Anonyme

ANONYME

 

HISTOIRE DU ROI NAAMÂN,

 

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

Extrait du Journal Asiatique, 1887

 

HISTOIRE

DU ROI NAAMÂN,

 

CONTE ARABE

DANS L'IDIOME VULGAIRE DE SYRIE

(HAUT-METEN, LIBAN),

PAR M. A. BARTHELEMY.

 

 

AVANT-PROPOS.

La langue dans laquelle m’a été dicté le conte du roi Naamân appartient au haut Meten. Les principaux dialectes parlés au Liban sont ceux de Bcharré, de Batroun, de Meten et du Choûf. Les différences qu’ils présentent entre eux ne sont pas considérables et n’intéressent guère que la lexicographie. Le dialecte du haut Meten est un des plus corrects sous le rapport de la prononciation et de la grammaire; le lexique renferme des radicaux syriaques, en moins grand nombre que celui des dialectes de Bcharré et du Kesrowan, mais en plus grand nombre que le lexique des autres dialectes.

Le Meten ou Matit, est cette partie du Liban que limitent, au sud, la route de Beyrouth à Damas, au nord, le Nahr el-Kelb « la rivière du Chien », l’ancien Lycos, qui le sépare du Kesrowan, à l’est, le Jebel Sannîn et le Jebel Knîssé, à l’ouest, la côte de la Syrie et le territoire de Beyrouth. Le Meten comprend le Meten septentrional, le Qâta’, et le haut Meten.

Ce conte a été recueilli de la bouche d’un curé de Hammâna, localité importante du haut Meten.

 

TRADUCTION

 

1 Il y avait dans le pays de Khorassan un roi (il n'y a de roi que Dieu !) nommé Naamân. Tout le monde le redoutait, parce qu'il avait une grande armée, des serviteurs et des esclaves; il était riche et très jaloux de son autorité. L'administration de son vaste empire lui imposait beaucoup de travail; et pour suffire à sa tâche, il supportait force labeurs et fatigues.

2 Un jour, tant il se sentait fatigué, il voulut aller prendre l'air. Il appela les ministres et les officiers du palais et leur dit : « Préparez-nous des provisions; demain, de grand matin, je me mettrai en voyage. Il faut que nous allions nous promener dans la plaine et nous livrer à la chasse. » Ils lui répondirent tous : « A tes ordres, ô roi du siècle. A quelque heure que tu nous appelles, nous serons prêts. »

3 Le lendemain, le roi se leva de bonne heure, monta sur son cheval et se mit en marche suivi de ses gens. Arrivé à la plaine, il se lança à la poursuite des gazelles et des lièvres jusqu'au soir. Alors, exténué de faim et de fatigue, il cria aux serviteurs : « Nous voulons manger et nous reposer : cherchez-nous un endroit qui nous convienne. »

4 « Seigneur, lui dirent-ils, il y a devant nous une prairie verdoyante et fertile, avec des eaux splendides et très fraîches. — Or çà ! dressez vite la tente. J'ai grand faim et suis très las. Nous venons pour nous amuser, et nous voici brisés de fatigue. » Ils lui dirent : « Nous avons tout préparé. » Aussitôt il descendit de son cheval. Puis il commença à manger des mets les plus exquis et les plus délicats. Quand il se fut rempli le ventre, il s'étendit sur son lit pour se reposer.

5 Soudain il entendit un bruit de tambours et de flûtes, puis une grande clameur; il vit un étincellement d'épées et de lances et entendit les pas retentissants d'une nombreuse cavalcade. Il se leva bien vite, appela les pages à grands cris et leur dit : « Vite, allez voir ce que c'est. » Ils partirent au galop, atteignirent les cavaliers et leur demandèrent : « Qui êtes-vous ? Vous paraissez être un grand cortège. » On leur répondit : « Outre ces chevaux, il n'y a avec nous qu'une fiancée. »

6 Les pages regardèrent; ils la virent montée sur une litière et ayant à ses côtés un grand nombre de femmes qui chantaient, dansaient et battaient des mains pour marquer la cadence. Ils trouvèrent la fiancée fort belle : son visage était comparable à la lune dans son plein éclat; elle avait la taille svelte et fine comme celle d’une gazelle. Ils partirent tous au galop, chacun d'eux cherchant à dépasser son compagnon, pour annoncer le premier la nouvelle au roi et le rassurer.

7 Le premier arrivé lui dit : « O roi de l'époque, celle-là, sire, de ta vie tu ne l'as vue : une jeune fiancée au visage comme la lune en son plein, à la taille de gazelle, au corps svelte et élancé comme un peuplier. Si tu es un malin, tu ne laisseras personne te devancer auprès d'elle. » Le roi, quoique sans l'avoir vue, en devint éperdu ment amoureux et courut pour la voir.

8 Quand il fut arrivé, les gens de la suite de la fiancée avaient mis pied à terre pour se reposer, et la jeune fille dormait dans un palanquin. Le roi poussa son cheval droit vers elle ; il leva le voile du palanquin et la vit : son cœur s'embrasa d'amour pour elle. Il lui demanda : « Qui es-tu ? — Je suis, lui dit-elle, Jaohara, fille du roi Seuhrân. Mon père m'envoie à mon fiancé, le roi Miljâm. »

9 Il lui répondit : « C’est ma bonne fortune qui t'envoie à moi. Et, aussi vrai que, dans une compagnie, quand circule l'aiguière, l'eau ne passe pas devant celui qui a soif sans qu'il en boive, aussi vrai, de mon côté, je ne te laisserai pas m'échapper, dût le monde s'en aller à sa ruine, parce que je t'aime et que mon cœur s'est embrasé d'amour pour toi. Seulement j'ignore si je te plais et si tu m'agrées pour ton fiancé. » Elle lui dit : « Dans une coïncidence aussi surprenante, il faut reconnaître un effet de la volonté divine. Moi également, je n'aimerai jamais que toi et ne prendrai personne, que toi pour époux. Vois ce que tu veux taire. Décide, je suis en ton pouvoir. » A l'instant il appela les cavaliers qui étaient avec lui et leur dit : « Enlevez la fiancée et ses bagages et emmenez-les vite à la ville. »

10 Immédiatement ils accoururent et rassemblèrent tous les effets qui appartenaient à la jeune fille, tous ses bagages et toute sa suite, et ils descendirent à la ville. Quand le roi fut arrivé à son palais, il envoya quérir les cheikhs de sa religion, et ils rédigèrent un contrat en bonne forme qui consacrait l'union de ces deux nobles fiancés. Il réunit tous les hauts dignitaires de son empire, les grands personnages de son royaume et les notables de son pays, et il fit des noces magnifiques; ils se réjouirent et se divertirent à banqueter et à festiner en règle. Ils restèrent dans ces réjouissances longtemps encore.

11 Mais revenons au roi Seuhrân, père de la jeune fille. Quand les gens de l'escorte de sa fille revinrent auprès de lui et lui racontèrent ce qui s'était passé entre sa fille et le roi Naamân, comment il les avait rencontrés sur la route, comment il avait emmené la jeune fille et lavait épousée, le roi Seuhrân fut en proie à la plus violente colère. Il ordonna sur le champ aux commandants des armées de préparer et d'équiper pour la guerre tout ce qu'il leur fallait de provisions de bouche, de chevaux et de cavaliers, et de se lever le lendemain avant le jour, parce qu'il voulait marcher contre le roi Naamân, le battre, s'emparer de son royaume et faire main-basse sur tout ce qu'il possédait.

12 Il écrivit à son gendre le roi Miljâm, lui raconta l'histoire depuis le commencement jusqu'à la fin ; l'encouragea et l'exhorta à équiper toutes ses troupes et toutes ses forces et à venir se joindre à lui pour marcher contre ce pourceau qui lui avait ravi sa fiancée. Il envoya le message par un courrier qui galopait la nuit plus vite que le jour.

13 Ce roi Miljâm, quand lui parvint la nouvelle de l'événement survenu à sa fiancée, perdit la raison, tomba en démence et devint furieux de la conduite du roi Naamân, de sa méchanceté et de son audace; il ne put plus dormir de cette nuit-là. Il rassembla tout ce qu'il avait de soldats, prévint les ministres de réunir le lendemain tout ce qu'il avait d'hommes et de le rejoindre pour aller combattre.

14 Après un certain espace de temps ni long ni court, il rejoignit son beau-père, le roi Seuhrân, et, avec lui, se précipita sur le pays de Khorassan. On livra une grande bataille, où coulèrent des ruisseaux de sang. A peine la nouvelle en était-elle parvenue au roi Naamân qu'ils étaient déjà près de lui : car il était encore entièrement occupé à la joie et aux réjouissances. Il n'eut pas le temps de se rendre compte de ce qui se passait que déjà le tumulte de l’invasion était dans la ville.

15 Il courut vite chez la jeune épouse et lui dit : « Mauvaise nouvelle ! Nous étions tout occupés de nous-mêmes et de nos plaisirs, tandis que les ennemis s'élançaient sur nous. Il n'y a que la fuite qui puisse nous sauver. Lève-toi donc et hâte-toi. » Mais elle, infortunée, son cœur se déchira de terreur, son sang se figea et son esprit s'envola. Mais qu'y pouvait-elle faire? La peur chasse la douleur. Elle le suivit, ils prirent un bon et fort cheval. Le roi Naamân monta dessus, il la prit en croupe et ils partirent au galop.

