Eznik

DOCTEUR  EZNIG,

 

REFUTATION DES DIFFÉRENTES SECTES DES PAÏENS,

LIVRE I : RÉFUTATION DES SECTES DES PAÏENS.

LIVRE II

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

REFUTATION

 

DES

DIFFÉRENTES SECTES DES PAÏENS,

DE LA RELIGION DES PERSES, DE LA RELIGION DES SAGES DE LA GRÈCE,

DE LA SECTE DE MARCION,

PAR LE   DOCTEUR  EZNIG,

Auteur arménien du cinquième siècle ;

TRADUIT   EN   FRANÇAIS

M. LE VAILLANT DE FLORIVAL,

 

Professeur à l’Ecole spéciale des langues orientales près la Bibliothèque impériale.

 

Membre de l'Académie arménienne de Saint-Lazare.

 

PARIS.

CHEZ  L'AUTEUR; A  LA  LIBRAIRIE  RELIGIEUSE  DE  LECOFFRE,

RUE DU VIEUX-COLOMBIER, 29 ;

A LA LIBRAIRIE ORIENTALE DE BOUTAREL ,

rue   jacob, 50.

1853


 

INTRODUCTION.

Philosophons pour la vie civile et non pour l'école, disait Socrate. Philosophons pour une vie meilleure, en démontrant ici-bas la vérité des grandes vérités éternelles, semble dire à chaque ligne Eznig, ce philosophe arménien du cinquième siècle, si justement célèbre parmi ses compatriotes, et malheureusement resté jusqu'ici inconnu de l'Europe, faute de traduction : malheureusement, disons-nous ; car bien que les Pères des Églises grecque et latine nous offrent de grands et parfaits modèles, nous trouverions dans les Pères de l'Église arménienne, notamment dans Eznig, de sublimes inspirations, des idées neuves et profondes, exprimées dans un style original comme elles, et souvent comme elles grandiose.

Nous n'essayerons point ici d'établir de rapprochement entre les propositions du docteur d'Hippone, surtout au sujet du libre arbitre, et celles du docteur arménien ; ce serait assurément un curieux et intéressant parallèle, que nous entreprendrons peut-être plus tard, que nous étendrons même, en comparant les ouvrages de Tertullien, d'Origène, et autres docteurs de l'Eglise avec l'ouvrage d'Eznig. Nous espérons aussi comparer Eznig avec les auteurs grecs, persans, indous, et tirer de cette comparaison la preuve que l'ouvrage d'Eznig est extrêmement précieux pour la connaissance encore si confuse du pyrisme et des anciens cultes. Mais contentons-nous aujourd'hui de citer, en le traduisant, l'article Eznig, dans le Quadro della Storia letteraria di Armenia (pages 22, 23), par feu monseigneur de Somal, archevêque de Siounik, abbé général des moines arméniens méchitaristes de Saint-Lazare :

« Eznig, surnommé Corhpatzi ou de Corhp, nom de sa patrie, fut un des disciples les plus distingués du patriarche Isaac ; il était profondément versé dans les langues arménienne, grecque, syriaque et persane. Revenu d'un long voyage qu'il avait entrepris en Mésopotamie et a Constantinople, dans l'intention de traduire les saints Pères ; il fit, en effet, plusieurs traductions, et composa l'ouvrage suivant : Réfutation des différentes sectes. Cet ouvrage est divisé en quatre livres : le premier contre les païens, le second contre les Perses pyristes ou ignicoles, le troisième contre les philosophes grecs, le quatrième contre les marcionites et les manichéens.[1] Dans ces livres, l'auteur traite heureusement, avec toute la rigueur théologique, les points les plus difficiles et les plus délicats sur la prescience de Dieu, et sur le libre arbitre de l'homme. On trouve aussi dans le cours de cet ouvrage plusieurs notions mythologiques très utiles pour bien entendre l'antiquité de la Perse, et en même temps très agréables. L'ouvrage d'Eznig fut imprimé à Smyrne en 1762, et à Venise en 1826, avec plus de correction et d'exactitude. Un recueil de préceptes moraux est joint aux deux éditions. Quant au style et a l'érudition de cet ouvrage, l'auteur est rangé parmi les classiques les plus célèbres de la littérature arménienne. »

Ainsi, nous croyons que la connaissance d'Eznig doit être utile et agréable a un grand nombre de lecteurs :— aux membres du clergé, aux orateurs chrétiens, dont il n'augmentera pas sans doute les lumières, mais a qui il fournira des images neuves et brillantes qui viendront animer, rajeunir l'éloquence de la chaire ; — aux penseurs profonds qui admireront, dans le philosophe arménien, une suite de raisonnements judicieux, sévères, et enchaînés selon toutes les règles de la logique ; — aux amis de la science archéologique, qui y puiseront des renseignements précieux sur les anciennes religions et traditions ; —aux savants de tout genre, qui, sans compter les avantages précités, pourront recueillir de la lecture d'Eznig des notions curieuses sur l'astrologie, sur plusieurs points des connaissances physiques, astronomiques, atmosphériques, en Orient, au cinquième siècle. Assurément, loin de nous de garantir la vérité de toutes les assertions de l'auteur arménien, elles sont l'expression des croyances du temps ; et aujourd'hui même que, dans l'état avancé des sciences physiques et mathématiques, on croit avoir trouvé la vérité, il est bon de connaître les erreurs mêmes du passé, ne fût ce que pour apprendre à connaître la marche de l'esprit humain. D'ailleurs, de notre traduction, nous pouvons dire ce que disait de Ségur pour l'histoire : Scribitur ad narrandum, non ad probandum.

L'ouvrage d'Eznig est plein de citations et de réminiscences bibliques, que nous avons généralement indiquées par un, se rapportant à une table ; malheureusement, il faut le dire, le docteur arménien, tout en paraissant citer le texte des Ecritures, souvent n'en exprime que le sens. Nous avons dû traduire littéralement : lors même que le texte de la Bible, mais de la bible arménienne, considérée comme une des meilleures versions, faite directement sur les Septante, est religieusement reproduit par Eznig. Ce texte diffère souvent de la Vulgate quelquefois pour (e sens même, mais plus souvent encore pour l'expression. Ainsi, la Vulgate dit, Gen. ii, 24 : Et adhaerebit uxori suae ; et, d'après le texte de la bible arménienne, il faut traduire littéralement : …Et ira après sa femme, légère différence, qui cependant peut donner lieu à divers commentaires.

Une dernière observation sur l'ouvrage qui nous occupe. Certains passages dans Eznig paraissent entachés d'idées, d'expressions techniques, et peu chastes ; mais, si l'on pense que l'auteur arménien écrivait au cinquième siècle, c'est-à-dire dans un siècle où l'on était encore habitué aux naïvetés bibliques, où telle expression, qui serait aujourd'hui le signe d'une grande impudence, pouvait alors n'être que la marque d'une grande innocence, on ne jugera pas Eznig d'après les idées du dix-neuvième siècle, où le raffinement du langage est parvenu a déguiser les choses les moins décentes. Si l'innocence de nos mœurs répond à l'innocence de notre langage, félicitons-nous d'être nés dans un siècle aussi pur ! Mais souvenons-nous, pour excuser les licences de parler d'un autre âge, que même au seizième siècle, le plus grave personnage de son temps, le sage de Thou, disait à sa belle-fille, penchée sur le balcon d'une croisée : Prenez garde que la tête n'emporte le cul, faisant ainsi allusion aux idées quelque peu folâtres de sa belle-fille. Le grave de Thou croyait-il dire une inconvenance ? Non sans doute ; il parlait le langage du temps, comme Eznig, dans l'exposition quelque peu libre de certaines opinions reçues, parlait le langage de son temps.

Simple traducteur aujourd'hui, nous serons heureux si nous pouvons revendiquer tout le mérite que comporte ce titre modeste en apparence, mais en réalité plus difficile souvent a mériter que celui d'auteur, si, par traducteur, on entend, non pas l'imitateur plus ou moins éloigné de son modèle, mais l'homme studieusement occupé de faire connaître l'auteur original tout entier, l'homme luttant sans cesse avec les difficultés du texte, sacrifiant au désir d'être utile aux élèves en leur offrant le moyen de suivre l'auteur original dans la traduction, sacrifiant a ce soin pénible le plaisir facile d'employer une locution plus française, mais plus éloignée du texte. Sans doute, cette servilité judaïque, dans la reproduction française de notre auteur arménien, ne peut donner une idée de sa diction pure, élégante, facile, souvent éloquente ; mais nous avons voulu seulement faire connaître ses pensées, et toute sa pensée. Cependant, vu la concision extrême, quoique extrêmement belle, du texte, nous avons quelquefois intercalé entre () des mots destinés à compléter le sens en français.

En lisant — Moyse de Chorène, si riche en documents historiques, — Eznig, sublime spécimen de la littérature sacrée, si féconde dans la langue arménienne, on est forcé de reconnaître qu'il y a plus de vérité que d'exagération dans ces lignes de l'abbé Villefroy : l'Arménie une fois découverte, les portes de l'Orient commencent a s'ouvrir et nous laissent entrevoir des richesses que nous n'aurions pas osé espérer, et, si nous pouvons avoir des manuscrits, on ne saurait exprimer quelles lumières nous allons recevoir, -pour les rejeter ensuite sur l'histoire de cette savante nation, et sur celle de ses voisins.

 


 

 

LE DOCTEUR

 

EZNIG GORHPATZI

 

LIVRE PREMIER.

 

RÉFUTATION DES SECTES DES PAÏENS.

 

1. Lorsque sur l'(être) invisible et son éternelle puissance l'homme vient à discourir, car (l'homme) est (créature) corporelle, il doit éclaircir son intelligence, purifier ses pensées, modérer l'agitation de ses mouvements, afin de pouvoir parvenir au but qu'il s'est proposé : car celui qui veut regarder les rayons du soleil doit écarter de ses yeux tout trouble, toute ordure, toute chassie, afin que ces (causes d') obscurités, qui formeraient rayon autour de ses paupières, ne l'empêchent pas de contempler la pureté de la lumière.

Or, comme la seule et unique essence est inexaminable, inaccessible par nature, devant sa nature inexaminable il faut faire offrande d'ignorance, et devant son essence il faut faire profession de savoir et non d'ignorance : car celui qui est doit être éternel et sans commencement ; il n'a reçu de personne commencement d'être, il n'a personne au-dessus de lui qu'on doive estimer sa cause, ou de qui on doive penser qu'il ait pris commencement d'exister ; car nul n'est avant lui, nul après lui n'est semblable à lui ; pour lui point de compagnon à son niveau, point d'essence contraire à lui, point d'existence opposée, point de nature matérielle à son usage, dont il fasse ce qu'il doit faire. Mais il est lui-même cause de tout ce qui est arrivé à être et à exister de ce qui n'est pas et de ce qui est ; comme les cieux supérieurs et ce qui est dans les cieux, les cieux apparents qui sont (composés) d'eaux, et la terre et tout ce qui est d'elle et en elle ; de lui émane tout, et lui (n'émane) de personne. Il a, selon chaque classe, donné commencement d'être aux créatures invisibles, incorporelles, et aux créatures visibles et corporelles. Comme il est capable de donner la vitalité, de même aussi il est capable de faire arriver à la connaissance de son essence incréée et de procéder à l'établissement de ses créatures, selon leurs natures. Il est admirable, non seulement parce qu'il a du néant amené à exister ce qui n'existait pas, et que de rien il a changé en quelque chose ce qui n'était pas, mais encore parce qu'il a conservé intactes, inviolables ses créatures, à qui il a tout d'abord donné sans jalousie la vitalité, pour manifester la magnificence de sa bonté.

Ce n'est pas qu'il manquerait de quelque chose, si pour cela il ménageait, à lui seul se l'appropriant, la vitalité ; il ne serait pas faible et sans force, si (même) il ne pensait qu'à la force de sa personne ; ni dénué de science, s'il conservait seulement pour lui-même la science ; ni dépourvu de sagesse, si, quand il distribue sa sagesse aux autres, quelque pensée de réserve (pour lui-même) entrait dans les esprits. Mais il est plein de vie et source de vitalité : il donne à tout la vitalité, et il reste lui-même plein d'une incessante vitalité. Il fortifie les faibles avec une grande et puissante force, et lui-même ne manque pas de la force fortifiante. Il octroie la science à tous les ignorants, et il a lui-même toute science en abondance. Il répand sur tous une sagesse intarissable, et il reste lui-même inébranlablement pourvu de la sagesse universelle.

Si les sources toujours jaillissantes qui ont été établies par son ordre, coulent sans cesse et ne tarissent pas, si de leur jet continu elles remplissent les besoins des autres, et restent elles-mêmes dans la même abondance continuelle, combien plus (riche) encore est celui qui a formé l'abondance de leur flux, lui qui est la source de bonté, lui qui a fait beau tout ce qu'il a fait, c'est-à-dire les êtres raisonnables et irraisonnables, intelligents et inintelligents, parlants et non parlants, etc. ! Aux êtres raisonnables et intelligents, entre les qualités particulières à chacun, il a assigné celle d'acquérir la bonté, et non pas la beauté ; car de la beauté il est le donateur. Quant à la bonté, il a fait le libre arbitre de l'homme cause (de cette vertu).

2. Si donc, celles des créatures qui sont belles sont réputées produites par le bon Créateur, selon quelques-uns, comme les Grecs païens, les mages et les hérétiques, qui admettent une mauvaise essence contraire à la bonne, (mauvaise essence) qu'ils appellent ὑλη, qu'on traduit : matière. Notre première et subite réponse est que, par le Créateur infiniment bon, rien de mal ne se fait. Il n'est rien, de mauvais qui soit mauvais par nature ; Dieu n'est pas créateur de mauvaises choses, mais de bonnes choses.

Or, quelles sont celles des créatures qu'ils estiment bonnes, ou quelles (sont celles) qu'ils estiment mauvaises ? car souvent celle qu'ils estimeront bonne, prise isolément, sans mélange avec sa compagne, devient nuisible, ce qui est attesté par tous en général. Le soleil est bon, mais sans le mélange de l'air, il brûle et dessèche ; de même aussi la nature humide de la lune, sans le mélange de la chaleur du soleil, est nuisible, corruptrice ; et l'air, sans l'humidité de la rosée, et sans la chaleur, est nuisible, corrupteur ; et les eaux arrosent le sol de la terre et le corrompent ; et la terre sans les eaux se déchire et se fend. Ainsi les quatre natures- (éléments) d'où résulte la composition, la constitution de ce monde, prises en particulier, sont corruptrices les unes des autres : mêlées avec leur compagne, elles deviennent utiles et profitables. Il en est bien ainsi, cela est évident, pour tous ceux qui veulent apprendre.

