(Ibn Djubayr) ابن جبير
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
Le texte provient du tome 3 du Recueil des historiens des croisades - Documents orientaux, tome 3.
EXTRAIT DU
Au moment où parut la nouvelle lune et où avec elle commença le mois de djoumada second, c'est-à-dire le dimanche 9 du mois appelé par les Chrétiens septembre,[1] nous étions à Manias et près de partir pour Acre, que Dieu le remette entre nos mains ! Nous songeâmes à nous embarquer avec des marchands chrétiens dans des bâtiments disposés pour naviguer en automne et nommés par eux Salibiya,[2] et nous partîmes le jeudi soir, 5 de ce mois, avec une foule de marchands qui se rendaient à Acre avec leurs marchandises. Nous passâmes la nuit à Dariya, bourgade distante de Damas d'une parasange et demie, et nous repartîmes le vendredi à l'aurore pour une autre localité entourée de collines et connue sous le nom de Beït Djann.[3] Le samedi matin, nous nous dirigeâmes sur Panéas. Nous trouvâmes à mi-chemin un chêne au tronc énorme et aux larges branches, et qu'on nous dit être connu sous le nom d'arbre de la balance. On répondit à nos questions que cela venait de ce qu'il marque sur cette route la limite entre la sécurité et la crainte des dangers à redouter de la part des brigands francs, c'est-à-dire d'éclaireurs et de coupeurs de route; ils font prisonniers tous ceux qu'ils trouvent au delà de cet arbre, du côté du pays musulman, fût-ce d'une brasse ou d'un empan ; au contraire, quiconque est en deçà du côté du pays franc, à la même distance, peut librement continuer sa route. On observe strictement ce règlement, qui est comme une chose convenue. C'est là un des postes (?) d'observation les plus remarquables que les Francs ont établis (sur leurs frontières).
Cette ville, qui est la place frontière du territoire musulman, est petite, mais pourvue d'un château entouré d'une rivière qui coule sous les murs et se dirige vers l'une des portes de la ville. Elle sert à tourner plusieurs moulins. Ce fut Nour eddyn qui reconquit cette place sur les Francs. Dans la plaine voisine, il y a un vaste terrain cultivé que domine un fort appartenant aux Francs et nommé Honeïn,[4] lequel est distant de Panéas de trois parasanges. Le canton formé par cette plaine est partagé entre les Francs et les Musulmans, c'est-à-dire les deux peuples se partagent par parts égales les moissons (qui y croissent); les bestiaux des deux peuples y paissent ensemble sans que les propriétaires s'y fassent tort les uns aux autres.
Le même samedi au soir, nous nous dirigeâmes vers la bourgade de Meciya,[5] voisine du fort des Francs dont nous venons de parler, et nous y passâmes la nuit. Le dimanche à l'aurore, nous nous remîmes en marche par une route entre Honeïn et Tibnîn, à travers un vallon tout rempli d’arbres, lauriers pour la plupart. D'une grande profondeur, ce vallon ressemble à une vaste tranchée, à une fissure de montagne par-dessus laquelle les sommets se rejoignent; sa partie la plus élevée atteint jusqu'au ciel. Ce lieu s'appelle El-Astîl. Il renferme des retraites où des armées peuvent pénétrer et se cacher. Celui qui y entre n'a nulle possibilité d'échapper à (l'ennemi) qui le cherche.[6] L'entrée aussi bien que la sortie consistaient en une côte rapide, et nous restâmes surpris de l'aspect de ces lieux. Un peu après les avoir dépassés, nous parvînmes à Tibnîn, grand château fort appartenant aux Francs et où l'on prélève le péage sur les caravanes. Il appartient a une princesse (litt. truie) connue sous le nom de reine et mère du roi (litt. de ce porc) d'Acre,[7] que Dieu détruise! Nous passâmes la nuit au pied de ce château, et l'on vint faire payer à notre troupe un impôt qui n'est pas trop élevé, c'est-à-dire un dinar et un kirat en dinars souriens (de Tyr) par tête. On n’en exige pas des marchands, puisqu'ils se dirigent vers la ville qu'habite le prince chrétien, où on prélève la dîme (des marchandises). Ce tribut est d'un kirat par dinar, et le dinar se compose de vingt-quatre kirat. Ce sont pour la plupart les (Musulmans) occidentaux qui le supportent, l'on ne s'adresse pas à d'autres qu'eux parmi les habitants des pays musulmans. L'origine en remonte à un événement qui attira sur eux la colère des Francs; c'est que, du temps de feu Nour ed-Dîn, un corps de braves Maghrébins participa avec ce prince à une expédition qui aboutit à la prise d'un château fort de nos ennemis et dans laquelle ils rendirent de grands services. Ce fut par compensation pour cet acte d hostilité que fut établie sur les Musulmans de l'Occident qui voyagent dans le pays la capitation d'un dinar dont nous venons de parler, car, dirent les Francs, ces Occidentaux fréquentaient notre territoire, et nous respections leurs personnes et leurs biens; mais ensuite, lorsqu'ils se tournèrent contre nous et firent alliance avec leurs frères musulmans (de ce pays-ci), il nous fallait bien les frapper de cette taxe. » (On voit donc qu'il n'y a là pour les Maghrébins que le glorieux soutenir du mal qu'ils ont fait à l'ennemi, souvenir qui doit leur rendre ce paiement facile et alléger leur regret d'y être soumis.