16 Mais, l'infortunée! comme elle était grosse et près du terme, elle se trouva brisée par la fatigue du voyage, à cause du galop du cheval, tant qu'enfin elle ressentit les douleurs de l'enfantement. Elle en avertit son mari. « Un malheur ne vient jamais seul, s'écria-t-il. Patiente jusqu'à ce que nous soyons hors d'atteinte et que nous soyons en sûreté. » Malgré elle, elle dut endurer la douleur; enfin, ils parvinrent à la plaine déserte. Là, ils descendirent de cheval pour se reposer un peu.

17 A l'endroit même où elle se trouvait, elle mit au monde un enfant mâle. Son mari lui dit : « Laisse-le, il faut que nous songions à notre propre salut. Puissions-nous ne jamais le revoir! » Elle dut se résigner. Elle enveloppa l'enfant dans un mouchoir qu'elle avait sur elle, et le déposa à l'ombre d'un rocher. Ils remontèrent à cheval et allèrent à l'aventure sans trouver ni à boire ni à manger. Enfin ils arrivèrent au pays du roi Mrâd. Ce roi était l'ami du roi Naamân. Ils s'aimaient l'un l'autre beaucoup. Cependant il n'osa pas entrer chez lui avant de l'envoyer prévenir.

18 Il vit, chemin faisant, un homme et lui dit : « Je te prie d'aller auprès du roi et de lui dire : « Naamân, ton ami, vient te voir en toute hâte. Si tu veux le recevoir chez toi, fais-le lui savoir, afin qu'il entre, sinon afin qu'il aille chez un autre. » L'homme alla trouver le roi Mrâd et lui rapporta la chose. Le roi fut très surpris et se demanda : « Qui est donc cet homme qui est mon ami et dont le nom est Naamân? »

19 Il se reprit à questionner le messager : « Est-il seul, ou y a-t-il quelqu'un avec lui ? « Sire, il y a seulement avec lui une femme qu'il avait en croupe; il n'y a personne autre. » Le roi continua : « Quel air ont-t-ils, lui et la femme? » Il lui répondit : « Seigneur, leurs visages sont ceux de roi, et le cheval sur lequel ils sont montés a une tête extraordinaire, superbe ; mais ils sont dans un état pitoyable. » Aussitôt le roi Mrâd se rappela et se dit : « Peut-être est-ce le roi Naamân. Il faut qu'il lui soit arrivé quelque malheur pour qu'il soit ainsi fugitif. » Puis à ses pages : « Courez, appelez-le. » Se tournant vers l'homme : « Fais-le venir, que je voie qui c'est. »

20 Les pages coururent au-devant du roi Naamân et lui dirent : « Hâte-toi, le roi te permet d’entrer chez lui. » Le roi Naamân en fut tout heureux et entra joyeux dans la ville, en se disant que, si le roi Mrâd ne prenait pas en main le soin de sa vengeance, au moins il le garderait chez lui à manger, boire et se reposer. S’il ne voulait pas le venger de ses ennemis, il le prendrait chez lui comme l'un de ses serviteurs.

21 Lorsqu'il se présenta au roi Mrâd, celui-ci le reconnut immédiatement, se leva et courut à sa rencontre et lui dit : « Tu es cent fois le bienvenu. Tu es mon hôte, et tout ce que j'ai est à toi et à tes ordres. Voilà bien longtemps que je soupire après ta vue. Raconte-moi ce qui t'est arrivé, dis-moi pourquoi tu viens à moi dans des conditions aussi malheureuses, toi avec la reine, sans soldats, sans cavaliers, sans pages pour vous servir. Il faut qu'il se soit passé quelque chose de grave. Parle-moi franchement, ô roi de l'époque. » Le roi Naamân lui répondit : « C'est une grave et longue histoire que la mienne. »

22 Et il lui raconta ce qui s'était passé entre lui, le roi Seuhrân et le roi Miljâm à cause de la reine qui était avec lui, et la manière dont avait fini leur aventure. Le roi Mrâd lui dit : « Tout ce que je possède est ton bien. Je suis à ta disposition ; je ferai pour toi ce que tu désireras. Demain je rassemblerai pour toi mes soldats et mes généraux et je conduirai à la guerre pour toi tous les hommes valides de mon empire, et si Dieu m'assiste, je couvrirai d'opprobre tes ennemis et j'enverrai leurs âmes se consumer en Enfer. Repose-toi cette nuit chez moi, fais entrer la reine à l'appartement des femmes, afin qu'elle se remette de ses fatigues. Rassure-la, et toi-même rassure-toi. Il n'arrivera, je l'espère, qu'heur et bonheur.

23 Dès lors, le roi Naamân et la reine se sentirent à l'aise et allèrent se reposer. Ils attendirent avec une extrême impatience l'heure du repas, parce qu'ils étaient presque morts de faim et de lassitude. Une fois à table, ils ne surent comment manger ce soir-là. A peine se furent-ils levés de table qu'ils allèrent se coucher et dormir. Le lendemain, ils ne se levèrent pas avant le soir. Ils virent que le roi Mrâd avait rassemblé toutes les troupes et tout ce qui leur était nécessaire en fait de vivres, en provisions de route et munitions de guerre.

24 Il fit venir le roi Naamân et lui dit : « Viens voir! Juge si ces troupes sont en état de vaincre tes ennemis, ou bien nous en rassemblerons encore de tout l'empire; » Il répondit : « Il est évident quelles sont bonnes et nombreuses, cependant il est bon que tu les augmentes encore un peu, pour que ces réserves soient prêtes au moment où on les demandera, peut-être en aurons-nous besoin. » Il lui dit : « Bien! » Il donna l'ordre général de concentrer les réserves et de les conduire devant le palais, avec la consigne de ne s'en éloigner ni la nuit ni le jour, afin qu'à quelque beure que leur parvint le signal du départ, elles fussent prêtes à tour de rôle à tirer vengeance des ennemis.

25 Le surlendemain, on se mit de bonne beure en route. En avant de tous, le roi Mrâd rugissait comme un lion, tellement que sa voix se répercutait dans les vallées comme le tonnerre. Ils arrivèrent enfin près de la ville de Khorassan et plantèrent là leurs tentes. Ils commencèrent à porter des défis au roi Seuhrân et à Miljâm, tant qu'enfin ces deux monarques vinrent en face deux, et les armées ennemies se formèrent en bataille Tune devant l'autre. On combattit d'abord à coups de flèches. Mais ensuite on ne se contenta plus de ce genre de combat, ils tirèrent l'épée et se précipitèrent les uns sur les autres. Ce fut une bataille sanglante et une mêlée effroyable.

26 Le roi Naamân joignit bientôt le roi Seuhrân et lui dit : « Ce n'est pas la vraie justice, ce que tu as fait avec moi. Quoi ! je recherche ton amitié, et tu me maltraites jusqu'à ce point! Mais l'homme injuste aura son tour, et si Dieu m'aide, je te couperai en deux et je donnerai tes entrailles en pâture aux oiseaux du ciel. » Il lira son épée, l'en frappa entre les épaules et le pourfendit par la moitié. Le roi Seuhrân tomba sur le sol et se débattit dans les convulsions.

27 Alors les soldats, quand ils virent ce spectacle effrayant, furent pris de panique et s'enfuirent à la débandade dans les plaines. Les soldats du roi Mrâd les poursuivirent, en firent un affreux carnage, jusqu'à ce que les ténèbres de la nuit vinssent séparer les combattants. Puis le roi Naamân entra dans la ville avec le roi Mrâd. Il envoya un héraut crier : « Vivent le roi Naamân et son ami, le roi Mrâd ! » Ils rallièrent leurs soldats et les débris de l'armée ennemie qui avaient échappé à la mort, emmenèrent le tout à la ville et on en reforma une armée délite.

28 Puis Naamân se livra à la joie et aux réjouissances avec le roi Mrâd, dix jours durant. Au bout de ce temps, le roi Mrâd lui dit : « Il faut que je retourne chez moi, dans mon royaume ; quant à toi, réjouis-toi et divertis-toi. Et, à quelque heure qu'il t'arrive une trahison du sort, tu n'as qu'à m'en avertir : je viendrai à toi aussitôt. Et ne crois pas qu'il y ait quelque chose qui puisse nous désunir, sauf la mort. »

29 Le roi Naamân lui répondit : « Je me mets en ton pouvoir, je te remercie, et tant que tu vivras, je n'ai rien à moi; tout mon royaume est à tes ordres. Je n'oublierai le service que tu m'as rendu tant que je serai en vie et, de plus, je veux, à ma dernière heure, recommander à l'enfant de l'enfant la reconnaissance à ta dynastie. » Il envoya un ministre de chez lui avec le roi Mrâd pour lui ramener la reine, qui était restée dans son harem.

30 Quand la nouvelle fut parvenue à la reine Jaouhara et quelle sut la victoire de son mari et la mort de son père, elle se réjouit de la victoire et fut affligée du sort de son père, de sorte que vous l'auriez vue bouleversée, partagée entre deux sentiments contraires, la joie et la douleur. Quand le vizir fut arrivé auprès d'elle et l'eut informée de tout ce qui s'était passé et de la joie de son époux, elle en éprouva beaucoup de plaisir et se prépara à partir.

31 Quand il fallut se mettre en route, elle alla faire ses adieux au roi Mrâd, en le remerciant lui et son harem de tous leurs bienfaits. Il lui fit tous les honneurs convenables et la combla de prévenances. Elle le quitta, enchantée de son hospitalité, se promettant que, si Dieu le lui permettait, elle le récompenserait des bons soins dont lui et ses femmes l'avaient entourée. Elle partit où Dieu voulut.