Il est donc quelque puissance cachée qui, de natures destructrices les unes des autres, par les mélanges a fait des natures utiles les unes aux autres. Ceux qui ont un sens droit ne doivent pas glorifier le mobile, mais bien le moteur. Ce n'est pas ceux qui marchent, mais bien celui qui les fait marcher qu'il faut admirer ; car ceux-là (les objets mus), chacun par ses changements, montrent bien qu'il est un être qui les change ainsi : le soleil, par son lever, son ascension, son coucher, et la lune par sa croissance, son plein, sa décroissance ; et les autres d'entre les créatures, chacune, selon leurs natures, par leur mouvement et leur repos. Or, il n'est pas d'un esprit sain de laisser de côté le moteur, le modificateur, pour porter culte aux objets mobiles et modifiables et leur offrir adoration ; car l'être mû et modifié n'est point l'être essentiel ; mais, ou c'est le produit de quelqu'un, de quelque chose, ou c'est un être tiré du néant. Celui qui est et meut tout n'est lui-même ni mû, ni changé ; car il est essentiel et il est immobile.

3. Il est une essence éternelle, cause de l'être de tous ; c'est ce dont témoignent ceux mêmes qui ont introduit le culte du polythéisme ; ils argumentent ainsi : Nous, disent-ils, comme nous ne sommes pas capables d'approcher de la cause de tout, de l'être infini, éternel, inaccessible, pour cela, par (l'intermédiaire d') autres êtres plus humbles, nous lui adressons un culte, et ceux, par (l'intermédiaire des) quels nous lui adressons ce culte, il faut bien aussi les honorer par des sacrifices et des offrandes.

Si, comme ils le témoignent, il est une seule cause de tout, l'être essentiel et éternel, il est évident que les autres êtres ne sont point essentiels et éternels ; et comment des êtres non essentiels, non éternels, avec l'être essentiel, avec l'être éternel, recevront-ils adoration ? Surtout des êtres corporels et apparents, comme votre soleil et votre lune, et les astres, et le feu, et l'eau, et la terre qui par les mages et les païens sont honorés.

Mais, si quelqu'un de ces gens-là dit : C'est bien ; il est une essence cause de tout, vous dites : or, s'il est une essence qui suscite, inspire tout dans tout, si rien ne lui est opposé, comment ces ministres si bons, si bienfaisants, qui ont été établis par elle (essence), comment nous ordonnez-vous de les mépriser ?

Nous dirons : Ces ministres si bons, si bienfaisants, qui ont été institués par elle (essence), nous n'ordonnons pas de les mépriser, mais nous ordonnons itérativement de ne pas offrir aux créatures le culte du Créateur ; car il n'y a de bienfaisant, de généreux que celui-là seul qui a fait tout sans parcimonie. Il conserve en vie les êtres raisonnables, invisibles, et n'est point jaloux ; je dis les anges, les âmes des hommes, les objets inanimés, chacun à leur place. Or, le soleil est bon et beau par nature, pour nous, pour toutes les créatures qui sont sous les cieux ; il est utile à la conservation, comme un flambeau dans une grande maison, allumé entre le toit et le sol, pour dissiper, écarter l'obscurité et les ténèbres des deux grands vases (ou cavités supérieures et inférieures) : mais, pour lui (soleil), s'il est, s'il n'est pas, il n'en sait rien ; car il n'est pas du nombre des êtres raisonnables et intelligents ; de même aussi des autres créatures inanimées ; et soit l'eau, soit le feu, soit la terre, soit l'air, si elles sont, si elles ne sont pas, elles ne le savent point Mais le service pour lequel elles ont été instituées, elles le remplissent incessamment, sous la direction de celui qui les a formées ; et nous, nous ne méprisons pas ces créatures, mais aussi nous ne leur rendons pas de culte ; mais, en les contemplant, nous glorifions leur auteur, leur créateur, parce qu'elles sont faites pour nos besoins et pour la gloire de leur organisateur.

Comment adorerions-nous le soleil, qui tantôt est appelé comme un serviteur à venir faire le service auquel il a été destiné, et tantôt fuit comme épouvanté et cède la place aux ténèbres pour remplir l'espace dans la grande maison (de ce monde), et de temps en temps tourne à l'obscurité pour la condamnation et la bonté de ses adorateurs ; manifestant (et disant ainsi) : je ne suis pas digne, moi, d'adoration, mais celui-là (en est digne), qui me conserve, moi, et tout le jour lumineux, celui-là qui fait poindre l'aurore ; quelquefois il obscurcit le soleil, et celui-ci, être inanimé, semble crier d'une voix sonore : je ne suis pas digne de recevoir adoration, mais de provoquer adoration (pour Dieu) ; on (comment adorer) la lune qui chaque mois dépérit et meurt presque, puis reprend commencement de vie, afin de te peindre l'exemple de la résurrection ; ou (comment adorer) l'air, qui tantôt mugit furieux à commandement, et tantôt cesse de mugir, par l'effet d'une réprimande ? Ou (comment adorer) le feu, dont l'auteur t'a fait comme le second créateur ; car, quand tu voudras, tu l'enflammeras, et quand tu voudras, tu l'empêcheras de brûler ; ou (comment adorer) la terre, que continuellement nous creusons, que nous foulons sans cesse, et dans laquelle nous versons nos ordures, les ordures de nos bêtes ; ou (comment adorer) les eaux, que sans cesse nous buvons, dont nous changeons la douceur en putridité dans notre estomac, avec lesquelles nous purifions nos souillures intérieures et extérieures ?

D'après tout cela, il est évident que ce qu'ils tiennent pour des dieux, beaucoup ne le respectent ni ne l'honorent. Bien plus, un certain tremblement, emportement, s'empare des créatures, quand on leur rend l'honneur dû au Créateur : la terre manifeste cette agitation en s'ébranlant, les astres en s'obscurcissant, les airs en s'irritant, se déchaînant, la mer par la violence de ses flots menaçants ; car, si la sévérité du Créateur ne les retenait, chacune de ces créatures pourrait, à elle seule, exterminer tous (les téméraires), afin de tirer vengeance de leurs mépris pour le Créateur ; la mer, en les cachant dans ses profondeurs, elle qui, enfermée dans une faible enceinte, ne peut pas la franchir, d'après l'ordre (du maître) ; la terre, en les engloutissant, elle, qui sur rien demeure assise ; mais il ne lui convient pas de retourner et de faire retourner ses habitants au néant ; ou le vent, par la ruine des impies, lui qui est la vitalité de tous les êtres ayant souffle, et ne peut arrêter cette vitalité sans l'ordre du gardien de la vie ; ou les airs, tantôt en soufflant le froid glacial, tantôt en apportant l'excessive chaleur ; et tout ce qui est quelque chose deviendrait rien.

Mais voici que, comme un char attelé de quatre chevaux, nous voyons ce monde traîné par la chaleur, par le froid, par la sécheresse, et par l'humidité. Une puissance cachée est le conducteur qui maintient et soumet à une paisible et uniforme allure ces quatre coursiers mutinés l'un contre l'autre. Tous les chars sont attelés de bêtes de même race, mais lui (le char du monde), est le seul qui ne soit pas attelé de bêtes homogènes. Les chars qui sont attelés de bêtes de même race, culbutent quelquefois, quelquefois les coursiers jettent leur conducteur en peine et s'arrêtent eux-mêmes. Quelquefois aussi ils causent la destruction du char. Lors même que le char est sauf, le conducteur aussi, et les coursiers bien dressés, ils ne tendent qu'à se précipiter tout droit devant eux. Mais ce char merveilleux, attelé de bêtes contraires et dissemblables, conduit par une main cachée, ne se précipite pas seulement d'un seul côté tout droit devant lui, mais il se porte de tous côtés, se précipite partout, vole sur tous les points, et suffit à tout. Quand il marche vers l'orient, il n'est rien qui l'empêche de se porter vers l'occident ; et, quand il se porte vers le nord, il n'est rien qui l'empêche de voler vers le midi ; car la main du conducteur suffit à le faire arriver de tous côtés, et à le lancer aux quatre coins de l'univers.

4. Puis, à ces véridiques assertions, ils opposent d'inconvenantes questions. D'où viennent donc, disent-ils, de telles contradictions ? car, si Dieu est créateur des bonnes et non des mauvaises choses, d'où viennent les ténèbres ? d'où viennent les maux, d'où viennent les peines, d'où viennent les angoisses, causées tantôt par le froid, tantôt par l'excessive chaleur ? ou bien d'où viennent les barbaries ? car nous voyons deux hommes, de même race, animés l'un contre l'autre ; ils ont soif de la mort et du sang l'un de l'autre. D'autres fouillent les tombeaux, et des corps qu'ils ont déterrés et dépouillés, faisant un objet de moquerie, ils les montrent à la lumière du soleil, et, ce cadavre glorifié, pour ne pas prendre la peine de le cacher, ils le jettent peut-être en pâture aux chiens. Il arrive quelquefois que l'un fuyant, ira çà et là pour sauver sa vie ; que l'autre, enflammé de colère, courant après lui avec le glaive, ne s'arrête pas jusqu'à ce qu'il assouvisse sa fureur. D'où vient donc cette insatiable fureur ? Celui-ci arrache les habits de son compagnon, et, s'il revient à la charge, il le jette hors du soleil (de la vie) ; celui-là, ayant résolu de voler les droits du mariage d'autrui, s'élance illégalement sur une couche étrangère, et ne laisse pas le droit d'être père à celui qui est époux de par les lois. Souvent des combats s'engagent où le coupable et le juste sont exterminés ensemble ; de là des morts prématurées, des maux affreux. Mais, quel besoin avons-nous de les énumérer l'un après l'autre ? Il suffit de dire brièvement d'où provient tout cela, quel est le principe, le fabricateur de ces désordres, s'il est quelque puissance mauvaise qui laisse faire tous ces désordres, et qui en soit elle-même l'auteur ; car, dire Dieu créateur de pareilles choses, est inconvenant ; de lui les maux ne tiennent pas leur existence : comment est-il possible de les croire produits par Dieu ? car Dieu est bienfaisant et créateur de ce qui est bien, rien de ce qui est mal n'approche de lui ; il ne se plaît pas dans le mal, il en fuit les actes et les artisans. Car antipathiques sont les maux à la nature (de Dieu).

C'est pourquoi ils pensent qu'il était avec lui (Dieu) quelque chose qui s'appelait ὑλη, c'est-à-dire matière, d'où il a fait toutes les créatures, qu'il a séparées avec un art et une sagesse admirables, et a ornées d'agréments. De cette matière il faut croire les maux sortis, elle (matière) qui était ineffective et informe, et dans la confusion, serpentant çà et là, allait, venait, et avait besoin de l'habile mise en œuvre de Dieu. Dieu ne la laissa pas (cette matière) continuellement s'agiter dans la confusion, mais il vint faire les créatures, et des grossièretés (de la matière) il voulut extraire de bons, d'excellents objets ; il fit, il tira de la matière, autant qu'il lui plut de faire des créatures ; tout ce qui était lie, fangeux, impropre à la création, il le laissa, et de cette lie proviennent les maux de l'humanité.

5. Réponse. — Vraiment les maux qui arrivent mettent beaucoup de personnes dans la perplexité, beaucoup d'hommes sages à ce sujet ont fait de très grandes recherches. Les uns ont voulu admettre quelque chose sans commencement avec Dieu ; les autres, à son instar, une certaine matière qu'ils appellent ὑλη, disant que d'elle il a fait les créatures. Quelques-uns ont renoncé à toute recherche, parce qu'à ces recherches il n'y a pas de fin. Mais quant à nous, il nous a fallu, par amour pour nos amis, et non pour affronter nos adversaires, d'après notre impuissance, en nous réfugiant dans les grâces de Dieu, (il nous a fallu) nous enfoncer dans la recherche des discussions ; surtout parce que, plein d'espérance, nous sommes confiant dans les bonnes et impartiales dispositions des auditeurs ; d'où il adviendra pour eux (l'avantage) d'apprendre la vérité, et pour nous (celui) de ne pas dépenser en vain nos discours ; car ce n'est pas par l'injustice que nous nous efforçons de vaincre, mais c'est par la justice que nous voulons apprendre la vérité.

Par là il est évident qu'à deux choses in créées il n'est pas possible d'être ensemble ; car là où deux êtres sont ensemble, il faut qu'il y ait quelque chose qui les sépare. Or, comment considèrent-ils Dieu ? comme étant en quelque place, en tout fou, ou dans une seule partie de ὑλη ? S'ils disent que tout Dieu est en tout &x, quelque grand qu'ils disent Dieu, ὑλη se trouve plus grand que Dieu ; car celui dans lequel est quelqu'un, celui-là dans lequel il est, se trouve plus grand que celui qui est en lui, puisqu'il a été capable de le contenir tout entier. S'ils disent que Dieu est dans quelque partie seulement de ὑλη, ainsi ὑλη se trouve mille fois plus grand que Dieu, puisqu'une partie de &x a été capable de contenir tout Dieu ; et, si Dieu n'est ni dans ὑλη, ni dans aucune partie de ὑλη, il est évident qu'il y avait quelque autre milieu entre eux deux, plus grand qu'eux deux ; et non seulement deux êtres se trouvent sans commencement, mais même trois êtres. Dieu, ὑλη, et surtout ce milieu plus grand que les deux (autres êtres).

Or, s'il était autrefois un ὑλη sans ornement, sans actualité, sans forme, et que Dieu l'ait orné ; car, de cet état mauvais, il a voulu le faire passer à un état meilleur ; donc il fut un temps où Dieu était dans des choses sans ornement, sans actualité, sans forme, et il fallait que, comme ὑλη, Dieu même s'agitât dans la confusion.

Si en tout dans ὑλη, comme ils le disent, était Dieu, quand il amena (ὑλη) à l'ornement, à l'actualité, à la forme, lui-même (Dieu) en qui pouvait-il se recueillir ? car il ne lui était pas possible de se recueillir quelque part. Est-ce que lui-même (Dieu), avec ὑλη, s'amenait aussi, lui, à l'état d'ornement, d'actualité, de forme ; car il n'y avait nulle part de lieu où se recueillir ? ce qui est de la dernière impiété.

Mais, s'ils disent que ὑλη était en Dieu, d'après cela il faudrait s'enquérir comment (y avait-il) séparation d'avec lui, comme les brutes au milieu de l'air, lesquelles sont dans l'air et séparées de l'air, ou bien (était-ce) en un lieu (fixe) comme les eaux dans la terre ?

Υλη, disent-ils, était impropre, sans ornement, sans actualité, mauvais ; si, selon leurs pensées, il en est ainsi, donc le lieu des maux était Dieu ; car les choses monstrueuses, sans ornement, étaient en lui ; ce qui est une injustice inouïe, penser que Dieu fut autrefois le réceptacle des maux, puis le créateur des maux ! De plus, il était inséparable même, s'il était là comme en un lieu fixe.

