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ARISTOPHANE
LES
GUÊPES
SOSIE. - Eh bien! que fais-tu là, pauvre Xanthias ?
XANTHIAS. - Je cherche à
faire trêve à ma garde nocturne (01).
SOSIE. - Tes côtes méritent
sans doute quelque grand châtiment. Mais sais-tu quelle bête sauvage nous
gardons ?
XANTHIAS. - Je le sais ; mais je
voudrais dormir un peu.
SOSIE. - Eh bien ! cours-en
le risque ; car je sens moi-même un doux sommeil fermer mes paupières.
XANTHIAS. - Es-tu en délire,
ou saisi de la fureur des corybantes ?
SOSIE. - Non ; je suis pris d'un
assoupissement qui me vient de Sabazios (02).
XANTHIAS. -- Tu adores donc Sabazios, comme
moi ; car tout à l'heure aussi le lourd sommeil est venu fondre comme un Mède
(03) sur mes paupières, et vraiment je
viens de faire un rêve merveilleux.
SOSIE. - Moi aussi, j'en ai
fait un, tel que je n'en eus jamais. Mais conte d'abord le tien.
XANTHIAS. - J'ai vu un aigle très grand
s'abattre sur la place publique, saisir avec ses serres un bouclier (04)
d'airain, et l'emporter jusqu'au ciel ; puis, Cléonyme jeter ce bouclier à
terre (05).
SOSIE. - Cléonyme ne diffère donc en rien
d'un griphe (06) ? Mais comment, demandera
quelqu'un des convives, le même monstre perd-il son bouclier sur la terre, dans
le ciel et sur la mer ?
XANTHIAS. - Hélas ! à quel malheur
dois-je m'attendre après un tel rêve ?
SOSIE. - Ne t'inquiète pas ; tu n'as rien
à craindre, je te jure.
XANTHIAS. - C'est pourtant une terrible
chose qu'un homme qui jette ses armes. Mais dis-moi le tien.
SOSIE. - Le mien est un grand rêve ; il a
rapport au vaisseau de l'État tout entier.
XANTHIAS. - Montre-moi vite le fond de cale
de l'affaire.
SOSIE. - Il m'a semblé, dans mon premier
sommeil, que je voyais une troupe de moutons assemblés dans le Pnyx, portant
des manteaux et des bâtons (07) ; et au
milieu de ces moutons j'entendais une baleine vorace haranguer d'une voix
semblable à celle d'un porc que l'on grille.
XANTHIAS.- Fi ! fi !
SOSIE. - Qu'y a-t-il ?
XANTHIAS.- C'est assez, n'en dis pas
davantage ; ce songe sent trop la mauvaise odeur du cuir (08).
SOSIE. - Cette baleine maudite tenait une
balance, et pesait de la graisse de boeuf (09).
XANTHIAS. - Malheur ! il veut diviser notre
peuple !
SOSIE. - Près d'elle était assis par
terre Théoros, ayant une tête de corbeau ; et Alcibiade me dit en grasseyant :
"Regalde Théolos, il a la tête d'un colbeau (10)."
XANTHIAS. - Jamais Alcibiade ne grasseya
plus à propos.
SOSIE. - N'est-ce pas là un présage
horrible ? Théoros devenu corbeau !
XANTHIAS. - Du tout, c'est au contraire
fort heureux.
SOSIE. - Comment ?
XANTHIAS. Tu le demandes ? D'homme il est
devenu corbeau ; ne doit-on pas en conclure avec évidence qu'il nous quittera
pour aller lui-même aux corbeaux (11) ?
SOSIE. - Et je ne te donnerais pas deux
oboles de salaire, à toi qui interprètes si habilement les songes ?
XANTHIAS.- Attends que j'expose le sujet
aux spectateurs, et que je leur soumette d'abord quelques courtes observations.
Qu'on n'attende de nous rien de trop élevé, pas même au rire dérobé à
Mégare (12). En effet, nous n'avons ni
esclaves qui jettent aux spectateurs des noix de leur corbeille (13),
ni un Hercule (14) frustré de son dîner ;
Euripide n'aura pas à essuyer encore une fois de mordantes railleries ; et
Cléon, malgré l'éclat qu'il doit à la fortune, ne se verra plus assaisonné
par nous à la sauce piquante. Mais nous avons un sujet assez raisonnable, qui,
sans passer votre sagacité, a toutefois plus de sens qu'une comédie banale.
Nous avons un maître, homme puissant, qui dort là-haut, dans la chambre qui
est sous le toit. Il nous a enjoint de garder son père, après l'avoir enfermé
pour empêcher qu'il ne sorte. Ce père est atteint d'une maladie étrange, dont
personne ne saurait s'aviser, si je ne vous en informais ; mais il dit que ce
n'est rien. Devinez plutôt. Voici Amynias (15),
fils de Pronapos, qui dit que c'est l'amour du jeu (16).
SOSIE. - Rien ? par Jupiter ! mais il juge
de sa maladie d'après lui-même.
XANTHIAS.- Non ! Il y a bien quelque amour
pour principe de ce mal... Voici Sosias (17)
qui dit à Dercylos que c'est l'amour de la boisson.
SOSIE. - Nullement ; c'est là une passion
d'honnêtes gens.
XANTHIAS. - Nicostratos, le Scambonide (18),
prétend que c'est l’amour des sacrifices ou de l'hospitalité (19).
SOSIE.
- Par le chien (20) ! ce n'est pas possible,
car Philoxène est un prostitué.
XANTHIAS. Vous perdez votre temps ; vous ne
trouverez pas. Si vous êtes curieux de le savoir, faites silence : je vais vous
dire la maladie de mon maître c'est... l'amour des tribunaux (21).
Juger est sa passion, et il gémit s'il ne siège pas sur le premier banc des
juges (22). La nuit, il ne goûte pas un
instant de sommeil. Ferme-t-il par hasard les yeux ? pendant la nuit son esprit
voltige autour de la clepsydre (23).
L'habitude qu'il a de tenir les suffrages (24)
fait qu'il se réveille en serrant ses trois doigts, comme celui qui offre de
l'encens aux dieux, à la nouvelle lune. Trouve-t-il écrit sur une porte :
"Charmant Démos (25), fils de
Pyrilampe !" il va écrire à côté : "Charmante urne aux suffrages
!" Son coq ayant chanté le soir, il dit que des accusés avaient sans
doute gagné ce pauvre animal, pour l'éveiller plus tard qu'à l'ordinaire (26).
Aussitôt après souper, il demande à grands cris sa chaussure ; il court au
tribunal avant le jour, et s'endort, collé comme une huître à la colonne. Sa
sévérité lui fait toujours tracer sur les tablettes la ligne (27)
de condamnation et il revient, comme l'abeille et le bourdon, les ongles
chargés de cire. Dans la crainte de manquer de cailloux pour les suffrages, il
entretient chez lui une grève, afin de pouvoir voter. Telle est sa manie ; et
plus on l'avertit, plus il veut juger. Aussi, nous le tenons enfermé sous les
verrous, pour l'empêcher de sortir ; car cette maladie fait le désespoir du
fils. D'abord il employa la douceur, il l'engagea à ne plus porter le manteau (28),
et à rester chez lui ; celui-ci n’en fit rien. Ensuite il le baigna et le
purgea ; ce fut en vain. Il le soumit aux exercices sacrés des corybantes ; le
père s'enfuit avec le tambour, et courut au tribunal pour juger. Voyant le peu
de succès de ces initiations, il le mena à Égine, et le fit coucher la nuit
dans e temple d'Esculape ; dès le point du jour il reparut devant la porte
grillée du tribunal. Dès lors nous ne l'avons pas laissé sortir. Il
s'échappa par les gouttières et par les lucarnes ; partout où il y avait des
trous, nous les avons bouchés, et nous avons fermé les issues ; mais il
enfonçait des piquets dans le mur, et sautait de l'un à l'autre comme un
choucas. Enfin nous avons tendu des filets autour de la cour, et nous le gardons
ainsi. Le nom du vieillard est Philocléon (29)
; aucun par Jupiter! ne lui sied mieux : celui du fils est Bdélycléon (30)
; il travaille à guérir le caractère fougueux de son père (31).
BDÉLYCLÉON. paraissant à la
fenêtre. -Xanthias ! Sosie ! dormez-vous ?
XANTHIAS. - Oh ! oh !
SOSIE. - Qu'est-ce ?
XANTHIAS. - C'est Bdélycléon qui se
réveille.
BDÉLYCLÉON.- Vite, que l'un de vous deux
accoure ici. Mon père est entré dans la cuisine (32),
et il gratte comme une souris qui se cache dans un trou. Toi, prends garde qu'il
ne s 'évadé par les tuyaux des bains ; et toi, reste contre la porte.
SOSIE. - Oui, mon maître.
BDÉLYCLÉON.- Par Neptune ! qui fait ce
bruit dans la cheminée ? Holà ! qui es-tu ?
PHILOCLÉON. - C'est la fumée qui sort.
BDÉLYCLÉON. - La fumée ! et de quel bois
?
PHILOCLÉON. - De figuier.
BDÉLYCLÉON. - Par Jupiter! c'est la plus
âcre de toutes les fumées. Rentreras-tu bientôt ? Où est le couvercle de la
cheminée ? Rentre. Ajoutons encore une traverse. Maintenant cherche une autre
ruse pour sortir. Vraiment, je suis le plus malheureux des hommes ; on dira que
j'ai pour père l'Enfumé. Toi, tiens la porte ; appuie ferme et vigoureusement.
Examine la serrure et le verrou ; prends garde qu'il ne ronge le pêne (33).
PHILOCLÉON.
- Que prétendez-vous, coquins ? Ne me laisserez-vous pas sortir, pour aller
juger ? Dracontidès va être absous.
BDÉLYCLÉON. - Cela te chagrinerait donc
beaucoup ?
PHILOCLÉON. - Le dieu de Delphes,
consulté par moi, me répondit un jour que je mourrais alors qu'un accusé
m'échapperait (34).
BDÉLYCLÉON. - O Apollon, dieu tutélaire,
quel oracle !
PHILOCLÉON. - Allons, je t'en conjure,
laisse-moi sortir ; ne me fais pas crever ici.
BDÉLYCLÉON.- Par Neptune! non, jamais,
Philocléon !
PHILOCLÉON. - Eh bien, je rongerai le
filet à belles dents.
BDÉLYCLÉON. - Mais tu n'as pas de dents.
PHILOCLÉON. - Malheureux que je suis ! si
je pouvais te tuer ! Quel moyen ? Vite, une épée, ou la tablette de
condamnation (35) !
BDÉLYCLÉON.- Cet homme veut faire quelque
mauvais coup.
PHILOCLÉON.- Eh ! non, je veux aller
vendre mon âne avec son bât ; c'est la nouvelle lune (36).
BDÉLYCLÉON. - Ne pourrais-je pas le
vendre aussi bien ?
PHILOCLÉON. - Non, pas aussi bien que moi.
BDÉLYCLÉON.- Bien mieux, au contraire.
Amène-moi l'âne. (Philocléon va chercher l'âne.)
XANTHIAS. - Le bon tour qu'il a imaginé
là pour s'échapper !
BDÉLYCLÉON. - Mais son hameçon n'a rien
pris ; j'ai deviné sa ruse. Je vais moi-même emmener l’âne, pour que le
vieillard ne s'échappe plus. Pauvre baudet, pourquoi pleures-tu ? Serait-ce de
ce qu'on va te vendre ? Avance : pourquoi gémir ? Porterais-tu un Ulysse ?
XANTHIAS. - Oui, par Jupiter ! il porte
quelqu'un sous lui.
BDÉLYCLÉON. - Qui donc ? Voyons.
XANTHIAS. - C'est lui.
BDÉLYCLÉON. - Qu'y a-t-il ? Qui es-tu,
l'ami ?
PHILOCLÉON.- Personne (37).
BDÉLYCLÉON.- Personne ! Et de quel pays ?
PHILOCLÉON. - D'Ithaque, de la race de
Drasippide (38).
BDÉLYCLÉON.- Ma foi Personne, tu n'auras
pas à t'applaudir de ta ruse. Tire-le au plus tôt. Malheureux ! où s'est-il
fourré ? Il ressemble au petit d'une ânesse, monté par un huissier (39).
PHILOCLÉON. - Si vous ne me laissez
tranquille, nous plaiderons.
BDÉLYCLÉON. - Et sur quoi ?
PHILOCLÉON. - Sur l'ombre de l'âne (40)
BDÉLYCLÉON. - Tu es vaurien et audacieux,
mais sans habileté.
PHILOCLÉON. - Moi, vaurien ? non certes.
Mais tu me sens pas maintenant tout ce que je vaux ; tu le sauras peut-être
quand tu goûteras la viande délicate (41)
du vieil Héliaste (42).
BDÉLYCLÉON.- Rentre l'âne avec toi dans
la maison.
PHILOCLÉON. - O juges, mes confrères, et
toi, Cléon, secourez-moi.
BDÉLYCLÉON. - Crie si tu veux la dedans,
la porte fermée. Toi, roule force pierres à l'entrée, remets le verrou, et
appuie au plus tôt ce grand mortier contre cette pièce de bois, pour
barricader la porte.
SOSIE. - Holà ! d'où cette motte de terre
est-elle tombée sur moi ?
XANTHIAS. - C'est peut-être quelque souris
qui te l'a jetée de là-haut.
SOSIE. - Une souris ! non, vraiment ! mais
c'est cet Héliaste de gouttières qui s'est glissé sous les tuiles (43).
XANTHIAS.- Ah ! que je suis malheureux ! Le
voilà devenu moineau ; il s'envolera. Où est le filet ?... Pschit ! pschit !
va-t'en ! Pschit (44) !
BDÉLYCLÉON. - En vérité, j'aimerais
mieux garder Scione (45) qu'un tel père.
SOSIE. - Maintenant que nous l'avons
chassé et qu'il ne peut nous échapper furtivement, pourquoi ne dormirions-nous
pas un peu ?
BDÉLYCLÉON.- Mais, mon pauvre garçon,
dans un instant viendront les juges, ses confrères, qui l'appelleront à grands
cris.
SOSIE. - Que dis-tu ? Mais il ne fait pas
encore jour.
BDÉLYCLÉON.- Il est vrai : ils se lèvent
aujourd'hui plus tard que de coutume ; car ils viennent ordinairement dès le
milieu de la nuit, leurs lanternes à la main, et l'appellent en chantant les
vers si doux des Phéniciennes de l'antique Phrynichos (46).
SOSIE. - Eh bien, s'il en est besoin, nous
leur jetterons des pierres.
BDÉLYCLÉON. Mais, malheureux, cette race
de vieillards, quand on l'irrite, ressemble aux guêpes. Ils ont sous leurs
flancs un aiguillon des plus perçants (47),
dont ils piquent ; ils dansent en criant, et le dardent comme des étincelles.
SOSIE.- Ne t'inquiète pas ; que j'aie
seulement des pierres, et je disperserai tout un essaim de juges.
(Ils rentrent, et le Choeur arrive.)
LE CHOEUR. - Avancez, marchez ferme. Tu
traînes, Comias ? tu valais mieux autrefois ; tu étais roide comme une
lanière à laquelle on attache les chiens ; maintenant Charinadès est meilleur
marcheur que toi. O Strymodore de Conthyle (48),
le meilleur de nos confrères! Evergidès ou Chabès le Phlyen sont-ils ici ?
Ils y sont. Ah ! ah ! je vois ici tout ce qui reste de cette jeunesse qui se
signalait à Byzance, alors que toi et moi nous gardions ensemble les remparts ;
la nuit, dans nos courses, nous dérobions le pétrin de la boulangère, nous le
fendions, et nous faisions cuire quelques grossiers légumes. Mais hâtons-nous,
mes amis ; c'est aujourd'hui le jugement de Lachès (49)
; tout le monde dit que sa ruche regorge d'argent. C'est pour cela qu'hier
Cléon, notre soutien, nous a enjoint de venir de bonne heure, avec une bonne
provision de colère contre lui (50), pour
le punir du mal qu'il a fait. Allons, hâtons-nous, mes amis, avant que le jour
paraisse. Marchons, en regardant bien de tous côtés, à l'aide de nos
lanternes, pour éviter les embûches que des malveillants pourraient nous
tendre (51).
