Abd.Errazzak

Haïder-Râzi (AHMED RAZI)

 

EXTRAIT DES SEPT CLIMATS

 

Traduction française : Mr. QUATREMERE

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

Haïder-Râzi[1]

HEFT IKLIM

LES SEPT CLIMATS

EXTRAIT

Traduit par E. Quatremère.

 

Comme, dans le cours de cet ouvrage,[2] il a été souvent fait mention de la ville de Kaschgar, je crois faire plaisir à mes lecteurs en insérant ici une notice géographique et historique sur le royaume dont elle était la capitale. Ce morceau fait partie de la géographie persane intitulée Heft iklim, c'est-à-dire les Sept climats. Les mêmes détails se retrouvent, en grande partie, dans le vaste ouvrage historique de Haïder-Râzi, dont le manuscrit appartient à la bibliothèque royale de Berlin.

 

Kaschgar est un pays extrêmement fertile et agréable. Il est borné, au nord, par les montagnes du Mogolistan, d'où sortent plusieurs fleuves qui prennent leur cours vers le midi. Cette chaîne touche, d'un côté, a la province de Schasch ; et, de l'autre, après avoir atteint la ville de Turfan, qui en est à une distance de trois mois de marche, elle se prolonge, au-delà, dans le pays des Kalmaks, et personne n'a vu l'endroit où elle se termine. A l'occident de Kaschgar est une longue chaîne de montagnes, d'où se détachent celles du Mogolistan. Elle donne naissance à plusieurs fleuves, qui coulent d'occident en orient ; et toute la province de Kaschgar et de Khoten est comprise dans la vallée que forme cette montagne. A l'orient et au midi règne un vaste désert, qui n'offre que des landes arides et des collines de sable mouvant. Autrefois on y voyait plusieurs villes, dont deux seulement ont conservé leurs noms ; savoir : celle de Tob[3] et celle de Kenk. Tout le reste est enseveli sous le sable. Ce désert renferme des chameaux sauvages, que l'on prend à la chasse. Kaschgar, capitale de la province, est située au pied de la montagne occidentale. Toutes les eaux qui descendent de cette chaîne vont arroser les maisons et fertiliser les campagnes. Une de ces rivières, appelée Temen, passait jadis au milieu de Kaschgar. Mais Abou-Bekr, l'un des sultans de cette contrée, ayant détruit l'ancienne capitale et en ayant fait construire une autre à côté, cette rivière coule aujourd'hui à l'extrémité de la nouvelle ville. On voit à Kaschgar un lieu de pèlerinage qui porte le nom de Hosaïn Fazl-khodjah, et qui est en grande vénération parmi les habitants de cette contrée. Vis-à-vis est un tombeau, dans lequel on a laissé une ouverture. Si l'on en croit le Mirza-Haïder, toutes les fois que les savants de Kaschgar sont embarrassés pour résoudre une question difficile, ils la copient sur un papier, qu'ils vont déposer dans ce trou ; et le lendemain, lorsqu'ils retirent la feuille, ils trouvent la réponse écrite ou sur la marge ou dans le corps du billet.

Iarken avait, été longtemps une ville grande et opulente ; mais ensuite elle se dépeupla par degrés, et peu s'en fallait qu'elle ne servît de retraite aux animaux sauvages, lorsque Mirza-Abou-Bekr, qui se trouvait bien du climat el des eaux de Iarken, la choisit pour sa capitale, y fit construire des édifices magnifiques, et y amena plusieurs canaux. Il est notoire que, sous le règne de ce prince, douze mille jardins furent créés tant dans cette ville que dans ses dépendances. On y bâtit également une citadelle dont les murailles ont trente coudées de hauteur. Enfin, dans toute la province de Kaschgar, on chercherait inutilement un lieu qui pût le disputer à Iarken, pour le nombre des arbres, des rivières et des jardins. Les eaux y sont meilleures que dans tout le reste du pays. Et ce qu'il y a de singulier, c'est qu'à l'entrée du printemps, qui est l'époque de la crue des autres rivières, celle de Iarken est presque à sec, et qu'elle grossit considérablement lorsque le soleil entre dans le signe du Lion. On pêche dans son lit des morceaux de jaspe. Mais, si le climat de Iarken est, sous plusieurs rapports, extrêmement agréable, d'un autre côté, l'air y est troublé par des orages et obscurci par des nuages de poussière. La province de Kaschgar réunit à une température salubre, des eaux excellentes, et les maladies y sont fort rares. Le climat y est froid ; et, quoiqu'il produise en abondance des grains et des fruits, ils y mûrissent avec beaucoup de difficulté. Les habitants du pays sont partagés en quatre classes : la première, appelée  Tournait, comprend tout le peuple ; la seconde, appelée Koutchin,[4] se compose de soldats ; la troisième porte le nom d'Aïmak ; la quatrième est formée de tous ceux qui remplissent des emplois civils et ecclésiastiques. Depuis Iarken jusqu'à Lakhouf, dans un espace de trois journées de marche, on trouve une suite non interrompue de ruisseaux, d'arbres et de jardins. Mais au delà, et jusqu'à Khoten, qui est à une distance égale, on ne rencontre d'autres endroits habités que ceux où l'on s'arrête. Khoten était autrefois une ville célèbre ; mais aujourd'hui elle conserve à peine quelques restes de son ancienne splendeur. Elle est baignée par deux rivières, dont l'une porte le nom de Kara-kasch, et l'autre de Oreng-kasch. On y pêche des fragmente de ieschem (jade).[5] A Khoten, le commerce et le paiement se font en nature. Ce sont, en général, la toile, la soie et le froment, qui servent d'objets d'échange. Car chaque denrée est estimée suivant le plus ou moins de valeur de ces trois marchandises, les vendredis on voit environ 20.000 hommes qui se réunissent de tous les cantons, de toutes les provinces, et se livrent au trafic de cette manière.