6. Maintenant il faut en venir aux causes des maux, et montrer d'où proviennent les maux, que Dieu n'est pas cause des maux, par cela même qu'ils mettent ὑλη auprès de lui. Or, quel ὑλη mettent-ils entre les mains de Dieu ? N'est-ce pas le ὑλη d'où il a tiré, fait le monde ? qui était sans forme, sans ornement, sans actualité ; car nous voyons ce monde (arriver) à différentes formes, aux ornements, aux actualités ; donc des formes, des ornements, des actualités, le créateur est Dieu, et (il ne l'est pas) des natures. Mais, si c'est l'œuvre du Créateur de faire les natures, et non pas seulement les ornements, les actualités et les formes, il est évident qu'il est superflu de penser que d'une matière quelconque présente avec lui, Dieu a fait ce monde, mais (il l'a fait) de rien et de ce qui n'existait pas. Il y a plus, nous voyons les hommes qui, de ce qui n'existe pas, font quelque chose ; ainsi vos constructeurs, non pas (avec) des villes font des villes, ni (avec) des temples des temples. Comme ils ne peuvent absolument de rien faire quelque chose, les pierres qu'ils disposent en bâtiments ne s'appellent plus pierres, mais villes ou temples ; car cette ville, ce temple, est l'œuvre, non pas de la nature, mais de l'art qui, (lui, est) dans la nature ; et l'art ne reçoit d'aucun objet, là présent, qui soit dans la nature, la connaissance de l'art, mais (il la reçoit) des accidents qui arrivent dans les natures mêmes. Car ce n'est pas à l'état personnel, issu (d'êtres) personnels, qu'il est possible de montrer l'art, mais (produit) d'accidents qui arrivent. Comme de la forge (procède) le forgeron, de la menuiserie le menuisier ; car l'homme antérieurement à l'art existe ; mais l'art n'est pas, si avant l'homme n'est pas. D'où il faut dire que l'art n'est par rien approprié aux hommes. S'il en est ainsi pour les hommes, combien plus encore est-il convenable de penser de Dieu, que non seulement des actualités, des ornements, des formes, il est le créateur, mais que de rien il est capable de faire les natures, et non pas qu'il est une matière effective, d'où Dieu (a tiré et) extrait le bien en un tas, et le mal fangeux en un autre tas, d'où ce qui est fangeux s'efforce de troubler ce qui est clair.

7. Les maux qui arrivent, d'où viennent-ils ?

Nous demanderons aussi, nous : Les maux qui arrivent sont-ils personnes ou produits de personnes ?

Ils disent : Il est à propos de penser que (les maux) sont produits de personnes.

Et ὑλη, qu'ils disent improductif, informe ; comment improductif, informe pourrait-il faire naître des produits dans les autres, si ce n'est que les maux arrivent d'accidents, et non de lui ; car l'assassinat n'est pas une personne, et la fornication n'est pas une personne, ni les autres maux l'un après l'autre. Mais, comme de la science s'appelle le savant, de l'art l'artiste, de la médecine le médecin, non pas que ce soit des personnes, mais des choses dont on tire les noms, de même aussi les maux des accidents prennent leur dénomination.

S'ils imaginent un autre instigateur, promoteur qui jette les maux dans l'esprit des hommes, et de l'acte qu'il fait prend le nom de méchanceté. Mais il faut savoir que ce que fait quelqu'un n'est pas ce quelqu'un lui-même ; comme le potier, quand il fait des vases, n'est pas lui-même vase ; mais il est fabricant des vases, d'où il prend la dénomination de son métier ; de même aussi le malfaiteur, de l'action de faire le mal, prend le nom de méchanceté, qu'il soit fornicateur ou assassin. Donc, avec raison, les hommes sont dits auteurs des maux ; car ils sont eux-mêmes les causes du faire et du ne pas faire ; et les maux, nous ne devons pas les appeler personnes, mais produits de personnes, et mauvais (produits). S'ils demeurent dans cette stupidité, (en pensant) que, justement sans actualité, sans forme était 4x, et que Dieu l'a amené à l'ornement, aux formes, aux produits, donc ils supposent Dieu cause des maux. Mieux serait qu'un pareil objet fût resté informe, improductif, que d'arriver aux produits, aux formes, et de devenir la cause des maux des autres ; car, que peut être un individu qui serait, s'il était informe ? Il y a plus, dire informe, montre évidemment (qu'il s'agit) d'objets ayant forme. Or, s'il était quelque chose ayant personnalité, forme, il est superflu d'en dire créateur, Dieu.

Mais par cela même, disent-ils, que de la non actualité, et de l'état-monstre (Dieu) a fait passer (cette chose) à l'état d'ornement, de forme, avec raison il est appelé créateur.

Ceci ressemble à cela. Quand, (avec) des pierres quelqu'un fait des constructions, de l'appropriation, de la disposition seulement il est créateur, et non de la nature même. Or, pour quel objet donc Dieu a-t-il fait l'informe, pour un état meilleur ou pour un état pire ? S'ils disent pour un état meilleur, alors, quant aux maux qui arrivent, ils doivent chercher d'où ils viennent ? Donc ces produits ne sont point restés tels comme ils étaient, mais, parce qu'ils ont été convertis à un état meilleur, meilleurs seulement ils paraîtront ; mais, s'ils ont tourné à un état pire, ils peuvent (les païens) dire que Dieu est cause des maux, puisque lui-même avait converti ces produits à un état meilleur.

Mais ils disent que. Dieu a séparé (ce qui était) clair en un côté, d'où il a fait les créatures, et a laissé (ce qui était) fange.

Nous dirons : Puisque Dieu pouvait éclaircir ce (mélange impur), supprimer même les maux, et qu'il n'a pas voulu les supprimer, donc il faut le dire cause des maux ; car d'une moitié (de la matière) il a fait les bonnes créatures, et a laissé l'autre moitié telle quelle devenir (un moyen de) corruption pour les bonnes créatures. Si quelqu'un examine avec vérité tes choses, il trouve ὑλη tombé dans un péril plus immense que (celui de) la première confusion ; car, avant le triage et la conscience des dangers des maux, ὑλη était dans la tranquillité et l'insouciance, et maintenant, par suite de la perception acquise des maux, il se trouve dans le trouble et la perplexité. Si tu veux, prends exemple de l'homme même ; car, avant de prendre forme et de devenir vivant, (l'homme) était non participant des maux, et, quand il vient à l'état d'homme, alors il est porté aux maux par son propre libre arbitre ; de même aussi, (par suite) de bonté, ce qu'ils disent émaner de Dieu, ὑλη, se trouve arrivé à un état pire.

Mais, si Dieu, par son impuissance à supprimer les maux, les a laissés tels quels ; par là même, ils imputent l'impuissance à Dieu, qu'il soit impuissant par nature, ou que, par crainte, il ait été vaincu par un autre être plus fort que lui : s'ils disent (Dieu) en proie à l'appréhension, vaincu par un être plus grand que lui, il faut qu'ils admettent les maux juges tyranniques des volontés de Dieu ; et pourquoi, selon leurs raisonnements, les maux ne seraient-ils pas dieux, eux qui peuvent vaincre Dieu ?

8. Puis encore nous demanderons, au sujet de ὑλη : Est-ce une nature simple ou (formée) par agrégation ? car les différentes factures des choses nous amènent à un pareil examen ; car, si nature simple était ὑλη et d'une seule forme, (comme) ce monde est établi, composé d'agrégations, de différentes natures et de mélanges, il est impossible de dire qu'il soit matériel ; parce qu'il n'est pas possible aux agrégations d'avoir, (de tirer) leur constitution d'une nature simple, car les agrégations s'adjoignent, (se forment) de natures simples (réunies).

Si de natures simples (ὑλη) a été joint (composé), il fut donc un temps où ὑλη n'était pas là, puisque, par l'adjonction des natures simples, ὑλη fut : d'où (il suit que) ὑλη paraît créé et non pas incréé ; car, si par agrégation était ὑλη, (comme) les agrégations tirent leur personnalité des natures simples, il fut donc un temps où n'était pas même ὑλη, avant qu'il ait surgi des (natures) simples entre elles, et, s'il ne fut pas un temps où ὑλη n'était pas, donc il n'exista pas un temps où ὑλη n'était pas incréé ; car, si Dieu était encore et les natures simples aussi incréées, d'où ὑλη (sortit agrégé), il est évident qu'il n'y avait pas seulement deux êtres incréés, mais cinq.

Et maintenant voyons, étaient-elles en harmonie les unes avec les autres ces natures, d'où ὑλη (sortit) agrégé, ou étaient-elles contraires les unes aux autres ? Or, voici que nous voyons ces natures contraires les unes aux autres ; car opposé au feu est l'eau, à la lumière l'obscurité, au froid le chaud, à la sécheresse l'humidité. Contraire et nuisible à soi-même n'est pas (chacune de ces natures), mais bien à sa compagne. De là il est évident que (ces natures) ne sont pas (nées) d'une seule matière, et qu'une seule matière ne provient pas de quatre (natures) contraires ; ainsi, quand advint la matière, ce n'est pas à elle-même qu'elle fut opposée, mais à sa compagne, comme le blanc au noir, le doux à l'amer.

9. Maintenant donc, laissant la question ὑλη, qu'ils appellent matière de tout, arrivons à la question des maux, qu'ils estiment émanés de ὑλη; car, quand les maux seront évidemment démontrés n'être pas à l'état de personnes, de là ûx est aussi convaincu n'avoir jamais été, ni nature à l'état de personne.

Maintenant, au sujet des maux de l'humanité, nous demanderons : Ces maux sont-ils produits de personnes, ou sont-ils personnes ? car tous les mouvements qui ont lieu dans le corps et dans l'esprit, on ne peut dire que ce soit l'homme, mais mouvements volontaires ; car l'homme est à l'état de personne, et les maux ne sont pas à l'état de personnes, comme l'assassinat, la fornication, qui sont le fait de ses mœurs.

Or, si ces actes sont créatures à l'état de personnes, il faut aussi, quant à la cause qu'ils admettent, l'estimer créature à l'état de personne ; car celui, dont une partie est créature, il est évident que celui-là est entièrement créature, et celui, dont une partie n'est pas créature, il est évident que lui-même n'est point du tout créature : donc il fut un temps où il n'y avait pas de créateur entier, avant que Dieu eût fait l'homme, d'où proviennent les maux ; car, de la partie des maux l'homme se trouve créateur ; de là, il est évident que même des maux le créateur propre est Dieu : qu'il n'arrive jamais de dire que Dieu soit la cause des maux ! mais (la cause) est celui qui, par sa propre volonté, commettra l'acte de ces maux ; et, à celui par qui le mal est fait, justement est applique le nom de méchanceté, comme précédemment nous l'avons dit.

10. Maintenant, arrivons à l'examen même des choses, afin que, quand avec précision les assauts auront lieu, ils déploient facilement la manifestation de leurs arguments.

Or, diront-ils Dieu bon et bienfaisant ? Il faut qu'ils le disent bon et bienfaisant, qu'aucune méchanceté n'approche de lui ; et, s'il en est ainsi, d'abord au sujet de la fornication et de la luxure, nous demanderons, puis au sujet d'autres pareils (excès) : Si par l'ordre de Dieu se commettaient ces maux, pourquoi des artisans de ces maux (Dieu) tire-t-il vengeance ? mais par cela même que selon ces actes méchants il tire vengeance, il est évident qu'il n'agrée pas les maux, mais qu'il les hait et qu'il lance des punitions rigoureuses sur leurs auteurs, par qui, selon leur stupidité, les admonitions de Dieu sont estimées fléaux. Comme même encore à présent les meurtriers, quand ils arrivent au châtiment, n'appellent pas bienfaisants, mais malfaisants ceux qui leur infligent ces châtiments ; car telle est la manière des malfaiteurs : ce qui est justice ils l'appellent injustice. Pour qu'il ne nous arrive point de dire rien de semblable, estimons les maux non pas (êtres) personnels, mais produits de la volonté.

La luxure et la fornication arrivent par l'approche intime de l'homme et de la femme. Si un homme marié légitimement a commerce avec sa femme pour la filiation et la génération, bien est ce commerce ; mais, si un homme, laissant sa propre femme, ravit le mariage d'un autre, il fait acte de méchanceté ; et, quoique le commerce soit le même, l'exemple de ce commerce n'est pas le même ; car l'un est père légitime des enfants, et l'autre voleur (de paternité). Mêmes raisonnements aussi au sujet de la luxure ; si, pour la filiation, un homme s'approche de sa femme, c'est juste ; mais si, par concupiscence, il convoite (et cherche) ailleurs des plaisirs charnels, c'est là une grande iniquité. Il est évident que les choses deviennent mauvaises, alors que le besoin (et l'usage) n'en est pas consacré par les lois.

Touchant le meurtre, encore même discours. Quand quelqu'un tuera un homme surpris en adultère, faisant tomber sur lui le coup fatal à cause de son audace, il ne fait aucun mal ; mais, si quelqu'un tue un homme innocent, qui ne lui aura rien fait de répréhensible, (s'il le tue) ou pour ravir son bien, ou pour morceler sa propriété, il commet une méchanceté. L'acte est le même des deux côtés, mais l'exemple n'est pas le même.

Pour ce qui est de prendre quelque chose, mêmes raisonnements. Celui qui prendra d'un maître quelque présent ou quelque cadeau d'un ami, ne fait rien de mal ; mais celui qui violemment enlèvera quelque chose à un pauvre, fait acte de méchanceté. L'action de prendre de ces deux hommes est la même, mais l'exemple n'est pas le même.

De même aussi, pour le culte divin, par l'exemple se démontre le mal. Si c'est le vrai Dieu qu'un homme honore, il fait une action excellente ; mais si, ayant laissé le vrai (Dieu), aux pierres et aux bois comme (si c'était) à Dieu, il offre un culte, il fait un mal inouï ; car il a tourné à des choses inconvenantes l'exemple de ses devoirs. Si un homme fait une image, non pas pour l'amour d'un ami qui, par (l'effet de) la mort, a disparu de ses yeux, ou pour montrer son talent ; mais (si), prenant (cette image) pour objet de culte, il l'adore comme Dieu, (cet homme) fait acte de méchanceté.

Ainsi, dans la disposition de certaines choses, l'intention de l'ouvrier fait le mal ; comme le fer, tantôt au bien est employé, et tantôt au mal ; car, si un homme le fait pieu, faux, serpe, à de bonnes choses le fer a été employé ; mais si un homme le fait glaive, lance, javelot ou autre arme, qui soit nuisible à l'humanité, (cet homme) fait une œuvre de méchanceté. La cause du mal est donc l'ouvrier, et non pas le fer.

11. Or, les hommes, disent (les païens), auront-ils d'eux-mêmes ces mouvements, ou (ces mouvements) leur viennent-ils de Dieu ? ou y aurait-il quelque autre (être) qui les provoquât dans les hommes ?

Que de Dieu émanent ces effets dans les hommes, cela ne paraît pas convenable à dire. Mais avoir le libre arbitre fut le propre du premier homme créé par Dieu, et de lui (premier homme) ses successeurs l'ont hérité. Or, l'homme, ayant reçu le libre arbitre, à qui il veut se soumet ; ce qui est une grande faveur octroyée à l'homme par Dieu ; car toute autre (créature) est forcément soumise aux ordres divins. Si tu parles des cieux, ils demeurent fixes et ne remuent pas de la place à eux assignée ; si du soleil tu veux parler, il accomplit le mouvement à lui imprimé, et ne peut s'écarter de sa marche ; mais forcément il obéit à l'ordre de son seigneur ; de même aussi, nous voyons la terre solidifiée. Elle porte (en elle) l'ordre du maître, et tous les autres êtres du même genre sont soumis aux ordres du Créateur, et ne peuvent faire autre chose que ce à quoi ils ont été destinés. C'est pourquoi nous les louons d'observer ainsi les ordres (qu'ils ont reçus).

