Lébid, Moallaka

LÉBID - LABID

 

MOALLAKA

 

Traduction française : Mr. Silvestre DE SACY

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

… En même temps que j'offrais aux jeunes amateurs des langues de l'Orient, un ouvrage en prose, d'un style facile à entendre, j'ai cru qu'ils me sauraient gré de leur présenter aussi un des poèmes les plus estimés parmi ceux que les Arabes placent au premier rang de leur littérature, et qui portent le nom de Moallaka,[1] parce qu'ils ont mérité d'être suspendus ou affichés aux portes du sanctuaire de la Mecque, de l'antique et vénérable Kaaba… (Silvestre de Sacy, 1816).

 

 

MOALLAKA

DE

LÉBID.[2]

 

 

Ils sont évanouis des lieux où elles avaient établi leur campement, les vestiges de leur demeure passagère; pour Mina, qui fut longtemps leur résidence, une affreuse solitude y règne aujourd'hui sur Goul, sur Ridjam, et sur les escarpements de la montagne de Reyyan. Là, semblables aux caractères confiés au roc (dont la dureté résiste aux efforts des ans), les traces de leurs habitations ont reparu, découvertes par les torrents qui ont entraîné ce qui les dérobait aux regards.[3] Depuis que ces lieux ont perdu leurs habitants, déjà plusieurs années se sont écoulées; plusieurs fois déjà les mois de la guerre ont succédé aux mois de la paix. Les constellations printanières ont versé sur ces campagnes désertes leurs rosées fécondes, et les nuées orageuses de l'été les ont inondées de leurs torrents d'eaux, ou rafraîchies de leurs douces ondées ; tour à tour elles ont reçu le tribut et des nuages de la nuit,[4] et de ceux qui obscurcissent le ciel au lever de l'aurore, ou qui, vers le coucher du soleil, font retentir au loin l'écho répété de la foudre. Là, la roquette sauvage se couvre de rameaux longs et vigoureux;[5] la gazelle devient mère sur les deux rives du lit des torrents, et l'autruche y dépose ses œufs. Les antilopes aux grands yeux y habitent paisiblement près de leurs tendres nourrissons, à peine sortis de leurs flancs, et qui un jour couvriront ces plaines de leurs nombreux troupeaux. Les torrents, entraînant là poussière qui couvrait les traces de ces demeures abandonnées, les ont rendues à la lumière : ainsi la plume d'un écrivain renouvelle les traits des caractères que le temps avait effacés ; ainsi renaissent les cercles imprimés sur la peau, lorsque la main d'une femme instruite dans son art les couvre de nouveau de la poudre colorante que déjà elle y avait répandue.[6]

Je me suis arrêté près de ces ruines chéries, pour les interroger sur le sort de leurs anciens habitants. Mais hélas ! pourquoi interroger des pierres sourdes et immobiles, qui ne peuvent produire que de vains sons inarticulés? Dans ces lieux, aujourd'hui nus et solitaires, habitait autrefois un peuple nombreux. Ils les ont quittés au lever de l'aurore, ne laissant de vestiges de leur séjour, que les rigoles pratiquées pour l'écoulement des eaux, et le chaume[7] qui bouchait les fentes de leurs pavillons. Ton cœur, ô Lébid, brûla pour les belles voyageuses de cette tribu, au moment où elles s'éloignaient, renfermées sous les voiles de coton qui couvraient leurs litières, et lorsque le bruit aigu des tentes chargées sur les chameaux et emportées avec vitesse, frappait tes oreilles. Elles s'éloignaient, dérobées à tous les yeux par les draperies qui enveloppaient les montants de leurs litières, et que recouvraient encore les voiles qui en revêtaient les contours, et l'étoffe destinée à garantir leurs têtes des ardeurs du soleil. Tandis qu'elles marchaient en troupes, on eût dit que leurs montures portaient des biches de Taudhih, ou des gazelles de Wedjra, lorsque pressées de jeter sur leurs faons un regard de tendresse, elles détournent le cou avec grâce.[8] Elles ont hâté la course de leurs chameaux ; vus à travers les vapeurs qui s'élevaient de la plaine, et qu'ils ont laissées derrière eux, on les eût pris pour les gros tamarins ou pour les roches monstrueuses de la vallée de Beïscha.

