Alathyr

IBN-ALATHYR

 

ANNALES DU MAGHREB ET DE L'ESPAGNE

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Traduction française : Mr. ED. FAGNAN

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

ANNALES DU MAGHREB & DE L'ESPAGNE

IBN EL-ATHIR

Revue Africaine, 1897.

 

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Troubles d'Espagne

En 148 (26 février 765), eut lieu une révolte de Sa'îd Yah'çobi, connu sous le nom d’'El-Mat'ari,[153] dans la ville de Niébla, en Espagne. [P. 450] Un jour qu'il était ivre, le souvenir de ses contribules yéménites massacrés avec El-'Alâ se présenta à son esprit, et il se mit à nouer un étendard ; revenu de son ivresse et ne se souvenant plus de rien, il voulut d'abord, quand on lui eut expliqué ce qu'était cet étendard, le faire enlever ; puis il s'écria : « Est-ce donc moi qui irais nouer un drapeau pour ensuite le dénouer sans rien faire ? » Et il se révolta. Entouré des Yéménites qui se rallièrent à lui, il s'empara de Séville, et la force de son armée devint considérable. A l'approche d’'Abd er-Rah'mân et de ses troupes, El-Mat'ari se retrancha dans le fort de Za'wâk',[154] le 11 rebî' I (6 mai 765). 'Abd er-Rah'mân l'y assiégea et le serra de près, mais les révoltés ne le laissèrent pas pénétrer. Ghiyâth[155] ben 'Alk'ama Lakhmi, qui était à Sidona, avait fait cause commune avec les révoltés, et nombre de chefs berbères s'étaient joints à lui pour renforcer El-Mat'ari. A cette nouvelle, 'Abd er-Rah'mân envoya contre eux une armée commandée par son affranchi Bedr, qui les empêcha d'opérer leur jonction avec El-Mat'ari. Celui-ci, qui continuait d'être assiégé, voyait diminuer son armée par la mort et la défection ; il fut un jour tué en faisant une sortie, et sa tête fut portée à 'Abd er-Rah'mân. Le siège n'en continua pas moins, car les assiégés choisirent pour chef Khalîfa ben Merwân ; mais bientôt ils firent demander grâce à 'Abd er-Rah'mân en s'offrant à lui livrer Khalîfa. L'émir ayant accepté, on lui livra le fort et Khalîfa : le fort fut détruit, Khalîfa et ses compagnons mis à mort.[156]

De là, il marcha contre Ghiyâth, complice de la révolte d'El-Mat'ari. Assiégés et serrés de près, les rebelles demandèrent grâce. Leurs propositions furent accueil lies, sauf en ce qui concerne les individus signalés par leur haine contre le gouvernement omeyyade et sur lesquels on fit main basse.

'Abd er-Rah'mân était rentré à Cordoue quand éclata la révolte d’Abd Allah ben Kherâcha Asadi, dans le canton de Jaén.[157] Avec les troupes qu'il avait réunies, ce chef tenta une expédition contre Cordoue ; mais à l'approche du corps d'armée envoyé par 'Abd er-Rah'mân, ces troupes se dispersèrent, et leur chef dut faire sa soumission à l'émir, qui d'ailleurs tint sa parole.

[P. 451] En 149 (15 février 766), 'Abd er-Rah'mân envoya son affranchi Bedr en expédition en pays ennemi [chrétien]. Bedr y pénétra et y préleva la capitation.

Aboû' ç-Çabbâh' H'ayy ben Yah'ya, ayant été destitué de son poste de gouverneur de Séville, se révolta ; mais 'Abd er-Rah'mân entama avec lui des négociations insidieuses et sut l'amener à sa cour, puis il le fit mettre à mort.[158]

[P. 454] En 150 (15 février 767), se révolta en Espagne, dans un lieu éloigné, Ghiyâth ben el-Mosîr,[159] contre qui marchèrent de nombreuses troupes levées par les gouverneurs (des diverses provinces), à l'effet de défendre l'autorité d’Abd er-Rah'mân. Les rebelles furent battus et forcés de s'enfuir ; Ghiyâth fut tué, et sa tête envoyée au prince, à Cordoue.

[P. 455] En 151 (25 janvier 768), El-Mançoûr enleva le gouvernement du Sindh à 'Omar ben H'afç ben 'Othmân ben K'abîça ben Abou Çofra, surnommé Hezârmerd, nom qui (en persan) signifie « mille hommes », pour lui confier celui de l'Ifrîkiyya……

[P. 457] Gouvernement d’'Aboû Dja'far 'Omar ben H'afç en Ifrîkiyya

En 151 (25 janvier 768), El-Mançoûr nomma au gouvernement de l'Ifrîkiyya Abou Dja'far 'Omar ben Hafç, descendant du frère d'El-Mohalleb, c'est-à-dire de K'abîça ben Abou Çofra ; nous rapportons cette généalogie à cause de la notoriété d'El-Mohalleb.[160] La nomination d’Omar eut pour cause les craintes conçues par El-Mançoûr au sujet de cette province, à la suite de la mort violente d'El-Aghlab ben Sâlim. Il gagna Kayrawân en çafar 151 (24 février 768), à la tête de cinq cents cavaliers, et les principaux de la vilha, s'étant réunis autour de lui, furent traités par lui avec honneur et générosité. Il s'installa dans cet endroit, et pendant trois ans tout marcha bien. [P. 458] Il se rendit alors dans le Zâb, d'après l'ordre d'El-Mançoûr, pour y reconstruire la ville de Tobna,[161] et laissa à Kayrawân H'abîb ben H'abîb Mohallebi. L'Ifrîkiyya se trouvant ainsi dépourvue de djond, les Berbères en profitèrent pour se révolter, et H'abîb, en voulant les combattre, fut tué. Les Berbères se concentrèrent à Tripoli et choisirent pour chef Abou H'âtim l'Ibâd'ite, qui était un client de Kinda et s'appelait Ya'koûb ben H'abîb. El-Djoneyd ben Bechchâr Asadi,[162] lieutenant d’'Omar ben H'afç à Tripoli, demanda à son chef des secours avec lesquels il pût combattre Abou H'âtim ; il en obtint, mais il fut battu et se réfugia à Gabès, où son vainqueur l'assiégea, tandis qu’'Omar, toujours au Zâb, s'occupait de reconstruire T'obna. Une insurrection générale éclata alors en Ifrîkiyya, et bientôt T'obna fut assiégée par douze armées, entre autres celle d’'Aboû K'orra le Çofrite, composée de 40.000 hommes ; celle d’'Abd er-Rah'mân ben Rostem, qui en comptait 15.000 ; celle d’'Aboû Hâtîm, qui était très importante ; celle d’'Açim Sedrâti[163] l'Ibâd'ite, composée de 6.000 hommes ; celle d’'El-Mas'oûd[164] Zenâti l'Ibâd'ite, formée de 10.000 cavaliers, etc. 'Omar ben H'afç, qui voulait se dégager de vive force, en fut empêché par les siens, qui lui représentèrent que sa mort entraînerait celle de tous les Arabes qui l'accompagnaient. Il eut alors recours à la ruse et fit offrir à Abou K'orra, chef des Çofrites, de lui payer sa retraite 60.000 dirhems,[165] mais ce chef refusa : « Alors, dit-il, que depuis quarante ans on me salue du titre de khalife, irais-je donc, pour un misérable intérêt matériel, renoncer à vous combattre ? » 'Omar s'adressa alors au frère d’'Aboû K'orra, à qui il fit remettre 4.000 dirhems et des vêtements pour l'engager à éloigner les Çofrites de son frère. Le marché fut accepté, et ce chef, ayant décampé la nuit même, fut suivi par les troupes qui regagnèrent leurs foyers, de sorte qu’'Aboû K'orra dut faire comme eux. Après le départ des Çofrites, 'Omar envoya contre Ibn Rostem, alors chez la tribu berbère des Tehoûda, des troupes qui le battirent et le firent fuir à Tâhert.

La résistance d’'Omar porta un coup à la situation des Ibâd'itès, qui, laissant T'obna, se portèrent sur Kayrawân et l'assiégèrent sous la direction d'Aboû H'âtim, pendant qu’'Omar, toujours à T'obna, remettait sur pied les affaires de cette ville et la protégeait contre les attaques des hérétiques (khawâridj) du voisinage. Mais quand il apprit la détresse de Kayrawân, il-marcha au secours de cette ville, [P. 459] en ayant soin de laisser quelques troupes à T'obna. Abou K'orra, désireux de profiter du départ d’'Omar ben H'afç, alla bloquer T'obna ; mais la garnison fit une sortie, le battit et lui tua beaucoup de monde.

Aboû H'âtim, qui disposait de nombreuses troupes, avait établi un blocus sévère autour de Kayrawân, dont le trésor était vide d'argent et les greniers vides de vivres, car le siège durait depuis huit mois. Le djond faisait matin et soir des sorties contre les hérétiques ; la faim le pressait et l'avait réduit à manger les bêtes de somme et jusqu'aux chiens ; beaucoup des habitants étaient allés rejoindre les Berbères, si bien que les hérétiques n'avaient plus qu'à entrer dans la ville. Alors se répandit la nouvelle qu’'Omar ben H'afç arrivait de T'obna : ce chef, avec ses sept cents hommes, campa d'abord à Laribus,[166] et tous les hérétiques, abandonnant Kayrawân, marchèrent contre lui. Mais 'Omar se porta vers Tunis, entraînant les Berbères à sa suite, puis revenant promptement vers Kayrawân, il y fit entrer les approvisionnements nécessaires en vivres, montures, bois, etc. Mais il se trouva lui-même assiégé par Abou H'âtim et les Berbères, et cela dura assez longtemps pour que ses guerriers dussent se nourrir de leurs chevaux tout en soutenant des combats incessants et quotidiens. Comme la situation devenait intenable, 'Omar annonça aux siens qu'il avait formé le plan de forcer la ligne des" assiégeants pour aller chercher des vivres en pays berbère et les leur ramener. Mais ils lui objectèrent qu'ils craignaient de rester sans lui, et il proposa alors d'envoyer, à cet effet, deux chefs qu'il désigna ; la proposition fut acceptée, mais ces deux chefs déclarèrent ne pas vouloir le laisser dans le camp assiégé et se séparer de lui. Il résolut alors de se jeter au-devant de la mort : en vain apprit-il qu'El-Mançoûr lui envoyait Yezîd ben H'âtim ben K'abîça[167] ben el-Mohalleb, à la tête de 60.000 hommes, et lui conseillât-on d'attendre l'arrivée de ces forces avant de combattre, il ne voulut rien entendre et se fit tuer les armes à la main, le 15 doû'l-hiddja 154 (27 novembre 771).[168]

Il fut remplacé dans son commandement par son frère utérin H'omeyd[169] ben Çakhr, qui conclut avec Abou H'âtim un arrangement aux termes duquel ni lui ni les siens ne cesseraient de reconnaître El-Mançoûr et ne seraient inquiétés par Abou H'âtim en ce qui touchait le noir (livrée des Abbâssides) de leurs vêtements ou leurs armes. On livra donc la place au chef berbère, [P. 460] qui fît brûler les portes de cette ville et en démantela les murailles. La plus grande partie du djond se retira à T'obna.

Aboû H'âtim, apprenant l'arrivée de Yezîd ben H'âtim, se rendit à Tripoli et laissa l'ordre à son lieutenant à Kayrawân de désarmer et de disperser les hommes du djond. Mais certains de ses partisans refusèrent de commettre cette déloyauté : 'Omar ben 'Othmân Fihri, qui était à leur tête, s'insurgea à Kayrawân et massacra les partisans d'Aboû H'âtim.[170] Le retour de ce dernier fit fuir 'Omar ben ‘Othmân à Tunis, et Abou H'âtim regagna alors Tripoli pour y tenir tête à Yezîd ben H'âtim. On dit que trois cent soixante-quinze combats furent livrés entre les troupes du djond et les hérétiques, depuis le soulèvement de ceux-ci contre 'Omar ben H'afç jusqu'à leur soumission complète.

Gouvernement de Yezîd ben H'âtim en Ifrîkiyya. Ses combats contre les hérétiques.

Lorsqu'El-Mançoûr apprit la situation d’'Omar ben H'afç aux prises avec les hérétiques, il fit équiper une armée de 60.000 cavaliers, dont il confia le commandement à Yezîd ben H'âtim ben K'abîça ben Abou Çofra. Quand, en 154 (23 décembre 770), ces troupes approchèrent d'Ifrîkiyya, une partie du djond de cette province vint les joindre, et le tout réuni marcha sur Tripoli. Abou H'âtim se retira alors dans les montagnes de Nefoûsa et mit en fuite un corps de troupes envoyé par Yezîd à Gabès et qui dut par suite rallier le gros de l'armée. Abou H'âtim, qui s'était installé dans un lieu difficile qu'il avait couvert d'un fossé, y fut attaqué par Yezîd, en rebî' I 155 (9 février 772),[171] et à la suite d'une lutte sanglante fut vaincu : ses troupes se débandèrent, Abou H'âtim lui-même et ses auxiliaires, au nombre de 30.000, perdirent la vie dans la bataille, sans parler de l'affreux carnage dont les fuyards, poursuivis à travers plaines et montagnes, furent les victimes. La famille d'El-Mohalleb, en représailles de la mort d’'Omar ben H'afç, égorgeait tous les hérétiques, et Yezîd, après un mois de séjour consacré à des exécutions, retourna à Kayrawân. 'Abd er-Rah'mân ben H'abîb ben 'Abd er-Rah'mân F'ihri, qui était avec Abou H'âtim, s'enfuit chez les Ketâma, contre qui Yezîd envoya des troupes ; les Berbères bloqués furent défaits et subirent des pertes très sensibles, mais 'Abd er-Rah’mân put s'enfuir après avoir vu périr tous les siens.

L'Ifrîkiyya, ainsi pacifiée, jouit de la sage administration de Yezîd, qui lui procura la tranquillité jusqu'à [P. 461] la révolte des Ourfeddjoûmâ, dans le Zâb, en 164 (5 septembre 780), sous la direction d'Ayyoûb le Hawwarite. Il envoya contre eux une forte armée commandée par Yezîd ben Medjzâ' Mohallebi, qui fut battu et qui périt avec nombre des siens. El-Mokhârik' ben Ghaffâr, chef du Zâb, fut également tué, et Yezîd l'ayant remplacé par El-Mohalleb ben Yezîd Mohallebi, envoya des renforts importants sous la conduite d’'El-'Alâ' ben Sa'îd Mohallebi. Les fuyards rallièrent ces troupes fraîches, qui livrèrent une sanglante bataille aux Ourfeddjoûmâ et restèrent victorieuses : Ayyoûb fut tué et les Berbères furent égorgés jusqu'au dernier, tandis que le djond ne perdit pas un seul des siens.[172]

Yezîd mourut en ramadan 170 (23 février 787), après avoir gouverné quinze ans et trois mois en Ifrîkiyya, dont il laissa le gouvernement à son fils Dâwoûd.

[P. 463] Révolte de Chak'yâ[173] en Espagne

En 151 (25 janvier 768) se révolta dans l'Espagne orientale un Berbère de Miknâsa, nommé Chak'yâ ben 'Abd el-Wâh'id, qui était maître d'école. Sa mère s'appelant Fât'ima, il prétendit descendre de Fât'ima par H'oseyn, et il prit le nom d’'Abd Allah ben Mohammed. De nombreux Berbères vinrent le rejoindre à Sontebria,[174] où il s'était fixé, et il acquit une grande puissance. Sans tenir tête à 'Abd er-Rah'mân l’Omeyyade quand celui-ci marcha contre lui, il se déroba dans les montagnes, d'où il descendait quand il croyait n'avoir rien à craindre et où, au moindre danger, il remontait dans des endroits presque inaccessibles. H'abîb ben 'Abd el-Melik, nommé par 'Abd er-Rah'mân au gouvernement de Tolède, chargea de l'administration de Sontebria Soleymân ben 'Othmân ben Merwân[175] ben Abân ben 'Othmân ben 'Affân, avec mission de réduire Chak'yâ. Alors celui-ci descendit à Sontebria, se saisit de Soleymân et le tua, ce qui eut pour effet d'augmenter sa puissance et sa renommée ; il s'empara de la région de Coria[176] et ravagea le pays.

En 152 (13 janvier 769), 'Abd er-Rah'mân l'Omeyyade se mit lui-même à la tête de l'armée, mais Chak'yâ se déroba et ne put être réduit, de sorte qu’'Abd er-Rah'mân dut se retirer. En 153 (3 janvier 770), Chak'yâ s'enfuit devant l'armée commandée par Bedr l'affranchi, et abandonna sa forteresse de Chebat'rân.[177] En 154 (23 décembre 770), il ne tint pas tête à l'armée que conduisit contre lui 'Abd er-Rah'mân en personne. En 155 (12 décembre 771), Chakyâ employa la ruse contré les troupes qui marchèrent contre lui, et que commandait Abou 'Othmân 'Obeyd Allah ben 'Othmân, [P. 464] et sut les détacher de leur chef. 'Obeyd Allah dut fuir, son camp fut pillé et plusieurs Omeyyades qui faisaient partie de l'expédition furent tués. Dans le cours de la même année, après avoir pillé le camp d' 'Obeyd Allah, Chak'yâ marcha contre le fort des Hawwâri, appelé Medâ'in,[178] où se trouvait un gouverneur nommé par 'Abd er-Rah’mân ; il sut l'attirer dehors par la ruse, le tua et lui enleva ses chevaux, ses armes et tout ce qu'il avait.

[P. 465] En 152 (13 janvier 769), El-Mançoûr fit exécuter Hâchim ben el-Asâdjidj, qui s'était révolté en Ifrîkiyya et qui lui fut envoyé.[179]

En la même année, le gouvernement de l'Egypte fut enlevé à Yezîd ben H'âtim et donné à Mohammed ben Sa’id.

[P. 467] En 154 (23 décembre 770), El-Mançoûr…. envoya en Ifrîkiyya Yezîd ben H'âtim ben K'abîça ben el-Mohalleb ben Abou Çofra avec 50.000 hommes pour combattre les hérétiques qui venaient de tuer 'Omar ben H'afç.

[P. 468] Yezîd ben H'âtim était, en 154, gouverneur d'Ifrîkiyya.

[Tome VI, p. 4] En 155 (12 décembre 771), Yezîd ben H'âtim entra en Ifrîkiyya, tua Abou H'âtim et se rendit maître de Kayrawân et tout le Maghreb. Le récit détaillé de sa campagne et de ses combats a été donné plus haut.

