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Térence

INTRODUCTION

INTRODUCTION

Suivant Suétone (Vita Terenti), Térence (P. Terentius Afer) naquit à Carthage; mais il n'était pas Carthaginois; autrement il aurait reçu le surnom de Poenulus, et non celui d'Afer. Le mot Afer s'appliquait aux Africains, en grec Λίβυες. Il y avait à Carthage un grand nombre d'Africains esclaves. Térence eut sans doute pour père un de ces esclaves. On hésite sur la date de sa naissance. En 160, c'est-à-dire après avoir donné ses six comédies. il n'avait pas plus de 25 ans, au dire de Suétone. Il serait donc né en 185 av. J.-C., un an après la mort de Plaute. Ennius et Cécilius vivaient encore. Mais dès l'antiquité, cette date a été contestée. L'historien Fenestella, qui vécut sous Auguste et Tibère, et peut-être le grammairien Santra, qui lui est un peu antérieur, ont pensé qu'il fallait reculer la naissance de Térence de quelques années, Quand l'Andrienne parut, l'auteur n'avait pas vingt ans.. Est-il vraisemblable que ses adversaires n'eussent pas fait allusion à son extrême jeunesse, s'il avait composé l'Andrienne à dix-neuf ans? Le vieux poète mal intentionné, qui s'est acharné après toutes les pièces de son jeune rival, aurait-il- pu dire de lui qu'il s'était appliqué tout d'un coup à l'art théâtral, s'il y avait débuté à dix-neuf ans? Et les anciens ne se seraient-ils pas extasiés sur une telle précocité? Ils ignoraient, comme nous, la date exacte de la naissance de Térence; mais, comme ils savaient qu'il avait été le familier de Scipion l'Africain, il est bien possible qu'ils l'aient fait naître en 185, parce que Scipion était né en cette année-là. Aussi plusieurs critiques modernes sont portés à croire que Térence naquit quatre ou cinq ans plus tôt (01). Quoi qu'il en soit, il fut amené à Rome, encore enfant, dans la maison du sénateur Térentius Lucanus, par quelle voie, achat ou cadeau, nous n'en savons rien. En tout cas, ce n'était pas à titre de prisonnier de guerre, attendu, dit Fenestella, qu'il naquit et mourut entre la fin de la deuxième guerre punique et le commencement de la troisième. Frappé de son intelligence et de sa beauté, son maître le fit élever comme un homme libre et l'affranchit de bonne heure. Le jeune affranchi prit, comme c'était l'usage, le nom de son patron, et garda comme surnom son nom d'esclave : il s'appela dès lors P. Terentius Afer. C'était le temps où, selon le mot d'Horace, la Grèce vaincue commençait à conquérir son vainqueur. Dans le milieu où Térence fut élevé, la culture grecque était en grand honneur. Térence y fut initié comme les jeunes patriciens qui fréquentaient la maison du sénateur. Il dut étonner ses maîtres par sa précocité, et ceux-ci le pous­sèrent sans doute vers la carrière littéraire où ses goûts et ses talents le portaient. Il se tourna vers la palliata, c'est-à-dire le genre de comédie grecque qu'on a appelé, la comédie nouvelle. Ce genre avait jeté en Grèce un vif éclat et les poètes Diphile, Apolodore, Philémon, Ménandre et Posidippe avaient fait applaudir au troisième siècle av. J.-C,; sir le théâtre d'Athènes une multitude de chefs-d'œuvre. Introduite à Rome en 240 par Livius Andronicus, la palliata avait été cultivée par Naevius,  Plaute, Ennius, Cécilius. Elle penchait vers son déclin, lorsque Térence essaya à son tour de mettre sur la scène , quelques-unes des pièces qu'il admirait dans le théâtre grec. Il débuta par l'Andrienne qui parut avec succès en 166 et fit représenter la même année l'Eunuque, dont le succès fut tel que la pièce fut jouée deux fois de suite. L'année suivante l'Hécyre, qui devait être donnée aux jeux Mégalésiens, ne put être représentée, parce que le public déserta la scène pour aller voir un funambule. Elle eut la même infortune en 160, aux jeux funèbres en l'honneur de Paul-Émile : le premier acte seul put être joué. Enfin, reprise la même année, aux jeux Romains, elle réussit. En 163, parut l'Heautontimorumenos (le Bourreau de soi-même); en 161, le Phormion, et enfin les Adelphes en 160, aux jeux funèbres organisés par les fils de Paul-Émile en l'honneur de leur père (02). A l'exception de l'Hécyre et du Phormion, tirés de l'Hécyre et de l'Epidicazomenos d'Apollodore de Carystos, Térence avait pris toutes ses pièces dans Ménandre.
Après la troisième représentation de l'Hécyre, en 160, il partit pour la Grèce. Il voulait connaître le pays d'Apollodore et de Ménandre, étudier sur place les mœurs et les institutions, voir jouer sur les théâtres grecs les ouvrages en vogue et faire son choix dans l'immense répertoire de la comédie nouvelle. Perclus (Vita Terenti) dit qu'il se rendit. dans la terre de Grèce la plus éloignée, et Volcacius (chez Suétone), qu'il se rendit de Grèce en Asie. Peut-être commença-t-il son voyage par quelque ville d'Asie, et il se peut que Pergame l'ait attiré d'abord avec sa bibliothèque riche en manuscrits. Après une année de séjour, il revenait à Rome, lorsqu'il mourut, selon les uns, dans un naufrage, près de Leucade, selon les autres, à Stymphale, en Arcadie, de maladie et du chagrin d'avoir perdu ses manuscrits qu'il avait fait partir à l'avance et qui avaient péri en mer. D'après Q. Cosconius (Vita Terenti de Suétone), il rapportait 108 pièces traduites de Ménandre. L'erreur saute aux yeux. Comment dans une année, en voyage, un homme aurait-il pu traduire 108 pièces? Il est évident qu'au nombre véritable un copiste irréfléchi a substitué le nombre 108 qui était celui des pièces attribuées à Ménandre. Térence laissait une fille qui fut mariée à un chevalier romain, et, comme héritage, un jardin de vingt arpents, sur la voie Appienne, près du temple de Mars. Son biographe nous apprend qu'il était de taille moyenne mince et brun.

