Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
LE TESTAMENT DE SAINT ÉPHREM
Extrait du Journal Asiatique, juillet-décembre 1901, pp. 234-320
LE TESTAMENT DE SAINT ÉPHREM,
Traduit du syriaque PAR
M. RUBENS DUVAL.
INTRODUCTION.
I. On a déjà beaucoup écrit sur le Testament de saint Ephrem pour en défendre ou en contester l'authenticité; mais une étude critique en reste encore à faire. Nous nous proposons de rechercher ici dans quelle mesure ce document peut être attribué à l'illustre Père de l'Église syrienne. D'une lecture, même superficielle, il ressort avec évidence que le Testament se compose de plusieurs morceaux disparates, à peine reliés entre eux. Cette constatation a déterminé quelques auteurs à le rejeter en bloc comme apocryphe, tandis que ses défenseurs étaient obligés d'admettre des interpolations. Celles de ces interpolations qui sont reproduites dans la version grecque du texte, syriaque doivent être anciennes, car les œuvres de saint Ephrem ont été traduites en grec peu de temps après la mort de leur auteur. Nous ne connaissons, il est vrai, cette version que par l'édition publiée par Twaites en 1709 d'après des manuscrits d'Oxford et réimprimée par Joseph Simon Assémani dans Sancti Ephraem syri opera, tom. sec. graece et latine, p. 230. Mais il est peu vraisemblable qu'il ait été fait plusieurs versions grecques du Testament et, comme le remarque M. Lamy[1] : « En comparant la traduction latine faite par Vossius sur les manuscrits grecs de Rome et de Crypto-Ferrata avec le texte grec édité à Oxford et reproduit à Rome, on voit que les manuscrits grecs diffèrent peu entre eux et reproduisent une même version.[2] ». Les manuscrits du texte syriaque qui sont conservés en Europe sont de beaucoup postérieurs à saint Ephrem; le plus ancien ne remonte pas au delà du viie ou du viiie siècle. Ils ont été utilisés pour les éditions qui ont été publiées, de la manière suivante : La première édition, faite par Assémani dans l'ouvrage cité ci-dessus (tom. sec. graece et latine, p. 395), reproduit le texte d'un manuscrit du Vatican, qui a été écrit vers 1100 dans le couvent syrien du désert de Nitrie en Egypte. Plus loin, p. 433, Assémani a donné les variantes d'un manuscrit de la Propagande qui est incomplet et ne comprend que la première partie du Testament. La seconde édition a été publiée par Overbeck dans S. Ephraemi syri ....... opera selecta, p. 137, d'après trois autres manuscrits du couvent de Nitrie, qui n'étaient pas connus avant leur entrée au British Muséum, où ils portent les cotes : Add. 14582 ; Add. 14624 ; et Add. 14666. Le ms. Add. 14624, du ixe siècle, selon Wright, est le plus complet des trois. Le ms. Add. 14582, daté de l'an 812, ne contient pas l'histoire de Moïse et des Magiciens, ni l'épisode de Lamprotaté. Le ms. Add. 14666, du viie ou viiie siècle, est incomplet ; il manque toute la première partie jusqu'à l'histoire de Moïse et des Magiciens. L'édition d'Overbeck est très inférieure à celle d'Assémani; elle reproduit le texte du ms. Add. 14624 qui est rempli de fautes et de lacunes; souvent le vers est boiteux et la ligne métrique est incomplète. Overbeck a comblé les principales lacunes à l'aide des autres manuscrits du British Muséum et de l'édition d'Assémani. La seule utilité de cette seconde édition est de faire connaître les variantes des manuscrits de British Muséum. Une troisième édition paraîtra prochainement dans un recueil de documents syriaques que M. le P. Bedjan a réunis sous le titre de Liber Superiorum. . . Cette édition donne le texte du ms. 69 (Sachau, 72) de la Bibliothèque royale de Berlin, qui renferme une collection de différents morceaux faite par un certain Slîbhâ et vieille peut-être de deux ou trois siècles; voir Verzeichniss der syr. Handschriften von Ed. Sachau, erste Abtheilung, p. 268, § vi. Il manque au commencement le titre et les trois premiers vers, et, dans la dernière partie, un feuillet qui comprenait la fin de l'hymne sur la Vigne, et le commencement de l'épisode de Lamprotaté. M. Bedjan a comblé ces lacunes au moyen d'un manuscrit qu'il a fait venir de Mossoul. Le texte de son édition diffère beaucoup de celui des deux premières éditions, mais il n'en modifie pas la teneur générale. Il n'a pas l'histoire de Moïse et des Magiciens, ni quelques autres parties précédant cette histoire. M. Bedjan a eu l'amabilité de me communiquer le manuscrit de Mossoul, qui a été écrit en 1805, et de m'envoyer en même temps les épreuves de son édition du manuscrit de Berlin, ce qui m'a permis de donner les variantes de ces deux manuscrits. II. C'est du fond même du Testament qu'on tirera, à notre avis, les meilleurs arguments en faveur de son authenticité. Ephrem, si haut placé dans l'estime du monde chrétien, autant par sa vie exemplaire que par son activité intellectuelle, a seul pu écrire une confession empreinte d'une humilité aussi exagérée. Relisons ces phrases prises entre beaucoup d'autres semblables : Malheur à toi, Ephrem, à cause du jugement, quand tu paraîtras devant le tribunal du Fils et que tes connaissances t'entoureront à droite et à gauche! Là sera ta honte, malheur à celui qui sera confondu là ! (Strophe i de la traduction ci-après.) Si l'on vous montrait mes fautes, tous vous me cracheriez à la face. Je suis souillé d'iniquités et de fautes ; ….. je suis couvert de la boue du péché. (Strophe vii.) Quand je me souviens de mes actes, mes genoux tremblent et mes dents grincent. Quand je me rappelle ce que j'ai fait, le frisson me saisit, car je n'ai fait absolument rien de bon pendant ma vie. Aucune bonne œuvre n'a été faite par moi dès le jour que mes parents m'ont enfanté. (Strophe x.) Un autre qu'Ephrem a-t-il pu exprimer de pareilles pensées? D'autres arguments, moins importants à nos yeux, ont cependant par leur ensemble un poids égal. On se demandera quel but aurait poursuivi un faussaire en traitant d'un pareil sujet. De la part d'Ephrem, le Testament s'explique naturellement. Le maître vénéré s'est proposé un double objet en mettant par écrit ses dernières volontés : recommander à ses disciples et à ses amis de lui faire les funérailles les plus simples, conformes à sa vie passée dans l'humilité et l'abnégation ; et les engager à demeurer fermes dans la foi qu'il a prêchée, en évitant de tomber dans les erreurs des hérétiques ou dans l'apostasie des faibles qui tremblent devant les persécuteurs. Au point de vue littéraire, cette œuvre rentre bien, quoi qu'on en ait dit, dans le genre d'Ephrem, dont elle rappelle le style sans chaleur el le goût des répétitions et des développements de la même idée. Saint Grégoire de Nysse, dans son panégyrique de saint Ephrem, qui n'était son aîné que de quelques années, témoigne qu'il connaissait déjà le Testament.