Traduction française : l'Abbé AUGER.
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
PANÉGYRIQUE DES QUARANTE MARTYRS.
SOMMAIRE.
Après quelques réflexions sur le panégyrique des martyrs en général, et eu particulier de ceux dont il entreprend de faire l'éloge, l'orateur parle de la patrie dont les panégyristes profanes faisaient un des sujets de leurs louanges il trace un tableau dus persécutions, il représente les quarante martyrs qui tous étaient des guerriers courageux confessant hardiment qu'ils étaient chrétiens. En vain le juge cherche à les gagner par des promesses, à les épouvanter par des menaces ils persistent dans leur confession. Le discours que St. Basile leur met dans la bouche est plein de force et de générosité. Ils sont condamnés à être exposés nus au milieu de la ville, au fort de l'hiver, pendant une nuit où le froid était rigoureux. Ils supportent leur supplice avec constance, ils s'exhortent mutuellement à tenir fermes. On avait placé près d'eux un bain d'eau chaude, et un garde pour recueillir ceux qui cèderaient à la souffrance. Un seul abandonna son poste et courut au bain mais il fut remplacé par un des bourreaux. Ou les mit tous dans un char pour être conduits au bûcher. Un d'entre eux, plus robuste que les autres, avait tenu contre le froid ; il respirait encore, et les bourreaux le laissaient dans l'espérance qu'il changerait de sentiment. Sa mère le prit entre ses bras, et le mit elle-même dans le char. Toutes ces circonstances sont décrites avec beaucoup d'intérêt, accompagnées de beaux mouvements et de pensées frappantes. L'orateur exhorte ceux qui l'écoutent à recourir avec confiance à ces saints martyrs, et à implorer leur intercession.
QUAND on a du zèle pour la gloire des martyrs, peut-on se lasser de célébrer leur mémoire ?
Les honneurs que nous rendons aux serviteurs de Dieu, sont un témoignage de notre attachement, pour le Maître commun. Louer les hommes pleins de courage, c'est annoncer que, dans l'occasion on pourra les imiter. Exaltez donc avec ardeur celui qui a souffert le martyre, afin que vous deveniez martyr par la volonté, et que, sans être en butte aux persécutions, aux flammes et aux fouets, vous obteniez les mêmes récompenses que les généreux athlètes de notre Religion. Nous avons aujourd'hui à admirer, non un seul martyr, non deux, ni même dis, mais quarante, qui, ayant une même âme dans différents corps, animés du même esprit de la foi, ont montré la même patience dans les tourments, ont soutenu le parti de la vérité avec la même constance. Parfaitement semblables entre eux, leurs sentiments et leurs combats ont été les mêmes ; et voilà pourquoi ils ont remporté une même couronne de gloire. Quel discours pourvoit les louer dignement ? Ce ne serait pas assez de quarante bouches pour célébrer le courage de torts ces hommes héroïques. Un seul d'entre eux, proposé à notre admiration, surcroît pour étonner la faiblesse de notre éloquence ; que sera-ce d'une si grande multitude, d'un bataillon de généreux soldats, d'une troupe d'hommes invincibles, aussi supérieurs en courage pendant leur vie, qu'au-dessus de toute louange après une mort glorieuse? Nous allons donc, en rappelant leur mémoire, les faire paraître au milieu de cette assemblée, et représenter, comme dans un tableau, leurs actions mémorables pour l'utilité de ceux qui nous écoutent. Les orateurs, par l'éloquence, les peintres, par le pinceau, savent mettre au jour les actions fameuses des guerriers illustres, pour inspirer aux autres des sentiments de courage. Les faits pie présente la parole en les faisant retentir à l’oreille, la peinture en silence les offre à l'œil par la vérité des couleurs : ainsi, rappelons la fermeté de nos saints martyrs ; mettons, pour ainsi dire, leurs actions en spectacle, pour engager à les imiter les chrétiens qui approchent le plus deux par le courage, qui leur sont le plus étroitement tuais par les sentiments. L'éloge des martyrs est d'exhorter à la vertu les fidèles assemblés près de leurs tombeaux.