32 Enfin, elle parvint à son palais et trouva le roi revenu à son état habituel, joyeux et content et gouvernant l'Etat comme il fallait. Elle lui dit : « O roi du siècle, il est bien vrai que je suis heureuse; par la grâce du Créateur, nous sommes revenus à l’état dans lequel nous étions. Mais, je te dirai la vérité, je suis encore attristée. »

33 Le roi lui répondit : « Pour ton père, je pense ? Plaise à Dieu que nous ne le revoyions jamais. Nous, que lui avions-nous tait pour qu'il nous malmenât et nous maltraitai de la façon la plus injuste et qu'il nous réduisit à utiliser les bons services du monde. » — « Cela n'est rien à mes veux, dit elle. Il y a autre chose, c’est la douleur que me cause la perte de l'enfant que nous avons abandonné dans le désert sans que nous sachions ce qu'il est advenu de lui. Envoie des gens qui iront partout à sa recherche ; peut être nous rapporteront-ils des nouvelles de lui. »

34 Alors il se mit à l'entourer de caresses, à l'apaiser et à lui tenir des propos amusants et enfantins, jusqu'à ce qu'elle devint de bonne humeur et perdit de sa mémoire la pensée de cet enfant dont ils ne connaissaient pas même les traits. Il lui dit : « Rassure-toi, nous ne manquerons pas de le faire chercher. » Et, pour la satisfaire, il envoya des gens explorer l'endroit où ils avaient déposé l'enfant. Ils ne trouvèrent rien. Ils se fatiguèrent en pure perle et revinrent trouver le roi et l'instruisirent de ce qu'il en était. Il leur défendit d'en parler devant la reine.

35 L'enfant n'avait pas tardé à être ramassé par un Arabe bédouin, sous la tutelle duquel il grandit et se forma. Cet Arabe passait un jour dans ces collines où l'enfant avait été déposé dans le creux d'un rocher; quand il vit dans ses traits la marque d'une noble origine, il le prit en se disant : « Nécessairement cet enfant doit avoir une grande histoire. » Dans cette espérance, il l'emporta à sa tente et le traita avec plus de soins qu'aucun de ses propres enfants.

36 Tandis que le jeune homme grandissait, il tenait le premier rang parmi les fds des Arabes, parce qu'il n'allait qu'avec les nobles et ne parlait qu'aux jeunes gens bien élevés et distingués, tandis qu'il s'éloignait des mauvais sujets et des vauriens. Quand il eut atteint l’âge viril, ce bédouin l'emmena pour le vendre comme esclave.

37 Le hasard voulut que ce bédouin allât à la ville de Khorassan. Il le mettait en vente au souk, quand un des ministres du roi vit le jeune homme. Celui-ci lui ayant fort plu, il l'acheta et l'emmena à la maison comme esclave. Mais le jeune homme se mita s'adonner dans la maison aux travaux dont s'occupent les enfants nobles : son maître en fut émerveillé et bénit le jour où il l'avait acheté. Il fut tellement satisfait de lui qu'il lui confia toute sa maison.

38 Or, un jour, le ministre invita le roi Naamân à venir chez lui et lui prépara un splendide festin. Le roi, tandis qu'il mangeait à la table, vit ce garçon faire le service avec un soin parfait. Charmé de son habileté à servir, ainsi que de sa figure, il se sentit pris pour lui d'une vive sympathie, au point qu'il ne put plus détacher ses yeux de sa vue.

39 Après cela, il dit au vizir de venir lui parler et lui dit : « Veux-tu me vendre ce jeune garçon ? » Le vizir, par déférence pour le roi, ne put pas le lui refuser; tout au contraire, il le lui présenta en disant : « Si je pouvais être nécessaire au service de ton palais, je m'offre moi-même. » Le roi lui répondit : « Il me suffit que tu me donnes ce jeune homme. » Le roi ne partit pas de chez le ministre qu'il ne l'eût obtenu. Il l'emmena au palais et lui confia l'intendance de sa demeure.

40 Le jeune homme s'efforça de tout son pouvoir de bien diriger les affaires domestiques du palais et de gouverner avec ordre tout ce qui touchait aux besoins du roi et de la reine. Si bien qu'ils ne voulurent plus se servir de personne autre que lui. Le roi ne se contenta plus d'être satisfait de lui et de le garder dans la maison comme serviteur, mais il lui confia toute l'administration de son royaume: ainsi il surveillait les conseils et gouvernait selon son bon plaisir, et ne qu'il faisait avait lieu. De façon qu'il ne laissa rien à faire à personne, il devint celui qui élève et qui abaisse, celui qui ordonne et qui défend. Tous les ministres et les principaux officiers de la couronne en furent vivement contrariés, parce qu'ils voyaient qu'ils étaient devenus comme un épouvantait de jardin, incapables ni d'avancer ni de reculer. Dans l'excès de leur ressentiment, ils méditèrent sa perte. Ils se mirent à se consulter mutuellement : « Que ferions-nous bien pour nous débarrasser de son odieuse personne et lui ôter la vie? »

41 Les uns disaient: « Nous garderons rancune au roi; personne de nous n'ira au conseil, afin que le roi sache que c'est à son sujet que nous sommes irrités contre lui. Quoi qu'il fasse, il ne le mettra plus avant nous et le retiendra quelque temps. » Les autres dirent : « Ce procédé ne touchera nullement le roi. Il nous faut un autre expédient que cela : il faut que nous lui jouions un tour qui nous délivre de lui d'un seul coup. » Alors ils causèrent entre eux pour trouver un moyen qui leur donnât prise sur lui.

43 Le premier ministre se leva et leur dit : « Ecoutez-moi: je puis vous en remontrer, car je suis plus âgé que vous. Que si vous ne trouvez pas mon avis pratique, vous pourrez toujours en chercher un autre. J'ai l'intention de lui faire une invitation à dîner particulière en son honneur. Je vous inviterai tous à sa suite; et vous, montrez-vous devant lui tout heureux et contents de le voir ainsi honoré. Quand nous serons à table, commencez à boire, vous, avec lui, et mettez vous tous après lui pour l'exciter à boire : toutes les fois que l'un de vous boira, qu'il lui porte sa santé, jusqu'à ce qu'il se grise et qu'il s'enivre et qu'il se vautre comme une bête. »

44 A ce moment-là, enlevez-le, posez-le sur le lit de la reine; le roi ou la reine le verra; ils l'accuseront de perfidie, ils le condamneront à avoir la tête tranchée, et nous serons soulagés de toute la peine que notre cœur aura eu à souffrir, et après tant d'angoisses, nous jouirons enfin de la paix de notre âme. » Ils lui répondirent tous : « Tu as raison. C'est là le meilleur parti qu'il puisse y avoir. Daigne prendre la peine d'aller l'inviter aujourd'hui, et ne la retarde pas, cette invitation, de jour en jour : s'il doit y avoir mort, que ce soit avant le Ramadan. » Il leur dit: « A vos ordres. Allons, je vais chez lui tout droit. »

45 De ce pas, il se rendit chez le jeune homme. Il le pria d'accepter son invitation à diner. Celui-ci, pour être agréable au vizir, ne lui refusa pas: au contraire, il accepta d'aller chez lui ce soir-là. Le vizir revint tout gai, tout réjoui, et se dit : « L'affaire n'est pas loin d'aboutir. Nous sommes au bout de nos peines. »

46 Il ordonna aux domestiques de sa maison de faire un diner somptueux qui fût digne des vizirs et du chambellan du roi. Il leur donna pleine latitude pour acheter tout ce qui serait nécessaire et ne pas lésiner, au point qu'il verrait la ruine de sa maison sans regret, pourvu qu'il arrivât à son but. Il envoya prévenir les ministres et leur fixa le jour et l'heure du diner, en ajoutant qu'il fallait qu'ils fussent présents tous, sans qu'il manquât personne d'entre eux.

47 Au temps fixé, le chambellan du roi et tous les ministres furent présents. Le premier ministre leur fit le meilleur accueil, les reçut avec toutes sortes de politesses et il fit ce soir-là tout ce qui dépendit de lui pour les divertir et les satisfaire. — Imaginez-vous, gens qui m’écoutez, combien ils s'amusèrent cette nuit-là. — Le chambellan du roi croyait, l'infortuné ! que tous ces honneurs étaient pour ses beaux yeux : aussi était-il au comble de la joie.

48 Mais les ministres étaient contents, parce qu'ils espéraient arriver à leurs fins à son sujet. Ils se mirent tellement après lui à boire — tandis qu'ils dînaient et que lui ne se doutait de rien et ne se méfiait pas d'un piège — qu'il but à l'excès. Le dîner n'était pas fini que déjà il était ivre, il se sentit la tête lui tourner et n'eut plus conscience de rien. A ce moment, ils l'enlevèrent, l'emportèrent en grand secret et le posèrent sur le lit de la reine, l'y laissèrent et partirent.

49 A la fin de la veillée, la reine vint pour se coucher. Après avoir ôté ses vêtements royaux et revêtu son costume de nuit, elle monta sur le lit pour se coucher, elle y trouva le page endormi; elle fut effrayée de l’y voir; elle voulut se lever, descendre du lit et aller prévenir le roi; mais elle craignit qu'il ne le tuât; car elle l'avait en trop grande affection pour pouvoir s'en séparer; mais, si elle, n'avertissait pas le roi, elle craignit qu'il n'apprit la chose et qu'il ne voulût la tuer avec lui. Elle ne savait que faire dans une telle situation, quand le roi vint pour dormir.