UN ENFANT. - Oh ! cher père, prends garde
à ce bourbier.
LE CHOEUR. - Ramasse un brin de paille pour
moucher la lampe.
L'ENFANT. - Non, non ; je la moucherai bien
avec les doigts.
LE CHOEUR. - Petit sot, de quoi t'avises-tu
d'allonger la mèche quand il y a ainsi disette d'huile ? On voit qu'il ne t'en
coûte rien quand il faut la payer.
L'ENFANT. - Par Jupiter ! si vous nous
admonestez encore à coups de poing, nous éteindrons les lampes, et nous
retournerons chez nous ; vous resterez alors dans les ténèbres, sans lumière,
et vous pataugerez dans les bourbiers, comme l'attagas (52).
LE CHOEUR.- Certes, j'en châtie de plus
grands que toi. Mais je crois que je marche dans la boue. Il n'est pas possible
que, avant quatre jours au plus, il ne pleuve abondamment, tant la mèche de ces
lampes se couronne d'énormes champignons. C'est ordinairement un signe de
grande pluie. Du reste, les fruits tardifs ont besoin d'eau, et le souffle de
Borée leur est bon. Mais qu'est-il donc arrivé à notre collègue, habitant de
ce logis, pour qu'il ne paraisse pas ici, au milieu de notre troupe ?
D'ordinaire, il ne se faisait pas traîner à la remorque, mais il marchait à
notre tête, en chantant les airs de Phrynichos ; car il est amateur de chant.
Mes amis, mon avis serait de nous arrêter ici, et de l'appeler en chantant ; le
plaisir qu'il aura à entendre notre chanson sortir.
D'où vient que ce vieillard ne paraît pas sur sa porte, et ne nous répond pas
? Aurait-il perdu ses souliers ? ou bien se serait-il heurté la jambe dans l’obscurité,
de manière à se faire une entorse ? Peut- être aussi a-t-il une hernie. Il
était le plus âpre d'entre nous tous, et le seul inexorable ; si quelqu'un le
suppliait, il baissait la tête en disant : "Tu veux cuire une pierre (53)."
Peut-être est-ce à cause de cet homme qui nous a échappé hier à force de
mensonges, en disant qu'il était dévoué à la ville d'Athènes, et qu'il
avait révélé le premier ce qui se passait à Samos (54)
; la douleur de le voir absous lui aura donné la fièvre, car voilà l'homme.
Allons, cher ami, lève-toi ne te laisse pas ainsi dévorer par le ressentiment.
Nous tenons aujourd'hui un de ces richards qui ont livré la Thrace (55),
viens l’envoyer au supplice.
Avance, enfant, avance.
UN ENFANT. - Me donneras-tu, mon père ce
que je te demanderai ?
LE CHOEUR. Oui, mon cher fils ; mais,
dis-moi, que veux-tu que je t'achète de beau ? Je m'imagine que tu vas me
demander des osselets.
L'ENFANT. Non cher papa, mais des figues : c'est bien meilleur.
LE CHOEUR. - Tu n'en auras pas, quand tu
devrais te pendre.
L'ENFANT. - Eh bien, je ne t'escorterai plus.
LE CHOEUR. - Quoi ! avec mon chétif
salaire il me faut acheter du pain, du bois et de la viande, et tu me demandes
encore des figues !
L'ENFANT. -
Eh bien, mon père, si l'archonte ne convoque plus le tribunal, où
prendrons-nous à dîner ? As-tu à nous offrir quelque espoir, ou seulement
"le chemin sacré d'Hellé (56) ?"
LE CHOEUR. - Ah ! dieux ! hélas ! hélas !
je ne sais, en vérité, avec quoi nous dînerons.
L'ENFANT. -
O malheureuse mère ! pourquoi m'as-tu enfanté, si je devais avoir tant de
peine à soutenir ma vie (57) ?
LE CHOEUR. - Ainsi, mon petit sac, tu n'es
plus pour moi qu'un ornement inutile (58).
L'ENFANT. - Hélas ! les gémissements sont
notre partage.
PHILOCLÉON (59),
- Mes amis, depuis longtemps je sèche d'impatience à vous entendre de cette
fenêtre ; mais je ne puis plus chanter. Que faire ? Ces gens me gardent, parce
que je brûle d'aller avec vous, joindre nos urnes et prononcer quelque
condamnation. O Jupiter ! fais gronder ton tonnerre, et change-moi subitement en
fumée (60) ; ou bien fais que je ressemble
à Proxénide (61) ou au fils de Sellos, ce
grand hâbleur. Accorde-moi cette faveur par pitié pour ma misère, ou que la
foudre me réduise en cendres, et que ton souffle m'emporte ensuite dans une
saumure acide et bouillante ; ou enfin fais de moi la pierre sur laquelle on
compte les suffrages.
LE CHOEUR. - Qui donc te retient ainsi, et
te ferme les portes ? Dis-nous-le ; c'est à des amis que tu parles.
PHILOCLÉON - C'est mon fils : mais ne
criez pas ; il dort sur le devant de la maison ; parlez plus bas.
LE CHOEUR. - Mais, pauvre homme, que
prétend-il te défendre ? Quel prétexte allègue-t-il ?
PHILOCLÉON - O mes amis, il ne veut pas me
laisser juger, ni prononcer une condamnation ; il veut me faire faire bonne
chère, et moi je ne le veux pas.
LE CHOEUR. - A-t-il osé le dire, ce
scélérat, ce Démologocléon (62) ?... Cet
homme n'aurait pas eu tant d'audace, sil ne tramait quelque conspiration. Mais,
après cela, il est temps de chercher quelque nouvelle invention qui te permette
d'échapper à ton gardien, et de descendre ici.
PHILOCLÉON - Que peut-on inventer ?
Cherchez, vous autres ; je suis prêt à tout faire, tant je désire
passionnément parcourir les bancs avec ma coquille (63).
LE CHOEUR. - N'y a-t-il pas en dedans
quelque ouverture par où tu puisses pratiquer une issue, et disparaître caché
sous des haillons, comme le prudent Ulysse (64)
?
PHILOCLÉON - Tout est bouché un moucheron
ne trouverait pas où passer. Cherchez quelque autre voie ; celle-là est
impraticable.
LE CHOEUR. - Ne te souvient-il plus
qu'étant de service à la prise de Naxos (65),
tu descendis du rempart à l'aide de quelques broches volées, que tu fichais
dans le mur ?
PHILOCLÉON- Je le sais; mais à quoi bon ?
La situation n'est plus la même. J'étais jeune alors, plein de vigueur et de
dextérité pour voler ; personne ne me gardait, et je pouvais fuir sans
crainte. Maintenant des gardes armés sont postés sur les passages, où ils
font le guet ; deux d'entre eux sont à cette porte des broches en main, et
m'observent comme un chat qui a volé de la viande.
LE CHOEUR. - Trouve donc au plus tôt
quelque ruse ; car voici l'aurore, doux ami.
PHILOCLÉON - Je ne vois rien de mieux que
de ronger mon filet. Que la déesse de la chasse (66)
me pardonne !
LE CHOEUR. - C'est là le fait d'un homme
qui travaille pour sa liberté. Allons, joue des mâchoires.
PHILOCLÉON - Le voilà rongé ; mais ne
poussez pas un cri : prenons garde que Bdélycléon ne s'en aperçoive.
LE CHOEUR. - Ne crains rien, ami, non, rien
! S'il bouge, je le forcerai à se ronger le coeur, et à combattre pour sa
propre défense ; nous lui apprendrons à ne pas fouler aux pieds les lois des
vénérables déesses (67). Attache une
corde à la fenêtre, entoures-en ton corps, et laisse-toi descendre, le coeur
plein de la fureur de Diopithe (68).
PHILOCLÉON - Mais voyons, s'ils s'en
aperçoivent, s'ils veulent retirer la corde et me repêcher ainsi, que
ferez-vous, dites-moi ?
LE CHOEUR. - Nous viendrons à ton secours,
nous réunirons toutes nos forces pour qu'ils ne puissent te retenir ; voilà ce
que nous ferons.
PHILOCLÉON. - Soit donc ! je ferai ce que
vous me dites, je me fie à vous : s'il m'arrive quelque malheur, souvenez-vous,
après m'avoir baigné de vos larmes, de m'ensevelir sous le tribunal.
LE CHOEUR.- Il ne t'arrivera rien, n'aie
pas peur. Allons, mon cher, descends hardiment, après avoir invoqué les dieux
de la patrie (69).
PHILOCLÉON. - Lycos, génie tutélaire,
héros mon voisin, tu te plais ainsi que moi aux larmes et aux plaintes
éternelles des accusés ; sans doute tu as choisi ce séjour pour ne rien
perdre de leurs soupirs ; seul de tous les héros, tu as voulu vivre au milieu
des malheureux. Aie pitié de moi, sauve un fidèle voisin ; je te promets de ne
plus faire aucune ordure près de ta balustrade (70).
BDÉLYCLÉON. - Holà ! debout.
SOSIE. - Qu'y a-t-il donc ?
BDÉLYCLÉON.- J'entends comme le son d'une
voix.
SOSIE. - Est-ce que le vieillard se glisse
encore quelque part ?
BDÉLYCLÉON. - Non pas, mais il descend à
l'aide d'une corde.
SOSIE. - Malheureux ! que fais-tu ? Ne
t'avise pas de descendre !
BDÉLYCLÉON.- Monte vite par l'autre
fenêtre, et frappe-le de cette branche sèche (71),
pour le forcer par tes coups à rebrousser chemin.
PHILOCLÉON. - Ne viendrez-vous pas à mon
secours, vous tous qui devez avoir des procès cette année, Smicythion,
Tisiadès, Chrémon et Phérédippe ? Quand donc me secourrez-vous, si vous ne
le faites maintenant, avant qu'on me renferme de nouveau ?
LE CHOEUR. - Eh bien ! que tardons-nous à
nous armer de cette colère dont nous châtions quiconque irrite nos essaims ?
Notre aiguillon vengeur se dresse. Enfants, jetez au plus vite vos manteaux ;
courez et criez, annoncez la chose à Cléon ; dites-lui de venir combattre un
ennemi de la république, vraiment digne de mort, puisqu'il ose prétendre qu'il
ne faut ni procès ni jugements.
BDÉLYCLÉON.- Mes amis, écoutez les
faits, et ne criez pas.
LE CHOEUR. - Nous crierons jusqu'aux cieux
; je ne l'abandonnerai pas. N'est-ce pas une chose inouïe, une tyrannie
manifeste ? O citoyens! ô Théoros (72),
ennemi des dieux ! et vous tous, flatteurs qui nous présidez !
XANTHIAS. - Par Hercule ! ils ont des
aiguillons ; ne les vois-tu. pas, mon maître ?
BDÉLYCLÉON. - Ce sont les mêmes qui
percèrent Philippe, fils de Gorgias.
LE CHOEUR. - Tu seras aussi notre victime :
tournez tous de ce côté ; tombons sur lui à coups d'aiguillons, les rangs
serrés, le coeur plein de fureur et de rage, pour qu'il sache désormais quel
essaim il a irrité.
XANTHIAS.- Par Jupiter, l'affaire devient
grave, il s'agit de combattre ; car la vue de ces aiguillons m'épouvante.
LE CHOEUR. - Lâche cet homme, ou je te
promets que tes côtes envieront aux tortues leurs dures écailles.
PHILOCLÉON. - Allons, mes collègues,
guêpes irritables, élancez-vous sur son derrière avec furie, piquez-le de
toutes parts, aux yeux et aux doigts.
BDÉLYCLÉON.-
Midas, Phrygien, Masynthias (73), au secours
! saisissez-le, et ne le lâchez pas ; sinon je vous ferai jeûner dans les
fers. J'ai souvent entendu craquer au feu des feuilles de figuier (74).
LE CHOEUR. - Si tu ne le lâches, tu
sentiras mon aiguillon.
PHILOCLÉON. - O Cécrops, héros notre
roi, dont le corps se termine en dragon (75),
souffriras-tu que je sois ainsi le jouet de ces barbares, à qui j'ai appris à
verser quatre mesures de larmes (76) par
chénice ?
LE CHOEUR. - N'y a-t-il pas bien des maux
terribles dans la vieillesse ? Oui certes : voilà que ces deux misérables font
violence à leur vieux maître et le retiennent captif, oubliant les peaux, les
petites tuniques et les bonnets de peau de chien qu'il leur achetait, et le soin
qu'il prenait de garantir leurs pieds de la rigueur du froid ; mais ils n'ont ni
pudeur dans le regard, ni souvenir reconnaissant de leurs vieilles chaussures.
PHILOCLÉON.- Veux-tu bien me lâcher,
mauvaise bête ? Ne te souviens-tu plus qu'un jour, t'ayant surpris à voler des
raisins, je t'attachai à un olivier, et t'écorchai (77)
vigoureusement, au point que tu faisais des jaloux ? Mais tu es un ingrat.
Laisse-moi ; et toi aussi, avant que mon fils accoure.
LE CHOEUR. - Bientôt vous recevrez le
châtiment de votre conduite, ce ne sera pas long ; vous apprendrez à
connaître les hommes irritables, justes, et au regard courroucé.
BDÉLYCLÉON. - Frappe, frappe, Xanthias,
et chasse ces guêpes de la maison.
XANTHIAS., - C'est ce que je fais ; toi,
fais de ton côté une épaisse fumée (78).
SOSIE.- Eh bien, vous sauverez-vous a Ah !
vous ne voulez pas partir ? Joue du bâton.
XANTHIAS.- Toi, pour faire de la fumée,
jette au feu Eschine (79), fils de
Sélartios. Enfin, nous devions venir à bout de vous chasser.
BDÉLYCLÉON. - Par Jupiter, tu ne t'en
serais pas tiré si aisément, s'ils s'étaient nourris des vers de Philoclès (80).
LE CHOEUR. - N'est-il pas manifeste pour
les pauvres que la tyrannie s'est clandestinement introduite à notre insu ?
Scélérat, toi qui, avec l'arrogance d'Amynias, nous ravis les lois établies
par la république, sans que le moindre prétexte ni de belles paroles excusent
ton usurpation !
BDÉLYCLÉON. - Ne serait-il pas possible,
sans nous battre et sans pousser des cris perçants, de conférer ensemble, et
de nous entendre ?
LE CHOEUR. - Conférer avec toi, ennemi du
peuple, partisan de la monarchie, et ami de Brasidas (81),
toi qui portes des franges de laine et laisses croître ta barbe (82)
?
BDÉLYCLÉON.- En vérité, je ferais mieux
d'abandonner tout à fait mon père, que d'essuyer chaque jour de pareilles
bourrasques.
LE CHOEUR. - Eh bien, tu n'en es pas encore
au persil ni à la rue (83), pour employer
le proverbe vulgaire. Ce n'est encore rien que cela : tu verras lorsque
l'accusateur public dénoncera tes crimes, et citera les conspirateurs tes
complices.
BDÉLYCLÉON. - Au nom des dieux,
partirez-vous enfin ? Autrement, je suis résolu à vous éreinter tout le jour.
LE CHOEUR. -Non, jamais, tant qu'il me
restera un souffle de vie. Je vois bien que tu aspires à la tyrannie.
BDÉLYCLÉON.- Tout est pour vous tyrannie
et conspiration : que les griefs soient sérieux ou frivoles, peu importe.