Mais l'homme, ayant reçu le libre arbitre, à qui il veut s'assujettit. Il n'est ni contraint par la nécessité de la nature, ni arrêté par cette puissance qui lui a été donnée pour le bien ; mais par son obéissance seulement il trouve avantage et profit, et par la désobéissance dommage ; et cela, non pas pour le malheur de l'homme, disons-nous, mais pour son plus grand bien ; car, s'il était comme un individu des autres natures, qui forcément servent Dieu, il ne serait pas digne de recevoir le prix dû à son action volontaire, mais il serait comme un instrument du Créateur. Quoique le Créateur le poussât au mal ou au bien, ni le blâme ne lui serait (dû) ni la louange ; mais la cause serait celui-là qui l'aurait poussé. De plus, l'homme dès lors ne connaîtrait rien de mieux ; car il ne serait capable de rien autre chose que de ce à quoi il aurait été approprié. Mais Dieu a voulu honorer ainsi l'homme, que pour qu'il devienne instruit du bien, il lui a donné le libre arbitre, à l'aide duquel l'homme puisse faire ce qu'il voudra, et (Dieu) l'avertit de faire tourner au bien ce libre arbitre.

Comme un père, quand il engage son fils, afin qu'il puisse apprendre quelque science, à ne pas se relâcher de ses études, il le presse de progresser dans le bien, parce qu'il sait que (son fils) peut faire des progrès, il exige de lui application à l'étude à laquelle il a été destiné ; de même aussi il faut penser de Dieu, qu'il dispose l'homme à écouter ses ordres. Mais, quant au pouvoir de faire ce qu'il veut, Dieu ne lui retire pas ce pouvoir, par lequel l'homme puisse obéir ou désobéir aux ordres de Dieu. Mais il engage et dispose l'homme à désirer ce qui est bien, afin qu'il puisse devenir digne des grands bienfaits (de Dieu) s'il obéit à Dieu ; mais de manière qu'il ait le pouvoir de ne pas obéir ; car ce n'est pas inconsidérément que Dieu a voulu octroyer à l'homme ce présent, qui est l'éternelle indestructibilité. Or, il serait inconsidéré de donner un pareil présent à celui qui n'aurait pas le pouvoir des deux actes, (savoir) d'obéir à ce que Dieu voudrait, et de ne pas obéir à ce que (Dieu) n'agréerait pas ; mais cela est juste, quand l'homme reçoit le digne prix de ce qu'il a fait.

Comment apparaîtrait le choix des actes, si l'homme n'avait pas le pouvoir des deux partis : obéir et ne pas obéir ? Il est donc évident que l'homme a été créé libre de faire le bien ou de se porter au mal ; non pas qu'il y eût devant lui quelque mal auquel il dût se porter, mais il y avait seulement devant lui le choix : obéir à Dieu ou lui désobéir, fuit que l'homme comprenait être seulement la cause du mal ; car le premier homme créé reçut un ordre de Dieu, et, n'ayant point obéi à cet ordre divin, il se porta au mal ; de là vint le commencement des maux.

D'où (il suit que) personne ne peut montrer le mal comme être incréé et personnel ; du Créateur il n'émane point, mais il est arrivé par l'audace de l'homme rebelle, et provoqué par la doctrine de quelqu'un ; car tel n'a pas été constitué l'homme naturellement : personne ne peut prouver cela. Si l'homme avait reçu (en partage) une telle nature ; donc, d'après sa nature créée, la doctrine des livres divins ne lui eût point été offerte ; comme dit quelque part le langage divin, dès l'enfance, l'homme s'est adonné aux soins du mal, pour montrer que, celui qui s'adonne (au mal), s'y adonne volontairement et non par (force), par la tyrannie de quelqu'un.

Donc, l'impudence seule qui, en dehors des volontés de Dieu, se commet, doit être estimée cause des maux. Il ne faut pas compter d'autre docteur caché, instigateur, tyran, qui ait voulu dépouiller l'homme de ses perfections. Si donc ils veulent scruter encore la cause, qu'ils estiment donc l'envie qui vint chez l'homme cause (véritable) ; et si, touchant cette envie, ils examinent attentivement d'où elle advint, nous dirons qu'elle vint du surcroît d'honneur rendu à l'homme ; car seul, l'homme, selon l'image et la ressemblance de Dieu fut fait. Or, si par cela même ils veulent dire Dieu cause des maux, ils tombent en dehors de (toute) pensée judicieuse. Si Dieu avait soustrait quelque chose de lui, et l'eût donné à l'homme, peut-être justement, comme cause des maux, serait-il regardé, lui, donateur ? mais, si, tel qu'il était, Dieu s'est conservé, s'il a voulu faire l'homme ainsi, la cause des maux, c'est l'envieux ; car, quand un homme a dix esclaves, et qu'il retient l'un dans l'esclavage, inscrit l'autre comme fils adoptif, si celui-là se ruant sur celui-ci, le tue ; est-ce que, comme cause du mal, il faut regarder le maître, lui qui n'a rien soustrait à l'un de ses esclaves, mais a donné à l'autre (esclave) ?

12. Mais ils demandent encore cela : S'il n'y avait aucun mal présent, d'où (vient que) le serpent, que vous appelez Satan, a pressenti les circonstances du mal ?

Nous disons que Satan, dans sa méchanceté, a pressenti la révolte de l'homme contre Dieu : pour cela même, il a disposé l'homme ; comme, lorsque quelqu'un a un ennemi (qui), cachant son inimitié, veut secrètement lui nuire ; quoiqu'il ne sache point les (moyens) et circonstances pour pouvoir nuire, il tourne, il s'ingère à chercher (tous) les moyens ; puis, ayant trouvé le temps (propice), quand un des médecins de son ennemi lui donnera ordre de ne pas toucher à telle chose, de ne pas goûter de tel aliment, afin de pouvoir ainsi arriver à la santé, celui-là (le perfide) ayant entendu (la prescription), avec la feinte apparence de l'amitié, blâmera le médecin, fera, par ses insinuations, regarder comme nuisibles ses salutaires prescriptions, donnera des ordonnances contraires à celles du médecin, et par là fera toit au malade. Ce n'est pas que, précédemment, (cet ennemi) sût les circonstances (ou moyens) de pouvoir nuire ; mais, d'après l'ordonnance du médecin, ayant trouvé ces moyens, il devint nuisible ; de même aussi on pense à l'égard de Satan, qu'il était jaloux du premier homme créé, mais qu'il ne savait pas les circonstances (ou moyens) pour pouvoir nuire ; car il n'y avait là présent rien de mal, d'où il pût prendre (tirer la connaissance de ces) circonstances. Instruit d'après l'ordre de Dieu qui fut donné à l'homme, pour l'empêcher de manger (du fruit) d'une plante mortifère, (Satan) proposa à l'homme (son perfide conseil). Ce n'est pas que cette plante fût inutile à l'alimentation de l'homme, ni nuisible par sa nature, et que pour cela l'homme fût empêché d'en goûter ; mais la désobéissance (de l'homme) fut cause de sa mort, comme (il arrive) au prévaricateur qui transgresse l'ordre du maître qui lui aura été imposé.

Or, l'ennemi de l'homme l'a porté à transgresser l'ordre de Dieu, non pas qu'il sût pertinemment si par là il pouvait faire quelque tort à l'homme ; mais il restait dans l'incertitude s'il en serait ou n'en serait pas (ainsi). Puis, après l'arrêt de Dieu qui advint contre l'homme, à cause de sa transgression, (Satan) comprit que les ordres de Dieu causaient sa mort, et que, justement, ils étaient punis, lui et l'homme qu'il avait entraîné à la rébellion, à goûter (du fruit) de l'arbre qui, non mortifère par nature, mais d'après les menaces de Dieu, devint cause de ces événements.

Comme nous ne pouvons inculper un médecin pour avoir prédit d'avance de quelle manière un homme pourra revenir à la santé (si) celui-là (le malade), laissant décote les ordonnances du médecin, écoute l'ennemi qui donnera des conseils nuisibles ; ainsi, la cause du dommage, il ne faut pas la croire le fait du médecin qui, précédemment, avait annoncé (le contraire), mais le fait de l'ennemi qui, d'après la prescription du médecin, a trouvé (les moyens de) nuire ; de même aussi de Satan nous disons : étant ennemi des hommes, il ne savait pas les circonstances des maux ; mais, avisé d'après l'ordre de Dieu, il voulut nuire à l'homme afin que (l'homme) si, sans la volonté de Dieu, goûtait du fruit de l'arbre, reçût pour punition la mort ; car, si précédemment Dieu n'avait pas averti l'homme de ne pas manger de la nourriture de cet arbre, et que l'homme non sciemment en eût mangé, il n'y eût pas eu pour lui peine de mort ; ou, comme si, sans le savoir, il en eût mangé, ou bien encore, pour ne pas s'abstenir du fruit de l'arbre, il n'aurait pas été passible de punition ; car l'enfant qui, nourri jusqu'alors de lait, se jette sur quelque autre aliment, ne doit pas être puni, mais empêché, vu que, par l'absence du lait, il s'est porté à cet acte. De plus le serpent, qui est Satan, a été justement puni à cause de son inimitié implacable pour l'homme.

Donc, le commencement des maux est la jalousie, disons-nous, jalousie conçue surtout à cause des grands honneurs accordés à l'homme, et les maux proviennent de sa désobéissance ; car Dieu honora ainsi l'homme magnifiquement, et (l'homme) se révoltant, rejeta les ordres de Dieu ; d'où (il suit que) tout le mal qui arrive n'est pas mal par nature, nous le savons, mais, parce que sans la volonté de Dieu se font certaines choses, elles deviennent mal.

De plus, comme Satan provenait de Dieu, il savait que, si quelqu'un n'obéit pas à Dieu, c'est mal, et non pas bien ; car c'eût été une créature privée de sens par Dieu, s'il n'eût pas su que, ce qui selon la volonté de Dieu se fait, est bien, et que ce qui hors de sa volonté arrive, est mal ; et, pour cela, justement Dieu tourmente (Satan), parce que (Satan) connaît le bien et ne le fait pas. Il est instruit du mal et ne le fuit pas. Dieu ne l'a constitué ni mauvais, ni malfaisant, ni tentateur, lors même que, par son moyen, il purifie les justes éprouvés (par te tentation). (Satan) ne s'est donc pas trouvé mauvais de lui-même, ni être incréé et opposé à Dieu ; mais, fait intelligent par Dieu, pourvu (des moyens) de savoir qu'il est mal de résister à l'ordre de Dieu ; et son action de se porter à ce qu'il savait être mal, nous l'appelons révolte, impudence, non pas que cette impudence soit à l'état de personne et comme un être précédemment trouvé, venu à la connaissance de Satan ; mais ce fut comme quelque chose résultant des accidents de sa volonté.

De plus, au sujet de l'homme, justement, disons-nous, il subit le fatal arrêt pour ce qu'il fait ; car il va volontairement chercher l'enseignement des choses dont, quand il voudra, il peut s'abstenir ; car il a la puissance de vouloir et de ne pas vouloir ce après quoi il court, ainsi que le pouvoir de faire ce qu'il veut.

13. Puisque, disent-ils, vous ne voulez pas dire Dieu créateur des maux, mais (vous voulez qu'ils émanent) des hommes, à l'instigation de Satan, (par son influence) sur eux, qui lui obéissent et qu'il a trompés, alors les hommes subissent une juste punition ; car ils pouvaient couper, rejeter loin d'eux les maux, et ils ne l'ont pas voulu. Maintenant, au sujet même de Satan, nous demanderons : Dieu l'a-t-il fait tel (qu'il est) ? s'il n'était pas tel (qu'il est), Dieu l'a-t-il disposé à malfaire ?

Si tel (qu'il est) l'avait fait Dieu, il ne devrait pas tirer punition (de Satan), parce que (Satan) a conservé la condition de la nature dans laquelle l'a fait Dieu. Quiconque, non par l'effet de sa volonté, commet quelque acte, ne doit pas pour cet acte subir punition. Mais quiconque volontairement peut agir, et commet un acte de perversité, justement est puni, parce qu'il ne s'est pas arrêté à ce que Dieu veut. Si donc (Satan) a été fait bien par Dieu, et que de lui-même il ait tourné sa volonté au mal, en s'éloignant du bien, c'est avec justice que punition est tirée (de Satan) pour les actes qu'il a osé commettre ; car Satan, nous le savons, nous, n'a pas été fait Satan par Dieu ; mais ce nom de Satan, il l'a reçu comme son propre nom, à cause de son égarement ; car Satan, d'après la langue des Hébreux et des Syriens, se traduit par : égaré ; mais une certaine force pour le bien lui a été constituée par Dieu ; et Satan, animé de haine contre l'homme, s'est fait volontairement son tentateur. Ayant laissé la soumission due à Dieu, il commença à lui désobéir, à enseigner aux hommes à résister aux ordres de Dieu ; et, comme un rebelle, (Satan) se tint éloigné de Dieu ; (c'est ce que) témoigne le langage divin, qui l'appelle dragon (en disant que :) par ordre, il a tué le dragon révolté. Juste est cette parole. Dieu a tué le dragon, par cela même qu'il a donné le pouvoir de le fouler aux pieds. Révolté, ainsi l'appelle l'Ecriture. Si tel qu'il a été fait par Dieu, il était resté, (l'Ecriture) ne l'appellerait pas révolté ; car, quiconque se révolte laisse de côté son engagement, par quoi il montre qu'il n'est pas incréé ; car s'il était incréé, il ne changerait rien à sa nature d'être ; car il est impossible à la nature de quelqu'un, sans sa volonté, d'être tantôt bonne, tantôt mauvaise.

14. Or, si (Satan) n'était pas incréé, disent-ils, selon votre Satan à vous, si tel il n'était pas fait par Dieu, il s'est donc de lui-même détourné du bien vers le mal, c'est-à-dire de l'obéissance à la désobéissance ; vous avez dit cela. Dieu savait-il si (Satan) deviendrait ainsi (rebelle), ou ne le pas ? Si (Dieu) le savait, et fit (Satan) ; Dieu lui-même est cause de la malversation (de Satan). Si Dieu ne le savait pas, comment a-t-il fait cet être, ne sachant pas quel il deviendrait ?

Imputer l'ignorance à Dieu, c'est là une incroyable folie, car seul il a la prescience de l'avenir. Mais, comme bienfaisante essence est Dieu, il n'a pas voulu cacher sa suprême grandeur. C'est pourquoi d'avance il savait que Satan s'égarerait, et disposerait les hommes à ne pas écouter ses ordres, et Dieu, pour laisser se manifester le libre arbitre de l'homme, fit Satan, afin que la surabondance de sa bonté devint évidente aux hommes, à cause du pardon fait aux hommes de leurs péchés antérieurement commis ; car, quand ils verront Satan tomber dans l'impiété, et non exterminé, au sujet même de leurs péchés, ils comprendront qu'il est un moyen de pardon par la pénitence, afin que la bonté de Dieu se manifeste, et que les hommes reconnaissent sa grâce ; car, s'il n'en avait pas été ainsi, on n'aurait point été instruit de la bonté de Dieu.