Nous quittâmes Tibnîn le lundi à l'aurore par une route longeant constamment des fermes contiguës les unes aux autres, toutes habitées par des Musulmans qui vivent dans un grand bien-être sous les Francs; Dieu nous préserve d'une (pareille) tentation! Les conditions qui leur sont faites sont l'abandon de la moitié de la récolte au moment de la moisson et le paiement d'une capitation d'un dinar et cinq kirat; les Chrétiens n'en demandent pas davantage sauf cependant un léger impôt sur le produit des arbres; mais les Musulmans sont maîtres de leurs habitations et s'administrent comme ils l'entendent. C'est là la condition, dans tout le territoire occupé par les Francs sur le littoral de Syrie, de tous les roustak, c'est-à-dire les fermes et les bourgades, qui sont habités par les Musulmans; la plupart ont le cœur abreuvé de cette tentation (du démon) en voyant l'état de leurs frères dans les cantons gouvernés par des Musulmans, la situation de ceux-ci étant tout le contraire de la sécurité et du bien-être. Un des malheurs qui affligent les Musulmans, c'est que (sous leur propre gouvernement) ils ont toujours à se plaindre des injustices de leurs chefs, et qu'ils n'ont qu'à louer la conduite de l'ennemi (c'est-à-dire des Francs), en la justice de qui on peut se fier; mais c'est à Dieu seul que peut recourir celui qui se plaint de cet état de choses.
Ce même jour lundi, nous nous arrêtâmes dans un bourg (de la banlieue) d'Acre distant d'une parasange de cette ville. Le maire qui était chargé de la surveillance était musulman; il avait été nommé par les Francs et préposé à l'administration des habitants cultivateurs. Il réunit toute notre caravane dans un grand festin auquel il invita tout le monde indistinctement et qui eut lieu dans une vaste salle de sa propre demeure; à tous il fit servir toute sorte de mets et fit honneur à chacun, (à moi comme aux autres, puisque) nous étions du nombre des invités.
Après avoir passé la nuit dans cet endroit, nous repartîmes le mardi matin, 10 de djoumada second, correspondant au 18 septembre, et nous arrivâmes bientôt à Acre. On nous conduisit au divan (ou douane), qui est un caravansérail destiné à recevoir les caravanes. Vis-à-vis de la porte, il y a des bancs recouverts de tapis, où se tiennent les scribes du divan. qui sont chrétiens; ils ont (devant eux) des encriers en bois d'ébène, dorés et bien ornés, et font leurs écritures en arabe, langue qu'ils parlent également. Celui qui est à leur tête et qui est le fermier du divan (douane), s'appelle simplement chef (saheb), titre tiré de l'importance de cette charge, car (les Chrétiens) emploient ce nom pour tout homme qui a chez eux de l'importance et de la considération et n'appartient pas à l'armée. Tout ce qui est perçu par eux appartient au fermier des douanes, qui paye une très forte somme (au gouvernement). Ce fut dans ce lieu que les marchands (de notre compagnie) transportèrent leurs marchandises, et ils s'installèrent à l'étage supérieur (de l'édifice); quant à ces gens qui n'avaient pas de marchandises, on examina leurs bagages pour s'assurer que ceux-ci ne contenaient rien (qui fût passible de droit), puis on les laissa s'établir ou ils voulaient. On procéda à ces opérations avec douceur et mansuétude, sans aucune violence ni surcharge. Nous allâmes nous installer dans une maison qui faisait face à la mer et que nous louâmes à une chrétienne.