[P. 4] En 155, les hérétiques Çofrites, réunis à Sidjilmâsa et mécontents de plusieurs actes de leur émir 'Isa ben Djerîz, l'enchaînèrent et l'exposèrent au sommet de la montagne, où ils le laissèrent mourir. Ils mirent à leur tête Abou'l-K'âsim Semkoû ben Wâsoûl de Miknâsa, aïeul de Midrâr.[180]

En la même année naquit à Kayrawân le juriste mâleki Abou Sinân.

Révolte des Sévillans contre 'Abd er-Rah'mân l'Omeyyade

En 156 (1er décembre 772), 'Abd er-Rah'mân l'Omeyyade, souverain d'Espagne, partit en guerre contre Chak'yâ et alla attaquer le fort de Chebat'rân., où il le tint d'abord étroitement assiégé ; mais Chak'yâ parvint, comme toujours, à gagner son refuge habituel. 'Abd er-Rah'mân reçut alors de son fils Soleymân, qui le remplaçait pendant son absence à Cordoue, des lettres lui annonçant la révolte des Sévillans, commandés par 'Abd el-Ghaffâr et H'ayât ben Molâmis,[181] chefs qui marchaient d'accord avec les Yéménites établis dans la ville. [P. 5] 'Abd er-Rah’mân revint sur ses pas, mais n'entra pas à Cordoue, effrayé qu'il était par ce qu'on disait de l'union et du nombre des rebelles. Il mit en avant son cousin paternel 'Abd el-Melik ben 'Omar, le plus intrépide guerrier de la famille de Merwân, et lui-même resta en arrière, prêt à lui porter secours au besoin. En approchant des Sévillans, 'Abd el-Melik envoya son fils Omeyya en reconnaissance ; celui-ci, qui les trouva éveillés (et sur leurs gardes), retourna auprès de son père, qui, le blâmant de sa faiblesse, lui fit trancher la tête. Alors, réunissant les gens de sa famille et ses intimes, il leur tint ce langage : « A nous, proscrits de l'Orient arrivés dans ce lointain pays, on nous dispute encore la bouchée nécessaire pour nous conserver le souffle ; brisons plutôt le fourreau de nos épées, car il faut vaincre ou mourir ! » Ainsi firent-ils, et chargeant à leur tête il infligea aux Yéménites et aux Sévillans une défaite complète, si bien que désormais il ne resta plus aux Yéménites aucun pouvoir. A la nouvelle qu' 'Abd el-Melik était blessé, 'Abd er-Rah'mân vint trouver son parent, dont la blessure saignait, tandis que sa main restait fixée à la poignée de son épée, toute, dégoutante de sang ; il l'embrassa sur les yeux et le récompensa magnifiquement : « Cousin, lui dit-il, je prends ta fille une telle pour épouse de Hichâm, mon fils et héritier, je lui donne telle chose, à toi telle autre, à tes enfants telle autre ; toi et eux vous aurez tels fiefs, et je vous prends pour mes vizirs ».

C'est cet 'Abd el-Melik qui força 'Abd er-Rah'mân à cesser la récitation du prône au nom d'El-Mançoûr, le menaçant, autrement, de se tuer. Le prône au nom d'El-Mançoûr fut ainsi interrompu au bout de dix mois.[182]

Quant aux deux chefs de la révolte, 'Abd el-Ghaffâr et H'ayât ben Molâmis, ils purent s'échapper sains et saufs.[183] Mais en.157 (20 novembre 773), 'Abd er-Rah'mân entra à Séville et fit un grand massacre des partisans de ces deux chefs. C'est par suite de cette affaire et de la haine qu'elle suscita chez les Arabes, qu’'Abd er-Rah’mân se mit à faire des achats d'esclaves ou mamlouks.[184]

[P. 5] Troubles suscités en Ifrîkiyya par les hérétiques

Nous avons dit qu'Abd er-Rah'mân ben H'abîb, fils de l'émir d'Ifrîkiyya, s'était joint aux hérétiques et que, forcé de prendre la fuite, il s'était réfugié chez les Ketâma, ce qui avait motivé l'envoi par Yezîd ben H'âtim, émir d'Ifrîkiyya, d'une armée qui l'avait pour suivi et avait combattu les Ketâma. En 156 (1er décembre 772), [P. 6] Yezîd envoya des secours aux troupes déjà engagées, si bien qu' 'Abd er-Rah'mân, serré de très près, dut abandonner son refuge et s'enfuir. Les troupes en question cessèrent de le poursuivre.

En la même année, Abou Yah'ya ben Foûnâs[185] le Hawwarite s'insurgea du côté de Tripoli contre Yezîd ben H'âtim et réunit autour de lui de nombreux Berbères. La garnison qui occupait cette ville pour Yezîd marcha avec le gouverneur contre le rebelle ; une bataille acharnée fut livrée sur le littoral maritime du territoire des Hawwâra. La fuite d'Aboû Yah'ya ben Foûnâs et le massacre de la plupart des siens assurèrent le repos de l'Ifrîkiyya, où Yezîd ben H'âtim ne trouva plus d'ennemis.

[P. 6] En 156, 'Abd er-Rah'mân l'Omeyyade, irrité du manque de respect de son affranchi Bedr, et sans tenir compte de ses longs et fidèles services ni de son sincère dévouement, confisqua ses biens et l'exila à la frontière, où le disgracié resta jusqu'à sa mort.[186]

En 156, mourut 'Abd er-Rah'mân ben [P. 7] Ziyâd ben An'am, kâdî d'Ifrîkiyya, sur qui courent maints récits.[187]

En 157 (20 novembre 773), Soleymân ben Yak'z'ân Kelbi fit entrer Charles, roi des Francs, dans les régions musulmanes d'Espagne[188] ; il se joignit au chrétien pendant que celui-ci était en marche, et ils se dirigèrent ensemble sur Saragosse. Mais ils furent devancés par El-H'oseyn ben Yah'ya Ançâri, l'un des descendants de Sa'd ben 'Obâda, qui se fortifia dans cette ville. [P. 8] Charles, roi des Francs, soupçonnant une trahison de Soleymân, le fit arrêter et l'emmena avec lui dans son royaume. Mais lorsque, sorti du pays musulman, il se croyait en sécurité, il fut attaqué par Mat'roûh' et 'Aychoûn,[189] tous deux fils de Soleymân, qui délivrèrent leur père et l'emmenèrent à Saragosse, où ils firent cause commune avec El-H'oseyn contre 'Abd er-Rah’mân.

[P. 23] En 158 (10 novembre 774), 'Abd er-Rah'mân, [P. 24] souverain d'Espagne, fit une expédition contre la ville de Goria ; il attaqua les Berbères qui avaient livré le gouverneur de cette ville à Chak'yâ et fit un carnage des principaux d'entre eux. Il poursuivit Chak'yâ jusque proche du K'açr Abyad[190] et du Derb, mais inutilement.

En 158 mourut Ourâlî, roi de Galice, qui avait régné six ans, et qui eut pour successeur Chiyaloûn.[191]

[P. 28] En 159 (30 octobre 775) 'Abd er-Rah'mân envoya une armée contre Chak'yâ, qui était descendu dans les environs de Sontebria, mais qui alors, selon son habitude, regagna les montagnes, de sorte que l'armée dut se retirer.

[P. 33] En 160 (18 octobre 776) 'Abd er-Rah'mân, l’Omeyyade d'Espagne, envoya Abou 'Othmân 'Obeyd Allah ben 'Othmân et Temmâm ben 'Alk'ama contre Chak'yâ, qui resta plusieurs mois assiégé par eux dans la forteresse de Chebat'rân ; mais ces deux chefs, impuissants à le réduire, durent se retirer. Après leur départ, Chak'yâ sortit de Chebat'rân pour se rendre dans une bourgade de la région de Sontebria (Santaver) ; il était monté sur sa mule appelée Khelâça. C'est alors qu'il fut tué par trahison par deux des siens, Abou Ma'n et Abou Khozeym, qui allèrent porter à 'Abd er-Rah’mân leur soumission en même temps que la tête de Chak'yâ.[192] La population se trouva ainsi délivrée des ravages exercés par cet homme.

[P. 36] Le Slave passe en Espagne. — Sa mort

En 161 (8 octobre 777), selon d'autres en 160 (18 octobre 776,), 'Abd er-Rah'mân ben H'abîb Fihri, surnommé le Slave à cause de sa haute taille, de ses yeux bleus et de ses cheveux rouges, passa d'Ifrîkiyya en Espagne pour reconquérir ce pays à la dynastie des Abbasides ; il débarqua sur le littoral de Todmîr et écrivit à Soleymân ben Yak'z'ân pour le gagner à sa cause, c'est-à-dire pour l'amener à combattre 'Abd er-Rah'mân l'Omeyyade et à reconnaître l'autorité d'El-Mehdi (le khalife Abbaside). Soleymân, qui était à Barcelone, refusa, et le Slave, irrité, alla attaquer ce pays avec son armée berbère ; mais il fut battu par Soleymân et dut regagner Todmîr. 'Abd er-Rah'mân l'Omeyyade marcha contre lui avec une armée nombreuse et bien équipée, et incendia les vaisseaux du Slave pour lui rendre toute retraite difficile. Celui-ci gagna une montagne inaccessible dans la province de Valence, et le prince promit mille dinars à qui lui apporterait sa tête. Un Berbère qui le tua par trahison apporta sa tête à 'Abd er-Rah'mân et reçut la récompense promise.[193] La mort du Slave arriva en 162 (27 septembre 778).

[P. 39] 'Abd er-Rah'mân, souverain d'Espagne, envoya en la même année 162 Choheyd ben 'Isa[194] contre Dih'ya Ghassâni, qui s'était révolté (et occupait) l'un des forts de (la province d') Elvira, et qui fut mis à mort.[195] Il fit marcher son affranchi Bedr[196] contre Ibrahim ben Chedjera Bernesi,[197] qui s'était révolté et qui fut mis à mort. Temmâm[198] ben 'Alk'ama fut, en outre, envoyé contre 'Abbâs le Berbère, qui, soutenu par un corps de troupes berbères, avait également voulu se soustraire à l'obéissance ; 'Abbâs aussi périt, [P. 40] et son armée se dispersa.[199] C'est la même année qu'il envoya H'abîb ben 'Abd el-Melik K'oraychi à la tête d'une armée contre le kâ'id Solami. Ce personnage, qui avait de l'influence auprès de l'émir 'Abd er-Rah'mân, voulut, une nuit qu'il avait trop bu, aller ouvrir la porte du pont, ce dont il fut empêché par les gardes. Il s'en alla, (sans résistance) ; mais quand il eut cuvé son vin, il prit peur et s'enfuit à Tolède, où se réunirent autour de lui quantité de mécontents et de vauriens. Le prince se hâta donc d'envoyer des troupes contre lui, et H'abîb l'assiégea en le serrant de près dans un endroit où il s'était fortifié. Solami réclama alors un duel, et ce fut un esclave noir qui alla se battre avec lui. Les deux adversaires tombèrent transpercés du premier coup et moururent ensemble.[200]

[P. 40] En 162 (27 septembre 778) mourut 'Abd er-Rah’mân ben Ziyâd ben An'am, kâdi d'Ifrîkiyya, à l'âge de plus de quatre-vingt-dix ans. Il s'était trouvé chez Yezîd ben Hâtim où il mangea du poisson puis but du lait aigre ; ce que voyant, le médecin Yah'ya ben Mâsaweyh[201] fit cette remarque : « Si la médecine dit vrai, le cheikh mourra cette nuit » ; et c'est en effet ce qui eut lieu. Dieu sait la vérité !

[P. 41] En 163 (16 septembre 779), El-Mehdi donna à son fils Hâroûn le gouvernement de tout le Maghreb, de l'Aderbeydjân et de l'Arménie.

[P. 42] En 163 (16 septembre 779) le souverain d'Espagne 'Abd er-Rah'mân l'Omeyyade fit ouvertement des préparatifs pour passer en Syrie, dans l'intention d'en chasser les Abbassides et de se venger d'eux. Mais alors eut lieu à Saragosse la dangereuse révolte de Soleymân ben Yak'z'ân et d'El-H'oseyn ben Yah'ya ben Sa'îd ben Sa'd ben 'Othmân Ançâri, et il renonça à son projet.[202]

[P. 43] En 164 (5 septembre 780), l'Omeyyade 'Abd er-Rah'mân marcha contre Saragosse.[203] Il avait commencé par y envoyer une forte armée commandée par Tha'leba ben 'Obeyd,[204] car, nous l'avons dit, Soleymân ben Yak'z'ân et El-H'oseyn ben Yah'ya s'étaient ligués dans cette ville pour se soustraire à son autorité. Tha'leba les combattit vigoureusement ; mais il se trouva qu'un jour, pendant qu'il était dans sa tente, Soleymân, profitant de sa négligence, dirigea contre lui une attaque qui le fit tomber entre ses mains, et son armée se dispersa. Soleymân s'adressa alors à Charles, roi des Francs, en lui promettant de lui livrer ce territoire ainsi que Tha'leba. Mais, quand ce prince arriva, il ne put tenir que la seconde partie de sa promesse, et alors Charles retourna dans ses états avec Tha'leba, dont il s'imaginait tirer une rançon considérable. Pendant quelque temps, 'Abd er-Rah'mân ne s'occupa pas de son général, mais il fit ensuite demander et obtint sa liberté, grâce aux émissaires qu'il employa à cet effet.[205]

Donc, en cette année, 'Abd er-Rah'mân marcha contre Saragosse après avoir réparti ses enfants dans les diverses parties du royaume, avec mission d'écraser les insoumis, puis d'opérer leur jonction à Saragosse, où 'Abd er-Rah'mân les précéda. El-H'oseyn ben Yah'ya, qui avait déjà tué Soleymân ben Yak'z'ân, occupait seul cette ville quand 'Abd er-Rah'mân arriva. Celui-ci pressa vigoureusement le siège, et fut bientôt rejoint par ses fils, qui lui amenèrent tous les rebelles qu'ils avaient eu à combattre et lui annoncèrent la soumission d'autres encore. Alors El-H'oseyn fit des ouvertures de paix et se montra disposé à rentrer dans l'obéissance. ‘Abd er-Rah'mân y consentit, prit son fils Sa'îd à titre d'otage et s'éloigna. Il alla porter la guerre chez les Francs, où il fit des conquêtes et d'où il ramena du butin et des captifs. Il alla à K'alahra,[206] prit la ville de Fekîra et démantela les forts de cette région ; il pénétra dans, 1e pays basque, assiégea et prit la forteresse de Mothmîn el-Ak'ra' ; il marcha ensuite contre Maldoûthoûn ben At'lâl, dont il assiégea le château-fort ; il en poursuivit les habitants qui s'étaient réfugiés dans les montagnes, les dompta de vive force, et rentra à Cordoue après avoir ruiné cette forteresse.

La même année aussi, la guerre éclata entre les Berbères de Valence et ceux de Sontebria [P. 44] en Espagne ; ils se livrèrent de nombreux combats restés célèbres et où il périt de nombreux guerriers de part et d'autre.

[P. 45] En 165 (25 août 781), El-H'oseyn ben Yah'ya, à Saragosse, rompit traîtreusement le traité qui le liait à 'Abd er-Rah'mân, lequel fit marcher contre lui un fort corps de troupes commandé par Ghâleb ben Temmâm ben 'Alk'ama. Dans les combats qui suivirent, plusieurs compagnons d’'El-H'oseyn, entre autres son fils,[207] furent faits prisonniers et envoyés à l'émir 'Abd er-Rah’mân, qui les fit exécuter. Temmâm ben 'Alk'ama resta à assiéger El-H'oseyn. En 166 (14 août 782), l'émir 'Abd er-Rah'mân alla en personne continuer le siège de Saragosse. Il réduisit cette ville à la dernière extrémité à l'aide de trente-six mangonneaux, puis l'emporta de vive force. Il fit subir à El-H'oseyn la mort la plus atroce[208] et chassa les habitants de cette ville, pour tenir le serment qu'il avait prêté, mais il leur permit ensuite d'y rentrer.

[P. 50] … En 166 (14 août 782), Yezîd ben H'âtim était gouverneur d'Ifrîkiyya…

En 166, l'Omeyyade d'Espagne 'Abd er-Rah'mân fît mettre à mort le fils de son frère, El-Moghîra ben El-Welid ben Mo'âwiya ben Hichâm, Hodheyl ben Eç-Çomeyl et Samora ben Djebala, qui s'étaient, pour lui arracher le trône, alliés avec El-'Alâ ben H'omeyd R'ocheyri.[209] Mais celui-ci se fit un mérite de les dénoncer.[210]

[P. 52] Révolte d'Aboû'l-Aswad en Espagne

En 168 (23 juillet 784), eut lieu en Espagne la révolte d'Aboû'l-Aswad Mohammed ben Yoûsof ben 'Abd er-Rah’mân Fihri.[211] On raconte qu"Abd er-Rah'mân le tenait emprisonné à Cordoue depuis la fuite de son père et la mort violente de son trère 'Abd er-Rah'mân, faits que nous avons racontés. Dans sa prison, Abou'lAswad, feignant d'être aveugle, laissait errer ses yeux dans le vague, et prolongea ce manège assez longtemps pour que l'émir A'bd er-Rah'mân crût cette cécité réelle. Dans l'endroit le plus reculé de la prison était un souterrain qui aboutissait au grand fleuve (Guadalquivir) et par où les prisonniers passaient pour aller se laver et satisfaire à d'autres besoins. Les gardiens ne surveillaient pas, à cause de sa cécité, Abou'l-Aswad, qui disait en revenant du fleuve : « Qui est-ce qui mène l'aveugle à sa place ? » Il entra en rapport avec un de ses clients qui était sur la rive (opposée) du fleuve, et qui, prêtant l'oreille à ses propositions, promit de lui procurer un cheval de selle. Un jour donc, il sortit pendant que son client l'attendait, traversa le fleuve à la nage, se précipita sur le cheval et parvint à gagner [P. 53] Tolède.