Dieu, disent-ils, après que Satan se fut égaré et eut trompé les hommes, pourquoi ne l'a-t-il donc pas exterminé, pour l'empêcher de faire périr une foule (de victimes) ?

Ce n'est pas que Dieu ne fût assez puissant pour exterminer Satan ; car il n'y a point du tout impuissance en Dieu ; mais c'est que ce n'eût pas été une grande affaire pour Dieu de tuer lui-même Satan, et de faire retourner au néant une de ses infimes créatures ; (Dieu ne voulait) pas qu'on pensât que, pour ne pas endurer la méchanceté de Satan, il l'eût tué. Secondement, c'est que, inconnue serait (restée) pour les hommes à venir la bonté de Dieu, si d'avance il eût tué Satan ; car personne n'aurait eu (alors) de signe (certain) pour appeler Dieu bienfaisant ; mais peut-être fût-elle entrée (dans l'esprit des hommes) cette pensée que Satan était un être égal à Dieu, et que Dieu (pour cela) s'était hâté de l'exterminer. C'est pourquoi Dieu l'a conservé et ne l'a point exterminé, afin que les hommes, quand ils seront instruits de ce qui est bien, puissent vaincre Satan, contrairement à ceux qui, en premier, ont été vaincus par Satan.

Ce qui est encore plus grand, plus étonnant, c'est que l'homme de Dieu, armé du secours de Dieu, après avoir combattu, vaincra Satan. Comme un maître d'armes, de tous les moyens et coups possibles s'étant ingénié à instruire ses élèves, pour montrer tous les accidents et circonstances des combats, afin qu'ils puissent vaincre leurs adversaires, enverra (ses élèves) s'escrimer contre ces adversaires, les avertissant de bien faire attention à la victoire, au point même de mépriser la vie ; car il vaut mieux que, pour (la gloire de) leur nom ils meurent, que de demeurer en vie et d'être déshonorés. Ceux-ci (les élèves), gravant dans leur esprit la recommandation du maître, et les avantages de la victoire, remporteront sur leurs adversaires, tout couronnés arriveront près du maître ; et, comme signe de leur (heureuse) lutte contre leurs dits adversaires, à leur maître apporteront leur couronne. Mais, si (ces élèves) n'ont point gravé dans leur esprit les leçons du maître d'armes, ils ne peuvent point aspirer à la victoire et aux couronnes ; ils sont abattus, déshonorés par leurs adversaires. A bon droit désormais ils sont insultés, tourmentés, et la mort même pour peine de leur lâcheté ils ont à subir.

De même aussi il faut comprendre, touchant Dieu, que par ses commandements il conduit bien les hommes, pour couronner le vainqueur et faire (rougir) de honte le lâche. Si un homme compte pour rien les commandements de Dieu, quand (cet homme) luttera et combattra contre le tentateur, il sera promptement défait ; car il n'a pas le signe de la victoire ; et (c'est) justement (qu'il) subit la peine d'un pareil coup, parce qu'il n'a pas ressemblé à son compagnon qui a lutté et vaincu.

Ainsi, pour cela, Dieu a laissé (vivre) Satan comme (pour servir) aux exercices des luttes du monde, afin que, quand les champions (de Dieu) lutteront et vaincront Satan, la gloire de la première victoire (de Satan) soit brisée par ces hommes d'à présent, qui, par l'effet de leur grand désir du bien, auront défait (Satan), et le signe de la victoire, ils l'érigeront comme signe de leurs glorieux exploits ; car jeté, foulé sous nos pieds, Satan abattu succombe et meurt ; il est terrassé par l'effet de notre passion pour le bien, et livré à une défaite (complète).

15. Or, après acquiescement à tout cela, les insensés, ils mettent en avant la même chose. Par nature sont les maux, disent-ils, et non produits de la volonté.

Nous disons : Si par nature sont (les maux), pourquoi des lois sont-elles établies par les rois, des rigueurs par les princes, des punitions par les juges ? N'est-ce pas pour extirper les maux ? De plus, si par nature sont les maux, le législateur ne doit point porter de lois, ni le prince lancer des peines sur le malfaiteur. Pourquoi punirait-on celui-là qui, non par volonté est méchant, lui qu'il faudrait prendre en pitié, et non pas lancer sur lui des peines (sévères) ?

Ainsi donc, si cet homme se débauche avec une femme, il ne doit pas être inculpé ; car (ce n'est) pas par volonté, comme ils disent, (qu'il) a été porté au mal, mais (il y) a été forcé par nature. Si son fils, prenant un glaive, fond sur lui, qu'il ne soit pas inculpé ; car, non par volonté, il marche ; mais le mal le porte à cela. Si un homme par un voisin et un ami est injurié, qu'il ne l'injurie pas à son tour, mais que même il ait encore plus pitié de lui ; car (ce n'est) pas lui (le voisin, l'ami) qui l'insulte, mais (c'est) le mal qui pousse tyranniquement (l'insulteur). De même, quand une fille méprisera sa mère, une belle-fille son beau-père, une femme son mari, un esclave son maître, et un frère on frère, qu'ils ne portent rien de fâcheux dans l'esprit de ceux qui ont été méprisés, mais que ceux-ci (au contraire), aient pitié de ces gens-là, comme (de gens) tyrannisés par le mal.

Or, si nous voyons que le roi tire vengeance de ses lois (violées) et par cette vengeance (justement tirée) arrête le dommage, le juge enchaîne plus ou moins fortement le voleur et le bandit pour lui enlever les moyens de nuire ; un père, condamnant à mort son fils pervers, le livre aux juges ; tous les autres (hommes) tirent vengeance des insultes (qu'ils éprouvent) soit par eux-mêmes, soit par les princes ; il est évident que les maux qui se commettent sont nés de la volonté et non pas naturels ; mais allons, cet homme plongé dans la concupiscence lie-le fortement et frappe-le rudement, vois s'il se trouve encore en lui (le moindre) souvenir de sa concupiscence ; et vraiment, ce n'est pas en vain qu'a été dite cette parole du sage : Que l'esclave qui n'entend pas par l'oreille, on lui fait entendre par l'échiné.

De plus, d'autre part, nous pouvons comprendre que la nature de l'homme est désireuse du bien et non des maux ; car le fornicateur qui commet la fornication, tandis qu'il est encore même en acte de fornication, si quelqu'un l'appelle fornicateur, il se fâche. La putain, qui se prostitue publiquement, n'aime pas à entendre le nom de prostitution. De même aussi le voleur et le brigand, et même les (autres) malfaiteurs, quoiqu'ils commettent acte de forfaits, ne veulent pas accepter le nom de forfaits. De plus, le fourbe en état de fourberie qui, par de douces (et insidieuses menées), voudra faire tort à son compagnon, cache sa fourberie, et, comme s'il donnait quelque bon avis, le séduisant, il jette dans les dommages (de la perdition) l'innocent ; mais, s'il ne revêt cet extérieur de bien et ne fait le doucereux, il ne peut détourner de l'équité celui qui connaît l'équité.

De plus, quand quelqu'un veut amener à la douceur un prince sévère, il ne peut ouvertement aller lui dire : Tu es sévère ; mais s'approchant de lui avec de douces paroles, il le supplie, (en disant) : Seigneur, tu es doux et bienfaisant à tous, tout le monde te tient pour juste, et ainsi il peut tout doucement adoucir la sévérité du prince, le plier et l'amener à ce qui est juste et digne. De même aussi auprès d'une personne irritée et contristée, auprès d'un homme envieux, on s'approche avec douceur et on l'apaise. Et de là il est évident que la nature des hommes est désireuse du bien et non du mal.

Si la férocité des bêtes féroces fait penser (aux païens) que c'est un mal par nature, qu'ils sachent que la moitié des brutes a été faite pour les besoins (de l'homme), comme le gros et le petit bétail, et tout ce qui est bon à manger et à porter. (L'autre moitié (des brutes a été faite) pour faire naître la crainte dans l'esprit des hommes ; car si les bêtes féroces sont terribles, les dragons, les serpents et autres animaux nuisibles, et que l'homme soit superbe à ce point, que, franchissant les bornes de la crainte de Dieu, il lui résiste, si ces bêtes terrifiantes n'étaient pas, combien encore plus (l'homme) ne se tiendrait jamais dans le devoir !

Il y a plus, les choses mêmes qui sont crues mauvaises par les insensés, souvent deviennent utiles et préservatifs de la mort. Qu'y a-t-il de plus mauvais que le serpent, et de lui (cependant vient) la thériaque. Ainsi de drogues meurtrières, qui ont été composées par la perfidie des hommes, il n'en est pas résulté la mort, mais la guérison. Si par nature chose mauvaise était le serpent, ou créature de quelque mauvais être, il ne se trouverait absolument rien en lui d'utile, et jamais il ne se départirait de sa férocité. Nous le voyons même par l'art des enchanteurs devenu apprivoisé ; il est pour eux comme un danseur de corde, souvent même il habite dans la même maison sans faire aucun mal aux habitants.

Or, si c'est un païen qui regarde comme mauvais par nature certains objets, il sera réfuté par ses compagnons d'art, les éleveurs de serpents. (Ces gens), qui savent si bien apprivoiser les serpents, au point de les appeler par des enchantements dans les maisons, de leur présenter à manger, comme (faisaient) les Babyloniens au dragon qu'ils adoraient, mais leur dieu chéri le tua pour en faire sa nourriture ordinaire.

Si c'est un mage qui dise mauvaises créatures les bêtes féroces, à cause de leur férocité, il sera réfuté, blâmé par le sens commun ; car, si les bêtes féroces sont créatures du mal et la terre créature du bien, comment (elle) créature du bien, sera-t-elle mère nourrice des créatures du mal, qui par, elles sont alimentées et se reposent dans son sein ? car deux choses contraires l'une à l'autre sont destructrices l'une de l'autre, comme la lumière (est destructrice) des ténèbres, et la chaleur des frimas.

Donc, si les bêtes féroces étaient créatures du mal et la terre créature du bien, les consommer serait un devoir pour la terre, et non les entretenir ; (elle devrait) les anéantir et non pas les propager. Si donc la terre nourrit les bêtes féroces et ne les détruit pas, il est évident que par le même créateur, par qui la terre est produite, les bêtes féroces ont été faites. Et surtout ces bêtes féroces, dont ils disent qu'elles sont produites par le mauvais créateur, montrent bien qu'elles ne sont pas d'ailleurs que de la terre, par cela même qu'elles sont nourries par la terre, qu'elles l'habitent, et, qu'ayant erré sur la terre, elles redeviennent terre.

De plus, si par le mal étaient faites les mauvaises (créatures), rien d'utile ne se trouverait (résulter) d'elles, mais elles seraient entièrement malfaisantes. Or, si nous voyons que les peaux d'une partie (des bêtes féroces) servent d'enveloppe à notre nudité, que la graisse des unes sert à l'éclairage, celle des autres (est bonne) pour les membres, comme la graisse du lion, de l'ours et autres animaux successivement ; il est évident que par le créateur du bien (ces créatures) ont été faites, par cela même que l'on trouve en elles quelque chose d'utile ; car une bête qui est (créature) mauvaise, tout en elle est nuisible, et la peau et la chair. Mais nous nous revêtons de leur peau, et elle ne nous fait point de mal, et même si quelqu'un prenait leur chair, même leur cœur et le mangeait, cela ne lui ferait point de mal, comme du sanglier, qui est la plus féroce de toutes les bêtes féroces, on mange la chair et elle ne fait point de mal ; de même aussi, si quelqu'un mangeait leur chair (celle des bêtes féroces), elle ne lui ferait point de mal.

Dans le gros bétail, qu'ils disent fait par le bon créateur, il se trouve quelque chose de nuisible. Manger de la chair de taureau est une nourriture du corps, mais si quelqu'un boit du sang (de taureau), il est perdu. De même aussi dans les plantes, il en est qui, prises isolément, sont mortifères, et (qui), mêlées avec d'autres plantes, deviennent un remède pour différentes douleurs. La mandragore, si quelqu'un en mange seulement quelque peu, est meurtrière, et, mêlée avec d'autres racines, elle est somnifère pour les personnes privées de sommeil. Et le mil, si dans un temps de grande chaleur quelqu'un en mange, comme il est rafraîchissant, il dissipe la grande chaleur de l'estomac, et si, par un temps frais, quelqu'un en mange, il fait mal. Et l'eau extraite (du mil) non mélangée, si quelqu'un en boit, c'est un homme mort. Et le sperme, délayé dans l'eau, si quelqu'un en boit, il le retire de la concupiscence. Et le chanvre est un arbuste dont la semence est un remède qui sert encore à arrêter la concupiscence. Et la ciguë qui, prise seule dans un temps fixe, est mortifère, (c'est aussi) par elle que les médecins ont imaginé de détruire les fièvres invétérées. Et la titinaille est une espèce qui seule est meurtrière ; mêlée avec une autre drogue, elle est un remède contre la bile et préserve de la mort.

Donc, pour n'avoir pas regardé avec droiture (et attention) ces choses incohérentes, ils ont imaginé qu'il y avait quelque chose de mal par nature. Mais Dieu, avec tant de sagesse, a fait l'homme (de sorte) qu'il puisse profiter même de ces drogues ; (que même dans celles) qui sont réputées nuisibles, il puisse encore, par (certains) moyens, trouver utilité, (comme) pour reprendre la conduite des insensés, (en leur prouvant) qu'il n'est rien qui soit mal par nature.

16. Mais, quoique ces gens-là ne croient point aux lois divines, ne privons pas nos amis d'une réponse directe.

Tant de mal n'existait pas par nature dans les bêtes féroces, avant que Dieu, ayant amené ces nouvelles créatures au nouvel homme créé, lui eût enjoint de leur imposer des noms ; et, si ces créatures ne s'étaient pas approchées (de l'homme), comment leur eût-il assigné un nom à chacune selon leurs espèces ? Donc, si ces bêtes s'approchèrent et eurent familiarité avec l'homme, il est évident qu'elles n'étaient ni mauvaises, ni malfaisantes pour l'homme. Mais après sa transgression des ordres de Dieu, (à l'homme) furent données ces bêtes terrifiantes pour arrêter l'orgueil de cet être terrestre qui a été fait de terre et devait retourner en terre.

Ce premier état d'innocuité des bêtes à l'égard de l'homme (est un fait dont) témoignent leur apprivoisement, leur familiarité actuels ; car un (homme) élève le petit d'un loup, et (le louveteau), comme les petits d'un chien, avec familiarité s'attache (à cet homme). Un autre (homme) ayant élevé le petit d'un lion, il l'habitue aux embrassements et aux caresses, au point d'étreindre son nourrisson, et si quelqu'un approche, (l'animal), n'oubliant pas les mœurs de sa férocité, fond sur lui ; (le maître), grondant alors l'animal comme (il gronderait) un chien, abat son indomptable férocité. Un autre (homme), ayant élevé le petit d'un ours, lui apprend à danser, et, le formant aux manières des hommes, détruit ses mœurs féroces. Quelque autre personne ayant attrapé des singes sauvages, les dresse en farceurs, en faiseurs de grimaces, et de toutes sortes de mauvais tours. D'autres, ayant pris des basilics aux formes féminines, par des enchantements les amènent à être en familiarité avec l'homme, détruisant ainsi leur venin meurtrier.

