Saadi

SAADI (Muslih-ud-Din Mushrif ibn Abdullah)

سعدی

 

LE PARTERRE DE ROSES.

CHAPITRE VIII. Touchant les bienséances de la société.

chapitre VII

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Miniature de Paul Zenker illustrant une édition de 1942 du Jardin des roses (Wikipédia)

 

 


 

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CHAPITRE VIII.

Touchant les bienséances de la société.

Sentence. — « L'argent est destiné à nous procurer les aises de la vie ; celle-ci ne doit pas servir à amasser de l'argent. On demanda ceci à un sage : « Quel est l'homme heureux et quel est le malheureux? » « L'homme heureux, répondit-il, est celui qui a mangé (c'est-à-dire joui) et semé; le malheureux, celui qui est mort et a laissé son argent. »

Vers. — « Ne récite pas la prière sur cet être de rien qui n'a rien fait; car il a employé sa vie à acquérir des richesses et n'en a pas joui. »

Sentence. — « Son excellence Moïse donna le conseil suivant à Karoun (Coré) : « Fais du bien aux hommes, comme Dieu t'en a fait.[311] » Karoun ne l'écouta pas, et tu as appris quelle fut sa fin. »

Vers. — « Cette personne qui n'a pas acquis, des bonnes œuvres avec des dinars et des drachmes, à la fin a consumé sa vie dans le désir d'amasser de l'or et de l'argent. Veux-tu que tu jouisses des biens de ce monde? sois libéral envers autrui, comme Dieu l'a été envers toi. »

L'arabe dit : « Sois libéral et ne reproche pas le bien que tu feras. Certes que le profit t'en reviendra. » C'est-à-dire, en persan, donne, fais des libéralités et n'impose pas pour cela d'obligations, car l'avantage de cette conduite te reviendra.

Vers. — « Partout où l'arbre de la générosité a pris racine, ses rameaux et sa tige ont dépassé le ciel. Si tu as conçu l'espoir de manger de ses fruits, ne place pas avec des reproches la scie sur son pied. »

Vers. — « Rends des actions de grâces à Dieu de ce que tu as été assisté pour le bien ; il ne t'a pas laissé privé de sa bonté et de sa générosité. N'adresse pas de récriminations, sous prétexte que tu sers le sultan, reconnais plutôt sa bonté de te conserver à son service. »

Sentence. — « Deux personnes ont supporté une peine inutile et fait de vains efforts : 1° celle qui a amassé de l'argent et n'en a pas joui; 2° celle qui a amassé du savoir et ne l'a pas mis en pratique. »

Vers. — « Quoique tu étudies beaucoup les sciences, lorsque tu ne les mets pas en pratique, tu es un ignorant. Il n'est ni un contemplatif ni un savant, ce quadrupède qui porte plusieurs livres. Cet être à la cervelle vide, quelle science et quelle notion a-t il si ce qu’il porte est du bois ou des livres? »

Sentence. — « Le savoir est destiné à nourrir la religion, et non à nous faire jouir des biens de ce monde. »

Vers. « Quiconque a vendu la chasteté, la science et la dévotion, a amoncelé une meule et l'a brûlée entièrement. »

Sentence. — « Le savant sans continence est un aveugle qui porte une lanterne. Il dirige les autres et n'est pas dirigé. »

Vers. — « Quiconque a joué sa vie sans avantage, n'a rien acheté et a jeté son or. »

Sentence. — « Le royaume emprunte de la beauté aux sages, et la religion obtient sa perfection au moyen des gens chastes. Les rois ont plus besoin des conseils des sages, que ceux-ci de la faveur des rois. »

Vers. — « O roi, si tu écoutes mon conseil, dans tous les livres il n'y a pas d'avis meilleur que celui-ci : Ne confie d'emploi qu'à un homme de sens, quoique les emplois ne soient pas le fait des hommes de sens. »

Sentence. — « Trois choses ne demeurent pas stables sans trois autres choses : l'argent sans le trafic, la science sans les controverses, le pouvoir sans sévérité. Exercer la miséricorde envers les méchants, c'est une injustice envers les bons ; pardonner aux oppresseurs, c'est tyranniser les opprimés. »

Vers. — « Lorsque tu montres de la bienveillance au méchant et que tu le caresses, il commet une faute au moyen de ton autorité, et comme de société avec toi. »

Sentence. — « On ne peut se fier en l'amitié des rois, et il ne faut pas être séduit par l'agréable voix des jeunes garçons; car celle-là est changée sur une simple imagination, et celle-ci est altérée par un songe (c'est-à-dire, par la puberté). »

Vers. — « Tu ne donneras pas ton cœur à la maîtresse de mille amants, et, si tu le donnes, tu livreras ce cœur à la solitude. »

Sentence. — « Ne révèle pas à ton ami tous les secrets que tu possèdes. Que sais-tu s'il ne deviendra pas un jour ton ennemi? Ne cause pas à ton ennemi tout le mal que tu peux lui faire : il est possible qu'un jour il devienne ton ami. Ce secret que tu désires tenir caché, ne le divulgue à aucune personne, quand bien même elle serait digne de confiance; car qui que ce soit n'aura plus de sollicitude pour ton secret que toi-même. »

Vers. — « Le silence vaut mieux que de révéler à quelqu'un la pensée de ton propre cœur en ajoutant : « Ne le répète pas. » O homme sincère, arrête l'eau dans sa source ; car, quand le fleuve est devenu considérable, on ne peut l'arrêter. »

Vers. — « Il ne faut pas dire en secret une parole qu'il ne convient pas de proférer dans toute réunion. »

Sentence. — « Un ennemi faible qui se soumet et montre de l'amitié, son but n'est autre que de devenir un ennemi fort. On a dit : Il n'y a pas de confiance à prendre dans l'amitié des amis; à plus forte raison, dans les caresses des ennemis. Quiconque regarde comme méprisable un ennemi faible, ressemble à l'homme qui néglige un feu peu considérable. »

Vers. — « Éteins le feu aujourd'hui qu'on peut l'éteindre ; car, lorsqu'il se sera élevé, il brûlera le monde. Ne permets pas à l'ennemi de munir l'arc de sa corde, lorsque tu peux (litt. lorsqu'on peut) le percer de ta flèche. »

Sentence. — « Parle de telle sorte entre deux ennemis que, s'ils deviennent amis, tu ne sois pas atteint de confusion. »

Vers. — « La guerre entre deux personnes est comme le feu, et le misérable rapporteur fait office de bûcheron. Les deux adversaires se réconcilieront, et lui restera malheureux et confondu. Il n'est pas conforme à la sagesse d'allumer du feu entre deux individus, et de s'y brûler.[312] »

Vers. — « Quand tu parles à tes amis, n'élève pas la voix (litt. sois paisible), afin que l'ennemi avide de sang ne t'entende pas. Fais bien attention à ce que tu diras devant la muraille, afin qu'il n'y ait pas derrière elle une oreille. »

Sentence. — « Quiconque fait la paix avec les ennemis de ses amis, a l'intention de vexer ceux-ci. »

Vers. — « O homme prudent, renonce à cet ami qui se lie avec tes ennemis. »

Sentence. — « Lorsque tu es irrésolu touchant l'accomplissement d'une affaire, choisis ce parti qui se trouvera présenter le moins d'inconvénients. »

Vers. — « Ne parle pas rudement aux hommes qui te parleront avec douceur ; ne cherche pas querelle à celui qui frappe à la porte de la paix. »

Sentence. — « Tant que l'affaire réussira au moyen de l'or, il ne convient pas de jeter sa vie dans le péril. C'est ainsi que l'arabe dit : « La dernière ressource, c'est l'épée. »

Vers. — « Lorsque la main est impuissante à employer la ruse (litt. a été brisée de toute ruse), il est permis de porter la main à l'épée.[313] »

Sentence. — « N'aie pas pitié de la faiblesse de l'ennemi; car, s'il en a le pouvoir, il n'aura pas pitié de toi. »

Vers. — « Quand tu vois ton ennemi dans l'impuissance, ne t'enorgueillis pas de ta force:[314] il y a de la moelle dans chaque os et un homme dans chaque chemise. »

Bon mot. — « Quiconque tuera un méchant délivrera les hommes du mal qu'il leur cause et le sauvera lui-même du châtiment de Dieu. »