Là, de nombreux partisans vinrent se joindre à lui, et il retourna avec eux pour livrer bataille à l'Omeyyade A'bd er-Rah'mân. Sur le Wâdi el-Ah'mar (Guadalimar), à K'ast'aloûna,[212] eut lieu une sanglante rencontre où Abou'l-Aswad défait laissa quatre mille des siens sur le terrain, non compris ceux qui se noyèrent dans la rivière. L'Omeyyade le poursuivit, en tuant tous ceux qu'il pouvait atteindre, jusqu'au-delà de la forteresse d'Er-Rebâh' (Calatrava). Abou'l-Aswad réunit plus tard de nouvelles troupes et voulut recommencer la lutte en 169 (13 juillet 785) ; mais ses soldats se débandèrent dès leur contact avec l’avant-garde des troupes Omeyyades, et il dut s'enfuir ; ses femmes furent faites prisonnières et la plupart de ses compagnons tués. Il vécut jusqu'en 170 (2 juillet 786), où il mourut dans une bourgade du territoire de Tolède. Son frère K'âsim se révolta ensuite et réunit un corps de troupes contre qui l'émir marcha ; K'âsim eut l'imprudence d'aller le trouver sans avoir obtenu sa grâce, et il fut mis à mort.[213]

En cette année 168 mourut Chîloûn (Silon), roi de Galice, que l'on remplaça par Alphonse. Mais Mauregat l'attaqua et le tua.[214] Dans cette situation troublée, le lieutenant à Tolède d"Abd er-Rah'mân fit une incursion dans le pays ; il y massacra du monde et rentra sain et sauf, traînant derrière lui du butin et des captifs.

En 168 (23 juillet 784), Abou'l-Kâsim ben Wâsoûl, chef des hérétiques çofrites à Sidjilmâsa, mourut subitement pendant la dernière prière du soir. Il avait exercé l'autorité pendant douze ans et un mois, et fut remplacé par son fils Elyâs.[215]

[P. 63] (Le soulèvement des Alides, sous le khalife ElHâdi en 169 (13 juillet 785), se termina par le massacre qui eut lieu à Fakhkh, près la Mekke,[216] où périt notamment El-H'oseyn ben 'Ali). Parmi ceux qui parvinrent à s'échapper figurait Idrîs ben 'Abd Allah ben el-H'asen ben el-H'asen ben 'Ali, qui put gagner l'Egypte. Le directeur des postes de cette province, Wâd'ih', client de Câlin ben el-Mançoûr, qui était chi'ite ou partisan d'Ali, le fit fuir en poste jusqu'au Maghreb. Le fuyard s'installa à Walîla (Oulîli) dans le territoire de Tanger,[217] et les Berbères du pays se rallièrent à lui. El-Hâdi fit d'abord décapiter, puis crucifier Wâdih'. Selon une autre version, c'est Er-Rechîd qui le fit mettre à mort. Ce prince, ajoute-t-on, envoya auprès d'Idris un émissaire, Ech-Chemmâkh Yemâmi, client d'El-Mehdi, qui se donna pour un chi'ite et qui, par les marques de respect qu'il lui prodigua, se concilia sa faveur. Idrîs, qui l'avait fait demeurer avec lui, se plaignant un jour de souffrir des dents, reçut de son confident un remède empoisonné à employer au lever du jour. Ech-Chemmâkh s'enfuit aussitôt, et reçut d'Er-Rechîd la direction des postes d'Egypte. Quant à Idrîs, il mourut empoisonné, laissant pour successeur son fils Idrîs ben Idrîs, qui régna après lui. Cette famille garda le pouvoir dans ce pays et disputa le gouvernement de l'Espagne aux Omeyyades, ainsi que nous le dirons.

[P. 75] En 170 (2 juillet 786) mourut Yezîd ben Hâtim Mohallebi, gouverneur d'Ifrîkiyya, qui laissa ses fonctions à son fils Dâwoûd. Les Ibâdites s'étant soulevés dans les montagnes de Bâdja, Dâwoûd envoya contre eux une armée, qui fut battue ; il en équipa une seconde qui obtint cette fois le dessus et qui massacra de nombreux Ibâdites. Après neuf mois de gouvernement, Dâwoûd céda la place à son oncle Rawlr ben H'âtim Mohallebi, nommé gouverneur d'Ifrîkiyya par Haro un Er-Rechîd.[218]

En 170 (2 juillet 786) l'Omeyyade 'Abd er-Rah'mân, prince d'Espagne, tomba sur les Berbères Nefza, dont il humilia la puissance et à qui il tua du monde.

[P. 76] La même année, 'Abd er-Rah'mân fit construire la grande mosquée de Cordoue sur l'emplacement d'une église. Il dépensa pour cela cent mille dinars.[219]

Mort d’'Abd er-Rah'mân l'Omeyyade

En 171, en rebî' II (18 septembre 787) mourut 'Abd er-Rah’mân ben Mo'âwiya ben Hichâm ben 'Abd el-Melik, roi d'Espagne. D'autres le font mourir en 172 (10 juin 788), ce qui est plus exact. Il naquit dans la région de Damas[220] ou à El-'Olya, près de Tadmor, en 113 (14 mars 731) et mourut à Cordoue. Les dernières prières furent dites par son fils 'Abd Allah ; un autre de ses fils, Hichâm, qui avait été désigné comme héritier présomptif, était à Mérida comme gouverneur, et son fils aîné Soleymân ben 'Abd er-Rah'mân était à Tolède, dont il était également gouverneur, de sorte que ni l'un ni l'autre n'assistèrent à la mort de leur père. 'Abd Allah surnommé Balensi, alors présent, reçut le serment de fidélité au nom de son frère Hichâm, à qui il annonça la mort de leur père et son avènement, et Hichâm se rendit alors à Cordoue.

'Abd er-Rah'mân avait régné trente-trois ans et quelques mois ; son prénom (konya) était Abou'l Mot'arref, d'autres disent Abou Soleymân ou Abou Zeyd ; il laissa onze fils et neuf filles ; sa mère était une captive berbère amenée d'Ifrîkiyya. Il était roux et borgne, avait les joues maigres ; d'une taille haute et élancée, il portait deux boucles.[221] Il avait la parole facile et élégante et savait faire des vers ; doux, instruit, résolu, prompt à poursuivre les rebelles, il ne restait jamais longtemps en repos ou livré à l'oisiveté ; il ne se reposait sur personne du soin de ses affaires et ne se confiait qu'à son propre jugement. Doué d'une profonde intelligence, il alliait une bravoure poussée jusqu'à la témérité à une très grande prudence et se montrait large et généreux. Il portait le plus souvent des vêtements blancs. On le comparait à El-Mançoûr (l’Abbasside) pour la fermeté de sa volonté, pour son énergie et sa ferme administration.[222] Il construisit la Roçâfa à Cordoue, par imitation de son grand-père Hichâm, qui avait élevé la Roçâfa de Syrie. Il y habitait quand il fit les vers suivants à propos d'un palmier isolé qu'il y vit :

[P. 77 : T'awîl] Dans Roçâfa vient de nous apparaître un palmier égaré sur la terre d'Occident loin du pays qu'habitent ses pareils. Voilà, me suis-je dit, mon image ; moi aussi je vis dans un lointain exil, séparé depuis longtemps de mes enfants et de ma famille. Tu as grandi sur une terre étrangère, et comme toi je suis éloigné et séparé (des miens). Puisse le contenu des nuées matinales l'abreuver d'autant d'eau qu'en font déverser Arcture et l'Epi ![223]

Il fut rejoint en Espagne par des Omeyyades d'Orient,[224] dont on cite parmi les noms connus 'Abd el-Melik ben 'Omar ben Merwân, le descendant le plus direct de l’ancêtre des Benoû Omeyya. C'est lui, ainsi que nous l'avons dit, qui fut cause que l'on cessa en Espagne de prononcer la prière au nom des Abbassides.[225] Il (rAbd el-Melik ?) avait onze enfants (mâles).

Avènement de son fils Hichâm

'Abd er-Rah'mân avait désigné comme héritier présomptif Hichâm et non son fils aîné Soleymân, à cause de l'intelligence et de la capacité qu'il lui avait reconnues.[226] Hichâm, lors de la mort de son père, se trouvait à Mérida, dont il était gouverneur et administrateur, et son frère aîné Soleymân était à Tolède. Ce dernier désirait obtenir le pouvoir pour lui-même et était jaloux de son frère Hichâm, à cause de la préférence dont celui-ci avait été l'objet de la part de leur père ; aussi le haïssait-il secrètement, et il songeait à se révolter. Un autre frère, 'Abd Allah surnommé Balensi, se trouvait à Cordoue au moment de la mort d’'Abd er-Rah'mân et fit prêter de nouveau le serment d'obéissance à Hichâm, après avoir récité les dernières prières sur le corps de leur père. Hichâm, averti par lui de la mort de ce dernier et de cette prestation de serment, partit aussitôt pour Cordoue, où il arriva en six jours et où il prit en mains le pouvoir.[227] 'Abd Allah rentra chez lui en donnant des témoignages d'une obéissance qui n'était pas dans son cœur. Nous raconterons, si Dieu le permet, ce qu'il fit plus tard.

[P. 78] Nomination de Rawh' ben H'âtim au gouvernement d'Ifrîkiyya

En l'an 171 (21 juin 787) Er-Rechîd nomma, à la suite de la mort de Yezîd ben Hâtim, le frère de celui-ci, Rawh' ben H'âtim ben K'abîça ben el-Mohalleb ben Abou Çofra, en qualité de gouverneur de l’Ifrîkiyya.[228] Rawh' arriva en redjeb (comm. le 15 décembre 787) dans ce pays, alors administré par son neveu Dâwoûd ben Yezîd, qui se rendit auprès d'Er-Rechîd et fut nommé à un autre gouvernement. Rawh' lui-même a raconté ceci : « J'étais gouverneur de Filist'în (Palestine) quand Er-Rechîd, qui savait que mon frère Yezîd était mort, me fit appeler et me dit : Veuille Dieu t'armer de patience ! Tu viens de perdre ton frère, et je te nomme à sa place pour que tu puisses garder ses partisans et ses clients. »

Sous son administration, le pays n'eut jamais à souffrir de troubles, car les massacres d'hérétiques auxquels Yezîd avait procédé avaient abattu tous les fauteurs de désordres. Rawh' mourut à Kayrâwan en ramadan 174 (10 janvier 791) et fut inhumé dans une tombe voisine de celle de son frère. El-Mançoûr autrefois avait nommé simultanément les deux frères Yezîd en Ifrîkiyya et Rawh' en Sind, [P. 79] et la remarque lui fut faite que la distance qui devait un jour séparer les tombes de l'un et de l'autre était bien grande. Cependant Yezîd mourut à Kayrawân., et son frère et successeur y mourut également et fut enterré côte à côte avec Yezîd. Rawh' était plus connu en Orient que Yezîd, celui-ci l'était moins en Orient qu'en Occident, où il administra plus longtemps et où il fit maintes et maintes expéditions contre les insurgés.

[P. 79] Ce fut en 171 (21 juin 787) que Rawh' ben Hâtim se rendit en Ifrîkiyya.

[P. 79] Révolte des deux fils d’'Abd er-Rah'mân, Soleymân et 'Abd Allah, contre leur frère Hichâm.[229]

En 172 (10 juin 788), d'autres disent avec raison en 173 (30 mai 789), Soleymân et 'Abd Allah, tous les deux fils d’'Abd er-Rah'mân ben Mo'âwiya ben Hichâm, l'émir d'Espagne, se mirent en révolte contre leur frère Hichâm, qui avait succédé à son père, nous l'avons dit.

Quand il fut monté sur le trône, Hichâm garda auprès de lui son frère 'Abd Allah Balensi, qui était son favori et à qui il accordait bienfaits et honneurs, mais que [P. 80] le partage du pouvoir aurait seul pu satisfaire. Balensi en vint à redouter Hichâm, d'auprès de qui il s'enfuit pour rejoindre son frère Soleymân à Tolède. A son départ de Cordoue, Hichâm le fit poursuivre par un corps de troupes qui ne l'atteignit pas. Alors ce prince réunit une armée et alla assiéger ses deux frères à Tolède. De son côté, Soleymân avait appelé à lui de nombreuses troupes, et quand le siège fut commencé, il laissa, pour défendre la ville, son fils et son frère 'Abd Allah, tandis que lui-même en sortit dans l'intention d'occuper Cordoue. Hichâm, bien que connaissant son projet, ne bougea pas et continua le siège de Tolède. Soleymân arriva jusqu'à Secunda, où il pénétra. Mais les Cordouans marchèrent contre lui et surent se défendre. Hichâm lança alors à sa poursuite un détachement commandé par son fils 'Amîd el-Moulk,[230] et à l'approche de ce dernier, Soleymân s'enfuit à Mérida. Le gouverneur[231] nommé dans cette ville par Hichâm lui livra une bataille où Soleymân fut mis en déroute. Quant à Hichâm, après avoir assiégé Tolède pendant deux mois et quelques jours, et avoir coupé les arbres des environs, il retourna à Cordoue, où son frère 'Abd Allah vint le trouver[232] sans avoir obtenu son pardon ; mais Hichâm le reçut honorablement et lui fit des libéralités.

En 174 (19 mai 790), Hichâm envoya son fils Mo'âwiya avec une forte armée à Todmîr, où se trouvait Soleymân. Dans les combats qui suivirent, on ravagea le territoire de cette ville, on réduisit les habitants et les résidents et l'on arriva ainsi jusqu'à la mer. Soleymân s'enfuit alors de Todmîr et se réfugia chez les Berbères du territoire de Valence, où il était protégé par la difficulté des routes de ce pays. Mo'âwiya rentra en conséquence à Cordoue. Cela finit par un arrangement aux termes duquel Soleymân put quitter l'Espagne avec ses femmes, ses enfants et ses biens, en outre de soixante mille dinars que lui paya Hichâm comme l'équivalent de sa part dans la succession paternelle. Soleymân alla se fixer dans le pays des Berbères.[233]

Autre soulèvement contre Hichâm

Dans cette même année 172 (10 juin 788), se révolta aussi Sa'îd ben El-H'oseyn ben Yah'ya Ançâri à Châghont (Sagonte), dans la région de Tortose, dans l'Espagne orientale, où il s'était réfugié lorsque son père fut tué, comme nous l'avons raconté. Il adressa un appel aux Yéménites, dont il soutint la cause, et de nombreux partisans se réunirent autour de lui. Il s'empara du pouvoir à Tortose, dont il expulsa le gouverneur Yoûsof K'aysi. [P. 81] Moûsa ben Fortoûn,[234] partisan de Hichâm, lui tint tête et fut soutenu par les Mod'arites ; à la suite d'une rencontre, il mit en fuite Sa'îd, qui fut tué. Moûsa marcha alors sur Saragosse, dont il se rendit maître ; mais un affranchi d'El-H'oseyn ben Yah'ya, nommé Djah'dar, à la tête de nombreux partisans, l'attaqua, et Moûsa fut tué. Un autre soulèvement éclata à Barcelone, dirigé par Mat'roûh ben Soleymân ben Yak'z'ân, qui commandait à des troupes nombreuses, et qui s'empara des villes de Saragosse et de Huesca ; il s'implanta solidement dans cette région, pendant que Hichâm était occupé à combattre ses deux frères Soleymân et 'Abd Allah.[235]

En 172, mourut à Kayrawân Abou Yezîd Riyâh' ben Yezîd Lakhmi, homme pieux dont les prières étaient exaucées du ciel.

[P. 82] En 173 (30 mai 789), mourut Mauregat, roi de Galice en Espagne, qui eut pour successeur Bermond ben Kaloûria le prêtre. Bermond abdiqua ensuite pour se faire moine, et appela son neveu au trône en 175 (9 mai 791).[236]

En 174 (19 mai 790) eut lieu la mort de Rawh' ben H'âtim.

[P. 83] Victoire de Hichâm sur ses deux frères et sur Mat'roûh'

En 175 (9 mai 791), Hichâm ben 'Abd er-Rah'mân, prince d'Espagne, vint à bout de ses deux frères Soleymân et 'Abd Allah, qu'il exila du pays.[237]

Une fois tranquille de ce côté, il s'occupa de Mat'roûh' ben Soleymân ben Yak'z'ân, et fit marcher une armée nombreuse, commandée par Abou 'Othmân 'Obeyd Allah ben 'Othmân, contre le rebelle, qui fut assiégé à Saragosse, mais qui résista victorieusement. Abou 'Othmân, levant alors le siège, alla établir son camp au fort de T'arsoûna (Tarzona), proche de Saragosse ; de là il harcela les habitants de Saragosse à l'aide de détachements de cavalerie et empêcha le ravitaillement de la ville. Or Mat'roûh', étant une fois sorti à la tombée du jour pour chasser au faucon, descendit de cheval pour égorger de sa main un oiseau qu'avait pris le fauconnier. Éloigné du reste de la troupe avec deux compagnons seulement, il fut tué par ceux-ci, [P. 84] qui portèrent sa tête à Abou' 'Othmân. Ce dernier marcha alors contre Saragosse, dont les habitants lui firent par écrit des offres de soumission qu'il accepta. Il prit possession de la ville et envoya à Hichâm la tête de Mat'roûh'.[238]

Expédition de Hichâm en Espagne

Après avoir mis fin à la révolte de Mat'roûh', Abou 'Othmân s'avança avec son armée dans le pays des Francs et marcha contre Alava.[239] Les ennemis, qui voulurent lui tenir tête, furent, grâce à l'aide divine, défaits et laissèrent de nombreux morts sur le terrain. 1

En la même année, Hichâm envoya aussi une armée commandée par Yoûsof ben Bokht en Galice, dont le roi Bermude le grand soutint une bataille acharnée, mais où il fut vaincu et où il perdit beaucoup de monde.[240]

En cette même année, les Tolédans reconnurent l'autorité de l'émir Hichâm, qui leur pardonna. Toujours à cette époque, Hichâm emprisonna son fils 'Abd el-Melik, contre qui il lui avait été fait un rapport ; ce prince resta emprisonné jusqu'à la fin du règne de son père et pendant une partie du règne de son frère. Il mourut en captivité en 198 (31 août 813).

En 175 (9 mai 791), naquit Idrîs ben Idrîs ben el-H'asan ben el-H'asan ben 'Ali ben Abou T'âlib,

[P. 91] En 176 (27 avril 792), 'Abd el-Melik ben 'Abd el-Wâh'id conduisit l'armée du prince d'Espagne dans le pays des Francs et pénétra dans la région d'Alava,[241] d'où il revint sain et sauf avec le butin qu'il y avait fait. La même année, Hichâm envoya son fils El-H'akam à Tolède en qualité de gouverneur. Ce prince en prit possession et s'y installa ; c'est là que naquit son fils 'Abd er-Rah'mân ben El-H'akam, qui succéda à son père sur le trône d'Espagne.

