Hamadani

ABou'LFADHL Ahmed Hamadani

 

 Séances

 

Traduction française : SILVESTRE DE SACY

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

Extrait du Recueil des

Séances[1]

d'ABou'LFADHL Ahmed

Hamadani,

surnommÉ Bédi-alzéman (1).

 

 

SÉANCE III.

LE GUERRIER (2).

 

Voici ce que nous a raconté Isa, fils de Héscham.

Je me joignis à Kazwin, en l'année 375, aux volontaires qui allaient faire la guerre sur les frontières, et je partis avec eux. Tantôt nous traversions des terrains difficiles à marcher, tantôt nous passions dans des vallées, jusqu'à ce qu'enfin notre route nous conduisit à un village du territoire de Kazwin. La chaleur du milieu du jour nous en gagea à prendre du repos à l'ombre de quelques tamarins qui entouraient une source: de cette source coûtait un ruisseau qui semblait la flamme d'une bougie, et était aussi clair qu'une larme ; ses eaux paraissaient glisser sur le sable comme un serpent (3). Nous prîmes là quelque nourriture ; puis nous nous retirâmes à l'ombre pour faire la méridienne. Nous n'avions pas encore pris sommeil, lorsque nous entendîmes une voix plus importune que celle de l'âne (4), et un pas plus faible que celui d'un jeune chameau ; à cela se joignait le son d'un tambour de basque. Il n'en fallut pas davantage pour chasser le sommeil qui commençait à nous gagner. J'ouvris les yeux (5) pour regarder celui qui parlait; mais les arbres me dérobant sa vue, je me contentai de prêter l'oreille, et j'entendis qu'il chantait, en se conformant à la mesure du tambour de basque, les vers suivants. « J'adresse ma prière à Dieu : se trouvera-t-il quelqu'un qui m'invite (6) à entrer dans une vaste demeure, et à me reposer dans un riche pâturage, ou dans un jardin élevé, dont les fruits s'approchent en tout temps des mains de qui veut les cueillir (7) et ne se dérobent point à ses regards ! Messieurs, une contrée infidèle m'adonne le jour, et mon aventure est vraiment merveilleuse. Si j'ai embrassé aujourd'hui la vraie croyance, combien de nuits n'ai-je pas passées dans l'incrédulité, adorant la croix au lieu de mon Seigneur! Combien de fois ne me suis-je pas nourri de la chair des pourceaux, et n'ai-je pas partagé une liqueur enivrante ! Mais enfin Dieu a daigné me diriger, et me faire quitter la honte de l'incrédulité, pour embrasser les dogmes qui sont l'objet de la méditation des hommes amis de la vérité. Toutefois, j'ai longtemps continué à cacher ma religion parmi mes proches, quoique je servisse Dieu avec un cœur repentant. J'adressais mes adorations à Allât (8), pour me garantir de mes ennemis, et je n'osais jouir de la vue de la Kaaba, de crainte d'être découvert par ceux qui espionnaient ma conduite. Cependant, lorsque la nuit me couvrait de ses ombres, ou que la chaleur d'un jour orageux m'accablait, j'adressais ma prière à Dieu; je lui disais : Seigneur, de même que tu as daigné me diriger, délivre-moi; car je suis ici au milieu d'eux comme un étranger. Enfin j'ai pris la nuit pour monture, n'en ayant point d'autre devant moi qu'une généreuse résolution. Que voulez-vous de plus! j'ai marché à pied pendant une nuit dont l'horreur eût été capable de faire blanchir la tête d'un enfant au berceau, et mon cœur n'a cessé de palpiter qu'à l'instant où, après avoir traversé le pays des aveugles mécréants, je suis entré dans la terre où règne la vraie foi. Lorsque j'ai aperçu les signes extérieurs de l'islamisme (9), j'ai dit : Un secours divin et une victoire ne sont pas loin (10). »

Quand il eut achevé ces vers, il dit: Messieurs, j'ai foulé aux pieds le sol que vous habitez, conduit par une ferme résolution, qui ne m'est point inspirée par l'amour ou par le besoin ; car j'ai laissé derrière moi des vergers, des vignes, de jeunes filles à la fleur de l'âge, des chevaux de grand prix, des monceaux d'or et d'argent (11), des provisions de toute espèce, une nombreuse famille, des chariots et des esclaves. Je suis sorti comme le serpent sort de son repaire, et l'oiseau de son nid, préférant ma religion à ma fortune, et joignant ma main droite à ma gauche (12). Si vous vouliez éteindre le feu avec ses propres étincelles, et lancer aux Grecs leurs propres pierres (13), et si vous m'aidiez à leur faire la guerre, en m'accordant quelque secours, en améliorant mon sort, et en répandant sur moi vos bienfaits. . . (14) Je n'ai point de prétentions excessives (15); que chacun m'assiste selon son pouvoir et en proportion de ses richesses ; je ne refuserai point une grosse somme, et j'accepterai une obole, une datte même ne sera pas refusée. J'ai pour toutes les occasions deux flèches: j'aiguise l'une pour le combat; l'autre, je la lance par la prière; elle part de l'arc de la nuit obscure, et pénètre les voûtes célestes.

Le charme de ses paroles, disait Isa, fils de Héscham, me transporta; je jetai loin de moi le voile du sommeil, et je courus vers le lieu où une foule était assemblée autour de ce personnage. Que vis-je ! Abou'lfath Escanderi, tenant à la main une épée hors du fourreau, et caché sous un déguisement étrange. Quand il m'aperçut, il me fit signe [pour que je gardasse le silence], et il dit: Que Dieu daigne faire miséricorde à quiconque se conduit bien avec ses amis et sait se posséder lui-même (16), à quiconque nous assiste de son superflu, et partage avec nous les dons qu'il a reçus. Ensuite il accepta ce qu'on lui donna. Quand je fus seul avec lui, je lui dis: Est-ce que la terre des Grecs t'a donné le jour (17)! Il me répondit par les vers suivants :

« Je change avec le temps, comme je change de nom et d'origine ; le temps dispose à son gré de ma généalogie : quand elle lui déplaît, j'en adopte une autre. Le soir, je suis Nabatéen, et le matin, Arabe. »


 

SÉANCE VII (18).

L'homme Qui Montre Des Singes.

 

Voici ce que nous a raconté Isa, fils de Héscham.

