Al  Maari

Aboû 'l-'Alâ'Al-Ma'arrî

 

Extraits des Poèmes et des Lettres

EXTRAITS II

Extraits I

 

Traduction française : Georges Salmon

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

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EXTRAITS DES POÈMES D'

 

ABOÛ'L-'ALÂ AL-MA'ARRÎ

 

I

Ton entendement et ta foi sont-ils chancelants ?

Viens à moi, afin d'apprendre les avis des intelligences pures !

II

Les articulations de l'homme sont vantées après sa mort, mais lorsque le temps se sera prolongé, elles seront des atomes de poussière !

III

Nos âmes sont comme le vin, si on les emmagasine trop longtemps, il faut bien un jour qu'on les achète en gros.

IV

Ne cherche pas à obtenir quelque supériorité par tes propres efforts.

La fortune seule favorise l'élégant écrivain, dont la plume est aussi inefficace qu'un fuseau.

Deux étoiles portent le même nom de Simâk dans le ciel : c'est vrai que l'une porte une lance, mais l'autre est désarmée.

V

Les malheurs de ce monde sont nombreux et le moins pénible d'entre eux, pour l'homme intelligent, c'est le trépas.

C'est un malheur auquel aucune âme n'échappe et dont aucune caution ne garantit.

VI

Nous avons ri! Quelle imprudence de notre part !

Les habitants de la Terre ne doivent-ils pas pleurer ?

Les revirements du temps nous briseront comme du verre,

Mais du verre que l'on ne pourra pas refondre!

VII

Quoi! Ils m'ont fait des reproches alors que j'étais vivant, puis une fois enterré, l'un d'entre eux s'est levé pour prononcer mon éloge funèbre. Quelle chose étonnante !

Nous sommes bien tous les mêmes, pauvres créatures humaines, qui nous trouvons mourantes un beau soir : chacun de nous aime ce monde d'un amour exagéré !

VIII

Vos faces sont fauves et vos bouches hostiles, vos foies noirs et vos yeux bleus,

Mais je n'ai de force ni pour la marche ni pour le voyage nocturne,

Car je suis aveugle; aucun chemin ne brille pour moi.

As-tu vu tes corbeaux noirs s'élever très haut au matin, en présentant le flanc droit, ou bien as-tu vu passer tes colombes grises ?

Je me suis mis en route, mais je n'ai obtenu ni monde ni religion,

Et quel a été mon retour, si ce n'est l'imprudence et la maladresse ?

Celui qui a prié et dont la Kibla est à l'Orient, lorsqu'il offrira sincèrement sa piété à son maître, ne diminuera pas ses dons. Je vois l'animal terrestre craindre le trépas. Un coup de tonnerre l'effraye, un éclair le rend fou... Cependant, ô oiseau ! fie-toi donc à moi; ô gazelle! ne crains donc pas que je te nuise en rien, car entre vous et moi, je ne vois pas de différence !

IX

Ne cache pas pour demain ni pour après-demain ta subsistance journalière,

Car chaque jour apporte avec lui son pain quotidien.

Au lieu de chercher à obtenir la moindre subsistance, amasse plutôt de bonnes actions.

Ce sera ta seule consolation ait jour du jugement dernier.

Partage tes biens héréditaires comme tu l'entendras et sans te chagriner,

Aucune larme ne coulera pour toi lorsque lu seras dans la tombe.

Fais avec un autre que toi ce que tu aimerais qu'il te fit,

Et fais entendre aux hommes ce que tu veux qu'on te dise à toi-même.

Les hommes, pour la plupart, sont comme le loup: tu en fais ton compagnon, puis lorsqu'il a compris ta faiblesse, cela le rend avide.

X

Le cortège funéraire a gravi vers le champ du repos.

N'est-ce pas un moyen, pour le pied de l'aveugle, de ne pas trébucher?

Ne t'étonnes-tu pas de voir ce vieillard impotent qui se tient debout, voûté et trébuchant de peur et de faiblesse ?

Il reste à la maison, loin de la prière, et il traverse déserts et montagnes pour récolter une aumône.

XI

Avez-vous vu une bande de dissidents Karmates crier aux hommes : « Abandonnez les mosquées!

La puissance du destin berce l'un dans l'assoupissement, tandis qu'au même instant, l'autre s'éveille d'un profond sommeil.

L'influence exercée par la conjonction de deux planètes, disent-ils, défend ce que les conducteurs des peuples enseignèrent jadis comme une prescription. »

Lorsque sera révélé l'ordre céleste, la lance du héros armé de pied en cap vibrera vainement.

S'il est vrai que l'Islam a souvent souffert sous les coups du destin, aucun n'est comparable à celui qui l'atteint à présent.

S'ils ont rendu un culte à Saturne, j'honore, moi, quelqu'un devant qui Saturne s'incline humblement.

XII

Je suis sincère avec toi, camarade, il n'y a pas d'argent chez moi, mais les convives et les pique-assiettes ont augmenté,

Des familiers qui ont dans leurs mains des bâtons,

Des gens qui ont dans leurs mains des sabres,

Des dirhems purs, mais dont les âmes, si on les dévoilait, révéleraient de fausses monnaies.

Il n'y a pas sur terre de source généreuse dont l'homme altéré de soif, fût-il même dégoûté, ne se réjouisse d'y descendre.

XIII

J'ai laissé le soin de mon sort au roi de la création,

Mais je n 'ai pas demandé quand surviendra pour moi l'éclipse.

Combien d'ignares ont échappé au trépas;

Et combien de philosophes seront pressés par la mort ?

XIV

Ils ont conversé en se mettant en route le matin, et ils ont dit: Quel malheur a fait tomber la pluie sur la terre ?

Peut-être que des hommes de mauvais augure ont regardé furtivement un jour qui allait se coucher sans qu'aucune part ne leur soit réservée.

Parfois l'on échappe à une terre de stérilité, tandis qu'un séjour fertile laisse périr ses habitants.

XV

Le désert est peuplé de brigands qui enlèvent les chameaux lâchés au pâturage;

Les mosquées et les souks sont aussi peuplés de brigands.

Mais tandis que ceux-ci sont appelés notaires et commerçants, les premiers sont flétris sous le nom méprisant de bédouins.

XVI

Si vous avez bien mangé et beaucoup dépensé, vous pouvez être certain qu'un lieutenant de police ne viendra pas vous déranger.

Lorsque vous serez seul à diriger vos affaires, ne les confiez pas aux mains des hommes !

XVII

L'âme n'a pas cessé de jouir de la plus parfaite quiétude jusqu'au moment où, en vertu d'un ordre divin, elle est venue s'établir dans le corps.

Maintenant tous deux sont de poussière fine et plus misérable encore, mais, ne craignez rien, la haine et l'envie ne vous laisseront pas solitaire !

XVIII

Combien la vie serait douce auprès des siens si elle ne cessait jamais,

Et si le temps était un éternel recommencement sans anéantissement,

Ou une jeunesse sans déclin !

Quel refuge sûr offre cette terre vers laquelle notre descente s'achemine!

XIX

Quand je périrai, ô mes amis, il me faudra absolument disparaître de ce monde,

Tout ce qui vit sur la terre est misérable : l'esclave, en effet, ne possède rien!

XX

Nos corps retourneront à la terre; nous reviendrons au principe d'où nous sommes issus.

Tin pieux ascète viendra lire la loi sur nous et nous croisera les bras à l'extérieur du linceul.

XXI

Tâche de comprendre le langage des jours, car ils s'expriment clairement.

Leur revirement n'a jamais cessé d'être proverbial.

Tu n'as jamais rien trouvé d'étonnant, dans ta vie, qui ne soit une image du passé.

XXII

Celui-ci a poursuivi la satisfaction de ses appétits, puis il est monté en haut d'une chaire pour décrire le jugement dernier devant une foule, dans le seul but de l'effrayer;

Il n'ajoute pas foi au jour du jugement ni à ses tourments, mais le soir il les dépeint, jetant le trouble dans les âmes.

Je trouve, moi, que la nuit de l'égarement enveloppe les jeunes gens, les vieillards, les jouvenceaux et les hommes mûrs.

Si les morts de cette province d'Al-'Awâcîm s'étaient dressés subitement, tu les aurais vus s'entasser et couvrir tout le pays, les monts et les plaines.