[P. 92] Invasion dirigée contre les Francs

En 177 (17 avril 793), Hichâm, prince d'Espagne, envoya sur le territoire ennemi une nombreuse armée commandée par ‘Abd el-Melik ben 'Abd el-Wâh'id ben Moghîth et qui poussa jusqu'à Narbonne et Djeranda (Gerona ?). Ce général attaqua d'abord Djeranda, où se trouvait une garnison franque d'élite ; il tua les plus braves, détruisit les murs et les tours de la ville et faillit s'en emparer. Il marcha ensuite sur Narbonne, où il renouvela les mêmes exploits, puis, poussant en avant, il foula le sol de la Cerdagne. Pendant plusieurs mois, il parcourut ce pays dans tous les sens, faisant violence aux femmes, tuant les guerriers, détruisant les forts, brûlant et pillant tout, chassant devant lui l'ennemi qui s'enfuyait en désordre. Il rentra sain et sauf, traînant après lui un butin dont Dieu seul sait l'importance. Cette expédition est l'une des plus célèbres des musulmans d'Espagne.[242]

El-Fad'l ben Rawh' ben H'âtim est nommé gouverneur d'Ifrîkiyya[243]

Cette nomination fut faite en 177 (17 avril 793) par Er-Rechîd, qui, à la suite de la mort de Rawh', avait tout d'abord confié ce poste à H'abîb ben Naçr Mohallebi, à qui il le retira pour le donner à El-Fad'l à la suite de la démarche faite par celui-ci à la cour. El-Fad'l retourna alors en Ifrîkiyya, où il arriva en moharrem 177 (avrilmai 793) [P. 93] et nomma gouverneur de Tunis son neveu El-Moghîra ben Bichr ben Rawh'. L'inexpérience de cet officier fit qu'il traita sans considération les soldats du djond, qu'El-Fad'l avait déjà indisposés par de mauvais procédés amenés par leur affection pour H'abîb ben Naçr,[244] l’ex-gouverneur. Aussi ceux d'entre eux qui étaient à Tunis écrivirent-ils à El-Fad'l de les débarrasser de son neveu, et à la suite de l'insuccès de leur requête tombèrent-ils d'accord pour se refuser à lui obéir. Mohammed ben el-Fârisi, officier des Khorâsâniens, leur fit alors observer que toute agglomération privée de chef est bien près de sa perte et qu'il fallait choisir quelqu'un qui les dirigeât. La justesse de cette remarque les frappa, et ils élurent un de leurs officiers, 'Abd Allah ben el-Djâroûd, dit 'Abdaweyh[245] Anbâri, à qui ils promirent une obéissance absolue. Puis ils chassèrent El-Moghîra en écrivant à El-Fad'l : « Nous n'avons pas voulu nous soustraire à ton obéissance, et si nous avons chassé ce chef c'est à cause de ses mauvais procédés ; remplace-le par quelqu'un qui nous agrée ! » Alors El-Fad'l nomma et envoya à Tunis son cousin paternel, ‘Abd Allah ben Yezîd ben H'âtim. Celui-ci était à une journée de Tunis quand il fut rejoint par une troupe de gens envoyés par Ibn el-Djaroûd avec la mission d'examiner ce qu'il ferait et de n'agir que d'après son ordre à lui. Mais ces hommes se dirent entre eux que la nomination de son cousin faite par El-Fad'l n'était qu'une manœuvre et qu'il se réservait de tirer vengeance de l'expulsion [du fils] de son frère. En conséquence, ils assaillirent 'Abd Allah ben Yezîd, le tuèrent et firent prisonniers les officiers qui l'accompagnaient. Cet événement força la main à 'Abd Allah ben el-Djâroûd et à ses partisans, qui durent se révolter et donner tous leurs efforts à la destruction du pouvoir d'El-Fad'l. Ibn el-Fârisi prit la direction des affaires et écrivit à chacun des officiers d'Ifrîkiyya et des gouverneurs de villes : « Vu les actes blâmables d'El-Fad'l dans les pays soumis au Prince des croyants, et sa mauvaise administration, nous n'avons pu que nous révolter pour l'expulser. Après examen, nous n'avons trouvé personne qui, par sa fidélité au Prince des croyants, par sa grande autorité et son influence sur les troupes du djond, se distingue plus que toi ; en conséquence [nous te laissons en place, mais] nous feindrons être sans relations avec toi. Puis, si nous l'emportons, nous ferons de toi notre délégué et nous écrirons dans ce sens au Prince des croyants ; si nous échouons, nul ne saura nos intentions. Je te salue. »

[P. 94] Ce système aliéna à El-Fad'l le djond tout entier, et tout le monde se mit du côté des insurgés. Ceux-ci se portèrent au devant d'une nombreuse armée qu'ElFad'l envoya contre eux, et qui fut battue et rejetée vers Kayrawân ; Ibn el-Djâroûd la poursuivit, et cette place, après un siège d'un jour, lui ouvrit ses portes, de sorte qu'il y pénétra en djomâda II 178 (septembre 794). Il en fit sortir son adversaire, mais lui donna une escorte chargée de les mener, lui et les parents qui l'accompagnaient, à Gabès ; le départ s'effectua le jour même, puis Ibn el-Djâroûd les fit revenir, et El-Fad'l ben Rawh' ben H'âtim fut mis à mort.

. Ce meurtre excita la colère d'une portion du djond, qui déclara la guerre à Ibn el-Djâroûd. Les troupes envoyées par celui-ci furent vaincues après un combat acharné et durent battre en retraite, tandis que leurs vainqueurs se rendirent maîtres de Kayrawân. Ibn el-Djâroûd, qui était alors à Tunis, profita de ce qu'ils s'étaient divisés après la conquête de cette ville pour marcher contre eux, leur livrer bataille et tuer un certain nombre des plus marquants. Mais à la suite de cette affaire, les troupes du djond se reformèrent à Laribus, mirent à leur tête El-'Alâ' ben Sa'îd, gouverneur du Zâb, et marchèrent de nouveau sur Kayrawân.

Gouvernement de Harthema ben A'yan en Ifrîkiyya

Au moment où El-'Alâ allait se mettre en marche, eut lieu l'arrivée de Yah'ya ben Moûsa,[246] qui était envoyé par le khalife Er-Rechîd. Celui-ci, en effet, ayant appris les bouleversements provoqués en Ifrîkiyya par Ibn el-Djâroûd, y avait envoyé Harthema ben A'yan en le faisant accompagner de Yah'ya ben Moûsa, à cause de la considération dont jouissait ce dernier aux yeux des Khorâsâniens,[247] et Yah'ya reçut l'ordre de précéder Harthema auprès d'Ibn el-Djâroûd, pour ramener celuici par adresse à rentrer dans l'obéissance avant l'arrivée de Harthema. Quand il parvint à Kayrawân, Yah'ya entama de longs pourparlers avec Ibn el-Djâroûd, à qui il remit la lettre du khalife et dont il obtint cette réponse : « Je suis absolument prêt à obéir ; mais El'Alâ ben Sa'îd s'approche à la tête des Berbères, et si je quitte Kayrawân, ces gens attaqueront la ville et s'en empareront, de sorte qu'ainsi j'aurai fait perdre une partie de ses possessions au Prince des croyants. (Au lieu de cela) je vais marcher contre El-'Alâ : [P. 95] si je suis battu, c'est à vous de veiller à ces lieux ; si je l'emporte, j'attendrai ici l'arrivée de Harthema pour lui remettre le pays, et j'irai trouver le Prince des croyants. » Comme son but n'était que de dissimuler et de repousser Harthema au cas où lui-même resterait vainqueur, Yah'ya, qui lisait dans son jeu, s'aboucha secrètement avec Ibn el-Fârisi et lui reprocha sa désobéissance ; alors ce chef, s'excusant, jura qu'il n'en était rien et lui offrit son concours contre Ibn el-Djâroûd. En effet, il s'attacha à ruiner l'autorité de ce dernier, détacha d'abord de lui un certain nombre des soldats du djond, puis ses forces s'étant accrues, il se disposa à attaquer son ancien chef, qui s'entendit avec T'âlib,[248] un de ses propres soldats : « Quand, lui dit-il, les deux armées seront en face, je demanderai à voir Ibn el-Fârisi pour lui adresser des reproches ; à ce moment, tu t'approcheras pendant qu'il ne sera pas sur ses gardes et tu le tueras. » T'âlib accepta cette mission, et les choses se passèrent de la manière convenue. A la suite du meurtre de Mohammed ben el-Fârisi, ses troupes se débandèrent, et Yah'ya ben Moûsa rejoignit Harthema à Tripoli.

Alors El-'Alâ' ben Sa'îd, voyant que Harthema disposait de forces considérables et que de toutes parts on se ralliait à lui, s'avança contre Ibn el-Djâroûd, qui comprit l'impossibilité de lui résister et écrivit à Yah'ya ben Moûsa qu'il était prêt à lui livrer Kayrawân. Yah'ya partit donc à la tête du djond de Tripoli en moharrem 179 (mars-avril 795) et trouva, en arrivant à Gabès, la masse du djond qui s'était portée à sa rencontre. Ibn elDjàroûd sortit de Kayrawân au début de çafar (fin avril 795), après y avoir gouverné sept mois, et d'autre part El-'Alâ ben Sa'îd et Yah'ya ben Moûsa marchaient au plus tôt sur cette ville, chacun tâchant d'y devancer l'autre pour avoir l'honneur de cette expulsion. Ce fut El-'Alâ qui y arriva le premier : il y massacra un certain nombre des partisans d'Ibn el-Djâroûd, puis alla se présenter à Harthema. Ibn el-Djâroûd se présenta également devant ce chef, qui l'envoya à Er-Rechîd avec une lettre portant que l'honneur de son expulsion revenait à El-'Alâ. Celui-ci, sur la demande du khalife, fut envoyé à la cour, où il reçut des cadeaux nombreux et une robe d'honneur, après quoi il séjourna peu de temps en Egypte et y mourut. Quant à Ibn el-Djâroûd, il fut interné à Baghdâd.

Harthema se rendit [P. 96] à Kayrawân, où il fit son entrée en rebî' 1179 (mai-juin 795) : il accorda leur pardon aux habitants et les tranquillisa. Il bâtit, en 180 (15 mars 796), le grand château d'El-Monastîr ; il fit également élever les remparts de Tripoli du côté de la mer.

Ibrâhîm ben el-Aghlab, qui gouvernait alors le Zâb, se concilia Harthema par les nombreux cadeaux qu'il lui envoya ainsi que par ses démonstrations d'amitié ; il obtint ainsi de lui le gouvernement d'une province du Zâb, où il laissa de bons souvenirs.[249]

'Iyâd' ben Wahb Hawwâri et Koleyb ben Djomay' Kelbi réunirent ensuite des troupes pour combattre Harthema ; celui-ci mit à la tête de forces imposantes Yah'ya ben Moûsa, qui dispersa les armées ennemies et en fit un grand massacre, puis rentra à Kayrawân.[250]

En présence de la situation troublée de l'Ifrîkiyya, Harthema envoya successivement plusieurs lettres au khalife Er-Rechîd pour obtenir son rappel ; il lui fut permis de rentrer en 'Irak, et il partit d'Ifrîkiyya en ramadan 181 (26 octobre 797), après y avoir gouverné deux ans et demi.

[P. 99] Expédition dirigée d'Espagne contre les Francs et les Galiciens

En 178 (6 avril 794), Hichâm envoya chez les Francs une armée commandée par 'Abd el-Kerîm ben 'Abd el-Wâh'id ben Moghîth, qui razzia la région d'Alava et ramena victorieusement du butin. Il fit aussi marcher une autre armée commandée par le frère du précédent, 'Abd el-Melik ben 'Abd el-Wâh'id, contre la Galice. Cette expédition eut pour résultat la destruction de la capitale du roi Alphonse et des églises et une certaine quantité de butin. Mais à leur retour, les musulmans, trompés parleur guide, furent soumis à de rudes épreuves : beaucoup d'entre eux périrent, ainsi que leurs montures, et ils perdirent leurs bagages ; le reste put cependant échapper.[251]

Révolte à Tâkoronnâ[252]

En 178 (6 avril 794) eurent lieu les troubles de Tâkoronnâ, en Espagne : les Berbères se révoltèrent, ravagèrent le pays par leurs incursions et exercèrent le brigandage. Hichâm fit marcher contre eux un corps de troupes considérable, dont le chef était 'Abd el-K'âdir ben Abân ben 'Abd Allah, affranchi de Mo'âwiya ben Abou Sofyân. Il marcha contre cette ville et ne cessa la lutte qu'après en avoir tué ou fait prisonniers tous ceux qui s'y trouvaient ; quelques-uns des survivants parvinrent à s'enfuir. Il pénétra ensuite chez les autres tribus berbères. A la suite de ces événements, le canton et les montagnes de Tâkorronâ restèrent sept ans sans habitants.

[P. 100] En 178 (6 avril 794), la campagne d'été fut commandée par Mo'âwiya ben Zofar ben 'Açim, et celle d'hiver par Soleymân ben Râchid, qui était secondé par Elbîd (Elpidio), patrice de Sicile.[253]

Expédition dirigée d'Espagne contre les Francs

En 179 (26 mars 795), Hichâm, prince d'Espagne, envoya en Galice une armée considérable commandée par 'Abd el-Melik ben 'Abd el-Wâh'id ben Moghîth, qui pénétra jusqu'à Astorga. De son côté, Alphonse avait réuni des troupes, fait des levées et obtenu des secours du roi de Biscaye, son voisin, des Normands[254] qui habitaient de ce côté et des habitants de ces régions. Alphonse, qui était à la tête de cette armée considérable, eut peur quand 'Abd el-Mélik marcha contre lui, et retourna sur ses pas. Mais 'Abd el-Melik, le poursuivant de près, tua tous les traînards et conquit le pays, où il s'avança fort loin ; il y resta quelque temps, pillant, tuant et détruisant tout ; il fit violence aux femmes d'Alphonse et rentra sans accident.

Hichâm avait aussi envoyé une seconde armée dans une autre direction ; elle pénétra dans le pays de concert avec 'Abd el-Melik, et détruisit, emprisonna et pilla tout. Mais quand elle voulut se retirer, elle se heurta à des troupes franques, qui la battirent et lui tuèrent un certain nombre d'hommes ; elle put cependant se tirer d'affaire, et les survivants purent rentrer chez eux sans autre dommage.

[P. 101] Mort de Hichâm

En çafar 180[255] mourut Hichâm ben 'Abd er-Rah'mân ben Mo'âwiya ben Hichâm ben ' Abd el-Melik ben Merwân, prince d'Espagne, après un règne de sept ans sept mois et huit jours, d'autres disent neuf et même dix mois ; il était âgé de trente-neuf ans et quatre mois. Son konya était Abou'l-Welîd, et il était fils d'une esclave concubine ; il avait le teint blanc et les yeux d'un bleu foncé mêlé de rouge ; il était louche. Ce prince, qui laissa cinq fils, était actif, résolu, sage, vaillant, juste, bon, ami des gens de bien et des gens vertueux, dur à ses ennemis, passionné pour la guerre sainte. L'un de ses plus beaux actes est d'avoir institué un fonctionnaire qui, sous son règne, prélevait l'aumône légale conformément au Livre divin et à la tradition prophétique. Il acheva la construction de la grande mosquée de Cordoue, que la mort avait empêché son père [P. 102] de terminer, et édifia en outre de nombreuses petites mosquées.

Sous son règne, l'Islam était si fort et l'infidélité réduite à une telle impuissance, qu'un particulier étant mort en léguant de quoi racheter un prisonnier musulman, toutes les recherches ne purent faire découvrir l'existence d'un seul prisonnier à qui l'on pût rendre sa liberté.[256] Les Espagnols ont longuement parlé de ses mérites, assez éminents pour qu'ils aient comparé sa vie à celle d’'Omar ben 'Abd el-'Azîz.

Avènement de son fils El-H'akam, surnommé El-Montaçir

Hichâm eut pour successeur son fils El-H'akam, qui fut un prince vaillant et résolu. C'est lui qui le premier en Espagne réunit un grand nombre de mamlouks[257] ; il installa une garde à cheval à la porte du palais et prit les manières des princes puissants. Il s'occupait lui-même des affaires, parlait bien et savait faire des vers :

Ses deux oncles Soleymân et 'Abd Allah, qui étaient sur le littoral occidental d'Afrique, se révoltèrent contre lui. 'Abd Allah Balensi passa en Espagne et s'empara de Valence ; il fut suivi par son frère Soleymân, qui était à Tanger, et tous deux s'avancèrent en soulevant les populations contre El-H'akam et en suscitant des troubles. La lutte dura quelque temps, mais El-H'akam resta victorieux.[258] Plus tard, ce prince se rendit maître de la personne de son oncle Soleymân, qu'il fit exécuter en 184 (31 janvier 800). Quant à 'Abd Allah, il resta à Valence sans causer de désordres, mais la crainte lui fit faire des propositions de paix à El-H'akam, et un traité fut conclu entre eux en 186 (9 janvier 802) : les fils d’'Abd Allah épousèrent les sœurs d'El-H'akam,[259] et les troubles cessèrent.

Pendant qu'El-H'akam était occupé par ses dissensions avec ses oncles, les Francs, profitant de l'occasion, pénétrèrent sur le territoire musulman et s'emparèrent de Barcelone en 185 (19 janvier 801) ; ils s'y établirent et y amenèrent leurs compatriotes, tandis que les troupes musulmanes durent se retirer.[260]

Expédition dirigée d'Espagne contre les Francs

En 180. (15 mars 796), El-H'akam, émir d'Espagne, envoya sur le territoire franc une armée commandée par 'Abd el-Kerîm[261] ben Moghîth. Ce général envoya de petits détachements de cavalerie qui se livrèrent au pillage, [P. 103] au meurtre et à l'incendie. Il fit ainsi passer par quelques cavaliers un bras de mer resté à sec à marée basse et au-delà duquel les Francs avaient déposé leurs biens et leurs familles, comptant bien que personne ne pourrait les y atteindre. Mais leur calcul fut déjoué, car les musulmans s'emparèrent de toutes ces richesses, firent prisonniers ou tuèrent un grand nombre d'hommes et s'emparèrent des femmes, puis rejoignirent 'Abd el-Kerîm. Une autre troupe alla par son ordre porter la ; destruction en France[262] et en ramena du butin et des prisonniers. Sur l'avis que lui donna l'un de ceux-ci, que plusieurs princes francs avaient devancé les Musulmans dans une gorge d'un passage difficile, 'Abd el-Kerîm réunit ses troupes, s'avança en bon ordre à marches forcées et surprit les infidèles, qui ne furent avertis de sa présence que par ses coups ; ils durent s'enfuir, et les musulmans rentrèrent sains et saufs avec le butin qu'ils avaient fait sur eux.