Pendant cinquante ans, ce mot n'avait pas frappé mes oreilles ; aujourd'hui, il
est plus commun que le poisson salé ; il retentit dans tous les coins du
marché. Que l'un achète des orphes et dédaigne les membrades (84),
le marchand de membrades crie aussitôt : "La cuisine de-cet homme-là sent
furieusement la tyrannie." Qu'un autre demande du poireau pour assaisonner
des anchois, la marchande de légumes le regarde de travers, et lui dit :
"Tu demandes du poireau (85) ; est-ce
que tu vises à la tyrannie ? Penses-tu qu'Athènes doive te fournir des
assaisonnements ?"
XANTHIAS. - Hier, à midi, j'entrai chez
une courtisane, et lui proposai de faire un tour d'équitation... elle me
demanda avec colère si je voulais rétablir la tyrannie d'Hippias (86)
?
BDÉLYCLÉON.- Ces propos-là plaisent au
peuple et moi, parce que je veux arracher mon père à cette malheureuse manie
de sortir dès le point du jour pour courir après les délations et les procès
(87), et lui procurer la vie agréable de
Morychos (88), on m'accuse de conspiration
et de tyrannie.
PHILOCLÉON - Tu le mérites bien ; car,
pour moi je préfère aux plus brillantes prospérités (89)
la vie à laquelle tu veux m'enlever. Je n'aime ni la raie ni l'anguille ; un
petit procès à l'étouffade est un plat qui me plairait bien mieux.
BDÉLYCLÉON. - Sans doute ; c'est un
plaisir dont tu t'es fait l'habitude (90).
Mais fais silence un instant, et consens à m'entendre ; je te ferai voir comme
tu t'abuses.
PHILOCLÉON - Je m'abuse, quand je rends la
justice ?
BDÉLYCLÉON.- Tu ne sens pas-que tu es le
jouet de ces hommes (91), à qui tu rends
presque un culte. Sans t'en douter, tu n'es qu'un esclave.
PHILOCLÉON - Que parles-tu d'esclavage ?
moi qui commande à tout le monde !
BDÉLYCLÉON. - Ce n'est pas toi du moins ;
tu sers et tu crois commander. Dis-nous, mon père, quel honneur te revient-il
de jouir des tributs de ta Grèce ?
PHILOCLÉON - Beaucoup, assurément ; j'en
fais juges, mes confrères.
BDÉLYCLÉON. - Et moi aussi. Vous,
laissez-le en liberté.
PHILOCLÉON- Donnez-moi une épée ; car si
je suis vaincu par toi, si je perds ma cause, je m'en percerai le sein.
BDÉLYCLÉON. - Mais dis-moi enfin, si tu
récuses l'arrêt des arbitres ?
PHILOCLÉON- Que je ne boive jamais de vin
en l'honneur du Bon Génie (92) !
LE CHOEUR. - C'est à toi, notre champion,
à trouver des arguments nouveaux, afin de...
BDÉLYCLÉON. - Qu'on m'apporte vite des
tablettes. Mais foi, quel air prétends-tu prendre, si tu l'excites ainsi ?...
LE CHOEUR (93),
-- Afin de ne pas parler dans les principes de ce jeune homme. Tu vois
l'importance du combat ; tout est perdu si (ce qu'à Dieu ne plaise!) il vient
à être ton vainqueur.
BDÉLYCLÉON. — Je veux prendre note de tout ce qu'il dira, pour ne pas
l'oublier.
PHILOCLÉON. — Que dites-vous donc, vous autres, s'il est mon vainqueur ?
LE CHOEUR. — La troupe des vieillards ne servirait plus de rien ; nous serions
tournés en ridicule dans les rues, et appelés partout thallophores (94)
et sacs à procès. Toi donc, qui vas défendre notre souveraineté, déploie
hardiment toutes les forces de ton éloquence !
PHILOCLÉON. — Je vais, dès le début même, prouver que notre pouvoir ne le
cède à aucune royauté. Qu'y a-t-il de plus heureux, de plus fortuné qu'un
juge? Quelle vie est plus délicieuse que la sienne ? Quel animal plus
redoutable, surtout quand il est vieux? A peine je sors du lit, des hommes,
hauts de quatre coudées, m'escortent au tribunal : dès que je parais, je me
sens pressé par une main délicate qui a dérobé les deniers de l'État ; les
coupables tombent à mes pieds, en disant, d'une voix lamentable : « Aie pitié
de moi, mon père, je t'en conjure par les larcins que tu as pu faire toi-même
dans l'exercice des charges publiques, ou dans l'approvisionnement des troupes !
» Eh bien, celui-là ne saurait pas même que j'existe, si je ne l'avais
acquitté une première fois.
BDÉLYCLÉON. — Bon ; l'article des suppliants... Je note cela sur mes
tablettes.
PHILOCLÉON. — Ensuite, je prends place au tribunal, chargé de supplications,
et, ma colère une fois calmée, je ne fais rien de tout ce que j'ai promis ;
mais j'entends les voix d'une foule d'accusés qui réclament leur acquittement.
Voyez ! quelles caresses ne fait-on pas alors au juge ? Les uns déplorent leur
misère, et ajoutent des maux supposés à leurs maux réels, jusqu'à ce que
leurs plaintes les égalent aux miens ; les autres nous racontent des histoires,
et d'autres quelque trait comique d'Ésope (95) ;
ceux-là disent quelque bon mot, pour me faire rire et désarmer ma rigueur. Si
rien de tout cela ne me touche, ils amènent leurs enfants par la main, filles
et garçons ; j'écoute, et, baissant la tête, ils bêlent tous ensemble. Le père,
tremblant, rue supplie comme un (lieu de l'absoudre, par pitié pour eux : « Si
tu aimes la voix d'un agneau, sois sensible à celle de ce petit garçon. » Si
j'aime les petites truies (96), il tâche de me
toucher par la voix de sa fille. Et nous alors, en sa faveur, nous relâchons un
peu la rigueur de notre colère. N'y a-t-il pas là une grande puissance, et de
quoi se moquer de la richesse (97) ?
BDÉLYCLÉON. — Autre note à inscrire : le mépris de la richesse. Dis-moi
maintenant quels avantages tu retires de cette souveraineté sur la Grèce, dont
tu te vantes ?
PHILOCLÉON. — S'agit-il de constater l'âge des enfants (98)
? nous avons le droit de les voir nus. Qu'Oeagre (99)
soit cité en justice, il ne sera pas absous avant de nous avoir récité la
plus belle tirade de Niobé (100). Un joueur de
flûte gagne-t-il sa cause ? en reconnaissance, il nous joue une marche à notre
sortie. Si un père en mourant désigne par testament l'époux qu'il destine à
sa fille, son unique héritière, nous laissons là le pauvre testament et la
coquille qui recouvre le cachet (101), et nous
donnons la fille à celui dont les prières ont su nous gagner. Et tout cela,
sans avoir de compte à rendre ; privilège qui n'appartient à aucune autre
magistrature.
BDÉLYCLÉON. — De tels avantages sont précieux, et je t'en félicite ; mais
casser le testament de l'héritière me semble injuste.
PHILOCLÉON. — De plus, quand le Conseil et le peuple sont embarrassés pour
juger quelque grande affaire, un décret renvoie les accusés devant les juges.
On voit alors Evathos (102) et le lâche
Colaconyme (103), qui jette son bouclier,
protester qu'ils ne vous trahiront pas, et qu'ils combattront pour l'État
populaire. Enfin nul orateur ne fait prévaloir son avis devant le peuple, s'il
ne dit que les juges ont le droit de se retirer après avoir jugé une affaire.
Cléon lui-même, ce grand braillard, ne mord pas sur nous ; mais il veille auprès
de nous, et il chasse les mouches. Toi, tu n'as jamais rien fait de semblable
pour ton père ; tandis que Théoros, digne rival d'Euphémios (104),
prend l'éponge du bassin et décrotte nos souliers. Vois de quels biens tu peux
me priver, me dépouiller ; voilà ce que tu appelles de l'esclavage et de la
servitude.
BDÉLYCLÉON, — Parle tant que tu voudras, tu connaîtras un jour la vanité
de ce bel empire ; tu auras beau te laver, tu n'en seras pas plus propre (105).
PHILOCLÉON. — Mais de tous ces biens j'oubliais le plus délicieux. Quand je
rentre à la maison avec mon salaire, alors tous viennent m'embrasser pour mon
argent; et d'abord ma fille me lave, me parfume les pieds ; elle se penche pour
me baiser, et, tout en m'appelant son petit papa, elle réussit à tirer avec sa
langue le triobole de ma bouche. Ma femme, habile à me choyer, me sert une pâtisserie
délicate ; elle s'assied près de moi et me fait des instances : « Mange ceci,
goûte cela. » Tout cela me réjouit ; je n'ai pas besoin de demander des yeux
à toi ou au sommelier quand il me fera dîner, tout en me maudissant et en
grommelant. Mais s'il tarde à me servir, j'ai là (106)
un rempart contre les maux, et de quoi me garantir de tous les traits. Et si tu
ne me verses pas de vin à boire, j'ai apporté ce vase qui en est rempli, je le
pencherai pour m'en verser moi-même, et son fracas étouffera le bruit de la
bouteille (107). N'est-ce pas une souveraineté véritable,
égale à celle de Jupiter ? car on parle de moi comme de ce dieu même. Si nous
faisons du bruit dans notre assemblée, tous les passants s'écrient : « O
Jupiter, quel orage gronde dans le tribunal ? » Quand je fais éclater ma
foudre, les riches et les plus huppés se mettent à me cajoler et à
tressaillir d'effroi. Toi-même, tu me crains fort ; oui, par Cérès ! tu me
crains. Et moi, que je meure, si j'ai peur de toi!
LE CHOEUR. — Jamais je n'entendis plaider d'une manière si nette et si
habile.
PHILOCLÉON. — Non : mais il pensait vendanger une vigne abandonnée (108)
; il connaissait pourtant bien ma supériorité en ce genre.
LE CHOEUR. — Comme il a su tout dire, sans rien omettre! Je me sentais grandir
à mesure qu'il parlait ; au charme de son éloquence, il me semblait juger aux
îles Fortunées.
PHILOCLÉON — Comme ils se pâment de plaisir! ils sont transportés. Va, je
te ferai rêver aujourd'hui de coups de fouet (109).
LE CHOEUR. — Mais toi, tu as besoin de mettre en oeuvre toutes les ressources,
pour ne pas perdre ta cause. Il est difficile de me fléchir, en parlant contre
moi. Si donc tu n'as rien de bon à dire, cherche vite quelque bonne meule,
capable de briser ma colère.
BDÉLYCLÉON. — Il est vrai, c'est une entreprise difficile, hardie, et supérieure
aux forces d'un poète comique, de guérir une maladie invétérée dans un État.
Mais, ô mon père, fils de Saturne (110)
PHILOCLÉON, — Cesse d'invoquer ce nom de père. Si tu ne me prouves à
l'instant que je suis esclave, rien ne pourra te sauver de la mort, dût-on
m'exclure du festin des sacrifices (111) !
BDÉLYCLÉON. — Mon père, écoute-moi d'un air un peu moins sévère ; fais
d'abord un calcul bien simple, non avec des cailloux, mais sur tes doigts, de
tous les tributs qui nous sont payés par les villes alliées ; compte en outre
les impôts personnels, les centièmes, les prytanies (112),
le produit des mines, les droits des marchés et des ports, les salaires, le
produit des confis-cations : la somme de tous ces revenus est environ de deux
mille talents. Compte maintenant ce qui revient pour les honoraires annuels des
juges, au nombre de six mille, car il n'y en eut jamais davantage ici : cela
fait pour vous cent cinquante talents (113).
PHILOCLÉON. — Nous n'avons donc pas même le dixième des revenus publics (114)
?
BDÉLYCLÉON, — Non, certes.
PHILOCLÉON. — Mais où va donc le reste ?
BDÉLYCLÉON. — A ces gens qui ne cessent de crier : « Je ne trahirai jamais
la multitude des Athéniens ; je combattrai toujours pour le régime populaire.
» Et toi, mon père, abusé par leurs paroles, tu te soumets à leur empire.
Ils extorquent des villes des cinquantaines de talents, en les effrayant de
leurs menaces : « Vous payerez le tribut, disent-ils, ou je foudroie votre
ville. » Toi, tu te contentes de ronger les restes de ta royauté. Les alliés,
voyant votre bande se contenter de brouet et de la nourriture la plus chétive,
ne font pas plus de cas de toi que du suffrage de Connos (115).
C'est à ces démagogues qu'ils apportent des écuelles de salaison, du vin, des
tapis, du fromage, du miel, du sésame, des oreillers, des fioles, des manteaux
précieux, des couronnes, des colliers, des coupes, les richesses enfin
compagnes du bien-être. Et toi, aucun de ceux que tu gouvernes, après tant de
fatigues sur terre et sur mer, ne te donne même une tête d'ail pour
assaisonner de petits poissons.
PHILOCLÉON. — Il est vrai, il m'a fallu envoyer chercher trois gousses d'ail
chez Eucharidès. Mais tu m'assommes, en ne me prouvant pas cette prétendue
servitude.
BDÉLYCLÉON. — Et n'est-ce pas une vraie servitude, de voir tous ces
intrigants investis de magistratures, et leurs flatteurs richement salariés ?
tandis que toi tu te contentes des trois oboles qu'on te donne, toi qui par
mille combats sur terre, sur mer, et au siège des villes, leur as valu tous ces
biens ? Mais ce qui m'indigne encore plus, c'est que tu sois obligé de te
rendre à l'assemblée sur l'ordre d'autrui, alors qu'un jeune débauché, le
fils de Chéréas aux jambes écartées, à la démarche efféminée et lascive,
t'enjoint de venir juger de bon matin et à l'heure prescrite ; car quiconque se
présentera après le signal ne touchera pas les trois oboles. Mais lui, il reçoit
une drachme en qualité d'orateur public, quelque tard qu'il vienne. Si un accusé
lui fait quelque présent, il le partage avec un de ses collègues ; ils
s'entendent tous deux pour arranger l'affaire, et se la renvoient de l'un à
l'autre comme deux scieurs de long ; tandis que toi, la bouche béante, tu
regardes le payeur public (116), sans
t'apercevoir du manège.
PHILOCLÉON. — Quoi! c'est ainsi qu'ils me traitent ? Hélas ! que dis-tu ? Tu
me bouleverses l'esprit! Voilà qui me donne bien à penser ; je ne sais réellement
plus où j'en suis.
BDÉLYCLÉON. — Considère donc que tu pourrais t'enrichir, ainsi que tous les
autres ; mais ces éternels flatteurs du peuple t'en ôtent le moyen (117).
Tu règnes sur une foule de villes, depuis le Pont jusqu'à la Sardaigne, et
tu n'as pour toute jouissance que ce misérable salaire ; encore te le
dispensent-ils avec parcimonie et goutte à goutte, comme l'huile qu'on exprime
d'un flocon de laine (118). Car ils veulent que
tu sois pauvre, et je t'en dirai la raison : c'est pour que tu sentes la main
qui te nourrit, et qu'au moindre signe, lorsqu'ils te lancent contre un de leurs
ennemis, tu fondes sur lui avec fureur. S'ils le voulaient, assurer la
subsistance du peuple serait chose facile. Il y a mille villes (119)
qui nous payent le tribut : que l'on enjoigne à chacune d'elles d'entretenir
vingt citoyens, vingt mille hommes seront dans les délices ; ils auront en
abondance du lièvre, des couronnes, du lait le plus doux ; enfin, tous les
biens dont notre patrie et les vainqueurs de Marathon sont dignes de jouir. Loin
de là, vous quêtez votre salaire, comme les mercenaires qui cueillent des
olives.
PHILOCLÉON. — Hélas! quel froid subit engourdit ma main ! Je ne puis tenir
mon épée (120), mes forces m'abandonnent.
BDÉLYCLÉON. -- Mais ces hommes, lorsqu'ils craignent pour eux-mêmes, vous
donnent l'Eubée, et vous promettent cinquante médimnes de froment, eux qui ne
t'ont jamais donné que cinq médimnes d'orge ; encore tu ne les reçus qu'à
grand'peine, par chénice (121), et en te
justifiant de l'accusation d'être étranger. C'est pour cela que je t'ai
toujours tenu renfermé, dans l'intention de te nourrir moi-même, et de te
soustraire à leurs insolentes risées. Et maintenant je suis résolu à te
donner tout ce que tu désireras, hors le lait du payeur publie (122).