Vers. — « Le pardon est digne d'approbation, mais ne place pas un emplâtre sur la blessure de celui qui tourmente les autres. L'homme qui a eu pitié du serpent n'a pas su que cela était une injustice envers les enfants d'Adam. »

Sentence. — « C'est une erreur d'accepter des conseils de la part d'un ennemi : mais il est permis de les écouter, afin que tu agisses contrairement à ces conseils ; car c'est l'essence même de ce qui est convenable. »

Vers. — « Garde-toi bien de ce que l'ennemi te dit de faire ; car tu frapperais contre ton genou la main du désappointement. S'il te montre un chemin droit comme la flèche, détourne-t'en et prends te chemin à gauche. »

Sentence. — « Une colère qui dépasse les bornes cause de la frayeur, et une bonté intempestive fait disparaître le respect. N'exerce pas tant de sévérité que l'on soit las de toi, ni tant de douceur que l'on s'enhardisse contre toi. »

Vers. — « La sévérité et la douceur réunies sont ce qu'il y a de mieux, à l'instar du chirurgien (litt. du phlébotomiste) qui pratique la saignée et pose l'emplâtre.[315] L'homme sage n'adopte ni la sévérité ni la faiblesse, car une pareille conduite diminuerait sa dignité. Il ne se surfait pas, et ne se soumet pas entièrement à l'avilissement. »

Vers. — « Un berger dit à son père : « O homme « prudent, enseigne-moi une maxime digne d'un vieillard. » Il répondit : « Exerce la bonté, mais non de « telle sorte que le loup aux dents acérées devienne audacieux. »

Sentence. — « Deux personnes sont ennemies de l'État et de la religion : un roi sans douceur et un religieux dépourvu de science. »

Vers. — « Qu'il ne soit pas à la tête de l'État, ce roi puissant qui n'est pas envers Dieu un esclave soumis. »

Sentence. — « Il faut que le roi ne pousse pas sa colère contre ses ennemis à un tel point qu'il ne reste plus à ses amis de confiance en lui ; car le feu de la colère tombe d'abord sur l'homme irascible, puis une étincelle atteint l'ennemi ou ne l'atteint pas. »

Vers. — « Il ne convient pas aux fils d'Adam, cet être né de la poussière, de renfermer dans leur tête de l'orgueil, de la violence et du vent. Avec tant de violence et d'obstination, je ne pense pas que tu sois formé de poussière, mais de feu. »

Vers. « Dans la contrée de Beîlékân[316] j'arrivai près d'un religieux et je lui dis : « Purifie-moi de mon ignorance par ta faveur. » Il répondit : « Va, ô docteur, et sois patient comme la terre, ou bien ensevelis tout ce que tu as lu. »

Sentence. — « L'homme d'un mauvais caractère est captif dans la main d'un ennemi,[317] et, quelque part qu'il aille, il ne sera pas délivré de la griffe des châtiments que cet ennemi lui fait souffrir. »

Vers. — « Si le méchant escaladait le ciel pour échapper à la main de l'affliction, il serait encore tourmenté par la main de son mauvais caractère. »

Conseil. — « Lorsque tu vois que la dispute et la dispersion se mettent dans l'armée des ennemis, sois tranquille; mais, s'ils sont d'accord et réunis, alors songe à la fuite (litt. à la dispersion). »

Vers. — « Va, assieds-toi tranquillement avec tes amis, lorsque tu vois la guerre au milieu de tes ennemis. Mais, si tu t'aperçois qu'ils sont bien d'accord ensemble, arme ton arc de sa corde et amasse des pierres sur la muraille. »

Avertissement. — « Quand l'ennemi sera dans l'impuissance de réussir par aucun moyen, il agitera la chaîne de l'amitié; puis, au moyen de celle-ci, il fera des actes que l'ennemi ne pourra faire. »

Conseil. — « Frappe la tête du serpent par la main de l'ennemi ; car cette conduite ne sera pas dépourvue d'un de ces deux avantages :

Vers. — « Si l'ennemi est vainqueur, tu auras tué le serpent; si celui-ci l'emporte, tu seras délivré de ton ennemi. »

Vers. — « Au jour du combat, ne sois pas sans craindre un faible adversaire; car il enlèvera la moelle du lion, lorsqu'il aura détaché son cœur de la vie (c'est-à-dire, lorsqu'il aura renoncé à la vie). »

Conseil. — « Une nouvelle que tu sais devoir vexer un cœur, tais-la, afin qu'un autre l'apporte. »

Vers. — « O rossignol, apporte la bonne nouvelle de l'arrivée du printemps, et laisse au hibou les mauvaises nouvelles.[318] »

Conseil. — « N'instruis pas le roi de la trahison de quelqu'un, sinon alors que tu as la confiance d'une complète approbation, ou bien tu fais des efforts pour ta propre perte. »

Vers. — « Prépare-toi à parler, alors que tu sais que la parole fera quelque impression. »

Sentence. — « Quiconque donne des conseils à un homme entêté a lui-même besoin du conseil d'autrui. N'accueille pas le mensonge de l'ennemi, et n'achète pas les tromperies du panégyriste; car celui-là a tendu le filet de l'hypocrisie, et celui-ci a ouvert le palais (c'est-à-dire la bouche) de l'avidité. La louange plaît au sot, de même qu'une carcasse d'animal dans laquelle tu souffles à l'endroit du talon[319] paraît grasse. »

Vers. — « Or ça, prends bien garde d'écouter les éloges de l'homme éloquent qui espère obtenir de toi un petit avantage. Si quelque jour tu ne réalises pas son désir, il te comptera deux cents fois autant de défauts. »

Sentence. — « Tant que quelqu'un ne reprendra rien chez l'orateur, sa parole ne recevra pas toute sa perfection. »

Vers. — « Ne sois pas fier de la beauté de ton discours, à cause de l'approbation de l'ignorant et de ton propre orgueil. »

Sentence. — « A chacun son intelligence semble parfaite et ses enfants paraissent beaux.[320] »

Vers. — « Un juif et un musulman se disputaient, de telle sorte que le rire me prit à cause de leur conversation. Le musulman dit en colère : « Si cette mienne assignation n'est pas authentique, à mon Dieu, fais-moi mourir dans la religion juive. » Le juif répartit : J'en jure par le Pentateuque et, si je fais le contraire, je serai musulman comme toi. » Quand bien même la sagesse serait anéantie de dessus la terre, personne ne s'imaginerait être un ignorant.[321] »

Sentence. — « Dix hommes mangeront à la même table, et deux chiens ne pourront vivre sur une même charogne. L'homme avide est affamé, malgré la possession d'un monde, l'homme tempérant est rassasié par un pain. La richesse consiste dans la modération, non dans le capital. »

Vers. — « Les intestins étroits sont remplis par un pain sec; mais les richesses de la surface de la terre ne rempliront pas l'œil avide (du convoiteux). »

Vers. « Lorsque le temps de l'existence de mon père fut écoulé, il m'adressa ce seul conseil et mourut : « La concupiscence est un feu, garde-t'en bien; n'attise pas pour toi le feu de l'enfer : tu n'aurais pas la force de supporter les brûlures de ce brasier ; aujourd'hui donc jette de l'eau sur ce feu-ci (la concupiscence), par le moyen de la patience. »

Sentence. — « Quiconque n'exerce pas la bonté quand il en a le pouvoir éprouvera beaucoup de tourments au temps de la détresse. »

Vers. — « Il n'y a pas d'être plus misérable que celui qui tourmente les hommes, car au jour du malheur personne n'est son ami. »

Sentence. — « La vie dépend de la conservation d'un souffle; le monde est une existence entre deux, néants. Ceux qui vendent la religion pour les biens du monde sont des ânes : ils vendent Joseph, mais qu'achètent-ils?[322] Dieu a dit : « Ne vous ai-je pas prescrit, ô fils d'Adam, de ne pas adorer Satan?[323] »

Vers. « Sur les discours de l'ennemi, tu as rompu ton pacte avec l'ami ; vois de qui tu t'es séparé et avec qui tu t'es lié. »

Sentence. — « Satan ne réussit pas près des gens sincères, ni le sultan près des indigents. »