[3] La tradition qui attribue cette œuvre au Père de l'Eglise, syrienne, est donc aussi ancienne que possible. A l'appui de cette tradition, nous ajouterons ici le texte du verset d'Osée, x, 11, qui est cité en ces termes dans le Testament (strophe ii) : Ephrem est comme une génisse dont l'épaule a secoué le joug. Ce texte diffère de la Peschitto actuelle qui, couronnement à l'hébreu, dit : « Ephrem est une génisse instruite qui aime à fouler (le grain sur l'aire). » L’ancienne. Peschitto suivait, pour l'exégèse biblique, la tradition targoumique. Or le targoum prend l'hébreu « fouler » au sens figuré de « fouler aux pieds, se rebeller ». En effet le targoum paraphrase de cette manière (éd. de Lagarde) : « La communauté d'Israël ressemble à une génisse que l'on dresse à labourer, mais elle ne s'y habitue pas ; elle aime à marcher a sa fantaisie. » Les Septante ont également admis cette interprétation : Ἐφραιμ δάμαλις δεδιδαγμένη ἀγαπᾶν νεῖκος « Ephraïm est une génisse instruite à aimer la rébellion. » La Peschitto actuelle donne donc une leçon corrigée qui n'existait pas encore du temps de S. Ephrem. III. Si le Testament est réellement sorti de la plume de S. Ephrem, ce n'est pas à dire qu'il nous soit parvenu dans sa forme primitive. Les interpolations qu'il a subies sont le fait d'un réviseur qui ne s'est pas contenté, d'insérer à tel ou tel endroit des passages qu'il tirait probablement des œuvres (authentiques ou non) de S. Ephrem, mais qui a dû modifier ou commenter le texte qu'il avait sous les yeux en suivant ses propres impressions. Ces modifications ont, du reste, été encore aggravées par les variantes que les copistes postérieurs ont introduites. Il est regrettable que la version grecque ne soit pas littérale et qu'elle nous offre autant une paraphrase qu'une traduction; le commentaire y recouvre le fond au point de rendre parfois méconnaissable la phrase syriaque. C'est d'autant plus regrettable que, comme nous l'avons déjà rappelé, cette version doit être ancienne; mais il est évident, d'un autre côté, que le traducteur avait entre les mains, non pas le texte original, mais le document révisé et surchargé, des interpolations qu'il renferme. Dans ces conditions, les recherches ayant pour but de séparer le bon grain de l'ivraie deviennent difficiles, mais elles acquièrent de l'attrait et elles seront fructueuses si l'on se met en garde contre l'arbitraire. Pour ces recherches, nous avions songé à utiliser l'édition d'Assémani et la traduction française de M. Lamy, auxquelles il nous aurait suffi de renvoyer le lecteur. Mais nous avons bientôt reconnu que ce procédé était insuffisant pour nous orienter et pour orienter les autres. Nous nous sommes donc décidé à réimprimer le texte avec une traduction française. Pour la constitution du texte nous avons, en général, suivi l'édition d'Assémani et le texte du manuscrit du Vatican, et nous avons donné les variantes des autres manuscrits. Cependant nous avons introduit dans le texte les variantes qui paraissaient préférables ou qui se trouvaient dans plusieurs manuscrits. Il nous a paru peu utile de traduire les variantes laissées hors texte. IV. Le Testament est écrit en vers de sept syllabes réunis deux par deux dans une ligne métrique qui forme une phrase. Éphrem affectionnait ce vers dont il s'est servi pour ses homélies métriques et un certain nombre de ses hymnes. Les hymnes se composaient de strophes terminées par un refrain et appartenaient au genre lyrique, à l'inverse des homélies qui représentaient le genre épique, et n'étaient pas susceptibles de la division strophique. Le Testament, en fait, est un cantique et il rentre dans le genre lyrique. Il se divise aisément en strophes d'inégale étendue, suivies d'un refrain de quatre vers ou deux lignes métriques. Ce fait, qui n'a pas encore été reconnu, a son importance, car il contribue dans une large mesure à distinguer les parties interpolées de ce document. Le manuscrit du Vatican désigne le Testament comme une homélie, et Assémani divisa son texte en paragraphes, composés généralement de quatre vers, comme c'est le cas dans ce genre de compositions. Mais, dès le commencement, cette coupe apparaît arbitraire et contraire à l'ordre des phrases: Ego Ephrem morior, et Testamentum scribo, ut unicuique monumentum relinquam ex iis, quae possideo. Ut saltem propter verba mea, mei memoriam faciant qui me cognoscunt. Hei mihi, quoniam dies mei consummati sunt, et spatium annorum meorum evanuit. Abbreviatum est stamen ...... Le manuscrit de Berlin intitulait aussi ce poème une homélie, à en juger par la clausule de la fin ; le texte, du reste, y est divisé en paragraphes de quatre vers. Le manuscrit de Mossoul a aussi en tête : Homélie de saint Ephrem. M. Lamy admet également que les vers suivent le parallélisme et marchent quatre par quatre, mais sa traduction est continue et ne distingue que le vers seul. En dehors des strophes et des refrains, la division admissible est la ligne métrique composée de deux vers. Nous aurions voulu marquer cette division par un blanc à la fin de chaque ligne, mais cette méthode aurait occasionné trop de rejets. Pour éviter cet inconvénient, nous avons mis les lignes métriques bout à bout en les séparant par un point et un trait. La traduction reproduit en caractères romains les parties qui forment le fond du Testament. Les caractères italiques indiquent, au contraire, les interpolations évidentes ou possibles. TRADUCTION.TESTAMENT DE SAINT ÉPHREM.
I. Moi, Ephrem, je me meurs et j'écris un testament. — Pour laisser à chacun un souvenir de ce qui m'appartient. — Afin que, ne serait-ce qu'à cause de mes paroles, mes connaissances se souviennent de moi. — Hélas! mon temps est achevé et la durée de mes années est terminée. — La trame s'est raccourcie et la toile est près du joug. — L'huile a manqué dans la lampe ; mes jours et mes heures se sont enfuis. — Le mercenaire a fini son année, et l'étranger a accompli son temps. — Les exécuteurs et mes conducteurs m'ont entouré de part et d'autre. — Je gémis, personne ne m'écoute! Je supplie, personne ne me délivre! — Malheur à toi, Ephrem, à cause du jugement, quand tu paraîtras devant le tribunal du Fils! — Et que tes connaissances t'entoureront à droite et à gauche. — Là sera ta honte, malheur à celui qui sera confondu là! O Jésus, juge, toi-même, Ephrem, et n'abandonne pas à un autre son jugement. — Car celui que Dieu jugera, verra la miséricorde au tribunal. II. J'ai, en effet, entendu dire aux savants, et j'ai appris des sages. — Que celui qui voit la face du roi, ne meurt pas, même s'il a péché. — Osée m'effraie beaucoup par son blâme et ses reproches : — « Les cheveux d'Ephrem sont devenus blancs, et il n'a pas honte.[4] » — Et encore : « Ephrem est comme une génisse dont l'épaule a secoué le joug.[5] » — Si quelqu'un disait : « C'est d'Ephraïm, fils de Joseph, qu'a parlé Osée. » — Moi, je sais qu'il n'a pas distingué Ephrem d'Ephraïm. — David me réjouit un peu : « Ephrem est l'appui de ma tête.[6] » — Non pas que je veuille me glorifier, Dieu m'en est témoin. — Mais je veux, mes frères, vous donner mes commandements, mes instructions et nies exhortations. — Afin que vous vous souveniez de moi, ne serait-ce qu'à cause de mes paroles. — Venez donc me fermer les yeux, car il est décidé que je vais mourir. Je jure par votre vie, mes disciples, et par la vie d'Ephrem lui-même. — Du lit sur lequel Ephrem est monté, il ne descendra plus. III. J'ai supporté la douleur et le fardeau, mais je ne puis plus endurer l'angoisse. — Je place devant vous un signe et j'y mets un miroir, — Afin que vous le regardiez à toute heure, et que vous vous efforciez de l'imiter. — De mes jours, je n'ai injurié personne, et n'ai eu de querelle avec quelqu'un depuis que j'existe. — Avec les renégats, il est vrai, j'ai discuté à toute heure dans les assemblées, — Car vous savez que si le chien voit entrer le loup dans la bergerie — Sans sortir et aboyer contre lui, le maître du troupeau le frappe. Le sage ne hait personne si ce n'est le sot. — Le sot, de son côté, n'aime personne si ce n'est le sot son semblable. IV. J'en jure par Celui qui est descendu du mont Sinaï et qui a parlé sur le rocher, — Par la bouche qui a dit « Eli », et alors les entrailles des créatures ont frémi, — Par Celui qui a été vendu par Judas et qui a été flagellé dans Jérusalem, — Par la puissance de Celui qui a été souffleté et par la Majesté qui a reçu des crachats, — Par les trois noms de feu et par l'inspiration et la volonté unique, — Je n'ai pas douté de l'Église ni de la puissance divine. — Si, dans mon esprit, j'ai magnifié le Père plus que le Fils, qu'il ne me soit pas fait miséricorde! — Si j'ai abaissé le Saint-Esprit au-dessous de Dieu, que nies yeux soient aveuglés! — Si ma foi n'était pas conforme à mes paroles, que j'aille aux ténèbres extérieures! — Si je parle avec hypocrisie, que je brûle dans le feu avec les méchants ! — Si c'est par adulation que je vous entretiens ainsi, que le Seigneur ne m'exauce pas au tribunal ! Je jure par votre vie, mes disciples, et par la vie d'Ephrem lui-même, — Qu'Ephrem n'eut ni bourse, ni bâton, ni besace. — Car j'ai entendu le Seigneur dire : « Vous ne posséderez rien sur terre.