ARGUMENTUM
Mercator siculus, quoi erant gemini
Ei, subrepto altero, mors obtigit.
Nomen subreptitii illi indit qui domi'st
Avos paternus, facit Menæchmum e Sosicle.
Et is germanum, postquam adolevit, quaeritat 5
Circum omneis oras; post, Epidamnum devenit :
Heic fuerat auctus file subreptitius.
Menaechmum civem credunt omneis advenam,
Eumque adpellant, meretrix, uxor, et socer.
I se cognoscunt fratres postremo invicem. 10
PERSONAE
PENICULUS, parasitus.
MENAECHMUS, subreptus.
EROTIUM, meretrix.
CYLINDRUS, cocus.
MENAECHMUS SOSICLES.
MESSENIO, servos.
MULIER, uxor.
SERVOS alius.
ANCILLA.
SENEX.
MEDICUS.
LORARII.
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ARGUMENT
Un marchand sicilien, qui avait deux fils jumeaux, en perdit un par un
rapt, et mourut ensuite. L'aïeul paternel donne à l'enfant qui reste le
nom du jumeau ravi, et l'appelle Ménechme Sosiclès. Celui-ci, parvenu à
l'âge de raison, cherche son frère par tous pays; il arrive à
Épidamne, dans la ville même où Ménechme ravi a fait fortune. Chacun
prend pour l'ancien concitoyen le nouveau débarqué : maîtresse,
épouse, beau-père, tout le monde s'y trompe. A la fin les deux frères
se reconnaissent.
PERSONNAGES
LABROSSE, parasite de Ménechme ravi.
MÉNECHME, habitant d'Épidamne, ravi autrefois dans son enfance.
ÉROTIE, courtisane, maîtresse de Ménechme ravi.
CYLINDRE, cuisinier d'Érotie.
MÉNECHME SOSICLÈS.
MESSÉNION, esclave de Ménechme Sosiclès.
L'ÉPOUSE de Ménechme ravi.
UN ESCLAVE, personnage muet.
UNE ESCLAVE d'Érotie.
UN VIEILLARD, beau-père de Ménechme ravi.
UN MÉDECIN.
ESCLAVES du médecin. |
PROLOGUS
Salutem primum iam a principio propitiam
mihi atque vobis, spectatores, nuncio.
Apporto vobis Plautum, lingua non manu :
quaeso ut benignis accipiatis auribus.
Nunc argumentum accipite atque animum advortite. 5
Quam potero in verba conferam paucissuma.
Atque hoc poetae faciunt in comoediis:
omneis res gestas esse Athenis autumant,
quo illud vobis graecum videatur magis;
ego nusquam dicam nisi ubi factum dicitur. 10
Atque adeo hoc argumentum graecissat, tamen
non atticissat, verum sicilicissitat.
Huic argumento antelogium quidem hoc fuit,
nunc argumentum vobis demensum dabo,
non modio, neque trimodio, verum ipso horreo: 15
tantum ad narrandum argumentum adest benignitas.
Mercator quidam fuit Syracusis senex,
ei sunt nati filii gemini duo,
ita forma simili pueri, ut mater sua
non intergnosse posset quae mammam dabat, 20
neque adeo mater ipsa quae illos pepererat,
ut quidem ille dixit mihi, qui pueros viderat.
Ego illos non vidi, ne quis vostrum censeat.
Postquam iam pueri septuennes sunt, pater
oneravit navem magnam multis mercibus. 25
Imponit alterum geminum in navem pater
Tarentum avexit secum ad mercatum simul;
illum reliquit alterum apud matrem domi.
Tarenti ludei forte erant, quom illuc venit;
mortales multi, ut ad ludos, convenerant. 30
Puer aberravit inter homines a patre.
Epidamniensis quidam ibi mercator fuit :
is puerum tollit atque Epidamnium avehit.
Pater eius autem postquam puerum perdidit,
animum despondit, eaque is aegritudine 35
paucis diebus post Tarenti emortuu'st.
Postquam Syracusas de ea re rediit nuncius
ad avom puerorum, puerum surruptum alterum
patremque pueri Tarenti esse emortuum,
immutat nomen avos huic gemino alteri : 40
ita illum dilexit, qui subruptus est, alterum,
illius nomen indit illi, qui domi est,
Menaechmo, idem quod alteri nomen fuit;
et ipsus eodem avos est vocatus nomine,
propterea illius nomen memini facilius, 45
quia illum clamore vidi flagitarier.
Ne mox erretis, jam nunc praedico prius:
idem est ambobus nomen geminis fratribus.
Nunc in Epidamnum pedibus redeundum'st mihi,
ut hanc rem vobis examussim disputem. 50
Si quis quid vestrum Epidamnum curari sibi
velit, audacter imperato et dicito :
sed ita, ut det, unde curari id possit sibi.
Nam nisi qui argentum dederit, nugas egerit;
qui dederit, magi' maiores nugas egerit. 55
verum illuc redeo unde abii, atque uno adsto in loco.
Epidamniensis ille, quem dudum dixeram,
geminum illum puerum qui surrupuit alterum,
ei liberorum, nisi divitiae, nihil erat:
adoptat illum puerum surrupticium 60
sibi filium eique uxorem dotatam dedit,
eumque heredem fecit, quom ipse obiit diem.
Nam rus ut ibat forte, ut multum pluerat,
ingressus fluvium rapidum ab urbe haud longule,
rapidus raptori pueri subduxit pedes, 65
abstraxitque hominem in maxumam malam crucem.
Illi divitiae evenerunt maximae.
Is illic habitat geminus surrupticius.
Nunc ille geminus, qui Syracusis habet,
hodie in Epidamnum venit cum servo suo 70
hunc quaeritatum geminum germanum suum.
Haec urbs Epidamnus est, dum haec agitur fabula;
quando alia agetur, aliud fiet oppidum,
sicut familiae quoque solent mutarier:
modo hic habitat leno, modo adulescens, modo senex, 75
pauper, mendicus, rex, parasitus, hariolus...
|
PROLOGUE
D'abord, salut et félicité à moi, et à vous, spectateurs; c'est le
premier objet de mon message. Ensuite, je vous apporte ici Plaute, non pas
dans ma main, mais au bout de ma langue; recevez-le, je vous prie, avec
des oreilles favorables. Maintenant, voici l'analyse de la pièce, faites
attention : je la resserrerai dans le moins de mots possible.
Les poètes supposent toujours dans leurs comédies que l'action se passe
à Athènes; c'est pour que leur ouvrage vous paraisse mieux sentir son
grec. Moi, je vous dirai sans fiction où l'on assure que les faits ont eu
lieu. Ainsi donc, le sujet est grécisant, mais non pas atticisant
toutefois; il sicilianise.
Après cet avis préliminaire, j'en viens à l'exposition des faits. Je ne
vous donnerai pas la pitance par boisseau, par double boisseau; tout le
grenier y passera, tant j'ai l'humeur libérale en fait de narration.
Il y avait à Syracuse un marchand d'un certain âge (01),
auquel deux jumeaux naquirent, d'une si parfaite ressemblance que leur
mère nourrice ne les pouvait distinguer, elle qui leur donnait le sein,
ni même la mère qui leur avait donné le jour. Je le tiens de quelqu'un
qui avait vu les deux enfants; moi, je ne les ai pas vus, je ne veux pas
vous en faire accroire. Ils avaient sept ans, lorsque leur père chargea
un grand bateau d'une riche cargaison, et prit avec lui un des fils : il
s'agissait d'un voyage à Tarente pour son commerce; l'autre demeura
auprès de la mère, à la maison. On célébrait des jeux à Tarente
quand ils y arrivèrent; il y avait, comme toujours en pareille
circonstance, un grand concours de monde. L'enfant fut séparé de son
père et s'égara dans la foule; un marchand épidamnien qui se trouvait
là s'empara de l'enfant et l'emporta dans son pays. Le père,
désespéré d'avoir perdu son fils, tomba malade de chagrin, et mourut au
bout de quelques jours à Tarente. Quand parvint à Syracuse la nouvelle
du rapt de l'enfant et de la mort du père chez les Tarentins, l'aïeul
fit prendre au jumeau qui restait le nom de l'autre, tant son petit- fils
enlevé lui était cher; il nomma le survivant Ménechme, comme l'autre se
nommait, et comme il se nommait lui-même. J'ai retenu le nom facilement,
parce que j'étais présent quand on appelait l'enfant à grands cris.
Je vous en préviens donc, afin que vous n'y soyez pas trompés; les deux
frères portent le même nom.
Maintenant je retourne sur mes jambes à Epidamne, pour vous rendre compte
au plus juste de cette affaire. Si quelqu'un de vous désire me charger
d'une commission en cette ville, il n'a qu'à parler : qu'il ose, qu'il
ordonne; mais à condition de payer les avances nécessaires; car s'il ne
donne point d'argent, il perd son temps; et s'il en donne, il le perdra
plus encore.
Mais je reviens au lieu d'où je suis parti, et pour m'y arrêter
définitivement.
Cet Épidamnien dont je vous parlais tout à l'heure, celui qui enleva
l'un des jumeaux, avait de grands biens, mais point d'enfants; il adopte
pour fils sa trouvaille et lui déniche une femme bien dotée. Enfin il
l'institua son héritier, et peu de temps après il mourut; car un jour
qu'il se rendait aux champs après une forte pluie, il voulut passer à
gué un torrent, non loin de la ville; la rapidité de l'eau fit perdre
l'équilibre au ravisseur de l'enfant, et entraîna notre homme au fin
fond des enfers. L'héritier recueillit une très grosse fortune; il
habite Épidamne : c'est le jumeau ravi. L'autre, qui réside à Syracuse,
vient d'arriver aujourd'hui ici, à Épidamne, avec son esclave, toujours
à la quête de son frère. La ville que vous voyez est Épidamne, pour le
temps que durera cette pièce; puis, quand on en jouera une autre, la
ville changera, comme les acteurs; là habite un personnage tour à tour
marchand de femmes, jeune homme et vieillard, pauvre, mendiant, roi,
parasite, charlatan. |
ACTUS I
I.i
PENICULUS
Juventus nomen fecit Peniculo mihi,
ideo quia mensam, quando edo, detergeo.
Homines captivos qui catenis vinciunt
et qui fugitivis servis indunt compedes, 80
nimis stulte faciunt mea quidem sententia.
Nam homini misero si ad malum accedit malum,
major lubido est fugere et facere nequiter.
Nam se ex catenis eximunt aliquo modo.
tum compediti anum lima proterunt 85
aut lapide excutiunt clavom : nugae sunt eae.
Quem tu adservare recte, ne aufugiat, voles,
esca atque potione vinciri decet.
Apud mensam plenam homini rostrum deliges.
Dum tu illi, quod edit et quod potet, praebeas, 90
suo arbitratu adfatim cottidie,
numquam, edepol, fugiet, tametsi capital fecerit,
facile adservabis, dum eo vinclo vincies.
Ita istaec nimis lenta vincla sunt escaria;
quam magis extendas, tanto adstringunt arctius. 95
Nam ego ad Menaechmum hunc eo, quo jam diu
sum judicatus, ultro eo ut me vinciat.
Nam illic homo homines non alit, verum educat,
recreatque: nullus melius medicinam facit.
Ita est adulescens; ipsus escae maxumae : 100
cerialis coenas dat, ita mensas exstruit,
tantas struices concinnat patinarias:
standum'st in lecto, si quid de summo petas.
sed mi intervallum iam hos dies multos fuit:
domi domitus sum usque cum caris meis. 105
Nam neque edo, neque emo, nisi quod est carissumum.
Id quoque jam, cari qui instruuntur, deserunt.
nunc ad eum inviso : sed aperitur ostium.
Menaechmum eccum ipsum video ; progreditur foras.
|
ACTE I
LABROSSE (02)
Les jeunes gens m'ont nommé Labrosse; pourquoi? la table, dès que je
mange, est aussitôt nettoyée. On tient les captifs à la chaîne; on met
des entraves aux pieds des esclaves fugitifs : très mauvaises
précautions selon moi. Car si le malheureux a vu s'ajouter à ses maux un
surcroît de misère, il n'en a que plus envie de fuir et de jouer de
méchants tours. D'une manière ou d'une autre il se délivrera des fers.
Enchaînez-lui les pieds, il lime un anneau, il fait sauter les clous avec
une pierre; on a perdu son temps. Voulez-vous garder sûrement un homme et
l'empêcher de fuir? vous n'avez qu'à l'enchaîner avec la bonne chère
et le bon vin. Attachez-le par le museau à une table bien servie. Pourvu
qu'on lui fournisse à manger et à boire tout son soûl et tous les
jours, jamais par Pollux ! il ne prendra la fuite, eût-il encouru la
peine capitale : pour le garder facilement, voilà de quels liens il faut
le lier. Admirable élasticité de ces liens alimentaires ! plus on les
élargit, plus étroite et plus forte est leur étreinte. Moi, par
exemple, qui suis livré par sentence à Ménechme (03),
je vais chez lui au-devant de la captivité. Cet homme-là ne nourrit pas
les hommes; il les rend gros et gras, il les fait prospérer. Je goûte sa
médecine par-dessus toute autre. Lui-même, le garçon est grand mangeur
: ce sont chez lui banquets de fêtes de Cérès, tant sa table est
chargée, tant il y fait dresser de succulents édifices; il faut monter
debout sur le lit pour atteindre au faîte. Mais il y a eu relâche pour
moi durant tous ces jours. Force m'a été de me claquemurer entre mes
quatre murs avec ce qui m'était cher; car ce qu'il y a de plus cher est
ce que j'achète pour manger; mais tout ce qui m'est cher, et qui
s'apprêtait pour moi, commence à me manquer (04).
Je reviens donc chez Ménechme. On ouvre, c'est lui-même en personne que
je vois; il sort. |
I.ii
MENAECHMUS
Ni mala, ni stulta sies, ni indomita imposque animi, 110
quod viro esse odio videas, tute tibi odio habeas.
Praeterhac si mihi tale post hunc diem
faxis, faxo foris vidua visas patrem.
Nam quotiens foras ire volo, me retines, revocas, rogitas,
quo ego eam, quam rem agam, quid negoti geram, 115
quid petam, quid feram, quid foris egerim.
Portitorem domum duxi : ita omnem mihi
rem necesse eloqui est quidquid egi atque ago.
Nimium ego te habui delicatam; nunc adeo ut facturus dicam :
quando ego tibi ancillas, penum, 120
lanam, aurum, vestem, purpuram bene praebeo nec quicquam eges,
malo cavebis, si sapis : virum observare desines.
Atque adeo, ne me nequiquam serves, ob eam industriam
Hodie ducam scortum, atque ad coenam aliquo condicam foras.
PENICULUS
Illic homo se uxori simulat male loqui, loquitur mihi; 125
nam si foris coenat, profecto me, haud uxorem, ulciscitur.
MENAECHMUS
Evax, jurgio hercle tandem uxorem abegi ab janua.
Ubi sunt amatores mariti? dona quid cessant mihi
conferre omneis, congratulanteis, quia pugnavi fortiter?
Hanc modo uxori intus pallam surrupui, ad scortum fero. 130
Sic hoc decet, dari facete verba custodi catae.
Hoc facinus pulchrum'st, hoc probum'st, hoc lepidum'st, hoc factum'st fabre:
Meo malo a mala abstuli : hoc ad damnum deferetur.
Avorti praedam ab hostibus nostrum salute socium.
PENICULUS
Heus adulescens, ecqua in istac pars inest praeda mihi? 135
MENAECHMUS
Perii, in insidias deveni.
PENICULUS
Immo in praesidium : ne time.
MENAECHMUS
Quis homo est?
PENICULUS
Ego sum.
MENAECHMUS
O mea conmoditas, o mea obportunitas, salve.
PENICULUS
Salve.
MENAECHMUS
Quid agis?
PENICULUS
Teneo dextera Genium meum.
MENAECHMUS
Non potuisti magis per tempus mi advenire quam advenis.
PENICULUS
Ita ego soleo: commoditatis omnis articulos scio. 140
MENAECHMUS
Vin' tu facinus luculentum inspicere?
PENICULUS
Quis id coxit coquos?
Jam sciam, si quid titubatum'st, ubi reliquias videro.
MENAECHMUS
Dic mihi, num quam tu vidisti tabulam pictam in pariete,
ubi aquila Catamitum raperet aut ubi Venus Adoneum?
PENICULUS
Saepe : sed quid istae picturae ad me attinent?
MENAECHMUS
Age me aspice. 145
Ecquid adsimulo similiter?
PENICULUS
Quis istic est ornatus tuus?
MENAECHMUS
Dic hominem lepidissimum esse me.
PENICULUS
Vbi essuri sumus?
MENAECHMUS
Dic modo hoc quod ego te jubeo.
PENICULUS
Dico, homo lepidissime.
MENAECHMUS
Ecquid audes de tuo istuc addere?
PENICULUS
Atque hilarissume.
MENAECHMUS
Perge.
PENICULUS
Non pergo, hercle, nisi scio qua gratia. 150
Litigium'st tibi cum uxore : oh ! mihi abs te caveo cautius.
MENAECHMUS
Clam uxorem ubi sepolcrum habeamus, atque hunc comburamus diem.
PENICULUS
Age sane igitur, quando aequom oras, quam mox incendo rogum?
Dies quidem jam ad umbilicum est dimidiatus mortuus. 154-155
MENAECHMUS
Te morare, mihi quom obloquere.
PENICULUS Oculum ecfodito per solum 156
mihi, Menaechme, si ullum verbum faxo nisi quod jusseris.
MENAECHMUS
Concede huc a foribus.
PENICULUS
Fiat.
MENAECHMUS
Etiam concede huc.
PENICULUS
Licet.
MENAECHMUS
Etiam nunc concede audacter ab leonino cavo.
PENICULUS
Heu edepol, nae tu, ut ego opinor, esses agitator probus. 160
MENAECHMUS
Qui dum?
PENICULUS
Ne te uxor sequatur, respectas identidem.
MENAECHMUS
Sed quid ais?
PENICULUS
Egone? id enim quod tu vis, id aio atque id nego.
MENAECHMUS
Ecquid tu de odore possis, si quid forte olfeceris,
facere coniecturam?
PENICULUS
Captum sit collegium augurum. 165
MENAECHMUS
Agedum odorare hanc quam ego habeo pallam : quid olet? abstines?
PENICULUS
Summum olfactare oportet vestimentum muliebre :
nam ex istoc loco spurcatur nasum odore inlutibili.
MENAECHMUS
Olfacta igitur hinc, Penicule. Lepide ut fastidis !
PENICULUS
Decet.
MENAECHMUS
Quid igitur? quid olet? responde.
PENICULUS
Furtum, scortum, prandium. 170
MENAECHMUS
Nunc ad amicam deferetur hanc meretricem Erotium.
Mihi, tibi atque illi iubebo iam adparari prandium.
Inde usque ad diurnam stellam crastinam potabimus.
PENICULUS
Eu. Expedite fabulatu's : jam fores ferio?
MENAECHMUS
Feri :
vel mane etiam.
PENICULUS
Mille passum commoratu's cantharum.
MENAECHMUS
Placide pulta.
PENICULUS
Metuis, credo, ne foreis samiae sient.
MENAECHMUS
Mane, mane, obsecro, hercle: ab se eccum exit.
PENICULUS
Oh, solem vides 179-180
MENAECHMUS
Satin' ut occaecatu'st prae hujus corporis candoribus? 181
|
I, 2
MÉNECHME, LABROSSE
MÉNECHME (parlant à sa femme dans la maison)
Si tu n'étais pas une méchante pécore, une extravagante, une furieuse,
ce qui déplaît à ton mari te déplairait aussi. Dorénavant, si tu me
causes encore pareil ennui, tu t'en iras répudiée chez ton père. Je ne
peux pas sortir que tu ne m'arrêtes et ne veuilles me retenir; et ce sont
des questions : « Où vas-tu? que fais-tu? quelle affaire as-tu? quel
soin t'occupe? qu'est-ce que tu emportes? qu'as-tu fait en ville? » J'ai
épousé un vrai préfet de la douane (05), qui me force à déclarer ce
que je fais et viens de faire. Je t'ai traitée avec trop de douceur;
j'agirai désormais d'autre sorte. Car enfin, tu as servantes, provisions
de bouche, laine, bijoux, pourpre, vêtements; tu ne manques de rien (06).
Ainsi donc, prends garde à la correction, je te le conseille. Tu cesseras
de me tenir à l'oeil. Et d'abord, pour que tu n'aies pas perdu ta peine
à m'espionner, je me donne tout exprès une courtisane, et je l'invite à
dîner quelque part en ville.
LABROSSE (à part)
Il semble menacer sa femme, et c'est moi qu'il menace; car s'il ne mange
pas chez lui, il me punit plus qu'elle. (La femme se
retire.)
MÉNECHME
Vivat ! Enfin par Hercule ! ma gronderie l'a mise en fuite et l'a
forcée à rentrer. A moi les maris à bonnes fortunes ! qu'ils viennent
tous me faire compliment et m'apporter le prix de la vaillance. La
victoire est à moi. (Il fait voir un châle dont il
est affublé sous son pallium.)
Voici un châle que j'ai dérobé à ma femme, et que je porte à ma
maîtresse. C'est ainsi qu'il faut en donner à garder à ces trop fines
surveillantes. O le glorieux exploit, la belle conduite, le coup de
maître impayable ! J'enlève à la maligne, non sans me donner du mal, ce
cadeau que je porte à ma ruine. Je pars chargé des dépouilles de
l'ennemi, et nos alliés sont en sûreté.
LABROSSE (qui s'est tenu du côté opposé à
la maison de Ménechme)
Hé ! jeune homme, n'ai-je pas ma part de revenant-bon dans ce butin?
MÉNECHME (entendant Labrosse sans le voir)
Malheur ! je rencontre une embuscade.
LABROSSE
Point ! un renfort. Ne crains rien.
MÉNECHME
Qui est là?
LABROSSE
C'est moi.
MÉNECHME
O mon bonheur ! ma bonne fortune ! Salut. (Il
lui tend la main.)
LABROSSE
Salut.
MÉNECHME
Eh bien ! qu'est-ce?
LABROSSE
Je tiens par la main droite mon bon génie (07).
MÉNECHME
Tu ne pouvais pas arriver plus à propos que tu n'arrives.
LABROSSE
Je suis comme cela. Je sais toujours tomber aux bons moments.
MÉNECHME
Veux-tu contempler une action d'éclat?
LABROSSE
Quel est le cuisinier qui l'a faite? je te dirai s'il a manqué son
affaire, quand j'en serai aux restes.
MÉNECHME
Dis-moi, as-tu jamais vu en peinture sur une muraille Ganymède
enlevé par un aigle, ou Adonis ravi par Vénus?
LABROSSE
Souvent. Mais que me font ces figures?
MÉNECHME (montrant le châle sur lui)
Eh bien ! regarde-moi; ne leur ressemblé-je pas?
LABROSSE
Que signifie cet accoutrement?
MÉNECHME
Avoue que je suis le plus aimable des hommes.
LABROSSE
Où mangerons-nous?
MÉNECHME
D'abord, réponds comme je le veux.
LABROSSE
Oui, le plus aimable des hommes.
MÉNECHME
Est-ce que tu ne veux pas ajouter quelque chose de ton cru?
LABROSSE
Si, et même quelque chose de très jovial.
MÉNECHME
Continue.
LABROSSE
Je ne continue pas, non, par Hercule, à moins de savoir sur quoi
compter. Tu es en querelle avec ta femme. Oh! je prends mes précautions
avec toi.
MÉNECHME
Je veux que nous enterrions cette journée, sans que ma femme sache
où nous dressons le bûcher.