C'est là colonne qui forme la base des villes franques en Syrie; c'est là qu'abordent « les navires élevés voguant sur la mer comme autant de montagnes » (Coran, sur. lv, vers. 24); c'est là que mouillent tous les vaisseaux, et, par sa grandeur, elle ressemble à Constantinople; c'est là que se réunissent les navires et les caravanes, c'est le lieu de rendez-vous où affluent de toutes parts les marchands musulmans et chrétiens; la foule s'étouffe dans ses rues et ses ruelles, les marques des pas s'y pressent les unes contre les autres. Mais partout l'infidélité et l'arrogance s'y étalent, les porcs et les croix y fourmillent; puante et sale, elle est toute remplie d'immondices et d'ordures. Dans la première dizaine du vie siècle, les Chrétiens l'enlevèrent aux Musulmans, et l'Islamisme en pleura plein ses yeux, car ce fut un de ses grands chagrins; les mosquées furent alors converties en églises, les minarets devinrent des clochers. De la mosquée principale, Dieu ne laissa échapper à la profanation qu'un coin, qui devint, entre les mains des Musulmans, une petite mosquée où se réunissent les étrangers pour obéir à la prescription obligatoire touchant la prière. Auprès du sanctuaire (mihrab) se trouve le tombeau du prophète Saleh, saint lieu en considération duquel la faveur divine permit que cette partie échappât aux souillures des infidèles. A l'orient de la ville se trouve la source dite de la Vache, qui est celle d'où Dieu tira le bœuf pour le donner à Adam,[8] et à laquelle on descend par des marches unies. Près de cette source il y avait une mosquée dont le mihrab est resté intact. A l'orient de celui-ci, les Francs se sont construit un sanctuaire; aussi le Musulman et l'infidèle s'y réunissent, bien qu'il appartienne aux Chrétiens, et chacun y fait sa prière en se tournant vers le lieu (que lui désigne sa foi). C'est dans cet édifice vénéré et sacré que Dieu a réservé aux Musulmans un endroit où ils puissent prier.
Après être restés deux jours à Acre, nous nous dirigeâmes vers Tyr, le jeudi 12 djoumada second, correspondant au 20 septembre. Nous prîmes la route de terre et nous passâmes par un grand château nommé Ez-Zîb, qui domine des bourgades et des habitations contiguës les unes aux autres, et par un bourg ceint de murailles qu'on appelle Iskenderouna.[9] Nous voulions nous informer d'un bâtiment qui devait se trouver à Tyr et qui, nous avait-on dit, devait partir pour Bidjaya (Bougie); notre dessein était de nous y embarquer. Nous y arrivâmes le jeudi soir, la distance qui sépare les deux villes étant d'environ trente milles, et nous descendîmes dans un khân (caravansérail) destiné à recevoir les Musulmans.
C'est une ville tellement bien fortifiée qu'on en parle proverbialement, une ville qui refuse obéissance ou soumission à qui veut s'en emparer. Les Francs l'ont disposée comme un asile en cas d'adversité, ils en ont fait la demeure de leur sécurité. Ses rues et ses ruelles sont plus propres que celles d'Acre; l'infidélité de ses habitants présente un caractère plus poli, on y trouve des habitudes et des dispositions plus généreuses à l'égard des Musulmans étrangers; leurs mœurs sont plus douces, leurs demeures plus vastes et plus commodes, et la position des vrais croyants y est plus calme et plus tranquille. Mais Acre est plus grand, et l'infidélité y est plus orgueilleuse et plus générale. La force et l'inexpugnabilité de Tyr sont du caractère le plus merveilleux qu'on puisse dire et consistent en ceci : il n'y a que deux portes, l'une du côté de la terre ferme et l'autre ouvrant sur la mer, dont la ville est tout entière entourée, sauf d'un côté. On n'arrive à la première de ces portes qu'après avoir passé par trois ou quatre autres, toutes entourées de solides remparts; la seconde, qui donne accès dans le port, est entre deux tours fortifiées. La situation du port lui-même est telle qu'on ne pourrait rien trouver de comparable dans les autres villes maritimes : les murs de la ville l'enceignent de trois côtés, et des voûtes de maçonnerie complètent l’enceinte en formant le quatrième côté, de sorte que c'est jusque sous les remparts que les bâtiments pénètrent et vont mouiller. On tend une forte chaîne entre les deux tours dont nous venons de parler, et alors toute sortie et toute entrée deviennent impossibles tant qu'on ne l'enlève pas. La porte elle-même est confiée à des gardes et à des surveillants sous les jeux desquels doivent nécessairement passer tous ceux qui entrent dans le port ou qui en sortent. Tout cela fait une position merveilleuse. Le port d'Acre lui ressemble sans doute; il est aussi bien disposé et aussi bien défendu, mais il ne peut recevoir que des bâtiments d'un faible tonnage; les grands navires mouillent au large. L'installation du port de Tyr est donc à la fois plus complète, meilleure et mieux aménagée.