Je me trouvais à Bagdad, où je m'étais rendu avec la caravane qui revenait de la Mecque, et je me promenais lentement sur les bords du Tigre, comme font les gens qui marchent à pied (19), considérant, l'une après l'autre, les choses qui en font l'ornement. Je vins à un endroit où il y avait un cercle d'hommes qui se foulaient réciproquement, se tordant le cou pour mieux voir, et riant à gorge déployée. La curiosité me porta à faire comme eux, et je parvins à me placer dans un lieu d'où je pouvais facilement entendre, mais sans voir le visage de celui qui parlait, à cause du grand concours de monde et de la foule qui se pressait. Celui que j'entendais était un baladin qui montrait des singes ; il les faisait danser, et apprêtait ainsi à rire aux spectateurs. Je me mis alors à sauter comme l'animal auquel on met un collier (20), et à m'avancer comme un homme qui boîte, en passant sur le cou des assistants, enjambant du dos de l'un sur le ventre de l'autre, jusqu'à ce qu'enfin, après bien de la fatigue, je m'assis sur les moustaches de deux des spectateurs, en guise de tapis. J'étais presque suffoqué de honte, et si serré, qu'il s'en fallait peu que je n'étouffasse. Quand le baladin eut fini de montrer les tours de ses singes, la foule se retira ; pour moi, je me sentis pressé d'un violent désir (21) de voir la figure de cet homme. Voilà que c'était Abou'lfath Escandéri. Malheureux! lui dis-je, quelle bassesse est la tienne! Il me répondit par ces vers :

« La faute en est à la fortune, et non pas à moi : adresse donc tes reproches à la vicissitude du temps. C'est par la folie que j'ai obtenu l'objet de mes désirs ; c'est à elle que je dois les riches vêtements dont je me pare (22). »


 

SEANCE VIII.

LE MORT (23).

 

Voici ce que nous a raconté Isa, fils de Héscham.

Lorsque nous fûmes partis de Mosul, dans l'intention de retourner à notre demeure ordinaire, que notre caravane fut tombée entre les mains des brigands, et qu'on nous eut pris nos bagages (24) et nos montures, je traînai un souffle de vie (25) qui me restait, vers un des villages dépendant de Mosul, accompagné d'Abou'lfath Escandéri, et je lui dis: Quelle ressource nous reste-t-il à présent! Dieu y pourvoira, me répondit-il; et, de suite, nous nous transportâmes à une maison dont le maître venait de mourir. Les pleureuses étaient réunies, et la maison était remplie d'une troupe de gens dont les cœurs étaient cautérisés par la douleur, et les habits déchirés à cause de l'excès de la tristesse, et de femmes échevelées qui se frappaient la poitrine, et, fermant les poings, s'en donnaient des soufflets sur le visage (26). Voilà, dit Escandéri, une campagne où il y a un palmier pour nous, et un troupeau dont il nous reviendra une brebis (27). Sur cela, il entra dans la maison pour regarder le mort, qui avait déjà le bas du visage lié avec un mouchoir (28). On avait fait chauffer l'eau destinée à laver le corps ; le cercueil était tout prêt pour le transporter; les toiles qui dévoient servir de linceul étaient cousues, et la fosse était creusée pour le recevoir. Quand Escandéri l'eut vu, il lui prit le cou, il tâta la veine (jugulaire), et il s'écria : Messieurs, craignez Dieu et gardez-vous bien d'enterrer cet homme, car il est vivant: il a perdu seulement la connaissance, et une attaque d'apoplexie lui a ôté l'usage de la parole; mais dans deux jours je vous le rendrai les yeux ouverts. Et à quoi, lui dit-on, connaissez- vous cela! Le voici, répondit Escandéri. Quand un homme meurt, son fondement devient froid ; j'ai tâté celui-ci, et j'ai reconnu qu'il est vivant. Là-dessus, chacun à l'envi de fourrer son doigt dans le fondement du mort, et tous de s'écrier: La chose est comme cet homme le dit ; il faut faire ce qu'il ordonne. Alors Escandéri s'approche du mort, et ayant ôté ses vêtements (29), il lui couvre la tête d'un turban; il lui suspend autour du corps des amulettes ; il lui insinue de l'huile dans la bouche, et fait retirer tout le monde de l'appartement. Laissez-le, dit-il, et ne le remuez pas, et si vous l'entendez pousser quelque soupir, ne lui répondez pas. Cela fait, Escandéri sortit de la maison. Aussitôt le bruit se répandit que le mort avait été rendu à la vie, et de toute part les présents affluèrent dans notre domicile ; il n'y eut pas un voisin qui ne versât sur nous des cadeaux abondants, à un tel point que notre bourse fut gonflée d'or et d'argent, et que notre demeure fut remplie de fromage et de dattes (30).

Nous épiions un instant favorable pour prendre la fuite, mais en vain : cependant le terme fixé arriva, et on réclamait l'effet de nos promesses mensongères. Avez-vous, dit alors Escandéri, entendu le malade faire quelque bruit (31), ou l'avez-vous vu faire quelque signe ! Sur leur réponse négative : Eh bien, dit-il, s'il n'a pas proféré le moindre son depuis que je l'ai quitté, et si son heure n'est pas encore venue (32), laissez-le jusqu'à demain : du moment que vous l'entendrez parler, vous serez certains qu'il n'est pas mort. Avertissez-moi de suite, pour que je m'occupe de le traiter et de réparer le désordre survenu dans son tempérament. Mais, lui dit-on, ne différez pas plus tard que demain : il le promit. Le lendemain, au premier sourire de l'aurore, et lorsque le jour commençait à déployer ses ailes à l'horizon du ciel, hommes et femmes, tous accoururent en foule à notre logis: Nous voulons, disaient-ils, que tu guérisses le malade, et que tu laisses là tous les propos et les mauvaises excuses. Allons, dit Escandéri, j'y vais, suivez-moi. Arrivé au lieu où était le mort, il ôte les amulettes de ses mains, il détache le schall dont il l'avait couvert, et il ordonne qu'on le couche sur le visage. On exécute son ordre. Dressez-le, dit-il sur ses pieds. On le dresse. Maintenant, dit-il, lâchez-lui les mains. A l'instant il tombe tout d'une pièce (33), et Escandéri de dire : Comment lui rendrais-je la vie, puisqu'il est mort! Alors la troupe (34) s'empresse de saisir le cadavre, les mains s'emparent de lui, mais dès qu'on lui levait une main; l'autre tombait : on s'occupe donc du soin des funérailles. Pour nous, nous nous hâtons de nous échapper, ne nous arrêtant pas que nous n'eussions atteint un village situé sur le bord d'une rivière qui minait le sol, et dont les eaux enlevaient la berge du terrain qu'elle baignait. Les habitants de ce lieu étaient dans une angoisse perpétuelle, et fa crainte que leur inspirait le torrent ne leur permettait pas de fermer l'œil. Messieurs, leur dit Escandéri, je vous garantirai du malheur dont ces eaux vous menacent, et je mettrai ce village à l'abri des ravages de ce torrent, pourvu que vous vouliez m'obéir, et ne vous écarter en rien de ce que je vous prescrirai. Eh bien, dirent-ils, que nous ordonnez-vous ! Il faut, dit Escandéri, qu'on égorge dans le lit de ce torrent une vache jaune, qu'une jeune vierge sacrifie sa virginité, et que vous fassiez, en vous tenant derrière moi et vous conformant à mon exemple, une prière de deux rékas (35) : Dieu détournera (36) de vous ces eaux, et les fera reculer jusqu'à cette plaine. Si les eaux ne se détournent pas, vous pouvez disposer de mon sang. On promet d'obéir. Ils immolèrent donc une vache ; ils donnèrent une jeune fille en mariage à Escandéri ; puis il se mit en devoir de faire la prière de deux rékas ; mais auparavant il leur dit : Messieurs, prenez bien garde de manquer à quelqu'un des rites, quand il faut ou se tenir droit, ou s'incliner, ou se prosterner, ou s'asseoir; car si nous commettons la plus légère erreur, tout notre espoir s'évanouira, et toute notre peine sera en pure perte. Supportez patiemment la durée de ces deux rékas, car elles sont fort longues. Il se mit donc à faire la première réka : d'abord il se tint droit et immobile comme un tronc d'arbre, en sorte qu'ils en avaient mal aux côtes; puis il se prosterna et resta si longtemps dans cette posture, qu'on doutait s'il ne s'était pas endormi, sans que toutefois personne osât soulever la tête, jusqu'à ce qu'il donna le signal de s'asseoir, en prononçant le tecbir (37). Cela fait, il se prosterna une seconde fois, et me fit un signe. Nous traversâmes la rivière, et nous laissâmes nos gens prosternés, sans que nous ayons jamais su ce qu'ils sont devenus. Pour Escandéri, il se mit à dire :