LABROSSE
Oui, oui, tu as raison. Il me tarde de prendre la torche en main; car
la journée est déjà à moitié finie, elle est à demi morte.
MÉNECHME
Tu retardes tes jouissances en me coupant la parole.
LABROSSE
Crève-moi l'oeil unique qui me reste, cher Ménechme, si je profère un
seul mot sans ton ordre.
MÉNECHME
Éloignons-nous de cette porte (montrant sa
maison).
LABROSSE
Volontiers.
MÉNECHME (s'éloignant davantage, en
regardant derrière lui)
Viens ici.
LABROSSE
Comme tu voudras.
MÉNECHME (s'éloignant toujours de même)
Viens, viens, pas de paresse. Écartons-nous de l'antre de la lionne.
LABROSSE
Par Pollux, tu serais, à ce qu'il me semble, un bon cocher de cirque.
MÉNECHME
Pourquoi ça?
LABROSSE
De peur que ton épouse ne te rattrape, tu regardes à chaque instant
en arrière.
MÉNECHME
Ah, ah ! que dis-tu?
LABROSSE
Moi? j'affirme, je nie tout ce qu'il te plaira.
MÉNECHME
Pourrais-tu, en flairant quelque chose, deviner à l'odeur ce que
c'est?
LABROSSE
C'est comme si tu consultais le collège des augures.
MÉNECHME
Alors, sens le châle que j'ai là. Que t'en semble? (Il
présente le bas du châle ; Labrosse le repousse de la main.) Tu
te récuses?
LABROSSE
C'est par le haut qu'il faut sentir un vêtement de femme; l'endroit
que tu me présentes m'infecterait le nez à ne pouvoir plus le nettoyer.
MÉNECHME
Sens donc de ce côté, aimable Labrosse. (Il
lui présente de nouveau le châle; Labrosse flaire à peine.)
Comme tu fais le précieux !
LABROSSE
Pourquoi pas?
MÉNECHME
Eh bien ! donc, quelle odeur trouves-tu, dis?
LABROSSE
Odeur de larcin, de libertinage, de goinfrerie.
MÉNECHME
Je vais l'offrir à ma maîtresse, la courtisane Érotie. Je lui dirai
de faire préparer un repas sur l'heure pour moi, pour toi et pour elle,
et nous boirons ensemble jusqu'à demain au lever de l'aurore.
LABROSSE
C'est ce qui s'appelle parler clairement. Vais-je frapper?
MÉNECHME
Oui. (Labrosse frappe à coups redoublés.)
Malheureux ! attends donc.
LABROSSE
Tu recules la coupe de mille pas.
MÉNECHME
Frappe doucement.
LABROSSE
Tu as peur, je crois, que la porte ne soit de fabrique samienne. (Il
frappe de nouveau.)
MÉNECHME
Attends, attends, je t'en prie, par Hercule. La voici qui sort. (Il
reste comme en extase.)
LABROSSE (se moquant de son air ébahi)
Oh ! c'est le soleil que tu regardes.
MÉNECHME
Comme il est éclipsé par ce teint éblouissant ! |
I.iii
EROTIUM
Anime mi, Menaechme, salve.
PENICULUS
Quid ego?
EROTIUM Extra numerum es mihi.
PENICULUS
Idem istuc aliis adscribtivis fieri ad legionem solet.
MENAECHMUS
Ego isteic mihi hodie adparari iussi apud te proelium. 184-185
EROTIUM
Hodie id fiet.
MENAECHMUS
In eo uterque proelio potabimus. 186
Uter ibi melior bellator erit inventus cantharo,
tua est legio, adjudicato, cum utro hanc noctem sies.
Ut ego uxorem, mea voluptas, ubi te aspicio, odi male !
EROTIUM
Interim nequis, quin ejus aliquid indutus sies. 190
Quid hoc est?
MENAECHMUS
Induviae tuae, atque uxoris exuviae, rosa.
EROTIUM
Superas facile, ut superior sis mihi quam quisquam qui impetrant.
PENICULUS
Meretrix tantisper blanditur, dum illud quod rapiat videt.
Nam si amabas, iam oportebat nasum abreptum mordicus. 195
MENAECHMUS
Sustine hoc, Penicule; exuvias facere, quas vovi volo. 196
PENICULUS
Cedo, sed obsecro, hercle, salta sic cum palla postea.
MENAECHMUS
Ego saltabo? sanus, hercle, non es.
PENICULUS
Egone an tu magis?
si non saltas, exue igitur.
MENAECHMUS Nimio ego hanc periculo
subrupui hodie : meo quidem animo, ab Hippolyta subcingulum haud 200
Hercules aeque magno umquam abstulit periculo.
Cape tibi hanc, quando una vivis meis morigera moribus.
Hoc animo decet animatos esse amatores probos.
PENICULUS
Qui quidem ad mendicitatem se properent detrudere.
MENAECHMUS
Quattuor minis ego emi istanc anno uxori meae. 205
PENICULUS
Quattuor minae perierunt plane, ut ratio redditur.
MENAECHMUS
Scin' quid volo ego te accurare?
EROTIUM
Scio, curabo quae voles.
MENAECHMUS
Iube igitur tribus nobis apud te prandium adcurarier
atque aliquid scitamentorum de foro opsonarier,
glandionidam suillam, laridum, pernonidam, 210
aut sinciput, aut polimenta porcina aut aliquid ad eum modum,
madida quae mi adposita in mensam, milvinam subgerant;
atque actutum.
EROTIUM
Licet ecastor.
MENAECHMUS
Nos prodimus ad forum.
Iam hic nos erimus: dum coquetur, interim potabimus.
EROTIUM
Quando vis veni, parata res erit.
MENAECHMUS
Propera modo. 215
Sequere tu.
PENICULUS
Ego, hercle, vero te et servabo, et te sequar :
neque hodie ut te perdam, meream deorum divitias mihi.
EROTIUM
Evocate intus Culindrum mihi coquum actutum foras.
|
I, 3 ÉROTIE,
LABROSSE, MÉNECHME
ÉROTIE
Mon coeur, mon cher Ménechme, bonjour.
LABROSSE
Et moi?
ÉROTIE
Tu ne comptes pas.
LABROSSE
C'est ce qui a lieu à l'armée pour les suppléants (08).
MÉNECHME
Je commande pour aujourd'hui chez toi les apprêts d'un combat.
ÉROTIE
Va pour aujourd'hui.
MÉNECHME
Et dans cette guerre nous ferons tous deux couler bien du vin. Lequel
de nous deux (montrant le parasite) sera le
meilleur combattant dans le choc des coupes? (A
Erotie.) L'armée est sous tes ordres, tu adjugeras le prix : ta
nuit prochaine. Chère volupté ! que ma femme, quand je te regarde, me
paraît odieuse !
ÉROTIE (apercevant le châle qu'il porte sur
lui)
Cependant, tu ne peux t'empêcher de porter quelque chose qui soit à
elle. Qu'est-ce que c'est que cela !
MÉNECHME
Parure pour toi, dépouille de ma femme, ma rose.
ÉROTIE (radoucissant le ton de sa voix)
De tous les amants que je préfère, tu sais toujours être mon
préféré.
LABROSSE (à part)
La courtisane nous cajole un tantinet, dès qu'elle voit du butin à
saisir. (Haut.) Si tu l'aimais, tu lui aurais
déjà pris le nez entre tes dents.
MÉNECHME (se débarrassant de son pallium)
Débarrasse-moi de ça, Labrosse. Je désire m'acquitter de mon voeu en
offrant les dépouilles.
LABROSSE
Donne. (Ménechme reste vêtu seulement de sa
tunique, avec le châle par-dessus.) Mais tu devrais bien, je t'en
prie, par Hercule, danser la pantomime dans ce costume.
MÉNECHME
Moi, danser? tu es fou, par Hercule (09).
LABROSSE
Le plus fou, est-ce moi ou toi? Si tu ne danses pas, ôte ce châle.
MÉNECHME
J'ai couru de grands dangers pour le dérober aujourd'hui. Hercule, je
pense, n'en essuya pas de plus grands pour enlever à Hippolyte sa
ceinture. Reçois ce don, toi qui ne penses qu'à me plaire. Je veux être
ainsi le modèle des vrais amants.
LABROSSE (à part)
Oui, de ceux qui n'ont rien de plus pressé que de se réduire à la
mendicité.
MÉNECHME
Je l'ai acheté quatre mines pour ma femme, il y a un an.
LABROSSE (à part)
Ce sont quatre mines perdues, tout compte fait.
MÉNECHME
Sais-tu ce que je désire de ta complaisance?
ÉROTIE
Oui, je ferai tout ce que tu voudras.
MÉNECHME
Fais-donc apprêter à dîner chez toi pour nous trois; qu'on ait au
marché des mets délicats, des ris de porc, du lard, un jambonneau, une
hure, des rognons de verrat, ou quelque chose de la sorte. Et que les
mets, bien cuits, bien servis, me donnent un appétit de vautour; et en
vitesse!
ÉROTIE
A tes ordres, par Castor.
MÉNECHME
Nous, allons au forum; nous serons de retour dans un moment. En
attendant que le cuisinier ait fini, nous boirons.
ÉROTIE
Viens quand il te plaira, tout sera prêt.
MÉNECHME
Qu'on se dépêche. (A Labrosse.) Viens,
toi.
LABROSSE
Moi, par Hercule, je te garde à vue, je colle à toi; je ne voudrais
pas te perdre aujourd'hui, pour toutes les richesses des dieux. (Ils
sortent.)
ÉROTIE (à ses esclaves)
Faites-moi venir ici mon cuisinier Cylindre, tout de suite. |
I.iv
EROTIUM
Sportulam cape atque argentum; eccos treis nummos habes.
CYLINDRUS
Habeo.
EROTIUM
Abi atque opsonium adfer; tribus vide quod sit satis. 220
Neque defiat neque supersit.
CYLINDRUS
Quoiusmodi hi homines erunt?
EROTIUM
Ego et Menaechmus, et parasitus eius.
CYLINDRUS
Iam isti sunt decem.
Nam parasitus octo hominum munus facile fungitur.
EROTIUM
Elocuta sum convivas; ceterum cura.
CYLINDRUS
Licet.
Cocta sunt, iube ire adcubitum.
EROTIUM
Redi cito.
CYLINDRUS
Iam ego hic ero. 225
|
I, 4. ÉROTIE,
CYLINDRE.
ÉROTIE
Prends ton panier et de l'argent; voici trois didrachmes, n'est-ce
pas?
CYLINDRE
Bon.
ÉROTIE
Va au marché; tu achèteras de quoi faire un dîner pour trois. Vois
qu'il y ait assez, que rien ne manque, mais point de superflu.
CYLINDRE
Quels sont les convives?
ÉROTIE
Moi et Ménechme avec son parasite.
CYLINDRE
Alors vous êtes dix. Car le parasite en vaut bien huit à lui seul.
ÉROTIE
Je t'ai dit qui il y aura. Maintenant, arrange-toi.
CYLINDRE
Très bien; le dîner est cuit, on peut se mettre à table.
ÉROTIE
Reviens vite.
CYLINDRE
C'est presque fait. (Ils sortent.) |
ACTVS II
II.i
MENAECHMUS
Nulla 'st voluptas navitis, Messenio,
maior, meo animo, quam quom ex alto procul
terram conspiciunt.
MESSENIO
Maior, non dicam dolo,
si adveniens terram videas, quae fuerit tua.
Sed quaeso, quamobrem nunc Epidamnum venimus? 230
An, quasi mare, omneis circumimus insulas?
MENAECHMUS
Fratrem quaesitum geminum germanum meum.
MESSENIO
Namquid modi futurum 'st illum quaerere?
Hic annus sextust postquam ei rei operam damus.
Istros, Hispanos, Massiliensis, Illurios, 235
mare superum omne, Graeciamque exoticam,
orasque Italicas omneis, qua adgreditur mare,
sumus circumvecti : si acum, credo, quaereres,
acum invenisses, si adpareret, iam diu.
Hominem inter vivos quaeritamus mortuum : 240
nam invenissemus iam diu, si viveret.
MENAECHMUS
Ergo istuc quaero certum qui faciat mihi,
qui sese dicat scire, eum esse emortuum;
operam praeterea numquam sumam quaerere.
Verum aliter, vivos numquam desistam exsequi; 245
ego illum scio, quam cordi sit carus meo.
MESSENIO
In scirpo nodum quaeris, quin nos hinc domum
redimus, nisi si historiam scribturi sumus?
MENAECHMUS
Dictum facessas datum, edis, caveas malo.
Molestus ne sis, non tuo hoc fiet modo.
MESSENIO
Hem, 250
illoc enim verbo esse me servom scio.
Non potuit paucis plura plane proloqui.
Verum tamen nequeo continere, quin loquar.
Audi, Menaechme : quom inspicio marsupium,
viaticati, hercle, admodum aestive sumus. 255
Nae tu, hercle, opinor, nisi domum revorteris,
ubi nihil habebis, geminum dum quaeres, gemes.
Nam ita est haec hominum natio Epidamnia,
voluptarii atque potatores maxumi;
tum sycophantae et palpatores plurumei 260
in urbe hac habitant; tum meretrices mulieres
nusquam perhibentur blandiores gentium.
Propterea huic urbi nomen Epidamno inditum 'st,
quia nemo ferme huc sine damno devortitur.
MENAECHMUS
Ego istuc cavebo : cedodum huc mihi marsupium. 265
MESSENIO
Quid eo vis?
MENAECHMUS
Iam aps te metuo de verbis tuis.
MESSENIO
Quid metuis?
MENAECHMUS
Ne mihi damnum in Epidamno duis.
Tu magnus amator mulierum es, Messenio :
ego autem homo iracundus, animi perditi.
Id utrumque, argentum quando habebo, cavero, 270
ne tu delinquas, neve ego irascar tibi.
MESSENIO
Cape atque serva, me lubente feceris.
|
ACTE II
II, 1 MÉNECHME SOSICLÈS, MESSÉNION
MÉNECHME
Il n'y a pas, selon moi, de plus grand plaisir en mer pour des
navigateurs, Messénion, que d'apercevoir de loin la terre.
MESSÉNION
Il y en a un plus grand, je l'avouerai sans fard, c'est d'arriver chez
soi et de voir la terre qu'on a eue pour berceau. Mais pourquoi, je te
prie, venir à Épidamne? est-ce que nous ferons, comme la mer, le tour de
toutes les îles?
MÉNECHME
J'y viens pour chercher mon frère jumeau.
MESSÉNION
Quel sera donc le terme de nos recherches? Voilà six ans que nous
nous y consacrons. Istriens, Espagnols, Marseillais, Illyriens, mer
Tyrrhénienne tout entière, Grande-Grèce, côtes d'Italie autant qu'en
baigne la mer, nous avons tout visité. Quand tu chercherais une aiguille,
je crois que, si elle y était, tu l'aurais trouvée il y a belle lurette.
Nous cherchons un mort parmi les vivants; ne l'aurions-nous pas découvert
depuis longtemps, s'il vivait encore?
MÉNECHME
Je veux trouver au moins quelqu'un qui sache qu'il est mort, qui
puisse me le dire et me l'assurer; alors je renonce à mon entreprise.
Mais jusque-là, je ne cesserai point de rechercher sa trace. Il n'y a que
moi qui sache combien il est cher à mon cœur.
MESSÉNION
C'est comme si tu cherchais un noeud dans un brin d'osier. Il faut
retourner chez nous; à moins que nous ne nous préparions à
écrire l'histoire.
MÉNECHME
Trêve aux beaux discours, et prends garde qu'il ne t'arrive malheur.
Tu m'ennuies, je ne me réglerai pas sur tes avis.
MESSÉNION
Certes, ce langage me remet à ma place d'esclave. Impossible de dire
plus en si peu de mots, et plus catégoriquement. Mais cependant je
n'arrive pas à me contenir, il faut que je parle. Écoute, Ménechme;
quand je considère notre bourse de voyage, il me semble, par Hercule, que
nous sommes équipés bien à la légère; et je t'assure que si tu ne
retournes pas au logis, par Hercule ! le temps viendra où, n'ayant plus
rien, tu gémiras d'avoir cherché ton jumeau. Il ne faut pas se
méprendre sur ce peuple-ci : les Épidamniens sont des hommes de plaisir
et de grands buveurs; la ville abonde en intrigants adroits et insinuants
: et les courtisanes ! il n'y a pas de pays, dit-on, où elles soient plus
séduisantes. C'est pour cela qu'on a nommé la ville Épidamne; parce
qu'on n'y peut séjourner qu'à son dam.
MÉNECHME
Je me tiendrai sur mes gardes, tu as raison. Donne-moi la bourse.
MESSÉNION
Pourquoi donc?
MÉNECHME
Tes paroles me donnent des craintes sur ton compte.
MESSÉNION
Que crains-tu?
MÉNECHME
Que tu ne visites à mon dam Épidamne. Tu es grand amateur de femmes;
moi, je suis colère, emporté; je préviendrai, en tenant la bourse, deux
désagréments : pour toi celui de faillir, pour moi celui de me fâcher.
MESSÉNION
Prends et garde; tu me feras plaisir.
|
II.ii
CYLINDRUS
Bene opsonavi atque ex mea sententia,
bonum anteponam prandium pransoribus.
Sed eccum Menaechmum video : vae tergo meo ! 275
Prius iam convivae ambulant ante ostium,
quam ego opsonatu redeo : adibo atque alloquar.
Menaechme, salve.
MENAECHMUS
Di te amabunt : quisquis ego sum ?
CYLINDRUS
Non, hercle, vere. Ubi convivae ceteri? 280
MENAECHMUS
Quos tu convivas quaeris?
CYLINDRUS
Parasitum tuum.
MENAECHMUS
Meum parasitum? certe hic insanu'st homo.
MESSENIO
Dixin' tibi esse heic sycophantas plurumos?
MENAECHMUS
Quem tu parasitum quaeris, adulescens, meum? 285
CYLINDRUS
Peniculum.
MESSENIO
Eccum in vidulo salvom fero.
CYLINDRUS
Menaechme, numero huc advenis ad prandium
nunc opsonatu redeo.
MENAECHMUS
Responde mihi,
adulescens, quibus heic pretiis porci veneunt
sacres sinceri?
CYLINDRUS
Nummum.
MENAECHMUS
Nummum a me accipe: 290
iube te piari de mea pecunia.
nam equidem insanum esse te certo scio,
qui mihi molestus homini ignoto, quisquis es.
CYLINDRUS
Cylindrus ego sum, non gnosti nomen meum?
MENAECHMUS
Seu tu Cylindrus, seu Coriendrus, perieris. 295
Ego te non gnovi, neque gnovisse adeo volo.
CYLINDRUS
Est tibi Menaechmo noMENAECHMUS
MENAECHMUS
Tantum quod sciam.
Pro sano loqueris, quom me appellas nomine.
Sed ubi gnovisti me?
CYLINDRUS
Ubi ego te gnoverim ?
Qui amicam habes eram meam hanc Erotium? 300
MENAECHMUS
Neque, hercle, habeo, neque te, quis homo sis scio.
CYLINDRUS
Non scis quis ego sim ? qui tibi saepissume
cyathisso apud nos, quando potas?
MESSENIO
Hei mihi,
quom nihil est, qui illi homini diminuam caput.
MENAECHMUS
Tun' cyathissare mihi soles, qui ante hunc diem 305
Epidamnum numquam vidi, neque veni?
CYLINDRUS
Negas !
MENAECHMUS
Nego hercle vero.
CYLINDRUS
Non tu in illisce aedibus
habitas?
MENAECHMUS
Dii illos homines, qui illeic habitant, perduint.
CYLINDRUS
Insanit hic quidem, qui ipse male dicit sibi.
Audin', Menaechme?
MENAECHMUS
Quid vis?
CYLINDRUS
Si me consulas, 310
nummum illum, quem mihi dudum pollicitus dare,
iubeas, si sapias, porculum adferri tibi : 314-315
nam tu quidem, hercle, certo non sanus satis,
Menaechme, qui nunc ipsus male dicas tibi.
MESSENIO
Heu hercle hominem multum et odiosum mihi. 316
CYLINDRUS
Solet iocari saepe mecum illoc modo.
Quamvis ridiculus est, ubi uxor non adest.
MENAECHMUS
Quid ais tu?
CYLINDRUS
Quid vis, inquam ! Satin' hoc quod vides
tribus vobis opsonatum 'st, an opsono amplius, 320
tibi et parasito et mulieri?
MENAECHMUS
Quas tu mulieres,
quos tu parasitos loquere?
MESSENIO
Quod te urget scelus,
qui huic sis molestus?
CYLINDRUS
Quid tibi mecum 'st rei?
ego te non gnovi: cum hoc quem gnovi fabulor.
MESSENIO
Non, edepol, tu homo sanus es, certo scio. 325
CYLINDRUS
Iam ergo haec madebunt faxo : nihil morabitur.
Proin tu ne quo abeas longius ab aedibus.
Numquid vis?
MENAECHMUS
Ut eas maxumam malam crucem.
CYLINDRUS
Ire, hercle, melius est te interim atque adcumbere,
dum ego haec adpono ad Volcani violentiam. 330
Ibo intro, et dicam te heic adstare Erotio,
ut te hinc abducat potius quam heic adstes foris.
MENAECHMUS
Iamne abiit ? edepol, haud mendacia
tua verba experior esse.
MESSENIO
Observato modo.
Nam isteic meretricem credo habitare mulierem, 335
ut quidem ille insanus dixit, qui hinc abiit modo.
MENAECHMUS
Sed miror, qui ille gnoverit nomen meum.
MESSENIO
Minime, hercle, mirum; morem hunc meretrices habent:
ad portum mittunt servolos, ancillulas;
si qua peregrina navis in portum advenit, 340
rogitant cuiatis sit, quid ei nomen siet,
post, illae extemplo se applicant, adglutinant:
si pellexerunt, perditum amittunt domum.
Nunc in istoc portu stat navis praedatoria,
abs qua cavendum nobis sane censeo. 345
MENAECHMUS
Mones quidem, hercle, recte.
MESSENIO
Tum demum sciam
recte monuisse, si tu recte caveris.
MENAECHMUS
Tacedum parumper : nam concrepuit ostium.
Videamus qui hinc egreditur.
MESSENIO
Hoc ponam interim.
adservatote haec, soltis, navaleis pedes. 350
|
II, 2 CYLINDRE,
MÉNECHME SOSICLÈS, MESSÉNION
CYLINDRE
J'ai fait de bonnes emplettes, et je suis satisfait. Je me flatte de
servir un bon dîner à nos dîneurs. (Apercevant
Sosiclès.) Mais voici Ménechme; tant pis pour mon dos. Les
convives se promènent déjà devant la porte, que je ne suis pas encore
revenu du marché. Allons lui parler.
Bonjour, Ménechme.
MÉNECHME
Les dieux te soient en aide ! Tu sais qui je suis?
CYLINDRE
Non, par Hercule ! Où sont les autres convives?
MÉNECHME
De quels convives parles-tu?
CYLINDRE
De ton parasite.
MÉNECHME
Mon parasite? (A Messénion.)
Assurément, cet homme est toqué.
MESSÉNION (bas à Ménechme)
Qu'est-ce que je te disais? il y a ici quantité de fripons.
MÉNECHME (à Cylindre)
Quel parasite me demandes-tu, mon ami?
CYLINDRE
Labrosse.
MESSÉNION
Je l'ai là dans ma valise en excellent état.
CYLINDRE
Ménechme, tu viens de bien bonne heure pour dîner; je ne fais que
d'arriver du marché.
MÉNECHME
Réponds-moi, mon garçon; combien vend-on ici les meilleurs porcs
pour les sacrifices (10)?