On ne voit point de pies dans la ville de Khoten et si, par hasard, on en aperçoit une, son apparition est regardée comme un mauvais présage. Autrefois on se rendait de Khoten au Khatai dans l'espace de quatorze jours ; et tout le chemin était tellement couvert de villes et de villages, que l'on n'avait nullement besoin de chercher des compagnons de route, ou de se joindre à une caravane. Les voyageurs, ou seuls, ou de deux à deux, allaient et revenaient, sans aucune inquiétude. Aujourd'hui la crainte des Kalmaks a fait abandonner cette route, et celle que l'on  suit d'ordinaire a cent journées de longueur. Parmi les objets de commerce que produit la province de Kaschgar, un des plus précieux est la pierre de jaspe, qui, excepté dans cette ville et dans Khoten, ne se trouve nulle part ailleurs. On distingue aussi la pierre appelée fesani, qui s'envoie par forme de présent, dans les différents pays, et dont il y a deux espèces, un» blanche et une de couleur rose. Parmi les animaux que renferme cette contrée, on remarque le chameau sauvage, qui, si on parvient à le lier sans lui faire aucun mal, se soumet sans peine à porter des fardeaux. Le Koutasch, qui se trouve en grand nombre dans les montagnes de Kaschgar, est le plus redoutable de tous les animaux, car il donne également la mort, en frappant de ses cornes, en regimbant, en foulant sous ses pieds, et en déchirant avec ses dents. Voici ce que rapporte, à ce sujet, Mirza-Haïder, dans son histoire intitulée Tarikh-Raschidi : Je me rendais un jour du Thibet dans la province de Badakhschan, accompagné de vingt personnes ; sur notre route nous tuâmes un koutasch ; quatre hommes, après des efforts longtemps répétés, purent à peine entraîner le corps de cet animal ; ensuite, tous ceux qui composaient notre troupe dépecèrent le koutasch et enlevèrent de sa chair autant qu'ils purent en emporter ; mais il en resta encore environ un tiers.

Les sultans de Kaschgar étaient Turcs et de la race d'Afrasiab. L'un d'entre eux, appelé Satouk-Bogra-khan, qui, dès son bas âge, avait embrassé l'islamisme, engagea tous les habitants de Kaschgar à pratiquer la même religion. Ensuite cette province fut envahie par le Kourkhan du Kara-khata. A l'époque des conquêtes de Tchinghiz-khan, Kouschlouk, fils de Taïang-khan, ayant pris la fuite pour échapper au vainqueur, enleva le royaume de Kaschgar aux descendants du Kourkhan du Kara-khata. Ayant, par complaisance pour une de ses femmes, embrassé l'idolâtrie, il voulut contraindre les habitants de Khoten à partager les mêmes dogmes ; ce qui fut cause que la ville se dépeupla d'une manière sensible. Sur ces entrefaites, Tchinghiz-khan envoya Djebeh-novian pour achever de détruire le parti de Kouschlouk ; celui-ci abandonna Kaschgar sans avoir tiré l'épée. Les Mogols, s'étant mis à sa poursuite, l'atteignirent dans les montagnes de Badakhschan, et se hâtèrent de le massacrer. Après quoi Djebeh-novian fit proclamer à haute voix que chacun serait libre de suivre telle religion qu'il voudrait. En conséquence, tous ceux qui avaient pris la fuite s'empressèrent de retourner dans leurs foyers, et, en peu de temps, la ville recouvra son ancienne population.