[7] » V. Venez, mes frères, me saluer et me dire adieu, car je m'en vais. — Je vous conjure, mes amis, de vous souvenir de moi — Dans vos prières et vos oraisons, car mes jours et mes heures sont achevés. — Je vous conjure, mes disciples, par des serments indissolubles, — De ne pas traiter mes paroles de trompeuses et de ne pas rejeter mes préceptes. — Que celui qui me déposera sous l'autel, ne voie pas l'Autel céleste ! — Car il ne sied pas qu'une odeur impure soit répandue dans un lieu saint. — Que celui qui me placera dans le temple, ne voie pas le Temple royal, — Car un vain honneur ne sert de rien à qui en est indigne. — Tout homme entrera nu, rendre ses comptes. — Pourquoi faire des honneurs à celui qui ne s'est pas honoré? — Celui qui ne s'honore pas lui-même, le monde ne l'honore pas. Tout passe, comme vous l'avez entendu dire à Notre-Seigneur. — C'est pourquoi, mes frères, je vous dis ces choses en pleurant. VI. Le temple de pierres sera détruit, comme vous l'avez entendu et lu. — Mais le temple de chair ressuscitera pour la rétribution et l'interrogatoire.[8] — Le Seigneur ne jugera pas les pierres; ce sont les hommes qu'il jugera — Ne recevez de moi aucun souvenir, mes amis, mes frères et mes fils! — Vous avez en effet le souvenir que vous tenez de Jésus. — Si vous le preniez d'Ephrem, Ephrem en recueillerait du blâme, — Car le Seigneur me dirait : « Plutôt qu'en moi, ils ont cru en toi ! — S'ils avaient eu confiance en moi, ils n'auraient pas demandé un souvenir de toi. » — Ne me mettez pas avec les confesseurs, car je suis un pécheur et un pauvre, — Et je crains, à cause de mes défauts, de m'approcher de leurs reliques. — Lorsque la paille touche au feu, elle brûle et elle est consumée par lui. — Je ne déteste pas leur contact, mais je crains en raison de mes défauts. J'ai entendu le prophète dire:[9] « Ni Noé, ni Job, ni Daniel — Ne sauveront leurs parents, ni un frère ne délivrera son frère. » VII. Si quelqu'un me portait à bras, que ses mains soient couvertes de la lèpre de Giézi.[10] — Portez-moi sur les épaules, et emmenez-moi à la hâte. — Inhumez-moi comme un homme vil, car j'ai tristement usé mes jours. — Pourquoi me glorifier, ô hommes, moi qui rougirai de honte devant Notre-Seigneur? — Et pourquoi me proclamer bienheureux, moi dont les œuvres seront mises à nu? — Si l'on vous montrait mes fautes, tous vous me cracheriez à la face. — Si l'odeur du pécheur frappait celui qui s'en approche, — Vous tous, vous fuiriez devant l'odeur fétide d'Ephrem. — Que celui qui m'envelopperait de soie, s'en aille aux ténèbres extérieures! — Que celui qui m'envelopperait de pourpre, soit jeté dans la Géhenne embrasée! — Ensevelissez-moi dans ma tunique et mon manteau, les parures ne servent de rien à l'homme méprisable — Et les honneurs ne sont point utiles au mort qui gît couché dans le tombeau. — Je suis un pécheur, comme je l'ai dit; que personne ne me proclame bienheureux. — A Dieu sont manifestes mes œuvres et les mauvaises actions que j'ai commises. — Je suis souillé d'iniquités et de fautes; je suis couvert de la boue du péché. Quelle iniquité n'est point en moi ? Quel péché n'habite pas en moi! — Tous les vices honteux et méprisables existent en moi, comme je l'ai dit. VIII. Levez-vous, Edesséniens, mes frères, mes maîtres, mes fils et mes pères. — Apportez ce que vous avez fait vœu de mettre auprès de votre frère. — Apportez et placez devant moi, mes frères, l'offrande de vos vœux, — Afin que, pendant que j'ai encore une lueur d'esprit, j'en fixe moi-même le prix. — Les objets de valeur seront vendus et on achètera, à la place, des serviteurs. — On fera des distributions aux pauvres, aux indigents et aux nécessiteux.[11] — Ce sera pour vous une aide, et pour moi-même un profit. — Pour vous qui avez donné, ce sera une rétribution, et pour moi qui ai conseillé, un salaire de faveur. — Autre, en effet, est le salaire des œuvres, autre le salaire des paroles. — Celui qui donne, mes amis, est supérieur à celui qui reçoit, comme vous l'avez appris.[12] — Bienvenu soit, mes frères, votre présent, que vous avez mis de côté pour m'honorer, — Quoique j'en sois indigne, car j'ai consumé mes jours dans le péché. — Celui qui honore le prophète, recevra la récompense du prophète, — Comme, l'a juré la bouche de notre Maître,[13] et vous savez qu'elle ne ment pas. — Quoique je sois un pécheur, que le Christ vous donne votre récompense, — Lui, dans la confiance de qui vous m'avez fait cet honneur. — Que ce Maître, en vue duquel vous m'avez honoré, mes amis, — Vous donne la récompense de votre vœu et accueille vos offrandes. — Bien que je ne sois pas un prophète, vous recevrez la récompense du prophète. Bénie soit la cité dans laquelle vous habitez, Edesse, mère des sages, — Qui a été bénie de la bouche vivante du Fils par l'intermédiaire de son disciple.[14] — Que cette bénédiction demeure en elle jusqu'à ce que le Saint apparaisse. IX. Que celui qui retiendra l'objet de son vœu, meure de la mort d'Ananias, — Qui voulut tromper les Apôtres, mais, découvert, il tomba frappé à leurs pieds.[15] — Que celui qui portera un cierge devant moi, soit brûlé par le feu de ce cierge. — A quoi bon le feu pour celui qui a le feu en lui-même? — Pendant que le feu extérieur brille, le feu intérieur brûle en lui. — La douleur intérieure me suffit, n'ajoutez pas une douleur extérieure. — Sur moi, sur mes pareils et mes semblables, versez vos pleurs mes frères, — Car j'ai passé mes jours dans le péché et l'oisiveté, sans profit. —Au moment où je n'y songeais pas, le voleur est survenu et m'a surpris. — A l'heure où je ne m'y attendais pas, le ravisseur a surgi et s'est approché. — Il m'a emmené d'ici vers un lieu que je ne connais pas. Je le supplie, ô guide, de ne pas nie molester et de ne pas m'affliger. — Si tu agissais avec moi selon mes fautes, ce serait une grande calamité. Que deviendrais-je? X. Quand je me souviens de mes actes, mes genoux tremblent et mes dents grincent. — Quand je me rappelle ce que j'ai fait, le frisson me saisit. — Car je n'ai fait absolument rien de bon pendant ma vie. — Aucune bonne œuvre n'a été faite par moi dès le jour que mes parents m'ont enfanté. — Ne mettez pas avec moi des parfums, les honneurs ne me conviennent pas, — Non plus des aromates, ni des odeurs, honneur qui ne me servirait pas. — Bridez l'encens dans le sanctuaire; moi, accompagnez-moi de vos prières. — Offrez à Dieu les parfums, et pour moi chantez des psaumes. — A la place d'odeurs et d'aromates, faites mention de moi dans la prière. — A quoi bon une senteur délicieuse, pour le mort qui ne peut la respirer? — Portez et faites fumer votre encens dans le sanctuaire, pour délecter ceux qui entreront. — N'ensevelissez pas une pourriture infecte dans la soie qui lui est inutile. — Abandonnez au fumier celui qui ne peut jouir des honneurs. Au riche sied le luxe, et au pauvre le fumier. — A la race royale appartient le gouvernement, et au vilain la servitude. XI. Ne me déposez point dans vos tombeaux; vos ornements ne me seraient d'aucune utilité. — J'ai promis à mon Dieu de me faire inhumer avec les étrangers. — .le suis un étranger comme eux; placez-moi avec eux, mes frères. — Tout oiseau aime son espèce, et l'homme s'attache à son semblable. — Placez-moi dans le cimetière où reposent les contrits de cœur, — Afin que le fils de Dieu, lors de sa venue, répande sa rosée et me ressuscite avec eux.