Traduction française : M. Ch. Defrémery.
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
J
Extraite de l'Histoire universelle
de
MIRKHOND,
traduite et accompagnée de notes, par M. Ch. Defrémery.
Journal Asiatique, 1843 & 1844
Parmi les différentes époques des annales musulmanes, il en est peu qui soient moins connues que l'histoire de la Perse orientale, pendant les vie, viie et viiie siècles de l'hégire, alors que cette vaste contrée semblait avoir recouvré une certaine importance politique sous la domination des sultans Ghourides et des princes curts de Hérat. Rien de plus vague, de plus fautif et de plus incohérent que la plupart des détails consacrés à ces deux puissantes familles par d'Herbelot et de Guignes. Et le fait n'a rien qui doive nous étonner. L'auteur de la Bibliothèque orientale paraît avoir consulté, pour cette partie de l'histoire musulmane, trois ou quatre écrivains seulement, et, réduit qu'il était aux maigres ouvrages de Khondémir, d'Abd el Gaffar Cazouini et de Yahia ben Abd Allatif, il a dû omettre bien des faits, des renseignements importants. Quant à de Guignes, privé du plus indispensable instrument pour l'étude des chroniques persanes, la connaissance de la langue dans laquelle elles sont écrites, il n'a pu que s'en rapporter, sur ce point, à son illustre devancier, enjoignant seulement aux détails que lui fournissait ce dernier ceux, qu'il puisait dans un nombre très borné d'auteurs arabes. Je ne crains donc point d'être démenti en assurant que les Ghourides et les princes curts attendent encore un historien. Ce travail de réhabilitation, je l'ai entrepris avec courage, trop heureux, si je puis, en retour de mes veilles, rendre à ces dieux inconnus un hommage digne d'eux. Le morceau suivant, de Mirkhond, est extrait d'un ouvrage beaucoup plus considérable, dont le texte de cet auteur, traduit et annoté, formera, il est vrai, la base, mais qui comprendra, en outre, de longs passages du Tabacati Naciri, du Tarikhi Guzideh, et de plusieurs autres ouvrages persans encore inédits.
Je me suis servi, pour donner ce fragment, de trois manuscrits, dont deux appartiennent à la Bibliothèque royale (n°21 et n°21 bis du supplément persan), et le troisième, le meilleur de tous, à celle de l'Arsenal. Je dois la communication de ce dernier à la complaisance tout obligeante de M. Grangeret de Lagrange, qui voudra bien me permettre de consigner ici l'expression de ma gratitude.
Les chroniqueurs rapportent que, à l'époque où Féridoun vainquit Zahhak l'Arabe, un certain nombre des enfants de ce dernier, ayant pris la fuite, cherchaient un lieu sûr où l'on ne pût les trouver, ou dans lequel on ne pût les vaincre, si l'on parvenait à les trouver. Après bien des courses et des recherches, ils entrèrent dans la région montagneuse de Bamian, qui est située entre Balkh et Kaboul; puis ils passèrent de cet endroit dans les montagnes du Ghour, et disposèrent dans ce lieu des châteaux bien fortifiés. Lorsque Féridoun fut informé de ce qui regardait ces hommes, il chargea un détachement considérable de les détruire et de les exterminer. L'armée de Féridoun, conformément aux ordres qu'elle avait reçus, se dirigea vers le pays de Ghour, et la querelle se prolongea entre les deux troupes; enfin, comme les enfants de Zahhak habitaient des endroits inexpugnables, l'armée de Féridoun consentit à la paix; et comme les premiers, de leur coté, étaient affaiblis par les maux de la guerre,[1] ils promirent un tribut. Il fut stipulé qu'ils se contenteraient du Ghour et n'entreprendraient rien contre les autres pays. L'autorité sur le Ghour s'étant perpétuée parmi les descendants de Zahhak, ils s'occupaient, de père en fils, à gouverner cette province. Lorsque l'empire du Khorassan et de Ghiznin passa à Mahmoud, fils de Sébuktéguin, le sultan fit prisonnier Mohammed, fils de Soury, prince du pays de Ghour, et s'empara également de la personne de son fils. Mohammed, fils de Soury, dit à son fils Haçan: « Ma vie est arrivée à son terme; mon désir est que tu te jettes dans le Ghour, afin que notre famille ne soit pas entièrement détruite. » La chambre haute où ils étaient emprisonnés avait une fenêtre qui donnait sur le désert, et depuis la fenêtre jusqu'à la terre il y avait trente guez[2] de distance. Mohammed ben Soury parvint à briser les liens de son fils, par tous les moyens qui étaient en son pouvoir; puis ils coupèrent un tapis grossier que l'on avait jeté sous eux, et en firent une corde, à l'aide de laquelle Mohammed descendit son fils par la fenêtre. Haçan retourna dans le Ghour, en se cachant avec soin, et se chargea une seconde fois du fardeau de l'autorité. Lorsque le sultan fut informé de la fuite de Haçan, il tua Mohammed ben Soury. Quant à Haçan, fils de Mohammed, fils de Soury, il s'occupa de gouverner le Ghour. Il eut un fils, qu'il nomma Houceïn. Dieu daigna accorder sept fils à ce dernier. Lorsque la souveraineté de Ghiznin passa entre les mains de Behram Chah., qui était un des descendants de Mahmoud ben Sébuktéguin, et orné de toute sorte de bonnes qualités, et que la dissension commença entre ce prince et le sultan Sindjar, Behram Chah, ayant établi les bases de la paix avec les enfants d'Houceïn, manda le plus âgé d'entre eux; il leur dit: « Je veux qu'il reste attaché à ma personne, afin que les fondements de l'amitié soient affermis. » Mélik Coutb eddyn Mohammed, qui était l'aîné des enfants d'Houceïn, se rendit à Ghiznin. Behram Chah le regarda pendant un temps avec l'œil de l'estime et de la considération; mais enfin, pour un motif quelconque, il donna l'ordre de le tuer. Pour cette raison, l'affaire se termina par l'inimitié entre les princes du Ghour et Behram Chah le Ghaznévide. Ils firent des entreprises contre leurs pays respectifs, et la guerre apparut plusieurs fois parmi eux. L'auteur de ces lignes dit ce qui suit: « Toute personne qui sait combien il s'est écoulé d'années depuis le commencement du règne de Mahmoud jusqu'au temps de Behram Chah, connaît avec certitude que ce récit, rapporté par plusieurs chroniqueurs dans leurs ouvrages, et regardé par eux comme digne d'éloges et d'approbation, n'est point exempt du soupçon d'être éloigné de la vérité. Une autre version est celle-ci: « Lorsque le sultan Mahmoud, fils de Sébuktéguin, eut fait disparaître du milieu des hommes Soury, qui était prince du Ghour, le petit-fils de Soury s'enfuit dans l'Hindoustan, par crainte du sultan; il y passait sa vie dans un temple d'idoles. Son nom était Sam. A la fin, il devint musulman, se rendit à Delhi, et fit sa profession du commerce.[3] Il transportait, de cet endroit dans le pays de Ghour, des étoffes de l'Hindoustan, et revenait après avoir fait des marchés avantageux. Sam avait un fils nommé Houceïn. A la fin de sa vie, il se dirigea, par mer, vers le pays de Ghour, avec ses richesses et ses enfants. Un vent contraire s'étant mis à souffler, le vaisseau fut submergé. Houceïn ben Sam saisit une planche, et le reste des passagers s'enfonça dans le tournant d'eau de la mort. Un tigre, qui se trouvait sur ce vaisseau, ayant également saisi ce morceau de bois, après qu'Houceïn eut passé trois jours et trois nuits avec un tel compagnon, le vent fit parvenir la planche au rivage. Le tigre s'avança dans la plaine. Houceïn, étant arrivé dans une ville, s'endormit, le soir, sur un banc placé devant une boutique. Le guet survint auprès du lieu où il était couché, et, l'ayant saisi, le conduisit en prison. Il resta sept ans captif dans ce lieu; puis, le prince de la ville étant tombé malade, on mit en liberté tous les prisonniers. Houceïn, après avoir reçu sa délivrance, se dirigea vers Ghiznin. Lorsqu'il arriva dans ces parages, une troupe de voleurs le rencontra. Ils trouvèrent que c'était un homme plein de jeunesse et de force, et doué d'un extérieur agréable; ils lui donnèrent des armes, des vêtements et un cheval, et l'excitèrent à les accompagner. Par hasard, cette nuit même, un détachement des soldats du sultan Ibrahim le Ghaznévide, qui était depuis un certain temps à la recherche de ces brigands, obtint sur eux l'avantage, et les ayant fait prisonniers en totalité, les conduisit devant le sultan. Le prince donna l'ordre de tuer les voleurs. En conséquence, le bourreau banda les yeux à Houceïn. Celui-ci dit: « O mon Dieu ! je sais bien que l'erreur est chose impossible pour toi; comment se fait-il donc que l’on va me tuer, moi, pauvre innocent? » Le bourreau s'informa de son histoire. Houceïn lui exposa une partie de ses aventures. Son récit étant parvenu aux oreilles du sultan, Ibrahim s'enquit de l'origine d'Houceïn. Celui-ci ayant exposé les événements arrivés à ses ancêtres, Ibrahim fut saisi de compassion pour lui; il le distingua d'une manière particulière par sa bienveillance royale, l'éleva au rang de ses chambellans, et lui donna en mariage une de ses filles. » Lorsque la dignité de sultan passa à Massoud ben Ibrahim, il honora Houceïn du gouvernement du Ghour, et le rang de ce prince fut encore élevé. En somme, après la mort d'Houceïn la paix et la guerre eurent lieu, à plusieurs reprises entre les enfants de celui-ci et Behram Chah le Ghaznévide.