CYLINDRE
Un didrachme.
MÉNECHME
Acceptes-en un, et fais-toi purger le cerveau par les prêtres, à mes
frais. Car à coup sûr tu es fou, qui que tu sois, de venir m'ennuyer,
moi qui ne te connais pas.
CYLINDRE
Tu ne connais pas mon nom? Je suis Cylindre.
MÉNECHME
Cylindre, ou Culindre (11), va te faire
pendre ! Je ne te connais point, ni ne veux te connaître.
CYLINDRE
Toi, tu t'appelles Ménechme.
MÉNECHME
Oui, autant que je sache. Tu parles sensément quand tu me nommes par
mon nom. Mais d'où me connais-tu?
CYLINDRE
D'où je te connais? toi, l'amant d'Érotie, la maîtresse que je
sers, et qui demeure ici
MÉNECHME
Par Hercule, je ne suis pas son amant, et je ne sais qui tu es.
CYLINDRE
Tu ne sais pas qui je suis? moi qui si souvent te verse à boire quand
on te traite à la maison.
MESSÉNION (à part)
Mort de ma vie ! que n'ai-je quelque chose sous la main pour lui casser la
tête !
MÉNECHME
Tu as l'habitude de me verser à boire, à moi qui jamais jusqu'à ce jour
n'avais vu Épidamne, qui jamais n'y avais mis les pieds?
CYLINDRE
Tu me donnes un démenti?
MÉNECHME
Je te le donne, par Hercule.
CYLINDRE
Tu ne demeures pas dans cette maison? (Il montre
la maison de Ménechme ravi.)
MÉNECHME
Que les dieux perdent les gens qui l'habitent !
CYLINDRE (à part)
Il est donc fou, de faire des imprécations contre lui-même? (Haut.)
Écoute, Ménechme.
MÉNECHME
Que veux-tu?
CYLINDRE
Si tu m'en croyais, avec cet argent que tu m'as promis tout à
l'heure, tu ferais bien de te procurer un petit porc; car certainement,
par Hercule, tu n'es pas tout à fait dans ton bon sens, Ménechme, de te
maudire toi-même.
MESSÉNION
O l'ennuyeux bavard ! je n'y tiens plus.
CYLINDRE (à part)
Souvent il lui arrive de s'amuser ainsi avec moi. Il est d'humeur très
joviale quand sa femme n'est pas là.
MÉNECHME
Dis-moi?
CYLINDRE
Que veux-tu donc? (Montrant son panier.)
Vois, ai-je fait assez d'emplettes pour vous trois? Faut-il encore quelque
chose de plus pour elle et pour toi avec ton parasite?
MÉNECHME
Qu'est-ce que tu chantes, avec tes femmes et tes parasites?
MESSÉNION (à Cylindre, avec le ton de la
menace)
Quelle coquinerie te pousse à l'importuner?
CYLINDRE
Ai-je affaire à toi? Je ne te connais pas. C'est à lui que je parle,
lui que je connais.
MÉNECHME
Par Pollux, tu as perdu le sens, j'en suis sûr.
CYLINDRE
Ma cuisine sera faite dans un instant; il n'y aura pas de retard.
Ainsi, ne t'éloigne pas de la maison. Tu ne me veux plus rien?
MÉNECHME
Sinon de t'aller pendre à la croix la plus haute.
CYLINDRE
Toi plutôt, par Hercule (12)... tu devrais
venir te mettre à table, pendant que j'expose tout ceci à la violence de
Vulcain. J'entre dire à Érotie que tu es là, afin qu'elle vienne te
chercher au lieu de te laisser dehors. (Il sort.)
MÉNECHME
Est-il parti, à la fin? Par Pollux, tes discours ne sont pas
trompeurs, je le vois.
MESSÉNION
Prends garde tout de même, car je crois que c'est ici la demeure de la
femme dont nous a parlé ce fou qui vient de s'en aller.
MÉNECHME
Je m'étonne que le gaillard sache mon nom.
MESSÉNION
Rien d'étonnant, par Hercule ! C'est la coutume des courtisanes,
d'envoyer au port quelqu'un de leurs gens pour attendre les navires
étrangers qui arrivent, et pour s'informer du propriétaire et de son
nom. Ensuite elles se prennent à leur proie, elles s'y collent; et si
elles parviennent à séduire un homme, il est perdu quand elles le
renvoient chez lui. Maintenant il y a un corsaire armé qui se tient en
rade près de toi; je crois qu'il est prudent de nous en défier.
MÉNECHME
Voilà un bon avis, par Hercule.
MESSÉNION
Je connaîtrai l'excellence de mon avis, si tu fais bonne contenance.
MÉNECHME
Tais-toi un peu. J'entends le bruit de la porte. Voyons qui sortira.
MESSÉNION
En attendant, je vais m'alléger. (Il se
débarrasse de sa valise, et la donne aux mariniers qui les suivent.)
Gardez cela, vous autres, jambes de bateaux (13).
|
II.iii
EROTIUM
Sine foreis sic : abi, nolo operiri.
Intus para, cura, vide, quod opu est fiat:
sternite lectos, incendite odores, munditia
inlecebra animo est amantium. 354-355
Amanti amoenitas malo est, nobis lucro est. 356
Sed ubi ille est, quem cocus ante aedeis esse ait? atque eccum video,
qui mi est usui et plurimum prodest.
Item hinc ultro fit, ut meret, potissimus nostrae domi ut sit:
nunc eum adibo, ultro adloquar. 360
Animule mi, mihi mira videntur,
heic te stare foris, fores quoi pateant,
magis quam domus tua, domus quom haec tua sit.
Omne paratum 'st, ut iussisti
atque ut voluisti; , neque tibi 365
ulla mora intus :
prandium, ut iussisti, heic curatum 'st:
ubi lubet, ire licet accubitum.
MENAECHMUS
Quicum haec mulier loquitur?
EROTIUM
Equidem tecum.
MENAECHMUS
Quid mecum tibi
fuit umquam, aut nunc est negoti?
EROTIUM
Quia, pol, te unum ex omnibus 370
Venus me voluit magnificare, atque id haud inmerito tuo.
Nam, ecastor, solus benefactis tuis me florentem facis.
MENAECHMUS
Certo haec mulier aut insana aut ebria 'st, Messenio,
quae hominem ignotum compellet me tam familiariter.
MESSENIO
Dixin' ego istaec heic solere fieri? folia nunc cadunt, 375
prae ut si triduum hoc heic erimus: tum arbores in te cadent.
Nam ita sunt heic meretrices: omneis elecebrae argentariae.
Sed sine me dum hanc compellare : heus mulier ! tibi dico. EROTIUM
Quid est?
MESSENIO
Ubi tu hunc hominem gnovisti?
EROTIUM
Ibidem, ubi hic me iam diu,
in Epidamno.
MESSENIO
In Epidamno? qui huc in hanc urbem pedem, 380
nisi hodie, numquam intro tetulit?
EROTIUM
Eeia, delicias facis.
mi Menaechme : quin, amabo, is intro? hic tibi erit rectius.
MENAECHMUS
Haec quidem, edepol, recte appellat meo me mulier nomine.
nimis miror, quid hoc sit negoti.
MESSENIO
Oboluit marsupium
huic istuc quod habes.
MENAECHMUS
Atque, edepol, tu me monuisti probe. 385
adcipedum hoc : iam scibo, utrum hae me mage amet an marsupium.
EROTIUM
Eamus intro, ut prandeamus.
MENAECHMUS Bene vocas: tam gratia 'st.
EROTIUM
Cur igitur me tibi iussisti coquere dudum prandium?
MENAECHMUS
Egon te iussi coquere?
EROTIUM
Certo tibi et parasito tuo.
MENAECHMUS
Quoi, malum, parasito? certo haec mulier non sana est satis. 390
EROTIUM
Peniculo.
MENAECHMUS
Quis iste est Peniculus? qui extergentur baxeae?
EROTIUM
Scilicet qui dudum tecum venit, quom pallam mihi
detulisti, quam ab uxore tua surrupuisti.
MENAECHMUS
Quid est?
tibi pallam dedi, quam uxori meae surrupui? sanan' es?
certe haec mulier cantherino ritu adstans somniat. 395
EROTIUM
Qui lubet ludibrio habere me, atque ire infitias mihi
facta quae sunt?
MENAECHMUS Dic quid est id, quod negem, quod fecerim?
EROTIUM
Pallam te hodie mihi dedisse uxoris.
MENAECHMUS
Etiam nunc nego.
Ego quidem neque umquam uxorem habui, neque habeo, neque huc
umquam, postquam natus sum, intra portam penetravi pedem. 400
Prandi in navi; inde huc sum egressus, te conveni.
EROTIUM
Ecere,
perii misera ! quam tu nunc mihi navem narras?
MENAECHMUS
Ligneam,
saepe tritam, saepe fixam, saepe excussam malleo;
quasi supellex pellionis, palus palo proxum 'st.
EROTIUM
Iam me, amabo, desine ludos facere, atque i hac mecum simul. 405
MENAECHMUS
Nescio quem, mulier, alium hominem, non me quaeritas.
EROTIUM
Non ego te gnovi Menaechmum, Moscho prognatum patre ?
qui Syracusis perhibere gnatus esse in Sicilia,
ubi rex Agathocles regnator fuit, et iterum Phintia ? 409-410
tertium Liparo, qui in morte regnum Hieroni tradidit, 411
nunc Hiero est?
MENAECHMUS
Haud falso, mulier, praedicas.
MESSENIO
Pro Iuppiter !
num istaec mulier illinc venit, quae te gnovit tam cate?
MENAECHMUS
Hercle opinor, pernegari non potest.
MESSENIO
Ne feceris. 414-415
Periisti, si intrassis intra limen.
MENAECHMUS
Quin tace modo : 416
bene res geritur; adsentabor, quidquid dicet, mulieri,
si possum hospitium nancisci. Iamdudum, mulier, tibi
non imprudens advorsabar: hunc metuebam, ne meae 419-420
uxori renuntiaret de palla et de prandio. 421
Nunc, quando vis, eamus intro.
EROTIUM
Etiam parasitum manes?
MENAECHMUS
Neque ego illum maneo, neque floccifacio, neque, si venerit,
eum volo intromitti.
EROTIUM
Ecastor, haud invita fecero.
sed scin' quid te amabo ut facias?
MENAECHMUS
Impera quid vis modo. 425
EROTIUM
Pallam illam, quam dudum dederas, ad phrygionem ut deferas,
ut reconcinnetur, atque ut opera addantur quae volo.
MENAECHMUS
Hercle, quin tu recte dicis; eadem ignorabitur :
ne uxor cognoscat te habere, si in via conspexerit.
EROTIUM
Ergo mox auferto tecum, quando abibis.
MENAECHMUS
Maxume. 430
EROTIUM
Eamus intro.
MENAECHMUS
Iam sequar te. hunc volo etiam conloqui.
Eho, Messenio, accede huc.
MESSENIO
Quid negoti 'st?
MENAECHMUS
St! scire vis ?
MESSENIO
Quid ergo?
MENAECHMUS
Opu'st.
MESSENIO
Quid opu'st ?
MENAECHMUS
Scio ut me dices.
MESSENIO
Tanto nequior.
MENAECHMUS
Habeo praedam: tantum incepi operis :i quantum pote'st : 434-435
abduc istos in tabernam actutum diversoriam. 436
Tum facito ante solis occasum ut venias advorsum mihi.
MESSENIO
Non tu istas meretrices gnovisti, here.
MENAECHMUS
Tace, inquam.
Mihi dolebit, non tibi, si quid ego stulte fecero.
Mulier haec stulta atque inscita 'st; quantum perspexi modo, 440
est hic praeda nobis.
MESSENIO
Perii.
MENAECHMUS
Iamne abis?
MESSENIO
Periit probe:
Ducit lembum dierectum navis praedatoria.
Sed ego inscitus, qui hero me postulem moderarier;
dicto me emit audientem, haud imperatorem sibi.
Sequimini, ut, quod imperatum 'st, veniam advorsum temperi. 445
|
II, 3 ÉROTIE,
MÉNECHME SOSICLÈS, MESSÉNION.
ÉROTIE (à Cylindre qui veut fermer la
porte)
Laisse la porte comme cela; va, je ne veux pas qu'on ferme. Prépare tout
à la maison; veille à ce que rien ne manque. (A
d'autres esclaves.) Garnissez les lits, brûlez des parfums. La
parure est un appas pour les amants. Les délices font leur perte et notre
profit. (Cherchant Ménechme.) Mais où
est-il? mon cuisinier m'avait dit qu'il était devant la maison. Le voici,
je l'aperçois, celui qui m'est si utile et qui me fait tant de bien.
Aussi je m'empresse de l'accueillir comme il le mérite; c'est lui qui
doit régner chez moi. Je vais lui parler. Cher petit coeur, je suis bien
étonnée que tu t'arrêtes à la porte, toi à qui ma porte est toujours
ouverte. Tu es chez toi dans cette maison plus que dans la tienne. Tout
est prêt comme tu l'as demandé, comme tu le voulais. Ce n'est pas moi
qui te ferai attendre. On a suivi tes ordres pour le dîner. Quand il te
plaira, nous pourrons nous mettre à table.
MÉNECHME
A qui cette femme parle-t-elle?
ÉROTIE
Éh ! mais, à toi.
MÉNECHME (à Erotie)
Qu'avons-nous eu jamais de commun ensemble? et qu'y a-t-il entre nous
aujourd'hui?
ÉROTIE
Il y a, par Pollux ! que Vénus a voulu que tu sois celui de tous que
je chérisse le plus, et tu en es bien digne : c'est à ta seule
générosité, par Castor ! que je dois de m'épanouir.
MÉNECHME
Assurément cette femme est folle ou ivre, Messénion, de parler si
familièrement à un homme qu'elle ne connaît pas.
MESSÉNION (bas à Ménechme)
Ne t'avais-je pas dit que c'était ici l'usage? Ce ne sont encore que des
feuilles qui tombent, en comparaison de ce que tu verras si nous restons
ici trois jours seulement; alors, ce sont les arbres qui te tomberont sur
le dos. Toutes ces courtisanes sont de fines attrapeuses de deniers. Mais
laisse-moi lui parler. (Haut.) Hé! la belle
(Erotie reste tournée du côté de Ménechme)
; oui, c'est à toi que j'en ai.
ÉROTIE
Qu'y a-t-il?
MESSÉNION
Où as-tu fait connaissance avec cet homme?
ÉROTIE
Où il l'a faite depuis longtemps avec moi, à Épidamne.
MESSÉNION
A Épidamne? Il n'a jamais mis les pieds dans cette ville jusqu'à ce jour
!
ÉROTIE
Pas de mauvaises plaisanteries, mon cher Ménechme. Je t'en prie,
entre; tu seras plus convenablement chez moi.
MÉNECHME
C'est que cette femme, par Pollux, m'appelle exactement par mon nom !
O dieux ! quel étonnement ! Que signifie tout cela?
MESSÉNION (bas à Ménechme)
Elle a flairé la bourse que tu as là.
MÉNECHME
Hé ! par Pollux, l'avis est prudent. Tiens, prends-la. Je verrai bien
qui elle aime davantage, de la bourse ou de moi.
ÉROTIE
Entre. Viens dîner.
MÉNECHME (se défendant)
Tu es trop bonne; je te suis obligé.
ÉROTIE
Pourquoi m'as-tu dit tantôt de te faire préparer à dîner?
MÉNECHME
Je t'ai demandé à dîner?
ÉROTIE
Oui, pour toi et ton parasite.
MÉNECHME
Eh! malepeste, quel parasite? Vrai, cette femme est passablement
folle.
ÉROTIE
Labrosse.
MÉNECHME
Comment, la brosse? est-ce pour nettoyer mes souliers?
ÉROTIE
Labrosse, qui t'accompagnait quand tu m'as apporté le châle que tu
avais dérobé à ta femme.
MÉNECHME
Que veux-tu dire? Je t'ai donné un châle, et je l'ai dérobé à ma
femme? Tu as perdu l'esprit. Certainement, elle est comme les mauvais
chevaux, elle rêve debout.
ÉROTIE
Quel plaisir as-tu à te moquer de moi et à nier ce qui est?
MÉNECHME
Apprends-moi ce que j'ai fait, pour que je le nie?
ÉROTIE
Toi, aujourd'hui, tu m'as donné un châle de ta femme.
MÉNECHME
Non, ce n'est pas vrai. Je n'ai jamais eu de femme, je n'en ai point;
jamais, depuis ma naissance, je n'entrai dans cette ville et n'en passai
la porte. J'ai dîné à bord de mon vaisseau; je suis venu ici tout
droit, et je viens de te rencontrer.
ÉROTIE
O grands dieux ! Je suis perdue, malheureuse ! Quels contes fais-tu?
de quel vaisseau s'agit-il?
MÉNECHME
Un vaisseau de sapin, souvent usé par la mer, souvent recloué,
souvent battu par le marteau; c'est comme un mobilier de pelletier, les
morceaux de bois y sont plantés les uns contre les autres.
ÉROTIE
Je t'en prie, cesse donc ce badinage, et viens ici me tenir compagnie.
MÉNECHME
Tu me prends pour un autre, ma belle; ce n'est pas à moi que tu en
veux.
ÉROTIE
Je ne te connais pas, toi, Ménechme, fils de Moschus, né, comme
chacun sait, à Syracuse en Sicile, où régna le roi Agathocle, ensuite
Phinthias, puis Liparon, qui laissa en mourant la couronne à Hiéron,
lequel est le roi actuel?
MÉNECHME
Tout cela est vrai, ma chère.
MESSÉNION
O Jupiter ! Est-ce qu'elle vient de là-bas, pour te connaître si
bien?
MÉNECHME (bas à Messénion)
Par Hercule, je ne crois pas pouvoir refuser davantage.
MESSÉNION
Garde-toi d'accepter. Tu es un homme perdu, si tu passes le seuil de
cette maison.
MÉNECHME
Tais-toi donc. C'est une bonne affaire. Je répondrai oui à tout ce
qu'elle me dira, et je me ferai héberger à ce prix. (Bas
à Erotie.) J'avais mes raisons pour ne pas être d'accord avec toi
tout à l'heure. Je craignais que ce drôle ne me trahît auprès de ma
femme, au sujet du châle et du dîner. Maintenant, quand tu voudras, je
te suis là dedans.
ÉROTIE
Tu n'attends pas ton parasite?
MÉNECHME
Non; je me moque bien de lui ! Et même, s'il vient, qu'on ne le
laisse pas entrer.
ÉROTIE
Par Castor, il ne m'en coûtera pas de t'obéir. Mais sais-tu ce que tu
devrais faire pour être un chéri?
MÉNECHME
Tu n'as qu'à commander.
ÉROTIE
Ce serait de porter ce châle que tu m'as donné chez le brodeur, pour
le rajuster et y ajouter quelques ornements que je désire.
MÉNECHME
Tu as bien raison, par Hercule ! : c'est un moyen de le changer, de
manière que ma femme ne le reconnaisse pas, si elle le voyait sur toi
dans la rue.
ÉROTIE
Ainsi tu l'emporteras en t'en allant.
MÉNECHME
Entendu.
ÉROTIE
Entrons.
MÉNECHME
Je te suis; (montrant Messénion) mais
j'ai un mot à lui dire. (Elle sort.) Holà,
Messénion, approche.
MESSÉNION
Qu'est-ce?
MÉNECHME (regardant du côté de la maison,
de peur qu'on ne l'écoute)
St! veux-tu savoir?
MESSÉNION
Quoi donc?
MÉNECHME
Il faut...
MESSÉNION (d'un ton fâché)
Que faut-il?
MÉNECHME
Je sais d'avance ce que tu vas me dire.
MESSÉNION
Tu n'en es que plus à blâmer.
MÉNECHME
Je tiens le gibier; l'affaire est en train. Va vite, emmène nos gens
à l'auberge sans retard; et reviens avant le coucher du soleil me
chercher ici.
MESSÉNION
Tu ne connais pas ces courtisanes, mon maître.
MÉNECHME
Silence, te dis-je. C'est moi qui en souffrirai, et non pas toi, si je
fais une sottise. Cette femme est une bête, une imbécile; je l'ai bien
vu tout à l'heure. Il y a ici gibier pour nous.
MESSÉNION
Mort de ma vie !
MÉNECHME
T'en iras-tu? (Il entre chez Erotie.)
MESSÉNION (seul)
Il est perdu sans ressource. Notre navire court à sa ruine, à la
remorque d'un corsaire. Mais tu es un impertinent, Messénion, de
prétendre régler la conduite de ton maître. Il m'a acheté pour lui
obéir, et non pour lui commander. (A ses compagnons.)
Suivez-moi, j'ai ordre de revenir chercher mon maître; je ne veux pas
être en retard. (Il sort avec les rameurs.) |
ACTVS III
III.i
PENICULUS
Plus triginta annis natus sum, quom interea loci,
numquam quicquam facinus feci peius, neque scelestius,
quam hodie, quom in contionem mediam me immersi miser.
Ubi ego dum hieto, Menaechmus se subterduxit mihi
atque abiit ad amicam, credo, neque me voluit ducere. 450
Qui illum di omnes perduint, qui primus commentus es
contionem habere, quae homines obcupatos obcupat.
Non ad eam rem otiosos homines decuit deligi ?
Qui nisi adsint, quom citentur, census capiat inlico.455
Adfatim 'st hominum, in dies qui singulas escas edunt,
quibus negoti nihil est, qui esum neque vocantur, neque vocant.
Eos oportet contioni dare operam atque comitiis.
Si id ita esset, non ego hodie perdidissem prandium, 460
quoi tam credo datum voluisse quam me video vivere.
ibo: etiamnum reliquiarum spes animum oblectat meum.
Sed quid ego video Menaechmum ? cum corona exit foras.
Sublatum est convivium, edepol, venio adversum temperi.
Observabo quid agat hominem. Post adibo atque adloquar. 465
|
ACTE III
III, 1
LABROSSE (seul)
Depuis plus de trente ans que je vois le jour, je ne commis jamais de
faute plus grave, plus funeste, que celle d'aujourd'hui ; aller me perdre,
malheureux, dans la foule maudite ! Pendant que je bayais aux corneilles,
Ménechme m'a échappé, et s'en est allé chez sa maîtresse. Sans doute
il ne voulait pas m'y mener. Que tous les dieux confondent celui qui le
premier inventa les assemblées du peuple, pour donner des occupations aux
gens occupés! Pourquoi ne pas prendre les désoeuvrés pour cet office?
Lorsqu'ils seraient convoqués, s'ils ne se rendaient pas à l'appel, on
saisirait leurs biens. Il y a tant de gens qui ne mangent qu'une fois par
jour, qui n'ont point d'affaires, qui n'invitent point et ne sont point
invités ! C'est à eux de donner leur temps aux assemblées et aux
audiences. Si les choses étaient ainsi réglées, je n'aurais pas perdu
aujourd'hui un dîner (prenant un ton d'ironie)
auquel on avait bonne intention de m'admettre, aussi sûr que je jouis
maintenant de la vie. Allons, il y aura des restes; je me flatte encore de
quelque espoir. Mais que vois-je? Ménechme? Il sort avec une couronné
sur la tête (14). La table est enlevée; par
Pollux, j'arrive à temps.
Je vais observer mon homme, puis l'aborder et parler. |
III.ii
MENAECHMUS
Poti' ne ut quiescas si ego tibi hanc hodie probe
lepideque concinnatam referam temperi ?
Non faxo, eam esse dices: ita ignorabitur.