« Que Dieu n'abandonne pas les hommes comme moi mais où sont-ils les hommes comme moi! Oh! la belle forteresse dont j'ai fait sans peine la conquête sur ces gens-là ! J'ai reçu d'eux une mesure pleine et complète de biens (38), et je ne leur ai donné en échange que des discours faux et mensongers (39). »


 

SEANCE XII.

L'homme Qui Contrefait L'aveugle (40).

 

Voici ce que nous a raconté Isa, fils de Héscham.

Je traversais une ville du canton d'Ahwaz (41), et mon but était de recueillir quelques traits fugitifs d'éloquence après lesquels je courais, et quelques discours d'un style fleuri dont je désirais m'approvisionner. Chemin faisant, je vins à une vaste place de la ville; j'y aperçus une foule rassemblée autour d'un homme auquel on prêtait une oreille attentive. Cet homme frappait la terre en cadence avec un bâton, très régulièrement. Je reconnus que la mesure était accompagnée de chant ; et comme je n'étais pas fâché de prendre ma part du plaisir qu'on trouve à entendre de la musique, ou à écouter les discours d'un homme éloquent, je me glissai à travers la foule, coudoyant celui-ci, poussant celui-là. Je fis tant que je parvins assez près de ce personnage, pour distinguer que c'était un gros homme trapu (42), semblable à un escarbot (43) aveugle et enveloppé dans une robe de laine. Couvert d'un manteau beaucoup plus long que lui, il tournait avec la rapidité de ce jouet auquel un enfant imprime un mouvement rapide de rotation (44) et s'appuyait sur un bâton garni de clochettes ; il en frappait la terre en observant une cadence molle, accompagnée de mots entrecoupés; et d'une voix triste et sanglotante qui paraissait sortir d'une poitrine oppressée, il disait (45) :

« Messieurs, mon dos est courbé sous le poids des dettes qui m'accablent, et celle qui partageait ma couche, m'a redemandé sa dot (46). Après m'être vu au sein des richesses et de l'abondance, je suis réduit à habiter les déserts, et la pauvreté est ma compagne assidue. Est-il parmi vous une âme généreuse qui daigne m'assister contre l’inconstance de la fortune! L'indigence a triomphé de toute ma patience, et les voiles qui couvraient mon honneur ont été jetés loin de moi (47). Le temps cruel, avec sa main destructive, a dissipé tout ce que je possédais d'or et d'argent. Il ne me reste pour retraite qu'une cabane grande comme la main; je mène une vie obscure, et je suis réduit à une petite marmite (48). S'il plaisait à Dieu de me donner une fin favorable, on me verrait passer de l'infortune à une situation plus heureuse. Se trouve-t-il parmi vous quelque rejeton d'une noble tige, qui estime comme une grande récompense des bienfaits qu'il versera sur moi, la certitude que l'éclat de sa générosité ne sera terni par l'espoir d'aucune réciprocité de ma part ! »

Mon cœur, disait Isa, fils de Héscham, en continuant son récit, fut vivement ému; mes yeux se baignèrent de larmes: je lui donnai une pièce d'or que j'avais sur moi, et à l'instant il dit :

 « Oh ! la charmante pièce, d'un jaune foncé, que son éclat, son empreinte et sa grandeur rendent si belle! On dirait, à voir le reflet qu'elle produit, que des gouttes d'eau vont couler de sa surface. C'est un fruit qui doit sa naissance aux sentiments généreux d'un mortel esclave de la bienfaisance qui règne sur son cœur et qui dispose de lui à son gré. O toi à qui s'adressent ces louanges, aucun éloge ne saurait égaler ton mérite : va, c'est à Dieu seul à te récompenser (49)

« Que Dieu, ajouta-t-il, ait pitié de celui qui lui donnera une compagne digne d'elle, et lui procurera la société d'une sœur ! »

Alors chacun des assistants lui fit des libéralités. Quand il se retira, je le suivis : car je m'étais aperçu, à la promptitude avec laquelle il avait reconnu ma pièce d'or, qu'il contrefaisait l'aveugle; et lorsque nous fûmes sans témoins, j'étendis la main droite vers son bras gauche, et je lui dis : Au nom de Dieu, tu me découvriras le mystère que je veux connaître, ou je dévoilerai à ta honte le secret dont tu te couvres. Aussitôt il ouvrit deux prunelles grandes comme des amandes (50), et moi je baissai le voile qui lui couvrait le visage : je reconnus Abou'lfath Escandéri. Tu es donc, lui dis-je, Abou'lfath. Il me répondit :

«Non, je suis Abou-Kalamoun (51) : je change continuellement de couleur. Ne crains point de choisir un métier bas et abject ; car rien n'est plus bas que le temps qui décide de ton sort. Pousse le temps avec la sottise (52), puisque le temps est un étourdi qui agit à l'aventure. Ne te laisse pas décevoir par la raison ; il n'y a de véritable raison que la folie (53). »


 

SEANCE XV.

LE MENDIANT DE L’ADERBIDJAN (54)

 

Voici ce que nous a raconté Isa, fils de Héscham.

Lorsque la richesse eut ceint mes reins de sa précieuse écharpe, je devins l'objet des soupçons : on crut que j'avais commis quelque vol ou trouvé quelque trésor. Je me hâtai donc de profiter des ténèbres de la nuit ; je m'enfonçai dans les montagnes, et je suivis dans ma fuite des sentiers qui n'avaient jamais été frayés, et que les oiseaux mêmes n'avoient jamais fréquentés, jusqu'à ce qu'enfin, parvenu aux dernières limites de la contrée qui m'inspirait des craintes, je me trouvai transporté dans un pays où j'étais à l'abri de toute alarme, et je commençai à en ressentir la froide température. J'entrai dans l'Aderbidjan; mes montures avoient le sabot usé, et la longueur de la route les avait épuisées de fatigue. Arrivés dans ce pays, nous nous y arrêtâmes, comptant, suivant la tradition, y profiter des trois jours que dure l'hospitalité (55) ; mais nous nous y trouvâmes si bien, que nous y restâmes un mois entier. Un jour que je me promenais dans un des marchés de la ville, voilà que se présente à moi un homme qui portait une outre au bras, s'appuyait sur un bâton (56), avait la tête couverte d'un bonnet en forme de cruche (57), et portait sur ses épaules une pagne (58). Il se mit à crier à haute voix (59) au milieu de ceux qui se trouvaient là, et à dire :