[16] —Vois, Seigneur, comme je t'implore, que ta miséricorde se répande sur moi! — Je t'en supplie, Fils du Miséricordieux, ne me traite pas selon mes fautes. — Si tu retiens les péchés, qui pourra affronter ta présence[17] ? — Si tu es un juge, personne ne sera innocent lors du jugement. — Toute bouche sera fermée, comme il est écrit,[18] et tout le monde sera coupable. — Mais je ne désespère pas, car je cite les Ecritures. — A quoi servirais-tu, ô Fils du Miséricordieux, si je vais à l'enfer de feu? — Fais grâce, selon ton habitude, car ta bonté est bien connue. — Si tu prononçais la sentence, comme l'a déclaré ta justice, — Pas un sur mille ne serait juste, ni deux sur dix mille. Ainsi tu te tranquillises, Ephrem, à la pensée que je ne prononcerai de sentence contre personne, — Que les innocents seront égaux aux coupables, et les justes et les bons, aux méchants. XII. Certes, il n'est nullement possible d'associer la lumière et l'obscurité.[19] — Comment Abel et Caïn le meurtrier pourraient-ils être égaux? — Comment serait-il question de mettre ensemble les confesseurs et les persécuteurs? — Ceux-là crieraient et protesteraient si j'émettais une telle prétention. — Je ne te demande pas, ô Fils du Dieu bon, de mettre sur le même rang les bons et les méchants, — Mais j'invoque ta miséricorde pour moi, mes pareils et mes semblables. — Voilà ce que j'ai dit et ce que je dis, et je ne sortirai point de cette parole : — Si tu ne fais miséricorde, personne ne verra le royaume des cieux. — Car il n'y en a qu'un d'innocent parmi tous ceux qui ont revêtu un corps. — Ce n'est pas parce que je suis pécheur que je parle ainsi, — Mais, mes frères, je rapporte exactement les Ecritures. — « Cesse, Ephrem, tes sentences de sagesse, me dit l'ange de la mort. — Tes artifices ne te serviront de rien et ton conducteur ne restera pas en arrière. » Il s'est durement irrité contre moi et m'a dit: « Ferme ta bouche, — Tous ne sont pas comme toi des hommes perdus. » Le pécheur s'imagine que tout le monde est comme lui, — Et l'aveugle croit que les autres lui ressemblent. XIII. Venez, mes frères, m'étendre, car il est décidé que je ne demeurerai pas. — Donnez-moi, comme viatique, des prières, des psaumes et des sacrifices. — Quand le trentième jour sera accompli, faites mémoire de moi, mes frères, — Car les morts reçoivent du secours des sacrifices qu'offrent les vivants. — N'avez-vous pas vu, d'un côté, le vin dans l'amphore et, de l'autre côté, le raisin mûr dans la vigne? — Tandis que le raisin vif mûrit dans la vigne, le mort s'agite dans l'amphore. — Lorsque l'oignon émet une odeur fétide, mes amis, — En même temps qu'il germe dans le champ, il pousse aussi dans la maison. — A plus forte raison les morts ont-ils le sentiment de leurs commémoraisons. — Si tu me dis, ô Sage : « Ce sont là choses de la nature, — Et je ne croirai à la nature que si tu m'apportes un témoignage, » — Prends patience, je t'en apporterai de l'Ecriture si tu veux. — Après trois générations, Moïse fait revivre Ruben dans ses bénédictions.[20] — Si les morts ne reçoivent pas de secours, à quoi bon les bénédictions du fils d'Amram? — Les défunts ne ressentent rien? Ecoute ce que dit l'Apôtre : — « Si les morts ne ressuscitent pas, pourquoi se faire baptiser pour eux[21]? » — Si les hommes de la famille de Mathathias qui accomplissaient les saints offices — Pour les armées, comme vous l'avez lu, ont expié, par leurs sacrifices les fautes — De ceux qui étaient tombés pendant le combat et qui étaient païens de mœurs,[22] —A plus forte raison les prêtres du Fils purifieront-ils les défunts — Par leurs saints sacrifices et les prières de leur bouche. Lorsque vous viendrez pour ma commémoraison, que personne ne fasse le mal et ne commette de péché, — Mais veillez, mes frères, avec pureté, chasteté et sainteté. XIV. Non pas que le péché d'impureté soit la plus grave des fautes, — Il existe d'autres péchés plus amers que la luxure, — Mais je ne veux pas engager Il manque la page 296 du texte traduit que ton Seigneur l'emplisse de sagesse ! — J'ai entendu le prophète dire : « Ouvre ta bouche et je la remplirai.[23] » Siméon, que Dieu t'entende[24] lorsque ta l'invoqueras dans ta prière! — Quand tu entreras dans une ville,[25] que son église soit pleine comme une coupe! — Que les fiancées accourent te voir, ainsi que les pieuses recluses ! —Quelles entendent de toi des paroles de sagesse et apprennent à vivre! — Quelles reçoivent de toi secours et avantages spirituels ! — Tel qu'un médecin dans une armée, que ta réputation se répande dans la création! Mara d'Aghel,[26] homme parfait, simple et pur, — Parfait non pas par nature, mais simple par bonne volonté, — Que Celui, en la récompense de qui mettant ton espoir, tu es devenu mon disciple dans la détresse, —Te donne, avec les justes, le salaire dû aux élus. Zénobe, homme vaillant,[27] guerrier et chasseur, —Que ta parole soit de feu et quelle dévore les ronces des superstitions ! — Comme la flamme dans la forêt, que ton verbe consume les fausses doctrines ! — Comme David, sois vainqueur et marche, non pas contre Goliath, mais contre les fils de l'erreur! — Revêts l'armure des prophètes et la cuirasse des apôtres. — Que ton Seigneur t'accompagne et soit ton escorte à jamais invincible ! Paulona,[28] maudite soit ta mère ! Malheur au sein qui t'a mis au monde ! — Tu accueilles toutes les superstitions, tu touches à toutes les questions, — Et tu sors de toute ta peine, comme Judas[29] de ses biens. — La colonne que tu as abandonnée montrera un miracle sur ton corps.[30] — Tu t'es appuyé sur un roseau brisé[31] et tu as délaissé le bâton de la Croix. Arvad,[32] homme pernicieux, que ta mémoire soit effacée des vivants, — Puisque tu as délaissé le vin du Christ, et que tu as bu la lie du péché ! — Que le Fils, contre lequel ta bouche a blasphémé, poursuive entre tes mains son outrage ! Les Ariens, les Ennomiens, les Cathares et les Ophites; — Les Marcionites, les Manichéens, les Daisanites et les Koukiens; — Les Paulianites, les Vitalianiens, les Sabbatites et les Bourboriens, — Avec les autres doctrines des superstitions affreuses. Béni soit celui qui a choisi l'Église sainte, brebis que les loups n'ont point mordue. — Colombe pure que l'épervier rapace n'a pu atteindre. XVI. Le calice est entre les mains du Seigneur; il est rempli de vin et de lie.[33] — Les renégats ont bu el se sont enivrés ; ils se sont séparés et retournés contre Jésus. — Le chien enragé, s'il le peut, mord même son maître ; — Ainsi les hérétiques aboient et blasphèment contre leur maître. — Gloire à Celui qui est trop au-dessus d'eux pour qu'ils puissent parvenir à sa hauteur ! — Si les pervers avaient la faculté de monter aux cieux, — Ils jetteraient la discorde dans le séjour calme des êtres célestes. — Leurs semblables l'ont tenté autrefois; ils cherchèrent à atteindre les cieux. — La justice divine les frappa et ces pervers furent confondus et couverts de honte. — Si ceux qui voulurent monter au séjour des anges célestes — Furent frappés de la sorte, et reçurent ce châtiment, — Quelle peine est donc réservée, mes frères, aux téméraires, —Qui veulent diviser le Père du Fils et du Saint-Esprit? — Conservez ma doctrine, mes disciples, et ne vous écartez pas de ma foi. — Que celui qui doute de Dieu, erre sur la terre comme Caïn ! — Que celui qui abaisse le Fils au-dessous du Père, descende vivant dans la terre ! — Que celui qui blasphème contre le Saint-Esprit, n'obtienne pas le pardon! — Que celui qui doute, de l'Église, soit couvert de lèpre comme Giézi ! — Que celui qui s'écarte de ma foi, reçoive la corde de Judas! — C'est un grand péché que le blasphème, fuyez le, mes amis. Celui qui injurie et blasphème est constamment en révolte contre Dieu. — Les fautes de la chair nous suffisent, n'ajoutons pas à notre perversité. XVII. Une seule chose me donne de l'espoir et du courage devant Dieu, — C'est que je n'ai jamais injurié le Seigneur, et le blasphème n'est pas sorti de ma bouche. — Seigneur, j'ai haï tes ennemis el je n'ai pas aimé les adversaires.