Contente-toi donc de ce qu'a dit l'homme sensé et tâche d'en vivre, et laisse ceux qui croupissent dans l'erreur, le menteur et l'ignare.

XXIII

Vos bouches ont crié la profession de foi musulmane, alors que vos cœurs et vos âmes n'ont pour le droit qu'un mouvement hostile.

Vos bouches ont crié la profession de foi musulmane, alors que vos cœurs et vos âmes n'ont pour le droit qu'un mouvement hostile.

Je jure que votre Thora (à vous autres Juifs) n'enseigne pas la sagesse si le vin n'y a pas été déclaré licite.

N'ajoutez pas foi à la foudre qui sillonne les nuages, car ce ne sont que les sabres tirés du fourreau du destin.

Le sage, après mûre réflexion, s'écrie: Celui qui apprendra la vérité maîtrisera l'étalon récalcitrant, quelque résistance qu'il oppose.

Les Hanéfites et les Chrétiens ne sont pas parvenus à la vérité; les Juifs ont trébuché et les Mages ont persévéré dans l'erreur.

Les habitants de la terre se divisent en deux catégories : les uns, doués d'intelligence, mais sans religion; les autres religieux, mais dénués d'intelligence.

XXIV

Vous nous avez dit : Un créateur sage.

Nous avons répondu : Vous avez dit vrai. Ainsi disons-nous.

Vous l'avez pensé : Sans limite dans l'espace ni dans le temps. N'est-ce pas ainsi? Alors, dites-nous! Ceci, en réalité, est une affirmation pleine de sous-entendus. Les voici : Nous sommes dépourvus de raison !

XXV

Si tu as associé à ton épouse une seconde femme,

Tu as tout simplement péché contre le bon sens.

Si, en effet, on pouvait attendre quelque bien des compagnons,

L'Éternel n'aurait pas été sans associé.

XXVI

Sois homme de bien, en intention et en action, quand bien même les créatures ne te rendraient pas la pareille.

Du jour où tu as imploré leur générosité, tu es devenu leur adversaire.

Voudrais-tu même être honoré par eux, qu'ils te mépriseraient!

Combien de gens t'ont prêté secours, à qui tu n'avais rien demandé?

Et combien t'ont refusé l'assistance que tu leur demandais ?

Vis donc pour toi-même, car les amis, pour la plupart, s'ils ne te noircissent pas un jour ou l'autre, ils ne t'embelliront certainement pas!

XXVII

Si ce qu'a dit Aristote dans l'antiquité, était vrai :

Que la mort soit un réveil, la sphère céleste serait trop étroite pour réunir tous ces êtres.

Mon opinion sur les créatures, c'est qu'elles sont des races comme la neige et le goudron : du blanc et du noir de jais.

Cham est noir, non pas à cause d'un péché qu'il a commis jadis,

Mais parce que le roi de la création a décidé d'avance la couleur naturelle des races.

S'il n'y avait pas d'humanité dans un ciel, au-dessus de nous,

Il n'y aurait pas d'ange sur la terre, ni dans ses profondeurs.

Combien de peuples ont résidé où maintenant notre race demeure,

Puis qui sont morts, suivant tous le même chemin ?

Interroge la raison : elle ne te donnera pas de nouvelles de nos ancêtres des commencements du monde, si ce n'est qu'ils ont péri!

XXVIII

L'homme est comme la pleine lune : après avoir brillé d'un vif éclat, ses lumières ont baissé, puis il a péri.

Les hommes sont encore comme la semence qui reste en épis jusqu'à ce qu'elle se flétrisse, car tant qu'elle n'a pas mûri, on ne l'écrase pas.

L'usure a été consommée, c'est vrai, mais elle procurera du profit;

Le musc, en effet, voit s'accroître son parfum lorsqu'il a été usé.

XXIX

S'il en est ce qu'a dit le Sage, je vis de toute éternité et je vivrai éternellement.

Tantôt partagé, tantôt réuni, je suivrai, dans leurs vicissitudes, le lotus et le palmier qui se dessèchent, puis refleurissent.

Je me suis montré avare de force vitale, d'une avarice insurmontable, et cependant l'avarice est certainement de la nature des hommes.

Le riche a désiré un fils pour avoir un héritier,

Si les pères étaient avisés, ils n'auraient pas d'enfants.

XXX

Il y a des gens qui prétendent que l'âme émigré d'un corps dans l'autre jusqu'à ce que ces transferts successifs l'aient purifiée.

N'accepte donc pas ce qu'ils t'annonceront avec incertitude, tant que l'intelligence n'aura pas confirmé leurs dires.

Ces corps ne sont pas comme des palmiers: si hauts qu'ils s'élèvent, ils ne sont que comme les plantes qui poussent dans les champs.

Vis donc à l'aise et comporte-toi avec circonspection, car, à trop le nettoyer, le sabre de l'Inde s'émousse.

XXXI

Les étoiles, dans les ténèbres, sont-elles mortes ou sensibles ?

Sont-elles dépourvues de sensibilité, ou bien l'intelligence et la raison s'élèvent-elles dans les vapeurs qui les environnent le matin et le soir ?

Les uns croient à la rétribution dans l'autre vie et tout ce qui s'ensuit.

Les autres disent: Vous êtes comme l'herbe qui croît dans les champs.

Voici donc mes dernières recommandations:

Eloignez-vous de ce qui est laid, mais n 'ayez pas d'aversion pour les belles actions.

Car j'ai éprouvé que la conscience tourmentait par ses reproches tous les pécheurs, le jour du départ.

Si nos âmes ont été rouillées dans nos corps, le jour vient peut-être où elles seront fourbies de nouveau.

XXXII

Que Dieu soit exalté. Car il est bien instruit sur nous !

Les intelligences ont été contraintes au mensonge.

Nous parlons par métaphore, sachant très bien que les choses sont autrement que nous ne les dépeignons.

XXXIII

Si quiconque a commis de grands crimes les a faits par contrainte,

C'est une injuste tyrannie que de le châtier pour ce qu'il a fait.

Dieu, puisqu'il a créé les mines, sait bien que c'est d'elles que sont extraits les fers les plus blancs, que ces fers ont servi à répandre le sang, à des hommes qui sont montés sur des chevaux aux pieds ferrés et à la bouche pourvue de mors de fer.

Ne vas pas périr comme le papillon dans l'embrasement du cœur, car le souci est un incendie allumé dans la poitrine.

XXXIV

Si tu as voulu t'unir un jour avec une compagne, je te dirai que la meilleure des femmes de l'univers est celle qui est stérile.

La pleine lune guérit, même si elle est éprouvée par une maladie, mais les âmes incurables n'ont pas de maladies.

Nous avons des chemins vers la mort, dans tout l'Orient et l'Occident, dont le plus direct est le plus pénible à gravir.

Le monde est une demeure où chaque nouveau venu, d'entre les hommes, invite au départ celui qui lui a donné le jour.

XXXV

On dit qu'après nous viendront des siècles où l'on jouira d'un bonheur parfait, au point que les lions mêmes de la forêt seront muselés.

Arrière ! Arrière ! "Parole mensongère !

Il y a, dans tout faucon, un être furieux d'appétit.

Tant que Mars ou Saturne brilleront dans le ciel, les vagues débordantes de l'iniquité ne cesseront pas de s'entre-heurter.

Car si, par l'effet d'un bonheur miraculeux, les sphères se trouvaient changées et retournées, le fortin de pierre pourrait être construit sur un abîme.

Donne à l'homme le présent le plus éloigné de ce qu'il espérait.

Celui qui invoque la mort n'a-t-il pas derrière lui un enfer ?

XXXVI

Le monde où tu vis ressemble au vin : l'extérieur en est agréable, mais le secret de son sein est ce que tu sais.

Le siècle s'est tu, mais ses événements ont traduit sa pensée, au point que j'ai cru qu'il parlait.

Dépense, afin d'obtenir ta subsistance, caria richesse est comme l'ongle : si on le délaisse, il se gâte et ne s'améliore que s'il est taillé souvent.

XXXVII

Celui-ci désire du bol d'Arménie, peut-être que ce remède repoussera de sa poitrine un destin brûlant ?