Les discours prononcés en l'honneur des saints ne s'asservissent pas aux règles des éloges ordinaires. Les panégyristes profanes tirent leurs louanges de qualités mondaines ; mais comment ces qualités pourvoient-elles illustrer des hommes pour qui le monde a été crucifié ? Les saints que nous célébrons n'avaient pas la même patrie ; ils s'étaient rassemblés de plusieurs endroits différents. Quoi donc ? dirons-nous qu'ils étaient sans villes, ou citoyens de l'univers Les effets d'une même communauté appartiennent également à tous ceux qui ont mis leurs biens en commun : ainsi, les bienheureux, tels que nos martyrs, se regardent tous comme d'un même pays ; quoique sortis de divers lieux, ils se communiquent chacun la patrie qui leur est particulière. Mais pourquoi parler de leur patrie terrestre, lorsque nous pouvons élever nos vues jusqu'à la cité qu'ils habitent maintenant ? La patrie des martyrs est la cité de Dieu ; cette cité dont Dieu est le fondateur et l'architecte, la Jérusalem d'en-haut (Hb. 12. 22), cette ville libre, la mère de Paul et de tous ceux qui lui ressemblent. L'origine temporelle est différente pour tous les hommes ; mais tous n'ont qu'une même origine spirituelle. Dieu est leur père commun ; ils sont tous frères, non point nés d'un homme et d'une femme, mais unis ensemble par la charité, fruit de l'adoption divine. Le chœur auquel les saints doivent se réunir est toujours prêt : c'est une grande troupe d'êtres qui glorifient le Seigneur depuis le commencement dit monde, qui ne se sont pas rassemblés à un, mais qui ont été transportés tous ensemble. Et comment s'est fait ce transport ?
Nos quarante martyrs se sont distingués dans leur temps, par la hauteur de la stature, par la vigueur de la jeunesse, par la grandeur du courage. Inscrits pour servir, leur science et leur bravoure leur méritèrent les premiers grades de la part des princes, et leur acquirent dans le monde une grande réputation. On publia un édit injuste et coupable qui défendait sous les peines les plus graves, de confesser Jésus-Christ. On menaçait les fidèles de tous les supplices, les juges signalaient contre eux leur fureur et leur rage ; on employait, pour les surprendre, les ruses et l'artifice ; on disposait tous les genres de tortures, et ceux qui présidaient à ces tortures étaient inexorables. On allumait des feux, on aiguisait des épées, on plantait des croix, on préparait des cachots, des roues, des fouets. Parmi les fidèles, les uns prenaient la fuite, les autres cédaient lâchement, les autres étaient ébranlés. Quelques-uns, avant le combat, étaient effrayés par les seules menaces ; d'autres se décourageaient à la vue des supplices ; d'autres, au milieu du combat, ne pouvant résister jusqu'au bout à la douleur, abandonnaient la partie ; et, semblables à ceux qui sont surpris par une tempête au milieu de la mer, ils perdaient, par un triste naufrage, ce qu'ils avaient amassé par la patience. Ce fut alors que nos généreux et invincibles soldats de Jésus-Christ, paraissant en public, après avoir entendu la lecture de l'édit de l’empereur et l'ordre d'y obéir, confessèrent qu'ils étaient chrétiens, avec une intrépide assurance, sans être épouvantés par aucunes menaces, sans être intimidés par l’appareil des supplices. O bienheureuses langues, saints organes de paroles qui sanctifièrent l'air ou elles furent reçues, auxquelles les anges applaudirent, qui confondirent les démons, et que le seigneur lui-même écrivit dans le ciel ! Chacun de ces martyrs paraissant devant le tribunal, disait : Je suis chrétien. Ceux qui entrent dans la lice pour combattre disent leurs noms, et aussitôt passent du côté des combattants : nos saints athlètes, oubliant le nom qu’on leur avait imposé à leur naissance, s'annonçaient tous sous un nom pris du Sauveur commun. Tous, l'un après l'autre, prenaient le même nom, et sans songer à celui sous lequel ils étaient connus dans le monde, ils s'appelaient tous chrétiens.