Comme aucune chronique ne présente l'histoire des sultans de Kaschgar, j'ai cru qu'il était à propos d'en donner ici un abrégé. Nous lisons, dans le Tarikh-Baschidi, que, depuis Tchinghiz-khan jusqu'au règne de Toglatimour-khan, le gouvernement de Kaschgar fut toujours concédé à quelqu'un des principaux officiers du sultan mogol. Toglatimour, étant monté sur le trône, éleva l'émir Toulek au rang de Olous-beg[6] (premier ministre) et lui donna la principauté de Kaschgar. Toulek avait  quatre frères, savoir : l'émir Bouladji, l'émir Schems-eddin, l'émir Scheïkhdevlet, et enfin l'émir Kamar-eddin, qui en vint souvent aux mains avec  les armées de Timour. Il était et si puissant et si gros, qu'un enfant de sept  ans entrait dans sa botte. Après la mort de l'émir Toulek, sa dignité passa à son frère, l'émir Bouladji, qui eut pour successeur son fils Khodaï-dad ; celui-ci se distingua par ses rares qualités. Kamar-eddin ayant voulu se faire substituer à son neveu, dont il alléguait la grande jeunesse, le khan lui répondit : Si vous m'eussiez présenté plus tôt votre requête, je vous l'aurais accordée sans peine ; mais à présent je ne révoquerai point le don  que je viens de faire. Après la mort de Toglatimour, Kamar-eddin, ayant  usurpé la souveraineté, fit mettre à mort les fils de son prédécesseur.  Mais un d'entre eux, nommé Khizr-Khodjah, qui était encore à la mamelle, fut sauvé avec sa mère par les bons offices de l'émir  Khodaï-dad, qui les fit cacher dans les montagnes de Badakhschan. Aussi tôt que Kamar-eddin fut mort, Khodaï-dad rappela le jeune prince et le fit asseoir sur le trône. En considération de ce service, le nouveau khan  traita l'émir avec une distinction toute particulière. On rapporte que Tchinghiz-khan avait accordé sept prérogatives aux ancêtres de Khodaï-dad. Toglatimour, qui favorisait beaucoup l'émir Bouladji, en ajouta  deux nouvelles en sa faveur. La première lui donnait le droit de choisir et de destituer un émir, commandant de 1.000 hommes ; par la seconde, un de ses enfants ne pouvait être cité devant un tribunal, s'il n'avait préalablement commis quelque crime. Khodjah-khizr, étant monté sur le trône, combla d'honneurs l'émir Khodaïdad, et lui accorda trois autres prérogatives : la première, que, dans les jours de fêtes et d'assemblées solennelles, les Iesaoul (huissiers) de Khodaï-dad feraient ranger tout le monde, conjointement avec ceux du khan ; la seconde, que, dans les festins, où l'échanson réservait toujours pour le khan une coupe pleine de vin, on en garderait également une pour Khodaï-dad; la troisième, enfin, que l'émir apposerait son sceau à la fin de tous les ordres émanés du prince. La possession de ces douze prérogatives lui fut assurée à lui et à tous ses descendants. Khodaï-dad remplit, durant quatre-vingt-dix ans, la charge d'émir, et conserva pendant tout ce temps la souveraineté de Kaschgar, Khoten, Aksou, Maï,[7] et Kousch. Il servit quatre khans mogols, savoir : Khodjah-Khizr, Mohammed, Schir-Mohammed et Awis. Il avait sous ses ordres 66.000 tentes ; et cependant, on ne voyait chez lui ni troupeaux ni domestiques ; la plupart du temps il n'avait pas un cheval sur lequel il pût monter ; et, toutes les fois qu'il fallait entreprendre un voyage, c'étaient ses parents ou ses amis qui se chargeaient de fournir son bagage. Tout l'argent qu'il retirait de ses domaines était employé à des œuvres pieuses. Comme, à cette époque, les Mogols faisaient continuellement des courses dans les provinces du Turkestan, de Ferganah et de Schasch, d'où ils enlevaient quantité de prisonniers, Khodaï-dad avait grand soin de retirer de leurs mains tous les musulmans, qu'il renvoyait dans leur pays, après leur avoir donné des chevaux et les autres provisions nécessaires pour la route. Suivant ce que nous lisons dans le Tarikh-Raschidi, Khodaï-dad, ayant fait le voyage du Hedjaz, accomplit le pèlerinage de la Mecque ; après quoi il se rendit à Médine ; mais à peine avait-il fait le tour du tombeau du prophète qu'il se sentit atteint d'une indisposition et mourut la nuit même. Il fut enseveli dans cette ville, au-dessous du sépulcre du khalife Othman. L'émir Mohammed-schah, fils de Khodaï-dad, hérita de tous ses honneurs et de toutes ses prérogatives ; mais il perdit Kaschgar et Khoten, qui tombèrent au pouvoir de Timour-Kourkan. Son fils aîné, Seïd-Ali, qui hérita de tous ses droits, convoitait sans cesse les provinces qui avaient appartenu à ses ancêtres, et épiait une occasion Favorable pour s'en remettre en possession. Depuis que Mirza-Schah-rokh eut concédé pour apanage à son fils Olug-beigh le Ma-wara-annahar, le Turkestan et la province de Ferganah, le gouvernement de Kaschgar était toujours donné à un des principaux officiers de ce prince. Tandis que Hadji-Mohammed occupait ce poste, l'émir Seïd-Ali partit d'Aksou à la tête de 7.000 cavaliers pour reconquérir ses États héréditaires. Hadji-Mohammed n'eut pas plus tôt appris sa marche qu'il vint à sa rencontre avec une armée de 30.000 hommes, tant cavalerie qu'infanterie ; mais il fut vaincu du premier choc et se réfugia dans la capitale. Seïd-Ali se retira après avoir ravagé le territoire de Kaschgar. L'année suivante, il fit une nouvelle incursion et porta le dégât dans toute la province. Olug-beigh, ayant appris la défaite de Hadji-Mohammed, le rappela et nomma à sa place Pir-Mohammed-Berlas. Seïd-Ali s'étant avancé une troisième fois du côté de Kaschgar, Pir-Mohammed, qui était plein de présomption, sortit à sa rencontre et engagea un combat qui fut très acharné ; mais il périt dans l'action, et Kaschgar tomba au pouvoir de Seïd-Ali, qui, pendant un règne de 24 ans, déploya une équité admirable, et rendit ses États heureux et florissants. Ce prince était extrêmement brave et d'une force de corps prodigieuse. Suivant ce que rapporte Mirza-Haïder, Seïd-Ali se trouvait un jour auprès d'Awis-khan, qui combattait contre les Kalmaks ; dans le fort de l'action, le cheval du khan fut percé d'une flèche qui le mit hors d'état de marcher ; Seïd-Ali lui donna sur-le-champ son cheval et se cacha parmi les morts. Les ennemis, étant arrivés à l'endroit où il était, voulurent le dépouiller ; mais il se releva et saisit un des principaux Kalmaks : les autres se précipitèrent sur lui en foule ; il parait leurs coups en se servant de leur compagnon en guise de bouclier. Il marcha ainsi l'espace d'environ une parasange, tenant d'une main le Kalmak et combattant de l'autre. Lorsqu'il fut arrivé sur les bords du fleuve Ili, il précipita son ennemi dans l'eau, et, ayant saisi la bride du cheval du khan, il traversa la rivière à la nage.