LE CHOEUR. — Certes, c'était un sage, celui qui a dit : « Entends les deux
parties avant de juger! » Car c'est toi maintenant qui me parais avoir gagné
la cause. Ma colère se calme, je jette ces bâtons. O toi, notre confrère, du
même âge que nous, cède à ces raisons ; ne fais preuve ni de folie ni
d'opiniâtreté inflexible. Que n'ai-je eu moi-même un ami, ou un parent, qui
me donnât de tels avis ! Aujourd'hui une divinité t'apparaît, vient à ton
secours et t'offre ses faveurs ; accepte-les sans hésiter.
BDÉLYCLÉON. — Oui, je le nourrirai, et lui donnerai tout ce qui convient à
un homme de son âge ; il aura du gruau à savourer, une tunique moelleuse, un
manteau bien fin, une courtisane qui lui frottera les reins... Mais il garde le
silence et ne souffle mot : cela ne peut me plaire.
Le CHOEUR. — Il revient à la raison sur les points où il extravaguait ; il a
déjà reconnu sa folie, et se reproche de n'avoir pas suivi tes conseils. Peut-être
que, devenu plus sage, il se dispose à conformer désormais sa conduite à tes
désirs.
PHILOCLÉON. — Hélas ! hélas !
BDÉLYCLÉON. — Eh bien ! qu'as-tu à crier
PHILOCLÉON. — Laisse là toutes ces promesses. « Ah ! que plutôt je sois en
ces lieux (123) où le héraut s'écrie : « Qui
n'a pas encore déposé son suffrage? qu'il se lève. » Que ne puis-je me
retrouver auprès des urnes, et être le dernier à déposer mon vote ! Hâte-toi,
ô mon âme ! Où donc est mon âme ? « Ténèbres, ouvrez-moi un passage (124).
» Par Hercule ! que ne puis-je siéger aujourd'hui parmi les juges, et
convaincre Cléon de vol!
BDÉLYCLÉON. — Au nom des dieux, mon père, cède à mes instances.
PHILOCLÉON, — Que veux-tu de moi? Demande-moi tout, hors une seule chose (125).
BDÉLYCLÉON. — Laquelle ? dis.
PHILOCLÉON. Que je cesse de juger ! Avant que j'y consente, Pluton aura porté
ma sentence.
BDÉLYCLÉON. — Eh bien! si tu aimes tant à rendre la justice, tu n'as pas
besoin pour cela de sortir de chez toi (126) :
reste ici, et juge tes serviteurs.
PHILOCLÉON. — Et sur quoi ? tu badines!
BDÉLYCLÉON. — Tu feras tout comme au tribunal. Si ta servante ouvre la porte
clandestinement, tu décréteras contre elle une simple amende : c'est ainsi que
tu faisais au tribunal. Tout se passera désormais dans l'ordre convenable ; si
le soleil luit dès le matin, tu jugeras au soleil (127)
; s'il pleut ou s'il neige, tu instruiras l'affaire au coin de ton feu ; et s'il
t'arrive de te lever à midi, tu n'auras pas à craindre d'être exclu de
l'enceinte par le thesmothète (128).
PHILOCLÉON. — Cela me plaît assez.
BDÉLYCLÉON. — En outre, si l'orateur plaide longuement, tu n'auras pas à
souffrir de la faim, en te rongeant toi-même ainsi que l'avocat (129).
PHILOCLÉON— Comment donc pourrai-je bien posséder l'affaire comme j'ai fait
jusqu'ici, si je mange dans l'intervalle ?
BDÉLYCLÉON. — Bien mieux qu'à jeun. Ne dit-on pas que les juges, entourés
de faux témoins, ne découvrent à grand'peine la vérité qu'en ruminant?
PHILOCLÉON. — Tu me décides. Mais tu me dis pas encore qui me payera mes
honoraires.
BDÉLYCLÉON. — Moi.
PHILOCLÉON. — Bon, je suis bien aise d'être payé à part, et non avec les
autres. Car dernièrement ce bouffon de Lysistratos m'a friponné indignement :
il avait reçu une drachme pour nous deux ; il me mena au marché aux poissons
pour changer la pièce, et il me donna trois écailles de poisson, que je mis
aussitôt dans ma bouche, les prenant pour des oboles (130)
; la mauvaise odeur me les fit cracher à l'instant, et je le citai en justice.
BDÉLYCLÉON. — Eh bien, que dit-il à cela ?
PHILOCLÉON. — Ce qu'il dit ? Que j'avais un estomac de coq. « C'est ainsi
que tu digères l'argent ? » reprit-il en riant.
BDLYCLÉON. — Vois-tu le profit que tu feras ?
PHILOCLÉON. — Certes, il n'est pas mince ; mais exécute ton projet.
BDÉLYCLÉON. — Attends un moment, je vais tout apporter.
PHILOCLÉON. — Voyez pourtant comme les oracles s'accomplissent! J'avais
toujours ouï dire qu'un temps viendrait où chaque Athénien rendrait la
justice
dans sa maison, et se bâtirait dans son vestibule un petit tribunal, comme les
statues d'Hécate qu'on voit partout devant les portes.
BDÉLYCLÉON. — Voilà. Qu'auras-tu encore à dire? Je t'apporte tout ce que
je t'ai promis, et beaucoup plus encore. En cas de besoin, ce pot de chambre
sera suspendu près de toi à un clou.
PHILOCLÉON. — Excellente idée ! Tu as trouvé là pour un vieillard un bon
préservatif contre la rétention d'urine.
BDÉLYCLÉON. — Voici du feu, avec des lentilles dessus, si tu as besoin de
manger.
PHILOCLÉON. — Fort bien encore. Et quand même j'aurais la fièvre, je
toucherai toujours mon salaire. Je pourrai sans bouger manger mes lentilles.
Mais à quoi bon m'avez-vous apporté ce coq?
BDÉLYCLÉON. — Si tu viens à dormir pendant une plaidoirie, il te réveillera
par son chant.
PHILOCLÉON. — Tout cela me convient fort ; mais je voudrais encore une chose,
BDÉLYCLÉON. - Quoi ?
PHILOCLÉON. — Si l'on pouvait apporter ici la statue de Lycos ?
BDÉLYCLÉON. — La voilà devant toi ; c'est le héros lui-même.
PHILOCLÉON. — Héros, notre chef, que ton aspect est terrible ! Tel nous
apparaît Cléonyme.
SOSIE. — Il n'a donc pas d'armes non plus, tout héros qu'il est ?
BDÉLYCLÉON. — Si tu siégeais aussitôt, j'appellerais aussitôt une cause.
PHILOCLÉON. — Appelle ; il y a longtemps que je siège.
BDÉLYCLÉON. — Voyons, quelle cause appellerai-je d'abord? Quelqu'un de la
maison a-t-il fait une sottise?... La servante Thratta (131), ayant laissé brûler
dernièrement la marmite...
PHILOCLÉON. — Holà ! arrête : tu me feras mourir ! Tu veux appeler une
cause avant d'avoir posé une balustrade, ce qui est pour nous la première
chose à voir dans les sacrifices (132).
BDÉLYCLÉON. — Vraiment il n'y en a pas : mais je cours en chercher. Ce que
c'est pourtant ! combien l'habitude des lieux a de puissance!
XANTHIAS. — Peste soit de l'animal ! Peut-on garder un pareil chien ?
BDÉLYCLÉON. — Qu'y a-t-il donc ?
XANTHIAS. — Ne voilà-t-il pas Labès, votre chien, qui tout à l'heure vient
d'entrer dans la cuisine, et de manger un fromage de Sicile (133) ?
BDÉLYCLÉON. — Bon! voilà le premier délit à déférer devant mon père.
Toi, porte l'accusation.
XANTHIAS. — Non pas moi ; mais un autre chien sera l'accusateur, si l'on
permet d'informer.
BDÉLYCLÉON. — Eh bien ! amène-les tous deux.
XANTHIAS. — C'est ce que je vais faire.
PHILOCLÉON. — Qu'apportes-tu là ?
BDÉLYCLÉON. — Le panier d'osier où l'on engraisse les cochons destinés aux
sacrifices domestiques (134).
PHILOCLÉON. — Tu oses y porter une main sacrilège ?
BDÉLYCLÉON. — Non ; mais je sacrifierai, en commençant par les dieux Lares
(135).
PHILOCLÉON. — Appelle vite la cause ; je vois déjà la peine encourue.
BDÉLYCLÉON. — Attends ; je t'apporte les tablettes et le stylet.
PHILOCLÉON. — Hélas! tu m'assommes, tu me tue-ras avec tous ces délais ; je
me serais contenté de tracer les lignes sur le sable.
BDÉLYCLÉON. — Voici.
PHILOCLÉON. — Appelle maintenant la cause.
BDÉLYCLÉON. — J'y suis.
PHILOCLÉON. — Quel est d'abord celui-ci ?
BDÉLYCLÉON. — Peste soit de moi! j'ai oublié les urnes aux suffrages.
PHILOCLÉON, — Eh bien ! où cours-tu ?
BDÉLYCLÉON. — Chercher les urnes.
PHILOCLÉON. — C'est inutile; ces vases en tiendront lieu.
BDÉLYCLÉON. — Fort bien. Rien ne nous manque... hors la clepsydre.
PHILOCLÉON. — Et ce pot (136), n'est-ce pas une clepsydre ?
BDÉLYCLÉON. — Tu as d'heureuses inventions pour observer nos usages. Mais
vite! que l'on apporte du feu, des branches de myrte et de l'encens, afin que
d'abord nous invoquions les dieux,
LE CHOEUR. — Et nous, pendant les libations et les prières, nous ferons des
voeux pour vous, et célébrerons la noble réconciliation qui a suivi vos débats
et vos querelles.
BDÉLYCLÉON. — Faites donc d'abord un religieux silence.
LE CHOEUR. O Phébus ! ô Apollon Pythien ! fais que cette affaire, instruite
par ce juge devant sa porte, ait un heureux succès pour nous, délivrés que
nous sommes de nos erreurs ! Io Péan!
BDÉLYCLÉON. — Dieu notre maître, ô toi qui présides à l'entrée de ma
demeure (137), reçois ces nouveaux sacrifices que nous t'offrons pour la première
fois en faveur de mon père ! adoucis son humeur âpre et austère ; répands
sur son coeur irascible quelques gouttes de miel (138), afin que désormais il
soit clément pour les hommes, et que, plus compatissant à l'accusé qu'à
l'accusateur, il se montre sensible aux larmes de ceux qui l'implorent ; que,
corrigeant son caractère farouche, il perde enfin toute aigreur (139).
LE CHOEUR. — Unis de coeur aux sentiments que tu viens d'exprimer, nous
joignons nos voeux aux tiens dans cette nouvelle charge que tu exerces ; car tu
nous es devenu cher depuis que nous te voyons plus zélé pour le peuple
qu'aucun de ceux qui sont plus jeunes que toi.
BDÉLYCLÉON. — Si quelque juge est dehors, qu'il entre ; car, une fois les
plaidoiries commencées, on ne sera plus admis (140).
PHILOCLÉON. — Quel est cet accusé ? Quelle condamnation il va encourir !
BDÉLYCLÉON, accusateur. — Ecoutez maintenant l'acte d'accusation. Le chien
cydathénéen (141) accuse Labès d'Aexone d'avoir seul, et contre toute
justice, dévoré un fromage de Sicile. Que la peine soit un carcan (142) de
figuier.
PHILOCLÉON. — Ou plutôt une mort de chien (143), s'il est convaincu.
BDÉLYCLÉON. — Voici devant vous Labès l'accusé.
PHILOCLÉON. — O le scélérat ! il a bien la mine d'un voleur. Il se flatte
de me tromper, en serrant les dents.
BDÉLYCLÉON. — Où est le plaignant, le chien cydathénéen ?
LE CHIEN. — Hau ! hau !
BDÉLYCLÉON. — Le voici.
PHILOCLÉON. — Celui-là est un autre Labès, bon aboyeur et lécheur de
marmites.
SOSIE, en héraut. — Silence! assis! Toi, monte à la tribune, et motive
l'accusation.
PHILOCLÉON. — Pendant ce temps-là, je vais manger mon plat de lentilles.
XANTHIAS, accusateur. — O juges! vous avez entendu ma plainte écrite contre
cet accusé. Il a commis envers moi et toute la gent nautonière un attentat
indigne : il s'est retiré dans son coin, et il a dérobé un énorme fromage de
Sicile, dont il s'est repu dans les ténèbres (144)...
PHILOCLÉON. — Par Jupiter! il est suffisamment convaincu ; le coquin vient de
me lâcher un rot au fromage, d'une odeur révoltante. XANTHIAS. — Et il a
refusé de m'en faire part (145). Or, qui voudra vous rendre service, si l'on ne
me jette rien à moi, votre chien fidèle ?
PHILOCLÉON. — Il ne lui en a rien donné ?
XANTHIAS. — Rien ; à moi, son camarade!
PHILOCLÉON. — Voilà un gaillard qui n'est pas moins bouillant que ces
lentilles (146).
BDÉLYCLÉON. — Au nom des dieux, mon père, ne prononce pas avant de les
avoir entendus tous les deux!
PHILOCLÉON. — Mais, mon cher, la chose est claire ; elle parle d'elle-même.
XANTHIAS. — Gardez-vous bien de l'absoudre! c'est de tous les chiens le plus
glouton et le plus égoïste ; il parcourt en un clin d'oeil tous les coins
d'une casserole, et dévore toute la croûte (147).
PHILOCLÉON. — Je n'ai pas même de quoi boucher les fentes de ma cruche.
XANTHIAS. — Châtiez-le donc ; car une seule cuisine ne pourrait nourrir deux
voleurs. Je ne veux pas aboyer le ventre vide ; autrement, je n'aboierai plus.
PHILOCLÉON. — Oh ! oh ! de quelles scélératesses on l'accuse! voilà un
fier fripon. Qu'en penses-tu, mon coq? Par ma foi, il dit que oui. Thesmothète!
où est-il donc ? Qu'il me donne le pot de chambre.
BDÉLYCLÉON. — Prends-le toi-même, je suis occupé à citer les témoins.
Que les témoins à charge contre Labès paraissent : un plat, un pilon, une
racloire à fromage, un gril, une marmite et autres ustensiles de cuisine.
Est-ce que tu pisses encore ? tu n'as pas fini ?
PHILOCLÉON. — Pas encore ; mais celui-là, je pense qu'il fera quelque chose
de pis aujourd'hui...
BDÉLYCLÉON, au chien accusateur. — Seras-tu donc toujours si sévère et si
intraitable envers les accusés ? Pourquoi mordre toujours ? (A l'accusé.)
Monte à la tribune. Défends-toi. D'où vient ce silence ? Parle.
PHILOCLÉON. — Il paraît qu'il n'a rien à dire.
BDÉLYCLÉON. — Tu te trompes ; mais il lui arrive ce qui arriva autrefois à
Thucydide (148) accusé : la surprise lui ferma tout à coup la bouche.
Retire-toi, je prendrai sa défense. C'est une tâche difficile, magistrats, de
faire l'apologie d'un chien si calomnié ; je parlerai néanmoins. Ce chien est
brave, il chasse les loups.
PHILOCLÉON. — C'est un voleur et un conspirateur.
BDÉLYCLÉON. — Non, par Jupiter ! Il n'y a pas au monde un meilleur chien ;
il serait capable de commander un grand troupeau de moutons.
PHILOCLÉON. — A quoi bon, s'il mange le fromage ?
BDÉLYCLÉON. - Mais il se bat pour sa défense ; il garde la porte, et il a
d'ailleurs toutes les qualités : s'il a fait quelque larcin, il faut lui
pardonner. Il n'est pas, je l'avoue, grand joueur de cithare (149).