Quel parti le juge prit-il alors ? il était habile et rusé : il cherchait tantôt à les gagner par la douceur, tantôt à les frapper par les menaces. Il commença d’abord à leur parler doucement pour tâcher d'ébranler leur foi. Vous êtes jeunes, leur disait-il, ne vous perdez point dans la lieur de votre âge ; ne précipitez point votre mort en renonçant aux agréments de la vie. Ce serait une chose indigne, que des hommes accoutumés aux grandes actions de la guerre mourussent de la mort des malfaiteurs. Il leur promit ensuite de grandes sommes d’argent. Il leur offrait de la part du prince des honneurs et des grades militaires ; il les attaquait par mille propositions : mais, comme ils résistaient à cette épreuve, il tenta une autre voie. Il menaça de leur faire subir les plus horribles supplices, de les faire périr par les plus cruels genres de mort. Voilà ce que fit le juge ; et les martyrs, que firent-ils ? Ennemi de Dieu, lui dirent-ils avec confiance, pourquoi cherches-tu à nous gagner pais tep, promesses prétends-tu que nous renoncions ait service du Dieu vivant pour nous assujettir aux démons, auteurs de notre ruine ? crois-tu pouvoir nous donner autant que tu nous ôtes ? je hais des présents qui causeraient ma perte ; je n'accepte point des honneurs qui entraîneraient mon infamie. Tu ne nous offres que des trésors qui passent, qu'une gloire qui se flétrit. Tu veux nous rendre amis de l'empereur, mais tu nous enlèves l'amitié du Souverain de l'univers. Pourquoi nous présentes-tu quelques faibles portions d un monde que nous méprisons tout entier ? Les objets qui frappent nos regards ne peuvent équivaloir aux espérances qui remplissent notre âme. Vois ce ciel ; que sa beauté et sa grandeur sont admirables ! Vois l’étendue de la terre et combien elle renferme de merveilles. Tout cela n'est rien en comparaison de la félicité des justes ; tout cela passe, et cette félicité reste. Il est un seul présent que je désire, c'est la couronne de justice ; il est mie seule gloire après laquelle je soupire, c'est celle du royaume des cieux. Je brûle d'obtenir les honneurs du ciel, je redoute les supplices de l'enfer; ses feux sont pour moi à craindre, ceux dont tu nous menaces ne sont rien, ils respectent les contempteurs des idoles. Je regarde tes coups comme des traits lancés par un enfant. Tu frappes le corps ; or plus le corps résiste, plus il sera glorifié ; sil succombe promptement, il sera plus tôt délivré de la violence de ses juges iniques, qui, après avoir exercé un cruel empire sur les corps, prétendent dominer sur les âmes. Si nous ne vous préférons pas à Dieu, vous êtes indigné comme si vous éprouviez de notre part le plus sanglant outrage ; vous nous menacez des plus affreux supplices, n'ayant d'autre crime à nous reprocher que la piété ; mais vous ne trouverez pas en nous des hommes timides, des hommes attachés à la vie, et qui, se laissant aisément effrayer, renoncent à leur amour pour Dieu. Nous sommes prêts à souffrir les roues, les chevalets, les flammes, toutes les espèces de tourments.
Le tyran superbe et barbare ayant entendu ces paroles des martyrs, fut outré de leur sainte hardiesse; et se livrant à toute sa fureur, il cherche un moyen de leur faire subir une mort aussi cruelle que longue. Voici ce qu'il invente; voyez jusqu’où il porte la barbarie. Le climat était naturellement très froid ; on était au fort de l’hiver, il choisit le temps de la nuit où le froid redouble, et où le vent de nord soufflait : il commande qu'on dépouille les martyrs, qu'on les expose nus à l’air au milieu de la ville, et qu'on les laisse mourir de froid. Si vous avez jamais senti un froid excessif, vous pouvez imaginer combien ce supplice était rigoureux; il n'y a que celui qui en a fait l’expérience qui puisse avoir une juste idée de ce tourment. Le corps pénétré de froid devient livide, parce que le sang se fige ; il tremble et il frémit; les dents battent les unies contre les autres, les nerfs se retirent, toutes les parties du corps se rétrécissent avec violence. Une douleur aiguë, une douleur qu'on ne peut exprimer, cause au malheureux transi de froid un mal insupportable. Les extrémités se détachent comme si le feu les avait brûlées, parce que la chaleur, se réfugiant au-dedans, laisse mortes les parties qu' elle abandonne, en munie temps qu'elle fait souffrir celles où elle se rainasse; enfin, la mort s'avance peu à peu avec le froid qui gagne sans cesse. Nos saints guerriers furent donc condamnés à passer la nuit à l’air dans la saison la plus rigoureuse, lorsque l étang qui environne la ville, changé par la glace et devenu une plaine solide, laissait un passage aux hommes et aux chevaux; lorsque les fleuves avaient cessé de couler, et que l’eau naturellement fluide avait pris la dureté de la pierre; lorsque les vents qui soufflaient étaient si piquants qu'ils faisaient périr les animaux.