Vers. — « Celui-là qui ne s'acquitte pas de la prière, ne lui accorde pas d'argent en prêt, quand bien même sa bouche serait ouverte par le besoin. Puisqu'il ne s'acquitte pas des préceptes de Dieu, il n'aurait pas non plus de souci de ton prêt. »

Sentence. — « Tout ce qui réussit promptement ne dure pas longtemps, et les sages ont dit : Il n'y a pas de stabilité pour un bonheur prompt. »

Vers. — « J'ai entendu dire qu'avec la terre de l'Orient on fait en quarante années des vases de la Chine. A Bagdad on en fait cent dans un jour; aussi tu vois quelle est leur valeur. »

Vers. — « Le poussin sort de l'œuf et cherche sa nourriture, tandis que l'enfant de l'homme n'a pas la moindre notion de sagesse ni de discernement. Celui-là qui est devenu tout à coup quelque chose (litt. quelqu'un) n'est parvenu à rien, et celui-ci a dépassé toutes choses par sa puissance et son mérite. Le verre existe en tout lieu, aussi n'a-t-il pas de prix ; le rubis se rencontre difficilement, c'est pourquoi il est précieux. »

Sentence. — « Les entreprises réussissent par la patience, et l'homme qui se hâte tombe par terre. »

Vers. — « J'ai vu de mes propres yeux dans le désert que l'homme à la démarche tranquille dépasse celui qui se hâte.[324] Le cheval bai-brun, aussi prompt que le vent, s'est fatigué de courir; mais le chamelier poussait encore doucement sa bête. »

Sentence. — « Pour l'ignorant il n'y a rien de meilleur que le silence; et, s'il connaissait cet avantage, il ne serait pas un ignorant. »

Vers. — « Lorsque tu ne possèdes ni mérite ni science, le mieux c'est que tu gardes ta langue (silencieuse) dans ta bouche. La langue déshonore l'homme (en révélant son ignorance), de même que la noix qui ne renferme pas de pulpe est dénoncée par sa légèreté. »

Vers. — « Un sot donnait des leçons à un âne, dépensant toujours pour lui son temps. Un sage lui dit : « O ignorant, pourquoi te fatigues-tu? Crains dans ton vain désir les reproches du critique. Les brutes n'apprendront pas de toi l’art de la parole ; mais toi apprends d'elles à te taire. »

Vers. — « Quiconque ne réfléchit pas à la réponse qu'il doit faire, son discours se trouve être d'autant plus hors de propos. Ou bien orne tes paroles au moyen de la sagesse, à l'instar des hommes, ou bien assieds-toi silencieux comme les brutes. »

Sentence. — « Quiconque dispute contre un plus savant que lui, afin que l'on sache qu'il est instruit, on saura que c'est un ignorant.

Vers. — « Lorsque quelqu'un meilleur que toi se met à parler, quoi que tu puisses savoir, ne le contredis pas. »

Sentence. — « Toute personne qui s'assied près des méchants n'éprouve pas de bien. »

Vers. — « Si un ange s'assied près d'un démon, il en apprendra la sauvagerie, la trahison et la perfidie. Tu n'apprendras pas des méchants à être bon : le loup n'exercera pas le métier de faiseur de pelisses. »

Conseil. — « Ne rends pas manifeste chez les autres un défaut caché ; car tu les déshonorerais et tu te priverais à l'avenir de toute confiance. »

Sentence. — « Quiconque a étudié et n'a pas mis sa science en pratique ressemble à celui qui a conduit le bœuf (attelé à une charrue) et n'a pas répandu de semence. »

Sentence. — « La dévotion ne viendra pas d'un corps dépourvu d'intelligence, et une peau (c'est-à-dire, une coquille de noix) sans pulpe ne convient pas pour le commerce. »

Sentence. — « Chaque personne qui est adroite dans la dispute n'est point parfaite dans la conduite des affaires. »

Vers. — « Combien de tailles qui sont agréables sous le voile, mais, une fois que tu as entr'ouvert celui-ci, sont celles de grand'mères! «

Sentence. — « Si toutes les nuits étaient la nuit du destin,[325] celle-ci serait sans aucun mérite. »

Vers. — « Si toutes les pierres étaient des rubis de Badakhchan,[326] il s'ensuivrait que le prix du rubis et celui de la pierre seraient égaux. »

Sentence. — « Toute personne qui est bonne en apparence ne possède pas de belles qualités ; car c'est le cœur qui agit et non la peau. »

Vers. — « On peut connaître en un seul jour les qualités d'un homme et jusqu'à quel degré de science il est parvenu. Mais ne sois pas tranquille sur ses dispositions secrètes, et ne te laisse pas tromper; car pendant des années entières la méchanceté de l'âme n'est pas connue. ».

Sentence. — « Quiconque dispute contre de grands personnages verse son propre sang. »

Vers. — « Tu te regardes comme un homme puissant. On a dit vrai : L'homme louche voit double. Toi qui joues de la tête contre un bélier, tu verras promptement ton front brisé. »

Conseil. — « Lutter contre le lion et combattre à coups de poing contre un sabre, ne sont pas le fait des sages. »

Vers. — « Ne combats pas et ne lutte pas contre un homme ivre; devant son poing, place ta main sous ton aisselle. »

Sentence. — « Un individu faible qui montre de la bravoure contre un fort est l'allié de son ennemi pour sa propre perte. »

Vers. — « Comment l'homme élevé à l'ombre aurait-il la force d'aller combattre contre les héros? Le faible, par ignorance, engage la lutte avec l'homme aux ongles de fer. »

Sentence. — « Quiconque n'écoute pas les conseils a le désir d'entendre des reproches. »

Vers. — « Lorsque le conseil ne sera pas entré dans ton oreille, si je t'adresse des réprimandes, tais-toi. »

Sentence. — « Les gens dépourvus de mérite ne peuvent voir les hommes qui en possèdent, de même que les chiens de marché, lorsqu'ils aperçoivent les chiens de chasse, excitent du tumulte et n'osent pas avancer. »

Maxime. — « Lorsque l'homme vil ne l'emporte pas sur quelqu'un par son mérite, il tombe sur lui (litt. sur sa pelisse) en lui imputant des vilenies. »

Vers. « En vérité, l'envieux impuissant répand de mauvais propos en l'absence des gens, parce qu'en leur présence sa langue demeure muette. »

Comparaison. — « Si ce n'était la tyrannie du ventre, aucun oiseau ne tomberait dans le filet de l'oiseleur; bien plus, l'oiseleur ne tendrait aucun filet. »

Vers. — « Le ventre est le lien de la main et la chaîne du pied ; l'homme esclave de son ventre adore rarement Dieu. » (Vers emprunté au Bostân, p. 157.)

Sentence. — « Les sages mangent fort tardivement; les dévots, jusqu'à ce qu'ils soient à moitié rassasiés; les religieux, seulement afin de ne pas rendre le dernier soupir (par inanition) ; les jeunes gens, jusqu'à ce qu'on enlève le plat, et les vieillards, jusqu'à ce qu'ils suent de fatigue ; quant aux calenders,[327] ils mangent tellement qu'il ne reste plus dans leur estomac (c'est-à-dire dans leur poitrine) l'espace nécessaire pour respirer, ni sur la table la portion de personne. »

Vers. — « Le sommeil ne surprendra pas pendant deux nuits consécutives l'homme esclave de son ventre (litt. enchaîné dans les liens du ventre) : la première nuit, à cause de la pesanteur de son estomac; la seconde, à cause de l'angoisse de son cœur.[328] »

Conseil. — « Délibérer avec les femmes, est une chose vaine; être libéral envers les méchants, est une faute. »

Vers. — « Avoir pitié de la panthère aux dents acérées, c'est être injuste envers les moutons. »

Sentence. — « Quiconque a un ennemi devant soi et ne le tue pas, est son propre ennemi. »

Vers. — « (Quand il a) une pierre dans la main et que le serpent repose sa tête sur une autre pierre, l'homme prudent ne met aucun retard (à le tuer). »

Une troupe de sages ont jugé à propos une conduite opposée, et ont dit : « Il vaut mieux réfléchir mûrement quand il s'agit de tuer des prisonniers, par la raison que le choix restera : on pourra tuer et on pourra pardonner.[329] Mais si le prisonnier est mis à mort sans réflexion, il est présumable qu'une affaire importante échouera, et qu'il sera impossible d'y remédier. »