O mon Dieu, toi qui as créé les choses et qui les reproduis une seconde fois ; toi qui rends la vie aux ossements, et qui leur rais éprouver la mort; créateur de l'astre du jour, qui règles sa course circulaire ; toi qui fais pointer l'aurore et qui l'élevés au dessus de l'horizon ; toi qui nous combles de l'abondance de tes bienfaits, qui soutiens le ciel pour qu'il ne nous écrase pas dans sa chute (60), qui crées les diverses espèces des vents, et fais du soleil un flambeau; qui élèves le ciel au dessus de nous comme un toit, et étends la terre sous nos pieds comme un tapis; qui nous donnes la nuit pour notre repos, et le jour pour pourvoir à notre subsistance (61); qui soulèves les nuages chargés d'eau (62), et qui envoies les orages et la foudre pour nous châtier; toi qui connais ce qui est au dessus des astres ou au dessous des limites du monde, fais couler tes faveurs sur le chef des envoyés célestes, Mahomet, et sur ses saints descendants (63). Daigne m'aider à sortir de cette terre étrangère dont je parcours l'étendue (64), et de cette indigence dont je suis réduit à traverser les ombres; fais que par les mérites de celui à qui tu as enseigné le précepte de l'aumône pascale, à qui tu as révélé les lois de la pureté (65), qui a trouvé son bonheur dans la religion solidement établie, et qui n'a point fermé les yeux à la lumière éclatante de la vérité, j'obtienne une monture capable de fournir à cette route, et des provisions suffisantes à mes besoins et à ceux de mon compagnon de voyage (66).

En l’entendant parler ainsi, je me dis à moi-même (c'est Isa, fils de Héscham, qui parle): Cet homme-ci est encore plus éloquent que notre Alexandrin Abou'lfath (67). Mon homme à l'instant se retourne, et je vois, qui ! Abou'lfath lui-même. Par Dieu, Abou'lfath, lui dis-je, cette terre est donc aussi témoin de tes fourberies !

« Moi, me dit-il, je passe de pays en pays; je traverse les contrées : je suis le jouet que la fortune fait tourner à son gré (68); les routes sont mon séjour. Sage comme tu es, garde-toi de me faire des reproches sur cette vie de mendiant que je mène : essaies-en plutôt toi-même (69).


 

SÉANCE XX.

L'imam (70).

 

Voici ce que nous a raconté Isa, fils de Héscham.

J'étais à Ispahan, me disposant à me rendre à Rey, et je ne m'y arrêtais que comme l'ombre, attendant à chaque instant le départ de la caravane, et guettant chaque matin l'arrivée de ma monture. Lorsque le moment après lequel je soupirais fût venu (71), j'entendis proclamer à haute voix l'heure de la prière, et je me crus obligé de satisfaire à ce devoir. Je m'échappai donc et je quittai mes compagnons, pour profiter de l'avantage attaché à la prière faite en commun, à laquelle je pouvais encore prendre part, et craignant en même temps de perdre l'occasion de la caravane que je quittais. Toutefois j'espérai que le mérite de la prière me servirait de protection dans le désert difficile (72) que j'avais à traverser; je me plaçai donc dans les premiers rangs, et je me disposai à me tenir debout (73). Alors l'imam s'avança vers le mihrab (74) ; il lut le premier chapitre de l'Alcoran suivant la méthode de Hamza (75), en faisant sentir les hamzas et les meddas, tandis que j'éprouvais une violente agitation par la crainte de manquer le départ de la caravane, et de me trouver éloigné de ma monture (76) ; après quoi il lut encore le chapitre intitulé Alwakia (77). Pour moi, je brûlais d'impatience, je faisais effort pour me contenir, et je grillais sur les charbons de la colère, m'agitant tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Il fallait absolument me taire et patienter, ou bien, si je parlais, renoncer à la vie : car je connaissais jusqu'où pouvait aller la brutalité des gens de ce lieu-là, si j'eusse quitté la prière avant la dernière salutation qui la termine (78). Je demeurai donc ainsi debout par nécessité, jusqu'à ce que la lecture de ce chapitre fût achevée. Je renonçai à l'espoir de rejoindre la caravane, et je dis adieu à mes bagages et à ma monture. Ensuite l'imam inclina son corps en forme d'arc, avec un extérieur d'humilité et de dévotion dont je n'avais jamais vu d'exemple; puis, levant la tête et élevant les mains, il dit : Que Dieu entende ceux qui le louent ! et il demeura si longtemps dans cette posture, que je crus qu'il s'était endormi. Alors, s'appuyant sur sa main droite, il se prosterna sur le front (79); et moi, je levai la tête, cherchant un passage, si étroit fût-il, pour m'échapper (80) ; mais je ne trouvai aucun espace libre entre les rangs : je fus donc obligé d'en revenir à me tenir prosterné, jusqu'à ce qu'if prononçât la formule du tecbir, qui était le signal pour s'asseoir (81). Cela fini, le drôle se leva pour commencer la seconde réka; il lut le premier chapitre de l'Alcoran, et celui qui a pour titre Alkaria (82), avec une lenteur qui prolongea cette lecture autant que le jour du jugement dernier (83), et qui était propre à réduire aux abois toute l'assemblée. Quand il eut terminé ses deux rékas, et qu'il en fut venu h prononcer à haute vont la formule dite téschehhoud, il inclina son cou à droite et à gauche (84) pour saluer, et il dit : Il est permis à présent de sortir, et bientôt on va être libre de s'en aller. Puis il ajouta : Que ceux d'entre vous, Messieurs, qui aiment les compagnons du prophète et l'assemblée des fidèles, daignent me prêter un moment d'attention (85). Je demeurai à ma place, disait Isa, fils de Héscham, pour ne pas faire mal parler de moi. Notre homme alors continua ainsi : Je suis incapable de rien dire qui ne soit conforme à la vérité, ou de témoigner une chose qui ne serait pas vraie. Je vous apporte une heureuse nouvelle de la part de votre prophète ; mais je ne la mettrai point au jour que Dieu n'ait purifié cette mosquée par la sortie des profanes qui refusent à son envoyé le titre de prophète (86). Ainsi, disait Isa, fils de Héscham, il m'arrêta comme s'il eût mis mes pieds dans des entraves, et il me lia comme avec des cordes funestes (87). Puis il reprit ainsi la parole : Ce prophète m'a apparu comme le soleil caché sous un nuage, et comme la lune dans la nuit où elle jouit de toute sa plénitude : il marchait et les âmes le suivaient; sa robe traînait derrière lui, et les anges s'empressaient à en porter les extrémités. Il m'a enseigné une prière, et m'a recommandé de l'apprendre à son peuple : je l'ai mise en écrit sur ces papiers que vous voyez, avec une encre faite de musc, de safranon, et d'autres substances aromatiques (88), délayées dans du vinaigre. J'en donnerai des copies à quiconque en désirera, et, si on veut me rendre la valeur du papier, je la recevrai.

