IBN TAIMIYYAH

IBN TAIMIYYAH

 

LE FETWA SUR LES NOSAIRIS

 

traduction française de M. ST. GUYARD

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 


 

LE FETWA D'IBN TAIMIYYAH SUR LES NOSAIRIS,

PUBLIÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS

AVEC UNE TRADUCTION NOUVELLE

PAR M. ST. GUYARD.

Extrait du Journal Asiatique

 

 

En parcourant les manuscrits de la Société asiatique, j'en trouvai un, fort rare, se composant de soixante et dix-sept feuillets in-12, d'une écriture très cursive et parfois pénible à déchiffrer, dont les soixante-cinq premiers contiennent des pièces relatives aux Ismaélis, réunies par un certain cheikh Ibrahim, et dont les douze derniers renferment le Fetwa du docteur hanbalite Taqî ed-Din, Ibn Taimiyyah, déjà traduit par E. Salisbury, dans le tome II du Journal of the American Oriental Society, pour 1851.

Ayant pris copie du texte arabe de ce Fetwa pour mon usage personnel, je m'aperçus qu'il exhibait d'assez longs passages manquant dans le texte de E. Salisbury, à en juger par sa traduction,[1] et, d'un autre côté, présentait de très courtes lacunes dont la restitution devenait facile. De plus, je remarquai çà et là dans la traduction anglaise quelques notables contre-sens. Il me sembla donc qu'il ne serait pas inutile de donner une nouvelle version, plus complète, de ce curieux document du xive siècle, en y joignant cette fois le texte arabe.

E. Salisbury en nomme l'auteur Ibn Yatmîyeh, d'après d'Herbelot, et place sa mort vers l'an 768 (hég. ). Dans la Bibliothèque orientale, on trouve en effet un article Jatimiah, mais aussi un article Taimiah et les mêmes ouvrages sont attribués à ces deux personnages, dont l'identité n'a pas besoin d'être démontrée.[2] La véritable leçon est Ibn Taimiyyah, et la généalogie complète de cet auteur : Taqî ed-Din Abu l’Abbâs Ahmed, ben Shihâb ed-Din Abî 'l-Mahâsin, 'Abd al-halîm, ben Abî'l-barakât 'Abd as-salâm, ben Abd-Allah, ben Abî 'l-Qasim Mohammed, ben el-Khadhar, ben Mohammed, ben el-Khadhar, ben 'Alî, ben 'Abd-Allah, surnommé Ibn Taimiyyah el-Harrâni. Sa vie est racontée dans le supplément d'Ibn Khallikan et aussi dans l'histoire d'Ibn Kethïr, intitulée Târîkh el-badâyat wa 'l-ni-hâyat.[3]

Dans le volume du texte arabe d'Ibn-Khallikan, publié par M. de Slane, on lit la biographie d'un de ses ancêtres. C'est Abdallah ben el-Qâsim, ben el-Khadhar, ben Mohammed, ben el Khadhar, benAlî, ben 'Abd-Allah, prédicateur de la ville de Harrân, né en 542 et mort en 621 de l'hégire. Il s'appelait aussi Ibn Taimiyyah, et ce surnom lui venait de sa mère, Taimiyyah. Celle-ci fut ainsi nommée parce que son père, allant en pèlerinage à la Mecque, vit un jour à Taimah une enfant dont la beauté le frappa. De retour à Harrân, il trouva que sa femme venait de mettre au monde une fille qu'on lui présenta aussitôt. A son aspect, il s'écria : O Taimiyyah! découvrant qu'elle ressemblait à l'enfant de Taimah. Ibn Khallikan ajoute que le dérivé de Taimah devrait être Taimâwiyyah, mais que l'usage a prévalu de dire Taimiyyah.

Il paraît que les fonctions de prédicateur se perpétuaient dans cette famille.

Notre Taqî ed-Din, Ibn Taimiyyah, mourut en 728 de l'hégire (1327). Comme ses ancêtres, il appartenait à la secte de l'imâm Ibn Hanbal et écrivit de nombreux ouvrages dont Hadji Khalfa donne les titres.[4] Son Moharrar, abrégé de droit hanbalite, était très estimé, ainsi que le recueil de ses Fetwas. Zeid ed-Din Baghdâdi ayant composé sur le droit hanbalite un traité considéré comme une des merveilles de l'époque, on l'accusa d'avoir pillé Ibn Taimiyyah. La courageuse hardiesse de son langage lui attira beaucoup d'ennemis, parmi lesquels on distingue Zamlekânî, Taqï ed-Din Sobkî et le docteur rafédhi Djémal ed-Din Hillî. Les uns allèrent jusqu'à traiter d'impies ceux qui lui décerneraient le titre de cheikh el Islam, et Hafiz esh-Shâm se chargea de le défendre dans un écrit intitulé « l'ample réfutation[5] ». Un de ses Fetwas sur la visite des sépulcres lui valut même l'emprisonnement.[6]

Outre ses ouvrages de controverse, il a aussi abordé l'exégèse coranique, les traditions, la logique, la dialectique ; une histoire porte son nom, et enfin il s'est élevé contre l'alchimie dans un traité spécial.

Bien qu'on ait déjà beaucoup disserté sur les Nosaïris et les Ismaélis,[7] on peut dire que leurs doctrines ne sont pas encore complètement connues, les renseignements qui nous sont parvenus reposant principalement sur les relations des voyageurs et sur les réfutations de leurs croyances par des musulmans ou par des druzes. Heureusement cette lacune sera bientôt comblée : M. de Slane prépare une édition d'un catéchisme des Nosaïris, d'après un manuscrit de feu Catafago.

Quant aux pièces de notre manuscrit, elles se composent d'une sorte d'introduction, de surates assez courtes, a l'imitation de celles du Coran, d'un commentaire sur la surate de Noé, de poésies et de morceaux attribués au khalife Mo'izz lidînillah. Je me propose d'en publier soit des extraits, soit la totalité, suivant qu'un examen plus approfondi me permettra d'en apprécier l'importance.


 

TRADUCTION.

FETWA OU DÉCISION JURIDIQUE SUR LES NOSAIRÎS,

PAR

TAQÎ ED-DIN BEN TAIMIYYAH.

 

QUESTION.