[4] » A la fin, comme Behram Chah osa rompre le traité, les enfants d'Houceïn, ayant rassemblé une armée nombreuse, se dirigèrent vers Ghiznin. Behram Chah vint à leur rencontre avec des troupes considérables. Après qu'une multitude de soldats eurent péri des deux côtés, Behram Chah fut mis en déroute. Alâ eddyn Djihansouz, qui était l'aîné des enfants de Houceïn, désigna son frère Soury pour gouverner Ghiznin, et revint lui-même à Firouz-Couh. Sur la route, son autre frère, Sain, mourut dune tumeur au cerveau. Pendant l'hiver, tandis que, à cause de la grande quantité des neiges, les Ghourides ne pouvaient partir de leur demeure, Behram Chah, avec une armée considérable et des éléphants sans nombre, se dirigea de l'Hindoustan vers Ghiznin. Mélik Soury sortit de la ville avec trois cents hommes du pays de Ghour, mille autres d'entre les cavaliers Ghouz, et l'armée de Ghiznin. Au jour du combat, les Ghizniniens se joignirent à Behram Chah. Celui-ci envoya aux Ghouz un message contenant ce qui suit: « Nous ne sommes point en hostilité avec vous; abandonnez-nous donc nos ennemis. » Les Ghouz, ayant retiré leurs mains du combat, se joignirent à l’armée de Behram Chah, laquelle entoura Soury. Ce prince, après avoir fait des efforts dignes d'un homme de cœur, et reçu plusieurs blessures, fut fait prisonnier. Behram Chah, s'étant de nouveau emparé de Ghiznin, traita avec le plus grand mépris Mélik Soury, qui cependant était un homme brave et généreux, et se distinguait par de nombreuses qualités. Il donna des ordres, en conséquence desquels on le promena, assis sur un bœuf, autour de la ville; puis il le mit à mort après les traitements les plus indignes.
Quelques auteurs prétendent que son nom est Haçan et que le nom de son aïeul était aussi Haçan, et non Sam. Ceux qui rapportent que son nom était Houceïn allèguent, en témoignage de leur opinion, ce vers de sa composition:
Vers. — Si je n'arrache point Ghiznin de sa base et de ses fondements, je ne suis point Houceïn, fils d'Houceïn fils d’Haçan.[5]
D'autres s'expriment ainsi au sujet de sa généalogie: « Il est le même que Haçan, fils d'Houceïn, fils de Sam, fils d'Haçan, fils de Soury; » et ils citent de la manière suivante le dernier hémistiche du vers:
Hémistiche. — Je ne suis point, Haçan, fils d'Houceïn, fils d'Haçan.
Ils ajoutent, pour corroborer leur version, que le sultan Alâ eddyn a supprimé le nom de Sam, a cause des exigences de la poésie. Un certain nombre de chroniqueurs croient qu'Alâ eddyn régna après son frère Soury. Quoi qu'il en soit, lorsqu’Alâ eddyn Houceïn reçut la nouvelle du malheur de Soury, après avoir rassemblé une armée considérable, il se dirigea vers Ghiznin pour venger son frère. Quelques chroniqueurs ont dit que Behram Chah était mort avant l'arrivée d'Alâ eddyn à Ghiznin, et que son fils lui avait succédé.[6] Mais plusieurs historiens plus récents, ayant regardé cette version comme très faible, ont rapporté dans leurs écrits que, lorsque la nouvelle de la marche d'Houceïn parvint à Behram Chah, il donna des ordres pour faire venir les troupes et les milices des différentes provinces de son empire. Puis, étant sorti de Ghiznin et ayant envoyé un député devant Alâ eddyn Houceïn, il lui fit tenir ce message: « Ton intérêt est dans la retraite, car je conduis contre toi tant de milliers d'hommes et tant d'éléphants. » Alâ eddyn répondit: « Si tu amènes des éléphants (fil), de mon coté j'amène Kharfil. » Or, il y avait dans son armée deux hommes, du nombre des vaillants guerriers du Ghour, que l’on appelait Kharfil. Ces deux héros n'avaient point de pareils ni d'égaux en bravoure. Le sultan leur dit: « J'ai rendu une telle réponse à Behram Chah; il faut que vous fassiez tous vos efforts afin de détruire ses éléphants sur le champ de bataille. » Ces deux hommes, ayant baisé la terre en signe d'hommage, exposèrent ce qui suit: « Tant que nos âmes seront dans notre corps, nous ne consentirons point à commettre la moindre faute. » Lorsque les deux années en vinrent aux mains, ces deux héros, ayant mis pied à terre, tirèrent leur khandjar, se glissèrent sous le caparaçon des éléphants, et déchirèrent le ventre de ces animaux.[7] Un de ces braves périt; l'autre revint sain et sauf. On dit que, dans ce jour, le sultan Alâ eddyn avait revêtu une tunique de satin rouge sous sa cuirasse. Un de ses familiers lui demanda: « Quelle est la raison de cela? » Il répondit: « Si une flèche m'atteint et si mon sang vient à couler, les soldats n'en auront point connaissance; mais, s'ils le savaient, ils seraient tout à fait découragés. » Dans cette bataille, Daulet Chah, fils de Behram Chah, qui était un guerrier accompli, fondit avec une troupe de braves et un éléphant sur le centre de l'armée du sultan Alâ eddyn. Celui-ci dit aux fantassins, qui, après s'être munis de claies[8] s'étaient placés en avant des rangs: « Laissez-le passer librement. » Lorsque Daulet Chah, arrivé au centre, vit que le chemin était ouvert, il poussa en avant sans rien craindre. Les fantassins ayant intercepté le chemin de la retraite, les Ghourides entourèrent les Ghizniniens; ils tuèrent Daulet Chah avec ses compagnons, et renversèrent l'éléphant. Behram Chah, laissant échapper de sa main, à cause de l'affliction que lui causait ce triste événement, les rênes de la puissance qu'il avait sur lui-même, prit la fuite, et les Ghourides poursuivirent les Ghizniniens. Behram Chah, étant arrivé auprès de Tecnabad, s'y arrêta, et se prépara au combat avec cette poignée d'hommes qui avaient survécu. Le sultan Alâ eddyn, de son côté, disposa ses troupes en ordre de bataille, et tous deux combattirent une seconde fois. Behram Chah ayant été mis en déroute, Alâ eddyn marcha, derechef, à sa poursuite, jusqu'à ce qu'il fût arrivé auprès de Ghiznin. Dans ce lieu, une troupe d'entre les serviteurs de Behram Chah, et les habitants de la ville, se rassemblèrent à l'ombre du drapeau de ce prince. Behram Chah, ayant livré bataille une troisième fois, prit encore la fuite. Alâ eddyn s'empara de vive force de Ghiznin, et donna l'ordre de tuer, de piller, de renverser les maisons et de les brûler. Quant à lui, étant monté sur le sommet du palais des sultans de cette contrée, il s'occupa à boire du vin. Pendant les sept jours[9] que durèrent le meurtre et l'incendie, l'air fut tellement obscurci par la quantité de la fumée, qu'il ressemblait à la nuit; d'autre part, à cause des étincelles, ces sept nuits paraissaient telles que le jour brillant. Après avoir tué la plus grande partie des habitants de Ghiznin, on fit prisonniers leurs enfants. On ouvrit, d'après l'ordre d'Alâ eddyn, les tombeaux des descendants de Sébuktéguin, excepté celui de Iémin-ed-dauleh Mahmoud, et, partout où l’on trouva des os, on les brûla. Au bout de sept jours et de sept nuits, Alâ eddyn Djihansouz, s'étant levé du medjlis (salle d'une conférence, d'une conversation), donna des ordres, en conséquence desquels, après avoir découvert les tombeaux de ses frères, le roi des montagnes[10] Coutb eddyn Mohammed et Mélik Soury, on disposa des boîtes, dans lesquelles il fit partir leurs os pour le Ghour. Lui-même se mit en route vers son pays. Sur le chemin, en tout lieu, il renversait et brûlait les constructions qui étaient attribuées aux enfants de Sébuktéguin. C'est pourquoi, depuis lors, il fut surnommé Djihansouz (l'incendiaire du monde). Pour venger le Seïd Medjd eddyn, qui avait été naïb (lieutenant) de Soury, et que l'on avait aussi mis en croix lors du crucifiement de ce prince, Alâ eddyn donna des ordres, d'après lesquels on conduisit les seïds de Ghiznin à Firouz-Couh, après avoir placé sur leurs épaules des sacs remplis de terre. Il les fit tous décapiter; puis il ordonna de détremper cette terre dans le sang de ces hommes illustres, et de l'employer à la construction des tours de la citadelle de Firouz-Couh.