[34] — Inscrivez mes paroles sur vos cœurs et souvenez-vous de moi. — Car, après moi, les méchants se rendront auprès de vous. — Ils sont vêtus de peaux d'agneau et, à l'intérieur, ce sont des loups dévorants.[35] — Douces sont les paroles de leurs bouches, mais amer est le désir de leurs cœurs. — Ils prennent l'extérieur des bons, mais ce sont les émissaires de Satan. — Fuyez-les, ainsi que leur doctrine, et ne vous approchez pas d'eux. — Vous savez, en effet, que celui qui se trouve dans un endroit où le roi a été outragé, — Comparaîtra, lui aussi, devant le tribunal et sera interrogé selon la loi. — Quand même il prouverait qu'il n'a pas injurié, il sera condamné pour manque de zèle. — Ne t'assieds pas avec les hérétiques el ne t'associe pas aux renégats. — Mieux vaut habiter avec un démon qu'avec un renégat. — Car, si tu conjures le démon, il s'enfuit et ne peut demeurer devant le nom de Jésus. — Mais le renégat, quand même tu le conjurerais dix mille fois, — Ne cessera pas sa méchanceté et ne sortira pas de sa rage. — Mieux vaut prêcher les démons que de vouloir convaincre les fils de l'erreur. — Les démons, en effet, ont confessé et dit : « Tu es, Seigneur, le fils de Dieu.[36] » — Mais les renégats regimbent toujours et disent qu'il n'est pas le fils de Dieu. — Satan qui demeure en eux, confesse; mais, eux, persistent dans la rébellion. Si le platane poussait sur le roc, le renégat pourrait être converti. — Peut-être que la montagne sera abaissée, comme il est écrit, et deviendra une plaine.[37] — Alors le platane pousserait sur le roc et la parole du prophète serait accomplie. — Ainsi il arriverait peut-être que le renégat se laissât convertir. Si le corbeau pouvait blanchir, le méchant deviendrait un juste. Peut-cire que la neige tombera l'hiver et quelle s'amassera sur les ailes du corbeau. — Celui-ci blanchirait un moment à cause de la neige qui est sur ses ailes. — Ainsi il arriverait peut-être que les méchants entendissent la voix du Jugement, — Qu'ils fussent effrayés du supplice et se repentissent de leurs actions, — Qu'ils revinssent de leur conduite et renonçassent à leurs habitudes. XVIII. Ecoutez mes préceptes, ô mes disciples, et souvenez-vous de mes paroles; — Ne déviez pas de ma foi et ne vous écartez pas de mes leçons. — Quand vous verrez l'émeute et les troubles surgir dans la création, — Veillez à la vérité que vous possédez et demeurez fermes dans votre foi. — Tout ce qui est écrit arrivera ; tout ce qui a été dit s'accomplira. — Le ciel et la terre passeront, mais la lettre Yod ne passera pas, — Comme notre Maître l'a attesté et dit,[38] et vous savez qu'il ne ment pas. Au temps de Moïse, les magiciens s'élevèrent contre le fils d'Amram, — Mais le doigt de Dieu triompha,[39] comme leur bouche l'avoua. — La justice divine, en effet, frappa les oppresseurs d'ulcères rongeurs, — Et, malgré eux, ils furent forcés de confesser et d'attester la vérité. — La Vérité a coutume de patienter à la pensée que le fourbe pourrait se convertir. — Dès que celui-ci croit qu'il s'est élevé et qu'il s'est sauvé, alors elle l'abat. Lorsque Moïse eut reçu la mission de faire sortir le peuple d'Egypte, — Il se présenta devant Pharaon et lui exposa l'ordre qu'il avait reçu du Maître de Pharaon. — A sa parole. Pharaon devint fou de rage et se répandit en blasphèmes. — Le bruit en courut dans toute la ville, et les seigneurs de l'endroit en eurent connaissance. — C'était un ordre de Dieu que personne ne pouvait annuler. — Le roi vit l'éclat dont (Moïse) était revêtu et il en fut terrifié. — Quel homme ne craindrait pas devant son maître quand il le voit? — Qui ne tremblerait devant son Dieu quand il l’aperçoit? — Par ce mystère, Pharaon eut peur de Moïse et de son Dieu. Les magiciens d'Egypte s'assemblèrent pour voir ce nouveau prodige. — Sa face était celle d'un ange de Jeu et d'esprit, — Plus éclatante que le soleil, plus brillante gue l'éclair. — En le voyant, on croyait voir un dieu; en entendant sa voix, on le méprisait parce qu'il était bègue. — Les uns le tenaient pour un être céleste, les autres l'appelaient un bon à rien, — car, s'il valait quelque chose, il s'aiderait d'abord lui-même. Moïse, comme vous l'avez appris, savait la langue du pays — Puisqu'il avait été élevé à la cour de Pharaon dans toutes les sciences des Egyptiens, — Ainsi qu'en témoigne l'Apôtre en parlant de lui1. — Pendant qu'il l'ignorait encore, le Saint-Esprit qui habitait en lui, — Lui qui lui avait révélé les événements depuis Adam et dans la suite, — Lui faisait connaître et lai rapportait le complot tramé contre lai. Pharaon convoqua ses magiciens qui s'assemblèrent avec leurs disciples. — Il se mit à leur parler et à leur donner des ordres au sujet de Moïse. — « Voici le moment et l'occasion de me montrer votre puissance. — Lorsqu'une guerre est imminente, les vaillants reçoivent des commandements, — Et lorsque les épidémies surgissent, tes médecins se font connaître. — Ne soyons pas un sujet de dérision dans la création, parce qu'un bègue se moquerait de nous. — Marchez au combat, un moment nous suffira pour vaincre. — Montrez-vous des héros dans la bataille jusqu'à ce que nous remportions la victoire. — L'univers entier est attentif; on nous tient pour les maîtres de la puissance. — Les rois de la terre louent nos troupes pour leurs guerres. — S'ils nous voyaient, par hasard, tournés en ridicule par un bègue, —Ils se mettraient, eux aussi, à se moquer de nous, encore plus que lui. — Marchez comme des héros renommés; acquérons-nous une gloire immortelle. — Que quiconque entendra, craigne de se soulever contre notre peuple! — Bien que je sois votre roi, je ne suis pas plus tranquille que vous. — S'il en sort de l'honneur, il sera pour nous; mais nous partagerons aussi la honte. » Les magiciens s'enflammèrent comme des hommes qui ont bu et se sont enivrés, — Et promirent de grandes choses devant Pharaon, roi d'Egypte: — « Avant que l'aurore ne soit montée sur l'Egypte, l'âme du fils d'Arn-ram aura monté! — Et tu dormiras encore, que tu apprendras la mort de Moïse, tombé et crevé. — Que compte pour nous cette affaire? C'est jeu d'enfants! — Va et dors en repos, car l'heure de sa mort est arrivée. —Il ne verra pas d'autre lumière que la lumière de ce jour. » Ces magiciens renommés sortirent hors de la présence du roi. — Le roi eut confiance en leur parole, il les crut et les tint pour véridiques. — Cependant le sommeil fuyait ses yeux, et il attendait qu'il fît jour. — S'il lui arrivait de s'endormir, il revoyait ce spectacle en rêve. Les magiciens invoquèrent leurs démons et les envoyèrent contre Moïse. — Ceux-ci se mirent en route, se rendant vers le juste, mais la bonté divine les repoussa. — Comme la tempête chasse le feu, sa prière les chassa. — Comme le vent disperse la fumée, la justice divine les dispersa. — Comme une armée taillée en pièces, ils s'enfuirent loin de Moïse. — Tels des voleurs entendant la voir des gardiens qui viennent, à peine l’ont-ils entendue qu'ils s'enfuient et tournent