PENICULUS
Pallam ad phrygionem fert, confecto prandio,
vinoque expoto, parasito excluso foras. 470
Non, hercle, is sum, qui sum, ni hanc iniuriam
meque ultus polchre fuero. Observa quid dabo,
MENAECHMUS
Pro di immortaleis, quoi homini umquam uno die
boni dedistis plus, qui minus speraverit?
Prandi, potavi, scortum accubui, abstuli 475
hanc, quoius heres numquam erit post hunc diem.
PENICULUS
Nequeo, quae loquitur exaudire clanculum.
Satur nunc loquitur de me et de parti mea.
MENAECHMUS
Ait hanc dedisse me sibi, atque eam meae 479-480
uxori surrupuisse : quoniam sentio 481
errare, extemplo, quasi res cum ea esset mihi,
coepi adsentari; mulier quidquid dixerat,
idem ego dicebam : quid multis verbis opu'st?
Minore nusquam bene fui dispendio. 485
PENICULUS
Adibo ad hominem, nam turbare gestio.
MENAECHMUS
Quis hic est, qui adversus it mihi?
PENICULUS
Quid ais, homo
levior quam pluma, pessume et nequissume,
flagitium hominis, subdole ac minumi preti?
Quid de te merui, qua me causa perderes? 490
Ut subrupuisti te mihi dudum de foro ?
Fecisti funus med absente prandio.
Cur ausu's facere, quoi ego aeque heres eram?
MENAECHMUS
Adulescens, quaeso, quid tibi mecum est rei,
qui mihi male dicas homini ignoto insciens? 495
an tibi malam rem vis pro maledictis dari?
PENICULUS
Post eam quidem, edepol, te dedisse intellego.
MENAECHMUS
Responde, adulescens, quaeso, quid tibi nomen est?
PENICULUS
Etiam derides, quasi nomen non gnoveris?
MENAECHMUS
Non, edepol, ego te, quod sciam, umquam ante hunc diem 500
vidi neque gnovi; verum certo, quisquis es,
aequum si facias, mihi odiosus ne sies.
PENICULUS
Menaechme, vigila.
MENAECHMUS
Vigilo, hercle, equidem, quod sciam.
PENICULUS
Non me gnovisti?
MENAECHMUS
Non negem, si gnoverim.
PENICULUS
Tuum parasitum non gnovisti?
MENAECHMUS Non tibi 505
sanum 'st, adulescens, sinciput, ut intellego.
PENICULUS
Responde, surrupuistin' uxori tuae
pallam istanc hodie, atque dedisti Erotio?
MENAECHMUS
Neque, hercle, ego uxorem habeo; neque ego Erotio
dedi nec pallam suprupui.
PENICULUS
Satin' sanus es? 510
obcisa est haec res : non ego te indutum foras
exire vidi palla?
MENAECHMUS
Vae capiti tuo !
omneis cinaedos esse censes, quia tu es?
tun' med indutum fuisse pallam praedicas? 514-515
PENICULUS
Ego, hercle, vero.
MENAECHMUS Non tu abis quo dignus es? 516
aut te piari iubes, homo insanissime.
PENICULUS
Numquam, edepol, me quisquam exorabit, quin tuae
uxori rem omnem iam, uti sit gesta, eloquar.
Omneis in te istaec recident contumeliae.i: 520
Faxo haud inultum prandium comederis.
MENAECHMUS
Quid hoc negoti'st ? satin', uti quemque conspicor,
ita me ludificant? sed concrepuit ostium.
|
III, 2 MÉNECHME
SOSICLÈS, LABROSSE
MÉNECHME
(à Erotie dans la maison)
Sois donc tranquille; (lui montrant le châle qu'il
tient) je te le ferai arranger comme il faut, joliment,
aujourd'hui, et tu l'auras de bonne heure, si bien refait, que tu ne le
reconnaîtras pas toi-même.
LABROSSE
Il va porter le châle au brodeur, à présent que le repas est fini,
le vin bu, et le parasite à la porte. Par Hercule, je veux perdre mon
nom, si je ne tire une insigne vengeance de cette injure. Observons-le; je
l'aborderai ensuite pour lui parler.
MÉNECHME
O dieux immortels, avez-vous jamais envoyé à un homme, pour un jour,
plus de bonheur plus inattendu? J'ai bien bu, bien mangé, avec une jolie
femme sur mon lit, et j'emporte ce châle, qui ne reviendra plus
désormais en sa possession.
LABROSSE
Il m'est impossible de l'entendre de ma cachette. Il a l'estomac
plein, et il parle de moi et de la figure que je dois faire.
MÉNECHME
Elle prétend que je le lui ai donné, et que c'est un vol fait à ma
femme. En voyant son erreur, loin de la contrarier, je me suis prêté à
la chose; comme elle disait, je disais; enfin, en un mot, je ne fus jamais
si bien traité à si peu de frais.
LABROSSE
Abordons-le; j'ai besoin de quereller.
MÉNECHME
Qui est cet homme qui vient à moi?
LABROSSE
Eh bien ! homme dont la parole ne pèse pas une plume, misérable,
vaurien, infâme, traître, mauvais sujet. Que t'avais-je fait, pour
vouloir me perdre? Comme tu t'es esquivé tantôt du forum ! Tu as
enterré le dîner sans moi. Comment as-tu osé te le permettre?
n'avais-je pas ma part dans l'héritage (15)?
MÉNECHME
Jeune homme, qu'avons-nous, je te prie, à démêler ensemble, pour
que tu viennes me dire des injures sans me connaître, sans savoir
pourquoi? Est-ce que tu veux te faire faire un mauvais parti avec tes
insolences?
LABROSSE
Tu me l'as déjà fait, par Pollux, je ne le vois que trop.
MÉNECHME
Dis-moi, jeune homme, quel est ton nom?
LABROSSE
Ah ! tu te moques, comme si tu ne savais pas mon nom?
MÉNECHME
Non, par Pollux, jamais, avant ce jour, que je sache, je ne t'ai vu;
je ne te connais point. Mais certainement, qui que tu sois, si tu veux
entendre raison, tu cesseras de m'ennuyer.
LABROSSE
Tu ne me connais pas?
MÉNECHME
Si cela était, pourquoi m'en défendrais-je?
LABROSSE
Ménechme, éveille-toi.
MÉNECHME
Je ne dors pas, par Hercule, il me semble.
LABROSSE
Tu ne connais pas ton parasite?
MÉNECHME
Tu as le cerveau dérangé, jeune homme, je le vois bien.
LABROSSE
Réponds; n'as-tu pas volé aujourd'hui à ta femme ce châle que tu
as donné ensuite à Érotie?
MÉNECHME
Eh ! par Hercule, je n'ai pas de femme, je n'ai pas volé de châle,
et je n'ai rien donné à Érotie.
LABROSSE
Tu es donc fou? Tout est perdu ! Je ne t'ai pas vu sortir affublé de
ce châle?
MÉNECHME
La peste de toi ! Crois-tu que tout le monde te ressemble, mignon que
tu es (16)? Tu m'as vu sortir habillé d'un
châle?
LABROSSE
Oui, par Hercule, assurément.
MÉNECHME
Va-t'en où tu mérites d'aller, ou fais-toi purifier, archifou.
LABROSSE
Non, par Pollux, il n'y aura pas de prière qui puisse m'empêcher
d'aller raconter à ta femme, avec toutes les circonstances, comment les
choses se passent. Tu paieras cher tous tes mépris. Laisse-moi faire, tu
ne te seras pas offert impunément le dîner. (Il
entre chez Ménechme ravi.)
MÉNECHME (seul)
Qu'est-ce que cette histoire? tous ceux que je rencontre s'amusent donc à
mes dépens? (Regardant du côté de la maison
d'Erotie.) Mais la porte a crié. |
III.iii
ANCILLA
Menaechme, amare ait te multum Erotium,
ut hoc una opera ad aurificem deferas, 525
atque huc ut addas auri pondo unciam,
iubeasque spinther novom reconcinnarier.
MENAECHMUS
Et istud et aliud, si quid curari volet,
me curaturum dicito, quidquid volet.
ANCILLA
Scin' quid hoc sit spinther?
MENAECHMUS
Nescio, nisi aureum. 530
ANCILLA
Hoc est, quod olim clanculum ex armario
te surrupuisse aiebas uxori tuae.
MENAECHMUS
Numquam, hercle, factum 'st.
ANCILLA
Non meministi, obsecro?
Redde igitur spinther, si non meministi.
MENAECHMUS
Mane.
immo equidem memini : nempe hoc est quod illi dedi. 535
ANCILLA
Istuc.
MENAECHMUS
Ubi illae armillae sunt, quas una dedi?
ANCILLA
Numquam dedisti.
MENAECHMUS
Nam, pol, hoc unum dedi.
ANCILLA
Dicam curare?
MENAECHMUS
Dicito: curabitur.
et palla et spinther faxo referantur simul. 539-540
ANCILLA
Amabo, mi Menaechme, inaureis da mihi 541
faciundas pondo duum nummum stalagmia,
ut te lubenter videam, quom ad nos veneris.
MENAECHMUS
Fiat : cedo aurum, ego manupretium dabo.
ANCILLA
Da sodes, abs te, post reddidero tibi. 545
MENAECHMUS
Immo cedo abs te. Ego post tibi reddam duplex.
ANCILLA Non habeo.
MENAECHMUS
At tu, quando habebis, tum dato.
ANCILLA
Numquid me vis?
MENAECHMUS
Haec me curaturum dicito,
ut, quantum possint, quique liceant, veneant.
iamne intro abiit ? abivit, operuit fores. 550
Di me equidem omneis adiuvant, augent, amant.
sed quid ego cesso, dum datur mihi occasio
tempusque, abire ab his locis lenoniis?
Propera, Menaechme, fer pedem, confer gradum.
demam hanc coronam, atque abiciam ad laevam manum, 555
ut si qui sequatur, hac me abiisse censeant.
Ibo et conveniam servom, si potero, meum,
ut haec, quae bona dant dii mihi, ex me sciat.
|
III, 3 UNE ESCLAVE,
MÉNECHME SOSICLÈS
L'ESCLAVE
Ménechme, Érotie dit qu'elle te sera très
obligée de porter en même temps ceci chez le bijoutier, pour y faire
ajouter une once d'or, et en tirer un bracelet neuf. (Elle
lui donne le bracelet.)
MÉNECHME
Oui, et ceci encore, et tout ce qu'elle voudra, dis-lui que je m'en
chargerai; il n'y a rien que je ne fasse pour elle.
L'ESCLAVE
Tu ne sais pas ce que c'est que ce bracelet?
MÉNECHME
Tout ce que je sais, c'est qu'il est en or.
L'ESCLAVE
C'est celui que tu as dérobé, il y a longtemps, à ta femme dans son
armoire, à ce que tu nous as dit.
MÉNECHME
Non, par Hercule, ce n'est pas vrai.
L'ESCLAVE
Comment, tu ne t'en souviens pas? Alors rends-moi le bracelet, si tu
manques de mémoire.
MÉNECHME
Un moment; je m'en souviens : c'est celui que je lui ai donné (faisant
un signe du côté de la maison d'Erotie).
L'ESCLAVE
Précisément.
MÉNECHME
Où est la paire de grands bracelets (17)
que je lui avais donnée en même temps?
L'ESCLAVE
Jamais tu ne lui en as donné.
MÉNECHME
Si, par Pollux, je les lui ai donnés avec celui-ci.
L'ESCLAVE
Je peux lui dire que sa commission sera faite?
MÉNECHME
Oui, et bien faite. Elle aura le bracelet, quand je lui rapporterai le
châle.
L'ESCLAVE
Sois gentil, mon cher Ménechme, donne-moi des pendants d'oreilles, de
petites boules qui ne pèseront pas plus de deux drachmes, pour que je te
voie avec plaisir toutes les fois que tu viendras chez nous.
MÉNECHME
Volontiers : fournis l'or, je paierai la façon.
L'ESCLAVE
Fais-m'en l'avance, veux-tu? Je te le donnerai.
MÉNECHME
Non, donne plutôt de ton argent. Je te le rendrai au double.
L'ESCLAVE
Je ne suis pas en fonds.
MÉNECHME
Quand tu y seras, tu me feras ce plaisir.
L'ESCLAVE
Tu ne me veux plus rien?
MÉNECHME
Dis-lui que j'aurai soin de tout cela (à part
en baissant la voix) pour le vendre le plus tôt possible, à
n'importe quel prix. (L'esclave sort.)
Est-elle enfin partie? oui, elle a fermé la porte. Tous les dieux me sont
en aide, me comblent, me chérissent. Mais les instants sont chers pendant
que l'occasion est belle, fuyons ce repaire de basse noce. Vite,
Ménechme, remue les pieds, hâte le pas D'abord je retire cette couronne
et je la jette à gauche comme cela, si l'on se met à ma poursuite, on
croira que j'ai pris de ce côté. Je vais rejoindre, si je peux, mot
esclave, et lui apprendre quels biens les dieux m'ont envoyés. (Il
sort par la porte de droite.) |
ACTVS IV
IV.i
MULIER
Egone heic me patiar frustra in matrimonio,
ubi vir compilet clanculum quidquid domi'st 560
atque ea ad amicam deferat?
PENICULUS
Quin tu taces?
Manifesto, faxo, iam opprimes. Sequere hac modo.
Pallam ad phrygionem cum corona ebrius
ferebat, hodie tibi quam surrupuit domo.
Sed eccam coronam quam habuit : num mentior? 565
Hem hac abiit, si vis persequi vestigiis.
Atque edepol eccum optume revortitur;
sed pallam non fert.
MULIER
Quid ego nunc cum illoc agam?
PENICULUS
Idem quod semper; male habeas;
MULIER
Sic censeo.
PENICULUS
Huc concedamus: ex insidiis aucupa. 570
|
ACTE
IV
IV, 1 LA FEMME DE MÉNECHME RAVI, LABROSSE,
LA FEMME
Moi, à quoi bon rester la femme d'un homme qui me vole dans ma maison
tous mes effets pour les donner à sa maîtresse !
LABROSSE
Patience. Tu le prendras tout à l'heure en flagrant délit. Suis-moi
seulement. Il s'en allait ivre, la couronne sur la tête, porter au
brodeur le châle qu'il t'a dérobé aujourd'hui. Mais voici la couronne
qu'il avait. Suis-je un menteur? C'est là le chemin qu'il a pris; si tu
veux le poursuivre, nous sommes sur ses traces. Et par Pollux, tout
justement, il revient. Le voici. Mais il n'a pas le châle.
LA FEMME
Comment le traiter maintenant?
LABROSSE
Comme toujours; fais-lui la vie dure.
LA FEMME
C'est bien ce que je pense.
LABROSSE
Retirons-nous de ce côté, tu l'écouteras sans qu'il te voie.
|
IV.ii
MENAECHMVS
Ut hoc utimur maxume more moro
molestoque multum ! atque uti quique sunt
optumi maxume, morem habent hunc:
clientes sibi omneis volunt esse multos:
bonine an mali sint, id haud quaeritant; 575
res magis quaeritur quam clientum fides
Quoiusmodi clueat.
Si est pauper atque haud malus, nequam habetur,
si dives malus est, is cliens frugi habetur.
Qui neque leges, neque aequom bonum usquam colunt, 580
sollicitos patronos habent.
Datum denegant, quod datum 'st, litium pleni, rapaces
viri, fraudulenti,
qui aut faenore, aut periuriis habent rem paratam,
mens est in querelis. 584a
Eis ubi dicitur dies, simul patronis dicitur,
quippe qui pro illis loquantur, male quae fecerint :
aut ad populum, aut in iure, aut apud aedilem res est.
Sicut me hodie nimis sollicitum cliens quidam habuit, neque quod volui
agere aut quicum licitum'st : ita me attinuit, ita me detinuit.
Apud aedileis proeliis factis plurumisque pessimisque 590
dixi causam, conditiones tetuli tortas, confragosas;
aut plus minus, quam opus erat, multo dixeram controversiam,
ut sponsio fieret, quid ille? qui praedem dedit.
Nec magis manufestum ego hominem unquam ullum teneri vidi:
omnibus malefactis testes treis aderant acerrumi. 595
Di illum omneis perdant, (ita mihi
hunc hodie corrupit diem)
meque adeo, qui hodie forum
umquam oculis inspexi meis !
Diem corrupi. Optumum
iussi adparari prandium,
amica exspectat me, scio.
ubi primum 'st licitum, inlico
properavi abire de foro : 600
irata'st, credo, nunc mihi;
placabit palla quam dedi,
quam hodie uxori abstuli, atque huic detuli Erotio. 601a
PENICULUS
Quid ais?
MULIER
Viro me malo male nubtam.
PENICULUS
Satin' audis, quae illic loquitur?
MULIER
Satis.
MENAECHMUS
Si sapiam, hinc intro abeam, ubi mi bene sit.
MULIER
Mane : male potius erit.
Nae illam, ecastor, faenerato abstulisti.
PENICULUS
Sic datur.
MULIER
Clanculum te istaec flagitia facere censebas potesse? 605
MENAECHMUS
Quid illuc est, uxor, negoti?
MULIER
Men' rogas?
MENAECHMUS
Vin' hunc rogem?
PENICULUS
Aufer hinc palpationes. Perge tu.
MENAECHMUS
Quid tu mihi
tristis es?
MULIER
Te scire oportet.
PENICULUS
Scit, sed dissimulat malus.
MENAECHMUS
Quid negoti'st?
MULIER
Pallam.
MENAECHMUS
Pallam?
MULIER
Quidem pallam.
PENICULUS
Quid paves?
MENAECHMUS
Nil equidem paveo.
PENICULUS
Nisi unum:
palla pallorem incutit. At tu
ne clam me comesses prandium ! Perge in virum.
MENAECHMUS
Non taces?
PENICULUS
Non, hercle, vero taceo : nutat, ne loquar.
MENAECHMUS
Non, hercle, ego quidem usquam
quidquam nuto neque nicto tibi.
MULIER
Nae ego, mecastor, mulier misera !
MENAECHMUS
Qui tu misera es? mihi expedi.
PENICULUS
Nihil hoc confidentius, qui, quae vides, ea pernegat. 615
MENAECHMUS
Per Iovem deosque omneis adiuro, uxor, (satin' hoc est tibi?)
me isti non nutasse.
PENICULUS
Credit iam tibi de isto: illuc redi.
MENAECHMUS
Quo ego redeam?
PENICULUS
Equidem ad phrygionem censeo : et pallam refer.
MENAECHMUS
Quae istaec palla 'st?
PENICULUS
Taceo iam, quando hic rem non meminit suam.
MENAECHMUS
Numquis servorum deliquit? num ancillae, aut servi tibi
responsant? eloquere : impune non erit.
MULIER
Nugas agis.
MENAECHMUS
Tristis admodum es : non mihi istuc satis placet.
MULIER
Nugas agis.
MENAECHMUS
Caeterum familiarium aliquoi irata es.
MULIER
Nugas agis.
MENAECHMUS
Num mihi es irata saltem?
MULIER
Nunc tu non nugas agis.
MENAECHMUS
Non, edepol, deliqui quidquam.
MULIER
Hem rursum nunc nugas agis. 625
MENAECHMUS
Dic, mea uxor, quid tibi aegre 'st?
PENICULUS
Bellus blanditur tibi.
MENAECHMUS
Potin' ut mihi molestus ne sis? num te appello?
MULIER
Abfer manum.
PENICULUS
Sic datur : properato absente me comesse prandium ?
Post ante aedeis cum corona me derideto ebrius ?
MENAECHMUS
Neque, edepol, ego prandi, neque hodie huc intro tetuli pedem. 630
PENICULUS
Tun' negas?
MENAECHMUS
Nego, hercle, vero.
PENICULUS
Nihil hoc homine audacius.
Non ego te modo heic ante aedeis cum corona florea
vidi astare, quom negabas mihi esse sanum sinciput,
et negabas me gnovisse; peregrinum aibas esse te?
MENAECHMUS
Quin ut dudum divorti abs te, redeo nunc demum domum. 635
PENICULUS
Gnovi ego te : non mihi censebas esse, qui te ulciscerer :
omnia, hercle, uxori dixi.
MENAECHMUS
Quid dixisti?
PENICULUS
Nescio,
eam ipsus roga.
MENAECHMUS
Quid hoc est, uxor? quidnam hic narravit tibi?
quid id est? quid taces? quin dicis, quid sit?
MULIER
Quasi, tu nescias.
Palla mihi est domo surrepta.
MENAECHMUS
Palla surrepta est tibi? 639a
MULIER
Me rogas?
MENAECHMUS
Pol, haud rogem te, si sciam.
PENICULUS
O hominem malum !
ut dissimulat ! non potes celare: rem gnovit probe :
omnia, hercle, ego edictavi.
MENAECHMUS
Quid id est?
MULIER
Quando nil pudet,
neque vis tua voluntate ipse profiteri, audi atque ades
et quid tristis, et quid hic mihi dixerit, faxo scias :
palla mi est domo surrupta.
MENAECHMUS
Palla surrupta est mihi? 645
PENICULUS
Viden' ut scelestus captat? huic subrepta est, non tibi.
nam profecto tibi surrupta si esset, salva non foret.
MENAECHMUS
Nihil mihi tecum 'st. Dedi tu quid ais?
MULIER
Palla, inquam, periit domo.
MENAECHMUS
Quis eam subripuit?
MULIER
Pol, istuc ille scit, qui illam abstulit.
MENAECHMUS
Quis is homo est?
MULIER
Menaechmus quidam.
MENAECHMUS
Edepol, factum nequiter. 650
Quis is Menaechmust?
MULIER
Tu istic, inquam.
MENAECHMUS
Egone?
MULIER
Tu.
MENAECHMUS
Quis arguit?
MULIER
Egomet.
PENICULUS
Et ego : atque huic amicae detulisti Erotio.
MENAECHMUS
Egon' dedi?
MULIER Tu, tu istic, inquam : vin' adferri noctuam,
quae, tu, tu, usque dicat tibi? nam nos iam defessi sumus.
MENAECHMUS
Per Iovem deosque omneis adiuro, (uxor satin' hoc est tibi?) 655
non dedisse.
MULIER
Imo, hercle, vero, nos non falsum dicere.
MENAECHMUS
Sed ego illam non condonavi, sed sic utendam dedi.
MULIER
Equidem, ecastor, tuam nec chlamydem do foras, nec pallium
quoiquam utendum : mulierem aequom 'st vestimentum muliebre
dare foras, virum virile : quin refers pallam domum? 660
MENAECHMUS
Ego, faxo, referetur.
MULIER
Ex re tua, ut opinor, feceris;
nam domum numquam introibis, nisi feres pallam simul.
MENAECHMUS
Eo domum.
PENICULUS
Quid mihi futurum 'st, qui tibi hanc operam dedi?
MULIER
Opera reddetur, quando quid tibi erit subreptum domo.
PENICULUS
Id quidem, edepol, numquam erit : nam nihil est, quod perdam, domi. 665
Quom virum, quom uxorem, dii vos perdant : properabo ad forum,
nam ex hac familia me plane excidisse intellego.
MENAECHMUS
Male mi uxor sese fecisse censet, quom exclusit foras;
quasi non habeam, quo intromittar, alium meliorem locum.
Si tibi displiceo, patiundum: at placuero huic Erotio, 670
quae me non excludet ab se, sed apud se obcludet domi.
Nunc ibo, orabo ut mihi pallam reddat, quam dudum dedi.
Aliam illi redimam meliorem : heus, ecquis heic est ianitor?