Que disent les Séids, savants imâms de la religion (que Dieu soit satisfait d'eux tous, les aide à manifester la vérité évidente et à anéantir les sectes des hérétiques!), au sujet des Nosaïris, qui professent que le vin est licite, croient à la métempsycose, à la préexistence du monde,[8] et nient la réalité du réveil des morts,[9] de la résurrection, du paradis et de l'enfer dans une autre vie? Qui disent que les cinq prières sont une expression symbolique désignant les cinq noms d'Ali, Hasan, Hosein, Mohsin[10] et Fatima, et que la récitation de ces cinq noms tient lieu de la lotion générale après le commerce charnel, des ablutions partielles et de toutes les autres prescriptions et recommandations attachées à la prière ? Que le jeûne est le symbole des noms de trente hommes et de trente femmes[11] énumérés dans leurs livres, mois qu'il sérail trop long de rapporter en cet endroit ? Qui pensent que le créateur des cieux et de la terre est Ali, fils d'Abû Tâlib (que Dieu soit satisfait de lui!), leur Dieu au ciel et leur Imam sur la terre, et qui font consister la sagesse de cette incarnation de la divinité dans une forme humaine en ceci que Dieu veut, en se mêlant à ses créatures, enseigner n ses serviteurs comment ils doivent le connaître et l'adorer? Qui disent que le Nosaïri [néophyte] ne devient un vrai croyant nosaïri qu'ils admettent dans leur société, font boire avec eux, auquel ils révèlent tous leurs secrets et donnent de leurs femmes en mariage, que quand leur maître spirituel l’a soumis au khitâb[12] (affiliation)? Or le khitâb consiste en un serment qu'on fait prêter au nouvel adepte de cacher sa religion, de ne pas révéler les noms de ses cheikhs et des chefs de sa secte, de ne se lier d'amitié[13] avec aucun musulman ni avec quiconque est étranger à sa croyance; de connaître son Imâm et Seigneur, qui lui apparaît à tous les âges et à toutes les époques; de connaître la transmission de l'Ism (nom) et du Ma'ana[14] (sens), dans tous les temps, à toutes les époques. Or l'Ism se trouvait dans le premier homme, Adam, et le Ma'ana était Seth; puis l'Ism fut Jacob et le Ma'ana Joseph. Ils prétendent [pour ces derniers] que la preuve de cette distinction est contenue dans le Coran vénéré, alléguant l'histoire de Jacob et de Joseph (le salut soit sur eux deux!). Pour Jacob, ils disent qu'il fut l'Ism, parce que, ne pouvant outrepasser ses pouvoirs,[15] il prononça ces paroles :

Plus tard, j'implorerai votre pardon auprès de mon maître; certes, il est clément, miséricordieux. (Coran, XII, 99.)

Le Ma'ana (sens) qu'il avait en vue[16] [par ces mots : mon maître] était Joseph. Et en effet, Joseph dit :

Il n'y aura point de reproches contre vous aujourd'hui. ( Coran, XII, 92.[17])

Ceci ne peut (disent-ils) être attribué à un autre que lui (Joseph), car il savait qu'il était lui-même le Dieu ordonnateur de toutes choses. Ensuite ils prétendent que Moïse était l'Ism et Josué le Ma'ana, car le soleil s'arrêta devant Josué quand il le lui eut commandé, et obéit à son ordre. Or le soleil s'arrêterait-il à la voix d'un autre que son maître ? Puis ils ajoutent que Salomon était l'Ism et Asaf le Ma'ana, tout-puissant, omnipotent.[18] Ils énumèrent ainsi tous les prophètes et tous les envoyés de Dieu,[19] l'un après l'autre et en suivant cet ordre, jusqu'au temps de Mahomet (que Dieu le protège et le sauve!). Or ils disent que Mahomet était l'Ism et Ali le Ma'ana, poursuivant celle succession dans tous les âges [depuis Mahomet] jusqu'à nos jours.

Parmi les notions exactes qu'on possède sur leur affiliation et sur leur religion est celle-ci que, pour eux, Ali est le Seigneur, Mahomet le Voile (la Portière), et Selmân[20] la Porte, et que cette trinité a toujours existé et existera toujours.[21] Les versets suivante d'un de leurs lettres sont célèbres (maudite en soit la teneur!).

Je témoigne qu'il n'y a pas d'autre Dieu qu'Ali [le lion] aux tempes chauves, corpulent; qu'il n'y a pas d'autre Voile (Portière) que Mahomet, le véridique, le sûr; et qu'il n'y a pas d'autre route peur parvenir à lui que Selmân le fort, le vigoureux.

Ils ont encore les cinq Yatîms[22] et les douze Naqîbs,[23] dont ils connaissent les noms. Dans leurs livres impurs, ils ne cessent pas de parler du Seigneur, du Voile et de la Porte [comme ayant existé et devant exister] à travers tous les âges, à jamais, sempiternellement.

Ils disent encore que le Satan des Satans est Omar, fils de Khattâb, et qu'au-dessous de lui, dans la hiérarchie des Iblis, se trouvent Abu Bekr, le véridique, puis Othman (que Dieu soit satisfait d'eux tous, les purifie [de cette accusation] et les élève au-dessus des assertions de ces hérétiques et des doctrine »de ces pécheurs outrés !). A toutes les époques, dans les écrits où ils traitent de leur religion corruptrice, on retrouve des secte » et des sous-sectes reposant toutes sur ces mêmes bases.

Cette religion maudite a envahi une grande partie de la Syrie,[24] et ses sectateurs sont connus, célèbres. Ils étalent au grand jour leurs doctrines, et quiconque d'entre les hommes intelligents[25] et les savants musulmans s'est mêlé à eux, sait à quoi s'en tenir sur leur compte. Le public lui-même a commencé, dans ces derniers temps seulement, à être instruit « le leurs mystères, qui étaient encore gardés secrets au moment où les Francs infidèles s'emparèrent des provinces du littoral, Mais quand revinrent les [beaux] jours de l'islamisme, on découvrit leurs pratiques et leurs égarements. Depuis, on a trop usé de ménagements à leur égard.[26] Voici l'état de la question:[27]

Que doit-on décider au sujet des fromages caillés avec la présure[28] d'animaux tués par eux?

Quelle sentence prononcer sur l'emploi de leurs vases et de leurs vêtements ?

Est-il licite de les laisser sur les frontières de l'Islam et de leur en confier la défense?

Le préfet doit-il, oui ou non, les destituer et mettre à leur place des musulmans qui en tiendraient lieu avantageusement ?

Lorsqu'il a pris le parti de les chasser et d'employer d'autres personnes, est-ce une faute de sa part de continuer à les tolérer, malgré son intention formelle de les renvoyer, ou bien lui est-ce licite[29] ?

Lorsqu'il les a d'abord employés et ensuite soit destitués, soit conservés, est-il légal de leur allouer un traitement sur les fonds publics ?

Lorsqu'on a commencé à les payer, qu'une partie du traitement désigné de l'un d'eux est arriérée et que le gouverneur en diffère le payement pour en disposer en faveur d'un musulman méritant, ou qu'on approuve [son intention de le faire], est-il tenu de persister dans cette voie,[30] ou bien cela lui est-il seulement permis[31] ?

Lorsque le préfet (que Dieu l'aide à anéantir leurs absurdités!) leur fait la guerre sainte et les chaste des forteresses musulmanes; quand les musulmans s'abstiennent de contracter avec eux des mariages et de manger des animaux tués par eux; quand le préfet leur ordonne l'observation du jeûne et de la prière, et leur interdit la pratique ostensible de leur vaine religion qu'il sait être l'incrédulité,* tout cela est-il plus méritoire, plus digne des récompenses de la vie future que les expéditions et les embuscades dirigées contre les Tatars et que l'invasion de la Chine et du pays des Zindjs (Ethiopie), ou bien ce dernier choix est-il préférable[32] ? *

Celui qui combat contre les susdits sera-t-il considéré comme Morâbit,[33] et sa récompense dans la vie future sera-t-elle égale à celle de ce dernier, qui va guerroyer sur les frontières et sur les côtes de la mer [Méditerranée] pour prévenir une surprise de la part des Francs, ou bien la récompense du Morâbit sera-t-elle plus grande ?