Or, si mauvaises par nature étaient les bêtes féroces, il ne serait pas possible à ces êtres nuisibles, avec leur caractère malfaisant, de prendre des manières apprivoisées, et si, quant aux chaleurs excessives, au froid glacial, ils les croient faits pour nuire par le mauvais créateur, qu'ils sachent donc : que, si la neige et les frimas ne durcissaient les montagnes, les racines des plantes ne grossiraient pas, et, si la grande chaleur n'échauffait les plaines, les fruits ne viendraient pas.

17. Si les maux et les maladies et les morts prématurées, et la mort elle-même, ils pensent tout cela produit par quelque mauvais créateur, s'ils croyaient aux lois divines, (arguant) de ces lois elles-mêmes, nous leur ferions réponse. Mais, puisqu'ils supposent produits par le mauvais créateur tous ces désordres, nous leur demanderons, nous : Du créateur des biens, et (du créateur) des maux, lequel est le plus puissant ? S'ils disent que le créateur des biens est (le plus) puissant, ils mentent ; car s'il était plus puissant que le créateur des maux, il ne lui donnerait pas (permission) de jeter ses maléfices sur les bonnes créatures, et, de plus, il ne devrait pas lui donner aucune place sur son territoire ; car si (le créateur du bien) était quelque peu puissant, d'abord il séparerait son domaine de (celui du créateur du mal), et puis, ensuite, ses créatures, quoi que pût faire (son ennemi).

Mais ils diront cela : Pourrait-il, lui, le bien, écarter le (mal) de ses bonnes créatures, s'il n'était puissant ? S'ils disent que le bien était puissant, qu'ils sachent donc que, s'il pouvait écarter le mal, et qu'il ne l'ait pas écarté, il est lui-même cause du dommage ; et, s'il ne pouvait écarter le mal, il se trouve que plus puissant que lui était le mal qui le persécute violemment, et corrompt ses bonnes créatures. Encore plus faux est ce qu'ils disent que ; à la fin, vainqueur du mal est le bien ; car celui qui d'abord n'a pu vaincre, il est évident qu'à la On il ne peut vaincre.

Mais des douleurs et de la mort, nombreuses sont les causes que nous avons à exposer en termes véridiques. D'abord ceci (savoir) que quand l'homme eut transgressé l'ordre de Dieu il fut ensuite sous (le coup) des douleurs et de la mort ; car (Dieu) dit à la femme : Avec douleur et tristesse tu enfanteras ; et (il dit) à l'homme : Par le travail et à la sueur de ton visage, tu mangeras ton pain, jusqu'à ce qu'arrive pour toi retour à la terre d'où tu as été fait ; car tu étais limon et en limon tu retourneras. Par cela il est évident que, quoique la nature de l'homme, car (l'homme est un être) corporel, fût réputée sous l'empire de la douleur et de la mort, mais, si (l'homme) était demeuré (soumis) à son commandement, l'auteur de sa vie l'eût conservé vivant. Celui qui de rien a pu faire le souffle de l'homme, et le conserve toujours vivant et immortel, celui-là pouvait de même pour son corps qu'il a créé (et tiré) de la terre le conserver vivant.

18. Mais, quand ils entendent ceci, les ennemis de la vérité, avec différentes armes combattent contre l'évidence ; car la moitié (d'entre eux) disent qu'il n'était pas possible à un être corporel de demeurer immortel ; et les autres disent, par cela même que le corps ne durait pas avec le souffle pour vivre un long temps, il faut quo, ne durant pas, il meure.

Mais les premiers sont réfutés par (l'exemple d') Elie et Enoch qui, jusqu'à présent, sont en vie ; et les autres sont confondus par la résurrection générale et universelle ; car si, à présent, parce que les corps ne sont pas durables, ils meurent, ensuite et lors de la résurrection, selon leur raisonnement, (les corps) ne restent pas avec le souffle. Par là, ils montrent qu'ils veulent éluder la résurrection du corps, bien que les divines Ecritures et la nature même des créatures témoignent sans cesse de la résurrection des corps.

Mais ils disent : Si non mortel était le corps, comment serait (il arrivé) que, pour une petite transgression, il fût tombé sous (le coup de) la mort, et que le Créateur n'eût pas eu pitié de lui et pardonné la transgression ?

Indulgent et miséricordieux est le Créateur, cela pour tous est évident ; surtout d'après (cette circonstance, savoir) que : après la transgression de l'homme, l'être incorporel étant descendu, comme un être corporel, fit entendre le bruit de ses pas dans le Paradis, et d'une voix douce et pitoyable dit au prévaricateur : Où es-tu, Adam ? de peur qu'en le saisissant il ne lui laisse pas le moyen de penser à la pénitence ; et, comme (Adam) ne vint pas à résipiscence, il encourut justement pour peine, la mort.

Encore un autre (argument, c'est) que son Créateur (d'Adam) lui avait précédemment fait cette injonction : Le jour où tu manges du fruit de cet arbre, tu meurs ; et son ennemi (l'ennemi d'Adam) étant ensuite survenu, dit : Tu ne meurs point, mais comme Dieu tu deviens. Or., des paroles de qui fallait-il être assuré, (des paroles) de celui qui précédemment a prémuni Adam et, par sa docilité au commandement, voulait le conserver vivant ; ou (bien) des paroles de l'autre qui, par des tromperies, s'efforçait de rendre (Adam) mortel ?

Si le Créateur, après la transgression de son commandement, n'eût pas fait l'homme mortel, sans cesse l'homme croirait Satan et non pas Dieu ; car celui-ci (Dieu) a dit : Si tu manges de ce fruit, tu meurs ; et celui-là (Satan) disait : Si tu en manges, tu ne meurs pas, mais comme Dieu tu deviens.

Donc, la mort fut imposée sur la nature de l'homme par le créateur même de sa nature, afin que la parole (de Dieu) fût confirmée, et que le mauvais conseiller se trouvât condamné ; car, quoique pour un temps, à cause de ces deux raisons, (l'homme) soit tombé sous (le coup de) la mort, (Dieu), selon sa puissance le ressuscitera, et sans cesse dans l'éternité le conservera vivant et immortel. Celui qui, de rien ayant fait les anges et les âmes des hommes, les conserve vivants et immortels, celui-là était capable de conserver notre corps plein de vie, si le premier homme n'avait pas rejeté l'ordre de Dieu.

19. Mais Dieu n'est pas cause de la mort, (c'est ce dont) témoigne le sage par excellence, qui dit que : Dieu n'a pas fait la mort, et ne se réjouit pas de la perte des hommes ; mais Dieu a établi l'homme dans l'indestructibilité de l'image de son éternité, et, par jalousie du tentateur, la mort est entrée dans le monde ; puis (Dieu) dit lui-même : J'ai dit que vous étiez des dieux, et tous fils du Très-Haut ; c'est-à-dire que je vous ai faits immortels, si vous demeuriez (fidèles) à mon commandement ; mais, puisque vous n'êtes point restés (fidèles) à mon commandement, comme hommes vous mourez, comme un des princes vous tombez. Moi, je ne voulais point votre mort, ni (vous faire) tomber avec le mauvais prince (votre) conseiller.

Mais enfin, disent-ils, (Dieu) les a-t-il mis (Satan et l'homme) en conflit l'un avec l'autre ?

Par là ils veulent annihiler le libre arbitre de Satan et de l'homme ; car Dieu qui, sans jalousie, les a faits indépendants, ne voulait pas que, comme les brutes, ils fussent conduits par la nécessité, et puis leur indépendance dès lors n'aurait plus été indépendance.

Mais Dieu, quoiqu'il eût la puissance de voir les démarches de ses créatures, ne les excita pas à tomber l'une sur l'autre. Quand il vit Satan enflammé de jalousie, il laissa cet être indépendant lutter avec un être indépendant ; car (Dieu) savait que l'indépendance (ou libre arbitre) de celui-ci n'est pas plus faible que (l'indépendance) de celui-là. Celui-là n'a pas la prescience, et celui-ci n'a pas la prescience ; celui-là n'est pas (d'une force) tyrannique, et celui-ci sans pouvoir. Comme (Satan) n'était pas (d'une force) tyrannique (ou irrésistible), de là il est évident que, s'étant approché de la femme avec tromperie, il la questionna et ne l'effraya pas par la violence ; et comme il n'avait pas la prescience, il dit : Qu'est-ce que t'a dit Dieu ? afin d'apprendre d'elle les circonstances,

Fuis encore, d'après les épreuves de Job, on peut apprendre que Satan n'a ni force tyrannique ni prescience ; car s'il était d'une (force) tyrannique, de Dieu il ne chercherait pas, il ne prendrait pas secours, et puis il pousserait (ses victimes) aux tentations ; et, s'il avait la prescience, il ne viendrait pas tenter, car il saurait que, quand il ne peut vaincre, il doit être (couvert) de honte.

De plus, d'après les tentations même du Seigneur, on doit comprendre que (Satan) n'a pas la prescience, par cela même qu'il disait : Si tu es Fils de Dieu, il montrait ainsi que, quoiqu'il eût appris des prophètes que le Fils de Dieu devait venir, il ne savait pas le temps de sa venue. S'il eût su que justement le Fils de Dieu était celui-là qui lui paraissait comme un (être) humain, il ne l'eût pas tenté et n'eût point été couvert de honte, lui Satan, qui, quoique d'après les miracles divins il comprît la venue du Fils de Dieu, plein de trouble s'écriait : Je sais que tu es le Saint de Dieu.

Puis encore, s'il eût eu quelque prescience, il n'eût pas excité les Juifs à mettre (Jésus) en croix ; car il aurait su que la mort du Christ le jetterait, (lui, Satan, déchu) de sa puissance : selon ce qu'a dit le Seigneur : Le prince de ce monde sera jeté dehors, et puis : Je voyais Satan comme un éclair tombé des cieux ; puis encore : Le prince de ce monde est dès à présent condamné, pour montrer que (déchu) de sa puissance est tombé celui qui a voulu devenir Dieu, (et qu'il) est devenu passif des jugements éternels.

20. Or, puisqu'au sujet de la mort et des douleurs imposées à l'homme, il a été prouvé, d'après les livres donnés par Dieu même (la Bible), qu'à cause de la transgression des commandements de Dieu, (la mort et les douleurs) sont entrées dans le monde, nous dirons encore d'autres causes pour lesquelles arrivent les morts prématurées.

Bien des fois peut-être des maux immenses se dressent devant l'homme, ou des angoisses qu'il ne peut endurer, ou des épreuves qu'il n'est pas capable de supporter ; Dieu prescient et humain, ayant alors pitié de sa créature, par une mort prématurée délivre l'homme de ses maux, selon ce que l'Ecriture dit que : Avant le méchant sera recueilli le juste ; puis encore autre raison : Les morts prématurées arrivent afin que, à tout âge et en tout temps, l'homme, (pour être) trouvé préparé, ne s'affranchisse pas du culte de Dieu.

Mais quoique, d'après la malédiction (de Dieu), les douleurs soient entrées dans le monde, cependant il y a encore d'autres causes ; quelquefois (elles arrivent) à cause des péchés, selon ce que le Seigneur a dit au paralytique : Tu as été guéri, désormais ne pèche point. Ayant égard à la foi de ceux qui s'approchent (de lui), le Seigneur dit à un autre paralytique : Que tes péchés te soient remis, pour montrer qu'il est des douleurs qui arrivent à cause des péchés, et qu'il est aussi des douleurs qui arrivent non à cause des péchés, comme, lorsque ses disciples demandèrent au Seigneur touchant l'aveugle : De qui est le péché, à cause de sa cécité, de lui ou de ses parents ? et (le Seigneur dit : Ni de lui ni de ses parents ; mais (c'est) pour la gloire de Dieu, afin que Dieu soit glorifié en lui. Il est aussi des douleurs qui (se produisent), non à cause des péchés, et non pour la gloire de Dieu, mais (qui résultent) de la non pondération des mélanges ; car le corps de l'homme est mêlé de quatre éléments, de l'humidité, du sec, du froid et du chaud. S'il y a diminution ou augmentation, (cela) produit des douleurs dans le corps ; et cela vient de trop manger ou boire, ou bien de jeûnes austères, ou d'aliments sans choix, ou de trop de chaleur en travaillant, ou d'un excès de froid, ou d'autres contraires de ce genre, par l'effet desquels ces désordres se produisent dans les corps.

Le commencement des combats provint de l'avarice des hommes, d'où l'envahissement des frontières, des villages et des villes étrangères, des biens et des possessions.

De même aussi la luxure (advint) pour ne pas s'être tenu dans les bornes du mariage, que Dieu a institué dès l'origine (disant :) L'homme quittera son père et sa mère et ira après sa femme ; après sa femme, dit (Dieu,) et non après les femmes. Pour confirmer la première règle de la nature, le Seigneur a dit dans les saints Evangiles : Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare point !

Les attaques du démon arrivent à cause de l'orgueil des hommes ; car, si un fils est sage, il ne reçoit pas la bastonnade, et, s'il n'est pas sage, bien des fois on applique devant lui la bastonnade à un esclave, afin que, en voyant cela, il devienne sage ; mais, si par cela même il n'est pas encore amendé, on lui applique à lui-même le châtiment.

21. Ceci a été dit au sujet des questions de quelques-uns : Si les pécheurs, à cause de leurs péchés, sont tourmentés par les démons, quant aux enfants innocents, pourquoi les démons les dominent-ils ?

Tous les hommes, Dieu les appelle à l'adoption, comme il disait par (la bouche de) son prophète : Mon fils aîné Israël ; puis : J'ai engendré et j'ai élevé mes fils. Si les hommes vertueux sous la loi (judaïque) étaient appelés fils, combien plus encore ceux dont (Dieu dit) qu'il leur a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu.

Or, quand Dieu s'approche de nous, ses enfants, pour nous avertir, tantôt il frappe devant nous, comme (dans l'exemple de) l'esclave, nos botes, et tantôt nos champs et nos vignes, afin que, en voyant cela, nous entrions sous le joug de la crainte de Dieu ; puis, si par cela nous ne sommes pas encore (suffisamment) avertis, (Dieu) nous applique à nous-mêmes des tourments, soit par (le moyen) des douleurs, des afflictions ou des démons ; les innocents sont aussi tourmentés, afin que les autres retiennent dans leur esprit cette parole du sage, qui dit : Si le juste à peine vit, l'impie et le pécheur où se trouveront-ils ? Et cela arrive aussi afin que le juste ne se relâche point de la justice et que le pécheur ne demeure pas toujours dans le péché ; de cela coupable n'est pas Dieu, mais les méchancetés des hommes amènent Dieu à avertir les hommes par ces tourments ; comme, par (le moyen de) la foi des autres, il a rétabli le paralytique et lui a accordé le pardon de ses péchés ; de même aussi par les tourments de quelques-uns, (Dieu) amène à la crainte et à amendement grand nombre d'hommes, quand cela arrive par (le moyen) des innocents, et quand cela arrive par (le moyen) des pécheurs, comme le sait lui-même le seul sage suprême. (Ce n'est) pas pour la condamnation des âmes qu'arrivent à l'homme les tourments des démons, mais (c'est) bien plus par suite de la miséricorde (de Dieu), surtout si c'est un innocent (qui soit frappé), (c'est) pour jeter la crainte dans l'esprit des autres (qu)'il est livré à ces tourments, que, comme une torche suspendue dans une grande maison, montre la providence de Dieu, afin que, en voyant cela, beaucoup se recueillent et entrent par crainte sous (le joug de) l'obéissance de Dieu.