50 Elle sentit ses entrailles tressaillir et n'eut plus la force ni de parler ni de se lever, parce que la peur l'avait paralysée. Le roi, selon son habitude, se déshabilla et gagna le lit pour se coucher. Il vit la reine et le chambellan ensemble sur le lit : il entra dans une colère violente, sans bornes. Aussitôt il appela les eunuques : « Emmenez, leur ordonna-t-il, cette chienne en prison, et ce chien à la prison du sang. » Ils exécutèrent son ordre en toute hâte. Le roi ne put pas dormir cette nuit-là.

51 Le lendemain, quand il fit son entrée dans le conseil, les ministres virent que son visage était noir comme de la poix par l'effet de la colère, de l'indignation et de l'insomnie. Ils lui demandèrent tous : « Qu'avez-vous, seigneur ? » Il leur dit : « Ce porc, il ne s'est pas tenu pour content de tout ce que j'ai fait si généreusement pour lui; il a poussé l'audace jusqu'à devenir l'amant de la reine, et il est advenu de lui et d'elle que je les ai vus de mes yeux. Emmenez-les, tuez-les ; je ne veux plus voir les traits de leurs visages. »

52 L'un des ministres lui dit : « Attends, ô roi du siècle, que nous fassions une enquête sur eux; permets-moi d'aller parler à la reine, car elle n'a pas de mauvais antécédents. Nous la connaissons pour être une personne sage et chaste ; nous n'avons jamais ouï dire sur son compte, dans sa vie passée, qu'elle eût fait rien de mal. » Le roi le lui permit. Le ministre alla trouver la reine et l'interrogea sur l'aventure. Elle lui rapporta avec sincérité tout ce qui s'était passé, de sorte que le ministre fut éclairé sur la vérité.

53 De là, il retourna auprès du roi et lui dit : « Je viens t'exposer que le tort n'est pas du côté de la reine, car le chambellan lavait sollicitée une autre fois déjà et lui avait lait des propositions déshonnêtes ; elle les avait repoussées, mais si elle ne t'en avait pas parlé, c'est parce qu'elle n'avait pas osé le faire, connaissant bien la grande affection que tu avais pour lui. Lui, alors, pour la surprendre, imagina cette ruse inouïe de la devancer au lit, de manière quelle ne s'en aperçût que quand elle serait arrivée à côté de lui ; alors il la tiendrait en son pouvoir et ne la laisserait pas lui échapper.

54 La preuve en est dans ce fait qu'elle a passé la soirée avec toi et qu'elle ne t'a précédé que de fort peu; comment aurait-elle pu faire cette action coupable, alors qu'elle savait que tu venais derrière elle. Le tort est au chambellan : fais-le mettre à mort et débarrasse-toi de lui; mais notre reine, elle n'a pas sa pareille, elle a un mérite et une valeur inestimables. » A ces mots, le roi se recueillit et pensa que c'était la vérité. Il appela le bourreau et lui dit : « Coupez-lui la tête et délivrez-moi de lui. Cependant amenez-le moi, que je sache de sa bouche comment il a eu l'audace de commettre cette action. »

55 Ils ramenèrent dans la salle du conseil. Le roi lui demanda le motif de son forfait et de son audace et ajouta : « Avoue-moi la vérité, parce qu'il faut que tu meures. » Le malheureux répondit : « Si je te racontais mon histoire telle qu'elle est, tu ne me croirais, pas. Mais, je t'en supplie, ne te hâte pas de me faire mourir, de peur que tu ne te repentes par la suite, comme le marchand Sehban se repentit du meurtre de ses enfants. » Le roi lui dit : « Perfide, raconte-moi comment le marchand regretta ses enfants, avant que j'ordonne ta mort, car je n'en renoncerai pas moins à te faire périr de la plus ignominieuse des morts. »

56 Le jeune homme raconta en ces termes : « Il y avait une fois un marchand très riche qui n'avait pas d'enfants : il ne cessait d'offrir des vœux au Seigneur pour qu'il lui vînt un fils, et il répandait les aumônes à profusion afin d'obtenir de Dieu la réalisation de son désir. Il passa la plus grande partie de sa vie à faire des souhaits et à se consumer du désir de voir dans sa maison un enfant pour l'égayer pendant sa vie et, être son héritier après sa mort Dieu, — gloire à lui le Très Haut! — accueillit sans doute sa prière, car la femme du marchand devint grosse.

57 Cet homme, tant il en ressentait de joie et tant il aimait les enfants, songea à faire du négoce avant que sa femme accouchât et à gagner beaucoup d'argent pour le mettre de côté pour son fils, parce qu'après l'accouchement de sa femme, il n'aurait plus le pouvoir de quitter l'enfant. Il dit son idée à sa femme : celle-ci, l'infortunée, le dissuada d'entreprendre ce voyage, il résista ; elle le lui défendit, il ne voulut pas l'écouter.

58 Elle insista en lui disant : « Mon mari, notre fortune est grande, nos propriétés sont considérables ; elles nous sont plus que suffisantes. Du reste, attendons ce que Dieu nous enverra ; peut-être l'enfant ne vivra-t-il pas : nous préparons la mangeoire avant d'avoir le cheval. » Il lui répondit : « Il faut que je parte. Ma pensée me dit que je ferai un grand profit à l'intention de l'enfant. Puisque Dieu nous a donné notre pain quotidien, nécessairement il nous donnera de nouveaux moyens de subsistance pour l'enfant nouveau. »

59 Le lendemain, il rassembla une grande quantité de marchandises, les emporta et partit pour la plaine. Il arriva à une forêt au coucher du soleil : comme il ne pouvait plus ni continuer son chemin, ni revenir sur ses pas, à cause des ténèbres, il ordonna aux muletiers de décharger leurs bêtes de somme, de se reposer et de dormir là même. Au milieu de la nuit, ils furent attaqués par des voleurs de grand chemin qui les attaquèrent, les battirent, les outragèrent et les dépouillèrent entièrement de leurs vêtements. Le marchand n'échappa à la mort qu'à grand-peine.

60 Il passa le restant de la nuit à se lamenter et à se désoler sur la perte de ses marchandises. Quand le jour parut, il ne vit personne de ses compagnons. Il se mit à marcher sans savoir où il allait. Le hasard le poussa jusqu'à une ville où il ne connaissait personne. Il mendia d'abord des vêtements, il les revêtit et revint mendier du pain pour manger et il continua ainsi longtemps.

61 Un jour qu'il était assis à l'ombre d'un mur, cherchant un abri contre le soleil et qu'il se lamentait et pleurait sur son malheur, il fut entendu par un homme, bûcheron de son métier, qui lui demanda la cause de ses larmes et de son infortune. Il lui dit : « Je n'ai pas de quoi vivre, et il n'y a plus personne qui me fasse l'aumône. Je verrais la mort plus volontiers que ma vie. » Ce bûcheron fut touché de pitié pour lui : il lui donna quelques paras et lui dit : « Achète avec cela une corde et une hache, et viens tous les jours avec moi à la forêt, fais-toi une charge de bois et vends-la au marché. Cela vaudra mieux pour toi que de mendier. »

62 Il le remercia et suivit son conseil. Tous les jours il allait à cette montagne pour abattre du bois : dans toute sa journée, il ne réussissait pas à faire un fagot convenable, parce qu'il n'était pas habitué à ce genre de travail. Ses mains s'écorchèrent à frapper de la hache et à serrer la corde ; son dos se dépouilla à porter le bois. Mars que faire ? il n'avait pas d'autre gagne-pain.

63 Un jour que probablement il n'avait pas réussi à faire du bois, il était encore le soir dans la forêt : il se mit à chercher un endroit où il pût passer la nuit à l'abri des dents des bêtes sauvages. Après bien de la peine, il trouva une caverne ténébreuse : force lui fut d'y entrer. Il y passa la nuit dans les transes les plus cruelles. Il acheva la nuit dans l'insomnie, n'osant se livrer au sommeil, de peur qu'une bête féroce ne vint le dévorer.

64 Quand la lumière du jour se leva, il se mit à visiter cette grotte. Il la trouva dans un ordre parfait et disposée avec art : il l'examina dans tous les coins et recoins. Il rencontra par hasard une pierre à laquelle était suspendu un anneau. Il saisit l'anneau et tira avec force : la pierre sortit. Il aperçut derrière cette pierre une grande porte : il l'ouvrit et vit un escalier. Il le gravit et entra.

65 Il trouva une grande maison, spacieuse, vaste. Il se mit à rôder par-ci par-là, entrant par une porte et sortant par une autre. Il fut étonné de tout ce qui s'y trouvait; entre autres choses, il trouva une table mise et somptueusement garnie. Il s’assit et mangea jusqu'à ce qu'il fût rassasié. Après avoir mangé, il se leva pour continuer sa promenade dans ces lieux, afin de voir qui il y avait là. Il n'y rencontra personne.

66 Enfin, il entra dans une pièce et la trouva remplie de joyaux et de pierres précieuses. Il choisit dans le nombre quelques-unes de peu de poids mais de beaucoup de prix. Il en prit autant qu'il voulut, puis se hâta de sortir, pour n'être vu de personne, et courut de toutes ses forces jusqu'à ce qu'il fût arrivé à la ville. Il vendit une pierre et, avec la somme qu'il en retira, il loua une maison assez convenable. Il s'y logea et y cacha les pierres précieuses qu'il avait emportées.