Est-ce un devoir pour quiconque connaît les susdits Nosaïris, ainsi que leurs pratiques, de les dénoncer et par là d'aider à extirper leur absurde croyance et à répandre parmi eux l'islamisme,[34] dans l'espoir que Dieu rendra musulmans[35] leurs enfants et leur postérité, ou bien la négligence et la temporisation sont-elles permises à cet égard?

Quelle sera la récompense de celui qui s'appliquera [à les détruire] et dont tout le zèle et les efforts se tourneront vers ce but?

Etendez-vous sur toutes ces questions, vous rendant par là dignes de l'assistance de Dieu et des rétributions de l'autre vie.[36]

DÉCISION DU SHEÏKH TAQÏ ED-DÏN BEN TAIMIYYAH,

PUISSE DIEU LUI EN TENIR COMPTE !

Ces gens ci-dessus décrits et appelés Nosaïris, ainsi que les autres branches des Karmathes, sectateurs du sens caché, sont plus infidèles que les juifs et les chrétiens, que dis-je, plus infidèles encore que bien des idolâtres. Le mal qu'ils ont fait à la religion de Mahomet (que Dieu le protège et le sauve !) est plus grand que celui que font les infidèles belligérants, Turcs, Francs et autres. Ils feignent auprès des musulmans ignorants[37] d'être des Chiites,* dont le chef [Ali] était de la maison [de Mahomet[38]];* mais, en réalité, ils ne croient ni à Dieu, ni à son Prophète, ni à son livre ; ni à la rétribution, ni au châtiment; ni au paradis, ni à l'enfer; ni à aucun des envoyés de Dieu, avant Mahomet (que Dieu le protège et le sauve !), ni à aucune des religions précédentes. Bien loin de là, quand ils se servent de la parole de Dieu et de son Prophète, bien claire pour les musulmans, c'est pour s'arroger le droit de baser sur elle leurs doctrines, et ils prétendent que cela constitue la science du sens caché, qui renferme ce qu'en a fait connaître plus haut notre interlocuteur, et bien d'autres choses de ce genre. Mais ils ne gardent aucune mesure dans les prétentions hérétiques qu'ils élèvent contre les attributs de Dieu et contre ses signes (les versets du Coran), non plus que dans les déplacements qu'ils font subir à la parole de Dieu et de son prophète. Car leur but est la négation absolue de la foi et des préceptes de l'Islam, et malgré leurs protestations hypocrites que ces choses (leurs dogmes) sont des vérités qu'ils reconnaissent, elles rentrent dans la catégorie [des hérésies] déjà mentionnées par notre interlocuteur.

En fait de dogmes, ils enseignent que les prières symbolisent la science de leurs mystères; le jeûne obligatoire, le secret dans lequel il faut les tenir; le pèlerinage de la maison antique (la Kaaba), les visites qu'ils doivent à leurs cheikhs. Ils disent que les deux mains d'Abû Lahab[39] sont Abu Bekr et Omar, et qu'Ali, fils d'Abû Tâlib, est un grand prophète[40] et l'Imâm évident. Tout le monde sait de combien d'actes et d'écrits ils se sont rendus auteurs dans leur hostilité pour l'islamisme et pour son peuple. Dès qu'ils en trouvent la possibilité, ils versent le sang des musulmans. Une fois, ils égorgèrent des pèlerins et jetèrent leurs corps dans le puits de Zemzem ; une autre fois, ils s'emparèrent de la pierre noire qu'ils gardèrent longtemps, et massacrèrent un nombre immense de savants musulmans, de cheikhs, d'émirs et de personnages importants,[41] dont Dieu très-haut peut seul faire le compte.[42] Ils ont composé de nombreux ouvrages contenant les matières dont notre interlocuteur a déjà parlé, et, de leur côté, les musulmans ont écrit des traités pour découvrir leurs mystères, déchirer le voile qui les entourait, et pour montrer dans quelle incrédulité ils sont plongés. Or leur magisme et leur hétérodoxie sont pires que les croyances des juifs, des chrétiens et des brahmanes de l'Inde, adorateurs des idoles. Et ce qu'a rapporté notre interlocuteur, dans le but de les décrire, n'est qu'une petite partie de tout ce que savent sur eux les hommes instruits.

On n'ignore pas que les côtes de Syrie tombèrent au pouvoir des chrétiens, précisément du côté des Nosaïris. C'est qu'ils ont toujours été les plus grands ennemis des musulmans et se sont joints aux chrétiens contre eux.[43] Les coups les plus terribles qu'ils ressentirent furent les victoires des musulmans sur les Tatars,[44] la réoccupation du littoral et la défaite des chrétiens, et ils n'éprouvèrent jamais de plus grande joie que lorsque les chrétiens (notre recours[45] est en Dieu ! ) eurent envahi les frontières musulmanes. Or notre territoire s'était toujours étendu jusqu'à l'île de Chypre, conquise par Mo'awiah, fds d'Abû Sofiân, sous le khalifat de l'émir des croyants Othman, fils d'Affan, quand vint le ive siècle de l'hégire, époque à laquelle ces mécréants à Dieu et à son Prophète se multiplièrent sur tout le littoral et dans l'intérieur des terres. C'est par leur intermédiaire que les chrétiens purent s'emparer des côtes et enlever d'assaut Jérusalem et les autres villes, et le rôle qu'ils jouèrent dans ces événements fut considérable. Ensuite, quand Dieu suscita dans l'islamisme des rois tels que Nour ed-Din, le pieux, Salah ed-Din et leurs successeurs, ces rois reprirent le littoral sur les chrétiens et sur ceux qui les y secondaient, puis, se saisirent de l'Egypte ( Barr Misr), dont les Nosaïris étaient restés maîtres pendant environ deux cents ans.[46] Ceux-ci s'allièrent encore aux chrétiens, mais les musulmans leur firent la guerre sainte jusqu'à ce qu'ils eussent recouvré le territoire en entier.[47] Depuis cette époque la loi de l'Islam se répandit dans toute l'Egypte et la Syrie. * Alors survinrent les Tatars-Mongols, qui inondèrent nos possessions et mirent à moi t le khalife de Baghdâd, ainsi que d'autres princes, toujours avec le secours et l'assistance de ces Nosaïris.[48] Ce fut Nasir ed-Din Tûsî, astrologue de Hulagu le sultan des Tatars, devenu son vizir à Alamout,[49] qui décida le meurtre du khalife et l'investiture [des princes mongols[50]] *.