Mais pourquoi te rappeler encore le souvenir de Nawara ? elle a fui loin de toi, et les liens qui te l'attachaient, ont tous été rompus. L'infidèle descendante de Morra[9] a établi sa demeure à Faïd ; puis changeant de séjour, elle est venue habiter les confins du Hedjaz:[10] comment donc pourrais-tu rechercher encore sa société! Tantôt elle dresse sa tente dans les campagnes situées à l'orient des deux montagnes,[11] ou à Mohaddjar ; tantôt Farda lui offre un asile, et elle habite Rokham.[12] Lorsqu'elle se rapproche du Yémen, la contrée de Sowaïa la reçoit; sans doute Rihah-elkaher, et Tilkham sont les lieux qu'elle choisit pour y établir son séjour. Hâte-toi de rompre tout engagement avec celui dont l'attachement est sujet à l'inconstance : nul n'est moins propre aux liens de l'amitié que l'homme qui les brise avec violence.[13] Prodigue tes bienfaits à celui qui t'offre une agréable société : si son amitié vient à chanceler, si elle cesse d'être solide, tu seras toujours le maître d'en trancher les nœuds et de le fuir, monté sur un chameau que de pénibles voyages ont réduit à n'être plus qu'un squelette, dont le dos et la bosse sont maigres et décharnés, et qui cependant, malgré l'excès de son épuisement, malgré que ses os soient dépouillés de chair, et que les courroies qui attachent les semelles de cuir sous ses pieds, aient été rompues par ses courses longues et rapides, part encore avec gaieté dès qu'il sent la bride sur son cou. Tel le nuage qui, après avoir déchargé ses eaux, se détache d'une nuée rougissante, est emporté par l'Auster dans sa course précipitée ; telle fuit encore la femelle de l'onagre, dont les mamelles s'emplissent déjà de lait, et qui porte dans son sein le dépôt que lui a confié le mâle aux cuisses blanchissantes, épuisé par les combats qu'il a livrés à ses rivaux, par les coups et les morsures qu'il a donnés et reçus. Couvert de blessures, il entraîne sa femelle sur les sommets des collines : sa résistance et les signes de grossesse qu'il remarque en elle, alarment son amour jaloux.[14] Il monte avec elle sur les sommets sablonneux de Thalbout. De ce lieu qu'aucune hauteur ne domine, il porte ses regards sur toute la plaine : les bornes placées dans le désert pour diriger le voyageur, sont l'objet de ses alarmes.[15] Là ils ont enduré six mois entiers les rigueurs de l'hiver; privés de toute boisson, et n'ayant pour se désaltérer que le suc des herbes dont ils faisaient leur nourriture, ils ont longtemps souffert les tourments de la soif ; alors ils ont cherché leur soulagement dans une ferme et généreuse résolution : la fermeté d'une résolution est ce qui en assure le succès. Ils ont poursuivi leur course, malgré les buissons épineux dont les pointes aiguës leur déchiraient les talons, malgré le souffle brûlant des vents de l'été et leurs fatales ardeurs. On dirait que dans leur course rapide, l'onagre et sa femelle se disputent à l'envi une large nuée de poussière dont l'ombre ténébreuse vole sur leur tête, semblable à la fumée d'un feu agité par le vent du nord, et de qui la flamme dévore un bois sec mêlé à des buissons encore verts, ou à celle qui s'élève du faite d'un haut et immense bûcher. Dans sa course, l'onagre chasse l'ânesse devant lui ; toujours il a soin qu'elle le précède, quand elle fuit avec lui. Arrivés au bord d'un ruisseau, ils traversent ses rives, et fendent les eaux d'une source remplie de roseaux épais et entrelacés.