67 De temps en temps il en vendit une en grand secret, sans en laisser soupçonner rien à personne. Il finit par ramasser une belle somme. Il se fit voir alors dans le monde des marchands et commença à acheter de nonnes marchandises et à se munir de tout ce dont il espérait réaliser des bénéfices dans son pays. Il chargea un bateau tout exprès et partit pour son pays.

68 Quand il toucha au port, il envoya annoncer à sa femme qu'il arrivait et allait se rendre à la maison. Il ordonna au capitaine du navire de lui débarquer les marchandises à terre. Il se tint sur la berge à recevoir ses marchandises. Quant à sa femme, quand elle eut appris le retour de son mari, elle fut au comble de la joie et du bonheur, parce que, depuis longtemps n'ayant plus ouï parler de lui, elle avait cru qu'il était mort.

69 Donc, aussitôt, elle manifesta toute la joie et la gaité qui s'emparent de quiconque dont l'ami est resté longtemps absent et revient, en santé et félicité. Elle s'empressa d'arranger et de mettre en ordre sa maison. Elle se fit amener ses enfants, deux jumeaux qu'elle avait mis au monde après le départ de son mari. Ils avaient environ dix, onze ans. Pendant ce temps elle les avait élevés et éduqués, et les avait fait instruire dans les collèges.

70 Elle les revêtit de leurs habits de fêtes, les plus beaux qui se trouvassent chez elle. Puis elle leur parla de leur père, leur dit qu'il avait été dans un pays lointain, qu'il était revenu et qu'il était là attendant au débarcadère. Elle leur inspira de l'amour pour leur père. Quoiqu'ils ne le connussent pas, cependant tant elle en avait fait d'éloges et tant elle en avait flatté le portrait, les enfants lui dirent : « Mère, nous ne pouvons plus rester ici: nous voulons aller à la rencontre de notre père. »

71 Leur mère, comme elle avait encore quelque peu à faire au logis, leur permit de la devancer. Les deux petits garçons, quand ils furent arrivés au port, ne connaissant leur père ni de vue ni de nom pour demander après lui, se mirent à jouer autour de ses marchandises sans qu'ils le reconnussent et sans qu'il les reconnût. Bientôt après voilà qu'il se perdit quelques-unes des marchandises de leur père.

72 Celui-ci n'ayant vu personne autre qu'eux s'approcher des marchandises, les attrapa et leur dit d'un ton menaçant : « Vous allez faire reparaître les marchandises que vous ayez prises ici, sinon je vous tue et je vous jette à la mer. » Ces enfants, les pauvres ! nièrent, et soutinrent qu'ils ne savaient ni quelles étaient ces marchandises ni qui les avait volées. Dans l'excès de sa colère et de son avarice, il jeta les enfants à la mer.

73 Il se trouva par hasard à l'endroit où les enfants étaient tombes dans la mer des gens en train de se baigner : ils saisirent un de ces enfants et le firent remonter sur le rivage. Quant au second, la vague l'emporta au loin : ils ne purent plus l'atteindre. La mer le rejeta sur une terre lointaine et le fit atterrir près d'une grande ville. Par hasard il passait des gens qui emmenèrent l'enfant chez eux. Ils le tinrent dans leur maison un court espace de temps.

74 Ce jeune garçon se mit à fréquenter les gens du roi et à rechercher leur société, de sorte qu'ils l'aimèrent comme un des leurs et dirent : « Présentons-le au roi, car il a l'air d'être un enfant intelligent et sage, bien élevé: il obtiendra un emploi pour gagner sa vie, et nous, nous grandirons dans l'estime du roi. « Ils l'emmenèrent chez le roi et lui parlèrent de ce jeune garçon.

75 Le roi demanda à le voir : il fut frappé de sa beauté et remarqua en lui cet air de distinction qu'ont les gens de grande famille. L'enfant plut au roi qui ordonna qu'il restât au palais. Son intention était, si cet enfant lui donnait satisfaction, de l'adopter pour son fils et de lui léguer l'héritage du gouvernement; car il n'avait pas de fils. L'enfant grandit en intelligence et en sagesse.

76 Il servit le roi avec toute l'habileté et toute l'adresse possible : il ne remit jamais au lendemain la suite d'une affaire inachevée. Le roi, voyant chez lui une entente aussi consommée des affaires, lui fit don d'un château neuf près de son palais et le chargea de le remplacer dans l'administration du royaume. Le jeune homme continua à croître de jour en jour en intelligence et en habileté.

77 Le roi passa le restant de sa vie à se louer de rai; il finit par tomber gravement malade et désespéra pour sa vie. Il fit venir les ministres et tous les grands officiers du royaume : il leur parla de sa maladie, disant qu'il n'avait plus longtemps à vivre et que son intention était de transmettre la royauté à ce jeune homme qu'il avait adopté ; il leur recommanda, s'ils trouvaient ce choix convenable, de ne pas tarder à le ratifier, mais de lui confier le gouvernement dans le plus bref délai, afin qu'il eût ayant sa mort la joie de le voir régner.

78 Sur le champ, les ministres et les principaux officiers de la couronne lui déclarèrent qu'ils le laissaient maître de faire comme il voulait, et qu'ils agréaient le choix de ce nouveau roi, puis ils le reconnurent pour leur prince et souverain. Le vieux roi s'en réjouit, ainsi que le jeune roi. On prépara un grand festin et on y invita tout ce qu'il y avait de marquant dans le royaume. Tous les invités étaient dans la joie et la gaîté, sauf qu'ils étaient un peu peines de la maladie du vieux roi, dont Tétai ne tarda pas à aller en s’aggravant de jour en jour, tant qu'enfin la mort fut proche.

79 Alors il appela le jeune roi près de lui, lui recommanda de l'ensevelir dans le tombeau de ses aïeux et de lui faire de grandes funérailles, dignes de son rang. Le nouveau roi se conduisit en homme de cœur envers la mémoire du roi défunt, de sorte que tous les sujets firent ses éloges, et assurèrent que même un fils légitime du feu

80 Revenons à l'enfant qu'on avait rattrapé dès qu'il était tombé dans la mer. Ces hommes qui se baignaient le prirent, le tirèrent de la mer pour le conduire au souk où ils le mirent aux enchères. Comme ce jeune garçon était beau et bien fiant, et que l'intelligence brillait sur son front, il en fut offert un bon prix, au point que la somme qui en fut offerte atteignit dix mille piastres.

81 Avant qu'on l'eût cédé par vente à personne, son père passa. Il trouva cet enfant gentil et pensa pouvoir peut-être consoler sa femme de la perte de ses enfants, en le lui donnant. Il l'acheta et l'emmena à la maison; il dit à sa femme : « Ce petit garçon m'a beaucoup plu, je l'ai pris en vive affection. Je l'ai acheté et te l'amène afin que tu te consoles par sa vue. »

82 Alors sa femme regarda l'enfant fixement et reconnut que c'était son fils : elle courut à lui, le prit dans ses bras et se mit à le couvrir de baisers » Elle fit connaître l'enfant à son père. A son tour, le père ne pouvait se rassasier de lui donner des baisers. Tout ce temps-là, ils furent dans la joie; seulement ils étaient troublés dans leur bonheur par la pensée de la perte du second enfant. Cependant ils durent s'estimer contents d'avoir celui-là.

83 Ils ne s'occupèrent plus de rien, ni d'affaires, ni de négoce; mais ils s'adonnèrent tout à la bonne chère, mangeant, buvant, et s’amusant bien. Ils continuèrent de la sorte jusqu'à ce qu'ils se trouvassent un beau matin pauvres comme des nawars. Ce n'est qu'à ce moment qu'ils ouvrirent les veux et comprirent leur situation. « Dans cette ville, se dirent-ils, nous ne pouvons demeurer plus longtemps, il ne nous est plus possible d'y vivre. Allons, debout, que nous pariions d'ici et que nous cherchions des moyens d'existence dans un autre pays. » Le hasard les conduisit au pays où régnait leur autre fils.

84 Mais il ne les connaissait pas et eux ne le reconnurent pas. Ils se mirent à travailler comme font les gens misérables, en endurant force fatigues pour gagner de quoi manger, au jour le jour. Mais le jeune homme était trop intelligent et trop bien doué pour se contenter d'un pareil gagne-pain : il résolut d'aller souvent au palais du gouvernement afin de se lier avec les serviteurs du roi plutôt que de fréquenter les jeunes gens de la basse classe, dans l'espoir que le roi serait touché de son sort et lui ferait une position préférable à une vie fatigante et à un travail pénible.

85 Or un jour, par un effet de la bonté du Créateur, le roi le vit parmi les pages. Il demanda qui il était; ils lui répondirent : « C'est un enfant pauvre et sans travail. Il est venu dans l'espoir que tu auras pitié de lui, sire, et que tu lui donneras un emploi quel qu'il soit, pourvu qu'il ait un moyen de gagner sa vie. » Le roi aussitôt fut touché de son état et le commit au service du palais.

86 Le jeune homme fut enchanté de cet emploi et augura bien de l'avenir. Voyant qu'il lui serait possible de donner des preuves de son intelligence et d'obtenir de l'avancement au service du roi, il se mit au travail avec une ardeur qui croissait de jour en jour, si bien que le roi (ut très content de lui, et n'écouta plus que ce serviteur qui s'acquittait aussi consciencieusement de son service. Aussi les ministres lui portèrent-ils envie, et ils en furent vivement contrariés. Ils se consultèrent mutuellement pour savoir ce qu'ils devaient faire pour le perdre.