Lorsqu'il eut accompli les moindres conditions de la vengeance, il se livra à la joie et aux plaisirs, et, ayant rassemblé des musiciens et des commensaux, il orna de leurs personnes la salle des festins. Lorsqu'il fut établi fermement sur le trône du sultanat, il emprisonna dans un château ses neveux, Ghaïat eddyn Mohammed, fils de Sam, et Mo’izz eddyn Mohammed, fils de Sam, qui est connu sous le nom de Sultan Chihâb eddyn.[11] Ayant embrassé le parti de la révolte contre le sultan Sindjar, il négligea d'envoyer les dons et les présents accoutumés. L'affaire en vint au point que Sindjar, ayant rassemblé une année, se dirigea du côté du Ghour. Alâ eddyn Djihansouz, étant également sorti du pays de Ghour avec des troupes bien équipées, se mit en mouvement pour aller au devant de Sindjar. Les deux armées se rencontrèrent dans la plaine d'Hérat roud, et engagèrent le combat. Le sultan Sindjar fut vainqueur, et Alâ eddyn, fait prisonnier. Le sultan donna des ordres, et l'on plaça des liens pesants aux pieds d'Alâ eddyn. Celui-ci fit dire au sultan: « J'espère que le padichah tiendra envers moi la même conduite que j'avais résolu de tenir envers lui. » Sindjar s'étant informé de cela, Alâ eddyn répondit: « Après avoir prépare une chaîne d'argent, à cause du respect dû au sultanat, j'avais fermement résolu en moi-même que, si le sultan Sindjar tombait entre mes mains, je placerais ce lien à ses pieds. » Le sultan Sindjar commanda de trouver la chaîne en question, et de la placer aux talons d'Alâ eddyn. Comme la gaieté du caractère d'Alâ eddyn et son talent pour la poésie étaient fort célèbres, le sultan Sindjar, après quelques jours, ayant donné l'ordre de le relâcher, le fit compagnon de ses festins et commensal de son medjlis. Un jour, on avait placé devant le sultan un plateau rempli de perles d'une belle eau; Sindjar en fit présent à Alâ eddyn, et celui-ci improvisa le roubaï[12] suivant:
Roubaï. — Le roi m’a fait prisonnier dans les rangs du combat, et ne m’a point tué, quoique je fusse bien certainement digne d'être mis à mort. Maintenant il me donne des perles précieuses sur un plateau. Il m'a, de la sorte, pardonné et comblé de présents.
On dit que le sultan Sindjar, ayant un jour tiré sa chaussure, nettoyait son pied. Or, il y avait une lentille sur le pied du sultan. Les regards d'Ala eddyn tombèrent sur cet objet. Après en avoir obtenu la permission, il imprima un baiser sur la plante du pied du sultan Sindjar, et prononça ce roubaï:
« O prince! la poussière du sabot de ton coursier me sert de diadème; ô prince! l'anneau de ton service[13] est mon ornement. Puisque j'ai imprimé un baiser sur la lentille de la plante de ton pied, la prospérité imprime un baiser sur ma tête. »
Après cela, le sultan Sindjar, ayant traité Alâ eddyn avec faveur, lui concéda le pays de Ghour. Alâ eddyn partit pour cet endroit, et s'occupa des soins du gouvernement, jusqu'à ce que, peu de temps après, le créancier importun de la mort étant survenu, le trésor de son corps restât vide de l'argent de la vie.
Lorsqu’Alâ eddyn Djihansouz mourut, les notables du royaume et les hommes célèbres du pays de Ghour reconnurent pour roi son fils Seïf eddyn Mohammed. C'était un jeune homme beau, généreux, juste, bienveillant pour ses sujets, libéral, humble, pieux et cherchant à satisfaire (la Divinité). Une des preuves de son équité est qu'il délivra de prison ses deux cousins, le sultan Ghaïas eddyn et Mo’izz eddyn. Il s'occupa, en outre, à réparer chaque injustice et chaque acte de tyrannie qui avait émané de son père. Mais le temps de sa puissance, de même que l'existence de la rose,[14] n'eut point une bien grande durée. Le motif de la fin de sa vie est qu'il tua un des généraux de l'armée appelé Reïs, parce que ce général portait au bras un bracelet incrusté de pierreries, appartenant à une femme de Seïf eddyn, bracelet que l'un des sultans du Ghour lui avait donné, après s'en être emparé de vive force. Cet acte de violence envers la femme de Mélik Seïf eddyn arriva lorsque Alâ eddyn Djihansouz fut fait prisonnier par le sultan Sindjar, et que Mélik Nacir eddyn (ben) Mohammed s'assit sur le trône de ce prince, dans le pays de Ghour.[15]
En somme, lorsque Reïs fut tué, son frère, le sipehsalar Abou'l Abbas, conçut dans son cœur un désir de le venger. Dans le temps que Mélik Seïf eddyn partît pour faire la guerre aux Ghouzz, le jour du combat, Abou'l Abbas, ayant trouvé l'occasion favorable, lança un javelot dans le côté de Mélik Seïf eddyn, et le renversa de son cheval sur la terre. Les soldats prirent la fuite, abandonnant Seïf eddyn Mohammed sur la place. Un Ghouzz, étant arrivé près de l'endroit où le roi était couché, aperçut la robe et la ceinture royales. Il voulut dénouer ce dernier ornement; mais il ne put y parvenir. Alors il plaça un couteau sur la ceinture et fit un effort afin de la couper; la pointe du couteau ayant rencontré le ventre du roi, Seïf eddyn Mohammed périt de cette blessure. Le temps de son règne fut d'un an et quelque chose.