Aperite, atque Erotium aliquis evocate ante ostium.
|
IV,
2 MÉNECHME RAVI, LA FEMME, LABROSSE
MÉNECHME
Quelle impertinente manie nous avons, nous autres gens riches et de
condition, d'augmenter toujours, en proportion de notre fortune, le nombre
de nos clients, et en même temps nos, embarras ! Qu'ils soient gens de
bien ou de mal, on ne s'en informe pas : c'est des biens du client qu'on
s'inquiète, et non de sa probité ni de sa réputation. Est-ce un brave
homme, mais pauvre, il ne vaut rien; un fripon, s'il a de l'argent, est le
client qu'on estime. Et puis, ils se conduisent sans foi ni loi, et leurs
méfaits attirent mille ennuis au patron. Ce qu'on leur donne, ils le
nient; artisans de chicanes, voleurs, forbans, n'ayant de bien acquis que
par l'usure et par le parjure. Ils n'ont en tête que réclamations.
Lorsqu'on les cite en justice, la citation tombe sur le patron, qui est
bien forcé de parler pour couvrir leurs coquineries; si l'affaire est
portée devant le peuple, ou au tribunal, ou devant des arbitres. Moi, par
exemple, un maudit client m'a tenu toute la journée, et je n'ai pu rien
faire de ce que je voulais. Il m'a pris, il m'a gardé prisonnier. Il m'a
fallu batailler de mille manières devant les édiles, plaider une cause
détestable, proposer un arrangement équivoque et entortillé. Je disais
ce qu'il fallait et ce qu'il ne fallait pas; je voulais terminer le débat
par un compromis sous garantie. Lui que fait-il? ce qu'il fait? il a été
forcé de donner caution, et jamais je ne vis d'homme plus évidemment
convaincu. Trois témoins pourtant déposaient de ses mauvais tours, et'
l'accablaient. Que les dieux le confondent, et moi avec lui ! Pourquoi
ai-je eu l'idée de passer la revue du forum? J'ai perdu ma journée !
J'avais fait préparer un excellent dîner chez ma maîtresse; elle
m'attend, j'en suis sûr. J'ai saisi le premier instant favorable pour
m'échapper. Elle doit être en colère contre moi. Mais mon Érotie
s'apaisera avec le châle que j'ai subtilisé à ma femme pour le lui
donner (18).
LABROSSE (à la femme de Ménechme)
Qu'en dis-tu?
LA FEMME
Que je suis mariée pour mon malheur à un méchant mari.
LABROSSE
Tu entends tout ce qu'il dit?
LA FEMME
Ah, suffisamment.
MÉNECHME
Je ferai bien, je crois, d'entrer chez elle, et de prendre du bon
temps.
LA FEMME (se montrant tout à coup).
Arrête ! ce sera plutôt du mauvais temps. Tu paieras avec usure, par
Castor, le vol que tu m'as fait.
LABROSSE (à Ménechme)
Attrape.
LA FEMME
Tu croyais pouvoir me cacher tes turpitudes.
MÉNECHME (d'un ton doux)
De quoi s'agit-il donc, ma femme?
LA FEMME
Tu me demandes ça?
MÉNECHME (s'approchant de Labrosse comme
pour lui faire la cour),
Veux-tu que je lui demande ça à lui?
LABROSSE (le repoussant)
Va porter ailleurs tes caresses. (A la femme.)
Courage
MÉNECHME (revenant à sa femme d'un air
patelin)
Pourquoi cet air sévère?
LA FEMME
Tu dois le savoir.
LABROSSE
Il le sait bien, mais il dissimule, le perfide.
MÉNECHME
De quoi s'agit-il?
LA FEMME
De mon châle.
MÉNECHME
Ton châle?
LA FEMME
Oui, mon châle.
LABROSSE (avec ironie, à Ménechme)
Tu as peur?
MÉNECHME
Je n'ai pas peur du tout.
LABROSSE
Que d'une seule chose : le châle risque de te faire chiâler (19)
! Ah, ah ! il ne fallait pas manger le dîner sans moi. (A
la femme.) Ferme, pousse contre ton homme.
MÉNECHME (bas à Labrosse)
Veux-tu te taire?
LABROSSE
Non, par Hercule, je ne me tairai pas. (A la
femme.) Il me fait des signes pour m'empêcher de parler.
MÉNECHME
Tu mens, par Hercule; je ne te fais ni signe de tête ni clin d'oeil.
LA FEMME (d'un ton lamentable)
Ah ! par Castor, que je suis une femme malheureuse !
MÉNECHME
De quoi, malheureuse? explique-toi.
LABROSSE (à la femme)
Il faut être effronté comme lui, pour nier obstinément les choses que
tu vois.
MÉNECHME
Je jure par Jupiter et par tous les dieux, ma femme, (ce serment-là
te suffit-il?) que je ne lui ai point fait de signes.
LABROSSE
Elle ne te chicane pas là-dessus. Allons-y.
MÉNECHME
Où veux-tu que j'aille?
LABROSSE
Chez le brodeur, ce me semble; et rapporte le châle.
MÉNECHME
Quel châle veux-tu dire?
LA FEMME
Je n'ai qu'à me taire, puisqu'il ne sait plus ce qu'il fait.
MÉNECHME
Est-ce qu'un de nos serviteurs s'est trouvé en défaut? est-ce qu'un
esclave ou une servante t'a manqué de respect? Parle, ils seront punis.
LABROSSE
Plaisanteries !
MÉNECHME (à sa femme, avec un air tendre)
Quelle mine boudeuse ! Cela me fait de la peine.
LABROSSE
Plaisanteries !
MÉNECHME
Est-ce contre quelqu'un de la maison que tu es irritée?
LABROSSE
Plaisanteries !
MÉNECHME
Enfin, est-ce moi qui excite ton courroux?
LABROSSE
Ah, tu ne plaisantes plus.
MÉNECHME
Par Pollux, je ne me sens coupable de rien.
LABROSSE
Revoilà les plaisanteries?
MÉNECHME (prenant un air câlin)
Dis-moi, ma femme, qu'est-ce qui te chagrine?
LABROSSE
Qu'il est gentil et caressant !
MÉNECHME (à Labrosse avec colère)
Je te prie de ne pas m'ennuyer. Est-ce à toi que je parle?
LA FEMME (à Ménechme qui veut lui prendre
le bras)
Retire ta main.
LABROSSE
Attrape. Une autre fois tu te dépêcheras de manger le dîner sans
moi? et puis tu viendras, plein de vin et couronné de fleurs, te moquer
de moi à la porte?
MÉNECHME
Par Pollux, je n'ai point dîné, et je n'ai pas mis le pied ici de la
journée.
LABROSSE
Tu n'y as pas mis le pied?
MÉNECHME
Non, par Hercule, je t'assure.
LABROSSE
Il n'y a pas plus audacieux ! Je ne t'ai pas vu ici tout à l'heure
devant cette maison (montrant la maison d'Erotie)
avec une couronne de fleurs sur la tête, quand tu me disais que j'avais
le cerveau dérangé, que tu ne me connaissais pas, que tu étais
étranger dans cette ville?
MÉNECHME
Mais depuis que nous nous sommes séparés, je ne fais que de revenir
à l'instant.
LABROSSE
Je te connais : tu croyais que je n'avais pas les moyens de me venger.
Par Hercule ! j'ai tout dit à ta femme.
MÉNECHME
Que lui as-tu dit?
LABROSSE
Je ne sais; demande-le-lui.
MÉNECHME
Qu'y a-t-il, ma femme? que t'a-t-il conté? Qu'est-ce tu ne me
réponds pas? Dis-moi donc de quoi il s'agit
LA FEMME
Comme si tu ne le savais pas ! On m'a volé un châle à la maison.
MÉNECHME
Un châle à toi? Volé?
LA FEMME
Tu me le demandes?
MÉNECHME
Je ne te le demanderais pas si je le savais, par Pollux.
LABROSSE
O le scélérat ! comme il dissimule ! (A
Ménechme.) Il n'y a plus moyen de cacher : elle sait parfaitement
la chose. J'ai tout révélé, par Hercule.
MÉNECHME
Eh, quoi donc?
LA FEMME
Puisque tu es sans pudeur, et qu'on ne peut obtenir de toi un aveu
volontaire, écoute et sois attentif : tu sauras pourquoi j'ai l'air
sévère, et quel récit il m'a fait Un châle m'a été volé chez nous.
MÉNECHME
Un châle à toi? Volé?
LABROSSE (à la femme)
Vois-tu, comme il tâche de donner le change, le traître ! (A
Ménechme.) Oui, c'est à elle qu'on l'a volé et non à toi; car
si l'on avait pu te le voler, il serai sauvé maintenant.
MÉNECHME
Je n'ai pas affaire à toi. (A sa femme.)
Mais que dis-tu?
LA FEMME
Je dis qu'un châle à moi a disparu de la maison.
MÉNECHME
Qui l'a pris?
LA FEMME
Par Pollux ! Celui-là le sait, qui l'a pris.
MÉNECHME
Qui est-il?
LA FEMME
Un nommé Ménechme.
MÉNECHME
Par Pollux, la vilaine action ! Quel est ce Ménechme?
LA FEMME
Toi-même.
MÉNECHME
Moi?
LA FEMME
Toi.
MÉNECHME
Qui m'accuse?
LA FEMME
Moi-même.
LABROSSE
Et moi aussi; et tu l'as donné à ta maîtresse Érotie, qui demeure
là.
MÉNECHME
Je l'ai donné, moi?
LABROSSE
Toi, oui, toi, toi-même. Faut-il que j'aille chercher un corbeau pour
te répéter sans cesse : Toi, toi (il contrefait le
croassement)? car nous sommes las de le redire (20).
MÉNECHME
J'en atteste Jupiter et tous les dieux (ma femme, ce serment est assez
fort, j'espère?), je ne l'ai pas donné.
LABROSSE
Et nous, par Hercule, nous les prenons à témoin que nous disons la
vérité.
MÉNECHME
Non, je ne l'ai pas donné, je l'ai prêté seulement.
LA FEMME
Mais moi, par Castor, est-ce que je prête aux étrangers ta chlamyde
ou ton manteau? La garde-robe d'une femme ne doit être prêtée que par
elle, comme celle du mari par lui. Rapporte-nous mon châle.
MÉNECHME
Je vais le rapporter.
LA FEMME
Tu feras bien, je te le conseille; car tu ne rentreras pas à la
maison, si tu ne l'as pas avec toi.
MÉNECHME
A la maison, moi?
LABROSSE (à la femme)
Quel sera le salaire du service que je t'ai rendu?
LA FEMME
On te rendra la pareille quand il y aura quelque chose de volé chez
toi. (Elle sort.)
LABROSSE
C'est ce qui n'arrivera jamais, par Pollux; car il n'y a rien chez moi
pour tenter les voleurs. Mari, femme, que les dieux vous confondent !
Courons au forum; car il n'y a plus pour moi d'espoir de retour dans cette
maison, je le comprends. (Il sort.)
MÉNECHME (seul)
Ma femme croit me faire beaucoup de peine en me mettant à la porte; comme
si je n'avais pas un asile, ouvert, une retraite plus agréable ! Si je te
déplais, il faudra bien m'y résigner; mais je serai bien reçu par
Érotie, qui ne me fermera pas la porte au nez, et qui la refermera
plutôt sur moi avec elle. Allons-y, je vais la prier de me rendre le
châle que je lui ai donné tantôt, quitte à lui en acheter un autre
plus beau. (Il frappe.) Holà ! y a-t-il
quelqu'un à cette porte? Ouvrez. (Une esclave se
présente.) Qu'on dise à Érotie de venir me trouver devant la
porte. (L'esclave rentre.) |
IV.iii
EROTIUM
Quis hic me quaerit?
MENAECHMUS
Sibi inimicus magis quam aetati tuae. 675
EROTIUM
Mi Menaechme, cur ante aedeis adstas? sequere intro.
MENAECHMUS
Mane.
Scin' quid est quod ego ad te venio?
EROTIUM
Scio; ut tibi ex me sit volup.
MENAECHMUS
Immo, edepol, pallam illam, amabo te, quam tibi dudum dedi,
mihi eam redde; uxor rescivit rem omnem, ut factum 'st, ordine.
Ego tibi redimam bis tanta pluris pallam, quam voles. 680
EROTIUM Tibi dedi equidem illam, ad phrygionem ut ferres, paulo prius,
et illud spinther, ut ad aurificem ferres, ut fieret novum.
MENAECHMUS
Mihi tu ut dederis pallam, et spinther? numquam factum reperies.
Nam ego quidem postquam illam dudum tibi dedi, atque abii ad forum,
nunc redeo, nunc te postillac video.
EROTIUM
Video quam rem agis. 685
Quia commisi, ut me defrudes, ad eam rem adfectas viam.
MENAECHMUS
Neque edepol te defrudandi causa posco : quin tibi
dico uxorem rescivisse.
EROTIUM
Nec te ultro oravi ut dares,
tute ultro ad me detulisti, dedisti eam dono mihi :
eandem nunc reposcis: patiar, tibi habe, abfer, utere, 690
vel tu, vel tua uxor, vel etiam in loculos compingite.
Tu huc, post hunc diem, pedem intro non feres, ne frustra sis;
quando tu me bene merentem tibi habes despicatui.
Nisi feres argentum, frustra me ductare non potes.
Aliam posthac invenito, quam habeas frustratui. 695
MENAECHMUS
Nimis iracunde, hercle; tandem heus tu, tibi dico, mane :
redi. Etiamne astas? etiam audes mea revorti gratia?
Abiit intro, occlusit aedeis : nunc ego sum exclusissimus:
neque domi ,neque apud amicam mihi iam quidquam creditur.
Ibo, et consulam hanc rem amicos, quid faciendum censeant. 700
|
IV,
3. ÉROTIE, MÉNECHME RAVI
ÉROTIE
Qui est-ce qui me demande?
MÉNECHME
Un homme plutôt ennemi de lui-même que de toi.
ÉROTIE
Mon cher Ménechme, pourquoi restes-tu à la porte? suis-moi, entre.
MÉNECHME
Un moment. Sais-tu pourquoi je viens?
ÉROTIE
Oui, pour trouver le plaisir dans mes bras.
MÉNECHME
Il ne s'agit pas de cela, par Pollux : ce châle que je t'ai donné
tantôt, je viens te prier de me le rendre. Ma femme a su la chose, tout
ce qui s'est passé. Je t'en achèterai un autre deux fois plus cher,
celui que tu voudras.
ÉROTIE
Mais il n'y a qu'un moment que je te l'ai donné pour le porter chez
le brodeur, avec le bracelet que tu devais porter chez le bijoutier, pour
qu'il en refasse un neuf.
MÉNECHME
Tu m'as donné le châle avec un bracelet? c'est ce que je te défie
de prouver; car depuis le moment que je te le donnai, et que je m'en allai
au forum, je ne suis pas revenu : je te revois maintenant pour la
première fois.
ÉROTIE (indignée)
Je devine ton truc : c'est un abus de confiance, tu t'y prends bien.
MÉNECHME
Non, par Pollux, je ne veux pas abuser de ta confiance; mais je te le
dis, ma femme est instruite.
ÉROTIE
Ce n'est pas moi qui te l'ai demandé, c'est toi qui me l'as offert,
et qui m'en as fait cadeau. Tu me le redemandes : j'y consens, tu peux le
garder; faites-en ce qu'il vous plaira, toi ou ta femme, et même
enfermez-le dans un coffre-fort. Mais désormais, ne t'y trompe pas, tu ne
mettras plus les pieds chez moi, puisque toutes mes bontés pour toi sont
récompensées par des mépris. Ce n'est qu'argent comptant que tu pourras
m'amadouer. Va chercher ailleurs tes dupes. (Elle
s'apprête à sortir.)
MÉNECHME (courant après elle)
Comme tu t'emportes ! Par Hercule, écoute enfin; je t'assure... Un
moment; reviens. Tu t'en vas? Avise-toi de revenir, je te le conseille.
Elle est rentrée; elle a fermé sa porte. Mon sort est donc de trouver
partout porte fermée. Chez moi, chez ma maîtresse, on ne m'écoute plus
nulle part. Je vais prendre conseil de mes amis sur ce qu'il me reste à
faire. (Il sort.) |
ACTVS V
V.i
MENAECHMVS
Nimis stulte dudum feci, quom marsupium
Messenioni cum argento concredidi.
Immersit aliquo sese, credo, in ganeum.
MULIER
Provisam, quam mox vir meus redeat domum.
Sed eccum video : salva sum, pallam refert. 705
MENAECHMUS
Demiror, ubi nunc ambulet Messenio.
MULIER
Adibo, atque hominem accipiam quibus dictis meret.
Non te pudet prodire in conspectum meum,
flagitium hominis, cum istoc ornatu?
MENAECHMUS
Quid est?
quae te res agitat, mulier?
MULIER
Etiamne, impudens, 710
muttire verbum unum audes, aut mecum loqui?
MENAECHMUS
Quid tandem admisi in me, ut loqui non audeam?
MULIER
Rogas me? o hominis impudentem audaciam!
MENAECHMUS
Non tu scis, mulier, Hecubam quapropter canem
Graii esse praedicabant?
MULIER
Non equidem scio. 715
MENAECHMUS
Quia idem faciebat Hecuba quod tu nunc facis:
omnia mala ingerebat, quemquem adpexerat.
Itaque adeo iure coepta appellari est canes.
MULIER
Non istaec ego flagitia possum perpeti.
Nam med aetatem viduam esse mavelim, 720
quam istaec flagitia tua pati quae tu facis.
MENAECHMUS
Quid id ad me, tu te nubtam possis perpeti
an sis abitura a tuo viro? an mos hic ita heic,
peregrino ut advenienti narrent fabulas?
MULIER
Quas fabulas? non, inquam, patiar praeterhac, 725
quin vidua vivam, quam tuos mores perferam.
MENAECHMUS
Mea quidem, hercle, causa vidua vivito,
vel usque dum regnum obtinebit Iuppiter.
MULIER
At mihi negabas dudum surrupuisse te,
nunc eandem ante oculos attines; non te pudet? 730
MENAECHMUS
Heu, hercle, mulier, multum et audax et mala es.
Tun' tibi hanc surreptam dicere audes, quam mihi
dedit alia mulier ut concinnandam darem?
MULIER
Nae istuc, mecastor : iam patrem accersam meum,
atque ei narrabo tua flagitia quae facis. 735
I. Decio, quaere meum patrem, tecum simul
ut veniat ad me: ita rem esse dicito.
iam ego aperiam istaec tua flagitia.
MENAECHMUS
Sanan' es?
quae mea flagitia?
MULIER
Quom pallam atque aurum meum
domo subpilas tuae uxori et tuae 740
degeris amicae. Satin' haec recte fabulor?
MENAECHMUS
Quaeso, hercle, mulier, si scis, monstra quod bibam,
tuam qui possim perpeti petulantiam.
Quem tu hominem me arbitrare, nescio.
Ego te simitu gnovi cum Porthaone. 745
MULIER
Si me derides, at, pol, illum non potes,
patrem meum, qui huc advenit : quin respicis?
novistin tu illum?
MENAECHMUS
Gnovi cum Calcha simul:
eodem die vidi illum, quo te ante hunc diem.
MULIER
Negas gnovisse me? negas patrem meum? 750
MENAECHMUS
Idem, hercle, dicam, si avom vis adducere.
MULIER
Ecastor, pariter hoc, atque alias res soles.
|
V,
1 MÉNECHME SOSICLÈS, LA FEMME DE MÉNECHME RAVI
MÉNECHME (tenant encore le châle)
J'ai fait une grande sottise tantôt, de confier la bourse avec l'argent
à Messénion. Il est allé, j'en suis sûr, se noyer au cabaret.
LA FEMME (sortant de chez elle)
Je veux voir quand mon mari rentrera. Mais le voici, je l'aperçois; je
respire, il rapporte le châle.
MÉNECHME
Où Messénion peut-il courir maintenant, je me le demande?
LA FEMME
Je vais lui parler, je le recevrai comme il le mérite. (Haut.)
N'as-tu pas honte de te présenter devant moi, homme infâme, dans cet
équipement?
MÉNECHME
Quoi! quelle mouche te pique, femme?
LA FEMME
L'effronté ! tu oses murmurer un seul mot, me parler, à moi?
MÉNECHME
Quel crime ai-je donc fait, que je puisse ne plus oser parler?
LA FEMME
Tu me le demandes? Quelle effronterie ! quelle audace !
MÉNECHME
Tu sais, femme, que les Grecs ont dit que la reine Hécube avait été
métamorphosée en chienne; sais-tu pourquoi?
LA FEMME
Non certes.
MÉNECHME
C'est parce qu'elle faisait ce que tu fais maintenant; elle accablait
d'injures tous ceux qu'elle rencontrait. Voilà ce qui lui valut le nom de
chienne, et c'était justice.
LA FEMME
Il m'est impossible d'endurer de pareils affronts. J'aimerais mieux
vivre toujours privée de mari, que de souffrir tes infamies.
MÉNECHME
Que m'importe, à moi, que tu consentes à rester dans ton ménage, ou
que tu délaisses ton mari? Est-ce la coutume, ici, de conter des
histoires aux étrangers qui arrivent?
LA FEMME
Des histoires? Je te déclare que j'aime mieux vivre sans mari
désormais, que de supporter tes dérèglements.
MÉNECHME
Tu peux vivre sans mari, par Hercule, je te le permets, aussi
longtemps que Jupiter régnera dans les cieux.
LA FEMME
Tu soutenais tantôt que tu ne me l'avais pas pris (montrant
le châle), et maintenant tu le tiens dans tes mains sous mes yeux,
n'as-tu pas honte?
MÉNECHME
Oh ! oh ! par Hercule, ma chère, tu es une coquine bien hardie. Tu
prétends que je t'ai pris ce châle à toi, quand c'est une autre qui me
l'a donné pour le faire arranger !
LA FEMME
Oui, certainement, par Castor. Je vais faire venir mon père, je lui
dirai toutes tes turpitudes. (Elle appelle.)
Décion ! va chercher mon père; qu'il vienne avec toi me trouver :
dis-lui que c'est une affaire qui presse. (A
Ménechme.) Je mettrai tes hontes au grand jour.
MÉNECHME
Tu es folle? Mes hontes? lesquelles?
LA FEMME
De voler à ta femme, chez elle, son châle, ses bijoux, pour les
donner à ta maîtresse. Est-ce la vérité que je dis?
MÉNECHME
Je t'en prie, femme, par Hercule ! si tu le sais, indique-moi le
breuvage que je dois prendre pour avoir la force de supporter ta fureur.
Je ne sais pas pour qui tu me prends, et je ne te connais ni plus ni moins
que Parthaon (21).
LA FEMME
Si tu te moques de moi, au moins, par Pollux, tu ne te moqueras pas de
mon père, qui arrive. Regarde; le connais-tu, lui? (Montrant
le vieillard qui arrive.)
MÉNECHME
Je le connais comme je connais Calchas : je l'ai déjà vu, le même
jour que je te vis pour la première fois.
LA FEMME
Tu ne me connais pas? tu ne connais pas mon père?
MÉNECHME
J'en dirai autant de ton aïeul, par Hercule, si tu me l'amènes.
LA FEMME
Par Castor! ce sont bien là de tes traits. |
V.ii
SENEX
Ut aetas mea 'st atque ut hoc usus facto est
gradum proferam, progrediri properabo.
Sed id quam mihi facile sit, haud sum falsus. 755
Nam pernicitas deserit: consitus sum
senectute, onustum gero corpus, vires
reliquere. Ut aetas mala, merx mala tergo'st,
nam res plurimas pessumas, quom advenit, adfert:
quas si autumem omneis, nimis longus sermo sit. 760
Sed haec res mihi in pectore et corde cura est,
quidnam hoc sit negoti, quod sic filia
repente expetit me, ut ad sese irem.
Nec, quid id sit, mihi certius facit,
Quid velit, quid me accersit.