Les Nosaïris ont plusieurs noms en vogue parmi les musulmans. Tantôt on les appelle Molâhidah[51] (hérétiques), tantôt Ismaélis, tantôt Karmathes, tantôt Bâtinîs,[52] tantôt Nosaïris, tantôt Khorramïs,[53] tantôt enfin Mohammars. Parmi ces différents noms, il y en a qui leur sont communs et d'autres qui désignent spécialement une de leurs branches, de même que les mots [dérivés des formes] Islam et Imân[54] s'étendent à tous les musulmans, mais qu'ils se distinguent par d'autres noms particuliers, soit tirés de leur origine, ou de leur ville, soit ayant rapport à une autre circonstance.

Un exposé complet de leurs vues serait trop long; mais comme l'ont dit les savants, leur religion a les dehors du Rafédhisme, et au fond c'est l'incrédulité pure et simple.[55]

En réalité, ils ne croient à aucun des prophètes et des envoyés, pas plus à Noé qu'à Abraham, à Moïse, à Jésus ou à Mahomet, et n'ajoutent pas foi à la moindre parole des livres révélés par Dieu, Pentateuque, Evangile ou Coran. Ils n'établissent nullement que le monde a été formé par un créateur, envers lequel on doit s'acquitter de devoirs religieux, ni qu'il y a un monde autre que celui-ci, où les hommes sont rétribués selon leurs œuvres. Tantôt ils s'appuient sur les opinions des matérialiste » et des théistes,[56] à l'imitation des auteurs des Traités des Frères de la pureté,[57] tantôt ils suivent les principes des philosophes et les tendances des Mages, adorateurs de la vache, et se montrent aussi subtils que les infidèles et les Rafédhis dans leur [habileté] à arguer de la parole des prophètes. Mais cette parole, ils la travestissent et s'en font une arme, comme par exemple de ces mots du Prophète ( que Dieu le Protège et le sauve !) : La première chose que Dieu créa fut l'intelligence; il lui dit : Avance, et elle avança, puis : Recule, et elle recula.[58] * Mais[59] ils détournent ces paroles de leur vrai sens, et s'ils enseignent que la première chose créée par Dieu est l'intelligence, c'est pour se rencontrer avec ce dire des philosophes, disciples d'Aristote, que la première chose émanée de l'être nécessaire est la raison. [Nous le répétons,] ils détournent de son vrai sens une parole venue du Prophète (que Dieu le protège et le sauve!), à l'instar des auteurs théistes des Traités des Frères de la pureté et de ceux qui s'en rapprochent; leur religion est la même.

Leurs absurdités ont pénétré chez beaucoup de musulmans et les ont corrompus, au point que certains livres traitent d'une nouvelle secte de gens qui cherchent à concilier la science et la religion, sans toutefois s'accorder complètement avec les Nosaïris sur les bases de leur impiété.[60]

Dans cette maudite doctrine [nosaïri] qu'ils nomment el-Da'wât el-hâdiyat (l'appel qui dirige), ils énumèrent plu sieurs degrés dont les noms sont Nihâyat el-Balâgh el-Akbar[61] (le comble de la science majeure) et el-Nâmnsel-A’zam (le code le plus considérable). Ce Balâgh el-Akbar enseigne la négation et la détractation du créateur et de ceux qui le touchent de près, à tel point que l'on d'eux [docteur nosaïri] a été jusqu'à dire que le nom de Dieu est écrit au plus bas de son pied.[62] Ils renient encore dans [ce Balâgh] les lois de la religion de Dieu et les enseignements des prophètes. Ils prétendent que ces derniers appartenaient à leur race (la race humaine), qu'ils briguaient le pouvoir et que les uns usèrent de bons moyens pour y parvenir, mais que los autres usèrent de moyens criminels et pour cela furent mis à mort. Ils rangent Mahomet (que Dieu le protège et le sauve !) et Moïse (le salut soit sur lui!) dans la première catégorie et le Messie dans la seconde.[63] Enfin, la description de toutes leurs moqueries contre la prière, l'aumône, le jeûne, le pèlerinage, et de toutes leurs théories sur la licence du mariage avec ses proches parentes et sur les autres prescriptions légales, nous mènerait trop loin.

Ils adoptent entre eux des signes et des mots de passe, au moyen desquels ils se reconnaissent les uns les autres, et quand ils se trouvent en pays musulman, où les vrais croyants sont en majorité, ils se cachent de quiconque leur est étranger.*

[64]Les docteurs de l'Islam sont tous d'accord sur ces points :

1° Qu'il est illicite de contracter le mariage avec de telles gens, et qu'un homme ne peut ni cohabiter avec son esclave, si elle est nosaïri, ni prendre femme parmi eux;

2° Que les animaux tués par eux sont impurs ;

3° Quant au fromage fabriqué avec la présure de ces animaux, il y a deux versions bien connues à son sujet, comme d'ailleurs au sujet de la présure d'animaux crevés ou d'animaux tués par les Mages et les chrétiens, lesquels, dit-on, ne les purifient pas (ne les égorgent pas). Les rites d'Abû Hanifah et d'Ahmed (ben Hanbal), d'après les deux traditions de ces docteurs, permettent l'usage de ce fromage, car la présure des animaux crevés est pure, suivant ce précepte que le fiel ne meurt pas de la mort de l'animal, et que [quoique] s'amassant dans une poche impure, à l'intérieur du corps, il ne participe pas à cette impureté. Dans l'autre tradition, ce sont les rites de Mâlik et de Shâfi'ï;[65] ce fromage est dit impur, parce que la présure venant de ces gens est elle-même impure. En effet, le lait et la présure d'animaux crevés sont impurs, d'après ces rites ; or, ne pas manger d'animaux tués par certains individus, c'est considérer ces animaux comme crevés. * Les partisans de chaque version allèguent à l'appui de leur dire des traditions qu'ils font remonter aux compagnons de Mahomet. Ceux qui soutiennent la première rapportent que les compagnons du Prophète mangeaient du fromage des Mages, ceux qui soutiennent la seconde rapportent qu'ils ne mangeaient que du fromage qu'ils croyaient fabriqué par des chrétiens. C'est donc là une question d'interprétation,[66] et il dépend de quiconque cherche à se former une opinion à cet égard, de se conformer[67] à l'une ou à l'autre décision, selon la réponse du mufti auquel on aura soumis les deux cas.[68] *

4° Pour leurs vases et leurs vêtements, ils sont assimilés à ceux des adorateurs du feu, comme l'enseignent les rites des Imâms. La vérité[69] est qu'on ne peut faire usage de leurs vases qu'après les avoir lavés, car, les animaux tués par eux étant regardés comme crevés, il est impossible que quelque chose de l'impureté des viandes ne reste pas après les vases employés [à les contenir]. Lorsque la conviction qu'un de leurs vases a été souillé ne s'impose pas à l'esprit,[70] on peut s'en servir sans lavage préalable.[71] C'est ainsi qu'Omar (Dieu soit satisfait de lui!) fit ses ablutions avec l'écuelle d'un chrétien. Si donc il y a doute au sujet de la pureté d'un ustensile, nous ne décidons pas qu'il soit impur parce qu'il y a doute.[72]

5° Il n'est pas licite d'enterrer les Nosaïris dans les cimetières musulmans, ni de réciter les prières sur leurs corps. Dieu a défendu à son Prophète de prier sur le corps des hypocrites tels qu'Abd-Allah ben Obay et ses pareils, qui feignaient de pratiquer la prière, l'aumône, le jeûne et la guerre sainte en compagnie des musulmans, n'émettaient jamais d'opinions contraires à la religion musulmane, mais ne les professaient pas moins en secret.[73] Dieu très-haut a dit:

Ne prie jamais sur aucun d'eux quand ils mourront; ne te tiens jamais sur leur tombe (Coran, IX, 86). Combien à plus forte raison ne doit-on pas agir de même à l'égard de ceux-ci qui, outre le zendiqismo et l'hypocrisie, laissent encore paraître l'incrédulité et l'hétérodoxie!