Lorsque le sultan Ghaïas eddyn et le sultan Moïzz eddyn furent délivrés de captivité, par les ordres de Mélik Seïf eddyn Mohammed, fils d'Ala eddyn Djihansouz, Ghaïas eddyn resta auprès de Seïf eddyn, et le sultan Mo’izz eddyn se rendit à Bamian, auprès de son oncle Mélik Fakhr eddyn Massoud. Lorsque Abou’l Abbas, dans la bataille contre les Ghouzz, eut renversé sur la terre Mélik Seïf eddyn, ainsi qu'il a été raconté, il partit pour le Ghour, et fit asseoir sur le trône le sultan Ghaïas eddyn, avec l'agrément des nobles et des principaux de ce pays. Avant son règne, on appelait Mohammed, fils de Sam, Chems eddyn. Lorsqu'il fut affermi sur le trône de la souveraineté, il fut surnommé sultan Ghaïas eddyn, et l'on donna à son frère le surnom de Mo’izz eddyn. Comme Mo’izz eddyn est connu, parmi les historiens, sous le nom de Chihâb eddyn,[16] nous le désignerons par ce surnom dans la suite du récit. Après que Chihâb eddyn eut appris que son frère Ghaïas eddyn était élevé à la dignité de sultan, il partit de Bamian pour Firouz-Couh. Comme le sipehsalar Abou’l Abbas avait fait asseoir Ghaïas eddyn sur le trône, il vivait au comble de la considération et de la puissance, et ne laissait point au sultan une grande autorité sur les affaires du royaume. La grandeur et la pompe qui l'entouraient faisaient plus d'effet sur le cœur des Ghouriens, que le respect dû au sultan Ghaïas eddyn. Outre cela, toutes les fois que Ghaïas eddyn et Chihâb eddyn se rappelaient le meurtre de Mélik Seïf eddyn, le feu de la vengeance s'allumait dans le brasier de la poitrine des deux frères. En conséquence, le sultan Ghaïas eddyn et le sultan Chihâb eddyn, ayant délibéré sur le moyen de punir Abou’l Abbas, convinrent avec un des Turcs de leur garde que, lorsque le sipehsalar, après être entré dans la salle d'audience, se tiendrait de bout à sa place, et que Chihâb eddyn porterait la main à son bonnet, cet homme abattrait la tête d'Abou’l Abbas. Quand celui-ci se rendit à la salle d'audience, le sultan Ghaïas eddyn se mit à causer avec lui. Chihâb eddyn porta la main à son bonnet. Alors ce Turc renversa sur la terre, d'un seul coup, la tête d'Abou'l Abbas. On dit que, quand Abou’l Abbas sentit le cimeterre, il étendit la main vers son poignard. Il avait tiré la moitié du couteau hors du fourreau, lorsqu'il ne lui resta plus la possibilité de faire un mouvement. Après le meurtre d'Abou’l Abbas, Mélik Fakhr eddyn Massoud convoita le royaume de ses neveux, le sultan Ghaïas eddyn et le sultan Chihâb eddyn, et demanda aide au gouverneur d'Hérat et au vali de Balkh. Tous deux se mirent en mouvement pour le secourir. Avant qu'ils eussent opéré leur jonction, le sultan Ghaïas eddyn envoya des troupes à l'extrémité de la route de ces deux hommes orgueilleux, qui étaient partis d'Hérat et de Balkh. L'armée du Ghour, après avoir tué les deux généraux, revint victorieuse. Le sultan Ghaïas eddyn envoya à Mélik Fakhr eddyn la tête du fils de Comadj, qui était gouverneur de Balkh. Mélik Fakhr eddyn se repentit de son expédition et prit le parti de la retraite. Sur ces entrefaites, les détachements de l'armée du Ghour, étant arrivés, l'entourèrent. Lorsque le sultan Ghaïas eddyn et le sultan Chihâb eddyn, étant survenus, apprirent que Mélik Fakhr eddyn se trouvait dans cet endroit, ils mirent pied à terre, rendirent hommage à leur oncle et lui dirent: « Il faut que notre seigneur s'en retourne. » Puis, l'ayant ramené dans son camp, ils le firent asseoir sur le trône et se tinrent tous deux debout devant lui, la main à la ceinture. Mélik Fakhr eddyn, par suite de l'excès de sa confusion et de son trouble, leur ayant dit des paroles désagréables, se leva de son trône et reprit: « Vous plaisantez et me tournez en dérision; c'est bien, en vérité, le moment de rire. » Ces deux rois, doués d'un excellent naturel, ayant étendu le tapis de l'excuse, Mélik Fakhr eddyn se dirigea vers Bamian, et les deux frères s'en retournèrent, après l'avoir accompagné l'espace d'une marche. Lorsque la royauté du Ghour fut affermie entre les mains du sultan Ghaïas eddyn, il conduisit son armée dans les contrées de Daver et du Guermsir, et en fit la conquête; puis, s’étant dirigé du côté de Badghis, il réduisit sous sa puissance cet agréable pays.[17] Il conclut une alliance avec les princes du Ghardjistan; et son autorité eut également cours dans cette province. Dans le courant de l’année 569, il enleva Ghiznin aux ennemis,[18] et plaça dans cette contrée, en qualité de gouverneur, son frère Chihâb eddyn; puis il retourna à Firouz-Couh. Après deux années, ayant rassemblé l'armée du Ghour et de Ghiznin, il conduisit ses troupes du côté d'Hérat. Béha eddyn Thogril, qui avait été un des serviteurs de Sindjar, et était devenu, dans ce temps, gouverneur d'Hérat, abandonna la ville et se joignit au Khârezm Chah. Le sultan s'empara d'Hérat, et, au bout de deux autres années, conquit aussi Fouchindj. Lorsque les rois du Séistan virent que le sultan s'était emparé de la plupart des pays du Khorassan, ils lui envoyèrent des députés, et cherchèrent à obtenir sa bienveillance, en montrant de la soumission et de l'obéissance. La puissance du sultan Ghaïas eddyn augmenta de jour en jour, jusqu'à ce que, dans le courant de l'année 597, il conduisît une armée auprès de Chadbakh.[19] Ali Chah, fils de Tacach Khan, ayant fermé les portes de la ville, s'établit lui-même dans une tour, avec une troupe de princes Kharezmiens. Le sultan Ghaïas eddyn, étant venu, par hasard, en face de cette tour, dit à ses courtisans: « On peut ruiner, avec les pierres des balistes, depuis cette tour-là jusqu'à celle-ci. » Grâce à son bonheur, cette quantité de mur qu'il avait désignée tomba aussitôt, et, une brèche considérable ayant été ouverte, la ville fut conquise. Le sultan, après être revenu de ce lieu, prit Merv, l'année suivante. Lorsque sa domination fut reconnue dans la totalité du Khorassan, il partit pour l'autre monde, dans l'année 599, par l'ordre de ce roi puissant qui n'est jamais mort et qui ne mourra jamais. Le lieu de sa sépulture est un dôme qu'il avait élevé, pour cette distinction, dans la mosquée principale d'Hérat. Le temps de sa vie fut de soixante-trois ans, et celui de sa souveraineté de quarante-trois. Il obtint une vie et un règne plus considérables que ceux des autres Ghourides. Le sultan Ghaïas eddyn appartenait à la secte de Chafeï, parce qu'il trouvait que l'abstinence et le respect pour les traditions prophétiques étaient plus grands dans cette secte que dans les autres. Il destina, d'une manière particulière, aux sectateurs du Chafeï l'imamat de la mosquée principale d'Hérat, qui était son ouvrage.
Dans l'année 570, le sultan Chihâb eddyn s'assit sur le trône de Ghiznin, par l'ordre de son frère. Dans l'année 571, ayant mené une armée dans l'Hindoustan, il s'empara du Moultan. Après cela, il conduisait ses troupes par degrés, et faisait des conquêtes dans l'Inde. Lorsqu'il arriva à Delhi, il prit aussi cette ville, et accorda le gouvernement de la contrée à Coutb eddyn Aïbec, qui était au nombre de ses esclaves. Coutb eddyn Aïbec soumit une grande partie de l'Inde, ainsi qu'il est consigné et rapporté en détail dans le Tadj-el-Meacir. Le sultan Chihâb eddyn tira de l'Inde un butin considérable. On dit que, dans une des expéditions qu'il fit dans ce pays, trois cents et quelques éléphants tombèrent entre ses mains. Ce prince victorieux se dirigea vers le Khorassan avec la pompe la plus complète. Dans le temps que le sultan Ghaïas eddyn mourut à Hérat, Chihâb eddyn se trouvait entre Thous et Sarakhs. Lorsque la nouvelle de cet événement parvint à ses oreilles, il marcha vers Badghis. Après s'être appliqué, dans ce lieu, à remplir les conditions du deuil, il partagea, de la manière suivante, les provinces de son frère entre les princes de la famille de Sam. Il donna le trône de Firouz Couh et du Ghour à son cousin Mélik Dhia eddyn;[21] il plaça les rênes du gouvernement de Bost, de Férah et d'Isfirar dans la main de la capacité de Mahmoud, fils du sultan Ghaïas eddyn Mohammed; et remit le gouvernement d'Hérat à Nacir eddyn Ghazi, qui était fils de sa sœur. Quant à lui, il retourna à Ghiznin et s'occupa à préparer les moyens d'une expédition dans le Khârezm. Lorsqu'il arriva dans sa capitale, après avoir tourné le dos dans une bataille contre le sultan Mohammed Kharezm Chah,[22] il ordonna que les débris de l'armée s'occupassent des préparatifs d'une expédition de trois ans dans le Turkestan. Sur ces entrefaites, des messagers lui exposèrent qu'une troupe d'habitants de la montagne de Djoud avaient fait la manifestation de la rébellion. Le sultan, ayant remis le voyage du pays des Turcs, partit pour cet endroit. Après avoir tué ou pris un grand nombre de ces hommes, il tourna du côté de Ghiznin les rênes du retour; mais, au milieu du chemin, dans la station de Damic, des fedaïs lui firent subir le martyre.