Admirez, je vous prie, le courage invincible des martyrs, lesquels ayant entendu l'arrêt de leur condamnation, quittèrent avec joie leurs vêtements, et coururent à la mort qu'ils allaient souffrir par le froid, s'exhortant les uns les autres comme s'ils eussent marché à une victoire certaine. Ce ne sont pas, disaient-ils, nos vêtements que nous dépouillons, mais le viril homme, qui se corrompt en suivant l'illusion de ses désirs (Ep. 4. 22). Nous vous rendons grâces, Seigneur, de ce qu'avec nos habits nous déposons le péché. Le serpent antique nous les avait fait prendre, nous les quittons pour Jésus-Christ. Laissons-les pour recouvrer le paradis que nous avons perdu. Quelle reconnaissance témoignerons-nous au Seigneur (Ps. 113. 12.) ? Il s'est vu dépouillé lui-même de ses habits (Mt. 27. 28 et suiv.) : quelle merveille si le serviteur soutire ce que le Maître a souffert, ou plutôt c'est nous-mêmes qui l'avons dépouillé; ç'a été le crime des soldats; ce sont eux qui ont ôté au Sauveur ses habits et qui les ont partagés entre eux. Effaçons donc par nous-mêmes l'accusation consignée contre nous dans l'Évangile. L'hiver est rude, mais le paradis et agréable ; la gelée est piquante, mais le repos est doux. Attendons un peu, et nous serons réchauffés dans le sein du patriarche Abraham. Une seule nuit de souffrance nous procurera un bonheur éternel. Que le froid glace nos pieds, afin qu’ils tressaillent sans cesse dans le chœur des anges. One nos mains gelées tombent, afin que nous fuissions lis lever avec confiance vers le Maître commun. Combien de nos compagnons ont péri dans les combats pour garder la fidélité à un prince mortel ! et nous n'abandonnerions pas notre vie pour rester fidèles au Souverain du monde ! que de malfaiteurs pris en flagrant délit ont subi la mort! et nous craindrions de mourir pour la justice! Ne perdons pas courage, chers compagnons; ne fuyons pas devant le démon; ne ménageons pas notre chair. Puisqu’il faut absolument mourir, mourons pour vivre éternellement. Que notre sacrifice se consomme devant vous, Seigneur (Dan. 3. 40.), et daignez l'agréer. Recevez-nous comme une hostie vivante agréable, comme une offrande magnifique (Rm., 12, 1), comme un holocauste d'une nouvelle espèce, consumé par le froid, et non par le feu.