Non, son échéance est fixée d'avance : si elle arrive, la sorcellerie ne l'écartera pas, et si elle n'arrive pas, pourquoi en craindrait-il le breuvage ?

XXXVIII

Je vois la création en deux choses : passé et futur, et deux vases, celui du temps et celui du lieu.

Dès que nous avons posé une question au sujet du dessein de notre Dieu, on s'est servi

d'une métonymie pour donner une réponse satisfaisante.

XXXIX

La nature est une bien vieille chose que l'on ne connaît pas avec certitude,

Et l'habitude de l'homme est appelée sa seconde nature.

L'ami a fait pleurer celui qui s'éloignait de lui sur un ami intime, imposant ainsi aux hommes l'adoration d'une idole.

XL

Maintenant que ta jeunesse est passée, honore tes père et mère, la mère la première, en témoignage de vénération et de reconnaissance;

La grossesse est son lot, continuée par l'allaitement: deux bienfaits dont tout homme a été gratifié.

Crains les rois et montre-toi humble pour leur obéir, car la royauté est à la terre comme le jour pluvieux est au sol qu'il arrose.

S ils pratiquent l'injustice, on en tire toujours un profit quelconque qui nous permet de vivre.

Combien t'ont défendu avec leurs fantassins et leurs cavaliers?

Les monarques de Perse ou ceux de Gassân se sont-ils autrefois abstenus de tyrannie et d'oppression ?

Vois les chevaux; lorsqu'on les lâche, ils courraient à leur gré et s'échapperaient où bon leur semble s'ils n'étaient contenus par des mors et des brides qui les retiennent captifs.

XLI

Vous vous êtes montré injuste envers un autre que vous, puis il a été investi d'un pouvoir que l'on vous a ôté.

Vous avez méprisé l'évêque des Chrétiens, alors que les partisans du fils de Marie l'ont honoré.

Votre prophète vous a dit cependant: Dès que viendra le plus généreux des hommes, honorez-le !

Or, votre prédicateur ne reviendra pas avec haine vers ceux qu'il a abordés, puis qui l'ont raillé.

XLII

Je vois que, dans ma vie, le bien même est un malheur, car je suis impuissant à le pratiquer.

Lorsqu'une fois, il y a bien longtemps, j'ai voulu le rechercher, j'y ai renoncé, m'apercevant qu'il y avait une digue entre moi et lui.

La bonne fortune accorde encore au besogneux un délai pour l'échéance, lorsqu'il arrive au terme fixé pour sa perte,

Tandis que moi, je ne suis pas à l'étroit sur les degrés de la générosité, Le poète Râdjiz atteindra-t-il jamais le poète Châ'ir?

XLIII

Ttn homme s'est approché d'une femme qu'il a prise en mariage, pour quelque chose :

C'est tout simplement un trafic pour créer un troisième individu.

"Elle n'a pas cessé de prendre soin de son fardeau jusqu'au jour de l'accouchement, puis, son compte étant arrivé, elle a été rendue aux principes :

Tout être vivant a sa généalogie dans les quatre éléments.

XLIV

Quant à l'espace, il est fixe, sans être jamais roulé sur lui-même,

Mais le temps passe et n'est pas immobile.

Celui qui est dans l'erreur a bien dit : J'ai renversé quiconque s'opposait à moi!

Mais ses deux mains ont perdu la force par laquelle il l'avait renversé.

L'homme est en effet comme le feu qui a brûlé d'un vif éclat, puis a diminué et s'est éteint, tandis que celui qui est resté humble a joui du bonheur dans la vie.

tes événements de chaque jour sont comme les plantes que l'on donne en pâture aux bestiaux, puis qui repoussent et germent, lorsque le maître de la création l'ordonne.

Puisque la terre est la retraite dernière de l'homme, pourquoi sa mère passe-t-elle tant de nuits dans l'insomnie pour l'endormir et le veiller?

Si les rabbins vantent tant leur sabbat, l'homme sensé observera le sabbat chaque jour.

XLV

J'ai vu des réunions de gens qui s'étaient obstinés à acquérir une connaissance sûre de choses dont la certitude était tout à fait variable.

La longue suite des années les informèrent de leur égarement, et aussi leurs dimanches et leurs sabbats.

Tout cela n'est qu'un feu que l'on allume une fois, puis qui brûle avec intensité et dont l'orgueilleuse flamme s'éteint.

XLVI

La vertu a deux échelons selon les uns, et trois d'après les autres.

Dieu pardonnera d'abord au jour du jugement aux femmes qui auront lutté pour vivre de leurs fuseaux lorsque les revenus auront manqué,

Puis qui en auront tiré juste ce qu'il faut pour vivre : La patience engraisse au temps de la maigreur.

Elles donnent généreusement leur fil, puis se pressent sous l'ardeur du soleil en se voilant avec le fil de la Vierge.

Elles distribuent au pauvre la bouchée de l'affamé, et ainsi leur bonheur éternel reste ferme comme Radwâ.

Certes, auprès du roi de l'univers, la vertu du moucheron est pesée avec celle de l'éléphant.

La graine de moutarde protège le pied du jeune homme contre une glissade : chaque jour est riche en accidents.

Crains le cri de détresse de l'opprimé, car dès qu'il monte vers le ciel, le châtiment est prêt à descendre.

L'émir a été destitué du pays; il n'emporte avec lui que la malédiction des pauvres de la région.

XLVII

Lorsque nous examinons les affaires, il nous apparaît comme évident que le prince des hommes n'est autre que leur serviteur.

L'homme qui est le moins tourmenté de souci et de chagrin, c'est celui à qui manquent également l'argent et l'intelligence.

Qu'est donc le monde, si ce n'est une station inutile, d'où l'un s'échappe tandis qu'un autre arrive ?

Tu pleures sur celui qui vient de mourir, parce que c'est une perte récente, mais celui qui est mort avant lui est déjà oublié.

Si je m'étais choisi moi-même l'existence, c'est tourmenté de remords que je me serais mordu les doigts.

Cela te consolera de ce que celui qui serre fortement les subsistances, ouvre les mains, et de ce que celui qui a élevé l'édifice démolit.

XLVIII

Il y a peut-être, dans les sanctuaires des mosquées, des hommes qui seraient épouvantés que l'on découvre leurs lieux de débauches.

Si celui qui s'acquitte de ses devoirs religieux le fait par artifice, celui qui les néglige ostensiblement est certainement plus près de Dieu.

te potier qui façonne la terre doit finalement retourner à son principe, à la terre si docile à modeler.

Peut-être même qu'on fera de lui un vase ou quiconque le voudra boira et mangera;

Il sera transporté, le malheureux, d'un pays à l'autre : même réduit en poussière, il lui faudra donc encore se déplacer!

XLIX

Les lions seuls évitent les lieux où ils ont couché une nuit, parce qu'ils gîtent volontiers à l'ombre protectrice des roseaux.

L

Le châtiment a-t-il atteint les habitants de Yathrib par la main des hommes ?

Au contraire, les vaines apparences trompent comme toujours l'humanité.

LI

Ils ont combattu même les Mecquois, et ils ont lutté pour leur foi,

Alors que les rois marchaient encore en manteaux de laine, au lieu de vêtements de brocard.

LII

Il y avait là des coups qui chassaient le jeune aiglon de son nid

Et par suite desquels la cuirasse devenait une loque comme une robe à manches.

LIII

Si la bataille de Dhoû-Nadjab a réellement été ce qu'on a dit,

Il n'y a eu là qu'une réunion de héros magnanimes.

LIV

Qu'est-ce que la religion, sinon une jeune vierge aux seins arrondis

Que nous empêchent de connaître plus intimement un voile et une dot que nous ne pouvons payer ?

LV

De toutes les belles paroles que j'entends, aucune ne peut me plaire,

Aussi longuement que prêchent les prédicateurs !

LVI

Les hommes vraiment doués de supériorité sont des étrangers dans leurs patries,

Leurs proches mêmes s'isolent et s'éloignent d'eux.

LVII

En effet, ils n'ont pas vidé la coupe de vin rouge dans une folle volupté, Et n'ont pas goûté à des filles gracieuses au milieu des baisers.

LVIII

N'est-ce pas la honte de la vie pour celui qui se respecte

D'être obligé de s'accommoder d'une nourriture misérable qu'on lui fournit comme aumône ?