Vers. — Le martyre du roi de la mer et du continent, Mo’izz eddyn, dont on n'a pas vu le pareil depuis le commencement du monde, arriva le trois de chaban 602, sur le chemin de Ghiznin, dans la station de Damik.
Après la mort de son oncle Chihâb eddyn, Mahmoud se rendit à Firouz-Couh. Les notables de ce pays, et même de la totalité du Khorassan, se soumirent à lui. Les émirs des différentes contrées, comme Tadj eddyn Ieldouz, prince de Ghiznin; Coutb eddyn Aïbec, vali de Delhi, ayant envoyé des ambassadeurs et des messages, rendirent manifestes leur obéissance et leur soumission. Dans la totalité des provinces du Ghour, de Ghiznin et de l'Hindoustan, la khotbah fut ornée du nom et des surnoms de Mahmoud. Il finit de bâtir la mosquée principale de Ghiznin, qui était restée inachevée. Pendant son règne, Ali Chah ben Tacach, étant devenu mécontent de son frère, le sultan Mohammed, pour un motif quelconque, et ayant pris la fuite, se rendit à Firouz-Couh. Le Kharezm Chah, ayant transmis à Mahmoud le traité que le sultan Chihâb eddyn lui avait envoyé, et dont la teneur était, qu'il serait ami des amis du Khârezm Chah et ennemi de ses ennemis, lui lit dire: « Ali Chah, malgré l'étroite parenté qui nous unit, est mon ennemi; il faut qu'on le prenne et qu'on le charge de liens. » Conformément à cela, Mahmoud, ayant fait arrêter Ali Chah, le retint prisonnier dans le château. Ali Chah avait amené avec lui une troupe d'hommes de l'Irak, du Khorassan, etc. pour lesquels il avait une amitié toute particulière. Ces hommes s'opposèrent pendant quelque temps à l'emprisonnement d'Ali Chah. A plusieurs reprises, ils firent dire au sultan: « Ali Chah et nous, qui sommes ses serviteurs, avons choisi cette cour pour refuge. Faire prisonnier son protégé, n'est point une action qui puisse être bénie par le ciel. Si le padichah a dans l'esprit la pensée de quelque perfidie, nous commettrons une action qui sera pour lui la cause d'un grand dommage. » Comme la volonté de l'Eternel avait été attachée au martyre du sultan, il ne tint pas compte de ces paroles. Plusieurs de ces hommes, étant montés, une certaine nuit, sur la montagne d'Azad, qui était à l'opposite de la chambre à coucher du sultan, se cachèrent dans cet endroit, et aperçurent de là le lieu où il dormait. Dans la nuit du mardi, 3 de séfer de l'année 607,[23] ils montèrent sur le toit (la terrasse) du château, firent boire à Chihâb eddyn[24] Mahmoud la boisson du martyre, et s'en retournèrent par le chemin qu'ils avaient suivi en venant. Lorsqu'il fut jour, on ensevelit Mahmoud dans ce château. Par la suite, on porta sa bière à Hérat, et on l'enterra dans le quartier des foulons.
Après le meurtre de Mahmoud, les émirs du Ghour, étant tombés d’accord, firent asseoir sur le trône son fils aîné Sam, qui, à cette époque, était âgé de quatorze ans. Les grands de l'empire tuèrent quelques-uns dès princes qu'ils regardaient comme pouvant devenir la cause d'un trouble, et en mirent quelques autres en prison. Lorsque les compagnons d'Ali Chah virent qu'on ne le délivrait point de captivité, ils méditèrent le projet d'un autre tumulte. Ils placèrent plusieurs hommes dans des boîtes, et voulurent les apporter dans la ville, sous un prétexte quelconque, afin de réaliser l'objet de leurs efforts. Un homme de cette troupe s'étant rendu auprès des émirs, leur découvrit la chose. Ces seigneurs envoyèrent un détachement, qui prit les boîtes à la porte de la ville. Quarante-cinq des conjurés furent faits prisonniers. On en jeta quelques-uns sous les pieds des éléphants; on en précipita plusieurs autres du haut de la montagne, et l'on coupa en morceaux trois misérables, qui étaient les meurtriers du sultan Mahmoud. Lorsque trois mois se furent écoulés depuis l'avènement de Béha eddyn, Alâ eddyn Atsiz, fils d'Alâ eddyn Houceïn Djihansouz, qui servait alors le Kharezm Chah, demanda à ce prince une armée pour conquérir le Ghour. Le Kharezm Chah le renvoya, avec des troupes, du côté de Firouz-Couh. Lorsque les Ghouriens furent informés de la marche d’Atsiz, ils tirèrent de sa prison Ali Chah, fils de Tacach, dans la pensée qu'il était possible qu'une portion des Kharezmiens montrât de l'inclination pour le service de ce prince. Ali Chah, de son côté, remplit les conditions du zèle, à cause de son inimitié pour son frère. Au bout de deux ou trois jours, pendant lesquels les deux armées combattirent aux environs des montagnes et de la ville, un vendredi, au milieu de djoumada 1er de l’année 607, les Kharezmiens prirent Firouz Couh, et Ali Chah partit pour Ghiznin. Béha eddyn Sam, son frère et sa mère se mirent en route vers le Khorassan, emportant avec eux le tombeau de Ghaïas eddyn Mahmoud. Lorsqu'ils arrivèrent à Hérat, le sultan Mohammed les conduisit à Khârezm. On dit que, au commencement de la guerre contre Gengis Khan, on noya, dans le Djelhoun, Béha eddyn Sam et son frère Chems eddyn Mohammed d'après l'ordre de la mère du sultan Mohammed Kharezm Chah.
Lorsqu’Atsiz se fut emparé de Firouz Couh, les principaux du Ghour se consacrèrent à son service; mais, une contestation s'étant élevée entre lui et le prince de Ghiznin, Tadj eddyn Ieldouz, chacun d'eux conduisît des troupes contre l'autre. Après le combat, Ieldouz fut mis en déroute. Atsiz s'occupa, durant quatre ans, à gouverner le Ghour, au nom du Kharezm Chah. La seconde fois que la guerre eut lieu entre lui et l’armée de Ghiznin, il subit le martyre dans la bataille; ses enfants furent tués ou réduits à mener une vie errante.
Après Atsiz, Alâ eddyn Abou Ali Mohammed,[25] un des descendants de Souri, parcourut le pays de Ghour dans tous les sens, mais sans pouvoir parvenir à son but. Dans l'année 611, le sultan Mohammed le manda à Khârezm. Il se rendit en cet endroit; et un des émirs du Khorassan fut désigné pour gouverner le Ghour.
[1] L'expression signifie littéralement « être fatigué, réduit à la détresse. » On lit dans Mirkhond: « Les Carakhitans, qui habitaient dans les environs de Samarcande, et avaient été réduits à la détresse par les exactions des émirs de Sindjar. » (Hist. Seldschukid. p. 177); et ailleurs: « Un si grand nombre de morts tombèrent dans cette plaine, que la terre, fatiguée de ce fardeau pesant, fit parvenir jusqu'au ciel ses gémissements et ses lamentations » (Histoire des sultans du Khârezm, p. 116); et dans Ferdowsi: C'était une armée telle que la mer, les plaines et les montagnes étaient fatiguées par les fers de ses chevaux. (Livre des Rois, tom. II, p. 8.)