Ses amitiés.
Sa polémique avec ses adversaires.

Il avait connu dans la maison de Térentius les fils des principales familles romaines et il s'était lié particulièrement avec trois d'entre eux, Scipion, le futur vain­queur de Numance et de Carthage, le sage Lélius et le jeune Furius Philus. Ses ennemis firent courir le bruit qu'il se faisait aider par eux dans la composition de ses pièces. Il s'en défendit mollement dans le prologue des Adelphes, et se contenta de répondre qu'il était fier de plaire à des gens qui plaisaient à tout le peuple. Une telle réponse n'était pas de nature à couper court à la calomnie; aussi fit-elle son chemin et passa de l'antiquité aux modernes, si bien que notre Montaigne va jusqu'à lui retirer la paternité de ses oeuvres pour en faire honneur à Scipion et à Lélius. Mais elle ne soutient pas l'examen. Térence est bien l'auteur de ses pièces, et  tout ce qu'il doit à ses nobles amis, c'est d'avoir appris en leur compagnie la langue de la belle société et peut-être, à l'occasion, quelques conseils sur le choix de ses oeuvres ou sur quelque détail de composition.
Ses ennemis lui faisaient, d'autres reproches, et d'abord celui de contaminer les pièces grecques, c'est-à-dire de mêler à une pièce principale des scènes et des personnages empruntés à une autre pièce grecque. C'est en effet ce qu'il a fait dans l'Andrienne, dans l'Eunuque et dans les Adelphes. Luscius Lanuvinus, qui mena le branle contre lui, était un délicat qui considérait comme un sacrilège de changer quelque chose aux chefs-d'œuvre du théâtre grec. Mais ici Térence maintint ses droits avec fermeté et, s'abritant derrière Naevius, Ennius et Plaute, il déclara qu'il préférait suivre leurs libres allures plutôt que l'obscure exactitude de ses détracteurs. 
Ceux-ci l'accusaient encore d'avoir mis à la scène des personnages déjà présentés par Naevius et par Plaute. A leurs yeux une pièce traduite était la propriété du traducteur, comme l'original l'était de son auteur. Térence avait donc commis un vol, en reprenant au Colax, traduit par Naevius et Plaute, les personnages du soldat et du parasite pour les mettre dans son Eunuque, et en pillant dans les Commorientes de Plaute la scène de l'enlèvement des Adelphes (II, 1). Il n'eut pas de peine à repousser cette dernière accusation : la scène incriminée ne se trouvait pas dans les Commorientes. Quant à la première, il s'excusa sur son ignorance : il avait pris ses deux personnages directement dans le Colax de Ménandre, sans savoir que Naevius et Plaute les avaient déjà mis à la scène.
Tous ces reproches ne sont pour nous, modernes, que de mauvaises chicanes, mais ses ennemis lui en font un autre plus sérieux, celui d'écrire des pièces « tenui oratione et scriptura levi » (Prol. du Phormion, V, 5), c'est-à-dire d'un style fluet et sans force. Nous y reviendrons tout à l'heure.