LIX

Lorsque le feu de la jeunesse s'est éteint, ma gaieté a été empoisonnée, Quand bien même on aurait dressé ma tente au milieu des étoiles.

LX

O jeunesse! Pour l'amour que tu m'as consacré, je te caresse et me conformerai en tout à ta volonté, si cela pouvait seulement retarder ton cours.

LXI

Il n'y a pas d'heureuse enfance après la quinzième année, et, passé la quarantaine, la consolation de l'amour est fermée pour toujours.

LXII

Je t'en conjure! Ne te contente pas, comme vêtement, de l'abâ des paysans,

Car si on apprenait ce que tu as tissé en silence, on te traiterait d'insensé.

LXIII

Il y a dans cette terre des lieux couverts de végétation ;

Or, parmi ces arbrisseaux, on trouve l'alanda, qui brûle en rayonnant, et le kibâ qui se consume sans bruit et sans flamme.

LXIV

La corde de la descendance a établi une liaison entre Adam et moi,

Mais moi je n'ai uni mon masculin avec aucun féminin (puisque j'ai toujours fui le mariage).

LXV

Lorsque Khâlid a baillé, 'Amr aussi a baillé par contagion,

Mais heureusement le bâillement ne m'a pas atteint.

LXVI

ta connaissance que j'ai de la créature m'a rendu exempt du désir de la posséder,

]e sais très bien que l'univers n'est qu'un atome de poussière.

LXVII

Comment ce qui a péri déjà une fois pourrait-il renaître

Après que les roseaux secs ont allumé les feux de l'incendie?

LXVIII

Lorsque la puissance du destin s'est manifestée, l'oiseau Katha lui-même n'a pu étendre les ailes pour prendre son essor, les filles chastes n'ont plus trouvé d'union conjugale.

LXIX

O temps! Quel vêtement neuf n'as-tu pas usé?

Lequel de tes pairs n'as-tu pas ruiné?

Tu as saisi l'aigle dans les hauteurs de l'atmosphère et tu as jeté le chamois à bas de sa montagne.

Ton torrent ressemble à une marée montante où je vois engloutis les hommes les plus éminents comme les plus misérables!

Combien refusaient aux baisers leur joue dont la terre s'est rendue maîtresse!

Combien trouvaient trop lourd de porter un collier, et dont le cou porte maintenant le fardeau de la terre humide!

LXX

Si le jeune homme se plaint de la vie pendant sa jeunesse, que dira-t-il lorsque le temps de la jeunesse sera passé ?

J'ai cherché quelle compensation on pourrait offrir en échange à toute chose, mais je n'ai jamais rien trouvé d'égal à la jeunesse.

LXXI

La jeunesse seule, pour moi, est la vie. L'enfance et la vieillesse n'en sont pas.

La vie est comme le feu; elle finit par de la fumée.

LXXII

Le plus vil des cavaliers est celui qui fait des incursions pour le butin, fais-les, toi, pour de nobles causes et tu seras honoré.

Mais garde-toi surtout des charmes des jeunes filles, car ils sont tels, que si tu y résistes, tu ne t'en repentiras pas.

Je suis le plus ancien de tes amis sincères, sois donc satisfait de mon conseil : le meilleur glaive est justement le plus vieux.

Attache-toi aux suivants de l'émir, et sois toi-même un suivant pour eux : tu t'éveilleras un beau matin au sommet le plus élevé.

Mais fuis les belles candides et n'aie pas d'autre souci que l'épée et la lance.

Sois un de ces émirs qui se garantissent, par leurs escadrons, contre tout péril, et qui taillent en pièces les années les plus nombreuses.

LXXIII

O toi, qui chantes les louanges du vin que tu aimes, ne dirait-on pas que tu le considères comme un oncle paternel ou maternel ?

Tu serais vraiment son père, s'il était de la famille de la générosité (Karam) ; mais non, il s'appelle Karmyyat, sans voyelle sur l'r, alors il a pour père la vigne.

Quelle idée d'être venu visiter la Syrie, séparée de ton pays par des montagnes que les nuages recouvrent comme un manteau et un turban, alors que chez toi, on trouve, parmi les villes des deux Irak, Babil et Ana, où le vin abonde!

N as-tu pas remarqué que lorsque nos pères célébraient ces villes dans leurs vers, c'est plutôt leur vin dont ils chantaient les louanges ?

Méfie-toi cependant de cette liqueur enchanteresse dont tu vantes les mérites, mais qui conduit à la folie et au crime celui qui en fait un trop fréquent usage!

Je te le jure, et tu peux me croire : ta qualité d'étranger ne nuit pas à ton mérite et tes vêtements noirs n'assombrissent pas l'éclat de ton talent.

La richesse et la pauvreté sont en effet choses égales pour les gens d'esprit; je dirai plus : la pauvreté est plus précieuse que la richesse!

Car je n'ai jamais acquis de richesse, quelle qu'elle soit, sans qu'elle ne m'ait entraîné dans quelque désagrément.

Je n'ai jamais possédé un dirhem, sans qu'une nuée de soucis ne m'ait assailli.

Puisses-tu jouir d'une heureuse fortune! Le présent que je t'ai envoyé me rend confus, car, j'en prends Dieu à témoin : serait-il cent fois plus considérable, qu'il ne serait rien en comparaison de ta générosité!

C'est une chose infime, pour une main habituée à semer les bienfaits autour d'elle et qui ne saurait se fermer, pas plus que le verbe au passé ne sait porter la voyelle dhamma.

Je me reconnais coupable, c'est vrai; mais toi, fais preuve de magnanimité en acceptant mes excuses, car je ne mérite ni louange ni blâme!

Si tu étais des vers, tu serais certainement les plus beaux, les plus parfaits, tant par la rigueur des rimes que par la régularité de la mesure qui n'a besoin ni de licence pour allonger le vers, ni d'aphérèse pour le raccourcir!


 

EXTRAITS

DES

LETTRES D'

 

ABOÛ'L-'ALÂ

 

Lettre adressée par Aboul-'Alâ aux habitants de Ma'arrat, à son retour de Bagdâdh, un peu avant son arrivée.

Au nom de Dieu, clément et miséricordieux! Cette lettre est adressée aux habitants de Ma'arrat (que Dieu les comble de bienfaits !) par Ahmad, fils d'Abd Allah, fils de Soulaîmân, et est destinée à ses amis et connaissances. Que Dieu leur accorde la paix à tous et ne les abandonne pas, qu'il ne les disperse pas ni ne les laisse opprimer !

Voici ce que je leur adresse au moment de mon retour d'Irak, ce pays où se rassemblent ceux qui aiment à discuter, où l'on trouve tant de vestiges de l'antiquité, après avoir clos ma jeunesse et dit adieu à mon printemps, après avoir trait toutes les mamelles du temps et éprouvé sa bonne et sa mauvaise fortune.

J'ai trouvé que la meilleure carrière à poursuivre, pour moi, est de me confiner dans la retraite comme le mauvais augure du chamois auprès du bon augure de l'autruche. Or, je n'ai jamais été un mauvais conseiller pour moi-même et je n'ai jamais manqué de mettre à l'abri ma portion de profit. J'ai donc décidé d'adopter cette conduite, après avoir invoqué l'assistance de Dieu et fait part de mon idée à un petit nombre d'amis en qui je pouvais placer ma confiance : ils l'ont tous considérée comme une résolution sage qui pouvait être mise en pratique avec prudence.