Seïd-Ali en mourant laissa deux fils, dont l'aîné se nommait Sabiz-Mirza et le second était appelé Mohammed. Haïder-Mirza avait eu pour mère la tante de Iounes-Khan. Sabiz-Mirza, ayant recueilli l'héritage de son père, auquel son âge, ses belles qualités et son courage, lui donnaient des droits incontestables, abandonna à son frère la ville de Kaschgar et la forteresse de Ianghi. Mais, au bout de quelque temps, Mohammed-Haïder-Mirza, sur quelque mécontentement, s'étant retiré auprès de Doust Mohammed-khan, dont il avait épousé la sœur, Sabiz-Mirza resta maître absolu des États de son père. Après avoir gouverné durant sept ans, sans jamais s'écarter des principes de la justice, et avoir joui toujours d'un bonheur sans mélange, il mourut fan 869, laissait deux fils, Abou-Bekr-Mirza et Omar-Mirza. Comme ces deux jeunes princes, è raison de leur bas âge, n'étaient point en état de tenir les rênes de l'administration, les grands de l'empire mandèrent Mohammed-Haïder-Mirza pour le placer sur le trône. Sur ces entrefaites, Doust-Mohammed-Khan, s'étant présenté devant la ville de Iarken, y bloqua les fils de Sabiz-Mirza. Les habitants opposèrent une vive résistance, qui fit traîner le siège en longueur ; enfin les deux partis conclurent un traité, sous la condition que la veuve de Sabiz-Mirsa épouserait Doust-Mohammed-Khan, qui, aussitôt après son mariage, reprendrait la route du Mogolistan. Ce prince, en partant, emmena avec lui Abou-Bekr-Mirsa, et Mohammed-Haïder-Mirza resta maître absolu de toute la province de Kaschgar. C'était un homme doux, et pacifique, dont le règne fut de 24 ans. Cependant Abou-Bekr-Mirza étant parvenu à l'adolescence, Mohammed-Khan lui donna sa sœur en mariage, et le traitait avec beaucoup de distinction ; mais, an bout de quelque temps, Abou-Bekr, alarmé des mauvais desseins du khan, aila chercher un asile à Kaschgar, auprès de son oncle Mohammed-Haïder-Mirza. Comme c'était un prince généreux et plein de courage, il travaillait sans relâche à s'attacher les jeunes gens les plus braves et à faire réussir le projet qu'il avait formé de s'emparer du royaume. Il parvint bientôt à se rendre maître, par artifice, de la ville de Iarken. Ayant ensuite envoyé un exprès à son oncle, il lui fit faire des protestations d'obéissance et de soumission. Cependant il rassembla par degrés environ 3.000 jeunes gens, tous braves et audacieux, mais qui n'avaient aucune considération et aucun rang à la cour de Haïder. Voyant ses forces grossies, il résolut de marcher vers Khoten. Cette ville était alors au pouvoir de deux frères, d'un mérite incomparable, et qui étaient en possession de ce gouvernement depuis le règne de l'émir Khodaï-dad. L'un d'eux se nommait Koul-Nazar-Mirza et l'autre Khan-Nazar-Mirza. Celui-ci portait ordinairement et maniait en guise d'épée et de javelot une barre de fer qui avait la forme d’un bâton, et que personne ne pouvait soulever avec les deux mains. Mirza-Abou-Bekr, ayant obtenu la permission de son oncle, se mit en marche pour aller attaquer les deux Mirza ; ceux-ci s’étant avancés à sa rencontre, la guerre se termina, cette année, par un traité de paix ; mais, l'année suivante, Abou-Bekr, avant tué les deux princes par trahison, se rendit maître de la ville de Khoten.