les talons. — Comme l'obscurité devant la lumière, ils s'enfuirent, les pervers, devant lui — Et s'en revinrent à la hâte et avec précipitation vers ceux qui les avaient engagés. — Leurs démons leur dirent : « Cet homme est trop fort pour nous. — Il ne nous permet même pas d'atteindre sa traîne là où il se trouve. » Le jour monta, la lumière parut; Pharaon, au repos, s'attendait — À ce qu'ils eussent traité le prophète Moïse, comme ils le lui avaient promis. — Après que le temps convenu fut passé et que personne ne venait apporter de nouvelles, — Le roi les fit appeler et leur dit : — « Pourquoi donc ce que vous ave: annoncé ne s'est-il pas réalisé? » — Vous disiez : « Il ne verra pas d'autre lumière que la lumière de ce jour. « Les insensés répondirent : « Prends un peu patience; — Ne t'inquiète pas de cet homme jusqu’à ce que nous ayons exécuté notre projet. — Nous ne pouvons rien faire précipitamment, ô roi! — Le jour ne nous permet pas non plus d'agir, car c'est la nouvelle lune. — Lorsque la lune commencera à décroître, la vie de Moïse décroîtra en même temps. » —Le sot les entendit et crut à leur parole, parce que, comme eux, il était dans terreur. Ils inventèrent des artifices an sujet de Moïse, jusqu'à ce que le temps fixé fût révolu. — Ils prirent de ses cheveux et de ses vêtements et façonnèrent une figurine de Moïse. — Ils placèrent cette image à l'orifice d'an tombeau et invoquèrent contre elle leurs démons.— Là apparurent les diables avec leurs princes et les commandants de leurs légions, — Les chefs de l'armée de la gauche avec leur supérieur général. — Chacun d'eux menaçait de terrasser et de tuer Moite. — Le camp entier se met en marche; tous avancent d'un pas égal. — Mais, du haut de la montagne, à une certaine dit- lance, ils levèrent les yeux et virent Moïse, — Que les anges entouraient comme aux jours d'Élisée. — Ils gémirent et s'enfuirent devant lui sans avoir pu s'en approcher. — La bonté divine les avait dispersés et mis en déroute. — Ils s'en retournèrent honteux de n'avoir pu entamer la force de Moïse. Les magiciens virent ce qui s'était passé et furent saisit d'angoisse. — lis imaginèrent, les fourbes, une ruse qui tourna à leur confusion. — Ces pervers prirent du vin et l'exposèrent, puis ils appelèrent les aspics et les dragons. — Ceux-ci arrivèrent, se placèrent sur le vin et vomirent leur venin par dessus. — Les magiciens portèrent et offrirent le vin à Moïse, pour que cet homme parfait le but et expirât. — « Voici pour toi, dirent-ils; bois ce vin, que t'envoie le roi d'Égypte. — Après un long temps, le roi l'a tiré aujourd'hui en ton honneur. — Comme il a beaucoup vieilli, sa limpidité s'en est ressentie et il est trouble. » Moïse qui connaissait la ruse, rit d'eux avec mépris. — Il prit et but en leur présence ce vin qu'ils lui présentaient, — Il signa le vin au nom du Seigneur et le but sans en éprouver de mal. — Afin qu'ils ne crussent pas qu'il ignorait leurs ruses et leurs artifices, — Cet homme parfait leur dit : « Allez vers votre maître qui m'a envoyé — Le vin mêlé du poison mortel des serpents. » Voici que le guide est près d'arriver : « Cesse, Ephrem, tes sentences de sagesse. » — « Seigneur, Jésus, je t'en supplie, comme un homme supplie son semblable, — Ne me place pas à gauche au moment où tu apparaîtras. » Par votre vie, je ne mens pas au sujet de ce que je vais raconter. — Lorsque j'étais un petit enfant et que je reposais sur le sein de ma mère, — Je vis, comme dans un rêve, ce qui fut la vérité : — Une vigne poussa sur ma langue; elle grandit et monta vers les deux. — Elle donnait des fruits sans fin et des feuilles sans nombre. — Elle s'étendit, s'élargit, chargée de dons, s'allongea, s'arrondit et se répandit de tous côtés. — Toute la Création venait cueillir des fruits sans qu'ils diminuassent. — Plus on en prenait, plus les grappes augmentaient. — Les grappes représentaient les homélies; les feuilles, les hymnes. Le donateur, c'était Dieu ; gloire à lui pour ses bienfaits! — Il m'a comblé, suivant sa volonté, du trésor de ses richesses. XVIII. (suite). Demeurez en paix, mes amis, et priez pour moi, mes connaissances. — Voici le moment arrivé où le marchand- doit retourner à son pays. — Malheur à moi ! Mes marchandises sont perdues, toutes mes richesses sont dissipées. — On ne pleure pas les gens de bien, car ils entrent au tombeau pour recevoir la vie, — Mais sur moi, mes pareils et mes semblables, répandez vos larmes, mes frères, — Parce que nous avons dissipé dans l'inutilité nos jours et nos moments. — Que la terre demeure en repos, et que ses fils soient dans la joie! — Que la paix soit dans les Eglises et que la persécution des méchants cesse ! — Puissent les méchants devenir des justes et se convertir de leurs péchés! Salut, ô guide, qui conduis l'âme hors du corps — Et les divises l'un de l'autre pour qu'ils habitent séparément jusqu'à la résurrection ! Pendant qu'Éphrem parlait ainsi, tout le peuple pleurait. — Il y avait là une jeune fille du nom de Lamprotaté, — Fille du chef militaire, gouverneur de l’Osrhoène. — Dans son affliction, elle s'écria d'une voix entrecoupée de sanglots : — « Malheur à Edesse notre mère! Aujourd'hui son rempart est brisé. —Aujourd'hui s'est obscurcie la lumière de cette cité si renommée. » Elle fend la foule des hommes et des femmes, entre et tombe sur la poitrine d'Éphrem. — Toute en pleurs, la jeune fille l'adjure en ces termes ; — « Au nom de Celui qui a habité en toi selon sa volonté, et qui a parlé par toi comme il lui a plu, — Autorise-moi à faire un cercueil neuf, selon mon désir et ma demande, — Et à en faire un second pour moi-même que je placerai, Maître, à tes pieds. — Que tu ailles en enfer ou an royaume des cieux, ne m'abandonne pas! » « Jeune fille, retire-toi de ma présence, et que le Seigneur grandisse ta mémoire ! — Combien les demandes sont troublantes, et les paroles flatteuses ! — Comme les plaintes sont puissantes l Comme la douleur te sied bien ! — Je ne veux pas condescendre à ta volonté, car je crains le scandale. — On pourrait dire après ma mort : « C'était l'amante d'Éphrem. » — Va et agis selon mon désir, et que les compagnes fassent de même! Ne fais pas un cercueil de marbre, les honneurs me sont inutiles. — La seule chose que je l'ordonne à toi et à tes compagnes, — C'est de ne pas vous asseoir dans une litière et de ne pas atteler les hommes à votre joug ! — Car j'ai entendu l'Apôtre dire : « La tête de l'homme, c'est le Christ.[40] » — Souviens-toi qu'il y a un jugement, pour ne pas avoir à rougir devant le juge. — J'ai appris qu'il est écrit : « (Chacun sera rétribué selon ses œuvres.[41] » La jeune fille jura devant toute l'assemblée et dit : — « Je jure par le Dieu que tu as servi depuis ta jeunesse jusqu'à ta vieillesse, — De ne pas m'asseoir dans une litière et de ne pas me faire porter par des hommes. — « Si mon serment n'est qu'hypocrisie, que le malheur frappe ma jeunesse ! — Si je transgresse les ordres, que je sois confondue devant tout le monde. » « Avant de mourir (reprit Ephrem), je veux le donner une bénédiction, — Afin que l'autorité ne disparaisse pas de la race jusqu'à la fin des siècles, — Jusqu'à ce que Dieu vienne dissoudre le ciel et la terre. »