C'est une résolution qui a résisté aux méditations de plusieurs nuits de voyage, qui a été, comme on dit, résolue à Bakkah et portée à dos d'autruche. Ce n'est pas un nouveau-né d'une heure, ni un nourrisson d'un mois ou d'une année; c'est un enfant né depuis plusieurs années et un produit de la réflexion. J'ai tenu à vous informer de cette décision, craignant que quelqu'un d'entre vous n'ait l'intention de se rendre à la maison que j'habitais autrefois, dans le but de m'y rencontrer, et ne trouve la porte fermée, car ce serait pour moi deux maux dont je serais fort affligé : celui de me voir manquer d'éducation et celui d'être obligé de rompre des relations d'amitié. C'est ainsi que beaucoup de gens encourent le blâme sans aucune faute de leur part : « Laissez l'homme faire ce qui lui plaît », dit Je proverbe. D'ailleurs, mon âme n'a consenti à mon retour que moyennant trois promesses: un isolement égal à celui de Fanîk, loin des autres étoiles, une séparation du monde aussi complète que celle du poulet de sa coquille, et enfin de rester dans la ville quand bien même les habitants fuiraient tous par crainte des Grecs. Et cette dernière condition s'accomplirait même si mes proches ou mes amis venaient à s'enfuir comme des antilopes grises ou des chameaux blancs. Je jure bien que je n'ai jamais voyagé pour accroître mes ressources, ni gagner quelque chose au contact de mes compagnons. Je n'ai désiré qu'une chose : séjourner dans une ville savante. Le destin ne m'a pas permis d'y rester, et seul, un fou se révolterait contre lui. C'est pourquoi j'ai abandonné toute idée de cette faveur que le destin n'a pas voulu m'accorder.

Que Dieu vous accorde de pouvoir rester dans vos foyers au lieu de courir toujours sur vos chevaux et sur vos étriers, et qu'il étende sur vous sa faveur comme le clair de lune inonde la gazelle éperdue. Puisse-t-il donner une bonne récompense aux habitants de Bagdâdh, car ils m'ont loué plus que je ne méritais ; ils ont témoigné de mes mérites avant de les connaître, et m'ont offert obligeamment leurs services. Ils ne m'ont cependant pas trouvé avide de louanges ni épris de popularité; mais lorsque je suis parti, c'était contre leur volonté. Et Dieu me suffit, c'est vers lui que cherchent refuge tous ceux qui sont dans le besoin !

A Aboû Tâhir Al-Moucharrif, fils d’Alî, sur une des raisons pour lesquelles il est revenu de l'Irak.

Au nom de Dieu, clément et miséricordieux ! L'amour d'Abdal-Mottalib pour la femme de Namîr, pas plus que celui du poète Kouthayyir pour la sœur des Banoû Damrah, ne serait comparable à mon continuel désir de vous voir, cher maître, que Dieu conserve aussi longtemps qu'une maison construite dans la plaine, ou l'arbre Nab' au sommet des collines éternelles. Et comment la flamme du désir ne brûlerait-elle pas activement, lorsqu'elle est née par les liens du sang, allaitée par l'affection et entretenue par une longue suite de bienfaits? Puisse Dieu me désaltérer en me permettant de vous rencontrer et puisse-t-il bénir notre réunion en vous accordant une longue vie! N'êtes-vous pas l'étoile de ceux qui voyagent de nuit, le protecteur de ceux qui restent à la maison, leur flèche pour atteindre le but? Je prie Dieu qu'il nous accorde une rencontre après laquelle nous ne craindrons plus aucune séparation, et qui sera une union indissoluble. Je suis si heureux de vous savoir en une santé durable que je réunis en votre faveur toutes mes actions de grâce.

Puisque les Bédouins n'ont pas fait de nouvelles incursions et que les filous de Bagdâdh n'ont écharpé personne, et puisque Dieu a accordé à tous des profits comme on ne pouvait pas raisonnablement s'y attendre, il aurait été meilleur pour vous de restreindre votre charité publique au strict nécessaire que l'on exige de vous et qui vous a déjà causé tant de désagréments d'un genre particulier auquel vous n'étiez guère accoutumé.

Mais au contraire, tandis que les besoins diminuaient, les dons n'ont fait que doubler et tripler. Comme le Coran l'a dit: « Vous avez fait une chose étrange! » et comme dit le proverbe arabe : « Tous les deux et des dattes en plus. » Louange à Dieu qui nous a faits comme les habitants du Bahreïn; vous aimez les palmiers généreux dont le fruit peut être mangé sec ou humide et dont les feuilles peuvent servir comme vêtements. Si nous n'avions été soucieux de vous obéir et contrariés de vous déplaire, nous aurions aimé prendre les dattes et vous désobéir quant aux vêtements, étant de ces gens à qui ibn az-Zoubaîr dit : « Vous avez mangé mes dattes et désobéi à mes ordres. » Dieu fasse que vous soyez de ceux qui quand ils dépensent, ne sont ni prodigues ni avares, mais un juste milieu entre les deux. » Votre conduite ne serait pas de la prodigalité, car, quoi que vous donniez, ce serait comme si l'on tirait des seaux de la mer, et si vous donniez beaucoup ou peu, on serait également excusable de l'accepter. Mais quant à cette somme qui serait un trésor pour l'émigrant, un capital pour le commerçant, la prendre aurait été une injustice, mais la langue ne peut vraiment pas la refuser. A présent tout insensé sait que le Tihamah est plein d'acacias et que votre générosité excède vos moyens, aussi bien que votre empressement à entreprendre des voyages et à mettre votre vie en péril, et nous nous donnons seulement des airs devant les étrangers, pas devant nos relations, et devant de nouveaux amis, non devant les anciens.

Une lettre fut envoyée de notre part à tous, où nous jurions solennellement qu'en aucun cas nous ne dissiperions votre avoir pendant ce voyage, quand bien même la famine accablerait vos chameaux. Nous l'avons envoyée à temps pour qu'elle puisse vous parvenir à Alep, chagrinés de ce que vous pourriez décider. Il y avait juste le temps pour y arriver. Cette lettre fut confiée à un voyageur nommé Mi'yar (Malheur à lui!) qui déclara l'avoir donnée au respectable Moukbil. Ainsi je ne sais pas si la lettre vous est parvenue et si vous avez refusé de l'écouter, ou si le messager s'est enfui avec son dépôt.

En tous les cas, nous vous devons une réparation pour le serment brisé et nous vous offrons à vous et à votre excellent père (que Dieu nous accorde de le faire vivre longtemps) des compliments qui puissent remplir votre demeure et parfumer votre haleine de musc.

Réponse d'Aboû'l-'Alâ à une lettre d’Ibn Abî 'Imrân.

L'humble esclave de Dieu, Ahmad, fils d'Abdallah, fils de Solaîmân dit : Je commencerai par déclarer que je regarde le noble prince (à qui j'écris) que Dieu a guidé en religion et dont la vie puisse-t-il prolonger, comme un de ceux qui ont hérité de la sagesse des Prophètes, tandis que je me considère moi-même comme un ignorant. Comment est-il possible que vous condescendiez à m'écrire! Qui suis-je donc pour qu'un personnage comme vous daigne correspondre avec moi? Je m'attendrais plutôt à voir les Pléiades descendre sur la terre! Dieu sait que je suis dur d'oreille et faible de vue, destin qui m'a assailli lorsque je n'avais que quatre ans, au point que je ne saurais distinguer entre une maison et ses habitants. A cette calamité s'ajouta alors une longue suite de désastres, au point que ma physionomie a fini par ressembler à une branche tordue et que je suis devenu finalement, dans mes dernières années, impotent et incapable de me lever.

Quant à vos questions, je dirai peu de choses sur les problèmes qui vous tourmentent. Dieu tout-puissant m'a condamné personnellement à la privation, et, dès ce moment, j'ai commencé la guerre sainte de la pauvreté. Le vers que vous citez :

Ton entendement et ta foi sont-ils chancelants?

Viens à moi...

a été adressé seulement à ceux qui gisent dans le bourbier de l'ignorance, non à quelqu'un qui est le phare et la source de la connaissance. Les animaux sont, comme vous le dites, sensibles, et ils ressentent la souffrance. J'ai entendu quelques échos des discussions des Anciens, et le premier point d'où ils partent est ceci : Supposons un être humain qui viendrait à dire : Si nous voulions formuler une proposition composée d'un sujet, d'un prédicat et de deux termes intermédiaires, un négatif et l'autre indiquant une exception, exemple : « Dieu ne fait que le bien », cette proposition serait ou vraie ou fausse. Si elle est vraie, nous voyons cependant que le mal domine et nous accordons que c'est un mystère. De là, certaines personnes religieuses se sont efforcées de tous temps de s'abstenir ouvertement de viande, parce qu'on ne peut l'obtenir sans causer de mal aux animaux, qui, de tous temps, ont évité le mal. Voyez la brebis, domestiquée et accompagnée d'un jeune agneau. Quand elle a donné naissance à l'agneau et qu'il a vécu un mois à peu près, on le tue, on le mange et on se sert du lait de la brebis. Et celle-ci passe la nuit à bêler et voudrait pouvoir courir en quête de son petit. C'est d'ailleurs un thème commun aux poètes arabes que de dépeindre les souffrances des bêtes sauvages et l'attachement d'une vache sauvage, par exemple, pour son veau.