Notre séjour dans cette ville dura onze jours; nous y entrâmes le jeudi et en sortîmes le dimanche 22 djoumada second ou 30 septembre. La cause de ce retard, c'est que le navire sur lequel nous espérions nous embarquer nous parut trop petit, et que nous ne crûmes pas prudent de nous y risquer. — Étant à Tyr nous eûmes un jour l'occasion d'assister près du port à l'un des spectacles les plus pompeux dont on puisse parler, un cortège nuptial. Tous les Chrétiens, hommes et femmes, s'étaient réunis pour assister à la fête, et s'étaient rangés sur deux lignes devant la porte de la mariée, tandis qu'on jouait de la trompette, de la flûte et de toute espèce d'instruments de musique. (On attendait ainsi la sortie) de la mariée, qui parut enfin conduite par deux hommes qui la soutenaient de droite et de gauche, et qui paraissaient être de ses parents. Elle était splendidement parée et portait une robe magnifique de soie tissée d'or et dont la queue traînante balayait le sol, selon leur mode habituel de se vêtir; sur son front brillait un diadème en or recouvert par un filet lissé d'or, et sa poitrine était ornée de même. Ainsi parée et vêtue, elle s'avançait en se balançant, à petits pas comptés, semblable à la tourterelle ou à la nue (poussée par la brise). Dieu nous préserve de la séduction qu'exercent de pareils spectacles! Elle était précédée de principaux d'entre les Chrétiens, revêtus d'habits somptueux à queues traînantes, et suivie de Chrétiennes, ses paires et ses égales, qui, également couvertes de leurs plus belles robes, s'avançaient en se dandinant et traînant après elles leurs plus beaux ornements. On se mit en marche, l'orchestre en tête, tandis que les simples spectateurs, Musulmans ou Chrétiens, se rangeaient, toujours sur deux lignes, pour assister au défilé, et sans qu'il y eût un mot de désapprobation. Le cortège se rendit ainsi jusqu'à la maison du marié, où l'on fit entrer la mariée et où tout le monde passa la journée à banqueter. Tel fut le magnifique spectacle (Dieu nous préserve de la séduction qu'il exerce!) auquel le hasard nous permit d'assister.[10]
Etant ensuite retournés par mer à Acre, nous y arrivâmes le lundi matin, 23 djoumada second ou 1er octobre, et nous louâmes des places à bord d'un grand vaisseau qui faisait voile pour Messine, dans l'île de Sicile, tout en souhaitant que la puissance et la grâce divines nous favorisassent et facilitassent notre voyage. Des Musulmans, en effet, n'ont, aux yeux de Dieu, aucune excuse de passer par une ville du pays des infidèles, quand ils ont le moyen de traverser un pays musulman car ils sont alors à l'abri des avanies et des dangers auxquels on est exposé ailleurs, tels que la servitude, le malheur de la capitation, la douleur qu'éprouve le cœur (du fidèle) à entendre maudire, surtout par les gens de la basse classe, celui (Mahomet) que Dieu a exalté, l'état d'impureté, l'obligation d'aller et de venir au milieu des porcs, et cette foule d'autres choses défendues qu'on ne pourrait finir d'énumérer. Gardons-nous bien d'entrer dans le pays des (infidèles) et de nous exposer au chagrin de voir les prisonniers musulmans marchant avec des entraves et employés aux travaux les plus durs, comme des esclaves; de même les prisonnières musulmanes portent aux jambes des bracelets de fer. Le cœur se fend de pitié à songer au sort des uns et des autres, mais la compassion ne leur sert de rien.
Pendant tout notre .séjour à Tyr, nous ne trouvions de repos que dans une mosquée qui est restée aux mains de nos frères, bien qu'ils y en aient d'autres.