[P. 104] En l'an 180 (15 mars 796), le khalife rappela, Harthema ben A'yan d'Ifrîkiyya à Baghdâd, et Dja'far ben Yahya se fit remplacer par ce chef comme commandant de la garde.

[P. 105] Gouvernement de Mohammed ben Mok'âtil en Ifrîkiyya

En 181 (4 mars 797), le khalife Er-Rechîd, à la suite des demandes de rappel que lui adressa Harthema ben A'yan, comme nous l'avons dit sous l'année 177, nomma gouverneur d'Ifrîkiyya son frère de lait Mohammed ben Mok'âtil ben H'akîm 'Akki, qui arriva à Kayrawân le 1er de ramadan. Harthema lui fit la remise de cette ville et retourna auprès du khalife. Mais la conduite du nouveau chef fut loin de lui attirer des louanges ; le djond se sépara de lui et se mit d'accord pour choisir Makhled ben Morra Azdi, autour de qui se rangèrent eh outre beaucoup de Berbères et d'autres habitants. Il fut néanmoins battu par des troupes que Mohammed ben Mok'âtil envoya contre lui ; il tenta en vain de se cacher [P. 106] dans une mosquée, il fut pris et égorgé.

Une autre révolte éclata à Tunis, d'où Temmâm ben Temîm Temîmi, accompagné de nombreux partisans, marcha sur Kayrawân en ramadan 183 (octobre 799). Ibn Mok'âtil s'avança contre lui et lui livra bataille à Monyat el-Kheyl[263] ; mais il fut battu et dut se retirer à Kayrawân. Temmâm, qui pénétra dans la ville à sa suite, lui accorda quartier à condition qu'il quittât l'Ifrîkiyya, et en ramadan même[264] le vaincu partit pour Tripoli.

Mais alors Ibrâhîm ben el-Aghlab Temîmi, qui désapprouvait ce que venait de faire Temmâm, marcha avec des forces nombreuses sur Kayrawân, d'où Temmâm, sans l'y attendre, se rendit à Tunis. Ibrâhîm, entré à Kayrawân, informa Mohammed ben Mok'âtil de ce qui venait de se passer, en l'engageant à rentrer dans son gouvernement, et Mohammed en effet retourna à Kayrawân, au grand mécontentement des habitants. Temmâm, qui apprit ces mauvaises dispositions, réunit des troupes et marcha sur Kayrawân, persuadé que la population, dégoûtée de Mohammed, lui viendrait en aide. A son approche, Ibn el-Aghlab parla ainsi à Mohammed : « J'ai déjà, bien que disposant de peu de soldats, battu Temmâm ; comme ton retour a redoublé ses espoirs, parce qu'il sait que le djond t'abandonnera, je crois que c'est à moi et à mes partisans à aller le combattre ». C'est ce qui se fit, et Temmâm, après avoir été battu et avoir perdu un certain nombre des siens, se retira à Tunis.[265] Ibn el-Aghlab le poursuivit pour l'y assiéger, mais Temmâm lui demanda quartier, et sa demande fut accueillie.

Gouvernement d’'Ibrâhîm ben el-Aghlab en Ifrîkiyya

Le rétablissement du pouvoir de Mohammed ben Mok'âtil en Ifrîkiyya et la soumission de Temmâm mécontentèrent les habitants, qui insistèrent auprès d’'Ibrâhîm ben el-Aghlab et le décidèrent à demander à Er-Rechîd le gouvernement du pays pour lui-même. Ibrâhîm écrivit dans ce sens, et, renonçant à la subvention annuelle de cent mille dinars fournie jusqu'alors à l'Ifrîkiyya par l'Egypte, il s'engagea à en payer une.de quarante mille. Le khalife réunit ses affidés et leur demanda conseil sur le choix d'un gouverneur, sans leur cacher la répugnance [P. 107] de la population pour Mohammed ben Mok'âtil. Harthema opina en faveur d’'Ibrâhîm ben el-Aghlab, dont il rappela l'intelligence, la piété et la capacité, qu'il avait appréciées par lui-même, et qui était plus qualifié qu'Ibn Mok'âtil pour garder cette province. Sa nomination fut donc signée par Er-Rechîden moharrem 184,[266] et eut pour conséquences la cessation des troubles et l'affermissement de l'ordre. Il envoya auprès du khalife Temmâm et les autres fauteurs de désordres, ce qui rendit le calme au pays. Il fit construire non loin de Kayrawân une ville qu'il nomma El-'Abbâsiyya[267] et où il s'installa avec sa famille et ses esclaves.

Un Arabe, du nom de H'amdis, se révolta en 186 (9 janvier 802) à Tunis et renonça au noir (couleur des Abbassides). Nombre d'hommes se rallièrent à lui, et 'Imrâii ben Makhléd,[268] à la tête de forces considérables, fut envoyé contre lui par Ibn el-Aghlab, qui donna l'ordre de détruire les rebelles jusqu'au dernier. La bataille s'engagea, au cri de : « Baghdâd, Baghdâd ! », poussé par les partisans deH'amdîs. La lutte fut chaude, mais H'amdîs dut prendre la fuite après avoir perdu dix mille des siens. 'Imrân entra alors à Tunis.

Ibn. el-Aghlab voulut ensuite marcher contre Idrîs ben Idrîs l’Alide, dont il apprit l'accroissement de forces vers les régions les plus éloignées du Maghreb ; mais il en fut dissuadé par ses compagnons, qui lui dirent de le laisser tranquille tant qu'il ne bougerait pas et de recourir plutôt à la ruse. En conséquence, il s'adressa à Behloûlben 'Abd el-Wâh'id, Maghrébin qui soutenait les intérêts d'Idrîs, lui envoya des présents et insista si bien, que ce chef abandonna Idrîs pour se soumettre à Ibrâhîm. Idrîs, voyant ses forces se disperser, écrivit à Ibrâhîm pour solliciter sa bienveillance, le priant de ne pas venir faire la guerre à un parent du Prophète. Aussi Ibrâhîm n'employa-t-il pas la force contre lui.[269]

'Imrân ben Makhled, cité plus haut, était des intimes d'Ibrâhîm et demeurait avec lui dans le château (d’'El'Abbâsiyya).Un jour qu'ils chevauchaient ensemble, il se mit à parler d'une affaire au prince, qui était préoccupé et qui, n'ayant rien compris à sa conversation, le pria de la répéter. Cela irrita 'Imrân, qui l'abandonna, leva de nombreuses troupes et vint camper entre Kayrawân et El-'Abbâsiyya ; la première de ces villes et la plus grande partie de l'Ifrîkiyya le soutenaient dans sa révolte.[270] Mais Ibrâhîm couvrit d'un fossé El-'Abbâsiyya et put ainsi se défendre pendant une période de combats qui dura toute une année. Le khalife, qui apprit la situation où il se trouvait, lui ayant alors envoyé de l'argent, Ibrâhîm fit proclamer que tous ceux qui appartenaient au djond du Prince des croyants eussent à se présenter pour toucher leur solde, 'Imrân se trouva alors abandonné par ses troupes, [P. 108] qui commencèrent à se disperser, et les soldats d’'Ibrâhîm profitèrent de ce moment pour les attaquer et les mettre en déroute ; puis Ibrâhîm fit annoncer qu'il pardonnait à tous et allait faire distribuer la solde, et alors ils accoururent. Il enleva les portes de Kayrawân et la démantela en partie.

Quant à 'Imrân, il se retira dans le Zâb et y vécut jusqu'à la mort d’'Ibrâhîm ; il reçut son pardon d’'Abd Allah, fils et successeur de celui-ci, auprès de qui il se rendit et avec qui il demeura. On excita ensuite 'Abd Allah en lui rappelant la révolte d’'Imrân et le peu de confiance qu'on devait avoir en lui, si bien que ce prince le fit mettre à mort.

A la suite de la défaite d’'Imrân, les troubles cessèrent en Ifrîkiyya et la population retrouva la sécurité tant que vécut Ibrâhîm, qui mourut en chawwâl 196 (juin-juillet 812), à l'âge de cinquante-six ans, dont il avait régné douze ans, quatre mois et dix jours.[271]  

Gouvernement d’'Abd Allah ben Ibrâhîm ben el-Aghlab

Le successeur d’'Ibrâhîm fut son fils 'Abd Allah, qui se trouvait en 196 (22 septembre 811) à Tripoli assiégé par les Berbères, ainsi que nous le dirons à cette date. Son père le désigna pour le remplacer et enjoignit à son autre fils Ziyâdet Allah ben Ibrâhîm de reconnaître 'Abd Allah. Celui-ci, en effet, reçut une lettre de Ziyâdet qui l'informait de la mort et des dernières volontés de leur père, et il se rendit de Tripoli à Kayrawân. La situation fut ainsi réglée ; ce règne se passa sans trouble ni guerre, et la population vécut dans le calme et la prospérité.[272] 'Abd Allah mourut en doû'l-hiddja 201 (juin-juillet 817).

Soulèvements en Espagne

En 181 (4 mars 797), Behloûl ben Merzoûk', connu sous le nom d’'Aboûl-H'addjâdj, se révolta en Espagne, du côté de la frontière, et s'empara de Saragosse. 'Abd Allah ben 'Abd er-Rah'mân, oncle du prince régnant El-H'akam et connu sous le nom de Balensi, se rendit, alors qu'il se dirigeait du côté des Francs, auprès de Behloûl.[273]

La même année se révolta 'Obeyda ben H'omeyd à Tolède. Par ordre d’'El-H'akam, le kâ'id 'Amroûs ben Yoûsof, qui était à T'albîra (Talavera), fit la guerre aux Tolédans et les serra de près. Il se mit ensuite à correspondre avec certains d'entre eux, les Benoû Makhchi, [P. 109] qui, séduits par lui, attaquèrent et tuèrent 'Obeyda ben H'omeyd, dont ils portèrent la tête à 'Amroûs. Celui-ci l'envoya à El-Ha'kam et installa les Benoû Makhchi auprès de lui. Mais les Berbères de Talavera, qui avaient à venger contre ceux-ci quelque injure, les attaquèrent par surprise et massacrèrent leurs adversaires, dont 'Amroûs expédia à El-H'akam les têtes avec celle d’'Obeyda et le récit de ce qui s'était passé— [274] par une autre porte ; chacun de ceux qui entraient était amené dans un endroit séparé et exécuté. On en tua ainsi sept cents, et cette région resta dès lors tranquille.

[P. 110] En 182 (21 février 798), Soleymân, fils de 'Abd er-Rah'mâfi qui avait régné en Espagne, passa dans la partie orientale de ce pays et se prépara à combattre son neveu El-H'akam ben Hichâm ben 'Abd er-Rah'mân, souverain régnant. El-H'akam, à la tête de nombreuses troupes, marcha contre Soleymân, aux côtés de qui s'étaient groupés de nombreux brouillons et fauteurs de désordres. Soleymân fut mis en déroute [P. 111] après une lutte acharnée et fut poursuivi par les troupes victorieuses.

La lutte recommença une seconde fois au mois de doû'l-hiddja (janvier-février 799), et Soleymân, vaincu de nouveau, se retira dans des endroits montagneux et d'un accès difficile. Après qu'El-H'akam se fut retiré,

Soleymân revint à la charge et marcha sur Ecija avec des troupes berbères. El-H'akam lui livra bataille en 183 (11 février 799). Après un chaud engagement, Soleymân dut se retirer dans une bourgade où son adversaire l'assiégea ; il fut réduit à s'enfuir du côté de Firrîch.[275] En cette même année, une forte inondation eut lieu à Cordoue : une grande partie du faubourg méridional fut submergée et détruite. L'inondation s'étendit jusqu'à Secunda.[276]

[P. 113] En 183 (11 février 799), la lutte éclata en Espagne entre un grand chef nommé Abou 'Imrân et Behloûl ben Merzoûk', l'un des principaux personnages du pays. 'Abd Allah Balensi s'était rangé du côté d'Aboû Imrân. Les partisans de Behloûl furent défaits et beaucoup d'entre eux périrent.[277]

En 184 (31 janvier 800), Ibrâhîm ben el-Aghlab prit en mains le gouvernement de l'Ifrîkiyya, dont il fut investi par Er-Rechîd.

En 184, 'Abd Allah ben 'Abd er-Rah'mân alla s'installer dans la ville de Huesca [P. 114] avec Abou 'Imrân et les Arabes. Behloûl ben Merzoûk' étant allé.les y assiéger, les Arabes se dispersèrent, et Behloûl put pénétrer dans la ville de Huesca. Alors 'Abd Allah se rendit à Valence et s'y fixa.

En 185 (19 janvier 801), El-Ha'kam, prince d'Espagne, marcha à la tête de ses troupes contre son oncle Soleymân ben 'Abd er-Rah'mân, qui était du côté de Firrîch. Soleymân, défait, se dirigea vers Mérida, mais il fut fait prisonnier par un détachement que les vainqueurs avaient lancé à sa poursuite. Quand on l'amena à El-H'akam, celui-ci le fit exécuter et envoya sa tête à Cordoue.[278] Il écrivit aux enfants de Soleymân, qui étaient à Saragosse, qu'il leur pardonnait et les engagea à venir le rejoindre à Cordoue, ce qu'ils firent.

[P. 115] En 185, les Francs conquirent sur les musulmans la ville de Barcelone en Espagne, et ils y installèrent leurs soldats défenseurs des frontières, tandis que les musulmans durent se rejeter en arrière. Cette conquête n'eut lieu que grâce à ce qu’'El-H'akam était occupé par la guerre qu'il soutenait contre ses deux oncles 'Abd Allah et Soleymân, ainsi que nous l'avons exposé.

[P. 116] Arrangement conclu entre El-H'akam, prince d'Espagne, et son oncle 'Abd Allah

En 186 (9 janvier 802), eut lieu la réconciliation d'El H'akam ben Hichâm ben 'Abd er-Rah'mân, prince d'Espagne, avec son oncle 'Abd Allah ben 'Abd er-Rah’mân Balensi. L'exécution de son frère Soleymân avait produit sur ce dernier une profonde impression et, craignant pour sa propre vie, [P. 117] il s'était réfugié à Valence, d'où il ne bougeait pas et ne faisant rien pour susciter de nouveau la guerre civile. Il fit enfin à ElH'akam des propositions de paix et de soumission ; d'après d'autres, ce fut El-H'akam qui prit l'initiative et lui fit offrir son pardon avec promesse de lui accorder, à lui et à ses enfants, de vastes fiefs. 'Abd Allah consentit, et la paix fut conclue par l'intermédiaire de Yah'ya ben Yah'ya,[279] élève de Mâlek, et d'autres uléma : El-H'akam donna ses sœurs en mariage aux fils de son oncle 'Abd Allah ; celui-ci vint le trouver et reçut un accueil honorable ; El-H'akam lui assigna un haut rang et lui accorda, à lui et à ses enfants, de vastes fiefs et de riches cadeaux. On dit aussi que les négociations eurent lieu cette année et que la paix ne fut définitivement arrêtée qu'en 187 (29 décembre 802).[280]

[P. 118] En 186 mourut en Espagne l'ascète Chak'rân ben 'Ali, qui était juriste.

En la même année mourut Râchid, client d’'Isa ben 'Abd Allah ben El-H'asen ben el-H'asen ben 'Ali ben Abou Tâleb, qui était arrivé au Maghreb avec Idrîs ben 'Abd Allah ben El-H'asen.[281] Ce fut Abou Khâlid Yezîd ben Elyâs qui eut, après lui, à diriger les Berbères.

[P. 128| Conquête de la ville espagnole de Tudèle par les Francs

En 187 (29 décembre 802), les Francs s'emparèrent de la ville de Tudèle en Espagne, dans les circonstances que voici. El-H'akam avait préposé aux places frontières d'Espagne un des principaux officiers de son armée, 'Amroûs ben Yoûsof, lequel chargea son fils Yoûsof du gouvernement de Tudèle. Or les membres d'une puissante et vaillante famille espagnole s'étaient éloignés d'El-H'akam et, refusant de plus lui obéir, ils s'étaient ralliés aux infidèles. Leur pouvoir devint considérable et ils marchèrent sur Tudèle, dont ils firent le siège et s'emparèrent. Ils en prirent aussi le gouverneur Yoûsof ben 'Amroûs et le retinrent captif au (lieu dit) Rocher de K'ays (çakhrat K'ays). 'Amroûs ben Yoûsof resta à Saragosse pour défendre cette ville contre les attaques des infidèles, mais il réunit une armée dont il confia le commandement à l'un de ses cousins paternels. Celui-ci livra bataille aux infidèles et les battit complètement : la plupart furent tués, le reste se sauva en désordre. Il se dirigea ensuite vers le Rocher de K'ays, l'assiégea et le prit, car les infidèles démoralisés par la défaite ne purent le défendre contre lui. Les vainqueurs rendirent la liberté à Yoûsof ben 'Amroûs, gouverneur de la frontière, et le renvoyèrent à son père.[282] La crainte inspirée par 'Amroûs aux infidèles était grande, et le bruit de sa renommée s'était étendu fort loin chez eux. Il resta à la frontière en qualité d'émir chargé du soin de la garder.