Bientôt après, les émirs qui composaient la cour de Haïder-Mirza représentèrent à ce prince qu’Abou-Bekr, acquérant chaque jour un surcroît de puissance, ne tarderait pas à lever l'étendard de la révolte. Ainsi donc, ajoutaient-ils, tandis que ses projets ne sont point encore mûrs, il est instant de les prévenir et d'arrêter le cours de ses espérances ambitieuses. Abou-Bekr, avant appris ce qu'on tramait contre lui, écrivit sur-le-champ une lettre remplie de protestations de sincérité et d'obéissance, et la fit remettre à sa mère, qui, depuis la mort de Mohammed-Khan, avait épousé Haïder-Mirza. Cette princesse représenta à son mari que Mirza-Abou-Bekr n'osait se rendre auprès de lui parce qu'il redoutait la haine des émirs y que, du reste, il n'avait rien fait qui pût justifier l'accusation d'ambition et de perfidie. Toujours, ajouta-t-elle, un de vos principaux officiers a reçu de vous le gouvernement de la ville de Iarken. Si maintenant vous refusez ce poste à votre fils, songez quels troubles cette mesure pourra faire naître ; car il est bien certain, si vous forces votre fils de se rendre à la cour, qu'un affront qui toucherait légèrement un autre fera sur son âme une impression profonde. Haïder, séduit par de» discours artificieux, ne fit aucune difficulté de pardonner à Abou-Bekr toutes ses fautes passées, et les choses en vinrent au point, que, pour faire plaisir à ce prince, et d'après les sollicitations de sa mère, Haïder congédia peu à peu ses principaux émirs. Aussitôt qu'il eut éloigné tous ceux qui pouvaient le défendre, Abou-Bekr manifesta ses vues ambitieuses et vint faire des courses sur le territoire de Kaschgar et de la forteresse de Ianghi. Haïder, après avoir plusieurs fois fermé les yeux sur cette démarche audacieuse, se mit enfin en marche, à la tête de 30.000 hommes. Abou-Bekr, qui n'en avait que 3.000, accepta cependant la bataille. Le choc fut violent, et se termina par la défaite de Haïder, qui prit la fuite et alla se renfermer dans Kaschgar. Il fit savoir sa position à son oncle Iounes-khan : celui-ci, croyant qu'il lui serait facile de repousser Abou-Bekr, joignit Haïder, à la tête de 15.000 hommes. Abou-Bekr marcha à leur rencontre, n'ayant sous ses ordres que 3.000 soldats. Après un combat opiniâtre, qui dura peu de temps, Haïder et Iounes furent complètement battus et prirent la fuite, sans s'arrêter, jusqu'à Kaschgar. Après quoi, le premier travailla à fortifier sa capitale, et le second reprit la route du Mogolistan.  L'année suivante, Iounes-khan se mit en marche à la tête de 60.000 cavaliers pour attaquer Abou-Bekr, et se rendit à Kaschgar, où il se joignit à Haïder, qui, de son côté, avait rassemblé 90.000 hommes, tant cavalerie qu'infanterie. Tous deux, ayant réuni leurs forces, allèrent mettre le siège devant Iarken. Abou-Bekr sortit un jour de la ville à la tête de 5.000 hommes et chargea les ennemis avec tant de vigueur, que, malgré l'immense supériorité du nombre, il les mit dans une déroute complète. Les Mogols, sans avoir égard aux représentations de leur prince, ne songèrent qu'à prendre la fuite. Haïder, n'ayant plus d'espoir de conserver ses États, se retira dans la ville d'Aksou avec Iounes ; et celui-ci, étant venu à mourir, il ne lui survécut pas longtemps. Mirza-Abou-Bekr se vit alors paisible possesseur de tous les pays qui avaient appartenu à ses ancêtres. Sa puissance s'accrut de jour en jour, et il rendit son nom célèbre par des conquêtes éclatantes. Il envoya d'abord une année dans le Thibet, et soumit cette contrée jusqu'aux frontières de Kaschmir. Ensuite il conquit la province de Belour et assujettit les Hezareh de Badakhschan. Tandis que Mohammed-Scheïbani-khan pressait sans relâche les peuples du Ma-wara-annahar et du Khorasan, les sujets d’Abou-Bekr portaient le ravage et la terreur sur le territoire des villes de Awrad,[8] Tachkent et Andedjan. Il désola, par des incursions fréquentes, toutes les vastes contrées du Mogolistan, en sorte que les habitants ne trouvaient de sûreté nulle part. Il y fit une multitude de prisonniers qu'il amena à Kaschgar. Les Kirghiz, si redoutés de tous leurs voisins, se virent forcés de ravager eux-mêmes leur pays et de se réfugier auprès de Mansour-khan. Abou-Bekr régnait depuis environ 48 ans lorsqu'il apprit que le sultan Abou-Saïd-khan marchait pour l'attaquer. A cette nouvelle, il abandonna ses Etats sans avoir tiré l'épée, et se retira dans la province de Thibet, où il mourut bientôt après. Abou-Saïd était fils d'Ahmed et petit-fils de Iounes, khan des Mogols. Celui-ci, ayant fixé sa résidence à Tachkent, avait laissé Ahmed dans le Mogolistan, où il se distingua  par des exploits signalés. Il soumit par ses armes quelques branches de  la tribu d'Arlat, et celle de Kaloudji, qui l'emportait sur toutes les tribus mogoles par le nombre immense de ses esclaves et de ses troupeaux. Il  remporta plusieurs victoires sur les Uzbeks-Kazaks et sur les Kalmaks, et  en fit passer une multitude au fil de l'épée. De là vient que les Kalmaks lui avaient donné le surnom de Alatchi-khan, c'est-à-dire prince sanguinaire. Dès qu'il eut appris que son frère Mahmoud-khan avait été mis en déroute et obligé de se réfugier à Taschkend, il partit du Mogolistan pour voler à son secours, et laissa, pour gouverner son royaume, son fils aîné, Mansour-khan. Il périt bientôt après, à l'âge de 39 ans, et Mansour monta sur le trône. Tous ses frères, qui étaient mal avec lui,  prirent aussitôt la fuite et se retirèrent chacun de son côté : Abou-Saïd khan et Khalil-Sultan allèrent chercher un asile chez les Kirghiz. Mansour-khan, empressé de prévenir leurs desseins, marcha contre eux à la tête d'une nombreuse armée, et les partis en vinrent aux mains dans le  lieu nommé Djaroun-tchalak. Après un combat furieux, la victoire se déclara pour Mansour-khan, et les deux jeunes princes se réfugièrent du côté de Ferganah. Djani-beigh, cousin de Scheïbani-beigh-Khan, et qui a gouvernait la ville d'Andedjan, s'étant mis à la poursuite des deux fugitifs, fit prisonnier Sultan-Khalil, et le fit égorger sur-le-champ. Abou-Saïd-khan échappa à ses recherches, se retira à Kaboul, auprès de son cousin le sultan Baber, et demeura pendant trois ans à la cour de ce prince. Après la mort de Scheïbani, Baber, ayant fait la conquête du Ma-wara-annahar, donna au sultan Abou-Saïd le gouvernement de Ferganah. Sur ces entre faites, Abou-Bekr entra dans cette province à la tête d'une armée nombreuse. Abou-Saïd-khan, qui n'avait que 15.000 hommes sous ses ordres, alla au-devant de son ennemi, et, après un combat sanglant, il le défit à plate couture. Cependant les princes Uzbeks s'étant réunis contre Baber, et l'ayant forcé d'évacuer Samarkand, Souïdjenk-khan, qui régnait à Tachkent, s'avança à la tête de ses troupes et mit en déroute Abou Saïd-khan ; celui-ci, étant retourné dans le Mogolistan, marcha une seconde fois du côté d'Andedjan ; mais, ayant reconnu qu'il ne pouvait lutter contre les sultans Uzbeks ; il résolut d'entreprendre la conquête du pays de Kaschgar. Il détacha son avant-garde, sous la conduite de Seïd-Mohammed-Mina, qui était frère de mère d'Abou-Bekr-Afir. Les habitants de Kaschgar s'avancèrent à sa rencontre ; mais, après Mie faible résistance, ils prirent honteusement la fuite et se fortifièrent dans leur capitale. Abou-Saïd-khan, étant parti lui-même à la tête du gros de son armée, vint mettre le siège devant la forteresse de Ianghi. Après trois mois de blocus, les principaux habitants se rendirent auprès de lui et lui limèrent la place. Dès que la nouvelle de la prise de Ianghi fut arrivée à Kaschgar, une foule d'habitants abandonna cette capitale et alla se réfugier à Iarken, auprès de Mirza-Abou-Bekr. Abou-Saïd-khan ayant pris aussitôt le chemin de cette ville, la terreur s'empara tellement d'Abou-Bekr, que, sans attendre l'arrivée de son ennemi, il se retira à Khoten. Abou-Saïd s’empara de Iarken sans coup férir et envoya un corps de troupes à la poursuite d'Abou-Bekr. Ces soldats, ayant suivi sa trace jusqu'aux montagnes du Thibet, retournèrent sur leurs pas, rapportant avec eux un butin immense. Kaschgar capitula sans qu'il fût besoin de tirer l’épée. La prise de Iarken, capitale de la province, eut lieu au mois de redjeb de l'an 920.