Jamais, dit l'un d'eux, la mère d'un jeune chameau ne ressentit un chagrin comparable au mien, et cependant, quand elle le perdit, elle gémit longtemps, longtemps!

Un adversaire pourrait objecter : Si Dieu ne veut que le bien, il peut y avoir deux cas pour le mal : Ou Dieu doit le savoir ou il ne le sait pas. S'il en a quelque connaissance, de deux choses l'une : Ou il le veut ou non. S'il le veut, il en est pratiquement l'auteur, comme dans le cas suivant : « Le gouverneur a fait couper la main du voleur », quoiqu'il ne l'ait pas fait de ses propres mains. Mais si Dieu ne l'a pas voulu, il a en tout cas accepté ce que tel gouverneur n'aurait pas souffert sur la terre. S'il était fait dans sa province ce qui ne lui plaît pas, il réprouverait l'auteur et donnerait des ordres pour que cela ne se renouvelle pas. C'est une difficulté que les métaphysiciens ont trouvée difficile à résoudre, sinon insoluble. Les prophètes nous disent alors que Dieu est bienveillant et miséricordieux. S'il aime à ce point l'humanité, il sera naturellement bienveillant aussi pour les autres classes d'êtres vivants qui sont sensibles aux moindres souffrances. Il doit aussi savoir que les animaux, tandis qu'ils sont paisiblement au pâturage, sont souvent assaillis par des chasseurs qui percent de leurs lances les mâles aussi bien que les femelles. Comment, alors, celui qui les traite ainsi peut-il mériter quelque compassion, pauvres bêtes qui ne boivent jamais en dehors de leurs auges ni ne transgressent aucun code écrit? J'ai vu, il est vrai, bien souvent aussi, deux armées, professant chacune un culte distinct, se rencontrer sur un champ de bataille et des milliers d'hommes tomber de chaque côté. En vertu de quelle théorie? Voilà des choses que la science même n'arrive pas à éclaircir.

C'est pourquoi, ayant entendu parler de ces différentes opinions, et ayant atteint ma trentième année, je demandai à Dieu de m'accorder un jeûne perpétuel, que je ne romprais jamais pendant un mois ou une année hormis deux jours de fête; pour le reste, je laisserais se dérouler les jours et les nuits sans jamais le rompre. J'ai cru aussi que la restriction que je m'imposais à une nourriture végétale, serait favorable à ma santé, et vous avez vu sans doute dans les anciens ouvrages et les aphorismes attribués a Galien et d'autres, que les auteurs croyaient à l'excellence de ce régime.

S'il est dit que le Créateur est bienveillant et miséricordieux, pourquoi tolère-t-il que le lion dévore un être humain qui n'est ni nuisible ni méchant? Quelle multitude d'hommes a péri de la piqûre des serpents ! Pourquoi a-t-il accordé au faucon un pouvoir sur d'autres oiseaux qui se contentent de picorer des graines? Combien de fois la poule de bruyère s'enfuit le matin, laissant ses petits assoiffés, pour trouver de l'eau et leur en apporter dans son jabot, puis, lorsqu'elle est sur le point de les rejoindre, un milan la rencontre et la dévore, pendant que les petits périssent de soif?

(Il dit encore quelques mots sur ce chapitre, puis continue :)

Je prie Dieu qu'il me pardonne de citer les paroles de l'hérétique :

« Oumm Bakr est venue en saluant et a « souhaité la bienvenue. Combien de nobles lignées d'ancêtres et de corps généreux gisent dans le puits, le puits de Badr! Combien d'écuelles couronnées par la bosse de chameau gisent dans le puits, le puits de Badr! Mère de Bakr, ne m'apporte plus de coupes, depuis que le frère de Hishâm est mort! Ne m'en apporte plus depuis que son père (est mort), qui était un héros d'entre les héros, un buveur de vin. Dites à Dieu, le très-haut, de ma part, s'il vous plaît, que je renonce au mois du jeûne. Quand la tête aura été séparée de ses épaules et que le compagnon aura son soûl, ibn Kabshah promet-il qu'il vivra encore? »

Et comment fait-il pour donner la vie aux esprits et aux fantômes? Y a-t-il vraiment une révélation qui dit que la mort rejettera mon corps et me redressera après que mes os auront été réduits en poussière? »

Que la malédiction de Dieu soit aussi sur celui qui dit — on dit que c'est Al-Walîd ibn Yazîd ibn 'Abd al-Malik :

Apporte le vin près de moi, mon ami!

Je suis sûr que je ne serai pas envoyé en enfer.

J'enseignerai à mes gens qu'ils embrassent la religion des ânes.

Car je trouve que celui qui brigue le paradis joue gros jeu (un jeu de perdant).

Maudit soit aussi Ibn Rou'yân, si c'est lui qui a dit :

Voici la première vie; ils en ont promis une seconde.

Mais l'espoir déçu rend le cœur malade.

Si une partie de ce qu'ils disent était vraie, ce qui nous fait souffrir nous ferait aussi du bien.

Une autre raison qui m'a incité à m'abstenir de nourriture animale est que mon revenu est de vingt dinars par an, et quand mon domestique en prend autant qu'il en a besoin, il ne reste plus grand-chose. Je me restreins donc à des fèves et des lentilles et à une telle nourriture que je préférerais ne pas la mentionner. Ainsi, à présent, si mon domestique m'apporte ce qui est beaucoup pour moi et peu pour lui, ma portion est de peu de chose. Mais je n'ai pas l'intention d'augmenter mes rations, ou de voir revenir des maladies qui m'avaient quitté. Salut !

Aboû 'l-'Alâ à ibn Abî Imrân.

… Moi, qui confesse mon ignorance et reconnais mon égarement, et prie Dieu qu'il m'accorde un peu de sa grâce, je ne puis que vous répéter ce que j'ai dit lorsque, pour la première fois, je m'adressai à vous, quand j'avouais ma confiance en votre habileté et, comparée à elle, ma propre faiblesse et ma pauvreté, combien je me reconnaissais muet et inconscient, et je trouvais merveilleux que quelqu'un comme vous cherche une lumière en celui qui n'en possède pas — c'est comme si la lune, qui travaille nuit et jour au service de son Maître, cherchait un guide chez les bêtes à cornes qui traversent le désert pour aller à la source rencontrer le chasseur qui leur percera le cœur de sa flèche.

Vous citez un de mes vers rimant en Hâ, écrit pour dire aux autres combien je lutte âprement pour être religieux, et ce que je trouve comme argument, quant au texte : « Celui que Dieu guide est dans le droit chemin. » Le premier est celui-ci :

Ton entendement et ta foi sont-ils chancelants?

Viens alors à moi afin d'apprendre la vérité sur cette chose.

Ne mange pas injustement ce que l'eau produit, et ne mange pas la viande des animaux récemment tués.

Personne ne pourrait nier que les créatures qui vivent dans la mer sortent de l'eau contre leur gré. Si l'on consulte la raison, elle ne trouvera aucun inconvénient à ce qu'on refuse de manger du poisson, car les hommes religieux se sont de tous temps abstenus de choses qui, en elles-mêmes, sont légales.

Ne mangez pas non plus le blanc des mères qui en ont désiré la crème pour leurs enfants et non pour des jeunes filles de haute naissance.

Le blanc signifie le lait. Il est connu que lorsque le veau est tué, la vache dépérit pour lui et reste éveillée des nuits entières. Sa viande est mangée et le lait qu'il aurait sucé est prodigué aux propriétaires de sa mère. Quel préjudice alors peut-il y avoir à s'abstenir de tuer le veau et à refuser de se servir du lait? On ne doit pas accuser un tel homme d'illégalité; il fait preuve au contraire de ferveur religieuse et de clémence envers la victime et il espère qu'il pourra être récompensé, pour son abstinence, par le pardon du Créateur. Et s'il est dit que le Très-Haut distribue ses dons également entre ses serviteurs, quel péché ont donc commis ces victimes qui seraient ainsi exclues de sa grâce?