C'est ainsi que les martyrs s'exhortaient mutuellement et s'animaient dans leurs souffrances. Ils passèrent toute la nuit comme dans une sentinelle militaire, supportant généreusement leurs maux, se soutenant par l'espérance de l'avenir et insultant au démon leur adversaire. Ils adressaient tous au ciel les mêmes vœux: Seigneur, nous sommes entrés quarante dans la lice, soyons couronnés quarante. Qu'il n'en manque pas un seul à ce nombre; ce nombre précieux, que vous avez honoré vous-même par un jeûne de quarante jours (Mt. 4. 2), ce nombre par lequel la loi est entrée dans le monde (Ex. 34. 28). Le Prophète Élie, après avoir cherché le Seigneur par un jeûne de quarante jours, eut l'avantage de le voir (3. Rois. 19. 8). Telle était la prière de nos saints. Un seul de la troupe, se laissant abattre par les maux, abandonna son poste, et causa une douleur infinie à ses compagnons; mais le Seigneur ne laissa pas leur prière sans effet, et les dédommagea de cette perte. Ils étaient surveillés par un garde qui se chauffait dans un gymnase voisin. Cet homme avait ordre d'observer ce qui se passerait, et d'accueillir ceux des soldats qui, succombant au froid, voudraient se retirer; car on avait imaginé de placer près de là un bain d'eau chaude, lequel offrait un prompt secours à ceux qui changeraient de parti. C’était le juge qui avait inventé cet artifice, afin d’ébranler la constance des martyrs, afin que ceux qui n'auraient pas la force de persévérer jusqu'au bout, pussent trouver un prompt remède à leurs maux; mais cette invention ne fit que montrer dans tout son jour la patience des martyrs. Car c'est moins celui qui manque du nécessaire, qui est ferme et patient, que celui qui supporte les peines au milieu des plaisirs qui s'offrent à lui en foule. Lorsque nos soldats intrépides étaient an fort du combat, leur gardien qui en observait l'issue, fut témoin d'un spectacle extraordinaire; il vit des anges qui descendaient du ciel, et qui distribuaient de grandes récompenses aux combattants, comme de la part du Roi suprême. Ils négligèrent d'en donner à un seul qu'ils jugèrent indigne des honneurs célestes. Ce malheureux ne pouvant tenir davantage contre le froid, passa aussitôt du côté des ennemis. Triste spectacle pour les justes, de voir un soldat déserteur, un brave fait prisonnier, une brebis de Jésus-Christ dévorée par le loup! Et ce qu'il y eut de plus triste encore, c'est qu'ayant perdu la vie éternelle, il ne trouva pas même la vie temporelle ; car dès qu'il fut entré dans le bain d'eau chaude, sa chair tomba en dissolution. L'amour de la vie lui fit commettre un crime dont il ne tira aucun fruit. Le bourreau l'ayant vu perdre courage, abandonner son poste et courir au bain, quitta ses vêtements pour aller se mettre à sa place ; il se mêla parmi les martyrs, s'écriant avec eux: Je suis chrétien. Ce changement soudain les surprit, compléta leur nombre, et les consola en quelque manière de la perte de leur compagnon qu'il remplaçait. Ainsi dans la mêlée on voit des soldats prendre aussitôt la place de ceux qui meurent à la première ligne, polir remplir les rangs et empêcher qu'ils ne s'affaiblissent; c'est ce que fit notre néophyte. Le prodige céleste lui ouvrit les yeux; il reconnut la vérité, eut recours au Seigneur, et fut mis au nombre des martyrs. Il renouvela l'exemple des apôtres. Judas déserta, Mathias prit sa place (Ac. 1. 26). Il fut imitateur de Paul qui, hier persécuteur, était aujourd'hui évangéliste (Ac. 9. 21). Sa vocation vint aussi d'en-haut. Il fut appelé non de la part des hommes, ni par un homme (Gal. 1. 1). Il crut au nom de Jésus-Christ notre Seigneur: il fut baptisé en lui, non par un ministère étranger, mais par sa propre foi; non dans l'eau, mais dans son propre sang.
Dès que le jour parut, les martyrs qui respiraient encore furent livrés au feu, leurs cendres furent jetées dans le fleuve, afin que tous les éléments servissent à leur triomphe. Après avoir été éprouvés sur la terre, ils furent exposés à l'air, ensuite jetés dans le feu, et l'eau reçue: leurs cendres. On pointait donc leur appliquer ces paroles du Roi-Prophète : Nous avons passé par l'eau et le jeu, et vous nous avez enfin conduits dans un lieu de rafraîchissement (Ps. 65. 1).