Sur la fin de l'hiver, Iman-Khodjah-Sultan, qui était frère utérin de Mansour-khan, étant revenu de la ville de Turfan, mit tout en œuvre pour supplanter son frère ; celui-ci, ayant eu avis de ses menées, n'en témoigna aucun ressentiment : Il est mon frère aîné, dit-il, et je lui devais, en cette qualité, de la soumission et du respect. Comme, dans les premiers temps, j'avais négligé de remplir ce devoir, il s'est vu dans la nécessité de me punir. Après quoi, s'étant abouché avec son frère, il mi permit de faire faire la prière en son nom.

L'année suivante, Abou-Saïd-khan reçut la nouvelle que Mohammed, chef des Kirghiz, ayant porté le ravage sur le territoire de Turkestan et de Saïram, avait emmené captifs un grand nombre de musulmans. Enflammé de zèle et de colère, il marcha contre son ennemi, le fit prisonnier, et couvrit de ruines toute la contrée des Kirghiz. Après cette victoire, il s'avança du côté de Bedakhschan et conquit la moitié de cette province. Ensuite il porta ses armes chez les idolâtres du Thibet, et se rendit maître de plusieurs forteresses. De là, il fit partir 4.000 cavaliers, sous la conduite de Mirza-Haïder, auteur du Tarikh-Rashidi (Histoire de Raschid), et les envoya vers le pays de Kaschmir, qui fût subjugué en peu de temps. An retour de son expédition, Abou-Saïd-khan mourut, l’an 939, d'un épaississement du sang, maladie qui est fort commune dans le Thibet.

Ce prince réunissait toutes sortes de qualités brillantes et estimables. Amateur d'une magnificence royale, il faisait des dépenses qui excédaient ses revenus. Il tirait de l'arc avec une adresse sans pareille ; il peignait parfaitement le caractère talik, et écrivait également bien en langue turque et en langue persane. Parmi les instruments de musique, il jouait du gatchek et du tchehar-tar (tétracorde). Il était aussi versé dans l'art de  racler les os,[9] de brûler les gants destinés pour la fauconnerie,[10] et possédait encore d'autres talents.

Abd-elraschid-Khan monta sur le trône l'an 950. C'était un prince d'une belle figure et d'une conversation agréable. Plein de courage, extrêmement libéral, il tirait de l'arc avec une adresse extraordinaire ; et, après son père, c'était l'homme du royaume qui réussissait le mieux dans cet exercice. Un de ses plus éclatants exploits fut la victoire qu'il remporta  sur les Uzbeks-Kazaks. Avant cette époque, les Mogols n'avaient jamais su les battre et avaient été repoussés avec perte toutes les fois qu'ils s'étaient mesurés avec eux ; mais Abd-elraschid-Khan les défit en bataille rangée. Ce prince était fort habile calligraphe et jouait très bien de plusieurs sortes d'instruments de musique. Il écrivait avec élégance, tant en vers qu'en prose. Il était monté sur le trône à l'âge de 25 ans, et son règne fut de 33. Il laissa treize enfants, dont l’aîné, qui portait le nom d'Abd-allatif-Khan, était un prince d'une rare bravoure. Envoyé plusieurs fois par son père pour gouverner le Mogolistan. Il s'était mesuré, en différentes circonstances, avec les Kirghiz et les Kazaks, et la victoire s'était toujours déclarée en sa faveur ; mais il finit par périr de mort violente. Son frère, Abd-elkerim-Khan, qui règne aujourd'hui, a marché sur les traces de ses pères, et s'est attaché à réunir des talents et des connaissances variées, principalement dans l'art de lancer le javelot ou de tirer  de l'arc, et dans les différents modes de musique ; il s'était fait fort de  pouvoir se procurer par son travail ce qui lui serait nécessaire pour sa subsistance.