Aussitôt, disait Isa, fils de Héscham, les pièces d'argent tombèrent sur lui de tous côtés, au point qu'il ne savait à qui entendre. Puis il sortit, et je le suivis, ne pouvant assez admirer son adresse à se procurer sa subsistance, son éloquence jointe à son effronterie, sa grâce à écornifler les bourses, son talent à enchaîner les hommes par des ruses ingénieuses, et à escamoter leur argent par ses manières engageantes. Je le regardai fixement, et qui vis-je! Abou'lfath Escandéri. Comment, lui dis-je, as-tu appris à user de tels artifices! Et lui de sourire et de chanter :

« Les hommes sont tous des ânes : laisse-les pour ce qu'ils sont, mais distingue-toi d'eux, et sache prendre le dessus. Quand tu auras ainsi tiré d'eux ce que tu désires, dis adieu à la vie (89). »

Fin des morceaux extraits du recueil des Séances de Hamadani.


 

NOTES DU N° XXVIII.

(1) Hamadani, dont les noms et surnoms sont Abou'lfadhl Ahmed, fils de Hosêin, et qu'on a surnommé Bédi-al-çéman  le prodige de son temps, appartient au quatrième siècle de l'hégire. Sa vie se trouve dans Ibn Khallikan; et Thaalébi, auteur du   (manuscrit arabe de la bibliothèque du Roi, n° 1370), lui a consacré un long article vers la fin de son ouvrage. Hamadani est mort en 398. (Voyez Aboulféda, Annal. Mosl. tom. II, p. 619.) Il avait une mémoire si prodigieuse, qu'il récitait exactement quatre ou cinq feuillets d'un livre, après les avoir lus une seule fois, et qu'il répétait, sans hésiter, un poème pour l'avoir entendu déclamer seulement une fois. Il composait avec la même facilité, soit en prose, soit envers, et improvisait sur un sujet choisi à volonté. Il lisait en prose ce qui était écrit en vers, et en vers ce qui était en prose. Quelque difficile que fût ce qu'on lui demandait de composer, en vers ou en prose, il s'en acquittait tout de suite, sans se donner le temps d'avaler sa salive ou de prendre haleine : quelquefois même il mettait par écrit ce qu'on lui avait demandé, en commençant par la dernière ligne, et continuant ainsi à rebours, sans que cela nuisit en rien à l'élégance de sa composition. Il traduisait avec la même promptitude les vers persans en vers arabes, pleins de figures neuves et ornés de tous les charmes de la poésie. Il vint d'abord à la cour de Saheb (tom. II de ce recueil, note (32), p. 57), et obtint sa faveur et ses bienfaits. De là il passa dans le Djordjan, et y vécut en société avec les Ismaéliens. Ensuite il alla habiter Nischabour, y arriva en l'année 382. Ce fut là qu'il composa 400 séances, dans lesquelles il met en scène Abou'lfath Escandéri, et qui contiennent des traits de mendicité et autres sujets.

C'est ainsi qu'on lit dans Thaalébi. Dans le manuscrit arabe de la bibliothèque du Roi, n° 1591, qui contient un choix des écrits de Hamadani, on lit :

« Il a dicté, en fait des Séances de mendicité, quatre cents séances, sans que dans ce grand nombre il y en ait deux qui aient la moindre ressemblance, soit pour les expressions, soit pour les pensées. »

Le sens de mendicité que je donne au mot est certain, quoique ce mot ne se trouve pas dans nos dictionnaires ; car, au folio ; du même manuscrit, on lit : «Du nombre des séances qu'il a composées, et où il fait parler des mendiants, est celle qui est intitulée » la séance du Cheval.

Le verbe  signifie mendier, et on dit dans le même sens, à la 5e forme,  : le nom  signifie donc la mendicité, et je pense qu'il faut lire , au lieu de , dans Thaalebi. Je crois que ces mots ne sont point d'origine arabe, et qu'ils viennent du persan  gueux, mendiant.

Hamadani eut à Nischabour une querelle vive et prolongée avec Abou Bekr Khowarezmi, et cette contestation contribua puissamment à augmenter la réputation de Hamadani. Après la mort de Khowarezmi, Hamadani parcourut toutes les villes du Khorasan, du Sedjestan et du royaume de Ghazna, recueillant partout les marques les moins équivoques de l'estime des princes et des grands. Ensuite il se fixa à Hérat, et s'y maria à la fille d'un homme riche et puissant nommé Abou-Alï Hoséin Khoschnabi . Il ne jouit pas longtemps de ces faveurs de la fortune, étant mort âgé d'un peu plus de 40 ans, en l'année 398.

Tel est en abrégé le récit de Thaalebi, qui donne de nombreux extraits, tant en prose qu'en vers, des écrits de Hamadani (fol. 448 à 462).

Lors de la première édition de cette Chrestomathie, je n'avais pu consulter, pour le texte des extraits de Hamadani que j'ai insérés dans les notes sur la VIIe séance de Hariri, que le manuscrit arabe de la bibliothèque du Roi, n° 1591, qui contient des morceaux choisis des séances, des lettres et autres écrits de Hamadani. Ce recueil commence par un morceau où Hamadani lui-même critique le poète Abou Bekr Khowarezmi, son rival et son ennemi, et, tout en reconnaissant qu'il y a dans ses poésies des choses excellentes, lui reproche un grand nombre de plagiats.

Postérieurement à ma première édition, j'ai acquis un manuscrit qui avait appartenu à Ev. Scheidius, et qui contient 50 séances de Hamadani: Scheidius n'en a fait imprimer que 16 pages, sans traduction et sans notes.

Mon manuscrit n'est pas exempt de fautes, mais il est bien supérieur à celui de la bibliothèque du Roi. M. Grangeret de Lagrange en a fait usage pour donner trois séances de Hamadani, dans son Anthologie arabe, qui ne tardera pas à paraître ; et ce même manuscrit m'a servi à corriger le texte des deux séances que j'avais publiées dans ma première édition, et à en donner quatre autres dans celle-ci. J'ai toutefois choisi des séances qui se trouvent aussi dans le manuscrit du Roi, n° 1591.

Dans toutes les séances de Hamadani, c'est un nommé Isa, fils de Héscham, qui raconte, et le héros de ses récits est toujours le cheikh Abou'lfath Escandéri. Il y a le plus grand rapport entre Hamadani et Hariri, soit pour le choix des sujets et des pensées, soit pour la manière de les exprimer ; mais les séances de Hamadani sont beaucoup plus courtes que celles de Hariri, et par-là même peut- être méritent-elles quelque préférence: on y sent moins l'affectation d'employer tout à la fois toutes les richesses de la langue et toutes les ressources de la rhétorique. On ne peut nier cependant qu'il n'y ait plus d'art dans celles de Hariri. Je rapporterai ici quelques passages tirés de diverses séances de Hamadani, autres que celles que je publie.