6° Quant à les employer sur les frontières des musulmans, dans leurs forteresses et à l'armée, c'est une énormité semblable à celle qu'on commettrait en se servant des loups pour garder les moutons. Car ces gens sont les plus traîtres des hommes à l'égard des musulmans et de leurs chefs, les plus acharnés à la subversion de la religion et de l'Etat[74] les plus empressés à livrer les forteresses n nos ennemis.[75] Il est donc du devoir de nos préfets de les rayer des contrôles de l'armée et de ne pas plus s'en servir pour combattre que pour toute autre fonction.[76] * Ce serait un crime de mettre du retard dans l'accomplissement de ce devoir, quand on a la possibilité de s'en acquitter.[77] *

* Si on leur a confié un poste ou s'ils remplissent un emploi à de certaines conditions à eux imposées, il fout les rétribuer suivant la loi du talion ; c'est sur cette base qu'on les engage. S'ils exécutent fidèlement les conventions, leurs émoluments leur sont dus; mais s'ils les violent, qu'on leur rende la pareille. [Nous examinons ce cas] bien que les gages de tels gens ne rentrent pas dans la catégorie des « soldes[78] obligatoires », subdivision du chapitre des « contrats[79] licites. » *

* Leur sang et leurs biens sont déclarés licites.[80] * Les docteurs se partagent sur la question de savoir si l'on doit les admettre à résipiscence quand ils manifestent le repentir. Ceux qui agréent leur conversion exigent en échange l'abandon de leurs biens aussitôt qu'ils ont adopté la loi de l'Islam. Ceux qui la rejettent, ainsi que la possibilité pour eux d'hériter de leurs proches[81] déclarent que la confiscation de leurs biens est une restitution au trésor public. Car, disent-ils, ces Nosaïris, lorsqu'on les admet [à résipiscence], feignent l'ignorance auprès des ennemis de leur secte et cachent ce qui les concerne; d'ailleurs il y en a parmi eux qui ne connaissent pas bien leur religion.[82] La marche à suivre en ceci est de les surveiller avec vigilance, de leur interdire les réunions et le port des armes, et quand ils prennent part au combat[83] et observent les pratiques musulmanes telles que les cinq prières et la lecture du Coran, de laisser parmi eux quelqu'un pour leur enseigner la religion musulmane et de s'interposer entre eux et leurs instructeurs.

* [84] Quand Abu Bekr le véridique (que Dieu soit salis-fait de lui!), entouré des autres compagnons du prophète, marcha contre les renégats[85] et que ceux-ci vinrent le trouver, il leur dit : « Choisissez ou la guerre à outrance ou une paix qui vous rende tributaires. » Ils répondirent: « O successeur du Prophète! cette guerre à outrance, nous la connaissons; quelle sera maintenant la paix qui doit nous soumettre au tribut? » Abu Bekr continua : « Vous payerez le prix du sang de nos morts et nous ne payerons point le prix du sang des vôtres. Vous témoignerez que nos morts sont au paradis et que les vôtres sont en enfer. Nous conserverons le butin que nous avons pris sur vous, et vous payerez l'équivalent de celui que vous avez pris sur nous. Nous vous dépouillerons de vos armes offensives et défensives. Il vous sera interdit de monter à cheval, et vous laisserez pousser la queue de vos chameaux jusqu'à ce que Dieu révèle à un des successeurs de son Prophète ce qu'il doit faire de vous [ultérieurement.] » Tous les compagnons de Mahomet se rangèrent à cet avis, sauf en ce qui concernait le prix du sang des guerriers musulmans morts sur le champ de bataille. Omar dit à Abu Bekr : « Ils sont morts dans la voie de Dieu, que Dieu les récompense pour acquitter sa dette envers eux; j'entends que ce sont des martyrs et qu'il n'est point dû de dié pour leur sang. » Les autres tombèrent d'accord avec Omar sur ce point.

Voilà donc quelle fut la sentence des compagnons) de Mahomet; telle fut la manière de voir des princes de la science! Les docteurs ont disputé sur ce point, mais l'avis du plus grand nombre est que, pour quiconque a été tué en combattant contre les renégats coalisés et belligérants, il n'est point dû de prix de sang, conformément à une décision récente qui est aussi celle des rites d'Abû-Hanifah et d'Ahmed, selon l'une des traditions. Suivant l'autre, Shafi'ï et Ahmed ont adopté dans leurs rites la première décision.[86]

Quant aux mesures prises par les compagnons de Mahomet envers ces renégats revenus à l'islamisme, mais toujours suspects, ce qui nécessitait à leur égard l'interdiction des chevaux, des armes et de l'accès dans l'armée, comme pour les juifs et les chrétiens, ces mesures, disons-nous, consistèrent en l'obligation pour eus de se soumettre entièrement à la loi de l'Islam, afin qu'on pût juger de ce qu'ils feraient en bien et en mal. Et lorsqu'un chef de leur religion égarée annonçait l'intention de se convertir, on le retirait de parmi eux et on l'internait dans une ville musulmane. Il fallait alors qu'il se laissât diriger dans la bonne voie ou qu'il pérît dans son hypocrisie.

10° Il n'y a donc nul doute que la guerre sainte et les mesures rigoureuses contre ces [Nosaïris] ne soient au nombre des actions les plus agréables à Dieu et des devoirs les plus sacrés. Le Véridique (Abu Bekr) et les compagnons de Mahomet combattirent les renégats avant de marcher contre les infidèles juifs et chrétiens. La guerre sainte est d'ailleurs une revanche à prendre pour la conquête des pays musulmans [par ces Nosaïris].

11° Il n'est licite à personne de cacher ce qu'il sait de leurs affaires; au contraire, on doit dévoiler et divulguer leurs secrets, afin que les musulmans soient instruits de la vérité. Personne ne doit les aider à rester à l'armée ou dans une fonction quelconque. Personne ne doit s'opposer à ce qu'on les persécute, d'après les prescriptions suivantes de Dieu et de son Prophète, qui comptent parmi les articles les plus importants sur le devoir d'exciter au bien, de détourner du mal et de combattre dans la voie de Dieu (qu'il soit exalté!).

Dieu très-haut a dit à son Prophète :

O Prophète! combats les infidèles et les hypocrites (Coran, IX, 74).

Et parmi les traditions authentiques émanant du Prophète, on trouve celle-ci :

Dans le paradis il y a cent degrés; entre chaque degré il y a un espace égal à celui qui est entre le ciel et la terre. Dieu les a préparés pour ceux qui combattent dans sa voie.