Vers. — « Il est bien facile de priver le mortel de son existence, mais on ne peut faire revivre celui qui a été tué. Il est conforme à la sagesse que l'archer use de temporisation ; car, quand la flèche est partie de l'arc, elle ne revient pas. »

Sentence. — « Un sage qui se querelle avec des ignorants, il faut qu'il n'espère pas de considération. Si un ignorant l'emporte sur un sage par sa facilité d'élocution, cela n'est pas étonnant : c'est une pierre qui brise une perle. »

Vers. — « Quoi de surprenant si la voix manque à un rossignol qui a un corbeau pour compagnon de cage? »

Vers. — « Si l'homme de mérite éprouve une vexation de la part de vauriens, qu'il prenne bien garde de s'en tourmenter et de s'en affliger. Si la pierre d'une mauvaise nature brise une coupe d'or, la valeur de la première n'est pas augmentée, et l'or ne perd pas de son prix. »

Sentence. — « Ne t'étonne pas si la parole d'un homme, sensé n'est pas remarquée dans une assemblée de gens stupides ; car le son du luth ne l'emporte pas sur le bruit du tambourin,[330] et le parfum de l'ambre ne saurait lutter contre l'odeur infecte de l'ail. »

Vers. — « L'ignorant à la voix haute s'est enorgueilli de ce qu'il a renversé sans honte le savant. Il ne sait pas que le mode hidjazien[331] ne peut lutter contre le bruit du tambour guerrier. »

Sentence. — « Si une perle tombe dans une eau sale, elle n'en est pas moins précieuse ; mais, si la poussière monte jusqu'au ciel, elle est tout aussi vile qu'auparavant.[332] La capacité sans l'éducation est une chose regrettable, donner de l'éducation à un être sans capacité, est inutile; quoique la cendre ait une noble origine, puisque le feu est une substance supérieure; cependant, comme en lui-même il n'a pas de mérite, elle est l'égale de la terre. Le prix du sucre ne provient pas du roseau, mais lui appartient en propre. »

Vers. — « Comme Canaan[333] avait un caractère dépourvu de mérite, la circonstance qu'il était né d'un prophète (Noé) n'a pas augmenté sa considération. Montre ton mérite, si tu en as, et non ta race : la rose est née de l'épine et Abraham est né d'Azer. »

Plaisanterie. — « Le (vrai) musc est celui qui parfumera, et non celui que vantera (litt. dira) le droguiste; le savant ressemble au plateau du droguiste, c'est-à-dire, qu'il est muet et trahissant son mérite; l'ignorant est comme le tambour de guerre, sonore, mais creux et ne proférant que des paroles inutiles. »

Vers. — « Les hommes sincères ont prononcé une parabole au sujet du savant qui se trouve parmi des ignorants. C'est, disent-ils, un beau garçon au milieu des aveugles, et un Coran dans la maison des impies. »

Sentence. « Il ne convient pas que l'on s'aliène en un instant un ami que l'on aura mis longtemps (litt. une vie) à se procurer. »

Vers. — « Une pierre deviendra en beaucoup d'années un morceau de rubis ; prends bien garde de la briser avec une autre pierre en un seul moment. »

Sentence. — « La sagesse est aussi captive dans les mains de la concupiscence, que l'homme impuissant dans celles de la femme robuste. »

Vers. — « Ferme la porte de la joie sur une maison d'où la voix d'une femme sort retentissante (Bostân, p. 178). »

Sentence. — « La prudence, sans la force, n'est que ruse et artifice; la force, sans prudence, n'est qu'ignorance et folie. »

Vers. — « Il faut du discernement, de la prudence, de la sagesse et alors du pouvoir; car l'autorité et la richesse de l'ignorant sont des armes qu'il fournit contre lui-même. »

Sentence. — « Un homme généreux et libertin, qui jouira de ses biens et fera des libéralités, vaut mieux qu'un dévot qui observera le jeûne, ne jouira pas de ses richesses et les accumulera. Quiconque a renoncé à la concupiscence, afin de gagner l'approbation des gens, est tombé de la convoitise licite dans la convoitise défendue. »

Vers. — « Le religieux qui se retire dans un coin, mais non pour l'amour de Dieu, que peut-il voir, le malheureux, dans son miroir obscur? »

Sentence. — « Petit sur petit forment une grande quantité, et goutte d'eau sur goutte d'eau deviennent un torrent, c'est-à-dire, que ceux qui n'ont pas la main assez puissante (pour se venger) amassent de petites pierres, afin qu'au moment où ils trouveront une occasion favorable, ils anéantissent leur ennemi. »

Vers (arabe). — « Goutte d'eau sur goutte d'eau, lorsqu'elles se seront rencontrées, formeront un fleuve; fleuve sur fleuve, lorsqu'ils se seront réunis, deviendront une mer. »

Vers. — « Petit à petit réunis forment beaucoup, grain à grain la moisson remplit le grenier. »

Sentence. — « Il ne convient pas au savant de supporter par douceur la sottise de l'ignorant ; car cette conduite aurait des inconvénients pour chacune des deux parties : le respect dû au premier se trouverait diminué, et l'ignorance du second serait plus fermement enracinée. »

Vers. — « Lorsque tu parles à l'homme vil avec bonté et douceur, son orgueil et son obstination se trouvent accrues. » (Vers emprunté du Bostân, p. 58, ligne 1ère.)

Sentence. — « Le péché est blâmable, quel qu'en soit l'auteur : mais il est plus blâmable de la part des savants ; car la science est une arme propre à combattre Satan, et lorsqu'on emmènera captif l'homme bien armé, sa honte sera plus grande (que celle d'un autre). »

Vers. — « L'ignorant malheureux vaut mieux qu'un savant sans chasteté; car celui-là est tombé hors du chemin par suite de son aveuglement, mais celui-ci avait deux yeux et cependant il s'est laissé choir dans le puits. »

Sentence. — « Tout homme dont on ne mange pas le pain durant sa vie, on ne proférera pas son nom avec honneur lorsqu'il sera mort. Joseph le Sincère ne mangeait pas tout son soûl durant la famine de l'Egypte, de sorte qu'il n'oubliait[334] pas les affamés. La femme veuve connaît la douceur des raisins, et le propriétaire des fruits l'ignore. »

Vers. — « Celui qui a vécu dans le repos et la délicatesse, comment saurait-il quelle est la situation de l'homme affamé? Elle connaît la position des indigents, cette personne qui est elle-même dans la détresse. »

Vers. — « O toi qui es monté sur un coursier rapide, fais attention que l'âne du pauvre bûcheron est enfoncé dans l'eau et la boue. Ne demande pas de feu dans la maison de ton pauvre voisin; car ce qui passe par sa fenêtre, c'est la fumée de son cœur (c'est-à-dire, ses soupirs). »

Conseil. — « Dans la détresse et la disette ne demande pas au pauvre privé de ressources : « Comment « te trouves-tu? » Si ce n'est à condition que tu placeras un emplâtre sur sa blessure, et que tu lui présenteras une somme d'argent. »

Vers. — « Un âne que tu vois tombé dans la boue avec sa charge, aies-en pitié dans ton cœur, mais ne va pas près de lui. Que si tu[335] t'es approché et as demandé à l'ânier comment il est tombé,[336] ceins-toi comme les gens de cœur, et prends la queue de son âne. »

Sentence. — « Deux choses sont inadmissibles pour l'intelligence : manger plus que la portion départie par la Providence, et mourir avant le temps déterminé. »

Vers. — « Le destin ne sera pas changé, quand bien même mille gémissements et mille soupirs sortiraient d'une bouche pour rendre grâce à Dieu ou se plaindre. Cet ange qui est préposé aux trésors du vent,[337] quel souci prendra-t-il, si la lampe d'une vieille femme vient à s'éteindre? »

Conseil. — « O toi qui cherches ta portion journalière, tiens-toi en repos, car tu mangeras ; ô toi que cherche le terme fatal, ne t'enfuis pas, car tu ne sauveras pas ta vie. »

Vers. — « Soit que tu recherches ta nourriture de chaque jour, soit que tu ne la recherches pas, Dieu te la fera parvenir. Quand bien même tu te jetterais dans la gueule du lion et de la panthère, ils ne te dévoreraient pas, sinon le jour fixé pour ta mort. »