Je citerai d'abord le jugement que porte Hamadani du poète Nabéga; ce jugement se trouve dans une séance intitulée  (fol. 16, verso et suiv.). On demande à Abou'lfath Escandéri ce qu'il pense de divers poètes, et entre autres de Nabéga, et il répond: « Aussi habile à faire des chansons amoureuses quand l'amour l'inspire, qu'à composer des satires quand il a le cœur ulcéré, il sait louer alors qu'il brigue des faveurs, et s'excuser quand il craint : les traits qu'il lance ne manquent jamais leur coup. »

Dans une autre aventure (fol. 19), Isa, fils de Héscham, touché de la misère de notre aventurier, lui donne une poignée d'argent, et, après avoir reçu ses remerciements, lui dit: « Il y a encore quelque chose au fond de la bourse; découvre-moi ce que tu caches, je te donnerai tout. Aussitôt celui-ci ôte le voile qui le couvrait, et je reconnus, dit Isa, que c'était Abou'lfath Escandéri. Je lui dis: Malheureux, quel monstre tu es ! il me répondit :

« Que ta vie parmi les hommes soit toute consacrée au déguisement et à l'artifice. Je vois que la fortune ne demeure jamais dans un même état, et je m'efforce de l'imiter. Un jour elle me fait subir l'effet de sa malignité, et le lendemain elle éprouve elle-même ma malice. »

Ces vers sont du mètre nommé  chaque hémistiche est composé de deux . La mesure est:

 .

Les séances de Hamadani ne sont point, comme celles de Hariri, d'une longueur à peu près égale. Quelques-unes, comme la IIe, la Xe et la XXXIIe, sont fort longues, tandis que d'autres, telles que les XXXVIIe et suiv. jusqu'à la XLIIIe inclusivement, n'ont que quelques lignes. Dans celles-ci même il n'est question ni d'Isa, fils de Héscham, ni d'Abou'lfath Escandéri.

Si l'on voulait donner une édition complète des Séances de Hamadani, il faudrait s'en procurer plusieurs manuscrits. Je ne sais si cet ouvrage a eu des commentateurs. Hamadani a lui-même joint quelques gloses à un très petit nombre de ses séances; mais ces gloses me paraissent insuffisantes pour en lever toutes les difficultés, et surtout pour faire connaître toutes les allusions à certains proverbes ou à des aventures célèbres parmi les Arabes, mais qui ne nous sont pas connues, ou ne le sont que très imparfaitement.

(2) Cette séance se trouve dans le man. n° 1591, fol. 15 recto.

(3) Sur les mots  et , voyez mon Commentaire sur les Séances de Hariri, séance V, p. 49, et séance VIII, p. 76.

(4) C'est un passage de l'Alcoran, sur. 31, v. 18, édition de Hinckelmann.

(5) Hariri se sert, comme Hamadani, du mot , pour dire les deux prunelles. Voyez ci-devant, p. 171, et mon édition de Hariri, séance VII, p. 73.

(6) Les deux manuscrits portent ; mais c'est une faute évidente, et je n'ai point hésité à la corriger et à imprimer . Le verbe  est employé de même par Hariri. Voyez mon édition des Séances de Hariri, séance VII, p. 72; séance XIX, p. 194, et séance XXIII, p. 239.

(7) C'est une allusion à un passage de l'Alcoran, sur. 69, v. 23, édition de Hinckelmann.

(8) Allât est ici pour les idoles en général: c'est le nom d'une idole que les Arabes païens adoraient. Voyez l'extrait du  dans les Notices et Extraits des Manuscrits, tom. II, p. 135, et Pococke, Specimen hist. Ar. p. 90 et 110 de la seconde édition donnée par M. White.

(9) L'auteur veut dire les mosquées, les minarets et autres choses semblables.

10) Ceci est encore tiré de l'Alcoran, surate 61, v. 13, édition de Hinckelmann.

(11)  C'est un texte de l'Alcoran, surate 3, verset 12, édition de Hinckelmann.

(12) Je pense que cela veut dire les mains vides, n'emportant rien avec moi.

(13) Comme Abou'lfath se faisait passer pour un chrétien converti à l'islamisme, lui donner les moyens de faire la guerre aux chrétiens, c'était les combattre avec leurs propres armes.

Je pense que ces mots éteindre le feu avec ses propres étincelles, sont une expression proverbiale.

(14) La phrase reste suspendue, et il faut suppléer, cela serait bien fait. Ce genre d'ellipse est d'un usage ordinaire après la particule suppositive . Voyez ma Grammaire arabe, tom. II, n° 652, p. 353.

(15) Voyez, sur le mot ; mon Commentaire sur les Séances de Hariri, séance X, p. 97, et séance XXIX, p. 315.

(16 Abou'lfath, par ces mots, veut avertir Isa de garder son secret, et de ne pas le trahir en découvrant son imposture. Abou-Zeïd, dans Hariri (séance XXV, p. 259 de mon édition), fait une semblable recommandation à Hareth, fils de Hammam.

(17) Le manuscrit n° 1591 porte  mais la leçon de mon manuscrit que j'ai adoptée, , est bien préférable. Abou'lfath avait dit précédemment  une contrée infidèle ma donné le jour; et en cet endroit encore, le manuscrit n° 1591, au lieu de  lit , mauvaise leçon que j'ai dû rejeter.

(18)  Cette séance se trouve dans le manuscrit de la bibliothèque du Roi, n° 1591, fol. 24 verso.

(19) Le mot  est, suivant l'auteur du Kamous, un des pluriels de ; l'auteur veut dire qu'Isa se promenait à pas comptés.

(20)  Le mot  signifie un chien qui porte un collier orné de pucelages ; sorte de coquilles qu'on nomme en arabe . Je crois que ce mot se prend en général pour des breloques. Voyez ma traduction du Traité des Monnaies musulmanes de Makrizi, note (88), p. 46, ou dans le Magasin encyclopédique, 3e année, tom. I, p. 76.

(21) Au lieu de , on lit dans le manuscrit arabe de la bibliothèque du Roi, n° 1591, .

(22) Ces vers sont du mètre nommé : chaque hémistiche est composé de deux ; mais le dernier  sur lequel porte la rime, est changé en . Les deux premières syllabes brèves du pied  peuvent se changer en une longue. La mesure, sauf ce changement, est donc :

(23) Cette séance se trouve dans le manuscrit arabe de la bibliothèque du Roi, n° 1591, fol. 25 recto.

(24)Voyez, sur le mot , le t. II de ce recueil, p. 248 note (83).

(25) On lit dans mon manuscrit , et, dans le manuscrit de la bibliothèque du Roi, n° 1591, . Le verbe , et à la seconde forme , est synonyme de , propulit camelos &c. J'ai préféré cette leçon, parce que le verbe  est d'un usage moins commun que .

(26)  Je suppose que le mot , qui peut être le pluriel de  ou de , est ici le pluriel de  et signifie la main fermée, signification toutefois dont je n'ai pas d'exemple. Je ne sais si l'on pourrait supposer que  signifiât ici les colliers, et que ces femmes, étant leurs colliers, s'en fissent une sorte de fouet ou de discipline pour s'en frapper le visage. Je le crois d'autant moins que le verbe  signifie proprement souffleter.

(27 C'est-à-dire, Voilà une bonne occasion pour nous défaire des dupes et d'en tirer quelque profit.