Abd-elrahim-Sultan, troisième fils d'Abd-elraschid, étant parti sans le consentement de son père, alla faire une expédition dans le Thibet, ou il fut tué. Le quatrième fils, nommé Abd-elaziz, périt de mort naturelle à l'âge de 16 ans. Le cinquième, nommé Adhem-Sultan, et surnommé Sofi-Sultan, conserva durant 16 années le gouvernement de Kaschgar, qui lui avait été donné par son père, auquel il ne survécut que peu de temps. Le sixième, nommé Mohammed-Sultan, est encore vivant et gouverne la ville de Kaschgar. Le septième se nommait Mohammed-Baki. Le huitième, appelé Koraïsch-Sultan, ayant eu quelque démêlé avec son frère, Abd el-kerim, se retira dans l'Inde où il fut reçu avec toutes sortes d'honneurs. Il a laissé deux enfants qui subsistent encore. Le onzième se nommait Olous-Sultan ; le douzième, Aref-Sultan, et le treizième, Abd-elrahim-Sultan.

Parmi les hommes célèbres qu'a produits la ville de Kaschgar on distingue Togar-beigh, fils de Mohammed et petit-fils de Soleïman. Il avait d'abord habité le Turkestan, où il s'occupait du commerce ; ensuite il fut vizir d'un gouverneur de Kaschgar ; après quoi, il s'éleva par degrés, jusqu'à l'époque où le sultan Sandjar le choisit pour son vizir. En reconnaissance de cette faveur, Togar-beigh fit au prince un présent d'un million de dinars, et obtint de lui qu'on battît des timbales à la porte de sa maison ; mais, au bout de deux ans, il fut mis en prison et condamné à payer une somme considérable. Bientôt après, ayant été chargé d'organiser les finances d'une province du Turkestan, il se mit en marche pour se rendre à son nouveau poste ; mais la mort le surprit en chemin.

 Mirza-Haider était petit-fils de Mohammed-Haïder-Mirza, dont nous avons parlé dans l'histoire des sultans de Kaschgar. Doué d'un excellent caractère et d'un rare talent pour écrire avec élégance, tant en vers qu'en prose, il joignait à ces dons de la nature une extrême valeur et toutes les qualités qui constituent un grand général. Ayant été envoyé dans le Kaschmir par le sultan Abou-Saïd-khan, il pénétra dans cette province par le chemin de Kaschgar et du Thibet, et la soumit tout entière. Il y entra une seconde fois par la route de l'Inde et établit sa résidence à Kaschmir, dont il forma une principauté indépendante.. D fut tué après sept ans de règne.

 Il est auteur de l'ouvrage historique intitulé Tarikh-Raschidi, qu'il appela ainsi du nom de Raschid-Khan, souverain de Kaschgar. Ce livre jouit d'une estime universelle. On cite de lui, entre autres vers, le distique suivant :

L'homme qui a subi le joug de l'amour doit se résigner à être esclave du chagrin,

Il faut qu'il supporte toutes les peines qu'amène une domination tyrannique.

Ou il sera contraint d'abandonner le quartier qu’habite son amante,

Ou il sera moins considéré que le chien qui garde la demeure de son maître.

 


 

[1] Cet auteur, géographe persan, semble plutôt désigné de nos jours sous le nom de Amin Ahmed, surnommé Razi, parce qu'il était de Reï, ville de Perse. Bien que le personnage soit connu, je n’ai pas pu trouver les dates de son existence. Une note de Defrémery, dans Saadi, indique : « Amin-Ahmed-Râzy, dans son ouvrage de géographie historique intitulé : Heft-Iklim (les Sept Climats), donne à Sadi cent dix ans de vie, et le fait mourir en l'année 690 (1291). »

[2] Il s’agit de l’ouvrage d’Abd-errazzak, Extraits du Matla-Assaadeïn Ou Madjma-al-Bahreïn. Voir sur ce même site.

[3] Je crois que, dans cet endroit, il faut reconnaître la ville de Lop, dont Marco Polo fait mention.

[4] Le mot Koudjin on Koutchin s'est trouvé plusieurs fois employé dans le Matla-assaadeïn. On peut y ajouter les passages suivants de l'historien tuteur du même ouvrage. On lit (f. 214 verso) : « les émirs Koudjin, » et plus bas (ibid.) : « grâce à l'intercession des Koudjin. » Dans l'Histoire de l’Inde de Ferischtah (tom. I, p. 354) on lit : « l'émir Kasem Koudjin. »