Sentence. — « La main n'atteindra pas ce qui ne lui a pas été destiné, mais une chose que Dieu lui avait destinée, elle l'atteindra quelque part qu'elle se trouve. »

Vers. — « Tu as appris qu'Alexandre alla avec beaucoup de peines jusqu'à la contrée ténébreuse, et qu'il n'y but cependant pas l'eau de la vie.[338] »

Sentence. — « Un pécheur à qui la Providence refuse ses faveurs ne prendra pas un poisson dans le Tigre ; et un poisson dont le terme n'est pas arrivé ne mourra pas, même à sec. »

Vers. — « Le misérable convoiteux court dans tout l'univers; il poursuit son pain quotidien, et la mort le poursuit lui-même. »

Sentence. — « Le riche débauché est une brique dorée et le pauvre vertueux, un beau garçon souillé de terre. Le second (le pauvre) est le froc rapiécé de Moïse, et le premier, la barbe de Pharaon, ornée de pierreries et d'or.[339] L'adversité des bons a la face tournée vers l'allégresse,[340] et le bonheur des méchants a la tête en bas (est sur son déclin). »

Vers. — « Quiconque possède des dignités et du bonheur, par ce motif même ne trouvera pas l'homme au cœur affligé. Informe-le donc qu'il ne trouvera aucun bonheur ni aucun rang dans l'autre demeure (c'est-à-dire l'autre vie). »

Sentence. — « L'envieux est avare des bienfaits de Dieu, et il est l'ennemi des innocents. »

Vers. — « Je vis un pauvre petit homme irascible, qui était tombé sur la pelisse d'un individu élevé en dignité (c'est-à-dire qu'il le blâmait). Je lui dis : « O maître, si tu es malheureux, est-ce la faute des hommes heureux? »

Vers. — « Or ça, garde-toi de souhaiter malheur à l'envieux ; car cet infortuné est absolument dans l'affliction. Quel besoin d'exercer l'inimitié envers lui, puisqu'il a derrière lui un tel ennemi? »

Sentence. — » Un disciple dépourvu de bonne volonté est un amant sans or; un voyageur dépourvu de connaissances est un oiseau sans plumes ; un savant qui ne pratique pas les bonnes œuvres, un arbre sans fruit; et un religieux sans savoir, une maison sans porte. »

Conseil. — « Le but pour lequel le Coran a été révélé, c'est afin que les hommes acquissent de bonnes qualités, et non afin qu'ils lussent élégamment un chapitre écrit. L'homme ignorant, mais pieux, est un piéton qui est parti (et arrivé à son but) ; le savant négligent est un cavalier endormi. Un pécheur qui élève la main pour implorer son pardon, vaut mieux qu'un dévot qui élève la tête, c'est-à-dire qui s'enorgueillit. »

Vers. — « L'officier doux de caractère et bienveillant vaut mieux qu'un docteur qui tourmente les hommes. »

Sentence. — « Un savant qui ne pratique pas les bonnes œuvres est une abeille qui ne produit pas de miel. »

Vers. — « Dis au frelon grossier et dépourvu d'humanité: « Au moins, puisque tu ne donnes pas de miel, ne frappe pas de ton aiguillon! »

Sentence. — « L'homme sans humanité est une femme, et le religieux avide, un coupeur de route (un brigand). »

Vers. — « O toi qui, en vue de la réputation qui t'en reviendra et par égard pour l'opinion d'autrui, as rendu ton vêtement bien blanc (c'est-à-dire, propre) et le livre (où sont inscrites tes actions) noir,[341] il faut retirer ta main des biens de ce monde, que ta manche soit longue, ou qu'elle soit courte.[342] »

Sentence. — « Il y a deux personnes du cœur desquelles le chagrin ne sortira pas, et qui ne retireront pas de la boue le pied du désappointement. L'une est un marchand dont le vaisseau a été brisé, l'autre un héritier qui habite parmi des calenders (car il est obligé de se montrer prodigue). »

Vers. — « Verser ton sang est chose permise aux yeux des derviches, si ton argent n'est pas distribué en aumônes. Ou ne va pas avec un ami qui a une chemise bleue,[343] ou tire sur tes biens la marque d'un doigt frotté d'indigo;[344] ou bien ne contracte pas d'amitié avec des gardiens d'éléphants, ou fois construire une maison qui soit en rapport avec la taille de ceux-ci. »

Quoique le vêtement d'honneur conféré par le sultan soit précieux, mes habits usés sont encore plus honorables;[345] quoique la table des grands soit délicieuse, les miettes que renferme mon sac aux provisions sont plus savoureuses.

Vers. — « Du vinaigre et des légumes que je ne dois qu'au travail de mes mains, valent mieux que le pain et l'agneau du chef de village. »

Sentence. — « C'est agir contrairement aux conseils de la prudence et violer les préceptes des gens sensés, que d'avaler un remède de la nature duquel on n'est pas sûr, et de parcourir sans caravane un chemin qu'on n'a pas encore vu. On fit la question suivante à l'imam, au directeur Mohammed Ghazali[346] : « Comment es-tu parvenu à ce rang-ci dans les sciences? » Il répondit : « En ne rougissant pas de demander tout ce que je ne savais pas. »

Vers. — « L'espoir de la guérison sera conforme à la sagesse, lorsque tu montreras ton pouls à celui qui connaît ton tempérament. Demande tout ce que tu ignores; car la honte de questionner sera ton guide vers l'honneur du savoir. »

Conseil. — « Tout ce que tu sais devoir être nécessairement connu de toi, ne t'empresse pas de le demander, car cette conduite diminuerait le respect et la crainte que tu inspires. »

Vers. — « Quand Lokman vit qu'entre les mains de David le fer devenait par miracle aussi malléable que la cire,[347] il ne lui adressa pas cette question : « Comment fais-tu? » Car il vit que, sans interroger le prophète, il connaîtrait son secret »

Conseil. — « Une des obligations de la société, c'est que tu vides le logis, ou bien que tu t'accommodes du maître de ce logis. »

Vers. — « Conforme ton récit à la disposition d'esprit de ton auditeur, si tu sais qu'il a de l'inclination en ta faveur. Tout homme sensé qui s'assied près de Medjnoûn, ne parle pas d'autre chose que de la figure de Leïla. »

Sentence. « Quiconque habite avec les méchants, alors même qu'il ne prendrait pas leur naturel, sera soupçonné de partager leur conduite ; tout ainsi que si quelqu'un se retire dans des tavernes pour faire la prière, par l'opinion d'autrui sa conduite ne sera attribuée qu'au désir de boire du vin. »

Vers. — « Tu as reconnu ta propre ignorance, lorsque tu as choisi pour compagnon un ignorant. Je demandai un conseil à un savant ; il me dit : « Ne te lie pas avec l'ignorant; car, si tu es doué de discernement, tu deviendras un âne, et, si tu es déjà ignare, tu seras plus stupide. »

Avertissement. — « La douceur du chameau est telle qu'on la sait : si un enfant prend son licou et le conduit durant cent parasanges, il ne cessera pas de lui obéir.[348] Mais si un chemin épouvantable et qui serait la cause de sa perte se présente à lui, et que par ignorance l'enfant veuille y passer, l'animal rompt la bride par laquelle il le retient, et dorénavant ne lui obéit plus ; car, au temps où il convient de montrer de la sévérité, la douceur est blâmable, et l'on a dit : « L'ennemi ne deviendra pas un ami par la douceur, bien au contraire a il augmentera son avidité. »

Vers. — « Sois humble envers une personne qui te montre de la bonté ; mais, si elle te querelle, jette-lui de la poussière dans les yeux. Ne parle pas avec douceur et générosité à l'homme d'un caractère dur ; car un fer qui a contracté de la rouille ne sera pas nettoyé par une lime molle. »

Sentence. — « Si quelqu'un interrompt le discours des autres, afin que ceux-ci connaissent l'étendue de son mérite, sans aucun doute ils connaîtront le degré de son ignorance. »

Vers. — « L'homme sensé ne proférera pas de réponse, sinon alors qu'on l'aura questionné directement. Quoique le tempérament du discours soit conforme à la raison, on attribuera à l'absurdité ses prétentions déplacées.[349] »