Châtiment infligé par El-H'akam aux Cordouans[283]

Dès le commencement de son règne, El-H'akam se mit ouvertement à boire du vin et à s'adonner aux plaisirs. Or Cordoue était une cité studieuse et où se trouvaient des savants remarquables et des gens pieux, entre autres Yah'ya ben Yah'ya Leythi, qui avait étudié le Mouat't'a avec Mâlek lui-même et avec d'autres. Les Cordouans, blâmant la conduite du prince, commencèrent à se remuer [P. 129] et lui jetèrent des pierres ; ils voulaient le tuer, mais il put se défendre grâce au concours des troupes présentes du djond, et le calme se rétablit. Quelques jours après, les principaux et les fakîh de la ville se réunirent chez Mohammed ben el-K'âsim K'orachi Merwâni, oncle paternel de Hichâm ben H'amzâ[284] ; ils avaient reçu le serment de fidélité prêté par les habitants à ce prince, et ils l'informèrent de l'assentiment général dont sa candidature était l'objet. Mais il demanda une nuit de répit pour réfléchir à cette affaire et avoir le temps de prendre l'avis de Dieu.[285] Après qu'ils se furent retirés, il alla trouver El-H'akam et l'informa de ce qui se passait, en protestant de sa fidélité. Comme El-H'akam lui demandait des preuves de ce qu'il avançait, il emmena l'un des affidés du prince et le fit asseoir, sans révéler sa présence, dans une chambre voûtée (koubba) de son hôtel. Quand ces gens revinrent le trouver pour lui demander s'il acceptait ou non, il leur exprima des craintes pour lui-même, leur représenta l'importance de cette affaire et demanda leurs noms et ceux de leurs adhérents. Ils énumérèrent tous leurs principaux partisans, des noms de qui l’affidé d'El-H'akam prit note. Mohammed ben el-K'âsim fixa alors la réalisation du complot au vendredi suivant, dans la grande mosquée. Mais le jour même, c'était le jeudi, lui et l'affidé rapportèrent tous ces détails à El-H'akam, qui fit, dès avant la nuit, arrêter les conjurés jusqu'au dernier, et les fit quelques jours plus tard crucifier à la porte de son palais. Ils étaient au nombre de soixante-douze, parmi lesquels le frère de Yah'ya ben Yah'ya et Ibn Abou Ka'b.[286] Ce fut une journée horrible, qui ne fit qu'augmenter la haine des habitants contre El-H'akam.

[P. 130] En 188 (19 décembre 803) mourut Choheyd ben 'Isa en Espagne ; il avait quatre-vingt-treize ans et était entré en Espagne avec 'Abd er-Rah'mân ben Mo'âwiya.

[P. 132] Troubles à Tripoli[287]

En 189 (7 décembre 804), les Tripolitains se montrèrent des plus turbulents à l'égard de leurs gouverneurs. Ibrahim ben el-Aghlab, émir d'Ifrîkiyya, leur en avait déjà envoyé successivement plusieurs, qu'il changeait à cause des plaintes émises par leurs administrés. Cette année-là il leur envoya Sofyân ben el-Mad'â', qui reprenait ce poste pour la quatrième fois ; mais la population décida unanimement de l'expulser et de le renvoyer à Kayrawân. Quand on voulut exécuter ce projet, lui et plusieurs de ses compagnons résistèrent les armes à la main ; expulsé de sa demeure, il se réfugia dans la grande mosquée et y continua sa résistance. Puis ses compagnons étant tombés sous les coups, on lui fit grâce de la vie, et il s'en alla en cha'bân de ladite année (juillet 805), après avoir exercé l'autorité pendant vingt-sept jours. A la suite de cette affaire, le djond de Tripoli choisit Ibrahim ben Sofyân Temîmi pour administrer le pays et les habitants. Ensuite il y eut encore de nombreux combats entre les infants de Tripoli et d'autre part les Benoû Abou[288] Kinâna et les Benoû Yoûsof, si bien que la situation de cette ville laissait fort à désirer. Alors Ibrahim ben el-Aghlab y envoya des troupes du djond avec ordre de lui ramener les infants, les Benoû Abou Kinâna et les Benoû Yoûsof. Arrivés à Kayrâwân en dhoû'l-hiddja (octobre 805), ils implorèrent le pardon d’'Ibrâhîm pour ce qu'ils avaient fait, et après l'avoir obtenu ils purent retourner dans leur pays.

[P. 135] Troubles à Tolède et journée de la fosse

En 191 (16 novembre 806), l'émir El-H'akam ben Hichâm, le souverain omeyyade d'Espagne, châtia les Tolédans, dont il tua plus de cinq mille des principaux. Les Tolédans, en effet, avaient formé des entreprises contre les émirs et refusé plus d'une fois de leur obéir, enorgueillis qu'ils étaient de la force de leur ville et de leurs grandes richesses, si bien que leur soumission n'était jamais complète. Fatigué de cet état de choses, El-H'akam résolut d'employer la ruse pour les réduire, et recourut à cet effet à 'Amroûs ben Yoûsof, [P. 136] connu sous le nom d’'El-Mowalled, qui à cette époque s'était emparé de la Frontière supérieure, mais qui avait mérité la confiance d’'El-H'akam par des démonstrations d'obéissance et parce qu'il faisait dire la prière au nom de ce prince.[289] Appelé auprès d’'El-H'akam, 'Amroûs, qui était originaire de Huesca, reçut l'accueil le plus pompeux ; le prince le mit au courant de ce qu'il méditait contre les Tolédans et s'entendit avec lui pour réaliser son plan. Il le nomma gouverneur de la ville et écrivit aux habitants :. « J'ai choisi pour vous gouverner un tel, qui est des vôtres et qui doit, à ce titre, vous inspirer confiance. C'est pour vous tranquilliser et vous témoigner toute notre bonne volonté que nous vous avons débarrassés de ces gouverneurs et de ces affranchis de notre (race), qui vous sont désagréables ». 'Amroûs se rendit donc à Tolède, où il fut bien reçu et où on lui manifesta de la confiance, tandis que lui-même leur témoigna beaucoup de cordialité. Pour commencer à les tromper, il feignit de haïr autant qu'eux les Omeyyades et de chercher à les renverser, ce qui lui concilia leurs esprits et leur fit considérer ses actes sans méfiance. « La cause, leur dit-il un jour, des mauvais rapports qui existent entre vous et les gens de l'émir, c'est qu'ils sont confondus avec vous. J'ai donc projeté la construction d'un bâtiment où nous vivrons, moi et les soldats du sultan (sic), de manière à vous éviter des difficultés ». Les habitants donnèrent leur consentement, et l'on éleva au milieu de la ville la caserne qu'il avait demandée.

Quelque temps se passa, et El-H'akam envoya secrètement à l'un des gouverneurs de la Frontière super rieure l'ordre de lui réclamer du secours contre les infidèles. Dès qu'El-H'akam eut reçu cette demande de secours, il réunit des troupes des diverses parties du territoire, et les plaça sous les ordres de son fils 'Abd er-Rah'mân, qu'il fit aussi accompagner de ses officiers et de ses ministres. Cette armée se mit en marche et passa près de Tolède sans qu’'Abd er-Rahmân fît mine de pénétrer dans cette ville ; mais pendant qu'il était encore dans le voisinage, le gouverneur dont il a été question lui fit savoir que les troupes infidèles s'étaient dispersées et que Dieu y avait pourvu. Les troupes d’'Abd er-Rah'mân s'arrêtèrent, et lui-même songeait à rentrer à Cordoue, quand 'Amroûs dit aux Tolédans : « Le fils d’'El-H'akam est dans le voisinage, et je dois aller le trouver pour lui rendre les hommages qui lui sont dus ; si vous ne voulez pas faire cette démarche, je la ferai seul ». Alors les principaux habitants l'accompagnèrent auprès d’'Abd er-Rah'mân, qui les traita honorablement et libéralement. Or El-H'akam avait fait accompagner son fils par un eunuque porteur d'un court billet adressé à ‘Amroûs. [P. 137] L'eunuque vint trouver ce dernier et, lui prenant la main, lui remit cette lettre sans proférer une parole. Le gouverneur l'ouvrit et y lut : « Où en est la ruse relative aux Tolédans ?»

'Amroûs suggéra alors aux principaux de la ville de prier ‘Abd er-Rah'mân de leur rendre visite pour que ce prince et sa suite pussent voir combien ils étaient nombreux, bien défendus et puissants. Ils prirent cet avis pour un conseil à suivre et firent entrer chez eux 'Abd er-Rah'mân, qui descendit dans l'hôtel d’'Amroûs, où vinrent le saluer les députations des habitants. 'Amroûs fit annoncer que le prince leur donnerait un grand banquet ; il en commença les préparatifs et leur en fixa la date, en convenant avec eux que l'entrée aurait lieu par une porte et la sortie par une autre, pour éviter l'encombrement. Au jour fixé, les habitants arrivèrent par troupes ; à mesure que chacune entrait, on se saisissait d'elle et on la menait à un détachement du djond, qui leur coupait le cou à tous au-dessus d'une grande fosse existant dans le château. Le soleil était déjà haut, quand arriva quelqu'un qui, ne voyant plus personne, demanda ce qu'étaient devenus les invités : « Ils entrent, lui dit-on, par cette porte et sortent par l'autre. — Je n'en ai, répondit-il, pas vu un seul (à l'autre porte) ». Comprenant alors ce qui se passait, il battit en retraite et se mit à pousser des cris pour avertir les autres de la mort de leurs concitoyens, de sorte qu'il put ainsi préserver les survivants.

A partir de là, leur orgueil fut abattu et leur obéissance ne laissa rien à désirer pendant le reste du règne d'El-H'akam, ainsi que sous celui de son fils 'Abd. er-Rah'mân. Mais, ensuite, leurs affaires se rétablirent et la population augmenta, si bien qu'ils s'empressèrent de refuser d'obéir quand, après 'Abd er-Rah'mân, son fils

Mohammed monta sur le trône ; ce que nous verrons plus loin.

Révolte de Mérida contre El-H'akam ; comment ce prince traite les Cordouans[290]

En 191 (16 novembre 806), eut lieu la révolte d’'Açbagh ben 'Abd Allah contre El-H'akam, avec le concours des habitants de Mérida, qui expulsèrent de leur ville le gouverneur nommé par El-H'akam. A cette nouvelle, celui-ci alla les assiéger, mais tandis qu'il poussait vigoureusement cette opération, il apprit que les Cordouans s'étaient ouvertement mis en rébellion, et il retourna précipitamment sur ses pas. En trois jours, il était à Cordoue, rechercha les fauteurs des troubles, qu'il fit crucifier la tête en bas, et fit trancher la tête à un certain nombre d'autres. Cet acte de rigueur arrêta les survivants, mais leur haine ne fit que s'accroître.

[P. 138] Quant aux habitants de Mérida, ils restèrent tantôt soumis tantôt révoltés jusqu'en 192 (5 novembre 807). La situation de leur chef Açbagh ne put que décroître, car El-H'akam ne cessa d'envoyer des troupes contre lui et sut attirer de son côté plusieurs des principaux de Mérida et des hommes de confiance du rebelle, qui fut abandonné par son propre frère, et qui, perdant courage, fit demander quartier. El-H'akam lui ayant pardonné, il quitta Mérida et vint habiter à Cordoue, auprès de l'émir.[291]

Expédition des Francs en Espagne

En cette année, Loderîk', roi des Francs, prépara une expédition en Espagne et réunit des troupes pour assiéger Tortose. A cette nouvelle, El-H'akam envoya un corps d'armée considérable, commandé par son fils 'Abd er-Rah'mân, à qui se joignirent de nombreux volontaires. Les Musulmans attaquèrent les Francs avant qu'ils eussent pu s'emparer d'aucune portion de leur territoire ; des deux parts, on accomplit des prodiges de valeur, mais Dieu accorda la victoire aux siens, et les infidèles furent mis en déroute. Beaucoup d'entre eux furent tués ou faits prisonniers, et les Musulmans rentrèrent chargés d'un nombreux butin formé des richesses et des bagages des vaincus.[292]

Révolte de H'azm contre El-H'akam[293]

En cette année, H'azm ben Wahb, de concert avec d'autres, se révolta dans la région de Béja et marcha sur Lisbonne. A cette nouvelle, El-H'akam, qui, dans ses lettres, traitait H'azm de Nabatéen, fit marcher contre lui son fils Hichâm à la tête d'une forte armée. Hichâm sut les contenir, lui et ses partisans, coupa les arbres et finit par les serrer d'assez près pour qu'ils demandassent quartier, ce qui leur fut accordé.

[P. 163]Révolte des Tunisiens contre Ibn el-Aghlab

En 194 (14 octobre 809), 'Imrân ben Modjâlid[294] Rebî'i etK'oreych ben et-Toûnesi se révoltèrent à Tunis contre Ibrâhîm ben el-Aghlab, émir d'Ifrîkiyya. De nombreux partisans se joignirent à eux ; mais, de son côté, ce prince tint ferme dans son palais[295] et rassembla tous ceux qui continuaient de lui obéir. De plus, en djomâda II (mars-avril 810), les Kayrawâniens firent cause commune avec les insurgés, et dans une rencontre qui eut lieu au cours de cette guerre, un certain nombre des meilleurs guerriers d'Ibn el-Aghlab mordirent la poussière. Alors 'Imrân ben Modjâlid, à la tête de ses partisans, se mit en mouvement et pénétra à Kayrawân, le 10 redjeb (18 avril) ; d'autre part, K'oreych partit de Tunis pour se joindre à lui, et ils livrèrent aux partisans d'Ibn el-Aghlab, dans ce mois de redjeb, une bataille où l'avantage leur resta ; puis, le 20 du même mois, une autre rencontre leur fut encore favorable. Mais un troisième engagement, toujours dans ce même mois, laissa Ibn el-Aghlab victorieux. 'Imrân ben Modjâlid envoya alors au juriste Asad ben el-Forât un message pour l'inviter à prendre fait et cause pour eux. Mais cette première démarche n'ayant pas réussi, il renvoya son messager auprès de lui, en le menaçant, s'il ne se décidait pas, de lui adresser quelqu'un qui le tirerait par le pied. Néanmoins Asad se borna à répondre au porteur que, s'il se mettait en mouvement, ce serait, jurait-il, pour dire aux populations que meurtriers et victimes étaient destinés au feu de l'enfer. 'Imrân alors n'insista plus.

Révolte des habitants de Mérida et expédition d’'El-H'akam contre les Francs

En 194 (14 octobre 809), les habitants de Mérida se révoltèrent de nouveau contre El-H'akam ben Hichâm., émir d'Espagne, qui marcha en personne contre eux et qui ne cessa pas, pendant cette année et les deux suivantes, de les harceler soit avec de petits détachements de cavalerie, soit avec des corps de troupes plus nombreux.

Les Francs, convoitant les places frontières musulmanes, entreprirent une incursion où ils se livrèrent au meurtre et au pillage ; mais El-H'akam, occupé de la ville de Mérida, n'avait pas le loisir de les combattre. Cependant il apprit ensuite la triste situation de la frontière et les ravages qu'y commettait l'ennemi ; une musulmane faite prisonnière s'était écriée : « Au secours, El-H'akam ! » Il ressentit vivement la force de cet appel, et ayant concentré ses forces et organisé ses préparatifs, il pénétra sur le territoire franc [P. 164] en 196 (22 septembre 811). Il commit de grands ravages, conquit plusieurs châteaux-forts, ruina le pays, pilla, tua, emmena des captives et atteignit la région où se trouvait cette femme. Là il commanda aux habitants de lui amener assez de prisonniers pour libérer les leurs, insistant particulièrement sur la mise en liberté de la femme dont il s'agit ; elle fut délivrée, et les autres prisonniers (francs) furent mis à mort. Cette expédition terminée, il demanda aux habitants de la frontière s'il avait répondu à leur demande de secours, ce que tous reconnurent, en adressant au ciel des vœux pour lui et le comblant de souhaits.[296] Il rentra ensuite à Cordoue.

[P. 187] Troubles occasionnés par les Tripolitains

En 196 (22 septembre 811) Abou 'Içâm et ses partisans se révoltèrent contre Ibrahim ben el-Aghlab, émir d'Ifrîkiyya, qui les combattit et resta vainqueur.[297]

Dans la même année, 'Abd Allah, nommé gouverneur de Tripoli par son père Ibn el-Aghlab, vit le djond se révolter contre lui à son arrivée dans cette ville. Il eut à subir un siège dans sa propre demeure, puis la paix fut conclue sous la condition qu'il s'éloignerait. Il se retira donc, mais il n'était pas bien loin que de nombreux partisans se groupèrent autour de lui, et les largesses qu'il leur fit attirèrent auprès de lui des Berbères, qui arrivèrent de tous côtés : la solde journalière d'un cavalier était de quatre dirhems, et celle du fantassin de deux. A la tête des nombreuses forces qu'il réunit ainsi, il marcha contre Tripoli, d'où le djond tenta une sortie qui ne réussit pas. 'Abd Allah le mit en fuite, entra dans la place et, après avoir pardonné aux habitants, se mit à exercer le pouvoir. Il fut ensuite révoqué par son père et remplacé par Sofyân ben el-Mad'â', contre qui les Hawwâra[298] se révoltèrent dans la ville même ; à la suite d'un combat, ils refoulèrent dans la cité le djond, qui s'enfuit alors auprès d'Ibrâhîm ben el-Aghlab. Les vainqueurs, restés maîtres de la ville, la démantelèrent. Alors Ibrahim, mis au courant des événements, envoya, sous le commandement de son fils Abou' l-'Abbâs 'Abd Allah, une armée de 13.000 cavaliers qui livra bataille aux Berbères, les défit et leur tua [P. 188] beaucoup de monde. Après quoi, 'Abd Allah entra à Tripoli, dont il releva les remparts.

Quand 'Abd el-Wahhâb ben 'Abd er-Rah'mân ben Rostem fut informé de la défaite des Berbères, il les rallia, remonta leurs esprits et vint avec des forces considérables camper sous les murs de Tripoli, dont il commença le siège. 'Abd Allah fit alors fermer la porte des Zenâta et se borna à combattre du côté de la porte des Hawwâra, ce qui dura jusqu'à l'époque où son père Ibrâhîm mourut en le désignant pour son successeur. Ziyâdet Allah, frère d’Abd Allah, après avoir fait reconnaître ce dernier par le djond, écrivit au nouvel émir pour l'informer de ce double événement. Le messager et la lettre qu'il portait tombèrent aux mains des Berbères et furent livrés par eux à 'Abd el-Wahhâb, qui fit annoncer par un héraut à 'Abd Allah la mort de son père. Alors intervint un arrangement aux termes duquel 'Abd Allah, se réservant Tripoli et la souveraineté de la mer, abandonnait le reste du pays à 'Abd-el-Wahhâb. Il se rendit ensuite à Kayrawân, où il fut reçu par la population et prit le pouvoir en main. Son règne se passa dans le calme.