Verum propemodum iam scio, quid siet rei. 764a
Credo cum viro litigium gnatum esse aliquod.
Ita istaec solent, quae viros subservire
sibi postulant, dote fretae, feroceis.
Et illi quoque haud abstinent saepe culpa.
Verum est modus tamen, quod pati uxorem oportet.
Nec, pol, filia umquam patrem arcerssit ad se, 770
nisi aut quid commissi, aut iurgi est causa.
Sed quidquid id est, iam sciam : atque eccam eampse
ante aedeis, et eius tristem virum video.
Id est quod suspicabar.
Adpellabo hanc.
MULIER
Ibo advorsum. Salve multum, mi pater. 775
SENEX
Salva sis : salven' advenio? salven' arcessi iubes?
quid tu tristis es? quid ille autem abs te iratus destitit?
Nescio quid vos velitati estis inter vos duos.
Loquere, uter meruistis culpam, paucis, non longos logos.
MULIER
Nusquam equidem quidquam deliqui; hoc primum te absolvo, pater. 780
Verum vivere heic non possum neque durare ullo modo.
Proin tu me hinc abducas.
SENEX
Quid istuc autem est?
MULIER
Ludibrio, pater,
habeor.
SENEX
Unde?
MULIER
Ab illo, quoi me mandavisti, meo viro.
SENEX
Ecce autem litigium : quotiens edixi tandem tibi,
ut caveres, neuter ad me iretis cum querimonia? 785
MULIER
Qui ego istuc, mi pater, cavere possum?
SENEX
Men' interrogas?
MULIER
Nisi non vis.
SENEX
Quotiens monstravi tibi, viro ut morem geras, 787-788
quid ille faciat, ne id observes; quo eat, quid rerum gerat. 789
MULIER
At enim ille hinc amat meretricem ex proxumo.
SENEX
Sane sapit,
atque ob istanc industriam etiam, faxo, amabit amplius.
MULIER
Atque ibi potat.
SENEX
Tua quidem ille causa potabit minus,
si illeic sive alibi libebit? Quae haec, malum, impudentia'st?
Una opera prohibere, ad coenam ne promittat, postules,
neve quemquam abcipiat alienum apud se? serviren' tibi 795
postulas viros? dare una opera pensum postules,
inter ancillas sedere iubeas, lanam carere.
MULIER
Non equidem mihi te advocatum, pater, adduxi, sed viro.
Hinc stas, illim causam dicis.
SENEX
Si ille quid deliquerit,
multo tanto illum adcusabo, quam te accusavi, amplius. 800
Quando te auratam et vestitam bene habet; ancillas penum
recte praehibet, melius sanam 'st, mulier, mentem sumere.
MULIER
At ille subpilat mihi aurum et pallas ex arcis modo,
me despoliat, mea ornamenta clam ad meretriceis degerit.
SENEX
Male facit, si istuc facit : si non facit, tu male facis, 805
quae insontem insimules.
MULIER
Quin etiam nunc habet pallam, pater,
etspinther, quod ad hanc detulerat : nunc, quia rescivi, refert.
SENEX
Iam ego ex hoc, ut factum'st, scibo : ibo ad hominem atque adloquar.
Dic mihi istuc, Menaechme, quod vos dissertatis, ut sciam.
Quid tu tristis es? quid illam autem iratam abs te destituis? 810
MENAECHMUS
Quisquis es, quidquid tibi nomen est, senex, summum Iovem
deosque detestor.
SENEX
Qua de re, aut quoius rei rerum omnium?
MENAECHMUS
Me neque isti male fecisse mulieri, quae me arguit
hanc domo ab se subrupuisse, atque abstulisse deierat.
Si ego intra aedeis huius umquam, ubi habitat, penetravi pedem, 815-816
omnium hominum exopto ut fiam miserorum miserrumus. 817
SENEX
Sanun'es, qui istuc exoptes, aut neges te unquam pedem
in eas aedeis intulisse, ubi habitas, insanissume?
MENAECHMUS
Tun', senex, ais habitare med in illisce aedibus? 820
SENEX
Tu negas?
MENAECHMUS
Nego, hercle, vero.
MULIER
Nimio haec inpudenter negas ?
nisi quo nocte hac exmigrastis?
SENEX
Concede hac, filia.
Quid tu ais? num hinc exmigrastis?
MULIER
Quem in locum, aut ob rem, obsecro?
SENEX
Non, edepol, scio.
MULIER
Profecto ludit te hic.
SENEX
Non tu te tenes?
Iam vero, Menaechme, satis iocatus es : nunc hanc rem age. 825
MENAECHMUS
Quaeso, quid mihi tecum 'st? unde, aut quis tu homo es? quid feci ego
tibi, aut adeo isti, quae mihi molesta est quoquo modo?
MULIER
Viden' tu illi oculos virere? ut viridis exoritur colos
ex temporibus atque fronte ! ut oculi scintillant, vide. 829-830
MENAECHMUS
Quid mihi meliu'st, quam, quando illi me insanire praedicant, 831
ego med adsimulem insanire, ut illos a me absterream?
MULIER
Ut pandiculans oscitatur ! quid nunc faciam, mi pater?
SENEX
Concede huc, mea gnata, ab istoc quam potest longissume.
MENAECHMUS
Evoe, Evoe, Bromie, quo me in silvam venatum vocas? 835
audio; sed non abire possum ab his regionibus;
ita illa me ab laeva rabiosa femina adservat canis.
Post autem illinc hircus, alius, qui saepe aetate in sua
perdidit civem innocentem falso testimonio.
SENEX
Vae capiti tuo !
MENAECHMUS
Ecce, Apollo mi ex oraclo imperat, 840
ut ego illi oculos exuram lampadibus ardentibus.
MULIER
Perii, mi pater ! minatur mihi oculos exurere.
Hei mihi !
MENAECHMUS
Insanire me aiunt, ultro cum ipsi insaniunt.
SENEX
Filia, heus.
MULIER
Quid est? quid agimus?
SENEX
Quid si ego huc servos cito;
ibo, abducam, qui hunc hinc tollant, et domi devinciant, 845
priusquam turbarum quid faciat amplius.
MENAECHMUS
Enimvero,
ni obcupo aliquid mihi consilium, hi domum me ad se abferent.
pugnis me votas in huius ore quidquam parcere,
ni iam ex meis oculis abscedat in malam magnam crucem.
Faciam quod iubes, Apollo.
SENEX
Fuge domum, quantum pote 'st, 850
ne hic te obtundat.
MULIER
Fugio : amabo, adserva istunc, mi pater,
ne quo hinc abeat. Sumne ego mulier misera, quae illaec audio?
MENAECHMUS
Haud male illanc amovi : nunc hunc impurissumum,
barbatum, tremulum Tithonum, Cygno prognatum patre.
Ita mihi imperas, ut ego huius membra, atque ossa, atque artua 855
comminuam illo scipione, quem ipse habet.
SENEX Dabitur malum,
me quidem si adtigeris, aut si propius ad me adcesseris.
MENAECHMUS
Faciam quod iubes; securim capiam ancipitem, atque hunc senem
exossabo, dein' dedolabo adsulatim viscera.
SENEX
Enimvero illud praecavendum'st, atque adcurandum'st mihi : 860
sane ego illum metuo, ut minatur, ne quid malefaxit mihi.
MENAECHMUS
Multa mihi imperas, Apollo: nunc equos iunctos iubes
capere me indomitos, feroceis, atque in currum inscendere,
ut ego hunc proteram leonem gaetulum, olentem, edentulum.
iam adstiti in currum, iam lora teneo, iam stimulum in manu'st. 865
Agite equi, facitote sonitus ungularum adpareant
cursu celeri; facite inflexa sit pedum pernicitas.
SENEX
Mihin' equis iunctis minare?
MENAECHMUS
Ecce, Apollo, denuo
me iubes facere impetum in eum qui stat, atque occidere.
Sed quis hic est, qui me capillo hinc de curru deripit? 870
Imperium tuum demutat atque dictum, Apollinis.
SENEX
Heu, hercle, morbum acrem ac durum ! Di, vostram fidem !
vel hic qui insanit, quam valuit paulo prius !
ei derepente tantus morbus incidit.
Ibo atque accersam medicum iam, quantum potest. 875
|
V.
2 LE
VIEILLARD, LA FEMME, MÉNECHME SOSICLÈS
LE VIEILLARD
Autant que l'âge me le permet, et comme la circonstance me le demande,
je hâterai la marche et j'allongerai le pas. Mais ce n'est pas chose trop
facile à moi, je le sens. L'agilité m'abandonne, et mon corps, avec sa
force défaillante, peine sous le poids de la vieillesse. Mauvaise
marchandise, que les mauvaises années, je vous assure ! Qu'elles
apportent avec elles d'ennuis et de douleurs ! Si je voulais en faire
l'énumération, je ne finirais pas. Mais un autre souci me met le coeur
à la gêne. Quelle est donc l'affaire soudaine pour laquelle ma fille me
presse tant de venir la rejoindre? Elle ne me fait point savoir de quoi il
s'agit, ni ce qu'elle me veut. Je devine à peu près. Il se sera élevé
quelque différend entre elle et son mari. Elles n'en font pas d'autre,
ces femmes qui ont apporté une dot : elles veulent tenir les hommes sous
leur joug; leur orgueil est intraitable. Eux non plus d'ailleurs ne sont
pas toujours à l'abri du reproche; cependant il y a des choses qu'une
femme doit supporter jusqu'à un certain point... Par Pollux, une fille ne
réclame pas la présence de son père, à moins de grave sujet de
plainte, à moins de brouille. Mais je saurai enfin ce que c'est : la
voici elle-même devant sa maison avec son mari, qui paraît fâché. Mes
soupçons étaient fondés. Allons lui parler.
LA FEMME
Je vais au-devant de lui (22). (Elle s' avance à la rencontre du
vieillard.) Salut de tout mon coeur, mon cher père.
LE VIEILLARD
Salut, ma fille. Me voici, tu m'as demandé. Tout ici va-t-il bien?
est-on content?... Pourquoi fais-tu la mine? pourquoi ton mari se tient-il
éloigné de toi avec un air furieux? Il y aura eu entre vous deux quelque
escarmouche. Parle; qui est le coupable? mais abrège, point de long
discours.
LA FEMME
Je suis parfaitement innocente; je te donne satisfaction là-dessus
tout d'abord, père. Mais je ne puis plus vivre ici, je ne puis plus m'y
souffrir. Ainsi je te prie de me tirer de cette maison.
LE VIEILLARD
Qu'y a-t-il donc?
LA FEMME
On me méprise, mon père, on m'outrage.
LE VIEILLARD
Qui?
LA FEMME
Celui à qui tu m'avais confiée, mon mari.
LE VIEILLARD
Encore une dispute ! Combien de fois t'ai-je expressément recommandé
de faire en sorte que ni toi ni ton mari, vous ne vinssiez vous plaindre
à moi?
LA FEMME (vivement)
Est-ce en mon pouvoir, mon père?
LE VIEILLARD (d'un ton sévère et imposant)
Tu me poses cette question?
LA FEMME (intimidée et baissant les yeux)
A moins que tu ne me le permettes pas.
LE VIEILLARD
Ne t'ai-je pas mille fois exhortée à te montrer soumise à ton mari,
à ne pas épier ses démarches, à ne pas guetter ce qu'il fait, où il
va?
LA FEMME
Mais il est l'amant d'une courtisane qui demeure ici tout près.
LE VIEILLARD
Il a raison; et je voudrais que, pour te dresser, il l'aimât
davantage.
LA FEMME
Il y va boire.
LE VIEILLARD
Tu verras qu'à cause de toi il n'osera pas boire ou chez elle, ou
ailleurs, à sa fantaisie ! Et diantre, quelle est cette impertinence? ne
veux-tu pas aussi l'empêcher d'accepter une invitation à dîner, ou de
recevoir quelqu'un chez lui? Tu prétends donc te faire des esclaves de
tous les maris? Il n'y a plus qu'à leur mettre une quenouille entre les
mains, à les faire asseoir parmi tes servantes, et à leur donner de la
laine à filer.
LA FEMME
Ainsi, ce n'est pas pour moi que j'ai invoqué ton assistance, mon
père; c'est pour mon mari. Tu dois me protéger, et tu plaides sa cause.
LE VIEILLARD
S'il est en faute, je lui ferai bien d'autres reproches encore qu'à
toi. Il ne te laisse manquer ni de bijoux ni de toilettes; il te donne des
servantes, un office garni, tout ce qu'il faut. Ma fille, deviens
raisonnable.
LA FEMME
Mais il me vole un châle et des bijoux dans mes coffres; il me
dépouille, et fait avec mes parures des cadeaux secrets à des
courtisanes.
LE VIEILLARD
C'est très mal à lui, s'il fait cela; mais s'il ne le fait pas, c'est
très mal à toi de l'accuser quand il n'est pas coupable.
LA FEMME
Eh ! mais, il a encore le châle dans ses mains, mon père, avec le
bracelet qu'il lui avait donné. C'est parce que je l'ai appris, qu'il les
rapporte.
LE VIEILLARD
Je veux avoir à l'instant une explication là-dessus avec lui; je vais
l'interroger. Dis-moi, Ménechme, quel est le sujet de votre dispute? je
désire le savoir. Qu'est-ce qui te fâche? pourquoi t'éloignes-tu
d'elle? et quel est le motif de ta colère?
MÉNECHME
Qui que tu sois, quel que soit ton nom, vieillard, je jure par Jupiter
souverain et par les dieux...
LE VIEILLARD
Quoi? que veux-tu jurer?
MÉNECHME
Qu'elle m'accuse faussement de lui avoir fait tort; que je ne lui ai
rien dérobé chez elle, rien enlevé. Si j'ai jamais mis le pied dans la
maison qu'elle habite, je veux surpasser en misère les plus misérables
des hommes.
LE VIEILLARD
As-tu perdu le sens, avec tes serments et ton audace à nier que tu
aies jamais mis le pied dans la maison que tu habites, archifou?
MÉNECHME
Et toi, vieillard, tu prétends que j'habite cette maison?
LE VIEILLARD
Ce n'est pas vrai?
MÉNECHME
Non, par Hercule, je t'assure.
LA FEMME
Oh ! c'est trop d'impudence; à moins que tu ne sois allé loger
ailleurs depuis cette nuit.
LE VIEILLARD (faisant signe à la femme de s'éloigner de
Ménechme)
Retire-toi par ici, ma fille. (A Ménechme.) Que dis-tu? Est-ce que tu
as changé d'habitation?
MÉNECHME
Pour aller où? et pour quel motif? je te le demande.
LE VIEILLARD
Je n'en sais rien, par Pollux.
LA FEMME
Ne vois-tu pas qu'il se joue de toi?
LE VIEILLARD (à la femme)
Tu ne peux pas rester tranquille? — Ah çà, Ménechme, c'est assez
badiner: parle sérieusement.
MÉNECHME
Qu'y a-t-il de commun entre nous, je te prie? d'où viens-tu? qui
es-tu? que t'ai-je fait? qu'ai-je fait à cette femme, qui ne veut pas me
laisser en paix?
LA FEMME (à son père)
Vois la teinte verdâtre que prennent ses yeux. Comme son front et ses
joues deviennent livides ! comme ses yeux étincellent ! Attention (23).
MÉNECHME (à part)
Le meilleur parti, puisqu'ils me croient en délire, c'est d'en prendre
le semblant, pour me débarrasser d'eux par la peur. (Il gesticule avec
violence.)
LA FEMME
Comme il s'étire ! quels bâillements ! Que faut-il que je fasse, mon
père?
LE VIEILLARD
Viens par ici, ma fille, tiens-toi le plus possible à distance.
MÉNECHME
Évoé ! ô Bacchus ! ô Bromius ! ne m'appelles-tu pas dans les
forêts pour la chasse? oui, je t'entends; mais je ne puis sortir de ces
lieux. De ce côté une chienne enragée me tient en arrêt; elle est
soutenue par ce vieux bouc, qui plus d'une fois en sa vie fit condamner
des citoyens innocents par ses faux témoignages.
LE VIEILLARD
La peste de toi !
MÉNECHME
Apollon m'ordonne, par ses oracles, de brûler les yeux à cette
chienne avec des flambeaux ardents.
LA FEMME
Je suis perdue, mon père ! il me menace de me brûler les yeux. Malheur à moi !
MÉNECHME (à part)
Ils disent que je suis dément et ce sont eux les premiers qui le sont.
LE VIEILLARD
Holà ! ma fille.
LA FEMME
Qu'est-ce? que ferons-nous?
LE VIEILLARD
Si j'allais vite chercher des esclaves? oui, je vais en amener
quelques-uns pour qu'ils l'emportent à la maison, et qu'ils l'attachent,
avant qu'il fasse plus d'esclandre.
MÉNECHME (à part)
Si je ne prends les devants et ne me tire de là, ils m'emporteront
chez eux. (Haut.) Tu me prescris de la frapper sur la face à coups de
poing, sans ménagement, si elle ne disparaît de ma présence pour aller
se pendre à la plus haute potence; Apollon, je t'obéirai.
LE VIEILLARD
Fuis à la maison de toute la vitesse de tes jambes; il t'assommerait.
LA FEMME
Je m'enfuis; garde-le, mon père, de peur qu'il ne s'en aille. Suis-je
assez malheureuse d'entendre de tels dis-cours ! (Elle
sort.)
MÉNECHME (à part)
Pas mal; je l'ai écartée. (Haut.) Maintenant, à ce scélérat
cacochyme, à cette vieille barbe de Titan, de la race de Cygnus (24).
Ainsi, tu m'ordonnes de briser les membres, les os, les articulations à
cet infâme, avec le bâton même qu'il tient à la main?
LE VIEILLARD
Il t'en cuira si tu me touches, ou si tu approches de trop près.
MÉNECHME (paraissant toujours parler au dieu)
Tu seras obéi; je prendrai une hache à deux tranchants, j'arracherai
les os à ce vieillard, et je lui découperai les entrailles pièce à
pièce.
LE VIEILLARD
Eh mais ! il est bon de me tenir sur mes gardes et de faire attention
à moi. Ses menaces m'inquiètent vraiment; il me donnera quelque mauvais
coup.
MÉNECHME
Tes ordres me pressent, Apollon; tu veux que j'attelle mes coursiers
indomptés, terribles; que je monte sur mon char, pour écraser ce lion de
Gétulie infect et sans dents. Me voici sur mon char, je secoue les
rênes, l'aiguillon est en ma main; partez, coursiers, faites résonner le
bruit de vos sabots dans vos élans impétueux; déployez la souplesse de
vos pattes rapides.
LE VIEILLARD
Tu me menaces avec ton attelage?
MÉNECHME
Oui, Apollon : tu m'ordonnes encore une fois de courir sur l'ennemi qui
résiste, et de l'exterminer? (Il s'élance, et puis
s'arrête.) Mais
quelle divinité me saisit par les cheveux, et m'arrache de mon char, en
révoquant l'ordre de ton oracle, Apollon?
LE VIEILLARD
Ah, par Hercule! quel accès violent ! quelle frénésie ! O dieux !
secourez-nous. Cet insensé était cependant plein de bon sens il n'y a
qu'un instant. Le terrible mal qui vient de l'atteindre soudain ! Allons
quérir un médecin, le plus vite que nous pourrons. (Il
sort.)
|
V.iii
MENAECHMUS
Iamne isti abierunt, quaeso, ex conspectu meo,
qui me vi cogunt, ut validus insaniam?
Quid cesso abire ad navem, dum salvo licet?
vosque omneis quaeso, si senex revenerit, 879-880
ne me indicetis, qua platea hinc aufugerim. 881
SENEX
Lumbi sedendo, oculi spectando dolent,
manendo medicum, dum se ex opere recipiat.
Odiosus tandem vix ab aegrotis venit.
Ait se obligasse crus fractum Aesculapio, 885
Apollini autem brachium; nunc cogito,
utrum me dicam ducere medicum, an fabrum.
atque eccum incedit, movet formicinum gradum.
|
V.
3 MÉNECHME SOSICLÈS, LE VIEILLARD
MÉNECHME (seul)
Sont-ils enfin partis, dites-moi? sont-ils loin de ma présence, ces
enragés qui me forcent d'avoir le délire en par-faite santé? Mais que
tardé-je à regagner mon vaisseau pendant que je le puis sans encombre? (Aux
spectateurs.) Je vous en prie tous, si le vieillard revient, ne lui
dites pas par quel chemin je me suis évadé. (Il
sort.)
LE VIEILLARD (revenant)
J'ai mal aux reins de rester assis, mal aux yeux de regarder, en attendant
que le médecin revienne de ses visites. L'ennuyeux personnage ! qu'il a
eu de peine à en finir avec ses malades ! Il prétend qu'Esculape et
Apollon avaient, l'un le bras cassé, et l'autre la jambe, et qu'il les
leur a remis. En y pensant bien, je doute si c'est un médecin que
j'amène, ou un forgeron. Le voici qui s'avance à pas de fourmi. |
V.iv
MEDICUS
Quid esse illi morbi, dixeras? narra, senex.
Num larvatus aut cerritus? fac sciam. 890
Num eum veternus aut aqua intercus tenet?
SENEX
Quin ea te causa duco, ut id dicas mihi,
atque illum ut sanum facias.
MEDICUS
Perfacile id quidem'st.
Sanum futurum, mea ego id promitto fide.
SENEX
Magna cum cura ego illum curari volo. 895
MEDICUS
Quin suspirabo plus sescenta in dies:
ita ego illum cum cura magna curabo tibi.
SENEX
Atque eccum ipsum hominem.
MEDICUS
Observemus, quam rem agat.
|
V,
4 LE MÉDECIN, LE VIEILLARD
LE MÉDECIN (d'un air grotesquement
emphatique).
Quel mal m'as-tu dit qu'il avait? Répète, vieillard : est-ce manie ou
frénésie? je veux le savoir. Est-il pris parla léthargie, ou bien par
l'hydropisie?
LE VIEILLARD
Je t'amène justement pour que tu m'expliques tout cela, et pour que tu le
guérisses.
LE MÉDECIN
Rien de si aisé. Je le guérirai, j'en réponds sur ma parole.
LE VIEILLARD
Sa cure exige un très grand soin; je te le recommande.
LE MÉDECIN
Je m'essoufflerai plus de six cents fois par jour, tant j'y mettrai de
soin et d'empressement.
LE VIEILLARD (montrant Ménechme ravi qui
arrive)
Voici le malade.
LE MÉDECIN
Observons de quelle manière il se comporte. |
V.v
MENAECHMVS
Edepol, nae hic dies pervorsus atque advorsus mi optigit :
quae me clam ratus sum facere, ea omnia fecit palam 900
parasitus, qui me complevit flagiti et formidinis,
meus Ulisses, suo qui regi tantum concivit mali.
Quem ego hominem, si quidem vivo, vita evolvam sua.
Sed ego stultus sum, qui illius esse dico, quae meae sit.
Meo cibo et sumptu educatu'st : anima privabo virum. 905
Condigne autem haec meretrix fecit, ut mos est meretricius.
Quia rogo, palla ut referatur rursum ad uxorem meam,
mihi se ait dedisse : heu, edepol, ne ego homo vivo miser !
SENEX
Audin' quae loquitur !
MEDICUS
Se miserum praedicat.
SENEX
Adeas velim.
MEDICUS
Salvos sis, Menaechme; quaeso, cur apertas brachium? 910
Non tu scis, quantum isti morbo nunc tuo facias mali.
MENAECHMUS
Quin tu te suspendis !
MEDICUS
Ecquid sentis?
SENEX
Quidni sentiam?
MEDICUS
Non potest haec res ellebori iugere obtinerier.