N'attaquez pas non plus les oiseaux quand ils sont occupés avec leurs œufs, car le brigandage est le pire des crimes.

Le Prophète a défendu de chasser la nuit. Je trouve que c'est une des deux interprétations du commandement : « Laissez les oiseaux dans leurs nids. » C'est dans le Coran aussi qu'est le verset : « O vous qui croyez, ne tuez pas de gibier pendant que vous êtes en pèlerinage ; si quelqu'un de vous tue à dessein quoi que ce soit, il doit payer en bétail la valeur de ce qu'il a tué. »

L'homme, si peu doué de bon sens soit-il, qui entend cette tradition, ne peut pas être blâmé s'il aspire à gagner la faveur du Maître du ciel et de la terre en traitant le gibier légal comme gibier illégal, quoique le premier ne soit pas défendu.

Laissez le miel pour lequel les abeilles affairées sortent de si bonne heure afin de le recueillir sur les fleurs brillantes.

Puisque les abeilles luttent si énergiquement pour protéger leur miel du collecteur, il n'y a pas de préjudice pour un homme qui s'en abstiendrait et désirerait placer l'abeille dans la même catégorie que les autres créatures qu'il n'aime pas voir tuer pour être mangées ni voir leurs moyens de vivre pris pour nourrir et engraisser des femmes et d'autres êtres humains. Les poètes ont décrit ceux dont je veux parler. Aboû Dhi'b parle ainsi du collecteur de miel :

Quand les abeilles le piquent, il se soucie peu de leurs aiguillons, mais il lutte pour parvenir à la ruche.

On raconte d’Alî qu'il possédait un sac de farine d'orge, ordinairement ficelé; seulement quand il jeûnait, il n'en avait aucun de fermé. Quoiqu'il eût une grande quantité de grains, il avait l'habitude de le distribuer en aumônes et se contentait du minimum. Un ascète disait aussi dans un sermon qu'il avait recueilli la valeur de 50.000 dinars de grain dans l'année, mais qu'il avait tout distribué. C'est ce qui nous montre que les Prophètes et les célèbres personnages se sont toujours limités, de manière à employer leur superflu pour les indigents.

Vous avez même objecté qu'un végétarien devait être blâmé. Si l'on devait appliquer ce principe, on ne devrait pas non plus faire d'autres prières que celles prescrites, car les prières supplémentaires causent un tourment inutile que Dieu ne peut approuver. De même, quand un homme opulent a dépensé le quarantième de sa fortune en aumônes, il ne doit pas donner plus. Il y a alors beaucoup de passages dans le Coran où la prodigalité est recommandée.

Voici une réponse suffisante pour votre humble serviteur. Devrais-je paraître en votre présence : vous sauriez qu'il ne reste rien à demander ni à répondre. Car mes membres se refusent à s'associer à moi pour m'aider : je ne puis me tenir debout pour faire la prière ; mais pour prier assis, Dieu m'assiste. J'aurais volontiers atteint le degré de force nécessaire pour me traîner avec un bâton.

(Quelques vers tirés des poètes arabes, dit Yâkoût, sont cités relativement à son infirmité).

Quand je suis couché, je ne peux pas m'asseoir, et ne trouve pas d'assistance. Quand mon aide allonge sa main pour me soulever, mes os, qui sont dépouillés de chair, craquent.

Quant au vers de Motanabbî que vous citez, quelqu'un qui cherche un guide chez une si faible créature que je le suis, ne peut qu'être comparé à celui qui cherche des dattes sur des chardons. Ce qui vous a poussé à le faire, c'est cette confiance qui dénote une nature noble, une âme élevée, une haute éducation et un caractère intègre.

Votre proposition aussi d'écrire pour faire augmenter ma pension est également une preuve de cette générosité que vous avez héritée d'ancêtres innombrables, remontant aux origines du monde. Je n'ai aucun désir d'augmentation, aucun désir de retrouver un luxe, dont l'abstinence est devenue pour moi une seconde nature.

Pendant quarante-cinq ans, en effet, je n'ai pas goûté de viande, et un vieillard ne quitte ses habitudes que lorsqu'il est recouvert de la poussière de la tombe. L'excellent « Diadème des Princes, Orgueil du royaume, Pilier de la souveraineté, Armes et Gloire de la dynastie, doublement glorieux » est, je le sais, l'égal de tous les fils de Sem, Cham et Japhet et je verrais volontiers la citadelle d'Alep et toutes les montagnes de la Syrie changées en or et dépensées en aumônes par le Diadème des Princes et Pilier de la dynastie prophétique, sur la tête de qui soit la paix, comme aussi sur ses illustres ancêtres, sans qu'un liard en parvienne jusqu'à moi. En vérité, je serais même confus si le Diadème des Princes me regardait comme quelqu'un qui soupire après ce monde d'ici-bas, c'est-à-dire après quelque chose qui est déjà dans le passé. Je serai satisfait si, lors de ma comparution devant Dieu tout-puissant, je ne suis chargé de rien de plus que de mon abstinence de viande. Si je parvenais à ce résultat, je serais béni.

(Il cite quelques anecdotes et raisons pour excuser ses rimes).

Puisse votre cause être toujours accompagnée du succès et votre pouvoir aller toujours en montant, comme dit Tha'laba, fils de Sou'aîr :

Combien de méchants et d'hommes injustes dont les poitrines sont bouillies avec de fallacieuses erreurs, pourrais-je tourmenter et réduire au silence par la triomphante vérité!

Discuteriez-vous avec Aristote, vous voudriez le confondre, ou avec Platon, vous rejetteriez ses arguments bien loin!

Que Dieu glorifie sa loi par votre vie et fortifie sa religion par vos arguments. Dieu me suffit; il est le meilleur des remplaçants.


 

NOTES

iv. Les deux Simâk appartiennent toutes deux à ]a constellation du Bouvier. La plus élevée est appelée As-Simâk ar-Râmih, « Simâk armée de la lance »: c'est l'étoile Arcturus.

viii. La Kibla étant la direction de la Mecque, «celui dont la Kibla est à l'Orient » désigne le vrai croyant.

xi. Le texte dit : « Une bande de Hadjarites », de la ville de Hadjar, capitale du Bahreïn, sur le golfe Persique. C'était le berceau de la puissance des Karmates, secte dissidente de l'Islamisme, dès les premiers siècles de l'hégire.

Le malheur dont l'Islam est atteint est ici la mort du sultan Bouyide Aboû Kâlidjâr en 440 de l'hégire.

xiii. L'éclipsé, id est le trépas.

xxii. Al-'Awacîm, « les lieux prohibés », était le nom de la province de Syrie située au sud d'Alep, et dont dépendait Ma'arrat an-No'mân. Sa capitale était Antioche.

xxiii. Les Hanéfites, disciples d'Aboû-Hanîfa, étaient la secte la plus répandue à Bagdâdh, en Mésopotamie et en Syrie. Dans ce vers, le mot Hanéfites désigne tous les musulmans en général.

xxv. Allusion à l'épithète « la Charîk lahou », sans associé, que l'on ajoute souvent au nom d'Allah, pour prévenir les objections polythéistes.

xxvi. Il y a là certainement un vague souvenir de la doctrine développée dans le Phédon. Les Arabes, qui ont très peu connu Platon, attribuent à Aristote toutes les doctrines qui leur sont venues de l'antiquité.