Leçon de politesse. — « J'eus un certain jour une blessure qui était cachée par mes vêtements. Mon professeur me demandait chaque jour : « Comment va ta blessure? » Et il ne me disait pas : « Où est-elle? » Je compris qu'il s'abstenait de ces mots, parce qu'il n'est pas permis de prononcer le nom de chaque membre. Les gens sensés ont dit : « Quiconque ne pèse pas ses paroles sera mécontent de la réponse qu'on lui fera. »

Vers. — « Tant que tu ne sauras point parfaitement que parler est l'essence même du bien, il faut que tu n'ouvres pas la bouche. Si tu dis la vérité et que tu restes ensuite captif, cela vaut mieux que si le mensonge te délivrait de tes liens. »

Sentence. — « Proférer un mensonge ressemble à un coup dont la blessure dure longtemps. Si celle-ci est enfin guérie, la cicatrice demeurera. Comme les frères de Joseph avaient été accusés de mensonge, il ne resta plus aucune confiance dans leur véracité. Dieu a dit : « Bien au contraire, vos âmes vous ont suggéré une conduite à tenir. Mais la patience est une belle chose.[350] »

Vers. — « Si quelqu'un qui a été accoutumé à dire la vérité commet une erreur, on ne s'en occupe pas. Mais, s'il est devenu célèbre pour son manque de véracité, dorénavant on ne croit plus à la vérité dans sa bouche. »

Sentence. — « La plus illustre des créatures, en apparence, c'est l'homme, et le plus vil des êtres, c'est le chien. Mais, de l'accord des gens sensés, le chien qui connaît ce qui est juste vaut mieux qu'un homme dépourvu de reconnaissance. »

Vers. — « Une bouchée ne sera jamais oubliée du chien qui l'aura reçue, quand bien même tu le frapperais cent fois à coups de pierres. Mais, si tu caresses très longtemps un homme vil, pour le moindre motif il engagera la guerre contre toi. »

Apophtegme. — « Aucun mérite ne sera possédé par l'homme sensuel, et l'homme dépourvu de mérite ne saurait convenir pour le commandement. »

Vers. — « Ne t'apitoie pas sur le bœuf pesamment chargé, car il dort beaucoup et mange de même. Si, comme au bœuf, il te faut de l'embonpoint, comme l'Ane, soumets-toi à la violence des gens. »

Sentence. — « On lit dans l'Évangile : O fils d'Adam, si je te donne la richesse, tu t'occuperas de ton argent plutôt que de moi ; si je te rends pauvre, tu seras dans l'angoisse. Comment donc obtiendrais-tu la douceur de me prier, et comment t'empresserais-tu de me servir? »

Vers. — « Tantôt, dans la prospérité, tu es orgueilleux et oublieux; tantôt, dans la détresse, tu es affligé et blessé. Puisque dans la joie et l'adversité ta situation est telle, je ne sais pas comment tu t'occuperas de Dieu plutôt que de toi-même. »

Avertissement. — « La volonté de Dieu fait descendre quelqu'un du trône royal, et conserve une autre personne dans te ventre même du poisson (comme Jonas). »

Vers. — « Le temps sera agréable pour celui à qui ton souvenir est familier, lors même qu'il serait dans le ventre du poisson, comme Jonas. »

Sentence. — « Si Dieu tire l'épée de la vengeance, le prophète et le saint retirent la tête (par crainte) ; mais s'il remue les paupières en signe de bienveillance, il fait parvenir les méchants près des bons. »

Vers. — « Si, dans le lieu de la résurrection, il parle avec colère, quel sujet d'excuse restera-t-il aux prophètes ? Dis : Enlève donc le voile qui couvre la face de ta bonté; car aux pervers est l'espoir du pardon. »

Exhortation. — « Quiconque, par suite des leçons de ce monde (c'est-à-dire de la fortune), ne prendra pas le chemin du bien, sera puni par les tourments de l'autre vie. Dieu très haut a dit : « Nous leur ferons goûter le moindre châtiment avant le plus grand.[351] »

Vers. — « La parole des grands (à leurs subordonnés) est d'abord un conseil et ensuite une chaîne : quand ils donnent le conseil et que tu ne l'écoutés pas, alors ils mettent le lien. »

Sentence. — « Les gens heureux prennent conseil des récits et des proverbes des anciens, avant que leurs successeurs fassent des proverbes avec leurs aventures. »

Vers. — « L'oiseau ne s'abat point vers le grain, quand il voit d'autres oiseaux dans les liens. Prends conseil des afflictions d'autrui, afin que les autres ne prennent pas conseil de ce qui t'arrivera. »

Sentence. — « Celui qui par Dieu a été créé sourd à la voix de la vérité, comment fera-t-il pour entendre? et celui que Dieu a enlacé dans le lacs du bonheur, comment pourra-t-il ne pas être entraîné? »

Vers. — « La nuit obscure des amis de Dieu resplendit comme un jour brillant. Cette félicité-là ne sera pas obtenue par la force, tant que le Dieu libéral ne l'aura pas accordée. »

Vers. — « Près de qui me plaindrai-je de toi, puisqu'il n'y a pas d'autre juge? Il n'y a aucun pouvoir supérieur au tien. L'être que tu diriges ne sera pas égaré, et celui que tu égares, personne ne lui sert de guide. »

Avertissement. — « Le mendiant dont la fin est heureuse vaut mieux que le roi qui finit mal. »

Vers. — « Un chagrin après lequel tu obtiens de l'allégresse vaut mieux qu'une joie après laquelle tu supportes de l'affliction. »

La terre reçoit du ciel la pluie vivifiante, et le ciel ne reçoit de la terre que de la poussière : chaque vase répand goutte à goutte (litt. distille) ce qu'il contient.

Vers. — « Si mon caractère est devenu indigne du tien, ne renonce pas pour cela à ton bon caractère. »

Dieu voit les fautes et les cache ; le voisin ne voit rien et pousse des clameurs.

Vers. — « Si les créatures (ce qu'à Dieu ne plaise !) connaissaient les fautes, personne ne serait à l'abri des attaques d'autrui. »

Plaisanterie. — « L'or est tiré de sa mine au moyen d'excavations ; mais, pour le tirer de la main de l'avare, il faut lui déchirer l'âme. »

Vers. — « Les gens vils (les avares) ne mangent pas et espèrent le faire plus tard, disant : « L'espérance (de l'aliment) vaut mieux que l'aliment lui-même. » Un jour tu verras, conformément au désir de l'ennemi, l'or resté et le misérable mort. »

Apophtegme. — « Quiconque ne pardonne pas à ses inférieurs est puni par la violence de ses supérieurs. »

Vers. — « Chaque bras dans lequel réside une grande force, qu'il ne rompe pas par sa vigueur la main des faibles. Ne cause pas de dommage au cœur des faibles; car tu seras impuissant contre la violence d'un homme fort. »

Sentence. — « Lorsque la discorde surviendra, le sage s'enfuira; et, quand il verra la paix conclue, il jettera l'ancre. Car dans le premier cas le salut se trouve sur la frontière, et, dans le second, l'agrément de la vie au milieu (des autres hommes). »

Sentence. — « A celui qui joue aux dés il faut trois, six ; mais il lui vient trois as. »

Vers. — « Le pâturage est mille fois plus agréable, que l'hippodrome ; mais le cheval ne tient pas ses rênes. »

Prière. — « Un derviche disait en priant : « O mon Dieu, pardonne aux méchants ; car tu as déjà pardonné aux bons, puisque tu les as créés tels. »

Sentence. — « La première personne qui plaça une bordure brodée à son vêtement et un anneau à sa main, ce fut Djamschid. On lui dit : « Pourquoi as-tu donné à la main gauche toute la parure et tous les ornements, tandis que la prééminence appartient à la droite? » Il répondit : « Pour la main droite, c'est une parure complète que d'être la main droite. »

Vers. — « Féridoûn dit aux dessinateurs de la Chine de broder l'inscription suivante autour de sa tente : « Traite bien les méchants, ô homme sage ; car les bons sont certainement puissants et heureux. »

Bon mot. — « On dit à un grand personnage : « Malgré une prééminence telle que la possède la main droite, pourquoi place-t-on l'anneau à la main gauche? » Il répondit : « Ne sais-tu pas que les gens de mérite sont toujours frustrés? »

Vers. — « Celui qui a créé le plaisir, la subsistance de chaque jour et le bonheur, donne ou le mérite ou le trône. »