Sed quid ais, Menaechme?
MENAECHMUS
Quid vis?
MEDICUS
Dic mihi hoc quod te rogo.
Album an atrum vinum potas?
MENAECHMUS
Quin tu is in malam crucem? 915
MEDICUS
Iam, hercle, obceptat insanire primulum.
MENAECHMUS
Quin tu me interrogas,
purpureum panem, an puniceum soleam ego esse an luteum?
soleamne esse aveis squamosas, pisceis pennatos?
SENEX
Papae !
audin' tu ? deliramenta loquitur. Quid cessas dare 919-920
potionis aliquid prius quam percipit insania? 921
MEDICUS
Mane modo; etiam percontabor.
SENEX
Obcidis fabulans.
MEDICUS
Dic mihi hoc: solent tibi umquam oculi duri fieri?
MENAECHMUS
Quid? tu me lucustam censes esse, homo ignavissume?
MEDICUS
Dic mihi: en umquam tibi intestina crepant, quod sentias? 925
MENAECHMUS
Ubi satur sum, nulla crepitant; quando esurio, tum crepant.
MEDICUS
Hoc quidem, edepol, haud pro insano verbum respondit mihi.
perdormiscin' usque ad lucem? facilen' tu dormis cubans?
MENAECHMUS
Perdormisco, si resolvi argentum quoi debeo.
Qui te Iuppiter dique omnes, percontator, perduint. 930
MEDICUS
Nunc homo insanire obceptat: de illis verbis cave tibi.
SENEX
Immo modestior nunc quidem est de verbis, prae ut dudum fuit;
nam dudum uxorem suam esse aiebat rabiosam canem.
MENAECHMUS
Quid, ego?
SENEX
Dixti insanus, inquam.
MENAECHMUS
Egone?
SENEX
Tu istic, qui mihi
etiam me iunctis quadrigis minitatu's prosternere. 935
Egomet haec te vidi facere, egomet haec ted arguo. 936-940
MENAECHMUS
At ego te sacram coronam surrupuisse scio Iovis; 941
et ob eam rem in carcerem ted esse conpactum scio.
Et postquam es emissus, caesum virgis sub furca scio.
Tum patrem occidisse, et matrem vendidisse, etiam scio.
Satin' haec pro sano maledicta maledictis respondeo? 945
SENEX
Obsecro, hercle, medice, propere, quidquid facturus, face.
non vides hominem insanire?
MEDICUS
Scin' quid facias optimum est?
ad me face uti deferatur.
SENEX
Itan' censes?
MEDICUS
Quippeni?
ibi meo arbitratu potero curare hominem.
SENEX
Age ut lubet.
MEDICUS
Elleborum potabis, faxo, aliquos viginti dies. 950
MENAECHMUS
At ego te pendentem fodiam stimulis triginta dies.
MEDICUS
I, arcesse homines, qui illunc ad me deferant.
SENEX
Quot sunt satis?
MEDICUS
Proinde, ut insanire video, quattuor, nihilo minus.
SENEX
Iam hic erunt; adserva tu istunc, medice.
MEDICUS
Imo ego ibo domum,
ut parentur, quibus paratis opus est : tu servos iube 955
hunc ad me ferant.
SENEX
Iam ego illeic, faxo, erit.
MEDICUS
Abeo.
SENEX
Vale.
MENAECHMUS
Abiit socerus, abiit medicus; nunc solus sum : pro Iuppiter !
quid illuc est quod med heic homines insanire praedicant?
Nam equidem, postquam gnatus sum, numquam aegrotavi unum diem,
neque ego insanio, neque pugnas neque ego liteis coepio. 960
Salvos salvos alios video; gnovi homines, adloquor.
An qui perperam insanire me aiunt, insaniunt?
Quid ego nunc faciam? domum ire cupio: uxor non sinit.
Huc autem nemo intromittit. Nimis proventum est nequiter.
Heic ergo usque ad noctem : saltem intromittar domum. 965
|
V,
5 MÉNECHME RAVI, LE VIEILLARD, LE MÉDECIN
MÉNECHME (sans voir personne)
Par Pollux, ce jour est bien mal tourné, bien malencontreux pour moi.
Tout ce que j'espérais tenir secret a été rendu public par ce parasite,
auteur du scandale et du trouble où je suis; mon perfide Ulysse a causé
à son roi tous ces tourments. Si les dieux me conservent la vie, je lui
retirerai la sienne; quand je dis la sienne, je parle comme un sot, car
elle est bien à moi : c'était à ma table, à mes frais, qu'il se
nourrissait. Je le priverai de l'existence. Et cette courtisane ! qu'elle
s'est bien conduite selon les moeurs de sa corporation ! Parce que je la
prie de me donner le châle pour le rendre à ma femme, elle me soutient
qu'elle me l'a remis. Ah ! par Pollux, je suis un pauvre homme.
LE VIEILLARD
Tu l'entends?
LE MÉDECIN
Il se plaint de son malheur.
LE VIEILLARD
Va lui parler.
LE MÉDECIN
Salut, Ménechme; pourquoi te découvres-tu les bras? tu ne sais pas
combien tu aggraves ton mal.
MÉNECHME
Va te pendre !
LE MÉDECIN
Te rends-tu compte des choses?
LE VIEILLARD
Parbleu oui.
LE MÉDECIN (au vieillard)
Un champ d'ellébore n'y suffira pas. Mais dis-moi, Ménechme?
MÉNECHME
Que me veux-tu?
LE MÉDECIN
Réponds à mes questions. Bois-tu du vin blanc ou du vin fort en
couleur?
MÉNECHME
Hé ! va-t'en au gibet.
LE MÉDECIN
Son accès commence à le prendre, par Hercule.
MÉNECHME
Ne me demanderas-tu pas si je mange du pain rouge, ou violet, ou
jaune? si je me nourris d'oiseaux à écailles, de poissons à plumes?
LE VIEILLARD
O ciel ! tu entends? Il déraisonne. Hâte-toi de lui donner une
potion, avant que le mal soit dans toute sa force.
LE MÉDECIN
Attends un peu; je veux l'interroger encore.
LE VIEILLARD
Tu m'assommes, avec tes histoires.
LE MÉDECIN
Dis-moi; tes yeux se contractent-ils habituellement et deviennent-ils
fixes (25)?
MÉNECHME
Est-ce que tu me prends pour une sauterelle, imbécile?
LE MÉDECIN
Entends-tu quelquefois tes boyaux crier?
MÉNECHME
Quand j'ai bien mangé, ils ne crient pas; c'est quand j'ai faim
qu'ils se mettent à crier.
LE MÉDECIN
Par Pollux, sa réponse n'est pas celle d'un insensé. Dors-tu
jusqu'au jour? As-tu de la facilité à t'endormir quand tu es au lit?
MÉNECHME
Je dors quand j'ai payé mes dettes. Que Jupiter et tous les dieux te
confondent, maudit questionneur !
LE MÉDECIN
Sa folie recommence. Tu l'entends; prends garde d'avoir ton tour.
LE VIEILLARD
Oh ! ce sont des douceurs, en comparaison de ce qu'il disait tantôt.
Il appelait sa femme une chienne enragée.
MÉNECHME
Moi, j'ai fait cela?
LE VIEILLARD
Tu étais en démence, te dis-je.
MÉNECHME
Moi?
LE VIEILLARD
Oui, toi-même, qui m'as menacé de m'écraser sous un char à quatre
chevaux. J'en ai été témoin, j'en fais la déclaration.
MÉNECHME
Et moi, je sais que tu as volé la couronne consacrée à Jupiter et
que pour ce fait on te jeta en prison, et que tu n'en sortis que pour
être battu de verges et porter le carcan, je le sais. Je sais encore que
tu as assassiné ton père, que tu as vendu ta mère. Ai-je l'esprit
présent, et t'ai je bien rendu injure pour injure?
LE VIEILLARD
Je t'en conjure, médecin, fais au plus tôt ce qui est de ton
ministère. Ne vois-tu pas qu'il a son accès?
LE MÉDECIN
Sais-tu ce qu'il y a de mieux à faire, c'est que tu le fasses
transporter chez moi.
LE VIEILLARD
Tu crois?
LE MÉDECIN
Oui, je pourrai alors le traiter à mon aise.
LE VIEILLARD
Eh bien ! soit.
LE MÉDECIN (à Ménechme)
Je te ferai boire de l'ellébore pendant une vingtaine de jours.
MÉNECHME
Et moi, je te pendrai pour te déchirer à coups d'aiguillon pendant
une trentaine.
LE MÉDECIN (au vieillard)
Va vite chercher des hommes pour le transporter chez moi.
LE VIEILLARD
Combien en faut-il?
LE MÉDECIN
Dans l'état où je le vois, quatre, pour le moins.
LE VIEILLARD
Ils seront ici dans un moment; médecin, garde-le.
LE MÉDECIN
Non, je vais chez moi faire les apprêts nécessaires; aie soin de l'y
faire transporter par tes esclaves.
LE VIEILLARD
Il y sera bientôt.
LE MÉDECIN
Je m'en vais.
LE VIEILLARD
Adieu. (Ils sortent.)
MÉNECHME
Mon beau-père est parti, le médecin est parti; je suis seul. O
Jupiter, qu'est-ce que cela veut dire? On m'accuse d'être fou ! Depuis
que je suis né, je ne fus jamais malade un seul jour. Je n'extravague
pas, je ne fais point d'esclandres, je ne cherche dispute à personne. Je
suis normal et je vois les autres normaux. Je reconnais ceux à qui je
parle. Mais est-ce que les gens qui me déclarent si faussement atteint de
folie seraient fous eux-mêmes? Que faire? je voudrais bien rentrer chez
moi; mais ma femme ne me le permet pas. Là, (montrant la maison de la
courtisane) on ne me recevrait pas non plus. Le sort m'est bien contraire
! Je resterai ici jusqu'à la nuit. A la fin, j'espère qu'il me sera
permis de rentrer chez moi. |
V.vi
MESSENIO
Spectamen bono servo id est, qui rem herilem
procurat, videt, conlocat cogitatque,
ut absente hero, rem heri diligenter
tutetur, quam si ipse adsit aut rectius.
Tergum quam gulam, crura quam ventrem oportet 970
potiora esse, quoi cor modeste situm'st.
Recordetur id, qui nihili sunt, quid iis preti
detur ab suis heris, ignavis, improbis viris:
verbera compedes,
molae, magna lassitudo, fames, frigus durum; 975
haec pretia sunt ignaviae.
Id ego male malum metuo; propterea bonum esse certum'st potius
quam malum :
nam magis multo patior facilius verba, verbera ego odi,
nimioque edo lubentius molitum, quam molitum praehibeo.
Propterea heri inperium exsequor, bene, et sedate servo id; 980
atque mihi id prodest.
Alii ita ut in rem esse ducunt, sint: ego ita ero ut me esse oportet;
metum mihi adhibeam, culpam abstineam, ero ut omnibus in locis sim praesto.
Servi, qui cum culpa carent, et metuunt, ii solent esse heris utibileis; 983a
nam illi, qui nihil metuunt, postquam malum promeritum'st metuunt. 983b
Metuam haud multum; prope 'st quando hrus ob facta pretium exsolvet.
Eo ego exemplo servio, tergi ut in rem esse arbitror.
Postquam in tabernam vasa et servos conlocavi, ut iusserat,
ita venio advorsum : nunc foeris pultabo, adesse ut me sciat,
atque ex hoc saltu damni salvom ut educam foras.
Sed metuo, ne sero veniam, depugnato proelio.
|
V,
6 MESSÉNION, MÉNECHME RAVI (à l'écart).
MESSÉNION
Le modèle des bons serviteurs, c'est l'esclave qui prend à coeur les
intérêts de son maître, veille, dispose, s'inquiète pour lui et lui
conserve son bien plus diligemment et avec plus de prudence que s'il
était présent lui-même. Il songera plutôt à son dos qu'à sa bouche,
à ses jambes qu'à son ventre, s'il est d'un caractère tant soit peu
raisonnable. Il doit considérer quelle récompense les maîtres donnent
aux vauriens, aux mauvais sujets, aux fripons : les étrivières, les fers
aux pieds, les travaux du moulin, les excès de fatigue, les douleurs de
la faim et du froid, voilà le salaire de la mauvaise conduite. J'ai
grand'peur de pareils maux, et cette peur salutaire me tient loin du mal,
sur la voie du bien. Mieux vaut recevoir des ordres que des coups : l'un
est trop dur; pour l'autre, la patience est plus facile. J'aime beaucoup
mieux manger la mouture que de suer au moulin; aussi mon maître a-t-il en
moi un serviteur exact et sage, et je m'en trouve bien. Que d'autres
fassent ce qui leur semble bon, moi je fais mon devoir. Je suis toujours
en crainte pour ne jamais être en faute, et mon maître me voit en toute
circonstance prêt à obéir. Un esclave ne vaut quelque chose qu'autant
qu'il craint son maître et qu'il évite les fautes. Ceux que ne retient
pas la crainte commencent par mal faire, et craignent ensuite le mal. Pour
moi, je n'aurai pas longtemps à craindre; le temps approche où mon
maître me donnera le prix de mon zèle. Je m'acquitte de mon service de
manière à prouver que mon dos m'est cher. J'ai d'abord logé les
esclaves à l'auberge avec les bagages, comme il l'avait prescrit, et je
viens le chercher. Il faut frapper à la porte, pour qu'il sache que je
suis là, et que je l'emmène sain et sauf de ce coupe-gorge. Mais j'ai
peur d'arriver trop tard, après qu'on l'aura expédié.
|
V.vii
SENEX
Per ego vobis deos atque homines dico, ut imperium meum 990
sapienter habeatis curae, quae imperavi atque impero;
facite illic homo iam in medicinam ablatus sublimen siet,
nisi quidem vos vostra crura aut latera nihili penditis.
Cave quisquam, quod illic minitetur, vostrum floccifecerit.
Quid statis? quid dubitatis? iam sublimen raptum oportuit. 995
Ego ibo ad medicum; praesto ero illeic, quom venietis. MENAECHMUS
Occidi ?
quid hoc est negoti? quid illice homines ad me currunt, obsecro?
quid voltis vos? quid quaeritatis? quid me circumsistitis?
quo rapitis me? quo fertis me? perii ! obsecro vostram fidem,
Epidamnienseis, subvenite, cives. Quin me mittitis? 1000
MESSENIO
Pro di immortales, obsecro, quid ego oculis aspicio meis?
herum meum indignissume nescio qui sublimen ferunt.
MENAECHMUS
Ecquis subpetias mihi audet adferre?
MESSENIO
Ego, here, audacissume.
O facinus indignum et malum, Epidamnii civeis, herum
meum heic in pacato oppido luci deripier in via, 1005
qui liber ad vos venerit !
Mittite istunc.
MENAECHMUS
Obsecro te, quisquis es, operam mihi ut des,
neu sinas in me insignite fieri tantam iniuriam.
MESSENIO
Imo et operam dabo, et defendam, et subvenibo sedulo.
Numquam te patiar perire : me perire'st aequius. 1010
Eripe oculum isti, ab umero qui te tenet, here, te obsecro.
Hisce ego iam sementem in ore faciam, pugnosque obseram.
Maxumo hodie malo, hercle, vostro istunc fertis : mittite.
MENAECHMUS
Teneo ego huic oculum.
MESSENIO
Face ut oculi locus in capite apdareat.
Vos scelesti, vos rapacis, vos praedones.
LORARII
Periimus. 1015
Obsecro, hercle.
MESSENIO
Mittite ergo.
MENAECHMUS
Quid me vobis tactio'st?
Pecte pugnis.
MESSENIO
Agite, abite, fugite hinc in malam crucem.
Hem tibi etiam, quia postremus cedis, hoc praemi feres.
Nimis autem bene ora conmetavi, atque ex mea sententia.
Edepol, here, nae tibi suppetias temperi adveni modo. 1020
MENAECHMUS
At tibi di semper, adulescens, quisquis es, faciant bene.
Nam absque ted esset, hodie numquam ad solem obcasum viverem.
MESSENIO
Ergo, edepol, si recte facias, here, med mittas manu.
MENAECHMUS
Liberem ego te?
MESSENIO Verum, quandoquidem, here, te servavi. MENAECHMUS
Quid est?
Adulescens, erras.
MESSENIO
Quid, erro?
MENAECHMUS
Per Iovem adiuro patrem, 1025
med herum tuum non esse.
MESSENIO
Non taces?
MENAECHMUS
Non mentior.
Nc meus servos umquam tale fecit, quale tu mihi.
MESSENIO
Sic sine igitur, si tuum negas me esse, abire liberum.
MENAECHMUS
Mea quidem, hercle, causa liber esto, atque ito quo voles.
MESSENIO
Nempe iubes?
MENAECHMUS
Iubeo, hercle, si quid inperi est in te mihi. 1030
MESSENIO
Salve, mi patrone.
SERVUS ALIUS
Quom tu liber es, Messenio,
gaudeo.
MESSENIO
Credo, hercle, vobis : sed, patrone, te obsecro,
ne minus inperes mihi, quam quom tuos servos fui.
Apud te habitabo, et quando ibis, una tecum ibo domum.
MENAECHMUS
Minume.
MESSENIO
Nunc ibo in tabernam; vasa et argentum tibi 1035
referam : recte est obsignatum in vidulo marsupium
cum viatico, id tibi iam huc adferam.
MENAECHMUS
Adfer strenue.
MESSENIO
Salvom tibi ita ut mihi dedisti, reddibo : heic me mane.
MENAECHMUS
Nimia mira mihi quidem hodie exorta miris modis.
Alii me negant eum esse qui sum, atque excludunt foras 1040
Etiam hic servom esse se meum aiebat, quem ego emisi manu.
Is ait se mihi adlaturum cum argento marsupium;
id si attulerit, dicam ut a me abeat liber quo volet,
ne tum, quando sanus factus sit, a me argentum petat. 1045
Socer et medicus me insanire aiebant : quid sit, mira sunt.
Haec nihilo mihi esse videntur setius, quam somnia.
Nunc ibo intro ad hanc meretricem, quamquam subcenset mihi,
si possum exorare ut pallam reddat, quam referam domum.
|
V,
7 LE VIEILLARD, QUATRE ESCLAVES (avec lui), MÉNECHME RAVI, MESSÉNION
LE VIEILLARD (à ses esclaves)
Je vous le recommande par tous les dieux et les hommes, exécutez
ponctuellement et avec adresse mes ordres, ceux que j'ai donnés et ceux
que je donne. Emportez-le, sans qu'il touche à terre, chez le médecin;
pour peu que vous teniez à conserver vos jambes et vos épaules, n'ayez
aucun égard à ses menaces. Qu'est-ce qui vous arrête? pourquoi
hésiter? il devrait être déjà enlevé dans vos bras. Je vais chez le
médecin, vous m'y trouverez en arrivant. (Il
sort.)
MÉNECHME (voyant les esclaves courir à lui)
Je suis perdu ! Qu'est-ce à dire? pourquoi ces hommes courent-ils sur
moi? Que voulez-vous? que demandez-vous? pourquoi m'entourer? pourquoi
cette violence? où voulez-vous m'emporter? C'est fait de moi! Au secours,
Épidamniens, je vous en prie. Citoyens, sauvez-moi. (Aux
esclaves.) Me laisserez-vous?
MESSÉNION
O dieux immortels ! que vois-je devant moi? mon maître, enlevé de la
manière la plus indigne par je ne suis quels bandits !
MÉNECHME
Personne n'aura-t-il le coeur de me prêter assistance ?
MESSÉNION
Moi, mon maître, et de bon coeur. Quelle indignité !quelle horreur !
Épidamniens, qu'ici, dans une ville en paix, en pleine rue, à la clarté
du jour, on enlève moi maître, un homme libre, votre hôte ! (Aux
esclaves). Lâchez-le.
MÉNECHME
Je t'en conjure, qui que tu sois, assiste-moi, ne m'abandonne pas; ne
me laisse pas si cruellement outrager.
MESSÉNION
Oui, je t'assisterai, je te défendrai, je te secourrai fidèlement.
Je ne te laisserai pas périr; plutôt périr moi-même! c'est mon devoir.
Arrache un oeil à celui qui te tient par l'épaule, je t'en prie, mon
maître. Je vais faire aux autres un semis de coups de poings sur la face,
dru et serré. (Frappant les assaillants.) Il
vous en coûtera cher, par Hercule, de vouloir l'emporter. Lâchez.
MÉNECHME (saisissant un d'entre eux)
Je lui tiens un oeil à celui-là.
MESSÉNION
Arrache, qu'il n'en reste que la place. (Frappant.)
Ah ! scélérats, ah ! voleurs, ah ! brigands.
LES ESCLAVES
C'est fait de nous. Ah ! de grâce ! par Hercule !
MESSÉNION
Lâchez donc.
MÉNECHME
De quel droit mettez-vous la main sur moi? Frotte-les à coups de
poings.
MESSÉNION (frappant toujours)
Allez, fuyez, courez au gibet. Tiens, à toi encore, pour avoir tenu le
dernier; voilà ta récompense. (Ils s'enfuient
tous.) Je leur ai peint le visage comme il faut et à ma
satisfaction. Par Pollux, maître, je suis venu à temps pour te secourir.
MÉNECHME
Que les dieux te comblent toujours de biens, mon garçon, qui que tu
sois. Sans toi, je perdais la vie avant la fin du jour.
MESSÉNION
Eh bien donc, par Pollux, si tu voulais faire une bonne action,
maître, ce serait de m'affranchir.
MÉNECHME
Moi, que je t'affranchisse?
MESSÉNION
Oui, puisque je t'ai sauvé, mon maître.
MÉNECHME
Qu'est-ce que tu dis? tu es dans l'erreur, mon garçon.
MESSÉNION
Comment, dans l'erreur?
MÉNECHME
Je jure par le grand Jupiter que je ne suis pas ton maître.
MESSÉNION
Tais-toi donc.
MÉNECHME
Je ne mens pas. Jamais aucun de mes esclaves ne se comporta comme toi
à mon égard.
MESSÉNION
Eh bien ! puisque tu ne veux pas que je sois ton esclave, permets-moi
d'être libre.
MÉNECHME
Je te le permets, quant à moi, par Hercule ! Sois libre, et fais ce
que bon te semblera.
MESSÉNION
Tu y consens?
MÉNECHME
Oui, par Hercule, si tu as besoin de mon consentement.
MESSÉNION
Salut, mon cher patron.
UN ESCLAVE
Je suis charmé de te voir libre, Messénion.
MESSÉNION (aux esclaves)
Par Hercule, je ne doute pas de vos sentiments. (A
Ménechme.) Mais je t'en prie, mon patron, tiens-moi toujours pour
ton serviteur, comme quand j'étais ton esclave. Je ne te quitterai pas,
et, lorsque tu retourneras chez toi, je t'y suivrai.
MÉNECHME
Point du tout.
MESSÉNION
Je cours à l'auberge, et je te rendrai le bagage et l'argent. La
bourse du voyage est sous bon scellé dans la valise; je vais te la
rapporter.
MÉNECHME
Dépêche-toi.
MESSÉNION
Je te la remettrai intacte, comme je l'ai reçue. Attends-moi ici. (Il
sort.)