Le traducteur de cet ouvrage a traduit « tremblaient; » mais les deux exemples de Mirkhond cités plus haut me paraissent condamner entièrement cette version. La même observation s'applique aux deux passages suivants du Livre des Rois, tom. II, pages 30 et 88), dans la traduction desquels il faut substituer les mots « était fatigué, réduit à la détresse, » à « tremblait. »
[2] « L'aune est de deux sortes: l'aune royale, qui est de trois pieds moins un pouce, et l'aune raccourcie, ou gueze moukesser, comme ils l'appellent, qui n'est que les deux tiers de l'autre. » (Voyages de Chardin en Perse, édition de 1723, t. IV, p. 276)
[3] Littéralement: « fit du commerce son vêtement de dessous. » On rencontre très souvent chez les écrivains persans ce mot arabe, soit isolé, soit mis en regard du mot diçar, qui signifie « vêtement de dessus. » On lit dans l’Historia Seldschukidarum de Mirkhond (p. 203): Pendant l'absence de ce prince, Abbas, selon la coutume des hommes vils, fit de l’ingratitude son vêtement de dessous, c'est-à-dire sa marque distinctive; » et dans la Vie de Djenguiz, par le même auteur (p. 7): « Il fit de la retraite et de l’abdication ses vêtements de dessous; » plus loin (p. 38): « Altan était un roi adroit et subtil, qui avait fait de la patience et de la gravité ses vêtements de dessous; » ailleurs (p. 8): « Alandjah khan était un khacan dont le zèle était le vêtement de dessus, et un sultan dont la bravoure était le vêtement de dessous; » plus bas (p. 10): « Un monarque qui avait l'équité pour vêtement de dessous, et un prince dont la majesté était le vêtement de dessus. » On voit encore ce mot dans l'exemple suivant, tiré de l’Anwari Soheïli (éd. de 1816, p. 310): « Quiconque participe aux heureux effets de la sagesse, fait, de l'attention aux paroles des personnes sûres, ses vêtements de dessous et de dessus. » D'autres fois, le mot se trouve seul, comme dans le passage ci-dessous: « Ce prince prit le chongar sur sa main généreuse, ainsi que c'est la coutume des rois. » (Abd errazac, ap. Charmoy, Mémoires de l’Académie de Saint-Pétersbourg, vie série, tom. III, p. 247. —Voyez encore Mirkhond, 2e partie, ms. d'Other, f 262, v. et vie partie, ms. Bruix, f. 59, v.)
[4] Le récit d’Ibn Alathyr différant sensiblement de celui de Mirkhond, je crois devoir le transcrire ici, malgré son étendue:
RÉCIT DE LA CONQUÊTE DE GHAZNA PAR LES GHOURIENS, ET DE LEUR RETOUR DANS CETTE VILLE.
Dans cette année (543), Soury, fils d'Houceïn, roi du pays de Ghour, marcha contre la ville de Ghazna et s'en rendit maître. Le motif de cette action était que son père, Mohammed ben Houceïn, roi des Ghouriens avant lui, s'était allié à Behram Chah, fils de Massoud, fils d'Ibrahim, prince de Ghazna, de la famille de Sébuctéguin. La dignité de Mohammed fut élevée par cette alliance, et son ambition s'en accrut. Il rassembla une année nombreuse, et marcha vers Ghazna afin de s'en emparer. On dit qu'il ne marcha vers cette ville qu'en affichant le dessein de visiter le sultan et de lui rendre «es hommages, tandis qu'en réalité il méditait la ruse et la perfidie. Behram Chah en fut informé; il le prit, le mit en prison et ensuite le tua. Le meurtre de ce prince fut une chose pénible pour les Ghouriens, d'autant plus qu'ils n'avaient pas le pouvoir de le venger par le talion. Lorsqu'il eut été tué, son frère Sam, fils d’Houceïn, monta sur le trône. Il mourut de la petite vérole, et son frère, Mélik Soury, gouverna après lui le pays de Ghour. Sa puissance devint considérable, et il fut affermi dans son royaume. Il rassembla des troupes, tant de cavaliers que de fantassins, et marcha vers Ghazna pour s'emparer de cette ville et venger, par le talion, son frère massacré. Lorsqu'il fut arrivé à Ghazna, il s'en rendit maître, dans le mois de djoumada premier de cette année. Behram Chah abandonna sa capitale pour se retirer dans l'Inde. Puis, il rassembla une armée nombreuse, et revint vers Ghazna, précédé du général (as-salar) Houceïn ibn Ibrahim, l'Alide, prince de l'Hindoustan. Les soldats de Ghazna étaient restés auprès de Soury ben Houceïn, le Ghourien, et avaient embrassé le service de ce prince; mais ils ne tenaient pour lui qu'en apparence, et leurs coeurs étaient entièrement à Behram Chah. Lorsque Soury et Behram Chah en vinrent aux mains, l'armée de Ghazna retourna auprès de ce dernier, se joignit à lui et lui livra Soury. Behram Chah s'empara de Ghazna au mois de moharrem de l'année 544, et fit mettre en croix Mélik Soury avec le Seïd al-Mahiani. Soury était un homme généreux, d'une libéralité rare et d'une grande humanité, au point qu'il jetait, avec des frondes, des pièces d'argent aux pauvres, afin qu'elles tombassent entre les mains de ceux avec lesquels il se rencontrait. Les Ghourides revinrent ensuite à la charge, s'emparèrent de Ghazna et la ruinèrent, ainsi que nous le rapporterons à l'année 547. Nous avons raconté, en cet endroit, le commencement de la dynastie des Ghouriens, parce que, à cette époque, ils abandonnèrent leurs montagnes et se dirigèrent vers le Khorassan, et que leur rang fut élevé et devint considérable. Au reste, il y a, touchant ce sujet, quelques versions différentes, ainsi que nous l'exposerons plus bas. (Ibn Alathyr, Camil ettéwarikh, ms. arabe de la Bibliothèque royale, tome V, p. 88, 89.)
Le passage auquel Ibn Alathyr faut allusion en dernier lieu se trouve à la date 547; je vais en donner un court extrait:
Ensuite Alâ eddyn Houceïn se dirigea vers Ghazna. Le prince de cette ville était alors Behram Chah ben Maçoud…. Il n'attendit point Alâ eddyn dans Ghazna, mais il abandonna cette place pour se retirer à Kerman, qui est une ville, entre Ghazna et l'Inde, dont les habitants forment un peuple appelé ? (peut-être Afghan). Cette cité n'est point située dans le pays connu sous le nom de Kerman. Lorsque Behram Chah eut abandonné Ghazna, Alâ eddyn Ghouri s'en rendit maître, agit avec bonté envers ses habitants, et leur laissa, en qualité de gouverneur, son frère Seïf eddyn. Ensuite, Alâ eddyn retourna dans le pays de Ghour.
Après cela, Ibn Alathyr raconte la captivité et la mort de Seïf eddyn presque de la même manière que Mirkhond. Aboulféda a rapporté à peu près les mêmes faits qu'Ibn Alathyr a racontés en premier lieu, en ajoutant à ces détails ceux que l’on vient de lire sur Seïf eddyn, auquel il donne en outre le nom de Sam. D'après lui, la mort de ce prince arriva en 550. (Annales muslemici, tom. III, p. 520. Beïdhawi, Nizam ettéwarikh, ms. pers. de la Bibl. roy. n° 93)
[5] Ibn Alathyr fait allusion à ce vers dans les paroles suivantes:
« Lorsque la nouvelle du supplice de Seïf eddyn parvint à son frère Alâ eddyn Houceïn il composa une pièce de vers dont le sens était: « Si je n'arrache point Ghazna de ses fondements, en une seule fois, je ne suis point Houceïn, fils d'Houceïn. » (Camil ettéwarikh, tom. V, ms. arabe, n° 49 supp. f. 107.) Le même auteur avait déjà appelé (p. 106) Alâ eddyn, Houceïn, fils d'Houceïn, fils d'Haçan. D'Herbelot lui donne, d'après le Lubb ettéwarikh (ms. persan de la Bibliothèque royale, n° 93, fol. 80 r.), les noms de Alâ eddyn Hassan, fils d'Houssain, fils de Sam Souri (Bibl. orient. édition in-folio de 1776, p. 336 et 404). Deguignes écrit, dans la même page, Alâ eddyn el-Housseïn et Alâ eddyn Hassan, fils d’Houssaïn (Hist. des Huns, tom. I, p. 413); enfin, M. Audiffret lui donne l'un et l'autre nom. (Biogr. univ. LVI, 121.)
[6] Telle est la version adoptée par Ibn Alathyr (Camil ettéwarikh, loc. laud.), Aboulféda (Annales Muslemici, t. III, p. 520, 522), et Beïdhawi (Nizam ettéwarikh, man. pers. n° 9a).
[7] Il est à peine besoin de faire remarquer la ressemblance de cette histoire avec celle du juif Eléazar. (Voyez Lib. I Machabœorum, cap. vi, vers. 43 sqq.)
[8] Le mot tcheper désigne, ainsi que M. Quatremère l'a fait remarquer dan» une savante note, « une claie que les soldats portent devant eux, afin de se mettre à couvert des pierres et des flèches. » (Voyez Histoire des Mongols, p. 335.)
[9] Pendant trois jours seulement, d'après Aboulféda et Ibn Alathyr.
[10] « Le roi des montagnes », c'est-à-dire de la région montagneuse du Ghour.
