Saint Jérôme

SAINT JERÔME

 

AU DIACRE JULIANUS. IL CHERCHE A SE JUSTIFIER DE SON SILENCE.

EPISTOLA VI . AD JULIANUM AQUILEIAE DIACONUM

 

à Eustochia       à Innocentius

 

 

 

 

SÉRIE VI. LETTRES.

AU DIACRE JULIANUS. IL CHERCHE A SE JUSTIFIER DE SON SILENCE.

Lettre écrite du désert, en 375.

EPISTOLA VI . AD JULIANUM AQUILEIAE DIACONUM

 

Antiquus sermo est: Mendaces faciunt, ut nec sibi vera dicentibus credatur: quod mihi a te, ego objurgatus de silentio litterarum, accidisse video. Dicam, saepe scripsi, sed negligentia bajulorum fuit? Respondebis: omnium non scribentium vetus ista excusatio est. Dicam, non reperi qui epistolas ferret? Dices, hinc istuc (al. illinc) isse quam plurimos. Contendam, me etiam his dedisse? At illi, quia non reddiderunt, negabunt: et erit inter absentes incerta cognitio. Quid igitur faciam? Sine culpa veniam postulabo, rectius arbitrans, pacem loco motum petere, quam aequo gradu certamina concitare: quanquam ita me jugis tam corporis aegrotatio, quam animae aegritudo consumpsit, ut morte imminente, nec mei pene memor fuerim. Quod ne falsum putes oratorio more, post argumenta testes vocabo. Sanctus frater Heliodorus hic adfuit, qui cum mecum eremum vellet incolere, meis sceleribus fugatus abscessit. Verum omnem culpam praesens verbositas excusabit. Nam, ut ait Flaccus in satyra: «Omnibus hoc vitium est cantoribus inter amicos,» rogati ut nunquam cantent, Injussi nunquam desistant» (Horat. lib. 1, Carm. Sat. 3): ita te deinceps fascibus obruam litterarum, ut econtrario incipias rogare, ne scribam.

Sororem meam, filiam in Christo tuam, gaudeo, te primum nuntiante, in eo permanere, quod coeperat. Hic enim ubi nunc sum, non solum quid agatur in patria, sed an ipsa patria perstet, ignoro.

Et licet me sinistro Ibera excetra ore dilaniet, non timebo hominum judicium, habiturus judicem Deum: juxta illud quod quidam ait: «Si fractus illabatur orbis, impavidum ferient ruinae» (Horat. l. 3. carm. Od. 3.). Quapropter quaeso ut Apostolici memor praecepti, quo docet opus nostrum permanere debere (1. Cor. 3); et tibi a Domino praemium in illius salute pares, et me de communi in Christo gloria crebris reddas sermonibus laetiorem.
 

On dit ordinairement qu'on ne croit pas les menteurs, lors même qu'ils disent la vérité. Les reproches que vous m'adressez au sujet de mon silence me font assez connaître votre opinion en cette circonstance. Vous dirai-je que je vous ai écrit plusieurs lettres, et qu'il faut que les messagers n'aient pas eu soin de vous les remettre? C'est là, me direz-vous, l'excuse ordinaire de tous ceux qui sont paresseux à écrire. Dirai-je que je n'ai trouvé personne pour vous faire tenir mes lettres? Vous me répondrez que je n'ai pas manqué d'occasions. Vous soutiendrai-je que je n'en ai laissé échapper aucune ? Ceux que j'ai chargés de mes lettres, et qui ne vous les ont point rendues, prétendront que je ne les leur ai point remises; de manière que nous ne pourrons jamais, éloignés que nous sommes l'un de l'autre, nous assurer de la vérité. Que ferai-je donc? je vous demanderai pardon; tout innocent que je suis, je crois qu'il m'est plus avantageux de demander la paix que de tenir ferme pour prolonger le combat. Je pourrais néanmoins vous dire pour ma justification qu'une maladie continuelle, jointe aux chagrins dont je suis accablé, m'a réduit à une telle extrémité et mené si près du tombeau qu'à peine pouvais-je alors me connaître moi-même. Et afin que vous ne doutiez pas de ce que je dis, j'imiterai les orateurs et je vous citerai les témoins, après avoir employé les raisons pour me défendre. Notre frère Héliodore était ici dans le temps que j'étais malade; il était venu dans le dessein de demeurer avec moi dans le désert, mais mes péchés l'en ont chassé. Au reste, si mon silence m'a rendu criminel, je sais le secret de réparer ma faute; c'est de vous écrire souvent. C'est ainsi qu'en jugeait Horace lorsqu'il dit : « Le défaut commun à tous les musiciens est de se faire beaucoup prier pour chanter, et de ne pouvoir se taire lorsqu'on ne leur dit rien.» Je vais donc désormais vous accabler de tant de lettres, que vous serez le premier à me prier de ne plus vous écrire.

J'ai bien de la joie de ce que ma soeur, qui est votre fille en Jésus-Christ, continue à bien faire, et je vous remercie de m'avoir appris le premier cette bonne nouvelle; car je suis ici dans un lieu où, bien loin de savoir ce qui se passe en notre pays, j'ignore même s'il existe encore.

Quoique l'hydre espagnole soit toujours animée contre moi, je crains si peu le jugement des hommes (car je dois un jour avoir un juge équitable), que je dis avec le poète : « Quand même l'univers s'écroulerait, je resterais impassible sur ses ruines. » 462 Rappelez-vous, je vous prie, le précepte de l'Apôtre : « Que vos bonnes oeuvres doivent être continuelles, afin que vous obteniez du Seigneur une récompense,» et consolez-moi en me parlant souvent de la gloire que nous devons avoir en Jésus-Christ.