PHILOCLÉON. — Je voudrais qu'il ne sût pas même lire : il n'eût pas fait
l'apologie de son crime.
BDÉLYCLIlON. — O juge équitable, écoute mes témoins! Approche, petit
couteau, et parle à haute voix. Tu étais alors préposé aux distributions (150) ; réponds clairement : n'as-tu pas coupé les parts qui devaient être
distribuées aux soldats ?... Il affirme l'avoir fait.
PHILOCLÉON. — Par Jupiter ! il ment.
BDÉLYCLÉON. — Juge compatissant, aie pitié de l'in-fortune! Ce pauvre Labès
ne vit que de têtes de poisson et d'arêtes ; il ne reste jamais en place. Cet
autre (151) n'est ben qu'à garder le logis. Il a bien ses raisons : on
n'apporte rien céans, qu'il n'en demande sa part ; et, si on la lui refuse, il
mord.
PHILOCLÉON. — Ouf! d'où vient que je me sens pris de compassion ? qu'est-ce
qui m'arrive là? Me voilà tout ému!
BDÉLYCLÉON. — Ah ! mon père, je t'en conjure. Ayez pitié (152) de lui. Ne
le sacrifiez point... Où sont les enfants ? Venez... famille désolée (153) ;
faites entendre vos cris, vos prières, vos larmes.
PHILOCLÉON. — Descends, descends, descends, descends (154).
BDÉLYCLÉON. — Je descendrai ; cette invitation a souvent été trompeuse ;
je descendrai pourtant.
PHILOCLÉON. — Va te faire pendre! Faut-il que j'aie avalé ces lentilles brûlantes!
Voilà que j'ai pleuré, chose qui, à mon sens, ne me serait jamais arrivée,
si je n'eusse mangé ces lentilles.
BDÉLYCLÉON. — Ne lui feras-tu pas grâce ?
PHILOCLÉON. — C'est difficile à savoir.
BDÉLYCLÉON. — O père chéri, prends des sentiments plus humains! Reçois ce
suffrage, passe du côté de la seconde urne (155), en fermant un peu les yeux ;
et qu'il soit absous, mon père !
PHILOCLÉON. — Impossible; je ne sais pas jouer de la cithare (156).
BDÉLYCLÉON. — Viens, je t'y aurai bientôt conduit.
PHILOCLÉON. — Est-ce là la première urne?
BDÉLYCLÉON. — Oui, c'est la première.
PHILOCLÉON. — J'y jette mon suffrage.
BDÉLYCLÉON. — Il est attrapé, il vient d'absoudre sans le vouloir.
PHILOCLÉON. — Attends, que je verse les suffrages. Voyons le résultat.
BDÉLYCLÉON. — Tu vas le voir, Labès, tu es absous ! Mon père, mon père,
qu'as-tu donc? Ah dieux ! vite de l'eau! Reviens à toi.
PHILOCLÉON. — Dis-moi, est-il vraiment absous?
BDÉLYCLÉON. — Sans doute.
PHILOCLÉON. — C'est fait de moi.
BDÉLYCLÉON. — Ne t'afflige pas, mon père, reprends courage.
PHILOCLÉON. — Comment supporterai-je l'idée d'avoir absous un accusé? que
vais-je devenir? O dieux révérés, pardonnez-moi! je l'ai fait sans le
vouloir, ce n'est pas mon habitude.
BDÉLYCLÉON. — Calme ta douleur. Je veux, mon père, te donner une existence
agréable : je t'emmènerai avec moi aux festins, aux banquets, aux spectacles ;
tu passeras la vie la plus heureuse ; et Hyperboles ne se jouera plus de toi.
Mais entrons.
PHILOCLÉON, — Fais donc ce que tu voudras.
LE CHOEUR. — Allez où la joie vous appelle. Vous cependant, innombrables
spectateurs, gardez-vous de laisser tomber à terre les sages avis que l'on va
vous donner : une telle faute conviendrait à des ignorants, et non à vous.
Parabase
Maintenant, ô peuples, prêtez-nous votre attention, si vous aimez un langage
sincère. Le poète désire à présent vous adresser quelques reproches. Il prétend
avoir à se plaindre de vous, lui qui fut souvent le premier à vous être agréable,
d'abord sans se nommer, mais aidant secrètement d'autres poètes (157) ; et,
imitant les procédés prophétiques d'Euryclès (158), il empruntait des
organes étrangers pour faire entendre ses comédies. Bientôt, affrontant lui-même
le péril en face, il prit en main les rênes, et, sans secours étranger, guida
sa propre muse dans la carrière. Environné de gloire et d'honneurs tels que
nul autre n'en reçut jamais, il ne croit pas avoir atteint le comble de la
perfection, et n'a pas conçu pour cela plus d'orgueil ; jamais il ne parcourut
les palestres pour y corrompre la jeunesse (159) ; et si quelque amant accourait
se plaindre à lui du ridicule que la comédie jetait sur l'objet de ses amours,
il ne se rendit jamais à ses instances, dans la louable résolution de ne pas
faire jouer aux muses qui l'inspirent le rôle d'entre-metteuses. La première
fois qu'il parut sur le théâtre (160), ce ne sont pas des hommes qu'il eut à
combattre, il dut s'armer de la force d'Hercule contre des monstres
redoutables. Il osa dès l'abord assaillir ce Cerbère aux dents aiguës, dont
les regards terribles lançaient la flamme comme ceux de Cynna (161), et dont
le front était léché à l'envi par les langues per-verses de cent flatteurs
en cercle autour de lui ; il avait la voix d'un torrent destructeur, l'odeur
d'un phoque, les cuisses hideuses d'une Lamie, et le derrière d'un chameau. A
la vue de ce monstre, la crainte ne lui arracha pas de présents pour l'apaiser
cependant, aujourd'hui encore, il combat pour vous et il dit qu'après lui,
l'année dernière, il attaqua en outre d'autres fléaux, d'autres vampires (162), qui, la nuit, étranglaient leurs pères et étouffaient leurs grands-pères
: assis à la couche des citoyens inoffensifs (163), ils les persécutaient, les
accablaient de procès, d'assignations et de chicanes ; aussi les vit-on, dans
leur effroi, courir en foule implorer le polémarque (164). Après avoir trouvé
un tel défenseur, un sauveur de ce pays, vous l'avez abandonné l'année dernière
(165), lorsqu'il semait les pensées les plus neuves, auxquelles, faute de bien
les comprendre, vous n'avez pas permis de prendre leur croissance cependant, au
milieu des libations, il atteste souvent Bacchus que jamais on n'entendit de
meilleurs vers comiques. C'est une honte pour vous de n'en avoir pas aussitôt
compris le mérite ; mais le poète n'en est pas moins estimé des sages, si,
devançant ses rivaux, il a vu briser ses espérances.
A l'avenir, chers Athéniens, aimez et honorez mieux les poètes qui chercheront
des idées et des inventions nouvelles ; conservez leurs pensées,
recueillez-les précieusement, comme des fruits dans vos armoires. Si vous avez
ce soin, vos vêtements exhaleront toute l'année un parfum de sagesse.
O nous, autrefois si vaillants à la danse, si vaillants au combat, et plus
vaillants encore par cet autre endroit (166), ces beaux jours sont passés!,
Maintenant la blancheur de nos cheveux surpasse celle du cygne ; mais ces restes
retrouveront encore la vigueur du jeune âge ; ma vieillesse, je crois, vaut
mieux que les parures, l'air efféminé et la débauche de bien des jeunes gens.
Si quelqu'un de vous, spectateurs, à l'aspect de mon costume, s'étonne de me
voir avec le grêle cor-sage d'une guêpe, et demande ce que signifie cet
aiguillon, je lui expliquerai la chose et dissiperai son ignorance (167). Nous,
que vous voyez ainsi armés par derrière, nous sommes la gent attique, seule
noble et vraiment autochtone ; race vaillante, qui rendit de si grands services
à la république dans les combats, quand vint le barbare, couvrant de fumée et
incendiant tout le pays, dans l'espoir de nous ravir nos ruches. Aussitôt nous
accourûmes avec la lance et le bouclier pour le combattre (168), enivrés d'une
âpre colère, homme contre homme, les lèvres serrées de fureur ; la grêle
des traits dérobait la vue du ciel (169). Cependant nous les mîmes en déroute
vers le soir, avec l'aide des dieux. Avant le combat, une chouette avait passé
au-dessus de notre armée (170). Puis, nous les poursuivîmes en les harponnant
comme des thons (171) ; et ils fuyaient, les flancs et le visage tout percés de
nos aiguillons. Aussi, encore aujourd'hui, les barbares ne connaissent rien de
plus redoutable que la guêpe attique.
Terrible était alors mon courage, nulle crainte ne m'arrêtait ; montés sur
nos trirèmes, nous exterminâmes nos ennemis. Nous pensions alors, non à
tourner artistement un discours ou à calomnier autrui, mais à qui serait le
meilleur rameur. Aussi nous enlevâmes aux Mèdes nombre de villes (172). C'est
donc surtout à notre valeur que sont dus ces tributs que dilapident les jeunes
gens (173).
Examinez-nous avec soin, vous trouverez en nous une entière ressemblance avec
les guêpes, pour le caractère et la manière de vivre. D'abord nul animal
n'est plus colère et plus terrible quand on l'irrite ; ensuite toutes nos
occupations rappellent celles des guêpes. Nous formons comme elles divers
essaims qui se dispersent en différentes ruches ; ceux-ci vont juger chez
l'archonte, ceux-là chez les Onze (174), d'autres à l'Odéon
(175) :
quelques-uns, serrés contre les murs, la tête baissée vers la terre, remuant
à peine, ressemblent à des chenilles dans leurs alvéoles (176). Notre
industrie fournit abondamment à tous les besoins de la vie ; en piquant avec
nos aiguillons, nous gagnons de quoi vivre. Mais nous avons parmi nous des
frelons paresseux, dépourvus de cette arme, qui, sans partager nos peines, en dévorent
les fruits. C'est pour nous une chose intolérable de nous voir ravir notre
salaire par celui qui ne va jamais au combat, et qui jamais ne gagna d'ampoules
à manier une lance ou la rame pour la défense de son pays. En un mot, mon avis
est qu'à l'avenir, quiconque n'aura point d'aiguillon ne touche pas le
triobole.
PHILOCLÉON. — Non, jamais de ma vie je ne quitterai ce manteau, qui seul me
sauva dans cette bataille où Borée déchaîna sa fureur (177).
BDÉLYCLÉON. — Tu parais peu curieux de ce qui est bon.
PHILOCLÉON. — Par Jupiter! de beaux vêtements me servent fort peu. Dernièrement,
je mangeais des goujons frits avec de la saumure ; il me fallut ensuite donner
au foulon trois oboles (178).
BDÉLYCLÉON. Essaye au moins de la vie que je te propose, puisque tu t'es confié
à moi pour te bien traiter.
PHILOCLÉON. — Que veux-tu donc que je fasse ?
BDÉLYCLÉoN. — Laisse ce manteau grossier, et mets à la place ce manteau
plus fin.
PHILOCLÉON. — Faites donc des enfants, et élevez-les ! Le mien ne veut-il
pas m'étouffer ?
BDÉLYCLÉON. — Va, prends, et ne dis mot.
PHILOCLÉON. — Au nom des dieux, qu'est-ce que cela ?
BDÉLYCLÉON. — Les uns l'appellent une Perside, les autres une gaunacé (179).
PHILOCLÉON. — Je le prenais pour une sisyra thymétide (180).
BDÉLYCLÉON. — Ce n'est pas étonnant, tu n'es jamais allé à Sardes.
Autrement tu connaîtrais cela, au lieu que tu ne le connais pas.
PHILOCLÉON. — Moi ? Du tout. Cela ressemble assez à la houppelande de
Morychos (181).
BDÉLYCLÉON. — Nullement ; cela se tisse à Ecbatane.
PHILOCLÉON. -- Est-ce qu'à Ecbatane on fait des intestins de laine (182) ?
BDÉLYCLÉON. — Comment cela, mon cher Mais, chez les barbares, cette étoffe
se tisse à grands frais ; cette robe a mangé pour un talent de laine.
PHILOCLÉON. — Il serait donc plus juste de l'appeler mange-laine que gaunacé.
BDÉLYCLÉON. — Allons, tiens-toi, et endosse-la.
PHILOCLÉON. — Ouf! quelle chaleur étouffante celte maudite robe m'envoie!
BDÉLYCLÉON. — Ne veux-tu pas la mettre ?
PHILOCLÉON. — Non, certes ; mettez-moi plutôt dans un four.
BDÉLYCLÉON. — Allons, je te le passerai moi-même ; approche donc!
PHILOCLÉON. — Prends donc au moins ce croc.
BDÉLYCLÉON. — Pourquoi
PHILOCLÉON. — Pour me retirer avant que je sois fondu en eau.
BDÉLYCLÉON. — Ôte ces maudits souliers, et mets vite cette chaussure lacédémonienne.
PHILOCLÉON. — Moi! je souffrirais à mes pieds une chaussure faite par nos
ennemis!
BDÉLYCLÉON. — Entre dedans (183), et appuie ferme.
PHILOCLÉON. — Cela n'est pas bien ; tu me forces à mettre le pied en pays
ennemi.
BDÉLYCLÉON. — Allons, l'autre pied.
PHILOCLÉON. — Celui-là, c'est impossible ; un des doigts de ce pied déteste
Lacédémone.
BDÉLYCLÉON. — Il ne peut en être autrement.
PHILOCLÉON. — Je suis malheureux de n'avoir pas d'engelures dans ma
vieillesse.
BDÉLYCLÉON. — Mets vite ; puis imite la démarche des riches et leur allure
efféminée.
PHILOCLÉON. — Tiens, regarde ma tournure, et dis-moi à quel riche je
ressemble en marchant ?
BDÉLYCLÉON. — A qui? A un bouton enflammé et frotté d'ail (184).
PHILOCLÉON. — Vraiment, je voudrais déjà frétiller des fesses.
BDÉLYCLÉON. — Voyons, saurais-tu tenir une conversation grave, dans une société
d'hommes instruits et bien élevés ?
PHILOCLÉON. — Certainement.
BDÉLYCLÉON. — De quoi parlerais-tu ?
PHILOCLÉON. — De bien des choses. Je dirais d'abord comment Lamia surprise (185)... puis comment Cardopion saisissant sa mère...
BDÉLYCLÉON. — Laisse là les fables, et parle-nous des choses ordinaires de
la vie, de ce qui fait le sujet de nos entretiens domestiques.
PHILOCLÉ.ÉON. — J'en sais aussi du genre domestique : « Il y avait une fois
une souris et un chat... »
BDÉLYCLÉON. — « Être sot et grossier », comme dit Théogène au vidangeur
en lui faisant des reproches, que parles-tu de souris et de chats à des hommes
?
PHILOCLÉON. — De quoi faut-il donc que je parle ?
BDÉLYCLÉON. — De personnages illustres ; de la députation dont tu fis
partie (186) avec Androclès et Clisthène.
PHILOCLÉON. — Moi ? jamais je n'allai en députation, si ce n'est à Paros ;
et je fus payé sur le pied de deux oboles.
BDÉLYCLÉON. — Eh bien! raconte au moins comment Ephudion combattit
glorieusement au pancrace avec Ascondas ; quoique vieux et blanchi par les ans,
il avait néanmoins des reins, des poignets, des flancs, et une forte cuirasse (187).
PHILOCLÉON. -Arrête, arrête ; tu ne sais ce que tu dis : comment aurait-il
combattu au pancrace avec une cuirasse (188) ?
BDÉLYCLÉON. — C'est ainsi que conversent les sages. Mais dis-moi autre chose
: si tu étais dans un festin avec des étrangers, quel est, parmi les beaux
faits de ta jeunesse, celui, que tu aimerais à leur raconter ?