Est-ce à cette ânesse que je comparerai ma monture,[16] ou plutôt ne ressemble-t-elle pas à la biche au nez retroussé, dont un lion a dévoré le faon qu'elle avait abandonné, se reposant du soin de sa sûreté sur le mâle qui marche à la tête du troupeau! Ne trouvant plus son cher nourrisson, la tendre mère n'a cessé de parcourir les collines sablonneuses, et d'appeler par ses hurlements ce jeune faon qui a été renversé sur la poussière, et de qui les membres ont été déchirés par des loups au poil gris, avides de carnage, et dont l'appétit cruel n'est jamais rassasié. Ils ont saisi l'instant où elle ne veillait point sur lui; elle a été frappée dans l'objet de sa tendresse; car jamais les flèches de la mort ne s'égarent et ne manquent leur but. Elle s'est éloignée, et a été surprise par des torrents d'eau que versait sans cesse un ciel couvert de nuages épais: elle n'a eu pour abri qu'un tronc d'arbre, rabougri et isolé, à l'extrémité de quelques monceaux d'un sable mouvant qu'entraînait sur elle la violence de l'ouragan. Au milieu d'une nuit dont les voiles obscurs dérobaient la lumière des astres, son dos a été continuellement inondé des eaux que les nuages versaient à grands flots ; et tandis qu'elle s'agitait dans l'épaisseur des ténèbres, la blancheur de son poil jetait seule quelque éclat, comme la perle, enfant des mers, lorsque restée seule, elle vacille et roule sur la soie qui servait précédemment de monture à un collier. Au matin, quand les ténèbres ont fait place à la lumière, la biche s'est hâtée de recommencer sa course vagabonde : ses pieds glissaient à chaque instant sur la terre battue par les orages de la nuit ; sept jours et sept nuits entières, ivre de douleurs, elle a erré aux environs des marais de Soaïd. Elle renonçait enfin à tout espoir, et ses mamelles auparavant pleines de lait étaient devenues sèches et arides : hélas ! elle ne les avait pas épuisées en allaitant son tendre nourrisson ! lorsque tout à coup elle a entendu une voix humaine. Une terreur subite, dont elle n'aperçoit point l'auteur, l'a saisie: car la voix de l'homme est pour elle le présage de la mort; elle se croit à chaque instant menacée par devant et par derrière. Mais les chasseurs ont désespéré de l'atteindre avec leurs flèches; ils ont lâché contre elle ces chiens aux oreilles longues et pendantes, aux flancs maigres et effilés, ces chiens dressés à l'obéissance. Les cruels la serrent de près ; tournant contre eux ses bois terribles, aussi longs, aussi aigus que les lances travaillées par l'habile Samhar, elle fait effort pour les repousser : elle sait qu'autrement elle ne peut échapper à la mort qui la menace. Déjà elle a immolé Casab, couvert de sang; au même instant, se retournant contre Sokham, elle le laisse étendu sur la poussière.