Sentence. — « Donner des conseils aux rois est permis à quelqu'un qui n'a ni crainte pour sa tête ni espoir d'obtenir de l'or. »

Vers. — « L'unitaire n'espère ni ne craint rien de personne, soit que tu répandes de l'or à ses pieds, soit que tu places sur son cou un sabre indien : c'est sur une pareille conduite, et non sur autre chose, que repose le fondement de la vraie foi (litt. de l'unification). »

Sentence. — « Le roi doit servir à réprimer les gens injustes, et le lieutenant de police à punir les hommes sanguinaires. Quant au cadi, il recherche l'avantage des voleurs, et jamais deux adversaires disposés à consentir à ce qui est juste ne se rendent devant lui. »

Vers. — « Quand tu connais clairement qu'il faut donner ce qui est juste, il vaut mieux le faire de bonne grâce que par la guerre et l'affliction. Si quelqu'un n'acquitte pas de bonne volonté l'impôt foncier, les sergents le lui extorqueront par force. »

Plaisanterie. — « Tout le monde a les dents émoussées par ce qui est acide, excepté le cadi dont les dents sont émoussées par une chose douce. »

Vers. — « Le cadi qui mangera cinq concombres, qu'il aura reçus comme épiées, te confirmera dans la possession de dix champs de pastèques. »

Plaisanterie. — « Une vieille prostituée, comment fera-t-elle pour ne pas faire pénitence de son inconduite? et un lieutenant de police destitué, comment fera-t-il pour ne pas renoncer à tourmenter autrui? »

Vers. — « Un jeune homme qui se retire dans un coin (par esprit de piété), est le héros de la voie de Dieu; car, quant au vieillard, il ne peut absolument se lever de son coin. «

Vers — « Il faut que le jeune homme robuste se garde de la concupiscence ; car, chez le vieillard dont les désirs sont émoussés, le pénis ne se redresse nullement. »

Sentence. — « On adressa cette question à un philosophe : « Parmi tant d'arbres célèbres que Dieu a créés, élevés et fertiles en fruits, on n'en appelle aucun libre, excepté le cyprès qui n'a pas de fruit.[352] Quelle sagesse y a-t-il en cela? » Il répondit : « Chacun de ces arbres a son produit particulier, dans un temps déterminé. Tantôt ils sont verdoyants, grâce à la présence de ce produit, tantôt flétris par son absence. Le cyprès, lui, n'a rien de cela, et il est vert en tout temps. Or tel est l'attribut des gens libres.[353] »

Vers. — « N'attache pas ton cœur à ce qui est passager; car le Tigre passera dans Bagdad longtemps après la mort du calife. Si tu en as le pouvoir, sois généreux comme le palmier ; mais, si tu ne le peux pas, sois libre comme le cyprès. »

Avertissement. — » Deux personnes sont mortes et ont emporté des regrets : 1° celui qui possédait et n'a pas joui; 2° celui qui savait et n'a pas mis sa science à profit. »

Vers. — « Personne ne voit un homme instruit, mais avare, sans s'efforcer de lui adresser des reproches. Mais, si un homme généreux a deux cents défauts, sa libéralité cache ses vices. »


 

CONCLUSION DU LIVRE.

Le livre du Gulistan a été achevé; et, grâce à Dieu, dans tout son cours, il n'a pas été orné, par manière d'emprunt, de pièces de vers des poètes anciens, ainsi que c'est la coutume des auteurs.

Vers. « Réparer son vieux froc, vaut mieux que de demander un vêtement d'emprunt. »

La majeure partie des discours de Sa’di excite la joie et est mêlée d'agrément. Pour ce motif la langue du blâme sera allongée chez les gens à courtes vues, et ils diront : « Perdre la moelle de son cerveau et consumer inutilement la fumée de sa lampe, ne sont pas le fait des sages. » Mais il n'échappera pas à l'intelligence lumineuse des gens sensés, à qui s'adresse maintenant mon discours, que la perle des conseils salutaires a été passée dans le fil de l'éloquence, et le remède amer de la morale, mélangé avec le miel de la plaisanterie, afin que l'esprit de celui à qui je parlais ne fût pas ennuyé, et que mon livre ne restât pas privé du bonheur de plaire.

Vers. — « Nous avons donné des conseils en leur lieu, nous avons consacré quelque temps à cette tâche. S'ils ne plaisent à l'oreille de personne (que m'importe?), les ambassadeurs ne sont tenus qu'à s'acquitter de leur message.[354] »

Vers (arabes). — « O toi qui lis cet ouvrage, prie Dieu d'avoir pitié de l'auteur et implore le pardon pour le copiste ; demande pour toi-même le bien que tu désires, et après cela, implore un pardon pour le propriétaire du livre. »

 

 

FIN.

 


 

[311] Coran, ch. XXVIII, verset 77.

[312] Ces deux derniers vers se trouvent dans le Bostân (p. 177).

[313] Ce vers se trouve dans le Bostân, p. 57, vers 785.

[314] Litt. : « de ta propre moustache. » Une métaphore analogue se trouve dans des vers de Sénayi, cités par S. de Sacy, (Pend-Namèh, p. LVIII). Les mots bâd boroût signifient « un homme fier et hautain » (litt. moustaches au vent), et quelquefois aussi « l'orgueil. » Voyez Khondémir, Habib Assiyer, manuscrit 69 Gentil, t. III, fol, 42 V, 278 r°.

[315] Ce vers se rencontre aussi dans le Bostân.

[316] On appelle ainsi une ville de la province d'Arrân, ou Karabâgh, située entre le Chirwân et l’Azerbaïdjan, et appartenant maintenant à la Russie. C'était autrefois une place très considérable, qui portait chez les Arméniens le nom de Phaïdagaran, mais ce n'est plus actuellement qu'un village de peu d'importance. Voyez Saint-Martin, Mémoires sur l’Arménie, t. I, p. 154, 155; et le Djihan Numa, ou Géographie turque de Raddjy Khalfah, apud Charmoy, Expédition d'Alexandre le Grand contre les Russes, p. 135, 136.

[317] L’édition B. porte : « de son mauvais caractère ».

[318] Ce vers peut rappeler ceux-ci de Ronsard :

Les chouans, annonceurs de mauvaise aventure,

Ne s'y viennent percher, mais les rossignolets.

(Eclogue III.)

[319] Le scoliaste arabe du manuscrit 292 ajoute ici : « comme fait le boucher. «

[320] N'en accuse que toi,

Ou plutôt la commune loi.

Qui veut qu'on trouve son semblable

Beau, bien fait et sur tous aimable.

(La Fontaine, liv. V, fab. 18; l'Aigle et le Hibou.)

[321] Nul n'est content de sa fortune,

Ni mécontent de son esprit. (Mme Deshoulières, Réflexions diverses, viii.)

De là vient qu'un chacun, mêmes en son défaut,

Pense avoir de l'esprit autant qu'il lui en faut. (Mathurin Régnier, Satire ix)

[322] Hafiz a imité le présent passage, dans ce vers cité par Daulet-Châh : « Quiconque a donné l'angle de la tempérance pour les trésors du monde, a vendu Joseph l'Égyptien pour le plus vil prix. »

[323] Coran, XXXVI, 60.

[324] Rien ne sert de courir ; il faut partir à point. (La Fontaine, liv. VI, fab. 10 ; Le Lièvre et la Tortue.)

[325] Les musulmans appellent ainsi la nuit du mois de ramadhan dans laquelle Gabriel commença à dicter le Coran à Mahomet. On la célèbre encore le 27 de ramadhan. Voyez la Vie de Mohammed, par Aboulféda, trad. par M. Noël des Vergers, p. 107. Le 97e chapitre du Coran est intitulé Alkadr, et on y lit (verset 3) que la nuit d'Alkadr vaut plus que mille mois. Sadi parle ainsi dans son Bostân : « Si quelqu'un ne connaît pas ton mérite, quel chagrin dois-tu en prendre? On ignore également quand a eu lieu la nuit de Kadr. »

[326] Ou Balakhch, terme d'où est venu notre expression rubis balais. Cf. le Méçalic Alabsdr, dans le recueil des Notices et extraits des manuscrits, t. XIII, p. 243, 244, 246. C'est le balasci ou balaxi de Marco Polo, édit. de la Société de Géographie, p. 44, 45. Chardin, édit. de 1723, t. V, p. 71, a confondu le pays de Badakhchan, ou, comme il écrit, Balacchan, avec le Pégu. Cf. encore l’Histoire des sultans mamlouks, t. II, première partie, p. 71, note.