PHILOCLÉON. — Le plus beau, oui, le plus heau de mes exploits est sans
contredit d'avoir dérobé les échalas d'Ergasion (189).
BDÉLYCLÉON. — Tu m'assommes : où vas-tu parler d'échalas? Conte plutôt
que tu poursuivis un sanglier, un lièvre, que tu courus sans laisser éteindre
ta torche (190) ; imagine quelque trait de courage juvénile.
PHILOCLÉON. — En voici un des plus hardis : encore enfant, je poursuivis le
coureur Phyllos pour injures, et je gagnai sur lui de deux voix.
BDÉLYCLÉON. — Cesse ; mets-toi plutôt sur ce lit, afin d'apprendre ce qu'il
faut faire pour être bon convive et bonne compagnie.
PHILOCLÉON. — Comment faut-il se tenir ? Dis-moi vite.
BDÉLYCLÉON. — Avec bonne grâce.
PHILOCLÉON. — Comme cela ?
BDÉLYCLÉON. — Nullement.
PHILOCLÉON. — Comment donc?
BDÉLYCLÉON. — Allonge les jambes, et, comme un athlète habile, étends-toi
mollement sur les couvertures ; ensuite, fais l'éloge des vases d'airain,
contemple les lambris, admire les toiles tendues sur la cour (191) ; voilà de
l'eau pour les mains ; on apporte les tables ; nous nous mettons à manger :
essuyons-nous ; faisons les libations (192).
PHILOCLÉON.
— Par les dieux! est-ce en rêve que nous soupons?
BDÉLYCLÉON. — La joueuse de flûte s'est fait entendre. Les convives sont Théoros,
Eschine, Phanos, Cléon, Acestor, et un autre étranger à côté d'Acestor. Tu
es du nombre ; fais en sorte de répondre comme il faut à leurs chansons (193).
PHILOCLÉON. — En vérité, j'y répondrai mieux qu'aucun habitant de la
montagne (194).
BDÉLYCLÉON. — Je vais voir. Je suis Cléon ; le premier j'entonne Harmodios
(195), tu reprendras après moi. « On ne vit jamais dans Athènes... »
PHILOCLÉON. — « Un homme si fourbe et si voleur. »
BDÉLYCLÉON. — C'est là ce que tu répondras ? Tu ne tiendras pas contre ses
cris : il menacera de te perdre, de te ruiner, de te chasser du pays.
PHILOCLÉON. — Et moi, s'il menace, je lui chanterai cette autre : « Holà!
l'homme avide de domination, veux-tu bouleverser encore l'État ? il penche déjà
vers sa ruine (196). »
BDÉLYCLÉON. — Et lorsque Théoros, couché à tes pieds, chantera, en tenant
la main de Cléon : « Ami, tu connais l'histoire d'Amète ; aime donc les
braves ; » par quelle chanson lui répliqueras-tu
PHILOCLÉON, — Je lui répondrai sur ce ton : « Je ne « saurais avoir la
duplicité du renard (197), ni être à la fois ami des deux parties. »
BDÉLYCLÉON. — Après lui, Eschine, fils de Sellos, homme sage et habile
musicien, reprendra, et il chantera : « Biens et richesse pour Clitagora (198)
et pour moi, avec les Thessaliens (199)... »
PHILOCLÉON. — « Tu en as dépensé bien d'autres, ainsi que moi (200). »
BDÉLYCLÉON. — Là-dessus tu en sais tout autant qu'il en faut ; mais il est
temps que nous allions souper chez Philoctémon. Enfant ! enfant ! Chrysos !
mets le repas dans la corbeille (201) ; nous voulons nous enivrer un peu.
PHILOCLÉON. — Non, non, il est dangereux de boire quand on a bu, on brise les
portes ; puis viennent les pierres, les coups de bâton ; et quand on a cuvé
son vin, il faut payer ses sottises.
BDÉLYCLÉON. — Non pas, si tu fréquentes d'honnêtes gens. Ils vous excusent
auprès de l'offensé, ou vous-même vous dites quelque bon mot, quelque conte
ésopien ou sybaritique, que vous avez appris à table vous tournez la chose en
plaisanterie, et il vous laisse aller.
PHILOCLÉON. — Il faut donc que j'apprenne bon nombre de contes, puisque c'est
le moyen de ne pas être puni si je fais quelque mal. Allons, partons ; que rien
ne nous retienne.
LE CHOEUR. — Je crois avoir souvent montré du savoir-vivre, et jamais de
grossièreté ; mais il en est bien autrement d'Amynias (202), fils de Sellos,
de la race de Crobylos, que j'ai vu autrefois manger à la table de Léogoras (203), et apporter pour écot une pomme et une grenade ; car il est aussi affamé
qu'Antiphon (204) ; il est allé en députation à Pharsale mais là, seul, il
ne communiquait qu'avec les Pénestes (205) thessaliens, lui-même plus misérable
que tous les autres.
O fortuné Automénès, nous envions ton bonheur ! Tu as pour enfants les plus
habiles artistes. Le premier, homme habile et chéri de tout le inonde, excelle
sur la cithare, et la grâce l'accompagne ; le second est comédien, et l'on ne
saurait dire à quel point il réussit dans son art ; puis vient Ariphradès, le
plus étonnant de tous : son père jurait qu'il n'eut jamais de maître, et que
la nature seule lui enseigna les turpitudes auxquelles il se livre dans les
mauvais lieux qu'il fréquente chaque jour... (Lacune.)
Quelques-uns ont dit que je m'étais réconcilié avec Cléon, lorsqu'il
s'acharnait à me persécuter et m'accablait d'outrages : pendant que j'étais
si indignement maltraité, les spectateurs riaient de mes cris, sans s'inquiéter
de moi, mais seulement pour voir si, dans ma détresse, je lâcherais quelque
trait mordant. Je m'en aperçus, et je fis alors quelques singeries doucereuses.
Et voilà qu'aujourd'hui l'échalas manque à la vigne (206).
XANTHIAS. — O tortues trois fois heureuses, que je vous envie la dure
enveloppe qui recouvre vos flancs! Avec quelle sage prévoyance vous avez garni
votre dos d'une écaille impénétrable ! mais le mien est sillonné de coups de
bâton.
LE CHOEUR. — Qu'y a-t-il, enfant ? car un vieillard même mérite ce nom quand
il se laisse battre.
XANTHIAS. — Il y a que notre vieillard est devenu pire que la peste, et le
plus dévergondé des convives. Quoiqu'il y eût avec lui Hippyllos, Antiphon,
Lycon, Lysistratos, Théophraste, Phrynichos (207), il les a tous surpassés en
effronterie. Une fois qu'il se fut rempli de bons morceaux, il se mit à danser,
à sauter, à rire, à péter comme un âne gorgé d'orge, à me rosser
vigoureusement, criant : « Garçon ! garçon ! » Lysistratos, le voyant dans
cet état, l'apostropha en ces termes : « Vieillard, tu ressembles à un gueux
enrichi, ou à un âne qui court à l'écurie. — Et toi, reprit l'autre en
criant, tu ressembles à une sauterelle transie de froid (208), ou à Sthénélos
(209) dépouillé de sa garde-robe. » Tous d'applaudir, à l'exception d'un
seul, Théophraste, qui se mordait les lèvres, en homme de bon ton. Le
vieillard alors s'adresse à lui : « Dis-moi, pourquoi es-tu si fier et fais-tu
le suffisant, toi qui passes ta vie à amuser les riches par tes bouffonneries ?
» C'est ainsi qu'il distribuait à chacun son paquet, avec des plaisanteries
grossières, débitant les propos les plus saugrenus et les plus impertinents.
Il rentre enfin à la maison dans un état d'ivresse complète, et frappant tous
ceux qu'il rencontrait. Mais le voici qui s'avance d'un pas chancelant ; je me
sauve pour éviter ses coups.
PHILOCLÉON, — (Il est suivi des gens qu'il a maltraités, et il amène avec
lui une joueuse de flûte,) — Qu'on me laisse, qu'on se retire. Je ferai un
mauvais parti à quelques-uns de ceux qui m'escortent. Eh bien ! partirez-vous,
marauds ? ou je vous grille avec cette torche.
BDÉLYCLÉON. — Demain, sois-en sûr, tu nous payeras tout cela, malgré ton
impudence de jeune fat. Nous viendrons en foule t'assigner.
PHILOCLÉON. — Oh! oh! m'assigner! Ce n'est plus de mode. Savez-vous que je ne
puis plus même en-tendre le mot de procès ? Non, non ; j'ai d'autres
passe-temps ; jetez les urnes. Partirez-vous enfin ? Où est le juge? Qu'il
aille se pendre. (A la courtisane.) Monte ici, mon joli petit hanneton d'or, en
serrant cette corde (210) dans ta main. Prends, mais avec précaution ; car la
corde est usée : cependant elle se laisse encore manier. Tu vois comme je t'ai
soustraite avec adresse aux sales caprices (211) des convives. En
reconnaissance, tu devrais avoir un peu de complaisance pour moi. Mais tu ne le
feras pas ; tu n'essayeras pas même, je le sais ; tu te moqueras de moi, tu me
riras au nez, comme tu as fait à tant d'autres. Si cependant tu voulais n'être
plus méchante, aussitôt après la mort de mon fils je te rachèterais et te
prendrais pour concubine, mon petit bijou. Maintenant je ne puis disposer de mes
biens ; je suis jeune, et on m'observe avec soin ; mon très cher fils ne me
perd pas de vue ; c'est un être grondeur, ladre, et d'une avarice sordide (212)
; il s'inquiète à mon sujet et craint de me perdre, car je suis son père
unique. Mais le voici : c'est vers toi et vers moi qu'il semble courir. Toi,
fais bonne contenance et prends ces torches, je lui ferai de ces tours de jeune
homme qu'il me jouait avant que je fusse initié.
BDÉLYCLÉON. — Oh! oh ! vieux fou, vieux libertin, il paraît que tu aimes
les jolis cercueils ; mais, par Apollon ! tu ne feras pas tout cela impunément.
PHILOCLÉON. — Tu voudrais bien te régaler d'un procès à la sauce piquante.
BDÉLYCLÉON. — N'est-il pas indigne de faire pareils tours, et d'enlever aux
convives leur joueuse de flûte ?
PHILOCLÉON. — Quelle joueuse de flûte? Perds-tu l'esprit, ou sors-tu du
tombeau ?
BDÉLYCLÉON. — Par Jupiter! c'est cette Dardanienne (213) que tu as avec toi.
PHILOCLÉON. — Non! c'est une torche qui brûle sur la place publique en
l'honneur des dieux (214).
BDÉLYCLÉON. — Celle-ci, une torche (215) ?
PHILOCLÉON. — Oui, une torche. Ne vois-tu pas qu'elle est de différentes
couleurs?
BDÉLYCLÉON. - Qu'est-ce que j'aperçois de noir dans le milieu ?
PHILOCLÉON. — C'est la paix qu'elle laisse couler en brûlant.
BDÉLYCLÉON. — Et de l'autre côté? N'est-ce pas là un derrière ?
PHILOCLÉON, — C'est l'autre branche de la torche.
BDÉLYCLÉON. — Que dis-tu là ? Quelle branche? Allons, viens ici...
PHILOCLÉON. — Oh! oh ! que prétends-tu faire ?
BDÉLYCLÉON. — Te l'enlever et l'emmener; tu es trop usé, tu ne peux plus
rien faire.
PHILOCLÉON. — Écoute-moi un instant. J'assistais aux jeux olympiques, quand
Éphudion (216) combattit glorieusement contre Ascondas ; il était vieux, et
pourtant d'un coup de poing il renversa le jeune homme. Ainsi, prends garde
d'avoir quelque oeil poché.
BDÉLYCLÉON. — Par Jupiter! tu connais bien Olympie.
UNE BOULANGÈRE, — Au nom des dieux, je t'en prie, viens à mon secours. Cet
homme m'a ruinée en me pourchassant avec sa torche ; il m'a renversé dix pains
d'une obole, et quatre autres par-dessus le marché.
BDÉLYCLÉON. — Vois-tu ce que tu as fait là ? Voilà encore des affaires et
des procès que va nous attirer ton ivrognerie.
PHILOCLÉON. — Du tout ; de jolis contes arrangeront l'affaire (217), et je
saurai bien me raccommoder avec elle.
LA BOULANGÈRE. — Par les deux Déesses (218), tu ne te seras pas joué impunément
de Myrtia, fille d'Ancylion et de Sostrata, toi, après avoir ainsi gâté ma
marchandise.
PHILOCLÉON. — Écoute, femme ; je veux te raconter une charmante histoire.
LA BOULANGÈRE. — Je ne veux rien entendre de toi, vieux fou !
PHILOCLÉON. — Un soir, Ésope, revenant de souper, se voyait poursuivi par
les aboiements d'une chienne ivre et effrontée : « Chienne, lui dit-il, si tu
échangeais ta méchante langue contre un morceau de pain, tu me paraîtrais
plus sensée. »
LA BOULANGÈRE. — Ah! tu te moques encore de moi! Eh bien ! qui que tu sois,
je t'assigne devant les agoranomes (219), en réparation du dommage que tu m'as
fait ; j'ai pour témoin Chéréphon (220) que voici.
PHILOCLÉON. — Mais au moins, écoute-moi ; je puis avoir quelque chose de bon
à te dire. Lasos et Simonide faisaient un jour assaut de talent ; Lasos dit
alors : « Peu m'importe (221) ! »
LA BOULANGÈRE. — Vraiment! comment cela ?
PHILOCLÉON. — Et toi, Chéréphon, tu vas donc témoigner pour une femme au
teint de buis (222), pour Ino (223), se précipitant d'un rocher aux pieds
d'Euripide ?
BDÉLYCLÉON. — En voici un autre qui paraît venir t'assigner ; il a un témoin
avec lui.
UN ACCUSATEUR. — Malheureux que je suis !... Vieil-lard, je t'assigne pour
cause d'outrage.
BDÉLYCLÉON. — Pour outrage? Au nom des dieux, je t'en conjure, ne l'assigne
pas. Je te ferai en sa place telle réparation que tu exigeras, et j'en aurai en
outre bien de la reconnaissance.
PHILOCLÉON. — Je veux me réconcilier moi-même avec lui ; je conviens de
l'avoir battu et de lui avoir jeté des pierres. Avance ici. Me laisses-tu le
soin d'évaluer moi-même la réparation qui t'est due, pour être désormais
ton ami P ou préfères-tu la fixer ?
L'ACCUSATEUR. — Dis toi-même ; car je déteste les procès et les affaires.
PHILOCLÉON. — Un Sybarite tomba de son char, et se blessa grièvement à la tête
; ce n'était pas en effet un écuyer fort habile. Un de ses amis survint, et
lui dit : « Que chacun fasse le métier qu'il sait. » De même, toi, tu n'as
qu'à aller trouver Pittalos (224).
BDÉLYCLÉON. — Cette conduite est bien digne de tes moeurs.
L'ACCUSATEUR (à son témoin). — Toi, rappelle-toi bien sa réponse.
PHILOCLÉON. — Écoute, ne t'éloigne pas. Un jour, à Sybaris, une femme
brisa le coffre aux procès (225).
L'ACCUSATEUR. — Je te prends à témoin.
PHILOCLÉON. — Le coffre prit donc un témoin. La Sybarite lui dit alors : «
Par Proserpine ! si tu laissais là cette procédure pour acheter au plus tôt
des ligaments, tu serais bien plus sensé. »
L'ACCUSATEUR. — Fais l'insolent, jusqu'à ce que l'archonte appelle l'affaire.
BDÉLYCLÉON. — Par Cérès! tu ne resteras pas plus longtemps ici ; je
t'emporterai de force.
PHILOCLÉON. — Que fais-tu ?
BDÉLYCLÉON. — Ce que je fais? Je veux t'emporter d'ici ; autrement, les témoins
manqueront bientôt à tous ceux qui t'accusent.
PHILOCLÉON. — Un jour, Ésope, étant à Delphes (226)...
