Saint Jérôme

SAINT JERÔME

 

A FLORENTIUS. DÉSIR EXTRÊME DE SAINT JERÔME D'ALLER A JÉRUSALEM.

EPISTOLA V. AD FLORENTIUM.

A Chromatius et à Héliodore sur la traduction du livre de  Tobie       A Paula et à Eustochia sur la traduction du livre de Judith.

 

 

 

SÉRIE VI. LETTRES.

 

A FLORENTIUS. DÉSIR EXTRÊME DE SAINT JERÔME D'ALLER A JÉRUSALEM.

Lettre écrite du désert, en 373.

EPISTOLA V. AD FLORENTIUM..

 

1. In ea mihi parte eremi commoranti, quae juxta Syriam Saracenis jungitur, dilectionis tuae scripta perlata sunt. Quibus lectis, ita reaccensus est animus Jerosolymam proficiscendi, ut pene nocuerit proposito, quod profuerit caritati. Nunc igitur quomodo valeo, pro me tibi litteras repraesento: et si corpore absens, amore tamen et spiritu venio:

impedio exposcens, ne nascentes amicitias, quae Christi glutino cohaeserunt, aut temporis, aut locorum magnitudo divellat; quin potius foederemus eas reciprocis epistolis. Illae inter nos currant, illae sibi obvient, illae nobiscum loquantur. Non multum perditura erit caritas, si tali secum sermone fabuletur.

2. Ruffinus autem frater, ut scribis, necdum venit; et si venerit, non multum proderit desiderio meo, cum eum jam visurus non sim. Ita enim et ille longo intervallo a me separatus est, ut huc non possit excurrere: et ego arreptae solitudinis terminis arceor, ut coeperit jam mihi non licere quod volui. Ob hoc et ego obsecro, et tu, ut petas, plurimum quaeso, ut tibi beati Rhetitii Augustodunensis Episcopi Commentarios ad describendum largiatur, in quibus Canticum Canticorum sublimi ore disseruit. Scripsit et mihi quidam de patria supradicti fratris Ruffini, Paulus senex, Tertulliani suum codicem apud eum esse, quem vehementer reposcit. Et ex hoc quaeso, ut eos libros, quos me non habere Brevis subditus edocebit, librarii manu in charta scribi jubeas. Interpretationem quoque Psalmorum Davidicorum, et prolixum valde de Synodis librum sancti Hilarii, quem ei apud Treviros manu mea ipse descripseram, ut mihi transferas peto. Nosti hoc esse animae Christianae pabulum, si in lege Domini meditetur die ac nocte (Psal. 1). Caeteros hospitio recipis, solatio foves, sumptibus juvas. Mihi si rogata praestiteris, cuncta largitus es. Et quoniam, largiente Domino, multis sacrae Bibliothecae codicibus abundamus, impera vicissim, quodcumque vis mittam. Nec putes mihi grave esse, si jubeas. Habeo alumnos,  qui Antiquariae arti serviant. Neque vero beneficium pro eo quod postulo, polliceor. Heliodorus frater mihi indicavit, te multa de Scripturis quaerere, nec invenire; aut si omnia habes, incipit sibi plus caritas vindicare, plus petere.

3. Magistrum autem pueri tui, de quo dignatus es scribere (quem plagiatorem ejus esse non dubium est), saepe Evagrius Presbyter, dum adhuc Antiochiae essem, me praesente corripuit. Cui ille respondit: Ego nihil timeo. Dicit se a Domino suo fuisse dimissum: et si vobis placet, ecce hic est, transmittite quo vultis. In hoc arbitror me non peccare, si hominem vagum non sinam longius fugere. Quapropter quia ego in hac solitudine constitutus, non possum agere quod jussisti, rogavi carissimum mihi Evagrium, ut tam tui quam mei causa instanter negotium prosequatur. Cupio te valere in Christo.
 

1 J'ai reçu votre lettre dans cette partie du désert qui tient au pays des Sarrazins du côté de la Syrie. Je n'ai pu la lire sans éprouver de nouveau un violent désir d'aller à Jérusalem, au point que ce qui avait servi à enflammer l'amitié faillit presque changer ma résolution de demeurer dans la solitude. Je vous envoie donc aujourd'hui des lettres qui tiendront auprès de vous la place que je souhaiterais y avoir. Quoique absent, mon coeur et mes pensées me reportent sans cesse auprès de vous.