Il arrive quelquefois que, à cause même des péchés, adviennent ces tourments ; quelquefois aussi il arrive que, ces coups terribles approchent, et que, se réfugiant dans les reliques des saints martyrs, les hommes sont sauvés de ces tourments, par quoi paraît la puissance de Dieu qui est dans ses saints, et (les hommes) n'éprouvent eux-mêmes aucun dommage.

Mais le démon ne chasse pas le démon, c'est ce que (Jésus) a rendu lui-même évident. Si Satan, dit-il, chasse Satan, donc il est divisé, séparé de lui-même ; mais moi, dit (Jésus), par l'esprit de Dieu je chasse les démons ; et pourquoi celui-là même qui était Dieu, disait-il, par l'esprit de Dieu je chasse les démons ? (c'était) pour enseigner aux hommes que, s'ils ne se rendent pas dignes des grâces de l'Esprit saint, ils ne peuvent chasser les démons, comme les apôtres, quand ils n'avaient pas reçu le pouvoir du Seigneur, ne pouvaient pas chasser les démons ; il y a plus, à celui-là même qui est dans les tourments, (Dieu) a donné le pouvoir de chasser les démons. (Le Seigneur) dit : Cette race (maudite) ne sort que par (le moyen) des jeûnes et des prières ; non pas qu'il y ait une certaine espèce de démons qui sorte par les jeûnes et les prières, et les autres non, mais toutes les légions des démons s'en vont, mises en fuite par les jeûnes et les prières.

22. Mais les enchanteurs, disent-ils, envoient les démons, et chassent les démons.

Les enchanteurs ne peuvent chasser les démons ; il suffit, pour nous en convaincre, de cette parole du Seigneur, qui dit que : Satan ne chasse point Satan ; car, si l'enchanteur chassait (les démons), il les chasserait donc de par les démons, et du démon le Christ a dit que : Le démon ne chasse point le démon ; puis il est évident qu'autrement se passent les choses, comme (le prouve) cette parole sortie d'eux et non de nous, ils disent : (Les enchanteurs) ne peuvent pas chasser (le démon), mais ils peuvent l'enchaîner, afin que sans cesse le démon soit là pour étrangler les âmes des hommes. Et cela arrive justement d'après les arrêts de Dieu ; car quelqu'un a laissé Dieu, les saints, les jeûnes, les prières, et s'est réfugié dans l'enchanteur, qui ne peut se secourir lui-même ; car, qui des enchanteurs est inaccessible à la douleur, exempt des démons, immortel ? Il y a plus, nous voyons même les enchanteurs toujours exténués par les démons, et surtout les crisiaques ; car d'abord eux-mêmes sont pris du démon, et puis ils promettent aux autres de (leur) donner ce qui n'est ni en leur pouvoir ni (au pouvoir) des démons, par le langage de qui ils parlent de donner, mais (ce qui est au pouvoir) seulement de Dieu qui est le créateur, le donateur (de toutes choses).

Or, pour les enchanteurs, plutôt que d'enchaîner le démon et d'en faire comme un lacet prêt à étrangler sans cesse les âmes de l'homme, mieux serait si (le démon) apparaissait, que par (l'intercession) des saints priant Dieu, ils trouvassent du secours pour guérir de leur mal.

Mais nous disons que (le démon) n'a pas le pouvoir d'entrer dans l'homme sans le laisser-faire de Dieu, et de cela il y a plusieurs raisons, comme seul il le sait lui-même ; et cela est évident, par cela même que quand (les démons) résolurent d'entrer dans un troupeau de porcs, ils ne purent y entrer qu'ils n'en eussent d'abord reçu l'ordre du Christ ; et, lorsque Satan voulut tenter Job, il ne le put qu'il n'eût d'abord reçu de Dieu l'ordre pour tenter ; et le Seigneur dit de Judas que Satan est entré par une fente ; car si le Christ ne l'avait pas permis à Satan qui le pressait, et à Judas qui, à cause de son avarice, en vint là, (le démon) ne pouvait entrer en lui ; mais, pour leur reprocher à tous deux (Satan et Judas) leur libre arbitre, (le Seigneur) les laissa faire, selon leur volonté à tous deux.

De plus, lorsque quelques-uns sont encore tourmentés par le démon, si l'œil de Dieu n'était sur lui, il les exterminerait par la plus cruelle mort ; et même, si Dieu ne gardait fermement leurs serviteurs, ils les estropieraient de toutes manières, et de la mort la plus affreuse les feraient périr. Mais, parce qu'ils ne sont pas libres d'agir, ils ne peuvent se porter à de pareilles choses. De là, il est évident que, quoique Dieu sache par avance que tel individu doit être idolâtre, tel autre enchanteur, tel autre assassin, il n'empêche pas le tracé de leur embryon, et l'insufflation de leur âme, afin que sa bonté se manifeste, et que (ces gens-là) soient condamnés dans leur propre libre arbitre.

Et il est évident que, comme (Dieu) est le maître de (l'action de) faire, de même aussi (il est le maître) de faire trouver du plaisir dans les moyens, et de sauver des étreintes du mal ; car (pour) celui qui est à lui, (Dieu) le préserve et le soigne, et (pour) celui qui n'est pas sien, (il le traite) en étranger, le dépèce, le disperse, comme il dit dans l'Evangile que : Le loup ne vient point pour autre chose, si ce n'est pour ravir et disperser. Mais, quant aux véritables croyants, Satan ne peut pas les subjuguer par ses tentations, ni les enchanteurs (les dompter) par les démons ; comme le Seigneur lui-même a dit à ses disciples : Je vous ai donné la puissance de fouler (aux pieds) les serpents et les scorpions, et toute puissance sur l'ennemi ; et puis (il dit) : Voici les signes des croyants : ils chasseront les démons, et ils prendront en mains les serpents, et ils boiront des drogues de mort, et (tout cela) ne leur fera point de mal. Il est dit en même temps que : à l'innocent les démons ne peuvent nuire, que les bêtes féroces ne sont pas portées à le dévorer, comme à Daniel les bêtes féroces n'ont fait aucun mal, ni aux trois enfants le feu de la fournaise.

Comme au premier homme, quand il n'avait pas encore transgressé, (les bêtes féroces) étaient obéissantes et non malfaisantes ; et comme, par (le moyen des) apôtres, Satan était maltraité, au point que les enchanteurs, par crainte des miracles que faisaient (les apôtres), se hâtaient d'apporter les livres de leur sorcellerie les plus précieux, et de les brûler devant les apôtres ; et les démons de s'écrier : Ce sont là les serviteurs du Dieu très haut : des restes de leurs miracles apparaissent encore à présent dans les saints évêques et les vrais cénobites. (C'est ce) dont l'expérience est connue, (non-seulement) des chrétiens, mais aussi des païens et des mages.

23. Mais nous aussi, nous devons savoir que les anges et les démons, et les âmes des, hommes, sont incorporels ; car, des anges il dit : Il a fait ses anges esprits, et ses serviteurs flamme de feu : il les appelle esprits à cause de leur vélocité, comme pour dire que : ils sont plus légers que les vents ; car, de (esprit ou) souffle et du vent, le nom hébreu, et grec, et syrien, est le même ; ainsi se trouve-t-il en arménien, si l'on fait attention. Quand quelqu'un est vivement pressé par un autre, il dit : il ne m'a pas donné (le temps de) pousser un souffle (ou haleine) ; et par là il indique l'air que nous suçons ; et (Dieu) appelle les anges (êtres) enflammés, à cause de leur impétuosité ; comme ailleurs il dit : Ils sont forts par la puissance de faire ses volontés. Mais ce n'est pas qu'ils soient de la nature du vent et du feu ; car, s'ils étaient de la nature du vent et du feu, ils seraient donc justement appelés (êtres) corporels et non pas incorporels ; car celui qui est corporel est composé de quatre éléments, comme les corps des hommes et des brutes ; et ce qui est incorporel est une nature simple, comme celle des anges et des démons, et des âmes des hommes.

Et où donc pourront-ils respirer (ces êtres, car) ils disent que les anges ont épousé des femmes ; car ceux-là (les anges) sont appelés ignés et les hommes graminés ; d'où il est évident que du feu et de l'herbe il n'y a pas mariage, mais absorption. Ces trois séries d'êtres, comme étant de même nature, sont aussi appelées du même nom. Ange est dit esprit, mais esprit obligé, qui est obéissant et exécute les volontés (du maître). Démon est aussi dit esprit, mais esprit méchant, à cause de sa désobéissance et de sa rébellion. Quoique dans notre langue, nous le disions mauvais génie, comme d'après les distinctions de nos premiers pères, suivant la coutume établie chez nous ; mais nous savons que ce génie est vent, et le vent esprit, selon la précédente assertion ; car nous disons que le zéphyr souffle ; les Syriens disent : le génie souffle ; et à cause de leur extension seulement et de leur rapidité, les anges et les démons, et les âmes des hommes, sont appelés aériens, c'est-à-dire venteux ; comme à cause de leur impétuosité, les anges sont appelés ignés ; de même aussi à cause de leur vélocité et de leur extension (ils sont appelés spirituels), c'est-à-dire venteux ; mais leur nature est au-dessus du vent, au-dessus du feu, plus déliée, plus véloce que l'intelligence.

Et il n'y a rien d'étonnant si ceux-là (c'est-à-dire les anges), sont nommés du nom des créatures, nos voisines, puisque leur créateur ne rougit pas de prendre lui-même ces noms à cause de certains rapports. Dieu est appelé esprit, mais il est une supériorité d'esprit ; il est dit : Dieu est esprit, c'est-à-dire vivifiant ; il est aussi appelé feu, selon ce que ton Dieu est un feu qui consume. Or, voyons si Dieu est seulement le feu qui consume. Voici que cet esprit, par un autre prophète, est déclaré lumière, selon ce qui (est dit) que : Le Seigneur est ma lumière et ma vie, de qui craindrai-je ?

Si (Dieu) était seulement le feu qui consume, comment serait-il appelé lumière vivifiante ? N'est-il donc pas évident, que là où l'ardeur est utile, là il est appelé feu ; et là où la douceur (est utile), là (il est appelé) lumière vivifiante ; c'est-à-dire il est au-dessus du feu et au-dessus de la lumière. Bien d'autres noms il prend encore, à cause de différentes propriétés.

Et, quand (Dieu) voulait apparaître à ses saints, jamais sous une autre forme, mais seulement sous la forme de l'homme qu'il a fait à son image, il se manifestait ; et cela ne se faisait pas en vain, mais pour montrer surtout l'amour qu'il avait pour l'homme, puis aussi pour prédisposer les hommes à la connaissance (de Dieu), afin que, quand il enverrait son Fils comme homme en ce monde, on ne regarde point (cet événement) comme chose étrange, surtout afin qu'on sache que lui-même se manifestait sous cette forme ; comme : étant descendu dans le Paradis auprès d'Adam, (Dieu) faisait (entendre) le bruit de ses pas, à l'instar de l'homme, —- étant venu près d'Abraham avec deux anges, il trouva bon de manger dans sa tente, — et, s'étant abouché sur la montagne avec Abraham, il expédiait ses deux jeunes gens, les anges transformés en hommes, à Sodome, en sa belle hôtellerie, auprès de Loth, — et, faisant briller comme le feu et l'éclair, son ange dans le buisson, l'ayant dressé au langage humain, il le faisait parler avec l'homme déjà consacré à Dieu, avec Moïse, — et, ayant transformé en héros son général Michel, il le montrait dans la plaine à son capitaine Josué, — et, ayant envoyé un ange dans la maison de Manué pour parler avec lui, il le présenta à la manière des hommes, — et souvent aussi (Dieu), presque fait homme, parlait bouche à bouche, la main dans la main, avec son ami, avec Moïse, — et l'homme-roi ayant été trouvé selon son cœur, étant accablé des coups (de l'adversité), un ange, sous forme humaine, le glaive en main, lui apparut, —et à Ezéchiel, sous l'aspect de feu et de langue de flamme, dans un char attelé de différents spectres, il faisait apparaître le conducteur sous forme humaine, — et lui-même, tantôt comme un vieillard, tantôt comme un jeune homme, pour différentes intentions, se transformant, il apparaissait à l'homme favorisé ; et, en se montrant ainsi à ses serviteurs, (Dieu) manifestait l'amour qu'il avait pour l'homme.

Tout ceci a été dit pour montrer que tout ce qui parait est corporel, et tout ce qui ne paraît point est incorporel ; et des êtres corporels, il en est qui sont lourds de corps ; il en est qui sont des corps minces (et légers) ; comme dit l'apôtre que : Autres sont les corps des êtres célestes, et autres (sont) les corps des êtres terrestres ; terrestres, c'est-à-dire des hommes et des brutes, des oiseaux et des reptiles ; et des êtres célestes, (c'est-à-dire) du soleil et de la lune, et des astres ; et puis il parle (de ces êtres), et non des anges, ramenant sur eux le discours (de l'Apôtre) : Autre est la gloire du soleil, et autre la gloire de la lune.

En même temps, il est aussi dit que : tout ce qui, des êtres sensibles, est palpé, examiné, senti, tout cela est corporel ; et tout ce qui, parmi les êtres sensibles, n'est pas senti, est incorporel. Délié est l'élément de la lumière ; mais comme par l'œil il est examiné, il est corporel. Délié est l'élément de l'air ; mais, comme par le froid il se fait sentir au corps, il est corporel. Délié est l'élément du feu ; mais, comme par la chaleur il se fait sentir au corps, il est corporel ; de même aussi l'élément de l'eau, qui est plus subtil que ce qui est lourd, et plus lourd que ce qui est léger.

24. Or, comme incorporels sont les anges et les démons ; pour cela même, il n'est point pour eux de lignées ; mais ils disent, les sirènes ont progéniture, et meurent.

D'abord, voyons cela : s'il y a quelques créatures raisonnables autres que les anges, les démons et les hommes, et puis venons à l'examen de cette (question) des démons. Y en a-t-il une partie corporelle et une partie incorporelle ; car il n'est aucune créature raisonnable en dehors de ces trois espèces, savoir : des anges, des démons et des hommes ; d'après les divines Ecritures, et d'après la nature même des créatures, cela est évident. Mais, quoique soient mentionnés dans l'Ecriture quelques noms d'onocentaures, ou de sirènes, ou de monstres, (c'est) d'après l'opinion de l'imagination des hommes et non d'après la nature, que ces noms se produisent ; car c'est le propre des démons de revêtir différentes formes, et les hommes, selon ces formes, imposent des noms. Comme quand les villes et les villages seront détruits, et les démons y habiteront, et ils apparaîtront sous différents déguisements ; et les hommes, d'après leurs déguisements, leur imposant des noms, appelleront l'un (de ces démons) un centaure, un autre monstre, puis un autre sirène ; de même aussi l'Ecriture, d'après l'opinion des hommes, pour signifier l'intensité de la ruine du monde, dit que les onocentaures habitent dans ces ruines, (animaux) que la langue grecque appelle onocentaures (c'est-à-dire âne-taureau).