BDÉLYCLÉON. — « Peu importe. »
PHILOCLÉON. — Fut accusé d'avoir volé les vases sacrés d'Apollon ; alors
il leur raconta qu'un jour l'escarbot...
BDÉLYCLÉON. — Ah! tu m'assommes avec tes escarbots. (On l'entraîne.)
LE CHOEUR. — Je félicite ce vieillard de cette bonne fortune : quel
changement dans sa vie dure et maussade! Converti à d'autres principes, il goûtera
désormais les douceurs du luxe et des plaisirs. Peut-être, au reste, s'y
refusera-t-il ; car il est difficile de dépouiller le caractère qu'on eut
toujours. Plusieurs l'ont fait pourtant ; les conseils d'autrui ont quelque-fois
changé nos habitudes. De grands éloges, selon moi, et au sens des sages, sont
dus à la prudence du fils de Philocléon, et à ses tendres soins pour son père.
Je ne vis jamais un homme si doux, et aucun de moeurs si aimables et qui me donnât
tant de joie. Dans toutes les réponses qu'il faisait à son père, n'a-t-il pas
toujours eu l'avantage, en voulant le ramener à des goûts plus honorables ?
XANTHIAS. — Par Bacchus ! quelque dieu a jeté bien du trouble et des embarras
dans notre maison! Après avoir longtemps bu et entendu jouer de la flûte,
notre vieillard, dans ses transports de joie, répète toute la nuit, sans relâche,
les danses antiques figurées par Thespis, et il prétend démontrer tout à
l'heure, en dansant, que les tragiques de nos jours sont des radoteurs.
PHILOCLÉON (déclamant). — Qui se tient à l'entrée du vestibule (227) ?
XANTHIAS. — Voici le fléau qui approche.
PHILOCLÉON. — Abaissez les barrières... Voici la danse qui commence...
XANTHIAS. — C'est plutôt le commencement de la folie.
PHILOCLÉON. — Elle assouplit mes flancs par son impétuosité : comme mes
narines mugissent ! comme mes vertèbres résonnent !
XANTHIAS. — Prends de l'ellébore.
PHILOCLÉON. — Phrynichos se démène comme un coq (228)...
XANTHIAS. — Tu me donneras quelque coup de pied.
PHILOCLÉON. — En lançant ses jambes en l'air (229).
XANTHIAS. — Prends garde à tes mouvements.
PHILOCLÉON — Avec quelle souplesse ses membres tournent dans leurs
articulations!
BDÉLYCLÉON. — Il n'y a certes rien de bon dans tout cela ; c'est de la pure
folie.
PHILOCLÉON. — Voyons, je défie mes rivaux. Si quelque tragique prétend
danser avec grâce, qu'il vienne ici jouter avec moi. Se présente-t-il
quelqu'un ?
BDÉLYCLÉON. — En voici un qui se présente.
PHILOCLÉON. — Quel est ce malheureux ?
BDÉLYCLÉON. — C'est le second fils de Carcinos (230).
PHILOCLÉON. — Il sera bientôt hors de combat ; je l'écraserai sous mes
coups de poing en cadence, car il n'entend rien au rythme.
BDÉLYCLÉON. — Mais, malheureux ! son frère, autre tragique Carcinite,
s'avance.
PHILOCLÉON. — Eh bien, voilà des provisions pour mon souper.
BDÉLYCLÉ0N. — Ma foi, tu n'auras rien que des cancres (231). Voici encore un
autre fils de Carcinos qui s'avance.
PHILOCLÉON. — Qu'est-ce qui rampe là ? Est-ce la bouteille au vinaigre, ou
une araignée ?
BDÉLYCLÉ0N. - C'est un pinnotère (232), le dernier de la famille qui fait des
tragédies.
PHILOCLÉON. — O Carcinos, père fortuné d'une belle famille ! quelle foule
d'orchiles (233) vient fondre ici ! Cependant il faut que j'entre en lice avec
eux, malheureux! Qu'on prépare de la saumure, si je suis vainqueur.
LE CHOEUR. — Allons, laissons-leur tous un peu d'espace, afin qu'ils puissent
librement pirouetter devant nous.
Allons, illustres enfants d'un père marin, frères des squilles, bondissez sur
le sable et sur le rivage aride de la mer, agitez en rond vos pieds légers,
faites des écarts à la manière de Phrynichos, et qu'à la vue de vos jambes
en l'air, le spectateur se récrie d'admiration !
Fais des ronds de jambe, tourne sur toi-même, frappe-toi le ventre, lance ta
jambe en l'air, pirouette comme un toton. Voici le maître de la mer lui-même (234), le père de tes rivaux, qui s'avance tout fier de sa triple postérité.
Mais si vous aimez à danser, faites-nous sortir au plus tôt, car on n'a jamais
vu jusqu'ici une comédie finir par un choeur de danse (235).
(01)
C'est-à-dire qu'il tache de s'endormir.
(02) Bacchus, ainsi appelé par les Thraces.
(03) C'est-à-dire un ennemi.
(04) Le mot grec signifie aussi un serpent.
(05) Cléonyme : lâche qui jeta son
bouclier dans une bataille.
(06) Enigmes et questions captieuses que les
convives se proposaient par manière de jeu.
(07) Le bâton était la marque distinctive
des juges.
(08) Par la baleine il désigne ici Cléon,
qui avait exercé le métier de corroyeur.
(09) Le même mot signifie graisse et peuple
; il n'y a de différence que dans l’accent.
(10) Par le changement de r en 1, le mot
grec signifie un flatteur.
(11) On disait "aller aux
corbeaux" dans le sens de "aller se pendre", ou comme nous disons
"aller au diable".
(12) La rire de Mégare était devenu
proverbial, pour désigner un genre de plaisanterie grossière. L'antique
comédie avait, au rapport d'Aristote, pris naissance à Mégare.
(13) Les poètes comiques faisaient souvent
jeter aux spectateurs, quand le jeu de leurs pièces le permettait, les fruits
ou les friandises qui avaient été apportés sur la scène.
(14) Les poètes plaisantaient souvent sur
la voracité d'Hercule.
(15) Cet Amynias, que l'acteur désigne ici
parmi les spectateurs est encore nommé plus loin dans la pièce ; mais là il
est désigné comme fils de Sellos.
(16) De dés.
(17) Ce nom semble altéré. Il parait que
l'acteur faisait là un jeu de théâtre, en regardant les spectateurs. Dercylos
était un acteur comique.
(18) Du nom d'un bourg de la tribu
Léontide.
(19) Il y a dans le grec philoxène,
c'est-à-dire ami de l'hospitalité ; plus bas, cet adjectif employé comme nom
propre.
(20) Exclamation habituellement employée
par Socrate.
(21) Littéralement : "il est
philhéliaste comme personne". C'est-à-dire qu'il aime par-dessus tout la
place Héliée, où se tenait le tribunal des Héliastes.
(22) Tous les jours le premier aux plaids et
le dernier.
RACINE, Plaideurs.
(23) Horloge d'eau qui mesurait le temps
accordé aux orateurs pour leurs harangues.
(24) Le petit caillou avec lequel on donnait
son suffrage.
(25) Ce Démos, cité pour sa beauté, avait
des amants, selon les moeurs grecques.
(26) Il fit couper la tête à son coq, de
colère
Pour l'avoir éveillé plus tard qu'à l'ordinaire.
Il disait qu'un plaideur, dont l'affaire allait mal,
Avait graissé la patte à ce pauvre animal.
Racine, Plaideurs.
(27) On traçait pour la condamnation une
longue ligne sur une tablette enduite de cire.
(28) Qu'on portait au tribunal.
(29) C'est-à-dire ami de Cléon oui avait
une grande influence dans les assemblées populaires et les tribunaux.
(30) C'est-à-dire ennemi de Cléon.
(31) Ici le poète forge un mot composé,
dont le sens est : "qui guérit on caractère fougueux".
(32) D'autres entendent le four qui servait
à chauffer les bains.
(33) Il l’a comparé plus haut à une
souris.
(34) Sans condamnation.
(35) Tablette enduite de cire sur laquelle
le juge traçait aven son ongle la longue ligne dont il a été question plus
haut.
(36) Jour du marché.
(37) Réponse d'Ulysse au Cyclope. Toute
cette scène est une Parodie de l'Odyssée, chant IX.
(38) Nom forgé, qui exprime l'idée de
fuite sur un cheval.
(39) Parce qu'il était placé sous le
ventre de la bête, comme l'ânon qui tette sa mère.
(40) Proverbe grec qui, disent les
commentateurs, dut son origine à une historiette contée par Démosthène. Ne
pouvant fixer l'attention des Athéniens sur une affaire sérieuse, il se mit à
leur conter une fable : "Un jeune homme avait loué un âne pour aller à
Mégare. Au milieu du chemin, la chaleur étant extrême, il voulut se mettre un
moment à couvert soue le ventre de sa monture. Le conducteur prétendit qu'il
n'avait pas loué l'ombre de l’âne, et la dispute s'échauffa , etc."
Or, le proverbe est nécessairement antérieur à Démosthène, qui vécut
après Aristophane.
(41) C’est-à-dire son héritage. Il y a
des jeux de mots qui sont intraduisibles. Le mot ponéros est pris en double
sens : par Bdélycléon, pour inhabile ; par Philocléon, pour inutile.
(42) Ce nom désignait les juges, la place
Héliée , comme il a été dit plus haut, étant celle où sa rendait, en plein
air, la justice.
(43) . . . Le voilà, ma foi dans les
gouttières
Vous verrez qu'il va juger les chats.
Plaideurs.
(44) Bruit qu'il fait avec la bouche, comme
pour faire sauver un moineau.
(45) Ville de Thrace, qui avait abandonné
le parti des Athéniens pendant la guerre du Péloponèse, la première année
de la quatre-vingt-neuvième olympiade. Elle ne fut reprise qu'après un siège
de deux ans.
(46) Très ancien poète tragique, disciple
de Thespis ; il florissait 512 ans avant notre ère.
(47) Allusion à l'accoutrement sous lequel
il présentait les juges travestis en guêpes .
(48) Bourg d'Attique de la tribu Pandionide.
(49) Général athénien qui avait commandé
la flotte envoyée en Sicile au secours des Léontins, la cinquième année de
la guerre du Péloponèse. C'est le même dont Platon a pris le nom pour titre
d'un de ses dialogues. Ici le poète montre de quelles calomnies Cléon
poursuivait un des citoyens les plus honorables d'Athènes.
(50) Littéralement : "avec de la
colère pour trois jours". Allusion à la provision ordinaire des soldats.
(51) Comme il ne fait pas encore jour, des
enfants les éclairent avec des lanternes.
(52) Ou francolin, espèce d'oiseau qui se
trouve dans les marais.
(53) Locution proverbiale ; c'est ainsi que
nous disons : "blanchir un nègre ".
(54) Les Athéniens, alliés des Milésiens,
avaient attaqué Samos , sous la conduite de Périclès et y avaient établi le
gouvernement populaire. Les Samiens pour secouer le joug, entretenaient des
intelligences avec les barbares. Un certain Carystion en donna avis aux
Athéniens, qui se rendirent de nouveau on de la ville, et détruisirent les
murailles.
(55) Peut-être Cléon. Il périt l’année
suivante, devant Amphipolis.
(56) C'est-à-dire d'aller nous noyer ?
Allusion à un passage de Pindare, suivant le scholiaste. Hellé, enlevée dans
les airs par un bélier, fut effrayée du bruit des flots en traversant la mer ;
elle tomba, et se noya dans le détroit appelé depuis Hellespont.
(57) Vers du Thésée d'Euripide,
suivant le Scholiaste. Ces paroles étaient dites par les jeunes garçons
envoyés en proie au Minotaure, au nombre desquels se trouvait Hippolyte.
(58) Il apostrophe ainsi le petit sac dans
lequel il devait rapporter des figues ou de la farine achetées avec l'argent
qu'il recevait pour sa séance au tribunal.
(59) Il parle au Choeur par la fenêtre,
parce qu'il ne peut sortir.
(60) Il veut devenir fumée, afin de
s'échapper. Les anciens exprimaient par ce mot de fumée la vanité qui porte
un homme à se vanter d'avantages qu'il n'a pas.
(61) Le fils de Sellos est Eschine, qui set
nommé plus bas, et qu'il ne faut pas confondre avec le rival de Démosthène.
(62) Il y a ici une lacune.
(63) Pour donner son suffrage. le mot grec
indique aussi une envie de femme grosse.
(64) Dans l’Hécube d'Euripide,
Hécube rappelle à Ulysse qu'un jour il vint à Troie en espion.
(65) Le Scholiaste dit que cet événement,
date du temps de Pisistrate. C'est plutôt du temps de Simon, environ cinquante
ans avant la représentation des Guêpes.
(66) Littéralement : "déesse des
filets". On s'en servait à la chasse. On a vu plus haut qu'on avait tendu
un filet au-dessus de la cour, pour empêcher le vieillard de s'évader.
(67) Cérès et Proserpine. La violation des
mystères était un des chefs d'accusation les plus ordinaires à Athènes.
(68) Orateur dont les emportements ont
souvent donné lieu aux plaisanteries des comiques.
(69) Apollon et Jupiter étaient les dieux
tutélaires d'Athènes. Le poète suppose que la divinité de Philocléon est
Lycos, fils de Pandion, dont la statue était placée près de l'endroit où
l'on payait le triobole, salaire des juges.
(70) La statue de Lycos était entourée
d'une balustrade faite avec des pieux et des joncs. Il paraît que c'était un
rendez-vous pour les gens pressés de certains besoins.
(71) C'était la coutume d'attacher de ces
branches aux portes des maisons.
(72) Aristophane en parle souvent comme d'un
débauché et d'un parjure.
(73) Noms d'esclaves.
(74) Proverbe qui se disait de ceux qui font
beaucoup de bruit et peu de besogne ; c'est-à-dire qu'il s'inquiète peu des
menaces du Choeur.
(75) II joue en même temps sur le nom de
Dracontidès, nommé déjà précédemment.
(76) Au lieu de dire "à pétrir quatre
pains par chénice". Le mot chénice désigne en grec une mesure de
capacité, et les entraves qu'on mettait aux pieds des esclaves.
(77) Il y a ici un jeu de mots
intraduisible.
(78) La fumée chasse les abeilles.
(79) Voyez plus haut la même plaisanterie.
Sélartios au lieu de Sellos, d'un mot qui signifie flamme.
(80) Il paraît lui reprocher la dureté de
ses vers.
(81) Général lacédémonien. Il périt
pendant la guerre du Péloponèse dans un combat où Cléon perdit aussi la vie.
(82) Costume des Lacédémoniens, ennemis
d'Athènes.
(83) C'était la bordure ordinaire des
jardins. Ce proverbe s'appliquait à ceux qui n'étaient qu'au commencement
d'une affaire.
(84) Espèces de poissons.
(85) Une chère si délicate excitait les
soupçons.
(86) Il joue sur ce nom, dont la racine
signifie "cheval".
(87) Le poète forge ici un long mot
composé, pour exprimer cette manie du juge.
(88) Poète tragique, amateur de bonne
chère.
(89) Littéralement : "au lait des
poules" ; locution proverbiale pour exprimer un bonheur imaginaire, comme
nous disons "une vie de Cocagne".
(90) Ce reproche qu'il fait à Philocléon
s'adresse indirectement aux Athéniens, si curieux de dénonciations et de
procès.
(91) Les démagogues et les orateurs.
(92) Locution proverbiale. On buvait au Bon
Génie en se levant de table.
(93) Le Choeur continue ce qu'il disait au
père.
(94) Vieillards
qui portaient des branches d'olivier dans les grandes Panathénées.
Cela se disait aussi de ceux qui semblaient n'être bons qu'à cette
fonction.
(95) Il ne
s'agit pas ici de l'auteur des fables, mais d'un acteur comique fort
plaisant.
(96) Il y
a ici sur les petites truies et les petites filles, une équivoque
intraduisible.