Monté sur ce chameau, à l'heure où les vapeurs élevées par l'ardeur du soleil qui déjà, est au quart de sa course, se jouent sur la plaine, et enveloppent comme d'un manteau le sommet des collines, j'accomplis les desseins que j'ai formés, sans en rien retrancher, et je ne m'en laisse détourner par aucune crainte, quand même ma conduite devrait être l'objet d'une amère censure. Nawara ignore-t-elle donc que je serre et que je tranche à mon gré les nœuds de l'amitié! ignore-t-elle que j'abandonne sans retour les lieux qui me déplaisent, à moins que le trépas ne frappe sa victime?[17] Ah! tu ne sais pas combien de fois j'ai consumé dans d'agréables entretiens, au milieu des délices et des plaisirs d'une société pleine de charmes, les heures d'une nuit fraîche; combien de fois elles se sont écoulées pour moi, sous le toit du marchand dont l'enseigne m'avait attiré, lors même que son vin était au taux le plus élevé. Là j'achetais à grand prix la liqueur conservée dans des urnes brunes et antiques, ou puisée dans des amphores enduites d'une poix noire, dont le cachet avait été brisé. Souvent j'ai goûté dès le matin la douceur d'une liqueur vermeille, aux sons mélodieux d'un luth dont les cordes obéissaient aux doigts d'une musicienne consommée dans son art. Pour me livrer à ces plaisirs, j'ai devancé l'oiseau dont le chant annonce le retour de l'aurore, afin que déjà j'eusse vidé plusieurs fois la coupe, avant le réveil des hommes qui consacrent au sommeil les premières heures du jour. Souvent, au lever du soleil, j'ai protégé le voyageur contre la bise ou la froidure du matin, lorsque l'aquilon tenait entre ses mains les rênes des vents. Toujours j'étais le défenseur des droits de la tribu ; un cheval agile portait mes armes, et sa bride passée autour de mes reins me tenait lieu de ceinture, lorsque de grand matin je sautais sur son dos, lorsque je me tenais en observation sur une colline poudreuse dont la poussière touchait aux drapeaux de l'ennemi. J'y demeurais jusqu'à ce que l'astre du jour plongeât sa main dans les noires obscurités de la nuit, et que les ténèbres couvrissent de leurs voiles les passages mal défendus et favorables aux projets de nos ennemis. Alors je descendais dans la plaine, et mon généreux coursier y demeurait immobile à son poste, et la tête élevée : on eût dit le fût d'un palmier, dépouillé de feuillage, et dont la hauteur fait reculer d'effroi l'homme chargé de monter au faîte pour en cueillir les dattes. Je l'ai habitué à courir avec autant et plus de vitesse que l'autruche; lorsqu'il est échauffé, et que son corps ne pèse rien, la selle s'agite sur son dos, un torrent d'eau coule sur son poitrail, des flots d'une sueur écumante baignent ses sangles : alors même ii dresse la tête, ii appuie sur la bride qui contient son ardeur, il la frappe à coups redoublés. Telle une colombe qu'entraîne le vol rapide de ses compagnes, se précipite vers les eaux pour s'y désaltérer.

A cette cour qui rassemble une foule d'étrangers, inconnus les uns aux autres, à cette cour dont tous ils recherchent les faveurs et redoutent le blâme ; où se menacent à l'envi, de leurs implacables haines, des lions altiers que l'on prendrait pour les génies malfaisants de Bédhi,[18] et dont les pieds ne reculent jamais, j'ai confondu leurs vaines prétentions, et reconnu leurs justes droits ; mais les plus fiers d'entre eux n'ont pu se prévaloir contre moi de la noblesse de leur origine.

Souvent aussi j'ai invité mes compagnons à partager entre eux les membres d'un chameau que j'ai sacrifié à leur divertissement, et j'ai voulu qu'ils consultassent le sort avec des flèches toutes égaies. Je n'ai laissé au sort que le choix de la victime, prêt à l'abandonner toute entière à mes voisins assemblés, soit qu'il tombât sur un animal stérile ou sur une mère féconde.[19] Chez moi, l'hôte ou d'étranger qui demande l'hospitalité, se croit dans la vallée de Tebala, au milieu de ses plaines fertiles. La femme réduite à l'indigence, vient chercher un asile près des cordages de ma tente: sous les haillons qui la couvrent à peine, elle ressemble au chameau dévoué à la mort et attaché près d'un tombeau, pour y périr de faim et de langueur. Lorsque les vents se combattent dans la plaine, les enfants orphelins de cette mère désolée, entourant ma table, se plongent dans les canaux de ma bienfaisance.

Quand un même lieu réunit les tribus assemblées, toujours il s'élève de notre sein un homme également propre aux grandes et périlleuses entreprises, et à décider les querelles; qui, dans le partage du butin, assure les droits de sa famille et s'en rend le zélé défenseur, tandis qu'il sacrifie généreusement les siens propres ; des chefs dont la libéralité fournit à leurs compagnons les moyens de se signaler par des actes de bienfaisance ; prodigues de bienfaits et jaloux seulement de la gloire qui suit les plus nobles vertus, de cette gloire que, par leurs exemples, leurs aïeux leur ont appris à regarder comme leur patrimoine ; car chaque peuple reconnaît des lois fondées sur l'usage, et un modèle auquel il se conforme. Pour eux, jamais leur éclat ne sera terni ; jamais leur conduite ne sera altérée, parce qu'ils ne savent ce que c'est que de laisser leur, raison céder à la séduction de leurs passions.