L'Oeuvre de Térence.

Bien que tous les poètes latins de la palliata aient puisé aux mêmes modèles et que le mérite de l'invention appartienne en très grande partie aux originaux grecs, il n'y en a pas moins de grandes différences entre les premiers et les derniers venus. Les premiers, ayant affaire à des spectateurs presque tous étrangers aux délicatesses de l'art grec, n'eurent aucun scrupule à modifier leurs modèles suivant les goûts du public et même suivant leurs goûts personnels. Sur le déclin de la palliata, au contraire, à côté de la foule ignorante, un public lettré s'était formé peu à peu, qui prisait de plus en plus la perfection grecque. L'école de Luscius Lanuvinus demandait qu'on la respectât, et que les poètes latins se bornassent au simple rôle de traducteurs. Térence était trop artiste pour être un copiste servile, et d'autre part trop épris de perfection pour se permettre les libertés que Naevius et Plaute s'étaient données. Il usa comme eux de la contamination, mais au lieu de développer outre mesure une situation plaisante, au détriment de la symétrie et de la régularité du plan, il sut fondre adroitement ses additions avec la pièce principale et observer la mesure et l'harmonie dans l'ordonnance de ses pièces, à part peut-être dans les Adelphes où la suture est trop visible. Pour jeter de la variété et mettre du mouvement dans certaines scènes un peu lentes, il substitua plus d'une fois le dialogue au monologue. C'est ainsi qu'il remplaça le monologue qui ouvrait l'Andrienne de Ménandre par un dialogue emprunté à la Périnthienne, et le monologue de Chéréa dans l'Eunuque par un dialogue étincelant de verve et d'esprit. L'intérêt essentiel de la comédie nouvelle venait de la peinture des caractères. Il prit le plus grand soin de leur conserver l'exactitude, la justesse, le naturel avec lesquels ils avaient été tracés. Mais ici encore il essaya de pousser plus loin la perfection, en accusant certains traits, sans jamais dépasser la mesure et la vraisemblance. Dans Ménandre, le rude Déméa répondait au salut de son frère; chez Térence, il attaque aussitôt, sans lui rendre sa politesse, melius quam Menander, dit Donat, cum hic ilium ad jurgium promptiorem quam ad resalutandum fecit (Adelphes, V, 81). , Dans la même pièce, jugeant que Micion consentait trop vite à l'absurde mariage où Déméa veut l'embarquer (apud Menandrum senex de nuptiis non gravatur, dit Donat), il lui prête une vive résistance et de vertes ripostes. Si nous possédions les oeuvres d'Apollodore et de Ménandre, nous pourrions sans doute faire un grand nombre de remarques de ce genre. Nous pourrions voir aussi  quelle part exacte lui revient dans ces expositions si parfaites, si naturelles de ton, si vives de style, où le récit, clair et alerte, court droit au but, sans que rien soit oublié, rien superflu. Mais sa principale originalité, celle qui a fait de lui un grand artiste, c'est le style. Ici toutes les voix sont unanimes. Cicéron, dans un fragment en vers cité par Suétone, vante l'élégance, la délicatesse, la douceur des traductions que Térence a données de Ménandre :
Tu quoque qui solus lecto sermone, Terenti,
Conversum expressumque latina voce Menandrum 
In medium nobis sedatis motibus effers,
Quiddam come loquens atque omnia dulcia miscens.