Ce sont les protecteurs de notre pays et de notre ville ; semblables à de fortes tours, ils nous défendent coutre les attaques de nos ennemis. Ils ne se sont pas renfermés dans un même lieu, mais ils servent d'ornement à plusieurs contrées dans lesquelles ils se sont répandus. Ce qu'il y a de surprenant, c'est qu’ils marchent étroitement unis ensemble, sans se séparer pour ceux qui les adoptent pour patrons. ils ne sont jamais ni en moindre nombre, ni en plus grand nombre : divisez-les en cent, ils ne seront pas plus de quarante ; réunissez-les en un, ils ne seront pas moins de quarante [1]. Ils imitent la nature du feu, lequel passe à celui qui l'allume, se partage entre plusieurs, et se donne tout entier à chacun. C'est une grâce abondante et inépuisable, c'est un secours toujours prêt pour les chrétiens, que cette assemblée de martyrs, cette armée de triomphateurs, ce chœur d'hommes qui glorifient Dieu. Quelle peine ne prendriez-vous pas pour trouver un seul saint qui voulût intercéder pour vous auprès du Très-haut? En voici quarante qui élèvent pour vous leurs voix de concert. En quelque lieu que deux ou trois personnes soient assemblées au nom du Seigneur, il est au milieu d’elles (Mt. 18. 20) ; peut-on douter qu’il ne soit au milieu de quarante ? Que celui qui est dans la peine, comme celui qui est dans la joie, ait recours aux saints dont nous célébrons la mémoire, afin que l'un soit délivré de ses maux, et que le bonheur de l'autre dure toujours. Ils écoutent les prières d'une femme pieuse, qui leur recommande ses enfants, qui leur demande le retour ou la santé de son mari. Melons nos prières avec celles de nos saints martyrs. Que les jeunes gens les imitent ; que les pères souhaitent d'avoir de pareils enfants ; que les mères prennent pour modèle la mère courageuse d'un de nos généreux athlètes. Cette femme voyant que les autres étaient presque morts, et que son fils, qui, plus robuste, avait tenu contre le froid, était laissé par les bourreaux dans l'espérance qu'il pourrait changer de sentiment, le prit elle-même entre ses bras, et le mit sur le char qui conduisait les antres au bûcher. Vraiment mère d'un martyr, elle ne versa pas d'indignes larmes, elle ne tint pas de discours rampants, qui pussent déshonorer cette grande cérémonie. Va, mon fils, lui dit-elle, achève ta glorieuse carrière avec ceux de ton âge, avec tes compagnons. Ne quitte point ton rang, ne parois point après les autres devant le Seigneur. Il heureux rejeton d'une bonne racine ! Cette mère généreuse lit bien voir qu'elle avait eu encore plus de soin d'alimenter son fils de saintes maximes, que de le nourrir de son lait. Ce fut ainsi qu'après l'avoir saintement élevé, une mère pieuse conduisit son fils au triomphe. Le démon se retira confus. Il avait soulevé contre les martyrs tout ce qu'il y a de plus affreux, une nuit horrible, le vent le plus piquant, le froid le plus âpre, la nudité des corps, la rigueur du climat ; mais il trouva que leur vertu avait triomphé de tout. Chœur sacré, saint bataillon, armée invincible, astres du monde, ornements des églises, protecteurs du genre humain, puissants intercesseurs, prenez part à nos peines et appuyez nos prières. La terre n'a pas renfermé vos corps dans son sein, mais le ciel vous a reçus ; les portes du paradis vous ont été ouvertes. C'était un spectacle digne de l'armée des anges, digne des patriarches, des prophètes, des justes, un spectacle, en un mot, pour le monde, pour les anges et pour les hommes, que des jeunes gens qui, dans la fleur de l'âge, lorsqu'on espère le plus de vivre, ont méprisé la vie temporelle, ont aimé le Seigneur plus que leurs parents et leurs enfants, ont glorifié Dieu dans leurs membres. Par leur constance admirable, ils ont relevé ceux qui étaient tombés, rassuré ceux qui balançaient, redoublé l'ardeur des fidèles ; et, élevant tous ensemble un trophée à la Religion, ils ont reçu tous ensemble la couronne de justice, en Jésus-Christ notre Seigneur, à qui soient la gloire et l'empire dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
[1] J'ai traduit le grec tel que je l'ai trouvé, depuis ce qu’il y a de surprenant; mais j'avoue que je n'entends pas bien la pensée de l'orateur.