[P. 193] En 197 (11 septembre 812), une cherté excessive régna en Espagne ; on restait des jours entiers dans la préoccupation absorbante d'avoir de quoi manger.[299]

[P. 209] Affaire du faubourg de Cordoue

En 198 (31 août 813) eut lieu à Cordoue l'affaire dite du faubourg, voici à la suite de quels événements. Le prince régnant en cette ville, El-H'akam ben Hichâm l'Omeyyade, ne s'occupait guère qu'à jouer, à chasser, à boire et à d'autres plaisirs de ce genre, et d'autre part la mise à mort de plusieurs des principaux habitants l'avait fait détester de la population, qui maltraitait et injuriait les hommes du djond. Les choses en vinrent à ce point de désordre que, quand on faisait l'appel à la prière, la populace criait : « Viens prier, ivrogne, viens donc prier ! » et pendant que quelques-uns criaient cette injure, les autres applaudissaient, Alors El-H'akam commença à entourer Cordoue d'une enceinte fortifiée et garnie de fossés ; il caserna de la cavalerie à la porte de son palais, où une troupe armée avait mission de toujours se tenir, et augmenta le nombre de ses mamlouks. Toutes ces précautions ne purent qu'augmenter la haine de la population, qui était persuadée qu'il voulait tirer vengeance de toutes ces avanies. Ensuite il établit l'impôt, à prélever chaque année et sans rémission, de la dîme sur les denrées, ce qui fut mal vu du peuple ; il s'empara de dix des principaux exaltés, qu'il fit exécuter et crucifier, nouvelle cause de colère pour les gens du faubourg. Ajoutez enfin qu'un mamlouk du prince, ayant porté son épée [P. 210] chez un fourbisseur pour la faire nettoyer, et celui-ci l'ayant remis à plus tard, le mamlouk saisit son épée dont il frappa l'ouvrier jusqu'à ce que mort s'ensuivît. Cela arriva en ramadan (avril-mai 814) de cette année. Les gens du faubourg méridional[300] coururent les premiers aux armes, et tous les autres faubourgs les suivirent. Le djond, les Omeyyades et les esclaves noirs se concentrèrent dans le palais, et El-H'akam procéda à la répartition des chevaux et des armes, ainsi qu'au groupement de ses compagnons. La lutte s'engagea et fut favorable aux gens du faubourg, qui cernèrent le palais. Alors El-H'akam descendit de la terrasse où il se tenait et vint, à cheval et armé, relever le courage des siens, qui se battirent sous ses yeux avec acharnement. Par son ordre, son cousin paternel 'Obeyd Allah fit une sortie par une brèche ouverte dans la muraille et prit avec son corps de troupes les gens des faubourgs à revers, tandis qu'ils ne s'attendaient à rien ; il mit le feu aux maisons, et alors ces gens s'enfuirent après un violent combat. On tira de toutes les demeures ceux.qui y habitaient et on les fit prisonniers, puis on en prit trois cents des plus considérables, que l'on exécuta et que l'on crucifia la tête en bas. Pendant trois jours, les faubourgs de Cordoue furent livrés au meurtre, à l'incendie, au pillage et à la destruction.

El-H'akam prit alors l'avis d’'Abd el-Kerîm ben 'Abd el-Wâh'id ben 'Abd el-Moghîth, son plus intime confident, qui lui conseilla la clémence. Ce fut le parti qu'embrassa le prince, malgré l'avis contraire émis par un autre, et il fit proclamer l'amân, mais avec menace de tuer et de crucifier tous ceux des habitants du faubourg qui ne seraient pas partis dans les trois jours. Les survivants sortirent en cachette, exposés à toute espèce de peines et d'humiliations, et emmenant loin de Cordoue leurs femmes, leurs enfants et leurs richesses les moins lourdes.[301] Les soldats et les malfaiteurs étaient aux aguets pour les piller et tuaient ceux qui osaient leur résister. A la fin du délai de trois jours, El-H'akam donna ordre de respecter les femmes, qu'on réunit dans un même endroit, et fit détruire le faubourg méridional.

Bezî',[302] affranchi d’'Omeyya, fils de l'émir 'Abd er-Rah’mân ben Mo'âwiya ben Hichâm, était alors emprisonné à Cordoue dans le H'abs ed-dem, et chacun de ses pieds était chargé d'une lourde chaîne. En voyant que le peuple l'emportait sur le djond, il demanda à ses geôliers de le relâcher, à quoi ceux-ci consentirent après lui avoir fait promettre de rentrer en prison s'il sortait sain et sauf du combat. Il s'élança dans la mêlée et se battit plus bravement que n'importe quel soldat, puis retourna à la prison après la défaite des gens du faubourg. El-H'akam, qui fut informé de la chose, le fit mettre en liberté et le traita généreusement.

Il y en a qui mettent cette affaire du faubourg en l'année 202 (19 juillet 817).

(A suivre.)

 

 


 

[153] Sur ces événements, voir Dozy, i, 368 ; Bayân, ii, 55 ; Madjmoû'a, p. 105 ; Ibn Khaldoun, iv, 122 ; notre récit est plus complet et plus détaillé.

[154] Ce nom est écrit Ra'wâk, résultant de l'omission d'un point diacritique, par le Bayân (II, 55), et le Madjmoû'a (p. 102 et 105) ; on trouve aussi Raghwân (Zaghwân ?) ailleurs. D'après l'éditeur et traducteur de ce dernier ouvrage, il y faut voir Alcala de Guadaira (l. l., p. 256). Je ne crois pas qu'il en soit parlé dans les géographies arabes, sous l'une ou l'autre orthographe. C'était le premier château qu'on trouvait, en remontant le fleuve, à huit milles de Séville (Dozy, Recherches, 3e éd., t. II, p. 261).

[155] Dans Ibn Khaldoun, on trouve les deux orthographes ‘Atâb et Ghiyâth ; mais on sait combien l'édition de Boulak est fautive.

[156] D'après le Madjmoûa, au contraire, le vainqueur les épargna.

[157] Nos autres sources, — à l'exception d'Ibn Khaldoun et aussi du Mokaffa, qui semble suivre presque exclusivement le récit d'Ibn el-Athîr, — ; ne mentionnent pas cette révolte. Dans le ms. de Paris, le nom écrit d'abord « Kherâcha » a ensuite été transformé en Khorâsa, mais à tort probablement, car Dhehebi ne mentionne que la première de ces formes.

[158] On trouve plus de détails sur la révolte de ce puissant chef yéménide dans Dozy (i, 369 ; voir aussi le Bayân, ii, 56 ; le Madjmoû'a, p. 105 ; Fatho-l-Andaluci, p. 63). Ce nom est ordinairement écrit Abou'ç-Çabbâh' ben Yah'ya, mais aussi (Madjmoû'a, 84) Abou'ç-Çabbâh' Yah'ya ben Folân (un tel).

[159] Je ne retrouve ce nom que dans Ibn Khaldoun, qui écrit « Ghiyâth ben el-Mostabidd ».

[160] Le texte correspondant à ces derniers mots, illisible dans le ms. de Paris, paraît légèrement corrompu. Le nom d'Aboû Sa'îd el-Mohalleb ben Abou Çofra, mort en 83 hégire, est, en effet, célèbre dans les premiers temps de l'histoire de l'islam (Ibn Khallikan, III, 508 ; Ibn el-Athîr, index, p. 608 ; Bayân, I, 68, etc.).

[161] Capitale du Zâb ; voir les différents géographes arabes énumérés par Fournel, I, 176. Sur les événements racontés ici, voir ibid., I, 369 ; Bayân, I, 65 ; Berbères, I, 221 et 379.

[162] Ce nom est lu ailleurs El-Djoneyd ben Yesâr (ou Seyyâr) 'Azd (Berbères, I, 379 et 383 ; cf. Fournel, I, 379).

[163] Ou Seddarâti, en suivant l'orthographe de Belâdhori (i, 233).

[164] On lit ailleurs El-Misouer (Berbères, I, 380 ; Bayân, I, 65), et aussi El-Miçouer ibn Hâni, à côté du nom de Djerîr ibn Masoud (Berbères, I, 221 et 384), ce qui pourrait faire croire que des erreurs de copie ont fondu deux noms en un seul.

[165] Ou même quarante mille seulement, selon Ibn Khaldoun et Noweyri (Berbères, I, 220 et 380).

[166] Je corrige le texte, qui porte « El-Harich ».

[167] Je corrige le texte, qui lit, à tort, K'oteyba.

[168] 'Omar ben Hafç périt en 153, d'après le Nodjoûm (s, 411).

[169] On trouve aussi ce nom écrit Djemil {Berbères, i, 381, 383, 384, etc.) ; le Bayân écrit Djemîl ben H'afç (i, 66). Cf. Fournel, i, 374 et 375.

[170] Les faits ne sont pas tout à fait présentés sous le même jour dans les Berbères (i, 383).

[171] On trouve ailleurs la date plus précise du 27 de ce mois ou 6 mars 772 (Berbères, i, 385).

[172] Cette affaire parait être la même que celle qui est placée par Ibn Khaldoun en 157 (t. i, p. 223) ou en 156 (r, 276) ; mais comparez aussi le Bayân (i, 69) et Foumel (i, 381 et 382). Le chef révolté est appelé soit Yahya ben Founas, soit Aboû Yahya ben K'aryâs, soit Aboû Yahya ben Fanous (infra, p. 245). On retrouve ailleurs le nom Firnâs (Makkari, i, 101 ; ii, 92, etc.)

[173] L'orthographe de ce nom varie ; j'ai suivi celle de Dozy (Mus. d'Espagne, I, 372) et de de Slane (Berbères, i, 259). Tornberg a imprimé Chak'nâ, et il en est de même dans le Fatho-l-Andaluci, p. 64, et dans Ibn Khaldoun (Boulak, iv, 123) ; le Madjmoû'a lit Sofyân ; le Mokaffa, Chak'nâs 'Abdel-Wâbid. Cf. Fournel, i, 423.

[174] Aujourd'hui Castro de Santaver, sur le Guadelia (Lexique géographique de l'Akhbar Madjmoû'a, p. 261 ; Dozy, i, 372 ; Fournel, i, 424).

[175] Ibn Khaldoun insère ici « ben 'Othmân ».

[176] Coria, dans le N.-O. de l'Estrémadure, est souvent citée par les auteurs arabes ; il en est dit un mot par Edrisi (trad. p. 222).

[177] Chebat'rân est le nom d'un château fort situé dans le territoire de Tolède, à ce que nous apprend le Meraçid, qui fixe l'orthographe de ce mot et permet de corriger le texte de Tornberg (t. vi, p. 4 et 33, infra, p. 242 et 247). Cette localité, qui ne figure pas dans Edrisi, est aussi citée par le Bayân (u, 56) ; elle est située entre Tolède et Santaver, d'après le Fatho-l-Andaluçi (p. 65).

[178] Medellin (?).

[179] Je n'ai pas retrouvé ce nom ailleurs ; comparez cependant ci-dessus, p. 205, où il est question de Hâchim ben ech-Châh'idj, qui doit être le même individu.

[180] Le Bayân (i, 155) dit aussi quelque chose de ces événements ; on y lit 'Isa ben Yezîd (comme dans les Berbères, i, 261 ; dans Bekri, p. 330, 'Isa ben Mezyed), et ensuite Samghoûn au lieu de Semkoû.

[181] Ailleurs le premier de ces noms est écrit 'Abd el-Ghâûr (Madjmoû'a, 107 ; Bayân, ii, 57) ; on retrouve la lecture « 'Abd el-Ghaffâr » dans le Fatho-l-Andaluçi (p. 65) ; chez Ibn Khaldoun ; chez Ibn el-Koûtiyya (p. 274) et chez Makkari (éd. de Leyde, ii, 33). — Je lis Molâmis, selon une variante rejetée en note par Tornberg, et d'accord avec les divers textes qui viennent d'être cités ; cependant Makkari (l. l.) écrit aussi « Molâbis » ; Dozy (Mus. d'Espagne, i, 344) a reproduit la lecture « Molâmis ». Cf. Fournel, i, 425.

[182] Ce fait est encore rappelé plus loin.

[183] Les détails que donnent sur cette affaire nos autres sources, qu'a suivies Dozy (i, 373), diffèrent de ceux qu'on vient de lire. La bataille eut lieu sur les bords du Bembuzar ou Wâdi K'ays (Dozy, p. 374) ; le premier de ces noms est écrit indistinctement dans le Madjmoua (p. 108), (Fatho-l-Andaluçi, p. 66) ou (Ibn el-Koûtiyya (p. 274, l. 7 et 17).

[184] Voyez Dozy, i, 388 ; Fatho-l-Andaluçi, 66-67 ; Makkari, ii, 25 ; Ibn Khaldoun, l. I. ; Fournel, i, 426.

[185] On trouve également la lecture Fânoûs. C'est aussi Foûnâs qui est écrit par Ibn Khaldoun dans le récit de cette révolte (Berbères, i, 276) ; voir ci-dessus, p. 239.

[186] Cf. Dozy (i, 384).

[187] Ce personnage est cité plus haut ; un peu plus loin, sa mort est placée sous l'année 162. Le Nodjoûm (i, 420) le fait aussi mourir en 156 et loue sa piété et son esprit de justice.

[188] Charlemagne ne franchit les Pyrénées qu'en 778, de sorte qu'il ne pourrait être ici question de lui. Cependant Makkari (II, 33) parle aussi de la révolte à Saragosse, en 157, d'El-H'oseyn ben Yah'ya ben Sa'id ben Sa'd ben 'Obâda Khazradji, soutenu par Soleymân ben Yak'z'ân A'râbi Kelbi. Le Madjmoû'a (p. 110 et 112) ne fixe pas les dates. Sous l'année 157, le Bayân reste muet au sujet de cette insurrection, mais il en parle plus loin en donnant les deux dates de 165 et 167 ; d'après Ibn Khaldoun, ce fut en 164 (cf. Mus. d'Esp., i, 375). Voir plus bas, p. 250. — Ibn el-Koutiyya (p. 274) rappelle aussi une révolte, dont d'ailleurs il ne fixe pas la date, qui eut lieu à Saragosse et fut l'œuvre de Mot'arrif ben el-A'râbi, personnage dont je ne retrouve pas de traces ailleurs.

[189] On retrouve ce nom dans le Madjmoû'a (p. 114), sous la forme 'Aysoûn.

[190] Lafuente, dans sa table géographique du Madjmoû'a, hésite sur la détermination de cet endroit, qui est peut-être, dit-il, Montalvan.

[191] Il s'agit d'Aurelio et de Silon, rois des Asturies, qui régnèrent à Oviedo respectivement de 768 à 774 et de 774 à 783 (Art de vérifier les dates ; Dozy, Recherches, i, p. 138, ou 3e éd., p. 127.)

[192] Le Bayân (II, 57) rapporte deux fois, sous l'année 159 et sous l'année 160, la mort de Chak'yâ, mais avec moins de détails que dans notre texte. Le Madjmoû'a (p. 111), qui raconte à peu près les mêmes incidents, appelle les deux traîtres Abou Ma'n Dâwoûd ben Hilâl et Kinâna ben Sa'îd. Le Fatho-l-Andaluci place en 164 la mort de Chak'yâ (p. 67), tandis qu'Ibn Khaldoun indique la date de 161.

[193] Voir Dozy, i, 377 ; Madjmoû'a, 110. Le nom de l'assassin, écrit peu lisiblement dans ce dernier texte, est. Mechkâr, d'après le Ray an (II, 58).

[194] En compagnie d’'Abdoûs ben Abou 'Othmân, d'après le Madjmoû'a (p. 111).

[195] L'exécution de Dih'ya est de 164, d'après le Fatho-l-Andaluci, p. 67. La date de 162 parait aussi résulter du récit d'Ibn Khaldoun. Au lieu de « Dibya », le Madjmoû'a (p. 111) lit « Wadjîb ». Ce personnage, envoyé à Chak'yâ par Aboû 'Othmân 'Obeyd Allah, son oncle, et par Temmâm ben 'Alk'ama, avait fait cause commune avec le rebelle, mais s'était échappé lorsque celui-ci fut assassiné.

[196] C'est ce que disent aussi Ibn Khaldoun et le Madjmoû'a (p. 111). On peut induire de là que la disgrâce de Bedr (ci-dessus, p. 245) ne dura pas jusqu'à la mort de ce fidèle serviteur.

[197] Je lis « Bernesi » ainsi que le porte une variante rejetée en note par Tornberg, et comme l'écrit le Madjmoû'a (p. 111), qui ajoute que Ghassâni périt le même jour qu'Ibrâhîm Bernesi. Cette dernière révolte eut lieu à Moron et est de 161 ou de 162 (Bayân, II, 58 ;.

[198] Je lis Temmâm, nom du personnage cité à plusieurs reprises ; c'est d'ailleurs la leçon du ms. de Paris.

[199] Je ne crois pas que cette insurrection soit mentionnée ailleurs.

[200] Le Madjmoû'a (p. 112) raconte les faits de la même manière.

[201] Il existe deux médecins célèbres de ce nom (Wüstenfeld, Gesch. der Arab. Aerzle, nos 59 et 125), et il ne pourrait être question ici que du plus ancien des deux, qui fut pendant un demi-siècle médecin, des khalifes. Mais comme il mourut en 243, il semble que c'est à tort qu'on lui fait ici émettre une observation qui est d'ailleurs souvent répétée par les médecins arabes.

[202] Makkari (II, 37) mentionne aussi le projet d'attaquer la Syrie. L'ambition du prince d'Espagne était d'ailleurs provoquée par les appels de ses partisans, qui avaient à se plaindre du joug pesant des Abbasides (Mokaffa, f. 56).

[203] Le Bayân (n, 58) place cette expédition en 165 ou 167. Au sujet de ces événements, comparez ci-dessus, p. 245.

[204] Le Madjmoû'a (p. 110) écrit ce nom « d’'Abd », mais on retrouve l'orthographe de notre texte dans le Fatho-l-Andaluçi (p, 67), dans Ibn Khaldoun (iv, 121) et dans Makkari (n, 31).

[205] Comparez ce récit à celui du Madjmoû'a (p. 113), du Fatho-l-Andaluçi (p. 68), de notre auteur (p. 246), du Bayân (II, 58) et de Dozy (p. 379).

[206] C'est probablement ce nom qu'on retrouve dans le Madjmoû'a (p. 114), que Lafuente traduit, avec beaucoup d'hésitation, par « Collioure ». On peut aussi songer à Calahorra. Comparez, pour les noms propres qui suivent et dont l'orthographe est incertaine, le texte de ce dernier ouvrage.

[207] Qui s'était échappé presque aussitôt après avoir été livré comme otage (Madjmoû'a, 114).

[208] Il commença par lui faire couper les pieds et les mains (ibid., 116 ; Dozy, i, 381).

[209] Il est parlé d'une autre conspiration de parents du prince, en 163 d'après Makkari (II, 31-32) ou en 165 (Fatho-l-Andaluçi, 69-70). Ces deux auteurs donnent quelques détails sur celle d'El-Moghîra (ibid.), mais le premier en fixe la date à 167, le second à 168, de même que le Bayân (II, 59) ; voir aussi le Madjmoû'a (p. 116).