87 Ils allèrent ensuite auprès du roi et loi dirent : « Nous avons appris une chose qui nous tourmente beaucoup, mais nous craignons que, si nous te l'apprenons, tu n'ailles t'irriter contre nous. Cependant nous aimons mieux encourir ta colère que de te voir tomber dans le malheur. » Il leur dit : « Rassurez-vous. Apprenez-moi la chose et je ne me fâcherai pas contre vous. » Ils lui dirent : « C'est que le serviteur que tu as auprès de toi médite un acte de noire perfidie : il veut, cette nuit, te tendre une embuscade dans ta chambre à coucher pour te tuer. »

88 Le roi devint perplexe ; car d'un côté, il connaissait la fidélité de son serviteur, mais d'un autre côté, il eut peur pour sa vie. Il songea qu'il devait se mettre en garde contre toute prévention non justifiée : si le dire des ministres était vrai, il mettrait à mort le serviteur et les récompenserait de leur dévouement à leur roi; mais si c'étaient les ministres eux-mêmes qui avaient cherché à le tromper, il les ferait périr avec toute leur postérité, et comblerait son serviteur de nouveaux honneurs. Il leur dit donc : « Reposez-vous sur moi du soin de ma sécurité; je conduirai moi-même l'affaire qui me concerne. »

89 Les ministres, pour achever leur œuvre de perfidie, allèrent trouver le page et lui dirent : « Nous avons à t'apprendre une nouvelle excellente pour toi, c'est que nous savons de bonne source que quelqu'un a l'intention de surprendre le roi pendant son sommeil et de l'assassiner sans que personne en sache rien. Mais nous, à cause de l'amitié que nous avons pour toi et de l'intérêt que nous prenons à ton avancement au service du roi, nous avons voulu te dévoiler la perfidie de ce traître qui veut faire périr le roi. » Le page, le pauvre ! crut en toute sincérité que cela allait arriver ainsi. Il se leva soudain de tout son haut, plein d'indignation.

90 Il s'écria : « Je veux aller à présent prévenir le roi de l'infamie que médite de commettre cet homme. » Les ministres lui répondirent : « Prends bien garde et ne t'emporte pas. Agir ainsi ne te sied pas. Le mieux que tu aies à faire est de n'en pas informer le roi, mais de prendre tes armes et de te cacher dans la chambre du roi afin que quand viendra l'homme qui veut tuer le roi, tu te lèves, toi, et le tues avant qu'il puisse le tuer. De cette façon il en résultera pour toi une grande considération dans l'esprit du roi et un grand retentissement dans tout le royaume. » Le malheureux ! il crut à la sincérité de leur langage.

91 Le soir, il ceignit ses armes et entra dans l'appartement privé du roi. Il tira son épée de toute la longueur de son bras et se cacha derrière la porte, pour attendre l'arrivée de l'assassin. Naturellement personne ne parut. Mais le roi seulement, après la soirée, vint pour se coucher. Il aperçut le page debout, en armes ; selon les apparences il était venu là pour le tuer. Il poussa un cri puissant; tous les gardes de faction au palais entendirent.

92 Ils accoururent tous auprès du roi. Sur son ordre, ils garrottèrent le page et le jetèrent en prison pour jusqu'au lendemain. Le roi fut convaincu et persuadé qu'il était coupable et qu'il avait vraiment eu l'audace d'attenter à sa vie, et par contre il crut au dévouement des ministres pour leur roi. Il attendit avec impatience que le jour se levât et que les membres du grand conseil se réunissent pour le faire mettre à mort. Or quand, le lendemain, se furent assemblés les gens de l'entourage du roi et ses grands officiers, il fit venir le page en sa présence et il apprit à tous les assistants ce qu'avait fait ce serviteur ingrat.

93 Avec un accent plein de colère il ordonna à l'un des bourreaux qui se trouvaient près de loi de lui trancher la tête promptement, devant tout le monde, pour que fût édifié quiconque avait lame perverse. Le bourreau, ainsi qu'il en avait l'habitude, cria : « Gens de bien! qui achète le sang de ce condamné à mort ? » Il cria ainsi une première et une deuxième fois. Le roi le regarda et entra contre lui dans une violente colère : « Si tu cries cela une troisième fois, je te fais trancher la tête avant lui. »

94 Le bourreau se disposait à frapper le condamné quand parut, se frayant un chemin dans la foule, un homme qui criait en sanglot tant : « Je t'en supplie, roi de l'univers, par tes femmes et tes enfants : daigne patienter un peu, que je te raconte la vérité sur toute cette affaire, tu auras toujours le temps d'ordonner sa mort. Pour l'amour de Dieu, tue-moi à sa place : c'est mon fils unique. J'ai passé mon temps et ma vie dans rabaissement et la misère jusqu'au jour où je l’ai trouvé devenu homme, capable de fournir aux besoins de ma subsistance. C'est mon seul fils : J'en avais deux, seigneur, je les ai jetés dans la mer dans ma stupide ignorance. Celui-ci, Dieu me l’a rendu; mais l'autre, je ne sais ce qu'il est devenu. »

95 Le roi, quand il eut entendu ces paroles, se souvint que lui et son frère avaient été jetés à la mer ; peut-être ce page était-il son frère et cet homme son père. Il rappela un peu ses souvenirs, et ordonna au bourreau de différer l'exécution : « Attends que nous voyons ce que veut dire cet homme. » Il regarda avec plus d'attention encore cet homme qui le suppliait : « Raconte-moi, mon ami, ton histoire exactement depuis le commencement jusqu'à la fin. »

96 L'homme narra l'histoire telle qu'elle s'était passée, de puis le moment où il s'était absenté de sa demeure pour aller à l'étranger avant que ses enfants fussent nés, jusqu'au moment où il était venu ici devant le roi. Alors le roi fut certain que cet homme qui était devant lui en suppliant était son père, sans aucun doute, et que le page qu'il avait ordonné de mettre à mort était son frère. Il appela son frère aussitôt et le fit venir devant lui; il lui demanda ce qu'il était devenu depuis l'époque où il était tombé à la mer jusqu'à l'heure présente où le roi l'avait condamné à la peine de mort.

97 Il raconta tout jusqu'à ce qu'il fût arrivé à la ruse des ministres par laquelle ils lavaient abusé. C’est alors que le roi se fit reconnaître à son père et son frère : il les fit entrer dans son palais et envoya chercher sa mère. Il condamna à mort tous les ministres. Il fit son père ministre de droite et son frère ministre de gauche. Ils vécurent dans les délices et la félicité. Heureuse soit la vie des auditeurs !

98 Le roi éprouva beaucoup de plaisir de l'histoire du marchand qu'il lui raconta depuis le commencement jusqu'à la fin : il goûta fort le récit du jeune chambellan qu'il voulait mettre à mort sans retard. Il ordonna de le reconduire à la prison afin qu'il put réfléchir à son affaire, car il se pouvait qu'en mettant de la hâte à le faire mourir, il fut pris du même repentir que le marchand dont il lui avait raconté l’histoire.

99 Le lendemain, de bonne heure le grand vizir vint chez le roi, lui fit les salutations d'usage et commença à parler avec lui de choses et d'autres : ils en vinrent à l'affaire du chambellan. Le premier ministre dit au roi : « Sire, un autre que toi qui aurait du sang dans les veines, qui aurait de l'énergie, ne tolérerait pas plus longtemps un de ses serviteurs qui aurait perpétré contre sa vie un aussi noir attentat, il ne le laisserait pas vivre une seule minute ; et toi, nous ne savons pas ce que tu as à hésiter, ni d'où te vient une telle longanimité, ni jusqu'à quand tu le laisseras en vie. »

100 Il se mit à l'enflammer et à l'encourager à ne pas différer d'une minute l'exécution du chambellan. Le roi renâcla et renifla comme un buffle, et entra dans une violente colère. Il ordonna aussitôt de faire venir le serviteur perfide qui avait trahi son maître après que celui-ci l'avait fait avancer en dignité et l'avait placé au-dessus même de tous les grands officiers de la couronne. Il arriva en sa présence, tremblant et redoutant la colère du roi.

101 Celui-ci lui dit : « N'était mon extrême clémence, je ne t'aurais pas laissé vivre jusqu'à présent. Allons, bourreau, coupe-lui la tête sur le champ. » — « Je t'en supplie, seigneur, s'écria le jeune homme, ne te presse pas de me faire mourir, patiente un peu, montre-toi clément; tout à l'heure lu me tueras. Peut-être aurais-tu lieu de regretter ma mort comme le marchand Abder-Rahman se repentit d'avoir agi sans réflexion. —

102 Sans cesse tu cherches à me séduire par tes histoires et à m'ensorceler pour que je patiente à ton égard; d'un côté, lorsque je pense à ton forfait, j'ordonne de te mettre à mort; d'un autre côté, lorsque je pense à tes histoires si charmantes, je deviens clément. C'est pourquoi raconte-moi ce que fit le marchand Abd er-Rahman pour avoir eu à se repentir de sa conduite. »

103 Le chambellan raconta : « Il y avait un grand négociant nommé Abd er-Rahman. Un jour, il chargea un bateau spécial de ses marchandises et se proposait de les vendre dans une ville du côté du sud. Après avoir navigué plusieurs jours, ils furent surpris par une tempête si violente que le navire alla donner sur un écueil en pleine mer et se brisa. De tout l'équipage il n'échappa que le seul marchand Abd er-Rahman.