(97) Dandin
fait aussi valoir les avantages de sa condition :
Qu'est-ce qu'un gentilhomme ? Un pilier d'antichambre.
Combien en as-tu vu, je dis des plus huppés,
A souffler dans leurs doigts dans ma cour occupés, etc.
(Plaideurs, acte I, sc. IV.)
(98) Les
enfants des hommes libres, pour être inscrits au nombre des citoyens,
devaient faire leur déclaration devant les magistrats. C'est alors
qu'avait lien la vérification du sexe.
(99) Célèbre
acteur tragique.
(100) Tragédie
de Sophocle ou d'Eschyle, dans laquelle Oeagre jouait le principal
rôle.
(101) On
recouvrait le cachet d'une coquille, pour le conserver.
(102) Orateur
mal famé.
(103) Colaconyme,
parodie du nom de Cléonyme, dans lequel le poète fait entrer un mot
qui veut dire flatteur.
(104) Lâche
flatteur.
(105) Locution
proverbiale.
(106)
Son salaire de juge.
(107) Le même mot exprime en grec un vase et un âne. De là un jeu de mots
continuel. Ces vases étaient sans doute dans le genre de ceux qu'on
appelait diota, vase à deux oreilles, c'est-à-dire à deux anses.
(108) Locution
proverbiale, pour dire : déserter une cause.
(109) Locution
proverbiale, pour exprimer la frayeur qu'il croit lui inspirer.
(110) C'est-à-dire
vieil insensé. C'est une citation d'Homère. Odyssée, I, 45.
(111) Comme
homicide.
(112) Les
frais de justice, notamment les consignations.
(113) Voici
le compte, d'après les données d'Aristophane On sait que chaque juge
recevait 3 oboles par jour :
6.000 juges, à 3 oboles par jour, font 540.000 oboles par mois.
La drachme étant de 6 oboles, ce sera 90.000 drachmes par mois.
La mine se composant de 100 drachmes, ce sera 900 mines par mois.
Le talent étant de 60 mines, ce sera 15 talents par mois.
Et pour une année de 10 mois, les deux autres mois étant pris par les
fêtes publiques 150 talents.
(114) En
effet, la totalité des revenus étant de 2.000 talents, le dixième
serait 200 ; or, les juges n'en reçoivent que 150.
(115) Joueur
de lyre dissipateur, qui s'était ruiné
(116) Le
colacrète, chargé de payer aux juges le triobole.
(117)
Littéralement : « te font disparaître de la scène au moyen de leurs
machines ».
(118) Ceux
qui avaient mal aux oreilles y introduisaient quelques gouttes d'huile,
au moyen d'un flocon de laine humecté.
(119) Ce
nombre se prenait sans doute d'une manière indéterminée.
(120) Philocléon avait dit plus haut qu'il se percerait d'une épée
s'il était vaincu. Il parodie aussi en cet endroit un vers de
l'Andromaque d'Euripide.
(121) C'est-à-dire par petites parties. On croit que le poète fait
allusion à une distribution de blé qui avait eu lieu vingt-trois ans
auparavant dans un temps de disette. La chénice n'était que la
quarante-huitième partie du médimne.
(122) C'est-à-dire les trois oboles qu'il recevait comme juge.
(123) Parodie d'un vers d'Euripide dans Alceste et aussi dans
Hippolyte.
(124) Vers du Bellérophon d'Euripide.
(125) Allusion à un passage des Crétoises d'Euripide, où Astrée
interpellait Aerope.
(126) Plaideurs, acte II, scène XIII.
(127) Il joue sur ce mot, qui fait allusion au tribunal des
Héliastes.
(128) Six des neuf archontes avaient le titre de thesmothètes, et
présidaient à l'administration de la justice.
(129) Il suppose que le juge, lorsqu'il avait faim, se hâtait de
condamner.
(130) La drachme valait six oboles ; on en donnait une.
(131) Elle porte le nom de son pays,
la Thrace : comme dans nos comédies les valets s'appelaient Champagne,
Bourguignon, etc.
(132) Le sacrificateur était dans
une enceinte fermée par une bains 'rade. Les juges en avaient une
également dans la place Héliée C'est ce que nous avons appelé depuis
le barreau.
(133) Lachès, désigné sous le nom
du chien Labès, avait commandé la flotte envoyée en Sicile, la
deuxième année de la quatre-vingt huitième olympiade. Il fait
entendre que ce général s'était laissé corrompre par l'ennemi.
(134) Il l'apporte pour en faire la
balustrade du tribunal.
(135) Le foyer domestique.
(136) Le pot de chambre.
(137) Devant la porte extérieure des
maisons on plaçait des autels ou de petites colonnes en forme de
cônes, en l'honneur d'Apollon.
(138) Le texte ajoute : « au lieu de vin
cuit », qui s'aigrit bientôt dès qu'il est refroidi.
(139) Littéralement : les pointes de
l'ortie.
(140) Le poète conserve ici, comme dans
tout le reste de la scène, les formules judiciaires alors en usage.
(141) Cydathène, bourg de la tribu
Pandionide. Æxone, bourg de la tribu Cécropide.
(142) Pour le serrer fortement.
(143) Le mot grec semble faire allusion
à la ciguë.
(144) Il y a dans tout cela des traits
lancés contre l'expédition maritime de Lachès et ses conclusions.
(145) Xanthias parle ici pour le chien
accusateur.
(146) Il mangeait des lentilles
bouillantes.
(147) Littéralement : « il navigue
autour des bords d'un mortier, et dévore le ciment des villes ». Le
même mot signifie plâtre ou ciment, et cette croûte qui se forme
autour du fromage, qu'ou pilait autrefois dans des mortiers. Allusion
aux côtes de la Sicile. Les accusations qu'il dirige contre le chien
ont aussi dans le grec un sens qui peut se tourner contre Lachès et sa
rapacité.
(148) Thucydide, autre que l'historien.
Fils de Mélésias, et beau-frère de Cimon, homme sage et bon orateur,
il était l'adversaire de Périclès. Accusé de trahison, il demeura
muet, et fut banni par l'ostracisme.
(149) C'est-à-dire il ne se pique pas
d'en savoir bien long. Ou plutôt, il ne sait que voler, ce qui est dans
sa nature de chien.
(150) Littéralement : « tu exerçais
alors la charge de payeur. »
(151) Il paraît désigner ici Cléon,
accusateur de Lachès.
(152) Il parle au pluriel, comme si le
tribunal était complet.
(153) Plaideurs, acte III, scène III.
(154) De la tribune pour indiquer que la
cause est entendue.
(155) Il y avait deux urnes : la
première, placée devant, dans laquelle on déposait les suffrages de
condamnation ; la seconde, placée derrière, pour les suffrages
d'absolution.
(156) C'est-à-dire je ne sais pas
absoudre.
(157) Aristophane avait donné plusieurs
de ses pièces sous les noms de Philonide et de Callistrate.
(158) Euryclès, devin d'Athènes, qui,
disait-on, portait dans son ventre le génie prophétique.
(159) Ceci paraît dirigé contre
Eupolis.
(160) Avec la comédie des Chevaliers,
où il attaqua Cléon si vivement, qui fut la première pièce qu'il
avoua. On a dit qu'il y joua lui-même.
(161) Courtisane.
(162) Les sophistes, qu'il avait joués
dans les Nuées.
(163) « Ceux d'entre vous qui ne se
mêlaient pas des affaires. »
(164) C'était à Athènes le troisième archonte, chargé
spécialement de protéger les étrangers. La qualité d'étranger et
l'exclusion des droits de citoyen qu'elle entraînait, étaient le
prétexte d'un grand nombre de procès.
(165) La première représentation
des Nuées eut un mauvais succès.
(166) Il fait un geste indécent.
(167) Vers de la Sténobée d'Euripide.
(168) Allusion à la bataille de
marathon.
(169) Ceci rappelle le mot de Léonidas :
« Nous combattrons à l'ombre. »
(170) Circonstance historique.
(Plutarque, Vie de Thémistocle.)
(171) Le texte ajoute, « dans leurs
pantalons ». Dans les Perses d'Eschyle : « Les Grecs les massacraient
comme des thons, ou des poissons pris au filet. »
(172) Notamment les îles de Samos,
Lesbos, Naxos, Paros et autres, situées dans ces parages.
(173) Les déménageurs, tels que
Cléon, etc.
(174) Magistrats
qui connaissaient principalement des vols et des condamnés. Socrate en
prison, depuis sou jugement jusqu'au jour où il but la ciguë, resta
sous la surveillance des Onze.
(175) Théâtre
construit par Périclès. On y distribuait les farines au peuple, ce qui
donnait lieu à des querelles exigeant la présence de l'archonte.
(176) Ceci
regarde les magistrats préposés à l'entretien des murs. Du reste, cet
office n'était pas une magistrature proprement dite, niais seulement
une commission temporaire, selon les besoins. C'est ainsi que
Démosthène fut élu par la tribu Pandionide ; ce qui nous a valu les
deux célèbres discours de Démosthène et d'Eschine pour et contre
Ctésiphon.
(177) Allusion
à la violente tempête qui détruisit la flotte des Perses près
d'Artémisium.
(178) Pour
dégraisser les taches.
(179) Sorte
de pelisse garnie de fourrures.
(180) Surtout
fait avec deux peaux cousues ensemble. Il servait de couverture.
Thymète, bourg de l'Attique.
(181) Poète
déjà mentionné pour sa mollesse voluptueuse.
(182) Parce
que l'étoffe était frisée et pelucheuse.
(183) Il
y a ici un jeu de mots, perdu en français. L'épithète s'applique à
la fois au territoire lacédémonien et à la chaussure.
(184) Sorte
de proverbe pour désigner des choses contraires qui se repoussent.
(185) Ceci
est la reproduction d'un passage de Cratès, dans sa comédie intitulée
Lamia.
(186) Des
députés appelés théores étaient choisis pour aller dans
différentes villes faire des sacrifices, consulter des oracles, ou
assister à des solennités. Ils étaient défrayés par l'Etat.
Aristophane reproche aux Athéniens de choisir souvent les hommes les
plus méprisables, tels qu'Androclès et Clisthène. Cratinus, dans les
Sériphiens, appelle le premier esclave et mendiant ; Ecphantide et
Téléclide, autres poètes comiques, l'appellent coupeur de bourses.
Aristophane, dans les Heures, le qualifiait de prostitué. Quant à
Clisthène, c'était un infâme débauché, dont le nom revient à
chaque pas dans Aristophane.
(187) Le
mot grec signifie aussi poitrine.
(188) C'était
l'usage de combattre nu.
(189) Nom
de villageois
(190) La
course aux flambeaux, jet! où le vainqueur était celui qui achevait sa
course sans laisser éteindre la torche qu'il portait.
(191) Athénée
dit qu'il est de la politesse qu'un convive ne se mette pas sur-le-champ
à table, mais que d'abord il considère les ornements de la salle, etc.
(192) Cette
scène présente un abrégé des usages qu'on observait dans les
festins.
(193)
A la fin du repas, on se mettait à chanter.
(194) Avant
la division des Athéniens en quatre classes, faite par Solon, les
citoyens se divisaient en trois parties : les habitants du littoral
(Paraliens), ceux de la plaine (Pédiéens), et ceux de la montagne
(Acriens).
(195) Parmi
les chansons de table des Athéniens, il y en avait une en l'honneur
d'Harmodios, qui tenta de délivrer sa patrie du joug des fils de
Pisistrate.
(196) Parodie d'Alcée.
(197) Trait
contre Théoros, vil flatteur. Le poète suppose que les cinq convives
qu'il vient de nommer commencent chacun à leur tour une chanson, et les
répliques de Philocléon sont autant d'épigrammes.
(198) Femme
poète.
(199)
Chanson faite au temps où les Thessaliens secoururent Athènes contre
les Pisistratides. Chaque convive commence une chanson connue.
(200) Cet
Eschine voulait se faire passer pour riche.
(201) Quand
on allait manger chez les autres, souvent on y portait son écot.
(202) Plus
haut, Amynias est donné connue fils de Pronapos ; c'est Eschine qui est
fils de Sellos ; mais le poète les fait frères, par leurs moeurs.
(203) Fameux
gastronome.
(204) Antiphon
avait été riche, et avait mangé sa fortune.
(205) Jeu
de mots. Pénestes désigne une chasse de mercenaires thessaliens ; ce
mot signifie aussi pauvre, misérable. Les ambassades étaient un moyen
de s'enrichir, et Amynias n'en a pas profité.
(206) Proverbe
qui se dit de ceux qui sont frustrés de leurs espérances. Aristophane
donne à entendre ici que, ne se voyant pas assez fortement soutenu par
le peuple, il a de se réconcilier avec Cléon.
(207)
Hippyllos et Théophraste, ici nommés, sont des personnages obscurs.
Platon nomme Lycon comme un des trois accusateurs de Socrate. Diogène
de Laërce dit à ce sujet : « Le démagogue Lycon prépare toute
l'affaire. » Antiphon n'est pas l'orateur, mais un sophiste que
Xénophon met en scène, et qui reprochait à Socrate de ne pas tirer un
salaire de ses leçons. Lysistratos est appelé ailleurs, par
Aristophane, l'opprobre des Cholargiens.
(208) Littéralement
: « dont le manteau est usé jusqu'à la corde ».
(209)
Auteur tragique, dont les créanciers avaient fait vendre la garde-robe.
(210) Équivoque
des plus indécentes.
(211) Il
est impossible d'expliquer les turpitudes cachées sous ce mot.
(212) Il
forge ici un long mot, dont le sens serait : « qui scie en deux un
grain de cumin, et qui épluche du cresson ».
(213) La
Dardanie fournissait beaucoup de joueuses de flûte.
(214) Il
paraît que les païens allumaient de ces espèces de cierges en
l'honneur des dieux, au renouvellement de chaque mois.
(215) On
donnait quelquefois ce nom aux courtisanes : lampadion.
(216) Philocléon
répète ici ce que son fils lui disait plus haut, pour montrer qu'il
profite de ses leçons.
(217) Il
fait encore allusion à des paroles de son fils.
(218) Cérès
et Proserpine.
(219) Les
agoranomes, magistrats qui avaient la police des marchés.
(220) Disciple
de Socrate.
(221) Lasos,
rival de Simonide, et un des prédécesseurs de Thespis. Sa confiance
dans ses talents lui faisait mépriser ses rivaux.
(222) Allusion
à la pâleur de Chéréphon.
(223) Ino,
sujet d'une pièce d'Euripide. Suivant la tradition mythologique, Ino se
jeta dans la mer avec son fils Mélicerte.
(224) Médecin
d'Athènes. C'est-à-dire, va te faire soigner.
(225) Coffre
où se conservaient les dépositions des témoins et les pièces des
procès.
(226) Pendant
que son fils l'emporte, il continue son histoire.
(227) Évidemment
il y a ici des parodies perdues pour nous.
(228) On
prétend que Phrynichos, ayant fait une pièce intitulée la Prise de
Milet, fut condamné par les Athéniens à une amende de mille drachmes,
pour avoir rouvert une plaie si amère à la nation. Sa disgrâce passa
en proverbe.
(229) Ici
Philocléon veut imiter la danse des pièces de Phrynichos. Les anciens
tragiques mêlaient beaucoup de danses aux choeurs.
(230) Carcinos,
autre auteur tragique. Il eut des fils également poètes tragiques, ou
danseurs, entre autres Xénoclès, qui remporta une fois le prix sur
Euripide.
(231) Jeu
de mots sur Carcinos, qui signifie cancre ou écrevisse.
(232) Sorte
de petit crabe. Allusion à un des fils de Carcinos, nommé Xénoclès,
mauvais poète tragique. Son corps était mince et grêle.
(233) Nom
d'oiseau. La signification de danseur entre aussi dans ce mot.
(234) Carcinos.
(235) Le
Choeur formait des danses en entrant sur la scène, jamais en se
retirant. (SCHOLIASTE.)
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