César appelle Térence puri sermonis mater, et Quintilien loue son élégance. Son style a toujours passé pour le modèle du sermo urbanus, de la conversation des honnêtes gens.
En revanche les mêmes critiques qui ont vanté son élégance et sa grâce s'accordent aussi à regretter qu'il manque de force. Cicéron le laisse entendre quand il dit que Térence apporte un Ménandre sedatis motibus, aux mouvements calmes. César, moins mesuré dans sa critique, appelle Térence un demi Ménandre :
Tu quoque, tu in summis, ô dimidiate (03) Menander, 
Poneris, et merito, puri sermonis amator;
Lenibus atque utinam scriptis adjuncta foret vis 
Comica, ut aequato virtus polleret honore
Cum Graecis, neve hac despectus parte jaceres! 
Unum hoc maceror ac doleo tibi desse, Terenti.
C'est à peu près ce que pense Horace lorsqu'il compare (Epîtres, II, 1, 59) Cécilius et Térence : Vincere Cecilius gravitate, Terentius arte. Quintilien lui aussi dit qu'il aurait plus de grâce encore, s'il s'était renfermé dans l'emploi du trimètre : il entend sans doute par là que, parfait dans le dialogue qui s'exprime en trimètres, il manque d'élan dans les scènes de passion qui s'expriment en d'autres mètres. C'est ce que disait avant lui le savant Varron. Selon lui, Térence exprime supérieurement les mœurs, ἤθη; mais d'autres, par exemple Cécilius, le surpassent dans la peinture des passions, πάθη. C'est pour cette raison sans doute que Volcacius Sedigitus (fin du IIe siècle avant J.-C.), dans son canon des dix poètes de la palliata, ne donne à Térence que le sixième rang.
Les anciens sont donc unanimes sur ce point : Térence manque de force comique. Ils s'en apercevaient d'autant plus facilement qu'ils avaient un autre grand poète, dont la force comique était la qualité éminente. C'est Plaute, dont la verve exubérante, les bons mots, les saillies imprévues, les hyperboles risibles, les quolibets de toute sorte, les mots crus, les plaisanteries salées, les charges grotesques, les inventions cocasses et l'imagination débridée faisaient un contraste saisissant avec la tenue, la politesse, la modération, les expressions choisies et mesurées des personnages de Térence, chez qui les valets comme les maîtres, les courtisanes comme les matrones, Ies proxénètes comme les fils de famille gardent toujours la décence et la mesure dans leur langage. Mais cette différence est-elle au désavantage de Térence? On ne le pensait pas chez nous au XVIIe siècle, où Térence était tenu pour le premier des comiques latins par Bossuet, par La Bruyère, par Fénelon, qui sentait si vivement la naïveté de ses peintures. Au XIXe siècle et de nos jours, où les qualités primesautières ont pris le pas sur les autres, les préférences vont plutôt à Plaute qu'à Térence. En réalité, il est inutile et vain de vouloir leur assigner des rangs. Si la gaieté de Plaute nous épanouit, la tendresse de Térence nous enchante; si le gros rire a ses charmes, le fin sourire a aussi les siens; si les peintures enluminées attirent nos yeux, la perfection du dessin ne les retient pas moins; si la force comique de Plaute nous surprend et fait éclater le rire, les douces peintures, les tendres sentiments, les explosions d'amour chez Térence nous émeuvent et nous captivent par leur suavité. Décider lequel de ces deux genres de plaisir est préférable est moins affaire d'esthétique que de tempérament.

Les comédies de Térence après sa mort.
Ses commentateurs.