104 Il trouva un morceau de bois, il s'y cramponna et nagea jusqu'à ce qu'il eût atteint le rivage. Il monta sur le sable et resta à sécher ses vêtements au soleil, tout en pleurant et se lamentant sur le malheur qui l'avait frappé et en se repentant d'avoir entrepris ce voyage. « Si j'étais resté dans ma maison content de mon avoir ! il me suffisait et était même plus que suffisant pour moi. Quelle idée ai-je eue de faire ce malheureux voyage ? Ah ! que ne suis-je mort de faim, plutôt que de me voir tombé dans cette misère! Malheur à moi : car ce pays étranger, je ne sais ni comment y aller, ni comment en revenir. »

105 Sur ces entrefaites, pendant qu’il disait ces mots et qu'il pleurait, voici que passa un homme riche, un propriétaire, qui avait de grands revenus en produits de la terre de toutes sortes. Il s'avança vers cet homme qui pleurait et lui demanda pourquoi il pleurait. Celui-ci lui raconta tout. Le passant fut touché de son sort. Il l'emmena avec lui et le fit intendant de terres qui lui appartenaient, en lui disant : « Je te donnerai des gages raisonnables qui te seront plus que suffisants. » Ils convinrent alors de la somme qu'il lui paierait pour qu'il veillât sur ses propriétés et ses revenus et n'en perdit rien, pas même une graine.

106 Le marchand fut très heureux de ce procédé. Il se mit à s'acquitter de ses fonctions consciencieusement sans rien négliger du tout. A l'époque de la récolte, il ramassa les produits de toute espèce, les rassembla et les emmagasina dans les granges; il n'en laissa rien perdre à son maître, pas une graine ni un para.

107 Mais avant d'aller chez son patron faire le compte annuel, il réfléchit et se dit que si son patron lui avait fait d'aussi belles conditions de salaire, c'était pour le séduire et stimuler son zèle, et il lui sembla invraisemblable que son maitre lui donnât la totalité de son salaire. Il songea donc à cacher une certaine quantité de froment dans un endroit où personne ne saurait qu'il y en eût; et se proposait de le vendre en secret pour se dédommager de ce que son maitre lui retiendrait de son traitement.

108 Mais pendant qu'il cachait ce blé, un homme l'aperçut. Il le laissa aller chez son patron lui rendre ses comptes, puis vint voler tout. Quant au marchand, après avoir rendu le compte exact et reçu de son patron ses émoluments entièrement et complètement, et quand celui-ci lui eut donné en outre une gratification, en un mot quand il se fut montré aussi bon que possible pour lui, Abd er-Rahman eut un remord : il fit des aveux à son maître.

109 « Le démon m'avait insinué, lui dit-il, que tu ne me paierais pas mes gages intégralement; c'est pourquoi j'ai détourné un peu de blé en cachette de tout le monde. Il faut que je t'avoue la vérité, puisque lu ne m'as pas trompé, je ne veux plus te tromper. — Qu'importe, lui répondit son maître, puisque tu as avoué. Viens avec moi et indique-moi où tu as caché ce blé. » Ils partirent, lui et ce dernier ensemble, et arrivèrent à l'endroit de la cachette.

110 Ils regardèrent et trouvèrent les céréales volées. Le patron se fâcha et commença à rouer son intendant de coups de bâton, jusqu'à ce qu'il fût las de frapper; puis il lui reprit ce qu'il lui avait donné pour prix de son labeur et le chassa de chez lui; il le renvoya avec les vêtements qu'il portait à son entrée chez lui. Le marchand courut sans s'arrêter, tant il avait peur de son maître, jusqu'à la mer. Là il se prit à pleurer et à déplorer son sort et son malheur d'une façon extrême.

111 Par hasard il passa par là un pêcheur. Celui-ci l'entendit se lamenter. Il lui dit : « Qu'as-tu et que t'arrive-t-il ? — Laisse-moi. Ne me trouble pas. Se plaindre à un autre que Dieu est une honte. » Le pécheur ne le lâcha pas qu'il n'eût appris tous les malheurs qui venaient de lui arriver, d'un bout à l'autre. Il eut pitié de lui et compatit à sa douleur et lui dit : « Aujourd'hui, moi, je me propose de pécher moitié pour toi moitié pour moi; quant à toi, garde-moi mes effets ici à l'endroit où tu es. Je te l'ai promis, je ne me dédirai pas. Quoi que je pèche aujourd'hui, c'est à ton intention et à partager par moitié entre nous, que la pèche soit bonne ou qu'elle soit mauvaise. »

112 Il prit son filet et entra dans la mer. Regarde un peu, ami qui m’écoutes; Dieu lui envoya ce jour-là une pèche magnifique telle que jamais de sa vie il n'en avait vu de pareille : quatre pierres précieuses, d'un très grand prix. Il en prit deux pour lui, et en donna deux au marchand en lui disant : « Va les vendre, tires-en tout ce que tu pourras; et demain viens me retrouver ici. Nous pécherons encore par moitié, et peut-être à ton intention Dieu nous favorisera aussi généreusement qu'aujourd'hui. »

113 Le marchand fut très content de ces deux pierres : il les emporta pour aller les vendre au souk des crieurs à la ville voisine. Il donna les deux pierres au doyen des crieurs pour qu'il les vendit un bon prix et il lui promit de lui donner le dixième du prix. Le crieur courut les vendre à un prix plus élevé que d'habitude.

114 Par hasard passa le doyen des marchands de cette ville : il vint pour acheter les deux pierres, il les regarda attentivement, et comme s'il les avait reconnues, il s'écria : « Celles-là ont été volées chez moi dans la journée d'hier. » Il les arracha au chef des crieurs et lui demanda à qui elles appartenaient. Il alla quérir la police, disant que cet homme avait volé les pierres dans sa maison, que c'était un voleur véritable. « Emmenez-le, mettez-le en prison. »

115 Ainsi fut fait. Au lieu de toucher le prix des deux pierres et d'aller vivre avec, il eut cette nouvelle mésaventure. Il resta en prison ce jour-là et le lendemain. Cependant, à l'heure dite, le pêcheur arriva à l'endroit où il avait péché, ces pierres. Il attendit l'arrivée de son camarade, pour pécher à son intention, parce qu'il avait pris goût à pécher les perles en présence du marchand Abd er-Rahman.

116 Lorsqu'il vit qu'il était en retard et qu'il n'était pas venu à l'heure fixée, il alla le chercher au souk. Là on lui raconta la mésaventure qui était arrivée à son compagnon, et on lui apprit qu'il était en prison depuis la veille. Le pécheur demanda la cause de son arrestation et le nom de celui qui avait porté plainte contre lui et l'avait fait emprisonner. On lui dit que c'était le chef des marchands.

117 Il alla le trouver et le supplia de rendre la liberté à son compagnon, « parce que les deux perles, le pauvre innocent, il ne les a pas volées : car c’est moi qui les ai péchées et je n'ai pas trouvé que ces deux la, il y en a encore deux autres semblables que j'ai sur moi. Prenez-les et comparez-les. » On prit les deux perles qu'il tenait et on les compara à celles qu'on avait déjà prises à l'homme accusé de vol. On les trouva absolument semblables.

118 Aussitôt on reconnut l'innocence d'Abd er-Rahman. Ils allèrent chez le roi et le prièrent de le faire sortir de prison, vu qu'il était puni injustement. Le roi, quand il se fut assuré de la vérité sur son affaire, le traita avec beaucoup de générosité, et lui offrit la faveur de le compter parmi ses grands officiers. Celui-ci rendit grâces à Dieu de l'avoir délivré de cette mésaventure, et remercia le roi de sa bienveillance pour lui. Il le pria de le dispenser de ces fonctions, parce qu'il voulait retourner chez lui auprès de ses enfants.

119 Le roi le retint de toutes ses forces et ne consentit nullement à l'exempter des fonctions d'officier de la cour. Il lui assigna pour y habiter une maison particulière près du palais. Le marchand, bien malgré lui, accepta et s'inclina devant l'ordre du roi. Il s'acquitta des devoirs de sa charge avec tout le talent et toute l'habileté désirables. Aussi le roi fut-il satisfait de lui : il l'éleva au-dessus de tous ses sujets.

120 Cet homme s'occupait sans trêve ni repos de veiller à l'exécution des ordres du roi. Un jour qu'il rentrait chez lui exténué de fatigue, il alla se reposer un peu sur le divan; puis ouvrit la fenêtre près de lui pour renouveler l'air et distraire ses regards. Il vit les femmes du roi juste en face de la fenêtre.

121 Il craignit que le roi n'apprît la chose et ne s'emportât contre lui. Voyez un peu : ce qu'il avait appréhendé, lui arriva. En effet l'un des eunuques l'avait vu ouvrir la fenêtre et regarder les femmes. Il alla tout droit porter plainte au roi. Le roi, sans examen et sans enquête, condamna Abd er-Rahman à la prison perpétuelle.

122 Telle fut la fin du marchand qui ne s'était pas contenté des biens à lui dispensés par Dieu et qui mettait toujours trop de précipitation dans ses affaires; qui ne prévoyait et ne devinait pas l'avenir. De même, sire, si tu te hâtes de me tuer, il viendra un temps où tu te repentiras de ma mort. Le plus sage est que tu en uses avec moi avec patience. »

123 Le roi, quand il eut entendu l'histoire du marchand et en eut compris le fond, après avoir goûté le récit et l’élocution si pure du jeune chambellan, se sentit attendri et ordonna de le laisser vivre jusqu'au lendemain afin d'attendre les événements. Il le laissa entre les mains du geôlier. Puis, se tournant vers le grand vizir, il lui dit : « Comment, trouves-tu les histoires de ce jeune homme ? elles ne sont pas sans renfermer une grande signification cachée.