[11] Sur ce point Ibn Alathyr et Aboulféda sont complètement en désaccord avec Mirkhond. Le dernier de ces deux auteurs s'exprime ainsi: « Houceïn nomma gouverneur de Ghazna ses deux neveux, Ghaïat eddyn Mohammed et Chihâb eddyn Mohammed, fils de Sam. Ensuite, une guerre s'engagea entre ces deux princes et leur oncle Alâ eddyn. Ils furent vainqueurs dans le combat, et firent leur oncle prisonnier. Puis ils le relâchèrent, le firent asseoir sur le trône, et se tinrent debout devant lui, en signe d hommage. Alâ eddyn resta maître de la dignité de sultan, maria Ghaïat eddyn à sa fille et le fit son héritier présomptif. Les choses demeurèrent en cet état, jusqu'à ce qu'Alâ eddyn mourût, dans l'année 556 (ou 536 ??) » (Annales Muslemici, tom. IV, p. 322.) L'auteur du Lubb ettéwarikh (man. persan n° 93, fol. 80 r.) place la mort de Alâ eddyn dans l'année 551, et d'Herbelot semble avoir adopté son opinion en ne donnant à ce prince que six ans de règne, Bibliothèque orientale, édition déjà citée, p. 336)
[12] On appelle roubaï (distique ou réunion de quatre hémistiches) deux vers correspondant sous le rapport de la cadence, et dont le mètre est particulier à ce genre de poésies; mais il n'est pas nécessaire que le troisième hémistiche rime avec le quatrième, quoiqu'il n existe proprement aucune règle qui s’y oppose. (Gladwin, cité par M. Charmoy, Expédition d’Alexandre le Grand contre les Russes, p. 135.)
[13] Le mot halcah désigne ici « le pendant d'oreille, » regardé chez les Orientaux comme une marque d'esclavage. On peut consulter à ce sujet une savante note de M. Quatremère (Histoire des sultans mamlouks, tom. I, p. 7, 8). Je me permettrai seulement de faire, à propos d'un des nombreux passages cités dans cette note, une observation que je soumets sans restriction à l'érudition si supérieure de l'illustre professeur. On lit dans le Boustan de Saadi l'hémistiche que M. Quatremère a traduit ainsi: O toi, l'esclave de la sagesse du monde. Mais ne vaudrait-il pas mieux le rendre par ces mots, en lisant O toi, aux ordres de qui le monde est soumis, comme un esclave qui porte à ses oreilles l'anneau de la servitude.
[14] On trouve, dans une autre partie de Mirkhond, cette comparaison, tout à fait semblable à la précédente. « La puissance de Thogril ne se prolongea pas, de même que l'existence de la rose. » (Historia Seldschukidarum, p. 197.)
[15] Ici se rapporte un détail important omis par notre auteur, et que nous allons donner d'après le Tabacati Naciri, dont nous transcrivons les propres expressions:
« Lorsque le sultan Alâ eddyn Houceïn fut fait prisonnier dans la bataille contre le sultan Sindjar, la royauté du Ghour et des montagnes resta abandonnée; les hommes superbes et les rebelles du Ghour commencèrent à se révolter. Tous prirent pour forts les montagnes et les gorges dans lesquelles ils faisaient leur résidence, et se mirent à combattre les uns contre les autres. Un certain nombre de grands, qui avaient survécu, amenèrent de Madin Mélik Nasir eddyn Houceïn, fils de Mohammed Madini, et le firent asseoir sur le trône de Firouz Couh. Nasir eddyn s'empara des trésors du sultan Alâ eddyn et de ceux de son fils, le sultan Seïf eddyn. Il donna tous les objets de prix, toutes les richesses et les raretés, soit par nécessité, soit par son propre mouvement, aux émirs, aux grands et même aux gens méprisables. Enfin, il soumit à sa puissance la principauté de Ghour. Mélik Nasir eddyn avait un penchant très vif pour les femmes et les jeunes filles; il avait réduit à le servir quelques unes des esclaves et des femmes du harem du sultan Alâ eddyn. Lorsque le sultan, revenant de la cour de Sindjar, comblé de marques d'honneur et de considération, prit le chemin du Ghour et arriva dans la contrée montagneuse d'Hérat, on apporta à la résidence de Firouz-Couh la nouvelle de l'approche de ses drapeaux. La crainte de sa sévérité jeta tous les cœurs dans le précipice de la frayeur. Quelques personnes, qui étaient particulièrement connues par leur amitié sincère pour la puissance d'Alâ eddyn, excitèrent et poussèrent en secret ces jeunes filles, qui se trouvaient dans le harem de Mélik Nasir eddyn, à chercher une occasion favorable. Dans un moment où Mélik Nacir eddyn était couché, elles placèrent sur son visage l'oreiller de l'estrade, et en tirèrent les quatre coins de toute leur force, de telle sorte que Nacir eddyn périt. » (Man. 13 Gentil, fol. 257.)
[16] La même expression est employée par Mirkhond dans un passage de la Vie de Djenguiz khan, qui n'a pas été imprimé avec toute la fidélité désirable.
[17] Suivant M. Audiffret, Ghaïas eddyn prit Badghis en 571 seulement. (Biographie universelle, tom. XXIX, 240 A.)
[18] D'après le même savant, ce ne fut aussi qu'en 571, que Chihâb eddyn obtint la principauté de Ghazna. Ici M. Audiffret est en contradiction avec lui-même, car il dit plus haut (ibid. p. 216) que Ghaïas eddyn associa son frère au trône dans l’année 567 (1171). Il répète cette dernière date dans les lignes suivantes: « Mais en 567 de l'hégire (1171-72 de J. C.), le roi de Ghour vainquit en personne les troupes de Khosrou, se ressaisit de Ghazna, et en donna le gouvernement à son frère Chihâb eddyn, etc. » (t. XXII) Enfin, M. Audiffret commet, je crois, une autre erreur (ibid. et tom. XXIX, p. 239 B.), en disant que ce fut sur Khosrou que le roi de Ghour reprit Ghazna. En effet, d'après l'auteur du Tabacati Naciri, historien qui écrivait moins d'un siècle après les événements dont il est ici question, Khosrou Mélik ne posséda jamais Ghazna. Cette ville fut enlevée à Khosrou Chah, père de Khosrou Mélik, par les Ghouzz (et non les Ghazis), qui en restèrent les maîtres jusqu'en 569, époque à laquelle Ghaïas eddyn rentra en possession de Ghazna, dont il donna le gouvernement à son frère Chihâb eddyn. Aboulféda raconte ces événements de la même manière; seulement il attribue la prise de Ghazna à Chihâb eddyn (Annales Muslemici, III, 512). Enfin, à l'article des Ghaznévides, Mirkhond ne parle nullement de cette prétendue occupation de Ghazna par Khosrou Mélik.