Fin du Testament de saint Ephrem.EXAMEN DU TESTAMENT DE SAINT EPHREM.Notre traduction justifie par elle-même, croyons-nous, la division en dix-huit strophes que, nous avons faite de ce document littéraire, mais une courte analyse ne sera pas inutile. Elle cherchera à expliquer les nombreuses interpolations qui sont indiquées par les caractères italiques, tandis que le fond du Testament, tel à peu près qu'Ephrem a dû l'écrire, est imprimé en caractères romains. Les strophes, plus ou moins longues, sont d'inégale étendue; le refrain de chaque strophe, au contraire, a la même longueur et comprend quatre vers de sept syllabes, ou deux lignes métriques. On remarquera encore, dans ce document, de nombreux cas de ce phénomène poétique, que l'on a appelé le répons, c'est-à-dire la reprise, au commencement d'une strophe, d'une idée ou d'un mot de la strophe précédente. Ire strophe. Ephrem, sentant sa fin proche, écrit un testament pour laisser ses dernières recommandations à ses disciples et à ses amis. Il craint le jugement de Dieu, mais il a confiance dans la miséricorde de Jésus-Christ. IIe str. Ephrem s'applique à lui-même quelques versets bibliques qui parlent d'Ephraïm (nom que les Syriens prononcent Ephrem). Il en tire peu de consolations, néanmoins il ne veut pas mourir sans donner à ses disciples ses exhortations, comme un dernier souvenir. IIIe str. Ephrem a aimé son prochain et n'a injurié personne; mais il a constamment combattu les hérétiques. Sous ce rapport, il peut offrir sa vie en modèle à ses disciples. IVe str. Ephrem n'a jamais douté des dogmes de l'Eglise et notamment du dogme de la Trinité. Ici encore il n'a rien à se reprocher. Le refrain de cette strophe comprend trois lignes métriques au lieu de deux, mais la dernière ligne peut être une addition postérieure, quoique elle se trouve dans la version grecque et qu'elle soit citée par Grégoire de Nysse. Dans le doute, nous l'avons mise en italique. Ve str. Ephrem a vécu dans l'humilité et ne veut pas d'honneurs après sa mort. Il défend qu'on l'inhume au pied de l'autel de l'église. VIe str. Si les disciples n'oublient pas la mémoire de leur maître, qu'ils se souviennent du Seigneur par-dessus tout ! Ephrem est trop humble et trop pécheur pour que son corps soit déposé auprès des reliques des saints confesseurs. VIIe str. Il devra être enterré comme un homme vil, car il est couvert de la boue du péché. VIIIe str. Ephrem remercie les habitants d'Edesse des offrandes qu'ils ont promises pour honorer ses funérailles, mais il les conjure d'apporter devant son lit de mort les objets qui représentent ces offrandes. Le prix en sera distribué aux pauvres et servira à acquérir de nouveaux serviteurs à la cause de Dieu. Le refrain renferme une bénédiction d'Edesse qui rappelle la légende de la lettre de Jésus à Abgar. La dernière ligne en italique semble avoir été ajoutée postérieurement. Elle se trouve dans la version grecque, mais séparée par le récit interpolé de la guérison d'un démoniaque. IXe str. Les donateurs ne devront rien réserver pour les obsèques qui auront lieu sans pompe. On n'allumera pas de cierges. Les larmes seules conviennent pour un pécheur. La fin est proche. Xe str. Pas d'encens, non plus, pour un homme dont la vie a été inutile. L'encens doit être réservé au sanctuaire. Pas de, linceul de soie pour un cadavre fétide. XIe str. Point de tombeau. Ephrem veut être enterré comme un malheureux dans le cimetière des étrangers, car il n'a été qu'un étranger sur cette terre. Il ne demande qu'une chose, la miséricorde du Fils du Miséricordieux, en raison de ses nombreux péchés. On lui objectera que cette demande mettrait sur le même pied les coupables et les innocents. XIIe str. Non ! Il ne demande pas un traitement égal pour les méchants et les bons, mais les Ecritures lui permettent d'espérer la miséricorde malgré le courroux divin que ses péchés exciteront. XIIIe str. Quand il mourra, qu'on offre pour lui, comme viatique, des prières, des chants, des psaumes et des sacrifices! Trente jours[42] après sa mort, on célébrera un service commémoratif. A celle occasion, Ephrem soutient l'utilité pour les défunts des prières et des sacrifices expiatoires, qui découle de l'évidence du purgatoire. Comme dans ses écrits précédents, il défend cet article de foi que niaient certains hérétiques, et il invoque le témoignage des Écritures. Afin que le sacrifice, offert le jour de sa commémoraison, soit efficace, ceux qui y participeront, devront avoir expié leurs fautes et être purs du péché de la chair. XIVe str. Non pas que le péché de la chair soit le plus grave (l'hérésie est beaucoup plus odieuse) ; mais, si ses amis venaient en état d'impureté au service commémoratif, Ephrem en serait responsable devant Dieu, car c'est lui qui les a conviés au saint sacrifice. XVe str. On s'attendrait à ce qu'Ephrem, après avoir fait allusion aux hérétiques dans la strophe précédente, lançât ici ses imprécations contre eux. Cependant nous lisons un cantique de bénédictions et de malédictions, adressé par saint Ephrem à ses disciples, et dont la forme poétique rappelle le cantique de Jacob (Gen., xlix) et le cantique de Moïse (Deut., xxxiii). Ce cantique qui forme un genre différent de celui des autres strophes, semble avoir été interpolé, quoiqu'il soit reproduit par la version grecque. Il est possible qu'il soit sorti de la plume d'Ephrem, mais l'hypothèse contraire est plus vraisemblable. On remarquera que les noms des disciples, énoncés ici, diffèrent en partie des noms donnés par les Actes de saint Ephrem, écrits peu de temps après la mort de ce saint Docteur. En tous cas, on considérera comme apocryphe l'énumération, à la fin, des différentes sectes hérétiques. Celle liste, qui n'est rattachée par aucun lien à ce qui précède,[43] semble vouloir rappeler les hérésies combattues par Ephrem. Plusieurs de ces hérésies ne sont pas mentionnées dans les œuvres d'Ephrem. Les manuscrits présentent de nombreuses variantes. On ne sait pas ce que représentent les Vitalianiens ; le grec a Οὐαλεντίνων, καὶ Οὐιταλιάνων. Valentiniens dans cette version était sans doute une glose corrigeant Vitalianiens. XVIe str. Ephrem maudit les hérétiques qui rejettent le dogme de la Trinité et abaissent le Fils et le Saint-Esprit au-dessous du Père. XVIIe str. C'est la consolation d'Ephrem de n'avoir jamais blasphémé contre le Seigneur. Les hérétiques sont pires que les démons, car les démons ont confessé la divinité de Jésus-Christ que les renégats s'obstineront constamment à nier. Ceux-ci sont incapables de repentir, aussi n'obtiendront-ils pas le pardon. Le refrain comprend ces deux lignes : « Si le platane poussait sur le roc, le renégat pourrait être converti. — Si le corbeau pouvait blanchir, le méchant deviendrait un juste. » Un lecteur, trouvant trop rigide la sentence de saint Ephrem, qui déclare qu'un hérétique ne se convertira jamais, a apporté un tempérament à ce que cette sentence lui paraissait avoir d'excessif. Le roc, ajoute-t-il, pourrait être changé en plaine et alors le platane y pousserait ; ainsi le renégat pourrait revenir à résipiscence. Le corbeau même pourrait blanchir sous la neige qui couvrirait ses ailes ; ainsi le méchant deviendrait peut-être un juste. La sentence d'Ephrem découle naturellement de sa nature implacable. L'interpolation est manifeste ; la version grecque la renferme également. XVIIIe str. Cette strophe, la dernière du Testament, est actuellement coupée en deux par une nouvelle interpolation. Ephrem, faisant allusion aux persécutions de Sapor II qui sévissaient contre les chrétiens de la Perse, engage ses disciples à demeurer fermes dans leur foi qui leur assurera la vie éternelle. Ici un réviseur du Testament a inséré un long fragment, extrait d'un poème aujourd'hui perdu, racontant la vie de Moïse, et qui était vraisemblablement attribué à saint Ephrem. Ainsi on avait mis sous le nom de ce Père l’Histoire de Joseph, fils de Jacob, dont on doit la publication à M. Bedjan. L'objet de cette insertion était sans doute de confirmer les mots qui précédaient : « Comme notre Maître l'a attesté et dit, et vous savez qu'il ne ment pas. » Dieu, en effet, est véridique; il avait promis à Moïse de lui donner la victoire sur les magiciens d'Égypte ; il a tenu sa promesse dans toutes les luttes que subit Moïse et, chaque fois, a opéré un prodige en faveur de son envoyé. L'interpolation ne fait pas de doute et il est inutile d'y insister.