Il a dit encore (Dieu le protège et le sauve!) :

Un jour et une nuit employés à combattre dans la voie du Seigneur valent mieux qu'un mois déjeune strictement observé. La guerre sainte est préférable au grand et au petit pèlerinage.

Dieu très-haut a dit : *

[87]Placerez-vous ceux qui portent de l'eau aux pèlerins et visitent la maison sacrée de la prière au même niveau que celui qui croit en Dieu et au jour dernier et combat dans le sentier de Dieu? Non, ils ne seront point égaux devant Dieu, etc. (Coran, IX, 19), jusqu'à ces mots :

Ceux qui croient, ont quitté leur pays et combattent dans le sentier de Dieu, sans épargner leurs biens ni leurs personnes, occuperont un degré plus élevé auprès de Dieu; ils seront bienheureux (Coran, IX, 20).

Leur Seigneur leur annonce sa miséricorde, sa satisfaction et des jardins ils goûteront des délices constantes (Coran, IX, 21).

Ils y demeureront éternellement, à jamais, car Dieu dispose d'immenses récompenses ( Coran, IX, 22 ).

 


 

[1] Dans notre traduction, tous les passages inédits sont placés entre deux étoiles.

[2] Cf. Cat de la Bibl. Bodl.

[3] Cf. Cat. de la Bibl. Bodl. à l'article Ahmed ben Taimiyyah.

[4] Hadji Khalfa, éd. Flügel, n° 15, 7303, 7750, 8249, 8408, 9604, 9619, 10303, 10845, 11850, 13120, 13464, 2737, 3620, 4848, 4968. 5103, 5896, 6310.

[5]  Hadji Khalfa, n° 1629.

[6] Aumer, Die Ar. Handsch. zu München.

[7] Nous renvoyons les lecteurs, pour une longue liste de travaux, au Journal of the Am. Or. Soc. t. II, p. 259, et à la trad. allemande de Shahrastânî, par Haarbrücker. Voyez aussi le t. VIII, p. 2 du Journal of the ann. Soc. qui contient un important travail.

[8] C'est-à-dire que le monde a toujours existé en tant que substance, et que Dieu le façonne, mais ne le crée pas de rien.

[9] La traduction anglaise ajoute « de la réunion ».

[10] Mohsin, troisième et dernier fils de Fatima. Les Dhammis, autre secte de Shiites outrés, admettaient que la divinité réside dans cinq personnages : Mahomet, Ali, Fatima, Hasan et Hosein, qu'ils comprennent sous le nom de Ashâb el-Kisâ. S. de Sacy, rapportant ce fait (Religion des Druzes, Intr. p. liv), pense que ces mots signifient « possesseurs de la noblesse. » Mais dans un morceau de la Chrestomathie de Kosegarten extrait de l'histoire des Khalifes Fatimides de Makrizi (Chrest, p. 116), on lit que le khalife Mehdî se trouvant un jour avec son fils Qâim biamrillah, son petit-fils Mansûr et son arrière petit-fils Mo'izz lidînillah, les enveloppa avec lui dans son manteau et ajouta que le Prophète n'avait réuni dans son manteau (kisâ) que trois Imâms (lui-même, Hasan et Hosein), tandis que lui Mehdî en réunissait quatre dans le sien. Il semble donc, d'après cette tradition, que les mots Ashâb el-Kisâ désignent ceux qui furent enveloppés dans le manteau de Mahomet, c'est-à-dire la famille d'Ali.

[11] Dans le système des Druzes, les hommes et les femmes spirituels sont les différents ordres de ministres qui composent la hiérarchie unitaire, chacun des ordres de cette hiérarchie étant nommé nommés par rapport à celui qui lui est inférieur, et femmes par rapport à celui qui lui est supérieur (S. de Sacy, Journal asiatique, 1837, t. X, p. 326). Au lieu de trente, E. Salisbury a lu « trois. »

[12] E. Salisbury traduit « jusqu'à ce que leur maître se soit adressé à lui. »

[13]  traduit par « de ne pas consulter de musulman » etc. (E. Salisbury).

[14] Les Nosaïris croient qu'à chaque époque Dieu s'incarne dans deux hommes, dont l'un est sa manifestation extérieure, son verbe, c'est l'Ism (nom), et l'autre son essence même, c'est le Ma'ana ou sens. Le Nom est chargé de conduire au Sens, c'est-à-dire de révéler aux hommes la religion dont l'objet est la connaissance de Dieu. C'est pourquoi le personnage remplissant le rôle d'Ism s'appelle aussi Nâtiq (parlant), et le Ma'ana, Asâs (base, fondement). Il suit de là que, chez les Nosaïris, contrairement au système des Druzes, le Nâtiq est subordonné à l'Asâs dont il n'est que l'expression, comme le nom est l'expression du sens.

[15] Les frères de Joseph, en revenant d'Egypte, avouèrent leur bute à Jacob et implorèrent son pardon. La phrase signifie donc que Jacob étant, comme Ism, subordonné au Ma'ana, il ne pont ait s'élever au-dessus de sa position et pardonner lui-même, mais qu'il intercéderait pour ses fils auprès du Ma'ana, son maître. E. Salisbury rend ce passage par : « Qu'était Jacob ? Quant à lui, c'était l'Ism, car quel pouvoir dépasse sa situation ? Et il dit », etc.

[16] E. Salisbury traduit : « Quant à Joseph, il était le sens qui est demandé » (who is asked). On remarquera que l'ordre des versets du Coran est interverti par les Nosaïris.

[17] C'est-à-dire: Je ne vous ferai point de reproches aujourd'hui.

[18] Asaf était le vizir de Salomon ; les traditions musulmanes lui attribuent des actes merveilleux. La traduction anglaise est plus complète ici, car on y lit: « Ils posent que Salomon était le Ism et Asaf le Ma'ana, et disent que Salomon fut impuissant à faire venir en sa présence le trône de Belqîs, mais qu'Asaf en eut le pouvoir, car Salomon était l'Ism et Asaf le sens tout-puissant, omnipotent. »

[19] Sur la distinction à établir entre les Anbiyâ et les Morsalûna, cf. Coran, trad.de M. Kazimirski, ch. xii, v. 42, note.

[20] Ce personnage est appelé Suleïman Ibn Buheire el-Chiddre par Niebuhr (Voy. en Arabie, t. II, p. 357), et dans les pièces de notre manuscrit relatives aux Ismaélis, on lit également Soleïman; mais je crois que la véritable leçon est Selmân. En effet ce dernier était tenu en grande vénération par les Chiites et on le trouve toujours cité en compagnie d'Abû Dhorr. Selmân était regardé par Mahomet comme faisant partie de sa maison (cf. Herbelot, Bibl. Or. Selmân), et Abu Dhorr faisait partie des « gens du banc » (cf. Aboulféda, Vie de Mahomet, trad. de Noël Desvergers, p. 99; voyez aussi une anecdote sur Abu Dhorr relative à l'alphabet, Hadji Khalfa, éd. Flügel, t. I, p. 61 ; cf. Religion des Druzes, t. II, p. 260 et 588). De plus Selmân était au dire des Dîmes une réincarnation du Messie (Relig. du Brutes, t. II, p. 553). Notre manuscrit (pièces relatives aux Ismaélis) fait dire à Dieu, fol. 2 r° : « Ceux qui parlèrent sur la connaissance de ma nature furent Soleïman, puis Dhorr, Abu Dhorr. » Toutes ces considérations me font supposer que Soleïman et Selmân Fârsi sont un seul et même personnage.