Il y avait à Damas, parmi les principaux habitants de la ville, deux marchands extrêmement riches; l'un s'appelait Nasr Ibn Kaouwâm et l'autre Abou'd-Dorr Yakout. Tout leur commerce se faisait sur le littoral franc, où l'on ne connaissait que leurs noms, et où ils avaient leurs employés qu'ils commanditaient; les caravanes chargées de transporter leurs marchandises allaient et venaient constamment, et ils avaient un état de fortune colossal, aussi bien qu'une grande influence auprès des chefs musulmans et francs. Le seigneur d'Acre, que ses sujets appellent roi, était invisible et se cachait à tous les regards, car Dieu l'avait frappé de la lèpre. Son chambellan trésorier administrait les affaires à sa place; il s'appelle le Comte; il est préposé à l'administration des impôts. Tous les revenus 'lui sont remis, et, par son rang et son autorité, il a pouvoir sur tout. C'est ce maudit comte, seigneur de Tripoli et de Tibériade, qui est le personnage le plus considérable chez les Francs, auprès de qui il jouit d'un grand pouvoir, et d'un haut rang; il est digne du trône, pour lequel il semble né, et a une intelligence et une astuce remarquables. Pendant douze ans environ, peut-être même davantage, il resta prisonnier auprès de Nour ed-Dîn, et finit, au commencement du règne de Salah ed-Dîn, par acheter sa liberté au prix d'une rançon considérable. Il reconnaissait ce dernier pour son seigneur et son libérateur.
Il y a dans la plaine de Tibériade, à cause de la commodité de la route, un grand mouvement de caravanes venant de Damas, car on doit se servir de mulets (seulement) en passant par la route de Tibnîn, à cause des difficultés et de la direction du chemin.
Les deux villes d'Acre et de Tyr ne sont pas entourées de jardins; elles sont situées dans une vaste plaine qui touche à la mer, et les fruits nécessaires pour la consommation sont tirés des vergers du voisinage. Chacune a un territoire étendu, et les collines voisines sont couvertes de villages qui envoient leurs fruits dans ces deux villes, qui sont des plus remarquables. A l'est d'Acre, du côté de la terre ferme, il y a un vallon où coule une rivière, et de l'autre côté (de cette rivière), vers la mer, s'étend la plus belle plage de sable fin qu'on puisse voir. Il n'y a aucun hippodrome qui puisse lui être comparé. Le maître de la ville va s'y promener à cheval, matin et soir, et c'est la que se réunissent les troupes.
Il y a à Tyr, auprès de la porte qui ouvre sur la terre ferme, une source d'eau vive, à laquelle un escalier donne accès, outre de nombreux puits et citernes dans l'intérieur de la ville, chaque maison ayant le sien.
Le samedi 28 djoumada second, ou le 6 octobre, nous nous embarquâmes sur notre bâtiment, qui était de la plus grande dimension, après avoir fait nos provisions d'eau et de vivres. Les Musulmans se mirent dans un endroit à part, de façon à n'être pas en contact avec les Francs. Parmi les passagers il y avait des Chrétiens nommés Belgheriîn (pelegrini), c'est-à-dire pèlerins de Jérusalem, en foule innombrable, qui (devaient) monter à plus de deux mille individus. Une fois embarqués, nous attendîmes, confiants en la volonté de Dieu, que le vent devînt favorable et que le navire eût complété son chargement.
[1] On était alors en l'an 580 de l'hégire; le 1er du mois de djoumada second correspondait effectivement au 9 septembre (1184 de J. C).
[2] Salibiya doit signifier ayant les vergues en croix, c'est-à-dite posées carrément par leur milieu sur les mâts. C’étaient donc des navires à voiles carrées; ceux-ci résistaient mieux au mauvais temps que les bâtiments à voiles latines.
[3] Ces deux endroits sont très bien placés sur la carte Van de Velde.
[4] Le château de Honeïn, dont le nom est écrit incorrectement Khunin sur la carte Van de Velde, y est placé en lat. 33° 10’ et à 8 milles géographiques O. du Jourdain.
[5] La même carte place Messiah (sic) à environ 2 milles N.- E. de Honeïn.
[6] Il est assez probable que l’auteur dit le contraire et qu'on a altéré son texte.
[7] L'auteur parle ici de Sibille, sœur de Baudouin IV et mère de Baudouin V, qui était alors en bas âge et qui mourut I l’an 1186 ?
[8] L'historien El Taberi nous apprend que Dieu envoya du Paradis à Adam un bœuf et des instruments aratoires. El-Kiçaï, dans son Histoire des Prophètes, rapporte que Dieu envoya à Adam deux bœufs portant le joug, pour le mettre en mesure de cultiver la terre.
[9] Iskenderouna est situé sur le bord de la mer à 15 ou 16 milles S. de Tyr.
[10] Nous ne trouvons rien d’ailleurs qui prouve qu’il s’agisse d’une princesse.