[44] Il suffira de remarquer que ce morceau est du genre épique et ne comporte pas de division strophique. Il manque dans la version grecque et dans le manuscrit syriaque Add. 14582, d'où il a peul être été rejeté à dessein, car la version grecque omet tout ce qui suit jusqu'à l'histoire de Lamprotaté. Les manuscrits de Berlin et de Mossoul présentent une lacune qui porte non seulement sur l'histoire de Moïse et des Magiciens, mais sur les strophes XVI et XVII, et le commencement de la strophe XVIII, qui précèdent cette histoire. Le réviseur qui a introduit ce morceau, a ajouté un refrain composé de six vers ou trois lignes métriques, pour lui donner le caractère strophique que présentent les autres parties du Testament. La première ligne : « Voici que le guide est près d'arriver. Cesse, Éphrem, tes sentences de sagesse », est imitée des passages analogues des strophes IX et XII. Les deux autres lignes: « Seigneur Jésus, je l'en supplie, comme un homme supplie son semblable, — Ne me place pas à gauche au moment où tu apparaîtras », semblent inspirées par les derniers vers de la strophe I ; comparer aussi la strophe XI. La strophe de la vigne symbolisant les homélies et les hymnes d'Ephrem était assurément en dehors du Testament; elle n'est pas à sa place dans cette œuvre de profonde humilité. Le commencement même: « Par votre, vie, je ne mens pas au sujet de ce que je vais raconter », rappelle ces affirmations solennelles des auteurs qui signaient du nom de personnages bibliques les visions apocalyptiques qu'ils imaginaient. Grégoire de Nysse connaissait déjà ce récit attribué à saint Ephrem. Les Actes d'Ephrem savent qu'il se trouvait dans le Testament. L'interpolation est donc ancienne, malgré le silence de la version grecque qui a retranché ce passage. Nous arrivons maintenant à la seconde, partie de la strophe XVIII qui manque dans la version grecque, emportée par la coupure de l'épisode de Moïse et du récit de la vigne. Cette seconde partie est la conclusion logique du Testament et en fait partie intégrante. Ephrem fait ses derniers adieux à ses disciples. Il regrette de n'avoir pas mieux employé son temps ici-bas. Ses dernières paroles sont des vœux pour la fin des persécutions et la conversion des persécuteurs. Ici finissait le Testament. Ce qui suit a été ajouté par un réviseur, comme le laissent entendre ces mots : « Pendant qu'Ephrem parlait ainsi ….. ». Cette phrase introduit un épilogue fort curieux, dont le sens n'a pas été compris jusqu'à ce jour. Une jeune fille du nom de Lamprotaté, fille, du gouverneur d'Édesse,[45] est profondément attristée à la nouvelle de la mort imminente d'Ephrem, la lumière d'Edesse. Elle accourt, se prosterne aux pieds du maître et, d'une voix entrecoupée par les sanglots, lui adresse la prière suivante : Qu'il lui permette de faire mi sarcophage de marbre pour lui et un second pour elle-même. Elle désire être enterrée à ses pieds et ne pas le quitter, qu'il aille au ciel ou en enfer. Ephrem repousse cette demande, car il craint le scandale ; on pourrait croire que cette jeune fille était son amante. Il ordonne à Lamprotaté et à ses compagnes de ne pas se faire porter en litière et de ne pas atteler les hommes à leur joug. Lamprotaté s'engage par un serment solennel à ne pas s'asseoir dans une litière portée par des hommes. Ephrem donne alors sa bénédiction à la jeune fille afin que l'autorité ne disparaisse pas de la race de Lamprotaté jusqu'à la fin des siècles. Lamprotaté, la très brillante (λαμπροτάτη), symbolise la Sagesse que saint Ephrem, aux yeux de ses admirateurs, personnifiait; il était désigné par l'épithète d'Ephrem de la sagesse, ou Ephrem le sage parfait. La Science avec ses compagnes (les diverses branches de la science) disparaîtra d'Édesse en même temps que son illustre maître. Elle ne régnera plus (elle que l'auteur désigne comme étant la fille du gouverneur revêtu de l'autorité), sur la ville qu'Ephrem a rendue si glorieuse. Ephrem ne l'entend pas ainsi : la Science lui survivra, mais elle ne sera pas orgueilleuse et ne recherchera pas les honneurs. Elle conservera le caractère d'humilité qu'Ephrem lui a imprimé. L'autorité qu'elle exerce sur les hommes lui demeurera acquise jusqu'à la fin des siècles. Cette poésie si originale fait honneur à l'imagination de celui qui l'a composée. L'auteur semble avoir eu une certaine culture grecque, à en juger par les mots λαμπροτάτη et δίφρος (ce dernier dans le sens de litière). [1] Le Testament de saint Ephrem le Syrien, Fribourg (Suisse), 1898, dans le Compte rendu du IVe Congrès scientifique des Catholiques, p. 2 du tirage à part. [2] Il existe à la Bibliothèque nationale deux manuscrits de la version grecque : n° 238, fonds Coislin, fol. 168; et n° 597, fonds grec, fol. 241 v°. Tous deux sont conformes au texte grec d'Assémani. Ils contiennent le cantique des Disciples et l'histoire de Lamprotaté, mais ils n'ont ni l'histoire de Moïse et des Magiciens, ni l'anecdote de la Vigne. [3] Voir sur ce sujet M. Lamy, Le Testament de saint Ephrem le Syrien, cité plus haut, p. 29 du tirage à part. Il ne résulte pas des passages rapportés par M. Lamy que Grégoire de Nysse avait déjà sous les yeux la version grecque du Testament telle qu'elle nous est parvenue. [4] Osée, VII, 9. [5] Osée, X, 11. [6] Ps., XL, 7. [7] Cf. Math., I, 9. [8] Cf. I, Cor., xv. [9] Ezéch., XIV, 14. [10] II Rois, v, 27. [11] Le sens que nous adoptons nous semble plus conforme au texte syriaque. [12] Act., XX, 35. [13] Math., X, 41 [14] La version grecque ajoute ici le récit de la correspondance d'Abgar et de Jésus-Christ; puis vient la ligne que nous avons mise en italique. [15] Act., V, 1-5. Ici la version grecque insère l’épisode d’un démoniaque guéri par saint Ephrem. [16] Narsès, dans son homélie (inédite) sur les défunts, exprime la même idée : « Le signe (du Christ) répandra la rosée de la charité sur la face de la terre; — Et, à l'instar des semences, les corps sortiront de la poussière. » [17] Ps., CXXIV, 3. [18] Rom., III, 19. [19] II Cor., VI, 14. [20] Deut., XXXIII, 6. [21] I Cor., XV, 19. [22] II Macc., XII, 43-46. [23] Ps., LXXX, 11. [24] Allusion au sens d'entendre que donne l'étymologie du nom Siméon. [25] Jeu de mots entre invoqueras et ville, qui, en syriaque, ont une forme analogue. [26] La version grecque: ἄνηρ Γαλιλαῖος « de Galilée ». [27] Assémani traduit : « vir Gaziraeus », et M, Lamy «de Mésopotamie ». La version grecque a mieux compris le sens [28] La version grecque a également Paulona. [29] Var. « comme l’homme ». La version grecque a aussi : ὡς Ἰουδας ὁ Ἰσκαριότης. [30] La version grecque : τέρας δείξει φρίκωδες ἐν τῷ σώματί σου. [31] Is., XXXVI, 6. [32] Dans la version grecque Ἀρουαδ. [33] Ps., LXXV, 8. [34] Ps., CXXXVIII, 21. [35] Matth., VII, 15. [36] Matth., VIII, 29. [37] Is., XI, 4. [38] Matth., V, 18. [39] Cf. Ex., VIII, 19. [40] I Cor., XI, 3. [41] Rom., II, 6. [42] Les mss. de Berlin et de Mossoul ont trois jours. [43] La version grecque supplée, à ce manque de liaison. Après les derniers mots du paragraphe d'Arvad : « poursuive contre lui son outrage », elle continue : « ainsi que contre toutes les hérésies, à savoir: les Ariens. [44] Assémani en faisait la remarque, p. 405, à la marge : « Quae hic de Moyse et Magis dicuntur, ex alio S. Ephraemi sermone in testamentum ab Amanuensi oscitanter translata videntur. »
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