[327] Sur cette classe de religieux fort relâchée, on peut consulter outre d'Herbelot, Bibl. orient., v° Calender, Ricaut, État présent de l'empire ottoman, p. 353 et suiv., et Mouradgea d'Ohsson, Tableau général de l’empire ottoman, t. IV, p. 664, 665, une curieuse note de Silvestre de Sacy, Chrest. arabe, deuxième édition, t. Ier, p. 263 à 266. Selon Ibn-Batoutah (Voyages, publiés et traduits par C. Defrémery et le Dr B. R. Sanguinetti, t. Ier, p. 61 et suiv.), la confrérie des Karenders ou Calenders fut instituée par le cheikh Djémal-Eddin Assâouy ou Sawédjy (de Saweh dans l'Irak persique), qui mourut et fut enterré à Damiette (Dimyâth), en Egypte. Sur ce personnage, on peut voir Firichtah (texte persan),édition lithographiée, t. II, p. 774, 775, où, en place de Dimyath, on lit deux fois Dehâth et une fois Dymnât). L'origine que d'Ohsson assigne à l'ordre des Calenders est beaucoup trop récente, et se trouve contredite tant par Makrizy que par Ibn-Batoutah. Dans ses Paroles remarquables et bons mots des Orientaux (édit. de la Haye, 1771, p. 355, n. 2), Galland a confondu le mot calender avec calânter, comparatif persan, qui signifie le plus grand et désigne le chef d'une tribu, d'un quartier. Dans le Bostân (ch. VII, vers 285), Sadi a encore lancé le trait suivant contre les calenders : « Si un jeune garçon habite parmi les calenders, dis à son père : Renonce de sa part à toute vertu. N'éprouve pas de regret de sa perte et de sa mort, car il est préférable qu'un fils vicieux meure avant son père. »

[328] Le scoliaste arabe ajoute ici que cette angoisse est causée par le manque de nourriture.

[329] Le manuscrit 292 porte « laisser, » c'est-à-dire épargner.

[330] La même idée est exprimée dans le Bostân.

[331] Un des trois principaux modes de la musique persane.

[332] Un jour, on ne sait trop comment,

Du front d'une sultane altière

Tombe dans le fumier un riche diamant.

A peine est-il tombé qu'une vaine poussière,

Jouet d'un vent capricieux,

Tourbillonne et s'élève aux deux.

Or maintenant réponds, toi qui fais l'homme habile

Et qui pour tes égaux affectes du mépris,

Le diamant en a-t-il moins de prix

Et la poussière en est-elle moins vile?

(Le Bailly, Fables nouvelles, I, xiii.)

[333] Les musulmans représentent Canaan (Chanaan) comme le quatrième fils de Noé, au lieu de le faire seulement son petit-fils, ainsi que le livre saint. Voyez la Chronique de Tabari, p. 160 et 162, et cf. le Coran, ch. XI, versets 42 à 48.

[334] Ou, d'après la leçon des édit. B. Sp. et Eastwick : « afin qu'il n'oubliât pas. »

[335] Littéral. « Maintenant que, » ou d'après une autre leçon : « Mais, lorsque ».

[336] Notre la Fontaine pense un peu différemment, lorsqu'il termine ainsi une de ses fables les plus plaisantes :

Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense.

Tout babillard, tout censeur, tout pédant,

Se peut connaître au discours que j'avance ;

Chacun des trois fait un peuple fort grand :

Le Créateur en a béni l'engeance.

En toute affaire, ils ne font que songer

Au moyen d'exercer leur langue :

Eh ! mon ami, tire-moi du danger.

Tu feras, après, ta harangue.

(Fables, I, xix, L'Enfant et le Maître d’école.)

[337] On dit, observe le scoliaste arabe, que cet ange est Micâiyl (Michel).

[338] Voyez sur cette tradition une note du Ier chapitre. La sentence qui suit se rencontre déjà dans le IIIe chapitre.

[339] M. Eastwick propose de traduire ici rîch par « ulcère », sens que ce mot a aussi. Il fait observer qu'une des sept plaies d'Egypte consistait en ulcères et en pustules qui couvraient les hommes comme les bêtes. Cf. la Sainte Bible résumée dans son histoire et dans ses enseignements, par H. Wallon; Paris, 1854, in-8°, p. 60.

[340] C'est-à-dire qu'elle se changera en allégresse.

[341] C'est-à-dire, qui as commis le mal.

[342] Des manches courtes sont une des marques de l'esprit de pénitence, de détachement. C'est aussi par allusion à cet usage que Hafiz a dit dans une ode que j'ai traduite ailleurs : « Viens, ô mon cœur! que nous cherchions un refuge près de Dieu contre celui qui a raccourci ses manches et allongé ses mains (c'est-à-dire, contre le soufi hypocrite qui, sous des dehors austères, se permet des actes injustes). » Athenœum français, n° du 22 mars 1856, p. 242.

[343] Cette expression désigne par métonymie un calender, d'après une glose marginale du manuscrit 593. Le scoliaste du Bostân (sur le vers 87 du troisième chapitre) fait observer que les anciens soufis revêtaient un froc bleu.

[344] C'est-à-dire, fais-en ton deuil. C'est la coutume, dit une note arabe en marge du même manuscrit, de se servir d'indigo pour faire une marque sur la porte d'une personne décédée, et cela en signe de deuil et de regrets. » On lit dans d'Herbelot (V° Baisancor) que le deuil d'un fils du sultan Châh-Rokh fut porté en bleu pendant 30 jours par tous les sujets de ce prince. Selon le scoliaste arabe du manuscrit 292, cet hémistiche signifierait seulement : « Si tu accompagnes les fakirs, rends ta couleur semblable à la leur et ton état pareil au leur. » Mais le premier sens nous paraît plus conforme à ce qui précède.

[345] Guenille si l'on veut, ma guenille m'est chère. (Molière, les Femmes savantes.)

[346] Sur ce célèbre philosophe et controversiste musulman, mort en l'année 506 (1111-12) on peut voir d'Herbelot, v° Ghazali et M. Renan, Averroès et l’Averroïsme, p. 73-75 et 133-136.

[347] Allusion au talent d'armurier dont le Coran gratifie le roi David, ch. XXI, verset 80. Cf. M. Reinaud, Monuments arabes, etc., t. I, p. 160.

[348] Litt. : « Il ne détournera pas le cou de l'obéissance qu'il lui doit. »

[349] C'est-à-dire, lorsqu'il aura été prononcé hors de propos. Au lieu de mizadj, l'éd. Sp. et le Ms. D portent férakh. Avec cette leçon il faut ainsi traduire le premier hémistiche : « Quoique le babillard dise la vérité. »

[350] Coran, ch. XII, verse 18 et 83. C'est Jacob qui parle ainsi à ses fils.

[351] Coran, ch. XXXII, verset 21.

[352] Il y a ici une allusion à un préjugé répandu chez les Orientaux, et qu'a partagé le célèbre naturaliste arabe Kazouïny. Voyez Chrest, arabe de S. de Sacy, t. III, p. 393,. Mais Hamd-Allah Mustaufy, auteur du Nozhet Alkoloûb, n'est pas tombé dans cette erreur, ainsi que l'a fait observer Chézy (ibidem, p. 474.) « Quoique, dit-il, l'on donne au cyprès l'épithète d'Azâd, c'est-à-dire, libre (célibataire), il produit cependant un fruit semblable à la noix, et qui porte le nom de noix de cyprès. » L'expression serwi azàd, « le cyprès libre », est souvent usitée dans la poésie persane. Voyez, entre autres exemples, Soohrab, a poem,... of Fïrdoosee, p. 162, vers 10.

[353] Ou généreux, car azad a ces deux sens.

[354] Ceci correspond à deux vers d'une vieille romance espagnole :

Mensagero eres amigo,

No mereces culpa, no.

« Vous n'êtes que le messager, ami, et la faute n'en est pas à vous, non! Romancero general, trad. par M. Damas-Hinard, t. I, 78 et 82.