frater meus Paulinianus necdum de patria reversus est, et puto quod eum Aquileiae apud sanctum Papam Chromatium videris. Sanctum quoque  Presbyterum Ruffinum ob quamdam causam per Romam Mediolanum misimus; et oravimus, ut nostro animo et obsequio vos videret. Caeterisque amicis eadem significavimus, ne mordentes invicem, consumamini ab invicem. Jam tuae moderationis est, et tuorum, nullam occasionem impatientibus dare, ne non omnes similes mei invenias, qui possint figuratis laudibus delectari.

 

Je juge par votre lettre que vous avez fait un long séjour à Rome. Je ne doute point que l'empressement que vous avez eu de revoir vos parents, selon l'esprit, ne vous ait rappelé dans votre patrie; car vous en étiez éloigné par la perte de votre mère, afin de ne pas renouveler une douleur que vous supportiez à peine, étant absent.

Vous vous plaignez que chacun ne consulte que sa passion et son ressentiment, sans vouloir écouter ce que la raison lui suggère; mais Dieu m'est témoin que, quand une fois je me suis raccommodé avec mes amis, je ne garde plus sur le coeur aucune aigreur, et qu'au contraire je prends soin d'éviter tout ce qui peut leur rendre mon amitié suspecte. Mais pouvons-nous empêcher que les autres ne croient avoir raison d'agir comme ils font? Pouvons-nous les empêcher de dire qu'ils ne songent pas tant à faire une injure qu'à repousser celle qu'on leur adresse? Un véritable ami ne doit jamais dissimuler ses sentiments.

L'on m'a envoyé ici une préface sur le Livre des Principes. J'ai reconnu au style que vous en étiez l'auteur. Vous m'y attaquez indirectement, ou plutôt vous vous y déclarez ouvertement contre moi. Je ne sais pas quel a été votre dessein, mais je sais bien ce qu'on en pense; cela saute aux yeux des lecteurs même les plus ignorants. Comme j'ai souvent discouru sur des sujets d'imagination, il me serait facile d'employer ce moyen dans cette occasion, et de vous louer comme vous louez les autres. Mais à Dieu ne plaise que je vous imite en cela, et que je tombe moi-même dans la faute que je vous reproche. Au contraire, j'ai agi avec tant de modération que, me contentant de me justifier du crime que vous m'imputez, j'ai fait tout mon possible pour épargner un ami qui ne m'avait pas lui-même trop ménagé. Mais si une autre fois vous voulez vous conformer aux sentiments des autres, je vous prie de ne consulter sur cela que vos propres lumières. Car ce que nous recherchons est bon ou mauvais; si c'est bon, nous n'avons besoin de personne pour nous y porter; si c'est mauvais, la multitude de ceux qui s'égarent ne saurait justifier nos égarements. J'ai mieux aimé sur cela me plaindre à vous en ami que de me déclarer contre vous ouvertement, afin de vous faire connaître que je me suis réconcilié avec vous dans toute la droiture et la sincérité du coeur ; et je ne suis pas de caractère à tenir, comme dit Plaute, du pain d'une main, et à présenter une pierre de l'autre.

Mon frère Paulinien n'est pas encore de retour de notre pays. Je pense que vous l'aurez vu à Aquilée chez le saint évêque Chromatius. J'ai aussi envoyé le saint prêtre Ruffin à Milan par la route de Rome, pour quelques affaires particulières, et je l'ai prié de vous faire mes compliments, aussi bien qu'à mes autres amis, « de peur qu'en nous mordant les uns les autres, nous ne nous consumions aussi les uns les autres. » Tâchez donc, vous et tous ceux qui sont dans votre parti, de garder un peu plus de mesure, et de ménager davantage vos amis, de peur que vous ne trouviez des gens qui ne soient pas d'humeur comme moi à souffrir vos prétendues louanges.

(1) Ce Rufin d’Aquilée était devenu l’ennemi personnel de Jérôme qui écrivit contre lui le traité intitulé : Apologie contre les accusations de Rufin.