O toi qui nous portes envie, contente-toi du partage qu'a fait le roi souverain ; car celui qui a distribué entre nous les qualités et les penchants, les connaissait parfaitement. Lorsqu'il a partagé entre une troupe de familles rassemblées la fidélité et la bonne foi, il nous en a départi la plus riche portion: il a construit pour nous l'édifice élevé de la gloire ; nos vieillards et nos jeunes gens s'empressent d'en atteindre le faîte.[20] Ce sont eux qui, au jour de l'adversité, combattent pour la défense de la tribu; eux qui montent achevai pour la commander; eux qui jugent ses différends. Ils sont bienfaisants comme le printemps, pour le malheureux qui cherche un asile auprès d'eux, pour la veuve au gré de qui les années s'écoulent trop lentement. Ils ne forment tous ensemble qu'une seule famille, unie par les liens les plus étroits, pour déjouer les mauvais desseins des envieux qui voudraient les empêcher de s'entraider à propos, et de leurs indignes compatriotes prêts à s'unir à leurs ennemis.

 


 

[1] On utilise de nos jours l’orthographe mu‘allaqât, « suspendues » ou grandes odes.

Les Mu'allaqāt (arabe : المعلقات), aussi écrit Mu'allaqat, Mou'allaqāt, voire mouallakats, sont un ensemble de poèmes préislamiques. Leur nombre varie en fonction des auteurs : de six à dix, sept étant le plus fréquent. (Wikipédia)

[2] Labid ben Rabi'a était un poète arabe de l'époque pré-islamique, qui aurait vécu de 560 à 661 après J.-C. Labid appartenait à la tribu des Beni'Amir ben Sa'sa'a ; il est décrit comme un guerrier valeureux et généreux, défenseur des siens. Ses textes mettent en scène de nombreuses batailles. Ses talents de poète lui servent également à la diplomatie : proche des ghassanides, il put cependant éviter que le roi lakhmide en place, d'abord favorable aux Beni Asad, ne prenne parti contre eux.

Lui et les siens se convertirent à l'islam vers 629 ; il renonça alors à la poésie. Il se serait éteint à Koufa, âgé de plus de cent ans.

Cf. Les Mu'allaqât, Les Sept poèmes pré-islamiques, préfacés par André Miquel, traduits et commentés par Pierre Larcher, Éditions Les immémoriaux / Fata Morgana (2000). (Wikipédia)

Ce poème est de la mesure appelée . Chaque hémistiche est composé du pied  répété trois fois. On y substitue souvent , ou, ce qui est la même chose .

[3] J'ai paraphrasé ce vers pour le rendre plus intelligible. Le sens en est exprime d'une manière plus claire dans le huitième vers : Les torrents entraînant la poussière, etc.

[4] Les Arabes désignent ces diverses sortes de nuages par des noms différents. Le poète indique ici les trois saisons qui partagent l'année ; car les Arabes n’en distinguent ordinairement que trois : le printemps, l'été et l'hiver. Pendant l'hiver, c'est principalement durant la nuit que le ciel est couvert de nuages et qu'il pleut : les pluies du printemps tombent plus ordinairement le matin ; et celles d'été, au coucher du soleil.

[5] Le mot  se trouve ainsi dans le Sihah de Djewhari; dans le Kamous de Firouzabadi et dans Castell, il est écrit . Partout il est expliqué par . Mais il est bon de remarquer que Djewhari, qui cite ce vers de Lébid, et qui l'explique comme Zouzéni, en lisant  au nominatif, propose aussi une autre explication dans laquelle on prend  pour le duel du verbe  signifiant  produire, faire pousser, on lui donne pour sujet  et , et on lit  à l'accusatif.

[6] Il est question ici du tatouage. Zouzéni remarque que le mot signifie de l'encre faite avec le noir de fumée, et que, suivant quelques-uns, il veut dire de l'indigo.

Le commentateur n'explique point le mot  parce qu'il l'avait expliqué précédemment à l'occasion du premier vers de la Moallaka de Tarafa. On trouvera tout ce qu'on peut désirera ce sujet, dans les notes de Reiske sur cette Moallaka, p. 45.