[21] Dans cette trinité, le Seigneur est le Ma'ana et l'Asâs; le voile est le Nâtiq ou Ism parée que le nom est pour ainsi dire le voile du sens. Quant à la Porte, elle désigne celui qui facilite l'accès du sens caché, le commentateur de la religion exposée par l'Ism ou Nâtiq. Nous lisons dans notre manuscrit, fol. 2 r° (c'est Dieu qui parle) : « Ensuite je parus dans Ali, je me voilai sous Mahomet, et ceux qui parlèrent sur la connaissance de ma nature furent Soleïman, puis Dhorr, Abû Dhorr. » Le verbe  signifie donc « s'incarner dans le Ma'ana » ; le verbe  s'incarner dans l'Ism ».

[22] Les uniques, incomparables; ce sont les cinq principaux ministres de Dieu (Niebuhr, Voy. t. II, et Rel. des Druzes, t. II, p. 28 et suiv.).

[23] Les Naqïbs, plur. Noqabâ, sont les ministres subalternes qui répandent la croyance, qui rompent la glace pour ainsi dire. C'est pourquoi on les nomme aussi Mokâsirs chez les Druzes. La racine naqaba signifie aussi percer. Ces douze personnages sont évidemment la réminiscence des douze apôtres.

[24] Tous les historiens arabes, Makrizi, Nowaïri, Ibn Alathir, etc. ont donné de grands détails sur ces laits. Le voyageur Ibn Djobaïr en parle souvent aussi dans sa relation (Ibn Djobaïr, éd. Wright, p. 251 et 256; cf. Ibn al-Athir, éd. Tornberg, t. X, p. 461).

[25] E. Salisbury a traduit « government agents ».

[26] Dans la traduction anglaise, cette phrase est rendue par « and the proof of them was very abondant ».

[27] Avant cette phrase, on lit dans la traduction anglaise : « Est-il permis aux musulmans de prendre femme parmi eux et de manger de leurs sacrifices, l'état des choses étant ainsi ? » Cette question est nécessaire, car Ibn Taimiyyah y répond plus loin.

[28] Mal rendu par « lait caillé » dans la traduction anglaise. Ce mot est ainsi traduit toutes les fois qu'il se rencontre.

[29] La traduction anglaise est ici le résultat d'une variante ou d'un contresens : « Ou d'un autre côté, lui est-il permis de leur accorder des délais dans le cas on se serait déterminé à prendre ce parti ».

[30] J'ai rendu ainsi les mots , mais sans être bien sûr du sens. Peut-être  signifie-t-il « argent » comme nous disons « des espèces », auquel cas if faudrait traduire : « doit-il lui retenir cet argent, etc. »

[31] Le paragraphe entre étoiles * manque dans la traduction anglaise.

[32] Ce passage entre étoiles * manque dans le manuscrit d'E. Salisbury ; aussi a-t-il traduit : « Lorsque le préfet leur fait la guerre, Dieu (qu'il soit exalté!) l'aide-t-il à éteindre, etc. »

[33] Qui se consacre à la guerre sainte en vue du paradis.

[34] E. Sal. a lu Imâm au lieu de Islam et traduit « et à proclamer l'Imâm parmi eux. »

[35] La traduction anglaise rend ceci peu exactement par « de sorte que Dieu regardera peut-être leur postérité et leurs enfants comme des musulmans. »

[36] E. Sal. a pris  pour le prétérit précédé du  interrogatif. Aussi traduit-il : « Ont-ils parlé explicitement touchant ces choses, etc. »

[37] E.. a traduit « warring Muslims. »

[38] Les mots entre étoiles manquent dans la traduction anglaise.

[39] Abu Labab, oncle de Mahomet, était son ennemi déclaré, et un jour que celui-ci cherchait à le convertir en le menaçant de la colère divine, il leva des deux mains une grosse pierre pour en écraser Mahomet; mais, ajoute le commentateur Hosein Waïz qui raconte cette histoire, ses deux mains tombèrent, et lui-même expira sur-le-champ (cf. Herbelot, Bibl. Or.). Dans le ch. cxi du Coran, Mahomet a dit (v. 1): « Que les deux mains d'Abû Lahab périssent et qu'il périsse lui-même ».

[40] Il y a  dans notre manuscrit ; je l'ai remplacé par  d'après la traduction anglaise.

[41] E. Salisbury a traduit « troupes. »

[42] Sur cet événement, voyez l'Intr. à la Religion des Druzes, p. ccix, et dans la Vie de Mahomet trad. par Noël Desvergers, la note 22, p. 105.

[43] Cf. Ibn Alathyr, éd. TorNberg, t. X, p. 213, 220, 270, 369, 445, 456, 464, 471, et t. XI, p. 4, 131, 148, 157. Les Ismaéliens faillirent livrer Damas aux chrétiens ; mais le complot fut découvert, et Tadj el-Molûk en fit un horrible carnage. Pourtant un de leurs chefs s'échappa et courut remettre aux chrétiens la forteresse du Banias que peu de temps auparavant il avait enlevée aux Musulmans (Ibn Alathyr, t. X, p. 462). Cf. Sur le règne de Barkiarok, par M. Defrémery, Journ. asiat. 5e série, t. II, p. 269, 274, 377; Nouvelles recherchese sur les Ismaéliens, par M. Defrémery, Journ. asiat. 5e série, t. III, p. 371 ; t. V, p. 5; t. VIII, p. 353; t. XV, p. 130.

[44] Aboulf. Ann. Musl, t. V, p. 172 et suiv.

[45] E. Sal. a traduit « the reverse is God's appointment. »

[46] La dynastie des Khalifes Fatimides a régné deux cent soixante-deux ans, depuis Obeid Allah jusqu'à Adhad. Ibn Taimiyyah confond les Nosaïris avec les Ismaélis.

[47] Cette phrase est peu correcte dans la traduction anglaise : « Ils (Nour ed-Din et Salah ed-Din) furent en paix avec eux (les Nosaïris) et les chrétiens, car, jusqu'à ce qu'ils eussent reconquis le pays, etc. »

[48] Il ne s'agit pas ici d'une alliance, car Hulagu fit aux Ismaélis une guerre d'extermination. Ibn Taimiyyah fait allusion aux conseils de Nasir ed-Din Tûsî qui appartenait à la secte des Bâtinîs et aux menées du traître el-Kâmî, vizir du khalife Mostasem et chiite outré, qui livra Bagdad aux Mongols et fit tant que Mostasem alla se remettre lui-même entre leurs mains et fut massacré par eux.