124 Cependant je ne sais pas ce que signifient ces pierres précieuses. Je devine, ô vizir, que tu vas me blâmer de ma patience, mais c'est plus fort que moi ; on dirait qu'il y a chez moi quelque chose de naturel qui me fait aimer et goûter les histoires de ce jeune homme ; et si fort irrité et courroucé que je sois contre lui, il suffit que je le voie et qu'il parle devant moi pour que mon cœur ressente de l'intérêt pour lui. Il faut donc que j'use de miséricorde avec lui pour voir comment tout cela finira. »

125 Le ministre, bien malgré lui, dit au roi : « C'est à toi qu'il appartient de commander. Si tu ne veux pas veiller; à ta dignité et à ton honneur, je ne puis pas t'y contraindre, et ce n'est pas à moi à te donner des ordres. Fais comme tu voudras. — Oui, lui répondit le roi, c'est mieux ainsi : laissez-le moi vivre jusqu'à demain. » Ils rentrèrent chez eux le soir. Le premier ministre envoya réunir ses collègues en secret sans le laisser savoir à personne, de peur que le roi n'eut vent de leur infamie.

126 Une fois qu'ils furent tous réunis, il leur dit : « Je crains que le piège ne se découvre, que notre conduite ne se révèle au roi dans son vrai jour et que nous ne soyons honnis. Voyez à quel parti il faut que nous nous arrêtions pour nous débarrasser de ce coquin avant que notre fourberie soit connue du roi. Avisez : je pense que nous pourrions gagner le geôlier pour qu'il l'étrangle dans sa prison ou qu'il l'empoisonne, afin que nous soyons délivrés de lui. »

127 Tous se rallièrent à cet avis et envoyèrent quelqu'un auprès du geôlier le corrompre à prix d'argent pour qu'il le fit mourir. Mais il ne consentit pas à entrer dans leur projet. Comme il avait refusé, ils eurent peur qu'il n'instruisit le roi; c'est pourquoi ils se consultèrent pour trouver un moyen de décider le roi à hâter l'exécution de l’intendant. L'un d'eux émit l'avis suivant : « le mieux et le parti le plus convenable qu'il y ait, est que nous allions chez la reine l'encourager à demander au roi de hâter l'exécution. »

128 Un autre fut d'un avis tout contraire : « Je crains, dit il, que notre trame ne se découvre, et qu'il ne nous arrive un châtiment pire que celui de ce jeune homme, à qui vous en voulez tant et que vous opprimez; et peut-être le roi, d'après ce que je vois, car il semble avoir faibli, peut-être a-t-il la preuve de notre complot et eu vent de l'innocence du jeune chambellan; peut-être allons-nous tomber dans le fossé que nous avons creusé pour cet homme, qui ne nous a point fait le moindre tort et dont nous méditons la perte par une haine et une violence injustifiées. »

129 Aussitôt tous les ministres se levèrent contre lui et se mirent à lui faire honte de sa lâcheté et de sa trahison, et lui reprochèrent de manquer à l'engagement qu'ils avaient pris tous mutuellement, lis l'exhortèrent et l'encouragèrent à ne pas les abandonner et à ne pas aller informer le roi. « Nous tous, lui dirent-ils, nous serons ligués contre toi pour te faire subir le même sort qu'à cet homme si tu prends son parti. » Le ministre à qui ces paroles étaient adressées leur répondit : « Je ne vous trahirai pas, et je ne dévoilerai à personne votre complot. Mais je voulais vous donner des conseils dans l’intérêt de notre salut commun. »

130 Après une longue discussion, ils furent tous d'avis, eux et lui, que le mieux à faire était daller chez la reine, d'exalter sa rigueur et de l'exciter, afin qu'elle excitât le roi. Ainsi firent-ils. Ils allèrent trouver la reine, la supplièrent de sauvegarder sa réputation et son honneur. Le roi notre souverain, lui dirent-ils, est bien tiède à te venger; il n'a pas été humain pour toi, et cela au su de tout le monde. S'il avait fait mourir ce serviteur dès l'abord, personne n'aurait eu connaissance de sa honteuse action. Mais maintenant tout le monde en est instruit et doute de ta vertu. C'est assez longtemps temporiser, toi et le roi. »

131 Ils continuèrent à lui parler de la sorte tant qu'enfin la reine s'emporta; elle renâcla et renifla. Elle alla aussitôt en toute hâte chez le roi, courroucée, les traits contractés; l'expression de son visage avait quelque chose de malfaisant. A peine arrivée devant le roi, elle se mit à le blâmer, à lui reprocher en termes amers sa clémence et son indulgence à l'égard de ce traître.

132 Le roi commença par lui parler avec douceur pour lui faire prendre la chose en patience. Mais elle ne voulut plus rien entendre, qu'elle n'eût fait monter le roi qui fut saisi à son tour d'une violente colère et ordonna de convoquer pour le lendemain tous les ministres, les grands officiers du palais et les premiers fonctionnaires de l'empire, pour assister à l'exécution de cet homme traître envers son roi. Faut-il que je te dise combien de gens étaient accourus pour voir ce spectacle? La foule était telle que la terre semblait trop étroite pour la contenir tout entière. 133 Sur ces entrefaites le roi arriva au lieu où le monde était assemblé. Il fit venir devant lui le coupable et commença à lui adresser des reproches dans un langage si dur et si amer que s'il les avait adressés à des rochers, ils en seraient tombés en miettes. Quand il entendit ces paroles, le jeune homme d'abord fut saisi de crainte, et fut persuadé que sa mort était proche. Il releva son courage et se dit: « Du moment que je vais être mis à mort, il n'y a que l'énergie qui me sauvera. »

134 Il se tourna vers le roi et lui dit : « J'accepte la mort comme s'il s'agissait de boire une gorgée d'eau. Cependant ne te hâte pas de me tuer. Combien de fois ne t'ai-je pas averti de différer ma mort, alors que ces vizirs te trompent, sans que tu te doutes de leurs machinations et de leur méchanceté. Ce sont eux qui ont monté toute cette intrigue entre nous deux et la reine, et par haine et par envie. Quant à toi, on voit bien que tu es un niais, tu t'en laisses faire accroire par des hommes pervers. »

135 Il ne se lassa plus alors de faire des reproches au roi et aux vizirs. La vérité sur leurs agissements se dévoila enfin aux veux de tout le monde. Le roi se courrouça de toutes ses forces et ordonna impérieusement de lui trancher la tête à l'instant même. Il cria au bourreau de délier ses entraves et ses menottes et de terminer sa vie d'un seul coup d'épée. Le bourreau, pour exécuter l'ordre du roi, tira son épée de toute la longueur de son bras et il se disposait à frapper.

136 quand tous les assistants, le roi et les gens de son entourage, aperçurent un grand nuage de poussière et au milieu de cette poussière un cavalier galopant à toute vitesse et criant : « J'implore la miséricorde de Dieu et la clémence du roi ! » Le roi s'écria, s'adressant au bourreau : « Attends un peu! ne frappe pas! que nous voyons ce qu'il y a. » Il fit amener en sa présence cet homme qui arrivait en courant et qui faisait des supplications ardentes : « Qu'as-tu à dire? » lui demanda-t-il.

137 Celui-ci lui répondit que l'homme qui avait été condamné à mort aussi injustement était son fils, qu'il était innocent de l'attentat qu'on lui imputait et que si sa mort était indispensable, on le tuât à sa place et qu'on prit sa vie en échange de la sienne. Le roi lui dit. « Comment serait-il ton fils ? Je ne vois rien entre vous deux sinon une grande dissemblance. Vous ne vous ressemblez pas de visage ni de voix. Et tout le temps, qu'il a été chez moi, tu n'es pas venu le voir, pas une seule fois. Dis-moi franchement comment il est ton fils. »

138 Immédiatement l'homme lui dit : « Je suis un vrai brigand, voleur de grands chemins. Je passai un jour près de telle montagne. Je trouvai cet enfant enveloppé dans un mouchoir et déposé sous un rocher. Je le regardai, son air me plut. Je l'emportai et l’élevai. Ayant reconnu en lui de l'intelligence, je ne voulus pas lui apprendre le métier du vol. J'ai jugé plus à propos de le vendre et je l'ai vendu à un de tes ministres; ce vizir t'en a fait présent. Comme il obtenait auprès de toi beaucoup d'avancement, les vizirs lui portèrent envie et le desservirent par des insinuations perfides sur sa conduite. Tue-moi à sa place, mais ne le tue pas. »

139 Quand le roi eût entendu ces mots, il lui vint à l'idée que ce jeune homme était son fils. Il s'enquit de l'année et du jour où ce brigand l'avait trouvé, et acquit la certitude que c'était son fils. Aussitôt Il courut à lui, le retira du lieu du supplice, l'embrassa, le couvrit de baisers à droite et à gauche. Il le mena près de sa mère à qui il apprit tout. Celle-ci, à la nouvelle que c'était son fils, tomba sur le sol évanouie dans l'excès de sa joie.

140 Les angoisses des vizirs furent aussi poignantes que la joie du roi et de la reine fut vive. Le lendemain, le roi ordonna qu'on mit en croix tous les vizirs, en punition de leurs méfaits. Il remit le gouvernement à son fils. Il fit le brigand vizir suprême auprès de son fils parce qu'il avait été la cause de sa vie deux fois. Ils vécurent tous dans la joie et l'allégresse, et achevèrent leur vie tous contents les uns des autres.

Je t'ai raconté mon histoire et l'ai mise dans ton sein.