[7] L'original porte le thomam. Le thomam figure toujours chez les poètes, au nombre des vestiges des campements abandonnés.

[8] Le poète compare ces femmes à des biches, à cause de la beauté de leurs yeux, et à des gazelles, à cause de la grâce de leur cou et de la douceur de leurs regards. C'est surtout lorsque la gazelle se retourne, que les grâces de son couse déploient, et ses regards ne sont jamais plus doux que quand ils se portent sur son faon.

Dans le texte,  est la même chose que s'il y avait :  mot à mot : et hinnuli earum covertunt eas ad se.

Le commentaire de Zouzéni ne développe pas bien ce genre de construction.

[9] Il y a deux familles de ce nom : l’une appartient à la tribu de Koreïsch ; l'autre descend de Kaïs-Gaïlan. Je pense que c'est de cette dernière qu'il s'agit ici.

[10] Faïd est un lieu situé sur la route qui conduit de l'Irak et de Coufa à la Mecque.

[11] Ce sont les montagnes d'Adja et de Solma, habitées par les Arabes de Taï, et qui, suivant Aboulféda, sont éloignées de trente-six milles de Faïd.

[12] Farda est le nom d'une montagne isolée, et Rokham, lieu situé près de cette montagne, est présenté par le poète comme en faisant partie.

[13] Suivant une autre leçon à laquelle le commentateur donne la préférence, le poète a dit: L'homme le plus propre aux liens de l’amitié, est aussi celui qui sait les briser (quand il le faut).

[14] Le sens que j'adopte ici, n'est point indiqué par Zouzéni. Le mot  signifie les appétits déréglés d'une femelle dans le temps de la gestation. Le sens n'est donc pas, comme le dit le commentateur, Sa résistance actuelle, si différente de l'empressement avec lequel elle recevait auparavant ses caresses ; le poète a voulu dire, ce me semble, que l'onagre vainqueur éloigne sa femelle de ses pareils, parce que le refus qu'elle fait de recevoir ses caresses, et les signes de grossesse qui se manifestent par ses appétits déréglés, lui font craindre qu'elle ne lui ait préféré un de ses rivaux.

[15] Il craint que quelque chasseur ne se soit mis en embuscade derrière ces pierres.

[16] Le poète avait dit précédemment en adressant la parole, soit à un interlocuteur supposé, soit à lui-même : Prodigue tes bienfaits... tu seras toujours le maître d'en trancher tes nœuds, et de le fuir monté sur un chameau. Ici, il change de langage, et nous fait voir que c'était de lui-même qu'il parlait, et que c'est sa propre monture qu'il décrit. Cette espèce de désordre convient bien à la plus haute poésie.

[17] Le poète aurait dû dire, à moins que la mort ne se saisisse de mon âme. Au lieu de cela, il dit, d'une certaine âme. Cette expression vague donne une teinte de grandeur et de sublimité à une pensée très ordinaire, et contient en même temps une sorte d'euphémisme.

[18] Bédhi paraît ici un nom propre: comme nom appellatif, ou plutôt comme adjectif, ce mot signifie un terrain aride, où il ne pousse point d'herbe.

[19] Lébid veut dire qu'il n'a pas employé les flèches, comme c'est l'usage, pour tirer au sort entre les joueurs les lots formés des diverses parties de l'animal; mais qu'il s'en est servi pour tirer au sort celui de ses chameaux qui serait sacrifié à ses convives, prêt à leur abandonner l'animal du plus grand prix, comme celui qui a le moins de valeur.

[20] On apprend par le commentaire de Zouzéni, que quelques personnes placent ce vers, il a construit pour nous &c, immédiatement après ces mots, parce qu'ils ne savent pas ce que c'est que de laisser leur raison céder à la séduction de leurs passions. C'est ainsi qu'on lit dans l’édition de W. Jones, et je préférerais volontiers cette disposition. Sans cela, on ne sait trop à quoi rapporter les affixes de . Mais aussi alors il faut sous-entendre  Dieu, pour sujet du verbe .