MÉNECHME (seul)
Tout ceci tient du prodige; cette journée est prodigieuse. Les uns disent
que je ne suis pas moi, et me mettent à la porte. En voici un qui se
disait mon esclave, et que j'ai affranchi. Il va, dit-il, me chercher la
bourse avec l'argent. S'il l'apporte, je lui dirai de s'en aller en pleine
liberté et de me laisser, de peur qu'il ne réclame l'argent quand il
aura recouvré son bon sens. Mon beau-père et le médecin assuraient que
j'étais fou. Je n'y comprends rien. Tout ce qui m'arrive ne me paraît
être ni plus ni moins qu'un songe. J'irai voir cette courtisane,
quoiqu'elle soit fâchée; peut-être, en la priant bien, obtiendrai-je
qu'elle me rende le châle pour le rapporter à ma femme. (Il
entre chez Erotie.) |
V.viii
MENAECHMUS
Men' hodie usquam convenisse te, audax, audes dicere, 1050
postquam advorsum mi imperavi ut huc venires?
MESSENIO
Quin modo
erupui, homines qui te ferebant sublimen quattuor,
apud hasce aedeis; tu clamabas deum fidem atque hominum omnium,
quom ego adcurro, teque eripio, vi pugnando ingratiis.
Ob eam rem, quia te servavi, me amisisti liberum. 1055
Quom argentum dixi me petere et vasa, tu quantum pote'st
praecucurristi obviam, ut quae fecisti infitias eas.
MENAECHMUS
Liberum ego te iussi abire?
MESSENIO Certo.
MENAECHMUS
Quoi certissimum'st,
mepte potius fieri servom, quam te umquam emittam manu ?
|
V,
8 MÉNECHME SOSICLÈS, MESSÉNION
MÉNECHME
Comment, tu as l'audace, impudent, de me soutenir que je t'ai vu
depuis que je t'avais donné l'ordre de venir me chercher ici?
MESSÉNION
Et, bien mieux, je t'ai arraché des mains de quatre hommes qui
t'enlevaient devant cette maison. Tu appelais à l'aide et les dieux et
les hommes; j'accours, je fais rage, et ils sont forcés de lâcher prise.
Et pour t'avoir sauvé, en récompense tu m'as affranchi. Mais ensuite,
comme je t'ai dit que j'allais chercher l'argent et les bagages, tu m'as
devancé de toutes tes forces, pour me venir nier ce que tu avais fait.
MÉNECHME
Moi, je t'ai affranchi?
MESSÉNION
Bien sûr.
MÉNECHME
Quand j'ai mis dans ma tête de devenir esclave moi-même, plutôt que
de te faire jamais libre ! |
V.ix
MENAECHMUS SUBREPTUS
Si voltis per oculos iurare, nihilo hercle ea causa magis 1060
facietis, ut ego hodie abstulerim pallam et spinther,
pessumae.
MESSENIO
Pro di inmortales, quid ego video?
MENAECHMUS SOSICLES
Quid vides?
MESSENIO
Speculum tuom.
MENAECHMUS SOSICLES
Quid negoti 'st?
MESSENIO
Tua'st imago : tam consimil'st quam pote'st.
MENAECHMUS SOSICLES
Pol, profecto, haud est dissimilis, meam quom formam noscito.
MENAECHMUS SUBREPTUS
O adulescens, salve, qui me servavisti, quisquis es. 1065
MESSENIO
Adulescens, quaeso, hercle, eloquere tuom mihi nomen, nisi piget.
MENAECHMUS SUBREPTUS
Non, edepol, ita promeruisti de me, ut pigeat, quae velis
Est mihi Menaechmo nomen.
MENAECHMUS SOSICLES
Immo edepol mihi.
MENAECHMUS SUBREPTUS
Siculus sum Syracusanus.
MENAECHMUS SOSICLES.
Eadem urbs et patria 'st mihi.
MENAECHMUS SOSICLES
Quid ego ex te audio?
MENAECHMUS SOSICLES
Hoc quod res est.
MESSENIO
Gnovi
equidem hunc herus est meus. 1070
Ego quidem huius servos sum, sed med esse huius credidi.
Ego hunc censebam te esse, huic etiam exhibui negotium.
Quaeso ignoscas, si quid stulte dixi, atque inprudens tibi.
MENAECHMUS SOSICLES
Delirare mihi videre: non conmeministi, simul
te hodie mecum exire ex navi?
MESSENIO
Enimvero aequom postulas. 1075
Tu herus es: tu servom quaere : salveto tu : tu vale.
Hunc ego esse aio Menaechmum.
MENAECHMUS SUBREPTUS
At ego me.
MENAECHMUS SOSICLES
Quae haec fabula'st?
tu es Menaechmus?
MENAECHMUS SUBREPTUS
Me esse dico, Moscho prognatum patre.
MENAECHMUS SOSICLES
Tun' meo patre es prognatus?
MENAECHMUS SUBREPTUS
Imo equidem, adulescens, meo,
tuum tibi neque obcupare, neque praeripere postulo. 1080
MESSENIO
Di immortaleis, spem insperatam date mihi, quam suspicor.
Nam nisi me animus fallit, hi sunt gemini germani duo.
Nam et patriam et patrem conmemorant pariter, qui fuerint sibi.
Sevocabo herum. Menaechme.
MENAECHMI AMBO
Quid vis?
MESSENIO
Non ambos volo,
sed uter vostrorum est advectus mecum navi ?
MENAECHMUS SUBREPTUS
Non ego. 1085
MENAECHMUS SOSICLES
At ego.
MESSENIO
Te volo igitur; huc concede.
MENAECHMUS SOSICLES
Concessi. quid est?
MESSENIO
Illic homo aut sycophanta, aut geminus est frater tuus.
Nam ego hominem hominis similiorem numquam vidi alterum.
Neque aqua aquae, neque lacte est lactis, crede mihi, usquam similius,
quam hic tui est, tuque huius : poste eamdem patriam ac patrem 1090
memorat : meliu'st nos adire, atque hunc percontarier.
MENAECHMUS SOSICLES
Hercle, qui tu me admonuisti recte; et habeo gratiam.
Perge operam dare, obsecro, hercle; liber esto, si invenis
hunc meum fratrem esse.
MESSENIO
Spero.
MENAECHMUS SOSICLES
Et ego item spero fore.
MESSENIO
Quid ais tu? Menaechmum, opinor, te vocari dixeras. 1095
MENAECHMUS SUBREPTUS
Ita vero.
MESSENIO
Huic item Menaechmo nomen est. In Sicilia
te Syracusis natum esse dixisti : hic gnatus est ibi.
Moschum tibi patrem fuisse dixti; huic itidem fuit.
Nunc operam potestis ambo mihi dare et vobis simul.
MENAECHMUS SUBREPTUS
Promeruisti, ut ne quid ores, quod velis, quin impetres. 1100
Tamquam si emeris me argento, liber servibo tibi.
MESSENIO
Spes mihi est, vos inventurum fratres germanos duos
geminos, una matre gnatos, et patre uno uno die.
MENAECHMUS SUBREPTUS
Mira memoras : utinam efficere quod pollicitus possies !
MESSENIO
Possum; sed nunc agite uterque id, quod rogabo dicite. 1105
MENAECHMUS SUBREPTUS
Ubi lubet, roga; respondebo, nihil reticebo, quod sciam.
MESSENIO
Est tibi nomen Menaechmo?
MENAECHMUS SUBREPTUS
Fateor.
MESSENIO
Est itidem tibi?
MENAECHMUS SOSICLES
Est.
MESSENIO
Patrem fuisse Moschum tibi ais?
MENAECHMUS SUBREPTUS
Ita vero.
MENAECHMUS SOSICLES
Et mihi.
MESSENIO
Esne tu Syracusanus?
MENAECHMUS SUBREPTUS
Certo.
MESSENIO
Quid tu?
MENAECHMUS SOSICLES
Quippini?
MESSENIO
Optume usque adhuc conveniunt signa : porro operam date. 1110
Quid longissime meministi, dic mihi, in patria tua?
MENAECHMUS SUBREPTUS
Cum patre ut abii Tarentum ad mercatum, postea
inter homines me deerrare a patre, atque inde avehi.
MENAECHMUS SOSICLES
Iuppiter supreme, serva me.
MESSENIO
Quid clamas? quin taces?
quot eras annos gnatus, quom te pater a patria avehit? 1115
MENAECHMUS SUBREPTUS
Septuennis; nam tunc dentes mihi cadebant primulum.
Neque patrem umquam postilla vidi.
MESSENIO
Quid? vostrum patri
filii quot eratis?
MENAECHMUS SUBREPTUS
Ut nunc maxume memini, duo.
MESSENIO
Uter eratis, tun' an ille, maior?
MENAECHMUS SUBREPTUS
Aeque ambo pares.
MESSENIO
Qui id potest?
MENAECHMUS
Gemini ambo eramus.
MENAECHMUS SOSICLES
Di me servatum volunt. 1120
MESSENIO
Si interpellas, ego tacebo potius.
MENAECHMUS SOSICLES
Taceo.
MESSENIO Dic mihi:
uno nomine ambo eratis?
MENAECHMUS SUBREPTUS
Minume : nam mihi hoc erat,
quod nunc est, Menaechmo; illum tum vocabant Sosiclem.
MENAECHMUS SOSICLES
Signa adgnovi : contineri quin complectar, non queo.
Mi germane, gemine frater, salve, ego sum Sosicles. 1125
MENAECHMUS SUBREPTUS
Quo modo igitur post Menaechmo nomen est factum tibi?
MENAECHMUS SOSICLES
Postquam ad nos renuntiatum 'st te et patrem esse mortuum,
avos noster mutavit: quod tibi nomen est, fecit mihi.
MENAECHMUS SUBREPTUS
Credo ita esse factum, ut dicis : sed mi hoc responde.
MENAECHMUS SOSICLES
Roga. 1129-1130
MENAECHMUS SUBREPTUS
Quid erat nomen nostrae matri?
MENAECHMUS SOSICLES
Teusimarchae.
MENAECHMUS SUBREPTUS
Convenit. 1131
O salve, insperate multis annis post quem conspicor.
MENAECHMUS SOSICLES
Frater, et tu, quem ego multis miseriis laboribus
usque adhuc quaesivi, quemque ego esse inventum gaudeo.
MESSENIO
Hoc erat, quod haec te meretrix huius vocabat nomine. 1135
Hunc censebat te esse, credo, quom vocat te ad prandium.
MENAECHMUS SUBREPTUS
Namque edepol, heic mihi hodie iussi prandium adpararier,
clam meam uxorem, quoi pallam subrupui dudum domo,
eam dedi huic.
MENAECHMUS SOSICLES
Hanc dicis, frater, pallam, quam ego habeo?
MENAECHMUS SUBREPTUS
Quomodo haec ad te pervenit?
MENAECHMUS SOSICLES
Meretrix huc ad prandium 1140
me abduxit; me sibi dedisse aiebat : prandi perbene,
potavi atque adcubui scortum, pallam et aurum hoc dotavi.
MENAECHMUS SUBREPTUS
Gaudeo, edepol, si quid propter me tibi evenit boni.
nam illa quom te ad se vocabat, me esse credidit. 1144-1145
MESSENIO
Numquid me morare, quin ego liber, ut iusti, siem? 1146
MENAECHMUS SUBREPTUS
Optumum atque aequissumum orat, frater: fac causa mea.
MENAECHMUS SOSICLES
Liber esto.
MENAECHMUS SUBREPTUS
Quom tu es liber, gaudeo, Messenio.
MESSENIO
Sed meliore est opus auspicio, ut liber perpetuo siem. 1149-1150
MENAECHMUS SOSICLES
Quoniam haec evenerunt, frater, nostra ex sententia, 1151
in patriam redeamus ambo.
MENAECHMUS SUBREPTUS
Frater, faciam, ut tu voles.
auctionem heic faciam, et vendam quidquid est. Nunc interim
eamus intro, frater.
MENAECHMUS SOSICLES
Fiat.
MESSENIO
Scitin' quid ego vos rogo?
MENAECHMUS SUBREPTUS
Quid?
MESSENIO
Praeconium mi ut detis.
MENAECHMUS SUBREPTUS
Dabitur.
MESSENIO
Ergo nunc iam 1155
vis conclamari auctionem ?
MENAECHMUS SUBREPTUS
Fore quidem die septimi.
MESSENIO
Auctio fiet Menaechmi mane sane septimi.
Venibunt servi, supellex, fundi, aedes, omnia.
Venibunt, quiqui licebunt, praesenti pecunia.
Venibit uxor quoque etiam, si quis emptor venerit. 1160
Vix, credo, tota auctione capiet quinquagesies.
Nunc, spectatores, valete, et nobis clare adplaudite.
|
V,
9 MÉNECHME RAVI, MESSÉNION, MÉNECHME SOSICLÈS
MÉNECHME RAVI (sortant de chez Erotie)
Vous auriez beau jurer par la prunelle de vos yeux, il n'en est pas moins
vrai cependant, par Hercule ! que je n'ai pas emporté le châle ni le
bracelet, coquines.
MESSÉNION (apercevant Ménechme ravi)
O dieux immortels, que vois-je?
MÉNECHME SOSICLÈS
Qu'est-ce que tu vois?
MESSÉNION
Ton image comme dans un miroir.
MÉNECHME SOSICLÈS
Qu'y a-t-il donc?
MESSÉNION
Ton portrait aussi ressemblant qu'il est possible.
MÉNECHME SOSICLÈS
En effet, par Pollux, il me ressemble assez, plus j'examine; oui,
c'est ma figure.
MÉNECHME RAVI (à Messénion)
Ah ! bonjour, mon garçon, qui que tu sois, toi, mon sauveur.
MESSÉNION
Je t'en prie, jeune homme, dis-moi ton nom, si tu veux bien.
MÉNECHME RAVI
Par Pollux, je te dois trop de reconnaissance pour te rien refuser de
ce que tu désires. Mon nom est Ménechme.
MÉNECHME SOSICLÈS
Mais, par Pollux, c'est le mien.
MÉNECHME RAVI
Je suis Sicilien, de Syracuse.
MÉNECHME SOSICLÈS
C'est là ma demeure et ma patrie.
MÉNECHME RAVI
Qu'entends-je? que dis-tu?
MÉNECHME SOSICLÈS
L'exacte vérité.
MESSÉNION (montrant Ménechme ravi)
Voici mon maître, je le reconnais; c'est à lui que j'appartiens, et je
croyais appartenir à celui-là (montrant son maître). (A
Ménechme ravi.) Je l'ai pris pour toi, mais je l'ai fait aussi
bien enrager. (A Ménechme Sosiclès.)
Pardonne-moi, je te prie, si, en te parlant, j'ai dit quelque sottise sans
le vouloir.
MÉNECHME SOSICLÈS
Tu es en démence, probablement. Ne te souvient-il plus que nous avons
débarqué ensemble aujourd'hui?
MESSÉNION (avec étonnement)
Oui, vraiment; c'est juste. C'est toi qui es mon maître. (A
Ménechme ravi.) Cherche un autre esclave. (A
son maître.) Salut à toi. (A Ménechme
ravi.) Toi, adieu. (Il retourne auprès de
Ménechme Sosiclès.) Oui, voici Ménechme.
MÉNECHME RAVI
C'est moi qui le suis.
MÉNECHME SOSICLÈS
Quel conte! toi, Ménechme?
MÉNECHME RAVI
Oui, je suis Ménechme, fils de Moschus.
MÉNECHME SOSICLÈS
Tu es le fils de mon père?
MÉNECHME RAVI
Non, jeune homme, mais du mien. Le tien, je ne te le dispute pas, je
ne veux pas te l'ôter.
MESSÉNION (à part)
Dieux immortels, quelle espérance inespérée ! Faites que mes soupçons
se réalisent ! Si je ne me trompe, voilà les deux frères jumeaux : ils
ont même pays, même père, à ce qu'ils disent. Je prendrai mon maître
à part. (Il appelle.) Ménechme !
LES DEUX MÉNECHMES
Que veux-tu?
MESSÉNION
Je ne vous veux pas tous deux ensemble. Mais lequel est arrivé hier
avec moi sur le même bateau?
MÉNECHME RAVI
Ce n'est pas moi.
MÉNECHME SOSICLÈS
C'est moi.
MESSÉNION
C'est donc à toi que je veux parler. Viens par ici.
MÉNECHME SOSICLÈS
Me voici; qu'y a-t-il?
MESSÉNION
Cet homme est un intrigant, ou c'est ton frère jumeau; car je ne vis
jamais cieux hommes se ressembler davantage. Deux gouttes d'eau ou deux
gouttes de lait se ressembleraient moins, crois-moi, que toi à lui, et
lui à toi; et puis, il revendique même patrie, même père : il faut
l'interroger.
MÉNECHME SOSICLÈS
Excellent conseil, par Hercule; je t'en remercie. Poursuis ton
enquête, je t'en prie. Tu es affranchi, si tu découvres qu'il est mon
frère.
MESSÉNION
Je l'espère.
MÉNECHME SOSICLÈS
Et je l'espère de même.
MESSÉNION (à Ménechme ravi)
Écoute. Tu disais, je crois, que tu t'appelles Ménechme?
MÉNECHME RAVI
Oui.
MESSÉNION (montrant son maître)
Il a nom Ménechme aussi. Tu es né, dis-tu, en Sicile, à Syracuse, et
lui pareillement. Tu ajoutes que Moschus est ton père, et tel est son
père à lui. Vous pouvez maintenant me prêter attention tous deux
ensemble, c'est une attention que vous aurez pour vous-mêmes.
MÉNECHME RAVI
Je serais ingrat, si je n'étais disposé à faire tout ce que tu
demandes et que tu désires. Je te suis acquis comme à prix d'argent, et,
quoique libre, prêt à te servir.
MESSÉNION
Je me flatte que vous retrouverez chacun votre frère jumeau, né de
même père, de même mère, le même jour.
MÉNECHME RAVI
Admirable ! Veuillent les dieux que tu puisses accomplir ta promesse !
MESSÉNION
Je le puis. Mais remuez-vous tous deux, et que chacun réponde à mes
questions.
MÉNECHME RAVI
Interroge quand tu voudras, je répondrai sans rien dissimuler de ce
que je sais.
MESSÉNION
Ton nom est Ménechme?
MÉNECHME RAVI
Ma foi, oui.
MESSÉNION (à Ménechme Sosiclès)
Et le tien de même?
MÉNECHME SOSICLÈS
Oui.
MESSÉNION (à Ménechme ravi)
Tu dis que tu as pour père Moschus?
MÉNECHME RAVI
Sans doute.
MÉNECHME SOSICLÈS
Et moi aussi.
MESSÉNION (à Ménechme ravi)
Tu es de Syracuse?
MÉNECHME RAVI
Parfaitement.
MESSÉNION (à son maître)
Et toi?
MÉNECHME SOSICLÈS
Bien sûr.
MESSÉNION
Jusqu'à présent, tous les indices s'accordent parfaitement.
Continuons, attention. (A Ménechme ravi.)
Raconte-moi les plus anciens souvenirs que tu gardes de ton pays.
MÉNECHME RAVI
Je suivis mon père à Tarente, dans un voyage de négoce; je
m'égarai parmi la foule, et quelqu'un m'emmena de cette ville.
MÉNECHME SOSICLÈS
O tout-puissant Jupiter, sois mon sauveur!
MESSÉNION
Pourquoi ces exclamations? silence. (A Ménechme
ravi.) Quel âge avais-tu lorsque ton père t'emmena?
MÉNECHME RAVI
Sept ans; mes dents de lait commençaient à tomber. Je ne l'ai jamais
revu depuis.
MESSÉNION
Et combien étiez-vous de fils dans votre famille?
MÉNECHME RAVI
Autant qu'il m'en souvient, deux.
MESSÉNION
Lequel était l'aîné, toi ou ton frère?
MÉNECHME RAVI
Ni l'un ni l'autre.
MESSÉNION
Comment cela se peut-il?
MÉNECHME RAVI
Nous étions jumeaux.
MÉNECHME SOSICLÈS
Les dieux me protègent !
MESSÉNION
Si tu nous interromps, je ne dirai plus rien.
MÉNECHME SOSICLÈS
Non, je me tais.
MESSÉNION (à Ménechme ravi)
Dis-moi, vous n'aviez qu'un seul nom tous deux?
MÉNECHME RAVI
Pas du tout : je me nommais, comme aujourd'hui, Ménechme. On appelait
mon frère, Sosiclès.
MÉNECHME SOSICLÈS
Tous les signes sont reconnus; je ne peux plus me retenir, il faut que
je l'embrasse. Mon frère, mon cher frère jumeau, salut, je suis
Sosiclès.
MÉNECHME RAVI
Comment donc as-tu reçu, depuis, le nom de Ménechme?
MÉNECHME SOSICLÈS
Quand on vint nous dire que mon père et toi vous étiez morts, mon
aïeul me fit changer de nom et prendre le tien.
MÉNECHME RAVI
Je t'en crois sur parole. Mais encore un mot.
MÉNECHME SOSICLÈS
Parle.
MÉNECHME RAVI
Comment notre mère se nommait-elle?
MÉNECHME SOSICLÈS
Theusimarque.
MÉNECHME RAVI
C'est bien son nom. Bonheur inattendu ! Salut, toi que je revois
après tant d'années.
MÉNECHME SOSICLÈS
Salut, mon frère, toi pour qui j'ai fait tant de courses et de
recherches pénibles, et qu'il m'est si doux de retrouver.
MESSÉNION (à Ménechme Sosiclès)
C'est donc cela, que la courtisane t'appelait du nom de ton frère. Elle
te prenait pour lui, lorsqu'elle t'a invité.
MÉNECHME RAVI
En effet, par Pollux ! je lui avais dit que je dînerais chez elle à
l'insu de ma femme, à qui j'avais dérobé un châle pour lui en faire
cadeau.
MÉNECHME SOSICLÈS
Est-ce celui que j'ai là, mon frère?
MÉNECHME RAVI
Comment a-t-il passé en tes mains?
MÉNECHME SOSICLÈS
La courtisane, qui m'a emmené dîner chez elle, a voulu absolument
que je le lui eusse donné. J'ai bien bu, bien mangé avec la belle
couchée auprès de moi, et je lui ai fait cadeau du bijou et du châle.
MÉNECHME RAVI
Je suis charmé d'être cause qu'on t'ait bien traité; car, en
t'invitant à entrer chez elle, c'était moi qu'elle croyait inviter.
MESSÉNION (à Ménechme ravi)
T'opposes-tu à ce que je sois libre, selon toute justice?
MÉNECHME RAVI
Il a raison, c'est de toute justice, mon frère; je te le demande pour
moi.
MÉNECHME SOSICLÈS (à Messénion, en lui
touchant la joue)
Sois libre.
MÉNECHME RAVI
Je félicite Messénion l'affranchi.
MESSÉNION
Mais il faut de meilleurs auspices pour me garantir ma liberté à
jamais (26).
MÉNECHME SOSICLÈS (à Ménechme ravi)
Puisque l'événement comble nos vœux, retournons ensemble dans notre
patrie.
MÉNECHME RAVI
Comme tu voudras, mon frère. Je ferai la vente de tous mes biens, je
ne garderai rien ici. Mais allons chez moi, en attendant.
MÉNECHME SOSICLÈS
Volontiers.
MESSÉNION (à Ménechme ravi)
Sais-tu ce que j'ai à vous demander?
MÉNECHME RAVI
Quoi?
MESSÉNION
C'est de me charger de la criée.
MÉNECHME RAVI
Accordé.
MESSÉNION
Eh bien ! veux-tu que j'annonce la vente?
MÉNECHME RAVI
Oui, pour dans sept jours.
MESSÉNION (au public)
La vente de Ménechme se fera dans sept jours au matin. On vendra les
esclaves, le mobilier, les terres, les maisons. Pour tout objet vendu, le
prix, quel qu'il soit, se paiera comptant. La femme aussi se vendra, si
elle trouve acquéreur. Je ne crois pas qu'on retire de toute la vente
cinq millions de sesterces. Maintenant, spectateurs, portez-vous bien, et
applaudissez ferme. |