[19] Mirkhond, dans un autre endroit, a rapporté beaucoup plus en détail les guerres des sultans du Ghour contre le sultan du Khârezm. Je vais donner ici la traduction de ce passage, sans y joindre le texte, que j'ai publié ailleurs:
Lorsque la nouvelle de la mort de Tacach fut connue des sultans du Ghour, Chihâb eddyn et Ghaïas eddyn, ils se dirigèrent d'abord vers Thous, avec une armée nombreuse et quatre-vingt-dix éléphants. Après avoir pillé et ravagé cette contrée, ils se rendirent à Chadbakh. Dans ce moment, Tadj eddyn Ali chah, frère du sultan Mohammed Kharezm Chah, étant revenu de l'Irak, se trouvait à Chadbakh. Un jour que l'armée du Ghour avait formé une ligne de circonvallation autour de la ville, Tadj eddyn Ali chah étant monté, avec les autres princes de la dynastie, sur une tour qui était en face du sultan Ghaïas eddyn, regardait le combat, lorsque cette tour s'écroula tout à coup, et les principaux de Chadbakh furent faits prisonniers. Au même instant, la ville ayant été conquise, les soldats, par l’ordre du sultan Ghaïas eddyn et de Chihâb eddyn, envoyèrent des préposés dans les demeures des gens de bien, afin qu'on ne leur fît souffrir aucun dommage. Depuis le matin jusqu'au milieu du jour, ils s'occupèrent à piller. A l'heure de midi, on proclama que personne ne fît subir d'injustice aux habitants de Chadbakh. La discipline de l'armée était telle, que chaque soldat jeta, dans cette circonstance, tout ce qu'il avait dans la main. Après cela, on rassembla les marchandises, les meubles, et quiconque reconnut ses effets, en fut remis en possession, d'après l'ordre des sultans. Le but de ce pillage était de châtier les habitants. Après avoir chargé de liens et de chaînes Tadj eddyn Ali chah et les principaux de l'empire du sultan, on les envoya, avec force mépris et châtiments, du côté du Ghour. Les deux princes, ayant envoyé des lieutenants jusqu'à Bestham et Djordjan, réduisirent ces provinces sous leur puissance. Après avoir relevé les tours et les murailles de Chadbakh, ils laissèrent en ce lieu Mélik Dhia eddyn, avec une armée considérable. Le sultan Ghaïas eddyn, étant retourné à Hérat, le sultan Chihâb eddyn se dirigea vers le Couhistan, avec l'intention de dévaster les châteaux et les places des Ismaéliens. Lorsque le sultan Mohammed Khârezm chah apprit que le désordre avait trouvé accès dans les affaires du Khorassan, et que les habitants de cette contrée passaient leurs jours dans le trouble ..., il sortit de Khârezm, semblable à un lion plein de courroux, avec une armée qui ne redoutait point la mort. Il arpenta la distance, jusqu'à ce qu'il fût arrivé auprès de Chadbakh, dans le mois de dzou’lhiddjeh de l'année susdite. Il donna des ordres, et l'armée se rangea en bataille autour de la ville. Les Ghouriens, étant sortis, frappèrent le pied de la résistance. Par suite de la confiance qu'ils avaient dans leur puissance et leur force, ils voulurent emporter l'avantage en agitant le bras. Mais, lorsqu'ils eurent goûté un peu de la bravoure des Kharezmiens, ils se glissèrent dans leur trou comme des souris, et retinrent leur respiration. Au dehors, on employa les balistes et les catapultes, de telle sorte que les tours de la citadelle, qui élevaient leur sommet au-dessus du ciel, furent rasées au niveau de la terre. On combla également le fossé. Lorsque les Ghouriens surent qu'ils seraient éprouvés par la honte de la captivité, ayant pris pour intercesseurs les cheikhs et les oulémas, ils demandèrent merci. Le sultan, ayant tiré la ligne du pardon et de la miséricorde sur les fautes et les péchés des ennemis, renvoya ces hommes comblés de marques d'honneur, de présents et de bienfaits, auprès des sultans du Ghour, afin qu'ils sussent qu'il avait agi d'après cette parole: « Pardonner, lorsque l'on est puissant, est au « nombre des qualités généreuses. » Lorsque Chadbakh fut rentré sous la puissance du sultan, il donna ordre de ruiner le reste des murs. De là, il se dirigea vers Merv et Sarakhs, que son neveu Hindou Khan gouvernait alors au nom du sultan du Ghour. Lorsque le bruit de la marche de son oncle parvint à Hindou Khan, les caravanes du souci et du chagrin s'étant mises en mouvement vers la cité de son esprit, il se rendit dans le Ghour. Quand le sultan arriva à Sarakhs, le gouverneur de cette forteresse se disposa à résister. Conformément aux ordres du prince, une troupe de soldats s'étant occupés du siège, en quelques jours la ville fut conquise. Le sultan détourna les rênes du bonheur du côté de Khârezm, par le chemin de Merv. S'étant arrêté quelque temps dans sa capitale, il jeta le rayon de la sollicitude sur la préparation des ustensiles et des instruments du combat. Ses étendards, indices de la victoire, s'étant mis une seconde fois en mouvement, la prairie de Radécan devint le lieu du campement des tentes de la félicité. Le sultan s'arrêta quelques jours dans cet endroit, jusqu'à ce que les soldats des différentes provinces fussent rassemblés. Alors il partit avec une armée considérable de Persans et de Turcs, et ne s'arrêta dans aucun lieu, jusqu'aux portes de la ville d'Hérat. Il ordonna aux troupes d'assiéger et de conquérir la place. Izz eddyn Mergbani, qui était un homme rendu prudent par l'expérience de la fortune, et qui avait alors le gouvernement d'Hérat, ne vit d'autre remède que l'humilité et les supplications. En conséquence, ayant député des ambassadeurs, il s'engagea à faire parvenir au trésor une somme considérable, et à envoyer son fils au service du sultan, afin que la violence de la colère de ce prince se calmât. Sur ces entrefaites, ou répandit le bruit de la marche des Ghouriens du côté du royaume du sultan Mohammed. Le sultan, après avoir tenu conseil, décampa de devant Hérat, et se mit en mouvement du côté de Merv-erroud, qui est aussi connu sous le nom de Murghab. Lorsque le bord du fleuve fut devenu l'endroit où il établit son camp, le sultan Chihâb eddyn arriva de Thalécan. Le sultan Mohammed jugea convenable de mettre le fleuve entre lui et les ennemis. Les soldats ayant été en dissentiment à ce sujet, une partie d'entre eux passa le fleuve. Le sultan Mohammed, après avoir reconnu ce désaccord, se dirigea vers Merv. Les Ghouriens, ayant jeté le bagage de la résidence dans Sarakhs, des envoyés allèrent et vinrent des deux côtés. Le sultan Chihâb eddyn demandait qu'on lui livrât une portion du Khorassan. Le Khârezm chah, ayant eu honte de cette demande, ne consentit point à la paix, et partit du côté de Khârezm. » (Histoire des Sultans du Khârezm, p. 40-44.)
[20] Je dois faire observer que c'est par inadvertance que le savant M. Audiffret a donné à ce prince le titre de cinquième sultan de la dynastie des Ghourides. (Biographie universelle, XXIX, 216.) En effet, ce rang appartient à Mahmoud, neveu et successeur de Chihâb eddyn, ainsi que M. Audiffret lui-même l’a reconnu. (Ibid. XXVI, 176.)
[21] Ce prince est le même que l'auteur du Tabacati Naciri désigne sous le nom de Mélik Hadji Alâ eddyn Mohammed, fils d’Abou Ali, ms. persan, 13 Gentil, 270 r. et v. Le même historien nous donne sur ce personnage un détail curieux, que je crois encore inédit, et que je transcris ici: « Dans l’année 601, lorsque le sultan victorieux Mo’izz eddyn conduisit une armée du côté du Khârezm, Mélik Alâ eddyn (sic) en conduisit une autre, du Ghour, vers le pays des Ismaéliens (Moulhidistan) et le Couhistan. Il s'avança jusqu'aux portes de la ville de Caïn, se dirigea du côté de Djenabad, dans le Couhistan, et conquit la forteresse de Cakhi Djenabad. En un mot, il mit à fin de nombreux combats, et retourna enfin dans le Ghour. (Ibid. 270 v. 271 v.) Enfin, le même auteur ajoute les détails suivants, qui ne me paraissent pas inutiles pour l'intelligence de la suite du récit de Mirkhond: « Lorsque le sultan victorieux Mo’izz eddyn obtint le martyre, le sultan Ghaïas eddyn Mahmoud, fils de Mohammed, fils de Sam, alla de Bost, qui était son fief, dans la contrée de Daver. Les princes et les émirs du Ghour se joignirent à lui. Il se dirigea vers la résidence de Firouz Couh. Mélik Alâ eddyn se rendit de cette ville, dans le Gharistan (lisez Gharchistan ou Ghardjistan). Lorsqu'il arriva à la tête du pont du Mourghab, le sipehsalar Haçan ben Abd el-Mélik survint à sa poursuite, le fit retourner sur ses pas, et l'emprisonna dans le château d'Achiar, en Gharistan, d'après l'ordre de Mahmoud. Lorsque ce prince obtint le martyre, et que la royauté du Ghour parvint au sultan Alâ eddyn Atsiz, fils d’Haçan (lisez Houceïn), il délivra Mélik Alâ eddyn, l'amena à Firouz Couh, et le traita avec considération. » (Ibid.) (Voyez aussi fol. 272 v.)
[22] Voyez l'Histoire des sultans de Khârezm, p. 44-49. L'étendue de ces détails nous force à les supprimer ici; ils trouveront leur place ailleurs.
[23] D'après l'auteur du Tabacati Naciri, ce meurtre eut lieu le mardi 7 de séfer 607. (Man. d'Anquetil, 77, fol. 164 Rasmussen (Annales Islamismi, p. 32) a placé le trépas de Mahmoud en 605. Les circonstances qui précédèrent et suivirent la mort de Mahmoud sont entourées de beaucoup d'obscurité. Je compte les éclaircir, s'il plaît à Dieu, dans un mémoire particulier.
[24] Lisez Ghaïas eddyn.
[25] Il faut sans doute lire Alâ eddyn Mohammed ben Abou Ali, comme dans le Tabacati Naciri. ms. 13 Gentil, 170 r.