Les comédies de Térence furent parfois remises à la scène après sa mort, moins souvent, il est vrai, que celles de Plaute; mais elles conservèrent toujours beaucoup de lecteurs. Dès la deuxième moitié du second siècle avant J.-C., les savants romains, à l'imitation des grammairiens grecs, s'occupèrent de la palliata. Ils revirent le texte des comédies et rédigèrent pour chacune d'elles des notices ou didascalies qui contenaient l'histoire de la pièce et de ses représentations. Ils composèrent aussi des traités spéciaux sur des particularités historiques, littéraires, scéniques et linguistiques relatives aux anciens poètes. Il faut citer parmi eux le poète tragique L. Accius, Porcius Licinus, Volcacius Sedigitus, Elius Stilo, Q. Cosconius et avant tous Terentius Varro (116 - 27 av. J.-C.), dont les travaux ont été la source des historiens de la littérature qui out suivi.
Sous les empereurs, on sentit le besoin d'expliquer le texte, dont certains détails n'étaient plus compris. Probus, Æmilius Asper, Arruntius Celsus, Helenius Acro, Euanthius composèrent des commentaires qui sont perdus Mais nous avons, sous le nom de Donat (IVe siècle), un commentaire des pièces de Térence, sauf de l'Heautontimorumenos, qui est un assemblage confus de commentaires antérieurs, mais où l'auteur a utilisé des écrits explicatifs plus anciens, pleins de renseignements précieux.
Dans la première moitié du deuxième siècle, où l'on étudia avec un zèle particulier la vieille littérature latine, C. Sulpicius Apollinaris de Carthage, le maître d'Aulu-Gelle et de l'empereur Pertinax, composa des sommaires en 12 vers pour chacune des pièces de Térence : ils se trouvent en avant du texte des manuscrits. C'est l'habitude de les imprimer dans les éditions de Térence. Nous l'avons suivie; mais, vraiment, ces médiocres sommaires ne méritent pas les honneurs de l'impression.

Les manuscrits.

Les manuscrits de Térence se divisent en deux classes. L'une est formée par le seul Bembinus qu'on désigne par la lettre A; il est du Ve siècle. Il a été en la possession de Bernard Bembo, puis de Pierre Bembo. De là son nom. Il nous fournit le plus ancien texte de Térence qui existe, avec les corrections d'un certain Joviales, grammairien du Ve ou VIie siècle. L'autre comprend un grand nombre de manuscrits qui remontent tous à la recension d'un certain Calliopius, dont on place l'existence au IIIe ou IVe siècle de notre ère. Les manuscrits de cette recension désignés collectivement par la lettre Σ, se répartissent en deux groupes, le groupe γ  et le groupe δ. Les principaux représentants du premier groupe sont le Parisinus P (n° 7899 de la bibl. nationale) et le Vaticanus C; ils sont tous les deux du IXe siècle, et tous les deux ont des images qui représentent des personnages de chaque pièce. L'autre groupe est représenté par le Victorianus D (bibl. Laurentienne) du Xe siècle, le Decurtatus (bibl. du Vatican), et surtout par le Parisinus p (n° 10304). Umpfenbach avait donné en 1870 une édition critique détaillée qui a été la base de toutes les éditions qui ont été publiées depuis. Mais en 1926 a paru l'édition de Kauer et Lindsay à Oxford, qui comprend les leçons de 7 nouveaux manuscrits, parmi lesquels se trouve le manuscrit p, dont Lindsay fait grand état. Ce n'est pas seulement dans ces collations nouvelles que consiste la nouveauté de cet ouvrage, mais aussi dans un certain nombre de nouveautés orthographiques, et surtout dans la préférence donnée au groupe δ, en particulier à p, et aux leçons tirées des commentateurs, en particulier de Donat. C'est sur le travail de Kauer et Lindsay qu'est basé l'établissement du texte de notre édition. Mais nous n'avons pas cru devoir suivre Lindsay dans sa prédilection pour δ, et nous avons souvent rétabli la leçon du Bembinus là où il l'a rejetée pour la leçon de δ ou de Donat.

Le théatre à Rome au temps de Térence.