(28) Aussitôt qu'un homme a rendu le dernier soupir, on doit, suivant M. Mouradgea d'Ohsson (Tableau gén. de l'empire othoman, tom. I, p. 235), lui fermer les yeux, et lui-lier le menton et la barbe. C'est aussi ce qu'on lit dans l'abrégé de jurisprudence de Kodouri :

(29) Le texte est ici un peu amphibologique; car on peut douter si l'auteur veut dire qu'Escandéri déshabilla le mort, ou qu'il ôta ses propres vêtements. Grammaticalement parlant, le premier sens semblerait mériter la préférence ; mais je me suis déterminé pour le second, parce qu'il est vraisemblable que le cadavre qu'on se disposait à laver, était déjà nu ou seulement vêtu d'une chemise, et qu'Escandéri soutenant qu'il était encore vivant, il devait plutôt lui remettre ses vêtements, s'il était nu, que les lui ôter, s'il en était encore revêtu. Je suppose donc que Hamadani veut dire qu'Escandéri ôta ses vêtements de dessus, pour être plus libre d'agir.

(30 Voyez, sur le mot , mon Commentaire sur les Séances de Hariri, séance XLIV, p. 513.

(31)Il y a ici une allusion à un passage de l'Alcoran, sur. 19, ver. 98, de l'édition de Hinckelmann.

(32) Au lieu de , on lit dans mon manuscrit : peut-être Hamadani a-t-il écrit , ce qui est, je crois, plus recherché que .

(33) C'est ainsi, je crois, qu'il convient de traduire , et non pas sur la tête, ce qui aurait dû être exprimé par les mots .

(34) On lit dans le manuscrit de la bibliothèque du Roi, n° 1591, , et dans le mien . Je ne doute point qu'il ne faille lire , ce qui rime avec , et je n'ai pas hésité à admettre cette leçon dans le texte, et à la suivre dans ma traduction.

(35) Voyez le tome I de ce recueil, p. 34, note (3).

(36) Les deux manuscrits portent ; mais les règles de la grammaire exigent qu'on écrive, comme je l'ai fait, .

(37)  Le tecbir est une formule qui consiste à dire : Dieu est grand, Dieu est grand : il n'y a point d'autre Dieu que Dieu. Dieu est grand, Dieu est grand: louange à Dieu!

(38) On dit indifféremment  ou . Voyez à ce sujet, mon Commentaire sur les Séances de Hariri, séance L, p. 595.

(39)Ces vers sont du mètre nommé , dont chaque hémistiche se forme d'un  et d'un  ou de leurs variations. La mesure est

(40) Cette séance se trouve dans le manuscrit arabe de la bibliothèque du Roi, n° 1 591, fol. 12 recto: elle ne porte point de titre dans le manuscrit.

(41) Le mot Ahwaz est un pluriel et comprend plusieurs villes, comme on peut le voir dans mon Commentaire sur les Séances de Hariri, séance XXVI, p. 263. Le singulier doit être Houz , et il se retrouve dans la dénomination persane de Khouzistan.

(42 Les mots et , qui prennent encore diverses autres formes, signifient, suivant l'auteur du Kamous, un homme de petite taille, ou qui fait de petits pas, à cause de la faiblesse de son corps, ou bien un [tomme mince, ou court, qui a un gros ventre, et qui, en marchant, tortille des fesses. Voici son texte :

(43) Suivant Djewhari, le mot  signifie un petit animal quia de longues pattes, comme l’escarbot ; mais un peu plus grand que lui. On dit en proverbe : Le scarabée paraît joli aux yeux de sa mère.

(44)Le mot  est certainement le même que , qui signifie proprement un morceau de bois ou d'une autre matière, rond et plat, qu'on passe dans une corde, et qu'on fait tourner au moyen de cette corde, ce qui produit une sorte de sifflement. Amrialkaïs a décrit dans sa Moallaka ce jouet d'enfant, au mouvement duquel il compare la vivacité de son cheval. Voyez Lette, Caab ben Zoheir carmen panegyr. p. 76; M. Hengstenberg, Amrulkeisi Afoallakah, p. 57.

(45) Les vers suivants sont du mètre nommé . Chaque vers est composé du pied  répété trois fois, ou des variations de ce pied. Le dernier pied est changé tantôt en , tantôt en . La mesure est donc, sauf les variations :

.

(46) Voyez, au sujet de la dot des femmes chez les Musulmans, le Journal des Savants, cahier de septembre 1823, p. 541.

(47)  Le poète veut dire, je pense: Je me suis vu obligé à compromettre mon honneur, en mendiant.

(48) C'est-à-dire, Je vis pauvrement, et sans pouvoir offrir l'hospitalité à qui que ce soit. Voyez des expressions analogues à celle-ci dans l'extrait des poésies de Moténabbi, ci-devant, p. 26.

(49)Ces vers sont du même mètre que les précédons.

(50) Des yeux bien fendus sont comparés communément à des amandes par les poètes persans. Voyez, sur cette figure, le Journal des Savants, cahier de juillet 1826, p. 402.

(51) Le sens du mot  est, suivant les uns, une étoffé d'une couleur changeante; suivant d'autres, un animal. L'auteur du Sihah dit qu'on appelle abou-kalamoun une sorte d’étoffe de fabrique grecque, qui paraît tantôt d'une couleur, tantôt d'une autre.

Suivant Castell, kalamoun, dans Avicenne, est le nom d'un oiseau aquatique, dont les couleurs imitent celles du paon: c'est, je crois, la mouette, en latin porphyrio, fulica. Cet oiseau se nomme en espagnol calamon, et le nom français mouette indique sans doute ce changement de couleurs.

On trouve dans les contes turcs des Quarante vizirs (28e nuit), cette description de l’abou-kalamoun :

» On appelle bou-kalamoun un petit animal qui -paraît vert quand »il marche sur du vert, rouge quand il marche sur du rouge, jaune « quand il marche sur du jaune. »

Ceci s'applique au caméléon. Au reste, il me paraît hors de doute que ce nom vient originairement du nom grec du caméléon.

(52)  Hariri a employé le verbe , comme Hamadani. Je poussais, a-t-il dit, les jours mauvais . (Voyez mon Commentaire sur les Séances de Hariri, séance XXVI, p. 263.) Nous disons de même en François : Pousser If temps avec l'épaule.

(53)Ces vers sont du mètre nommé , ci-devant, note (38), p. 266.

(54)Cette séance se trouve dans le manuscrit arabe de la bibliothèque du Roi, n° 1591, fol. 31 recto.

(55)  Mahomet a dit: L'hospitalité est de trois jours. Cette tradition est citée, je crois, dans une des séances de Hariri, mais je ne me rappelle pas dans laquelle elle se trouve.

(56) L'outre et le bâton sont l'appareil ordinaire des religieux mendiants. Voyez le tome Ier de ce recueil, p. 159, note (42).

Nous avons ici un nouvel exemple du verbe , gouvernant son complément à l'accusatif, et sans aucune préposition. Ibid. tom. Ier, p. 315, note (20), et p. 394, note (2).

(57)  Voyez sur le sens du mot  le tome II de ce recueil, p. 266, note (109).