[49] Alamût était une forteresse des Bâtinîs située dans le Ghilan. Hulagu l'emporta d'assaut et en massacra tous les habitants, sauf Nasir ed-Din Tûsî.

[50] Le passage entre étoiles manque dans la traduction anglaise.

[51] Mellâheh dans la traduction anglaise.

[52] Nâshiyeh dans la traduction anglaise.

[53] Haramîyeh dans la traduction anglaise. Les Khorramïs avaient pour chef Babek, fils de Khorram; on les appelait aussi Mohammars (cf. Religion àa Drutes, t. II, p. S71, note).

[54] Moslimûna et Mo'minûna.

[55] Cette phrase est ainsi rendue par E. Salisbury. « Il (Ibn Yatmiyeh) commente leurs desseins assez longuement comme il suit : Ainsi donc ils sont de ceux qui se donnent l'extérieur du Rafédhisme, etc. »

[56] Voy. Shahrastani, t. II, et Herbelot, Bibl. Or., au mot Ilahioun.

[57] Sur cet ouvrage, lisez un article de M. Flügel, dans la Zeitsch. der D. M. G. t. XIII, et cf. l’Histoire de la littérature hind. par M. G. de Tassy. Le texte arabe a paru à Calcutta en 1812 et il a été traduit en hindoustani, en anglais (Asiatic Journal, t. XXVIII), et en allemand par Dieterici, Berlin, i858. Voyez aussi Notices et Extraits des Manuscrits, t IX, et le Rapport annuel du Journal asiatique de 1858, par M. Mohl.

[58] E. Salisbury traduit « ils rapportent cette tradition comme si elle venait du Prophète ». C'est bien pourtant une tradition musulmane qui se trouve dans le Kitab el-Awâil wa'l awâkhir (S. de Sacy en donne la traduction dans là Rel. des Druzes, t. II, p. 45). Voici comment l'expliquent les Ismaélis (ms. n° 37 de la Soc. as. fol. 8, v.): Dieu dit : « Sache, 6 Mohammed, que l'éternité (Azal, c'est Dieu) produisit de son essence une lumière qu'il ne sépara pas de lui et qui resta en lui; il la nomma 'Aql (intelligence) et se mit a parler avec elle. Or il lui dit : Qui suis-je ? Elle répondit : Tu es toi et je viens de toi. Alors il lui dit : Recule, c'est-à-dire manifeste-toi comme un être distinct de moi, et elle se manifesta. » Ensuite il lui dit : Approche, c'est à-dire « disparais en moi et réunis-loi à moi », et elle répondit : J'obéis. »

[59] A partir d'ici, tout ce qui suit manque dans la traduction anglaise.

[60] Allusion an système d'Abû 'l-Hasân Ali Ashari Isfahânî, imaginé pour rapprocher et concilier les divers partis (Rel. des Druzes, Intr. p. xxv), et qui commença à se répandre vers la fin du ive siècle de l'hégire (cf. Herbelot, Bibl. Or. au mot Esfahânï). Ibn Taimiyya a composé sur cette question un commentaire intitulé « el-'aqîdat el-Isfahâniyyat » (Hadj. Kh n° 8249).

[61] Chez les Druzes, le Balâgh ou initiation supérieure commence au sixième degré.

[62] Cf. Rel. des Druzes, Intr. p. lxxxiii. Cette seule phrase, de tout le passage compris entre des étoiles, se trouve dans la traduction anglaise; elle rient immédiatement après la tradition sur l'intelligence.

[63] Réminiscence du crucifiement de Jésus-Christ.

[64] Ici reprend la traduction de Salisbury.

[65] Le manuscrit ajoute « et d'Ahmed » ; il faut évidemment supprimer ce mot.

[66] En jurisprudence, l'Idjtihâd est l'acte du jurisconsulte faisant tous ses efforts pour « former l'opinion de l'existence d'une disposition de la loi. (J. B. Vincent, Législation crim. Rite de Mâlik, Prél. p. 16, note, et Perron, Jurispr. musulm. Table alphabétique).

[67] Sur les mots taqlîd et moqallid, cf. les définitions de Djordjâni, éd. Flügel, et une note de S. de Sacy, Rel. des Druzes, Intr. p. lxxxi.

[68] Tout le passage compris entre des étoiles manque dans la traduction anglaise.

[69] E. Sal. traduit par « le Sahîh (de Bokbari) dit sur ce point ».

[70] Cette phrase est rendue, peu correctement, dans la traduction anglaise par « mais quant aux vases qu'on n'est pas obligé de regarder comme impurs. »

[71] La traduction anglaise ajoute ici : « Comme les vases à lait dans lesquels ils ne laissent pas de bouillon et qu'ils lavent avant d'y verser du lait. »

[72] Vraisemblablement, le manuscrit d'E. Sal. différait légèrement du nôtre à cet endroit, car il traduit : « Et Omar accomplit ses ablutions arec la jarre d'une femme chrétienne, au sujet de l'impureté de laquelle il doutait; de sorte qu'il ne jugea pas que cette jarre fût impure en raison de son doute. »

[73] Sur Abd Allah, fils d'Obay, voyez la Vie de Mahomet, trad. par Noël Desvergers, p. 41, 44, 54, 58, 59, 85, 87.

[74] La traduction anglaise ajoute : « Ils sont pires que les espions dans l'armée, car les espions ont un but concernant le chef de l'armée ou l'ennemi (?), tandis que leur but concerne notre religion, son Prophète, son roi, ses hommes instruits, sa basse classe du peuple et sa classe élevée. »

[75] La traduction anglaise ajoute : « et à aliéner les troupes du gouverneur, à les détourner de l'obéissance qu'elles lui doivent. »

[76] La traduction anglaise ajoute : « car le mal qu'ils font aux forteresses est sérieux, et il est de leur devoir (des préfets) d'employer à leur place de vrais croyants attachés à l'Islam, aux commandements de Dieu, de son envoyé et de ses Imâms.

[77] Cette phrase manque dans la traduction anglaise, ainsi que tout le paragraphe suivant placé entre deux étoiles.

[78] Sur le mot Idjârat, voyez Perron, Jurispr. musulm. t. IV, p. 666, note.

[79] Je traduis ainsi Haqâlat, du verbe , qui à la 3e forme signifie « faire un contrat, un marché » (Lane).

[80] C'est la réponse à une des questions posées plus haut. Elle manque dans la traduction anglaise.

[81] Ceci est autrement dans la traduction anglaise : « Ceux qui ne l'admettent pas et les repoussant de leurs rangs. »

[82] La traduction anglaise ajoute : « et il y en a qui la connaissent bien. »

[83] E. Salisbury traduit : « Même s'ils font partie des combattants », sens qui me paraît insoutenable.

[84] Tout ce qui suit, jusqu'à l'autre étoile, manque dans la traduction anglaise.

[85] Il s'agit de la révolte de Mosailamah, le faux prophète, qui autrefois était venu avec les envoyés des Bènou Honaifah rendre hommage à Mahomet, et avait même embrassé l'islamisme.

[86] Celle d'Abû Bekr.

[87] Ici reprend la traduction anglaise.