Au temps de Térence, il y avait quatre fètes où l'on donnait régulièrement des représentations dramatiques : les jeux Mégalésiens, en l'honneur de la grande déesse ou mère des dieux, Cybèle, célébrés en avril sous la présidence des édiles curules; les jeux Apollinaires, en juillet, sous celle du préteur urbain; les jeux Romains ou ludi maximi, en septembre, sous celle des édiles curules, et les jeux plébéiens, en novembre, sous celle des édiles plébéiens. Les magistrats chargés d'organiser ces fêtes recevaient de l'État une somme déterminée, à laquelle ils ajoutaient de leur poche un surcroît considérable.
A ces fêtes régulières s'en ajoutaient d'extraordinaires, accompagnées aussi de représentations dramatiques : les jeux votifs, dédicatoires, triomphaux, et les jeux funèbres donnés en l'honneur d'un mort illustre.
Dans les premiers temps et pendant tout le VIe siècle de Rome, il n'y eut pas de théâtre fixe. A chaque représentation, on choisissait un emplacement en pente; au bas de la pente on dressait une estrade en bois (proscaenium), fermée au fond par un mur également en bois (scaena) ; sur la pente (cavea) le peuple prenait place, en plein air, et restait debout (04). Devant la scène, un espace demi-circulaire, correspondant à l'orchestra des Grecs, était réservé aux prêtres, aux magistrats, aux sénateurs, qui étaient assis sur leurs chaises curules. En 178, on construisit un proscaenium et une scaena en pierre devant le temple d'Apollon, sans doute pour les jeux Apollinaires. Cinq ans plus tard, l'État fit élever une scène à demeure qui ne paraît pas avoir été de longue durée. C'est seulement en 145 que L. Mummius, le vainqueur de Corinthe, fit construire un théâtre complet, avec des rangées de sièges, mais en bois, de sorte qu'il fallait renouveler la construction à chaque représentation, jusqu'à ce qu'enfin, en 55, Cn. Pompée consacra un théâtre permanent en pierre.

Acteurs et chefs de troupe.

Les acteurs (actores, histriones) étaient des esclaves; car le métier d'acteur, honorable à Athènes, passait à Rome pour déshonorant. Le nombre des acteurs n'était pas fixe, comme en Grèce (cinq, dans la comédie nouvelle); mais naturellement le directeur avait intérêt à en restreindre le nombre autant qu'il était possible, et le même acteur jouait plusieurs personnages. Les rôles de femme étaient tenus par des hommes, comme en Grèce, excepté dans le mime. La comédie nouvelle avait supprimé le chœur; la comédie latine n'en eut pas non plus.
Les chefs de troupe (dominus ou actor au sens étroit du mot) étaient des affranchis. Livius Andronicus, affranchi, joua lui-même ses pièces. Mais Plaute, citoyen, dut avoir recours à un directeur. Son Stichus, d'après la didascalie, fut mis à la scène par T. Publilius Pellio. Le directeur était lui-même un des principaux acteurs. C'est à lui qu'avaient affaire également les donneurs de jeux et les poètes. Il achetait ou refusait les pièces, et, par là, il pouvait avoir une grande influence sur les destinées de la poésie dramatique et la carrière des poètes. C'est ainsi qu'Ambivius soutint Cécilius contre la froideur du public et fit enfin goûter ses pièces, et qu'il mit au service de Térence découragé par l'insuccès de l'Hécyre son influence, qui était grande, sur les spectateurs. Sans doute les donneurs de jeux pouvaient s'intéresser aussi au choix des pièces, et il est probable que Scipion et Fabius ne furent pas étrangers au choix des Adelphes et à la reprise de I'Hécyre. Le directeur de troupe recevait des organisateurs des jeux une somme plus ou moins forte selon le succès plus ou moins grand de ses représentations.

Décors et costumes.