(58)  Il faut voir ce que j'ai dit du mot , dans le tome Ier de ce recueil, p. 195, note (80). Hamadani, en employant le verbe  indique que cette pagne tenait lieu à Escandéri de taïlésan.

J'ai parlé du taïlésan dans le tome II de ce recueil, p. 269, note (109).

(59)  J'ai expliqué l'expression figurée , dans mon Commentaire sur les Séances de Hariri, séance XIII, p. 133, et séance XLV, p. 527.

(60)  C'est une allusion à un passage de l'Alcoran, sur. 22, v. 64, édition de Hinckelmann.

(61) Toutes ces idées sont empruntées à l'Alcoran. Voyez sur. 2, v. 20; sur. 25, v. 62; sur. 78, v. 11, etc.

(62) Voyez Alcoran, sur. 13, v. 13.

63)  Au lieu de , on lit dans mon manuscrit .

(64) A la lettre, dont je ploie la corde. Je pense que le verbe  a ici le même sens que , et c'est ce que j'ai exprimé dans ma traduction.

(65) Je ne doute point qu'il ne s'agisse ici de Mahomet. Dans le manuscrit arabe de la bibliothèque du Roi, n° 1591, on lit  ; et si cette leçon est vraie, les verbes sont au féminin, et ils ont pour sujet  et . Dans mon manuscrit il n'y a aucun signe pour fixer la prononciation. J'ai prononcé ; mais je n'ose assurer que ce soit là la vraie prononciation, parce qu'il me semble que l'auteur aurait dû dire: . Peut-être Hamadani avait-il écrit: , celui pour qui l'aumône pascale est comme une inclination naturelle, et dont l'aspect est la pureté même.

(66) C'est-à-dire, je pense, à ma monture.

(67) Hariri dit de même: notre Abou-Zeïd . Voyez mon Commentaire sur les Séances de Hariri, séance XVI, p. 161.

(68) J'ai déjà dit, ci-devant, p. 267, note (44), ce qu'il faut entendre par le mot . On dit, suivant Djewhari:  : c'est-à-dire, les coups d'épée ont mis sa tête en plusieurs morceaux, dont chacun ressemble à ce jouet d'enfant.

(69) Ces vers sont du mètre nommé : chaque hémistiche est composé de deux pieds, dont le premier est un , ou et le second un  changé . La mesure est :

Dans , la seconde syllabe est brève, comme je l’ai déjà observé ailleurs. Voyez ci-devant, note (53), p. 54.

(70) Cette séance se trouve dans le manuscrit arabe de la bibliothèque du Roi, n° 1591, fol. 33 verso.

(71) Sur le mot , voyez le tom. II de ce recueil, p. 352, note (6), et 380, note (53).

(72) Sur le mot , voyez mon Commentaire sur les Séances de Hariri, séance XXVII, p. 295.

(73)  A la lettre, je me présentai debout pour me tenir droit, c'est- à-dire, pour accomplir la première partie de la prière, pour laquelle on doit se tenir debout. Le premier acte de la prière consiste à se tenir debout ; le second à s'incliner , le troisième à se prosterner , le quatrième à s'asseoir  ou , après quoi on se prosterne de nouveau.

(74 Voyez M. Mouradgea d'Ohsson, Tableau général de l'Empire othoman, tom. I, p. 195.

(75) Hamza, l'un des sept fameux lecteurs de l'Alcoran, est mort en l'an 156. (Voyez Aboulféda, Annal. Moslem. tom. II, p. 31.) Il paraît, par ce qui est dit ici, qu'il affectait, en lisant, de faire sentir fortement le hamza et le medda.

(76) Les mots  sont omis dans le manuscrit de la bibliothèque du Roi, n° 159'- Les mots  ont été expliqués dans le tome Ier de ce recueil, p. 89, note (13).

(77)C'est la 56e surate de l'Alcoran. Le mot Wakia  désigne le jour du jugement dernier.

(78) On doit toujours terminer la prière par la récitation de la profession de foi , et par une salutation qu'on fait à droite et à gauche. Voyez M. Mouradgea d’Ohsson, Tableau général de l'empire othoman, tom. I, p. 168.

(79) Au lieu de , le manuscrit arabe de la bibliothèque du Roi, n° 1591, porte .

(80)Le mot  ne se trouve pas en ce sens dans nos lexiques : je ne pense pas cependant qu'on puisse élever aucun doute sur sa signification.

(81)  Voyez la note (36), ci-devant, p. 266.

(82) C'est la 101e surate de l'Alcoran. Le mot  Karia est encore une des dénominations du jugement dernier.

(83) Le jour du jugement doit durer, suivant les uns, 50,000 ans, et, suivant d'autres, aussi longtemps que la durée de l'univers. Voyez là-dessus le livre intitulé Mahometism fully explained, tom. I, p. xviij ; Birghilu Risale, p. 148; G. Sale, the Koran, the prelimin. discourse, p. 110; enfin l’Alcoran même, sur. 32, v. 4, et sur. 70, v. 4.

(84) Le texte signifie à la lettre, lorsque. .. .il fut venu à faire avec ses deux mâchoires la profession de foi, c'est-à-dire, je pense, à la faire en la prononçant à haute voix, ce qui exige le mouvement des mâchoires, il inclina, pour saluer, les deux veines qui, partant de la veine jugulaire, se portent des deux côtés du cou. On a vu, ci-devant, note (76), qu'on termine la prière en saluant à droite et à gauche. Cène salutation, dit-on, s'adresse aux anges gardiens.

(85) Sur ces mots , voyez mon Commentaire sur les Séances de Hariri, séance XXIII, p. 231.

(86)C'était une ruse qu'employait Abou'lfath, pour qu'aucun des assistants n'osât sortir, dans la crainte de passer pour un infidèle.

(87) Le texte signifie à la lettre des cordes noires. Hariri dit de même des jours noirs  pour des jours malheureux. Voyez mon Commentaire sur les Séances de Hariri, séance XXVI, p. 263, et la note (28), ci-devant, p. 199.

(88)  Voici la description que donne l'auteur du Kamous de l'espèce d'aromate nommée en arabe  et .

« Socc est une sorte de parfum qu'on fait avec du ramic pilé, tamisé, et pétri avec de l’eau. On le frotte fortement, et on l'enduit d'huile de violette, pour qu'il ne s'attache pas au vase. On le laisse une nuit, puis on broie du musc; on le lui fait absorber, on le » frotte fortement, et on en fait des pastilles qu'on laisse deux jours : » ensuite on les perfore avec une aiguille et on les enfile sur un fil de chanvre: on les laisse un an; et plus elles sont vieilles, plus leur odeur est agréable. »

La substance nommée ramic  ou ramec est un médicament composé, astringent, sur lequel on peut voir le Kanoun d'Avicenne, tom. I, p. 253, et Plempius, Abu Ali Ibn Tsina ... Canon medicinœ, liv. II, p. 270.

(89) Ces vers sont du mètre nommé , ci-devant, note (38), p. 266.

 


 

[1] Cf. pour d’autres séances en français, Al-Hamadani, Choix de Maqamat (Séances), Traduit de l'arabe par Régis Blachère et Pierre Masnou Paris, C. Klincksieck, 1957.