Je vous en conjure, que le temps et la distance des lieux ne donnent aucune atteinte à l'amitié que Jésus-Christ vient de former entre nous, et dort il est lui-même le lien ; tâchons au contraire d'en serrer les noeuds par un commerce de lettres; faisons en sorte qu'elles soient toujours en chemin, qu'elles aillent au-devant les unes des autres, et qu'elles nous instruisent de tout ce qui nous concerne. En nous entretenant de cette manière la charité n'y perdra pas beaucoup.

2 Vous me mandez que notre frère Rufin n'est pas encore arrivé à Jérusalem; quand même il y serait, je ne pourrais pas à présent profiter de son arrivée, et je ne suis plus à même de satisfaire la passion que j'ai de le voir. Il est trop éloigné pour pouvoir venir jusqu'ici, et la profession que j'ai faite de vivre dans une étroite solitude ne me laisse plus la liberté de faire ce que je souhaite. C'est pourquoi je vous prie de lui demander de ma part les Commentaires (1) que le bienheureux Rheticius, évêque d'Autun, a faits sur le Cantique des Cantiques, qu'il a expliqué dans un sens spirituel et anagogique; j'ai dessein de les faire transcrire. Un certain vieillard, nommé Paul (2), me mande aussi que notre frère Rufin, qui est de son pays, avait son Tertullien; il le supplie très instamment de le lui renvoyer. Obligez-moi encore de me faire copier les livres qui nie manquent, et dont je vous envoie la liste au bas de cette lettre. Je vous prie aussi d'y ajouter les Commentaires de saint Hilaire sur les psaumes de David, avec son grand Traité des Synodes, que je copiai pour notre frère Rufin, lorsque j'étais à Trèves; car vous savez que la méditation continuelle de la loi de Dieu est la véritable nourriture d'une âme chrétienne. Vous avez coutume d'exercer l'hospitalité envers les autres, de les consoler dans leurs disgrâces, de les secourir clans leurs nécessités; mais si vous m'accordez ce que je vous demande, je croirai due vous aurez fait tout cela pour moi. Et comme, grâce au Seigneur, je suis riche en exemplaires de la Bible, je vous prie de me faire savoir à votre tour ceux que vous désirez due je vous envoie. Ne craignez point de m'incommoder en cela, car j'ai ici des élèves qui me servent à transcrire les livres. Au reste, je ne vous demande rien pour les services que je m'offre de vous rendre. Notre frère Héliodore m'a appris que vous avez besoin de plusieurs ouvrages sur la sainte Écriture, et que vous aviez de la peine à les trouver. Mais quand vous les auriez tous, la charité est toujours en droit de demander davantage.

3 Lorsque j'étais encore à Antioche, le prêtre Evagre fit souvent en ma présence de rudes réprimandes au maître de votre esclave, dont vous me parlez dans votre lettre. Je ne doute point qu'il ne vous l'ait enlevé. Mais il répondit toujours qu'il ne craignait rien, et que vous lui aviez donné sa liberté. «Il est ici, nous disait-il, et vous pouvez, si vous voulez, le faire conduire où il vous plaira. Je ne crois pas que ce soit un crime d'arrêter un vagabond.» Comme la vie solitaire que je mène ici ne me permet pas d'exécuter vos ordres, j'ai prié mon cher ami Evagre de se charger de cette affaire, tant à votre considération qu'à la mienne, et de n'épargner aucun soin pour la faire réussir. Je désire que vous soyez bien portant en Jésus-Christ.

(1) saint Jérôme, écrivant à Marcella, qui l'avait prié de lui faire part de ces Commentaires de Rhéticius, lui marque qu'il avait trouvé dans cet ouvrage une infinité de choses qui lui avaient déplu, et que c'est ce qui l'avait empêché de les lui envoyer. Cet évêque vivait en 314. II fut envoyé à Rome cette année-là par l'empereur Constantin pour l'affaire des Donatistes, comme saint Jérôme nous l'apprend dans cette même lettre à Marcella.

(2) C'est Paul de Concordia à qui saint Jérôme écrit.