Les décors et les costumes étaient fournis par des entrepreneurs (conductores, choragi), commissionnés pour cela par ceux qui donnaient les jeux.
Jusqu'au milieu du VIIe siècle, les décors n'existaient pour ainsi dire pas. Le premier rideau date de 133 avant J.-C.; il venait de la succession du roi Attale. Le lieu de la scène, dans la palliata, était la plupart du temps Athènes, quelquefois une colonie ou un lieu voisin de la ville. Si c'était une ville, le proscaenium représentait la rue, et la toile de fond, trois maisons, quelquefois deux maisons et la façade d'un temple. Des ruelles (angiporla) s'ouvraient dans le mur de la scène. Sur la scène, il y avait deux autels, l'un à droite, consacré à Liber, l'autre à gauche, consacré à la divinité dont on célébrait la fête. A droite du spectateur, la rue conduisait au forum et dans l'intérieur de la ville, à gauche, vers le port et la campagne. Les acteurs de la palliata portaient la tunique et le manteau. La tunique était longue et à manches pour les gens de condition libre et les courtisanes, courte pour les esclaves. Le manteau ou pallium s'enroulait autour du corps. Au lieu du manteau, les éphèbes et les soldats portaient la chlamyde, qui s'agrafait sur l'épaule droite. Les vieillards étaient vêtus de blanc, les jeunes gens de couleurs vives, rouge, bleu, violet; le leno avait un manteau bigarré; celui des courtisanes était couleur de safran. Les soldats étaient coiffés du casque et ceints d'une longue épée. La chaussure était le soulier en socque.
L'usage du masque n'existait probablement pas encore au temps de Térence; il fut introduit peu après sa mort  par les chefs de troupe Cincius Faliscus et Minucius Prothymus. Auparavant les acteurs se contentaient du fard et de la perruque (galear). La perruque était blanche pour les vieillards, noire pour Ies jeunes gens, rousse pour les esclaves.

La représentation et le public.

Les représentations se donnaient l'après-midi, entre le déjeuner (prandium) et le dîner (cena). Un héraut annonçait d'abord au public les divertissements de la fête; puis le moment de la représentation venu, le directeur de la troupe proclamait devant les spectateurs le titre de la pièce, avec le nom des auteurs, le Grec et le Latin : c'était la pronuntiatio tituli.
Bien différent du public affiné d'Athènes, le public romain ne s'intéressait guère à la valeur artistique des pièces. Quand on avait obtenu de lui le silence, il fallait le retenir par des comédies neuves et amusantes, et encore leur préférait-il les combats de gladiateurs ou les tours d'un baladin. Les pièces de Térence étaient trop délicates pour lui, et les raffinements pédantesques de Luscius Lanuvinus et de son école, qui allaient à l'encontre des goûts populaires, devaient amener rapidement une irrémédiable décadence de la palliata

La pièce.

Les critiques anciens distinguaient, suivant que l'action était plus ou moins mouvementée, trois genres de comédies : les motoriae, les statariae, les mixtae. Presque toutes les pièces de Plaute étaient, au dire des grammairiens, des motoriae ; celles de Térence étaient mixtes, sauf le Phormion qui est une motoria, et l'Heautontimorumenos une stataria.
La pièce commençait presque toujours par un prologue. Chez Plaute, c'est un récit (argumentum) qui explique le sujet aux spectateurs, et que l'auteur encadre de plaisanteries et de flatteries à l'adresse des spectateurs. Térence transforma le prologue en plaidoyer, et l'employa presque exclusivement à se défendre contre ses ennemis littéraires.
La division en actes existait déjà au temps de Plaute et de Térence. " Primo actu placeo ", dit Ambivius dans le prologue de l'Heautontimorumenos, v. 39. Cependant, au témoignage de Donat, les anciens poètes comiques ne marquaient pas nettement les limites des actes. Ils en laissaient le soin au directeur de la troupe. Comme la scène était souvent vide, il faisait une pause après telle ou telle scène vide, selon que l'attention du public lui paraissait ou non fatiguée. Ce sont les grammairiens et les commentateurs anciens, assez souvent en désaccord, qui ont déterminé les actes, d'après leurs propres concep­tions, et qui en ont fixé le nombre à cinq.
La division en actes n'est pas indiquée dans nos manuscrits de Plaute et de Térence. Au contraire la division en scènes y est marquée, non pas, il est vrai, par un numéro d'ordre, mais par la liste des personnages qui y figurent, chacun d'eux étant désigné par une lettre de l'alphabet grec. Chaque changement de scène correspond à un changement de personnes, sauf le cas où un personnage quitte la scène pour y revenir aussitôt, ou bien n'a que peu de vers à dire, avant l'arrivée de nouveaux personnages.

Diverbia et Cantica.