Or, qu'ils montrent donc qu'il se trouve des ânes-taureaux à Babylone. Il est donc évident que sans (application à des) individus se trouvent les noms de centaures et d'onocentaures ; et l'Ecriture, d'après l'habitude de l'opinion des hommes, aura aussi employé ces noms pour signifier la ruine de Babylone ; comme le taureau marin qu'on dit produit d'une vache, et le satyre issu des hommes, et le lécheur du chien. Ce ne sont point là des êtres-personnes, mais des noms imaginaires, et des sottises d'esprits égarés par les démons ; car d'un être corporel, lien d'invisible ne résulte, comme d'un être invisible (ne résulte) point (un être) corporel. Jamais des hommes n'est sorti le satyre, qui serait créature à visage humain, et (jamais) des vaches n'est sorti un taureau marin, qui habiterait dans les lacs, car à (un être) terrestre il n'est pas possible de vivre dans les eaux, comme aussi à un être aquatique il n'est pas possible de vivre en terre ferme ; et du chien il n'est sorti (aucun être) qui vive doué de puissances inapparentes, et qui, quand un homme blessé tombe dans le combat, le guérisse en le léchant, c'est ce qu'ils appellent lécheur. Mais tout cela est fables, contes de vieilles femmes, et surtout produit de la furie des démons.

25. Mais, discutant encore sur ces points, ils s'y affermissent de plus en plus. L'un dit que : dans notre village un taureau marin a fait une vache et sans cesse-nous entendons tous ses beuglements. Un autre dit : Moi, j'ai vu un satyre de mes yeux. Est-ce que, quant au lécheur, quelqu'un pourra dire aussi qu'il en a vu ; et si dans les premiers temps, les lécheurs léchaient les blessés et les rendaient bien portants, pourquoi maintenant ne lèchent-ils plus et ne guérissent-ils plus ? N'est-ce pas mêmes combats et pareillement n'y tombe-t-il plus de blessés ?

Mais alors, disent-ils, il y avait des demi-dieux. Et nous, au sujet des dives, nous leur demanderons impérieusement : Etaient-ils corporels ces dives ou incorporels ? S'ils étaient corporels, il est évident qu'ils étaient hommes, et que, prenant pour objet de culte ces fantômes d'hommes, on les appelait dives. S'ils étaient incorporels, il n'était pas possible à des êtres incorporels de se marier avec des femmes corporelles ; car si cela était possible, jamais Satan ne cesserait de procréer avec des femmes des (êtres) sataniques. Celui qui est incorporel est sans sperme, parce que le sperme est le propre des (êtres) corporels, et non pas des (êtres) incorporels ; et, sans sperme naître d'une femme, cela n'a été possible qu'à un seul être, qui est le créateur de la nature du corps, et comme il l'a voulu, il a pu naître d'une vierge, sans le (moyen du) mariage.

D'où (il suit que) tous les sages profanes, en considérant l'impuissance de chacun de ces dives, n'ont pas pu dire que d'une femme quelqu'un (d'eux) fût né sans le (secours du) mariage. Et, comme il n'y a pas de progéniture pour les dives, de même aussi il n'y a pas mort. Quoique immortelle par nature soit seulement la Divinité qui est éternelle, et non pas (celle) prenant de quelqu'un commencement d'être, mais aux êtres ayant commencement, aux êtres raisonnables, (Dieu) a donné l'immortalité, j'entends aux anges et aux démons, et aussi aux âmes des hommes. Parmi ces êtres, les hommes, car ils sont (composés) des deux natures, (de la nature) des (êtres) corporels et (de celle) des (êtres) incorporels, se propagent par (voie de naissance), et viennent à la propagation (de l'espèce) par le (moyen du) mariage. Ils meurent par le corps et non par l'âme, à cause de la transgression (du premier homme).

Mais les anges et les démons ne reçoivent ni accroissement par naissance, ni diminution par mort ; mais, comme ils ont été institués, de même aussi ils restent en même nombre, sans accroissement et sans diminution, et il n'y a nulle autre créature qui puisse venir à différentes formes, comme on le publie touchant les dragons et les monstres de fleuves. Mais (c'est) seulement les anges et les démons qui peuvent parcourir les airs, les explorer, et affecter différentes formes.

Mais les dragons, disent-ils, et les monstres de fleuves se produisent sous différentes apparences. L'une d'elles est à l'état d'individu, l'autre à l'état non individu.

Le dragon, qui est un être corporel, ne peut changer ses formes ; car s'il était possible aux êtres corporels de changer leurs formes, d'abord l'homme qui est plus qu'eux (dragons et monstres de fleuves) changerait es formes en celles qu'il voudrait. Mais comme il n'est pas possible à l'homme de changer (ses formes) en quelques formes qu'il voudrait, de même aussi (cela n'est pas possible au dragon).

De plus, il n'existe pas de monstre à l'état de non individu, si ce n'est que le démon ait habité en (quelques) lieux, et que tantôt il se soit transformé, et tantôt il ait commis des dommages. Les dragons ne portent pas leur ménage (avec eux) et ils n'ont pas de bêtes de charge qui le leur porte de leur gîte ailleurs ; il est absurde de dire à un individu : Tiens-toi constamment au gîte et n'en prends pas d'autre ; car le dragon qui est lui-même bête de charge, par cela même qu'il est (à l'état de) brute et non parlant, comment lui qui est bête de charge gouvernerait-il une autre bête de charge ? car le dragon n'a pas une nature autre, si ce n'est (celle) du serpent ; cela est évident : le serpent énorme, ou quelque bête marine, les Ecritures l'appellent dragon ; comme l'homme invincible elles l'appellent géant ; de même aussi le serpent terrestre, monstrueux, et toute bête marine ayant forme de montagne, je dis les baleines et les dauphins, elles l'appellent dragons, selon (ce qui est dit) : Que tu as brisé les têtes des dragons sur les eaux, et tu les a donnés en nourriture aux peuples éthiopiens.

Vois-tu ? que les grands poissons de la mer, les Ecritures les appellent dragons. Cela est évident, parce qu'elles disent des poissons : Tu les a donnés en nourriture aux nations éthiopiennes. Quoique ici d'autres aient figuré le dragon en Satan, comme le montre ce que Job a écrit ; autre chose ne sont pas les dragons, si ce n'est d'énormes serpents terrestres ou de monstrueux poissons marins. (C'est d'eux) que les Ecritures disent que : Ils sont hauts comme des montagnes et d'une grandeur excessive. Leur chasse et leur nourriture sont les petits poissons, comme (la chasse et la nourriture) des serpents, ce sont les petits animaux ou brutes ; mais non pas chasse comme (celle que) les hommes ont faite aux dragons, ou même feront. Ils n'ont pas de palais comme (en ont) les hommes pour habitation, ils n'ont aucun ni d'entre les princes de sang royal, ni d'entre les héros enchaînés près d'eux vivant ; car il n'y a de vivant parmi les êtres corporels que deux (individus) Enoch et Elie.

Mais, comme au sujet d'Alexandre, les démons trompaient en disant que : il restera vivant ; ceux-ci, selon l'invention égyptienne, ayant enchaîné et jeté par des incantations le démon dans une fiole, faisaient croire qu'Alexandre était vivant et cherchait la mort ; et la venue du Christ confondit cette imposture et supprima ce scandale ; de même aussi le maléfice des démons trompa les sectateurs du culte des héros en Arménie (en leur faisant croire) qu'un (individu) nommé Ardavazt est prisonnier des démons, (Ardavazt) qui jusqu'à présent est vivant, mais doit s'échapper et posséder le monde ; ainsi à un vain espoir demeurent attachés les infidèles ; comme les Juifs qui à une vaine attente restent attachés, (en croyant que) David doit venir bâtir Jérusalem et rassembler les Juifs, et régner sur eux.

Et ainsi s'efforce Satan de frustrer tout homme de la bonne espérance, et de l'attacher à un vain espoir. Il glorifie aux yeux des hommes les dragons, afin que, quand ils paraîtront terribles à quelques-uns, on les prenne pour (objets de) culte. (Satan) fait croire qu'il y aurait des monstres de fleuves et des génies de plaines, et, après avoir persuadé cela, (Satan) se métamorphose en dragon ou en monstre de fleuve et en génie, afin par là de détourner l'homme de son Créateur ; car s'il y avait quelque monstre (de fleuve) à l'état personnel, il n'apparaîtrait pas tantôt sous la forme d'une femme et ne serait pas tantôt phoque, et n'engloutirait pas les nageurs tombés sous ses pieds. Mais ou femme, femme il se tiendrait, ou phoque, phoque il resterait.

De même aussi, ce qu'ils appellent génie des plaines, ne paraîtrait pas tantôt homme, et tantôt serpent, (moyen) par lequel on a imaginé d'introduire le culte du serpent dans le monde. De même aussi, il ne paraîtrait pas une fois sous forme de serpent, et une autre fois sous forme humaine ; comme précédemment il a été dit que tout ce qui est corporel en d'autres formes ne peut changer.

Mais, si dans les aires (des champs) paraissent des mulets et des chameaux, c'est là forme de démons et non de dragons ; et si dans les plaines, des bêtes à la course rapide, chevauchant comme des hommes, s'élancent après le gibier, c'est là surprise de démons ; c'est là feinte de démons, et non vérité de choses (réelles), et, si dans les fleuves apparaît quelque chose sous forme de femmes, c'est transformation de Satan ; car il n'y a pas de monstre de fleuve à l'état personnel, et dans l'homme comme démon n'entre pas le dragon, comme quelques-uns l'ont pensé d'après les exclamations du possédé ; car à un (être) corporel, dans un être corporel il n'est pas possible d'entrer. Même, si un tel dragon s'élevait en l'air, (ce ne serait) pas par le moyen de bœufs, mais par quelque puissance cachée d'après l'ordre de Dieu, de peur que le souffle du dragon ne nuise à l'homme ou à la brute, comme cette espèce de serpent, qui est appelé basilic, par son regard seul extermine l'homme ou la brute. D'où (il arrive que) quand il s'en trouve dans les puits, on y descend avec une lumière pour saisir le serpent, afin que, le regard fixé sur la lumière, il ne fasse aucun mal à l'homme.

26. Mais nous, selon les livres saints, nous savons les anges préposés au secours des hommes, des nations et des royaumes, selon ce qui est dit que : Il a établi les états des nations selon le nombre des anges de Dieu, et puis par ce que (Dieu) dit dans l'Evangile : Ne méprisez pas un des petits ; car leurs anges sans cesse voient la face de mon Père qui est dans les cieux. Ainsi, il paraît qu'à chaque homme demeure (attaché) un ange gardien. Quoique d'autres aient pensé au sujet de la prière proférée par le Seigneur, que leurs prières qui sans cesse entrent devant Dieu, sont appelées anges ; mais l'apôtre dit : Tous les esprits ne sont-ils pas des envoyés nécessaires (attachés) au service de ceux qui doivent posséder le salut ? Ces êtres, qui sont préposés à cet office, deviennent pour nous des auxiliaires de salut.

27. Mais, si Satan est, disent-ils, l'instigateur des maux, aux autres créatures pourquoi offre-t-il le culte du paganisme et ne se l'arroge-t-il pas à lui seul ?

Car Satan est accusé de méchanceté, cela à tous est évident. Or, si lui seul exigeait culte, promptement il terrifierait ses adorateurs par cela même qu'il leur paraîtrait méchant et persécuteur. Mais il a disposé la moitié (des hommes) à adorer les astres, et les autres (à adorer) l'air et le feu, la terre et l'eau, et les substances, et les bois et les pierres, jusqu'aux serpents et aux bêtes féroces, et aux animaux, afin seulement de satisfaire sa haine (et l'envie) qu'il s'est mise en tête de s'attaquer à l'homme. Donc, qu'ils ne triomphent point ceux qui adorent les créatures, (en disant) qu'ils ne font pas les volontés de Satan ; car, du culte rendu aux créatures, il n'y a pas d'autre docteur et maître que Satan lui seul.

Or, comment pourront-ils maudire Satan, ceux qui accomplissent ses volontés ? et, si ceux qui cultivent le vrai Dieu, et se perdent par leur conduite, sont confondus par le langage divin (qui dit que) : Ils promettent de connaître Dieu, et par leurs œuvres ils le renient ; combien encore plus restent sans répondre, ceux-là qui, ayant reçu le culte du vrai (Dieu), aux créatures inanimées et muettes offrent (adoration) !

28. Mais, quoique de différentes armes soit pourvu l'ennemi de la vérité, en faisant penser aux sages de la Grèce qu'une matière se tenait toujours auprès de Dieu, (matière) d'où il a (tiré et) fait les créatures ; et, comme le nom de matière, dans leur langue, se rapproche de fange, à cause de cela, ils ont pensé de la (matière) sorti le commencement des maux.

Les inventeurs de la religion des Perses, pour avoir douté d'où proviennent les maux, par les mêmes routes, s'égarèrent loin de la vérité, balbutièrent les mêmes sottises avec d'autres histoires, feignant que d'un seul père deux enfants sont nés, l'un bon et créateur du bien, l'autre mauvais et artisan des maux. Dans le même piège sont aussi tombées les sectes que l'ennemi, comme l'ivraie, a semées au milieu du froment ; car les unes (de ces sectes) admettaient trois racines (ou principes, celui) du bien, (celui) du juste, et (celui) du mal. Les autres (admettaient) deux (principes, celui) du bien et (celui) du mal. D'autres encore admettaient sept (principes).

Or, de l'Eglise de Dieu telle est l'œuvre : confondre les profanes (ou infidèles) par les réalités de la vérité, sans (le secours des) Ecritures, et, quant aux opinions des croyants non conformes à la vérité, les corriger, par le secours des livres saints.

Four les opinions matérielles dans lesquelles se sont égarés les Grecs, nous croyons suffisamment les atteindre par ce premier traité, mais, contre les inventeurs de la religion des Perses, (après nous être) réfugiés dans les grâces de Dieu, nous entrerons en lutte.


 

[1] On pensera sans doute qu’Eznig est fort modéré dans ses expressions en parlant de Marcion, si l'on se rappelle le portrait qu'en fait Tertullien. Rien, dit-il, n'est si horrible pour la Kolkhide que d'avoir donné naissance à Marcion, qui est plus sombre qu'un Scythe, plus versatile qu'un Sarmate, plus inhumain qu'un Massagèhte, plus audacieux qu'une amazone, plus obscur qu'un nuage, plus froid que l'hiver, plus fragile que la glace, plus trompeur qu'un Istriote, plus escarpé que le Caucase.

 

 

 

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