L'ange dont il est parlé dans cette pièce est sans doute une allusion aux deux anges de la mort, Nakîr et Mounkir, qui font subir au mort un interrogatoire dans le tombeau. C'est l'opinion de von Kremer.

xxix. La première partie de cette pièce contient une allusion au dogme de la transmigration des âmes, auquel Aboû'l-'Alâ ne paraît pas avoir cru. Dans la seconde partie, il veut parler de sa répugnance pour la procréation.

xxxiii. Il y a là une critique du dogme de la prédestination, soutenu à cette époque par une bonne moitié des docteurs musulmans.

xlii. Un poète Râdjiz est celui qui fait des pièces de vers tout entières du mètre Radjaz. Un Châ’ir est un poète par excellence, qui emploie tous les mètres et auprès duquel le premier pourrait être qualifié de rimeur ou de poétaillon.

xlvi. Radwâ est une montagne qui se dresse à pic entre la Mecque et Médine.

l. Yathrîb était l'ancien nom de la ville de Médine, qui s'appela Madînat an-Nabî, « la ville du Prophète », lorsque le prophète Mouhammad s'y réfugia après s'être enfui de la Mecque. Les trois morceaux suivants font suite à celui-ci.

lvii. Cette pièce et la suivante font suite à la pièce lvi.

lxii. L’abâ est une sorte de robe en laine ou en poil de chameau, à longues raies noires et blanches, ouverte par devant, sans collet et sans manches. C'est ordinairement le costume des paysans; elle est remplacée par la Galabieh en Egypte, Djallâba dans le Maghreb.

lxiii. L’alanda et le kibâ sont deux arbrisseaux à épines que l'on trouve dans certaines parties du désert d'Arabie.

lxiv. L'auteur veut dire par là que sa chaîne généalogique s'arrêtera à lui.

lxv. Cette pièce et la suivante font suite à la pièce lxiv.

lxviii. Le Kathâ est un oiseau, semblable à un pigeon, qui vit dans les déserts d'Arabie et d'Egypte. Son nom lui vient du cri Katha qu'il fait entendre plusieurs fois de suite. Il vole toujours à une allure très rapide et il est difficile de le surprendre.

lxxii. Cette poésie et la Kasîda suivante sont extraites du Sakt az-zand.

lxxiii. Il y a dans cette poésie, au commencement, un mauvais jeu de mots, fondé sur ce que les mêmes consonnes k. r. m. signifient à la fois la vigne (Karm) et la générosité (Karam).

Âna est une île de l'Euphrate et une ville autrefois célèbre entre Rahbeh et Hît. Elle était fameuse pour ses vins que l'on appelait 'Anyya, « la liqueur d'Ana ».

L'étranger dont il est question ici portait des vêtements noirs, comme le font souvent les voyageurs, parce que le noir est moins salissant. D'après les commentateurs, cet étranger se serait plaint à Aboù'l-'Alâ de son embarras et des ennuis que lui attirait sa qualité d'étranger.

Il y a encore un jeu de mots à la fin de la Kasîda. Le mot dhamma signifie « fermer, réunir » et « affecter une consonne de la voyelle o. » Le verbe, à la 3e personne du passé, ne se termine jamais par la voyelle o.

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(Lettre n° 1). Cette lettre date de l'an 400 de l'hégire. Elle a été publiée et traduite en anglais dans Margoliouth, op. cit., p. 42.

Bakkah est une bourgade de Syrie. Cette expression, qui s'emploie lorsqu'on parle d'une résolution irrévocablement décidée, est attribuée à Kasir, fils de Sa'd le Lakhmite, qui l'aurait dite à Djadhimah Al-Abrach, lorsqu'il tomba entre les mains d'Al-Zabba. Cf. Maîdânî, I, p. 74.

Fanîk est une étoile isolée dans la constellation du Taureau.

Les Grecs faisaient à cette époque de fréquentes incursions dans la région d'Alep et de Ma'arrat, de connivence très souvent avec les princes musulmans de la région, qui étaient toujours en lutte les uns contre les autres.

(Lettre n° 2). Kouthayyir, poète mort en 105 de l'hégire, était célèbre pour son amour pour 'Azza, des Banoû-Damrah.

Le proverbe : « Tous les deux et des dattes en plus », est supposé avoir été dit par un homme qui offrit trois choses à quelqu'un qui ne lui en avait demandé que deux.

« Quand ils dépensent... » Passage du Coran, xxv, v. 67.

(Lettre n° 3). Publiée et traduite par Margoliouth (article cité sur le végétarianisme d'Aboû'l-'Alâ al-Ma'arrî.) Nous avons parlé dans notre étude sur la vie d'Aboû'l-'Alâ de cette correspondance avec Hibat Allah ibn abî 'Imrân, qui a été rapportée par Yâkoût d'après Ibn Al-Habbâryyat. Hibat Allah, ayant lu la Louzoûmyyat, avait écrit le premier à Al-Ma'arrî pour lui demander quelques éclaircissements sur les doctrines végétariennes qui y sont exposées.

Les vers commençant par « Oumm Bakr est venue... » sont attribués par ibn Hishâm à Sheddâd ibn al-Aswad, après la bataille de Badr, où le Prophète Mouhammad détruisit l'armée des Koreîshites coalisés.

Ibn Kabshah était un surnom donné au Prophète par les païens de la Mecque. Il y a là une allusion aux promesses que le Prophète faisait à ses disciples et que les Koreîshites taxaient de mensonges.

(Lettre n° 4). Cette lettre commence par de longs compliments que nous avons omis. Les vers cités et commentés par Aboù'l-'Alâ sont tirés de la Louzoûmyyat. Les épithètes pompeuses « Diadème des Princes, Orgueil du royaume, etc. » désignent, comme nous l'avons dit, le vizir Sadakat ibn Yoûsouf al-Fallâhî, qui mourut en 440, sous le khalifat d'Al-Moustansir. Cette énumération d'épithètes peut paraître ironique sous la plume d'Al-Ma'arrî, qui n'a plus rien à demander aux grands de ce monde.


 

BIBLIOGRAPHIE[1]

LOUZOÛMYYAT :

Von Kremer : Kulturgeschichte d. Araber, (1877), II, p. 386-396.

— Abhandlungen über die philosophischen Gedichte des Abu'l-Alâ (Sitzungsberichte der Kaiserlichen Akademie der Wissenschaften zu Wien, Hist. phil. Klasse, CXVII, 6te Abhand. 1889).

— Philosophische Gedichte. Zeitschrift der deutschen Morgenländischen Gesellschaft, XXIX, p. 304-312 ; XXX, p. 40-52; XXXI, p. 471-483; XXXVIII, p. 498-529, Sitzungsberichte, XCIII, p. 636-640.

SAKT AZ-ZAND :

Fabricius : Dantzig, 1638.

Golius : Erpenius, Arabic grammar, 1656.

De Sacy : Chrestomathie arabe, 2e éd., Paris, 1827, III, p. 81-121.

J. Vullers : Harethi Moallaca et Abulolae carmina duo inedita, 1827.

Von Hammer : Literaturgeschichte der Araber, VI, p. 900- 972.

LETTRES :

D. S. Margououth : The Letters of Abu'l'-Alâ (Anecdota oxoniensia. Semitic series, part. X).

Abu'l-'Alâ al-Ma'arri's correspondence on Vegetarianism (Journal of the Royal asiatic Society, april 1902).

ÉTUDES BIOGRAPHIQUES ET LITTÉRAIRES :

C. Rieu : De Abu'l-'Alâ poetae vita et carminibus, Bonn, 1843.

Von Hammer : op. cit., VI, p. 900-972.

Pococke : Specimen Historiae Arabum, p. 42.

Abulfida-. Annales, éd. Reiske, III, p. 163-165.

Weil : Geschichte der Khalifen, III, p. 72.

Ibn Khallikan : Biographical dictionary, trad. De Slane, I, p. 94-98.

Goldziher : Zeitschrift der deutschen Morgenländischen Gesellschaft, XXIX.

Abhandlungen zur arabischen Philologie (1896).

Yakoût. Dictionary of Litterateurs (MS. Bodleian Library, Or. 753).

Safadi : Ms. Arch. A. 21 et 26.

Dhahabi : Târîkh al-lslâm (Ms. Br. Muséum, Or. 50).

EDITIONS ORIENTALES :

Sakt az-Zand, avec commentaire Tanwîr de Tabrîzî, Boûlâk, 1286. in-8. Louzoûm ma la yalzam. Le Caire, 1891, et Bombay, 1303. In-4, lithog.

Rasâîl, éd. Beyroût, 1894. In-8.


 

TABLE DES MATIERES

Introduction

Extraits des Vers d'Aboù'l-'Alà

Extraits des Lettres d'Aboû'l-'Alà

Notes

Bibliographie

 

 

 


 

[1] De nos jours on trouve également les ouvrages suivants : L'épître du pardon, de Abû'l-'Alâ al-Ma'arrî traduit par Vincent Monteil, 1984 ; Les Impératifs. Poèmes de l'Ascèse. Édition bilingue, traduit par Hoa Hoï Vuong et Patrick Mégarbané, 2009.