La pièce se divise en diverbia et en cantica. Les diverbia, ou dialogues simplement parlés, étaient écrits en iambiques sénaires et occupaient une bonne moitié de la comédie, en particulier le 1er acte. Pour les cantica, on distinguait ceux qui étaient déclamés, mais non chantés, avec accompagnement musical, et ceux qui étaient chantés par un chanteur qui se plaçait debout près du joueur de flûte, tandis que l'acteur faisait les gestes. Les cantica de la première espèce étaient écrits en septénaires iambiques ou trochaïques, ou en octonaires: iambiques. Les autres, les cantica proprement dits, étaient en octonaires trochaïques, alternant avec d'autres vers, tetramètres crétiques ou bacchiaques, ou quaternaires iambiques complets et quaternaires iambiques et trochaïques catalectiques.
On devine facilement quelle variété l'emploi de ces différents mètres et de ces genres de débit jetait dans la pièce. A chaque changement d'humeur des personnages répondait un changement dans le mètre. Pour traduire l'agitation intérieure et les transports de la passion, le poète avait recours aux iambiques octonaires et au chant; les trochaïques septénaires trahissaient une disposition plus calme, et les iambiques septénaires servaient à l'expression de mouvements à la fois passionnés et comiques.
La musique avait sa place aussi avant le commencement de la pièce et pendant les entr'actes. Elle était composée par un homme du métier, et non par le poète, et le métier n'était pas très relevé aux yeux des Romains, car on le laissait aux esclaves.C'est un esclave, Flaccus, qui fit la musique de toutes les pièces de Térence. La musique était exécutée par un flûtiste unique, tibicen, vraisemblablement par le compositeur lui-même. La flûte dont il se servait était une flûte double, c'est-à-dire une sorte de clarinette, avec deux tuyaux divergents réunis dans une seule embouchure. Les didascalies parlent de quatre espèces de flûtes, tibiae pares, impares, Sarranae et duae dextrae. Tibia dextra est la partie de la flûte double qu'on tenait de la main droite, sinistra, celle qu'on tenait de la main gauche; elles n'avaient pas la même longueur, d'où l'épithète impares; mais il y avait des flûtes où le tuyau de gauche était pareil au tuyau de droite, de là l'expression de duae dextrae ou pares. Le tuyau droit faisait le dessus; le tuyau de gauche, l'accompagnement (incentiva ou succentiva tibia). Ce qu'étaient les flûtes Sarranae ou tyriennes, nous ne le savons pas exactement. D'après Donat, la flûte droite convenait par ses sons graves à la diction sérieuse, la flûte gauche et la tyrienne, par leurs sons élevés, à l'élément comique.

(01) Tel est l'avis de Dziatzko, dans les excellentes notices qui précèdent son édition critique de Térence (Tauchnitz, 1884) et son édition du Phormion (Leipzig, 1885).
(02) Sur l'ordre chronologique assigné ici aux pièces de Térence, voyez les notices relatives à chacune d'elles.
(03) Pourquoi César appelle-t-il Térence un demi Ménandre? Si c'est parce que Térence n'a fait que traduire Ménandre, on peut admettre l'expression; mais si César entend par là que Ménandre avait plus de force comique que Térence, l'expression semble fort exagérée, si nous en jugeons par les fragments retrouvés de Ménandre. A lire ce que les papyrus nous ont rendu du Héros, de l'Arbitrage, de la Belle aux boucles coupées, de la Samienne (environ 1.250 vers), nous ne voyons pas bien en quoi les copies de Térence sont inférieures aux modèles. Ce sont les mêmes sujets un peu monotones, presque toujours un fils de famille épris dune inconnue qu'il veut épouser contre la volonté de son père et qui est reconnue ensuite pour une fille libre, les mêmes caractères moyens avec les mêmes accès brusques de colère; comme celui du Simon de l'Andrienne qui, sans vouloir rien entendre, fait enchaîner Davos ou de Déméa qui menace Syrus, de son bâton, comme Smicrinès en menace Syriscos dans l'Arbitrage; ce sont les mêmes tendresses, les mêmes faiblesses, le même optimisme; c'est enfin le même style aisé, familier, élégant, naturel. Si l'on peut juger Ménandre sur des fragments, il semble donc qu'il n'a guère d'autre supériorité sur Térence que le mérite de l'invention : ce n'est pas d'ailleurs un mince titre de gloire.
(04)  Quelques-uns se faisaient apporter des sièges, mais en l'année 154 le sénat les défendit, de peur que les citoyens ne s'amollissent.