[210] Le Fatho-l-Andaluçi écrit le nom d’un des conjurés Samore ben H’alîla.

[211] Voir Dozy, i, 376 et 381 ; Bayân, ii, 59 ; Madjmoû'a, p. 116 ; Ibn Khaldoun, iv, 124. Cette révolte est placée par le Bayân à l'année 169.

[212] Cette localité n'est pas citée par Edrisi. Elle correspond (selon Lafuente, lexique du Madjmoû'a, 250) à Cazlona, l'ancienne Castulo ou Castulone, dans la région de Linares. La rencontre eut lieu, dit le Bayân, au Gué de la Victoire (sur ce lieu, voir ibid., 264 ; Mus. d'Espagne, i, 314).

[213] Même version dans Ibn Khaldoun. Le Bayân parle de la révolte, mais non de l'exécution de K'âsim.

[214] Après Silon, mort en 783, régna Mauregat, à qui succéda Bermude i, en 788. Alphonse II le Chaste monta sur le trône en 797.

[215] On retrouve à peu près les mêmes renseignements dans le Bayân (i, 155 ; cf. Berbères, i, 261).

[216] Sur ces événements, cf. notamment Fournel, i, 389 et suiv.

[217] Bekri écrit Oulîli et Oulileni (voir p. 248, 263, 269, 317) ; sur la fuite d'Idrîs et son établissement dans le Maghreb, cf. ibid., p. 268 ; Berbères, ii, 559 ; Bayân, i, 72 et 218 ; Nodjoûm, I, 433 et 452 ; Kartâs, éd. Tornberg, texte p. 5, trad. p. 6).

[218] Comparez les récits, qui ne sont pas entièrement identiques, des Berbères, i, 224 et 387, et du Bayân, i, 72 ; Fournel, i, 385.

[219] Ces deux derniers faits sont également mentionnés dans le Bayân, (II, 59 et 60, supra, p. 223) ; le Fatho-l-Andaluçi (p. 70) parle de la fondation du djâmi' de Grenade (par suite d'une mauvaise lecture ?). C'est à Hichâm qu'Ibn el-Koutiyya (p. 279) attribue la fondation de la grande mosquée de Cordoue dont une portion du butin fait à Narbonne par 'Abd el-Wâh'id ben Moghîth aurait couvert, les frais. Mais d'après d'autres auteurs (Makkari, ii, 219 ; infra, p. 97 ; Bayân, ii, 92), cet édifice fut commencé par le père et achevé par le fils. Le Mokaffa (f. 56) parle aussi des nombreuses constructions édifiées par Abd er-Rah'mân.

[220] Dans une localité que le Mokaffa orthographie Deyr Khanînâ, le Bayân Deyr H'oseyna, le Nodjoûm, Deyr H'oneyn, et le Madjmoû'a, Deyr H'annâ.

[221] Ces boucles jouèrent un rôle dans les prédictions de grandeur dont il était l'objet dès avant la conquête de l'Espagne (Dozy, i, 305).

[222] La haute opinion qu'avait El-Mançoûr du fondateur de la dynastie omeyyade en Espagne est rapportée par le Bayân, ii, 61 ; le Madjmoû'a, p. 118 ; Merrâkechi, trad., p. 14 ; le Mokaffa, f. 55 v° et 56 ; Dozy, i, 381.

[223] Ces vers se retrouvent dans Makkari (ii, 37), dans le Bayân (ii, 62) et dans le Mokaffa (f. 55. v°).

[224] Cf. Dozy, i, 385 ; Makkari, ii, 32 ; Madjmoû'a, p. 95.

[225] Voir ci-dessus p. 244 ; Fatho-l-andaluçi, texte, p. 59 ; Makkari, ii, 40. Ce fut au bout de dix mois qu'Abd er-Rah'mân fit supprimer le nom du persécuteur de sa famille ; le Mokaffa dit que ce fut au bout d'un an. Le discours que tint 'Abd el-Melik pour provoquer un changement dans la khotba y est rapporté, f. 56.

[226] Makkari (i, 216) parle de l'éducation que reçurent les deux princes et des aptitudes qu'ils témoignaient.

[227] Sur les circonstances dans lesquelles ce prince monta sur le trône, cf. Bayân, ii, 63 ; Fournel, i, 430.

[228] Ibn Khallikân (i, 529) a consacré un article à ce personnage ; cf. Bayân, i, 74 ; Berbères, i, 387 ; Fournel, i, 385.

[229] Le règne de Hichâm est traité fort sommairement par Dozy (ii, 54-57), qui se borne à peu près à rappeler les pratiques de dévotion auxquelles Ce prince se livra ; il en est de même dans le Madjmoû'a et dans Merrâkechi.

[230] Le ms. de Paris lit « 'Abd el-Melik », lecture confirmée par le Bayân (u, 64), où les faits dont il s'agit sont racontés à peu près de la même manière. Le nom de ce prince se retrouve plus loin.

[231] Il s'appelait H'odeyr et était connu sous le nom d'El-Madhboûh' (Bayân, l. l.).

[232] En l'année 174 (Ibid.)

[233] C'est-à-dire en Afrique, ainsi que le précisent le Bayân et Ibn Khaldoun.

[234] Dans Ibn Khaldoun, Fark'oûk.

[235] Voyez ce que dit le Bayân, d'après Râzi, de ces événements (ii, 63-64) ; cf. Nodjoûm, i, 467 et 472.

[236] Mauregat ou Maurecat succéda à Silon ; à sa mort Alphonse II fut proclamé en octobre 789 et régna deux ans, au bout desquels les grands choisirent un de ses parents, le diacre Bermude. Celui-ci ne tarda pas, à la suite d'une défaite que lui infligèrent les musulmans, à rendre le trône à Alphonse II le Chaste, qui régna jusqu'en 842 et eut pour successeur Ramire I, fils de Bermude ; celui-ci mourut en 850 (Art de vérifier les dates ; Dozy, Recherches, 3e éd., p. 127).

[237] Le Fatho-l-Andaluçi (p. 72 texte) dit que Hichâm fit exécuter son frère Soleymân, ce qui est en contradiction avec ce qui a été dit et avec ce que nous verrons plus loin.

[238] Le même récit se retrouve dans le Bayân (ii, 65), qui donne le nom des deux assassins de Mat'roûh ; Nodjoûm, i, 473.

[239] En arabe « Alaba et les forts », ce qui désigne la région qui forma le comté et royaume de Castille.

[240] Cette expédition est de 176, d'après le Bayân (ii, 65) ; cf. Makkari, ii, 217 ; Dozy, Recherches, t. I, 2e édition, p. 140 ; 3e éd., p. 128.

[241] Le Bayân place sous l'année 176 une expédition dirigée contre Alava par Abou 'Othmân 'Obeyd Allah ; cf. Makkari, ii, 217 ; Dozy, Recherches, 2e éd., i, p. 141 et 145 ; 3e éd., p. 130 et 133 ; ce savant ne cite pas notre chronique.

[242] Il est aussi parlé de cette campagne de 177 par le Nodjoûm (i, 484).

[243] Sur les événements qui suivent, voir le Bayân, i, 76 ; Berbères, i, 389 ; Fournel, i, 402.

[244] Le texte porte « Naçr ben H'abîb ».

[245] Ou 'Abd Rabbihi, ainsi que l'écrit le Bayân, peut-être par suite d'une confusion facile dans l'écriture arabe.

[246] Ce Yah'ya ben Moûsa paraît être le Yah'ya ben Moûsa ben 'Isa, dont il est parlé dans le Nodjoûm (i, 497 ; comparez le récit des pp. 484-485) comme ayant été trois fois gouverneur d'Egypte. Il est aussi parlé par Noweyri (Berbères, i, 392) d'un Yaktîn qui est, semble-t-il, le frère de Yah'ya. Voir également Fournel (i, 405, n. 4, et 406, n. 1).

[247] C'est-à-dire les troupes originaires du Khorâsân, qui étaient nombreuses en Afrique.

[248] Ou Abou T'âlib, d'après Noweyri (Berbères, i, 393).

[249] Ibn Khaldoun (Desvergers, Hist. de l'Afrique, p. 84) s'exprime de même ; mais, d'après le Bayân (i, 83), Ibrahim reçut le gouvernement du Zâb pendant qu'Ibn Mok'âtil était à la tête de l'Ifrîkiyya. Cf. Belâdhori, p. 223.

[250] Le Bayân et Noweyri gardent le silence sur cette révolte, qui est cependant mentionnée ailleurs (Ibn Khaldoun-Desvergers, p. 82 ; Nodjoûm, i, p. 488, avec la variante Koleyb ben Djâmi' ; Fournel, i, 408).

[251] Le Bayân ne parle pas d'expédition sous l'année 478, bien que Makkari (ir, 248) indique aussi cette date. Mais le premier de ces ouvrages mentionne celle qui eut lieu en 479. Il y a d'ailleurs des traits communs dans le récit que fait Ibn el-Âthir des deux expéditions de 478 et de 479.

[252] C'est le nom que portait alors le district de Ronda (Dozy, I, 343 n.).

[253] Ce passage figure dans Amari, Biblioteca (i, 363).

[254] Ou des Madjoûs, ainsi que les désignent les Arabes. Sur cette expédition, voir Bayân, II, 66 ; Dozy, Recherches, i, 433, 3e éd.

[255] Exactement, dans la nuit du 7 au 8 çafar, ou 24 avril 796 (Bayân, ii, 70).

[256] Ce détail figure encore dans le Madjmoû’a (texte, p. 120) : comparez également le Bayân, ii, 67 et s., mais aussi le Fatho-l-Andaluçi, p. 71 du texte.

[257] On a vu plus haut (p. 244), que son grand-père avait commencé à le faire.

[258] Voir le Bayân (n, 70 et 72) ; infra, p. 367.

[259] Le Bayân (n, 73) ne parle que du mariage du fils d’Abd Allah avec la sœur d'El-H'akam ; voir ci-dessous, p. 370.

[260] Ces faits, que le Bayân passe sous silence, sont rappelés plus loin (infra, p. 369) et mentionnés par Makkari (i, 219) et par Ibn Khaldoun.

[261] Suppléez « ben 'Abd el-Wâh'id » avec le Bayân, qui parle aussi de cette expédition (n, 70-71).

[262] Ce mot est douteux. Voyez aussi le récit du Nodjoûm (i, 493), où il semble bien être question de l'année 178.

[263] Variantes, Monyat el-Djebel, Theniat el-Djebel.

[264] Variante, la nuit même. — Cf. Bayân, î, 80, 84 ; Fournel, 1, 440.

[265] En moharrem 484 (Berbères, 1, 397 ; Nodjoûm, i, 544 ; Bayân, 1.1. ; c'est dans cette dernière chronique que le récit est le plus détaillé).

[266] Cette date, correspondant à février 800, est inexacte et en contradiction avec les autres sources ; il faut certainement corriger et lire, djomâda II ou juillet (Berbères, 1, 399 ; Fournel, i, 415). Noweyri parle aussi d'une tentative de faux commise par Ibn Mok'âtil à l'effet de faire croire que le khalife, après avoir nommé Ibrâhîm, l'avait destitué pour le replacer, par lui Ibn Mok'âtil.

[267] Connue aussi plus tard sous le nom d' « ancien château » (el-k'apr et-k'adîm) ; cf. Bayân, î, 84 ; Bekri, 70 ; Desvergers, 86 ; Fournel, i, 454 et 467, n.

[268] Les consonnes qui servent à écrire ce nom permettent les deux lectures Makhled et Mokhalled (voir Dhehebi, p. 470) ; le ms de Paris indique ici la voyelle a sur la première lettre ; Belâdhori (p. 234) écrit Modjâled ; cf. infra, p. 379. — Sur la révolte de Hamdîs ben Abd er-Rahmân Kindi, voir Berbères, i, 400 ; Fournel, i, 454 ; Desvergers, 87.

[269] Voir Berbères, i, 401 ; ii, 564 ; Fournel, i, 456 ; Bekri, 269.

[270] Cette insurrection, qui eut lieu en 194 (infra, p. 379) ou en 195 (Desvergers, p. 92), est passée sous silence par le Bayân ; cf. Fournel, i, 467 ; Berbères, i, 401.

[271] Sur la révolte de Tripoli en 189 et en 196, voir plus loin, p. 373 et 381. Sur le caractère et lès talents de ce prince, voir Bayân, I, 83 ; Berbères, i, 403.

[272] D'autres chroniqueurs relèvent, au contraire, les exactions qu'il commit (infra, an. 201 ; Bayân, i, 86 ; Berbères, i, 404 ; Fournel, I, 478).

[273] ) Un récit presque identique figure dans le Bayân, II, 71. Makkari ne parle pas de ces faits, dont Ibn Khaldoun dit un mot.

[274] Il y a ici une lacune facile à suppléer : « Il invita plus tard tous les principaux de Tolède sous prétexte de leur offrir un festin ; ils devaient entrer par une porte et sortir, etc. ». Voyez le Bayân, II, 74 et 78 ; infra, p. 374, et le récit de Dozy, ii, 62. Ce dernier savant s'élève contre la date de 484, qui est également donnée par le Bayân comme celle de la journée de la fosse, et recule cet événement de dix ans, jusqu'à l'année 807, ainsi que le fait notre chroniqueur plus loin.

[275] D'après le Bayân (n, 72), Soleymân livra deux combats en 182 et deux en 483. — Firrîch est au N.-E. de Séville, non loin de Constantine (Edrisi, p. 256).

[276] Inondation que mentionne aussi le Bayân (l. l.),

[277] Cette affaire ne figure pas dans le Bayân, non plus, je crois, que dans Makkari. Dozy d'ailleurs ne dit rien de ces diverses révoltes. Cf. plus haut, année 484, p. 366.

[278] L'exécution de Soleymân est de 184, d'après le Bayân (l. l.).

[279] Dozy (II, 57) nous donne des renseignements sur ce fakih, berbère d'origine et client de la tribu arabe des Benoû'l-Leyth, à qui Ibn Khallikan a consacré un article (iv, 29 ; voir aussi Makkari, notamment i, 465 ; ms. 884 d'Alger, f° 23).

[280] Cette dernière version est celle du Bayân, t. I.

[281] Ce client fidèle sauva Idrîs après la bataille de Fakhkh et lui servit de père adoptif : voir notamment Bekri, pp. 269-278 ; Bayân, i, 218 ; Berbères, i, 401, et ii, 561 ; Fournel, I, 455 ; supra, p. 255.

[282] Ibn Khaldoun (iv, 126) parle aussi de cette affaire, sur laquelle le Bayân est resté muet.

[283] Voir le récit de cette première affaire de Cordoue dans Dozy (n, 59), qui accepte la date de 189 donnée par le Bayân (II, 73). Noweyri donne aussi (d'après Ibn el-Athîr ?) la date de 187. En 190, d'après le Bayân, il y eut encore un soulèvement des Cordouans ; d'après Ibn el-Athîr (infra, p. 374), ce fut en 191. Ibn Khaldoun parle de 190 seulement.

[284] Dozy appelle ce prince « Ibn Chammas, cousin germain de Hacam ».

[285] En employant le Koran comme mode de divination.

[286] Ou Abou Ka'b ben 'Abd el-Berr, d'après le Bayân, II, 73

[287] Le Bayân passe sous silence ces événements, que mentionnent Ibn Khaldoun (Berbères, I, 401 ; Desvergers, p. 90) et le Nodjoûm (i, 528). Cf. Fournel, i, 469, n. 4.

[288] Aboû manque dans le texte du Nodjoûm.

[289] On peut aussi entendre « et parce qu'il cherchait à rentrer en grâce ».

[290] L'insurrection d'Açbagh ainsi que le nouveau mouvement tenté par les Cordouans sont placés, par le Bayân (II, 74), sous l'année 190.

[291] Sept années et autant d'expéditions furent nécessaires à El-H'akam pour réduire Açbagh, au dire du Bayân (II, 74 et 75 ; cf. infra, sous l'année 194).

[292] Cette expédition des Francs contre Tortose et leur défaite par 'Abd er-Rah'mân sont de 493, d'après le Bayân, l. l. ; Makkari (i, 219) donne aussi la date de 192.

[293] Ce chapitre manque dans le ms. de Paris, ce que Tornberg a oublié de rappeler. Ni Makkari ni le Bayân ne mentionnent cette insurrection.

[294] Nous avons vu ci-dessus l'orthographe Makhled ou Mokhalled : le nom Modjâlid est inconnu à Dhehebi.

[295] Sur ces événements, cf. Fournel, i, 467 ; Ibn Khaldoun-Desvergers, I, 92 ; Noweyri, apud Hist. des Berbères, i, 401 ; et voyez ci-dessus, p. 364. Ce chapitre, dont une rédaction un peu plus courte et présentant de légères variantes a été ajoutée par M. de Slane, d'après le ms de Ste-Sophie, au ms. de Paris, ne figure pas dans tous les exemplaires.

[296] La même anecdote un peu plus détaillée figure dans le Bayân, ii, 75. Il est aussi parlé de cette expédition par Makkari, i, 219 et 221.

[297] Le nom d'Aboû 'Içâm ne figure ni dans Noweyri (Hist. des Berbères, i, 402), ni dans le Bayân (I, 86), ni dans Fournel (i, 469).

[298] Commandés par 'Iyâd' ben Wahb, dit Ibn Khaldoun (Berbères, 1, 277, cf. 243). Il est à remarquer que le Bayân (I, 86) signale à cette époque la présence d’'Abd Allah à Tripoli, mais sans rien dire touchant les faits de guerre ici exposés.

[299] Je ne suis pas sûr d'avoir bien saisi le sens de cette phrase. — Le Bayân (II, 75) parle de cette famine sous l'année 199, si toutefois il n'y a pas de faute d'impression ou de copie dans cette date reproduite en chiures. C'est aussi la date de 197 que donne Makkari (i, 220).

[300] Le mot « méridional » est ajouté d'après le manuscrit de Paris. Comparez ce qui est dit ci-dessus (p. 377) quant à la date de cet événement ; Dozy, ii, 68 et 353 ; Bekri, p. 331.

[301] Sur cet exode et la direction que prirent les exilés, voir Dozy, il, 76 ; Fournel, î, 439 ; Makkari, i, 219.

[302] Ce nom paraît être écrit Bedi' dans le manuscrit de Paris.