[5] Les détails que donne ici notre géographe se retrouvent également dans le Zafer-nameh (de mon man. fol. 68.), où il est fait mention des deux rivières. L'auteur ajoute que les pierres qu'on extrait de cette rivière sont, en général, celles de ieschem. On lit dans l’Akbar-nameh (fol. 253 v.) que, dans le voisinage de Kaschgar, coule la rivière de Seng-puscht, qui tire son nom de la pierre de ieschem. Je crois qu'on doit traduire : (la rivière de la pierre de jaspe, nommée pierre de ieschem. Dans un passage du Matla-assaadeïn (fol. 107 r.) on lit : « pierre de kasch. » Au rapport de Benoît Goës (ap. Trigaut, De christiana expeditione apud Sinas, p. 552), la montagne d'où l'on tire cette substance est a vingt journées de marche, de Hiarchan, capitale du royaume de Kaschgar. Cette montagne porte le nom de Kansangui cascio (c'est-à-dire le mont de la pierre, mons lapideus). Si je ne me trompe, ce nom est composé des trois mots, c'est-à-dire « la mine de pierre de kasch. » Si l'on voulait admettre les mots mons lapideus comme la traduction littérale du terme original, il faudrait supposer que, dans le texte imprimé, on doit lire cau, c'est-à-dire kouk montagne. Si l’on en croit le même missionnaire, cette pierre porte, en chinois, le nom de tu-scé. Il faut lire in-sché c'est-à-dire pierre de yu. Suivant Marco-Polo (Voyages, édit. de Bergeron, col. 34), la capitale de la province de Peïm est arrosée par une rivière où l'on trouve des pierres précieuses, à savoir du jaspe et autres pierres. Le même voyageur, décrivant plus bas (col. 35) la province de Ciartiam, s'exprime en ces termes : « On y trouve, dans plusieurs rivières, beaucoup de pierres précieuses, surtout des jaspes et des calcédoines, que les marchands portent à la province du Cathay. » Le nom de ieschem., par lequel les Persans désignent cette substance, et que l'on peut regarder comme formé du nom chinois yu-tchi (pierre de yu), existe également dans la langue arabe. Kabdjaki (man. arabe 970, fol. 39 v.) compte parmi les pierres qui offrent de la ressemblance avec l’émeraude le jaspe et le ieschem vert. Dans les Annales d'Aboulféda (t. IV. p. 542) il est fait mention d'un couteau. Reiske a traduit cultrum e jasmino, ce qui ne présente aucun sens, puisqu'il ne se trouve aucune substance minérale qui porte en latin le nom de jasminum; mais il faut et traduire : un couteau fait de pierre de ieschem. Nous lisons dans le Mesalek-alabsar (man. arabe 64s. fol. 98r.) : Il apporta un grand couteau fait de ieschem. Au rapport de Bedr eddin Aintabi (man. arabe 684, fol. 2 recto) : « Parmi les présents envoyés par le souverain du Yémen, on voyait plusieurs pièces de ieschem, et (ibid. v.) plusieurs morceaux de ieschem, dont dix bleus et sept de couleur blanche. » Dans l'Histoire des Mongols de Raschid-eddin (fol. 426 r.) il est fait mention d'un grand tamga fait de pierre de ieschem. On lit dans le Tarikhi-Wassâf (fol. 19 r.) que, dans le palais situé dans la ville chinoise de Taïdou, « le plancher était formé d'un pavé de pierres de ieschem. »  Dans le Djihan-kuschaï (manusc. de Ducaurroy, fol. 13 recto) on trouve ces mots : « il lui donna une pierre de ieschem qui avait la figure d'une  pomme de pin. »   Dans une Histoire des Mongols de l'Inde (man. persan 74, t. II, f. 108 v.) on lit : « un poignard,  qui avait une poignée de pierre de ieschem. »  Feu M. Moorcroft (Travels, t. I, p. 875) parle aussi de la pierre appelée yaschm, dont il décrit les propriétés et dont il traduit le nom par celui de  jaspe-agate. »

L'auteur du Moudjmel-atlawarikh (fol. 64 r.), parlant de Matchin, fils de Tchin, s'exprime en ces termes : «  Dans cet endroit, il se procura de la pierre de ieschem dont il apprit la propriété, qu'il fit  connaître aux autres hommes. » Cette propriété consistait à préserver des atteintes de la foudre. Aussi, suivant le rapport de Raschid-eddin (fol 467 r.), le tonnerre étant tombé sur le palais d'Oldjaïtou, ce prince fut vivement effrayé de cet accident, et, depuis cette époque, pour se garantir de ce redoutable fléau, il portait constamment avec lui une plume d'aigle, des pierres de ieschem et autres. Cette prétendue propriété de la pierre de ieschem est attestée par Teïfäschi (man. arabe 969, fol, 215 v.) et par Kabdjakî (man. 970, fol. 81 v.). Nous avons vu plus haut que la pierre de ieschem était désignée chez les habitants de Kaschgar, par le mol de kasch. Ce nom appartient à la langue des Mongols et des Kalmouks. Dans l'Histoire des Mongols (Geschichte der Öst-Mongolen, p. 83, 382), le mot chass ou chass-tschilohn est rendu par « pierre de yu. »  C'est de cette dénomination que les minéralogistes européens ont formé celui de cacholon. Mais il paraît qu'ils se sont trompés en attribuant ce nom à une espèce de calcédoine, tandis qu'il désigne réellement le jade. Je ne m'étendrai pas davantage sur ce qui concerne le ieschem ou pierre de yu. Il me suffira de renvoyer à la savante dissertation de feu M. Abel Rémusat.

[6] C'est le même dignitaire que les écrivains arabes désignent par le titre de émir-alolous. On lit dans les Voyages d'Ibn-Batoutah, (fol. 68 r.), en parlant des Mongols : Le nom émir-alolous signifie émir-alomara (émir suprême). Dans le Mesalek Alabsar (man. 583, fol. 81 r.), on trouve les détails suivants : « La juridiction sur les armées, les troupes,  appartient au chef des émirs alolous, qui porte le titre de beklari bek, c’est-à-dire émir alomara. » Plus bas : « Les émirs alolous sont au nombre de quatre, savoir : le beklari bek et trois autres. Tous quatre portent le titre d’émir alkoul. Il est reçu que ce sont ces quatre officiers dont les noms sont écrits sur les iarlig et les firman, immédiatement après le nom du sultan. »

[7] Au lieu de Maï, je crois qu'il faut lire, et reconnaître ici la ville de Paï, que les Chinois placent sous la latitude de 41º 41', et la longitude de 35º 12', à l'occident de Pékin. (Mémoires sur les Chinois, t. I, p. 399.) Dans la relation d'un général chinois, je trouve une ville appelée Poi-inke, située entre Kaschgar et Aksou (ibid. p. 386). Peut-être ne diffère-t-elle pas de Paï.

[8] Je crois qu’il faut lire ici Arwad au lieu de Awrad. En effet dans la relation chinoise (Mémoires sur les Chinois, t. I, p. 386), je trouve un village nommé Arvouat, situé entre Kaschgar et Aksou.

[9] Dans une des notes qui accompagnent ma traduction de l'Histoire des Mongols, j'ai supposé que, par ces mots il fallait entendre le genre de divination qui consiste à placer dans le feu une omoplate de mouton dont on a eu soin de racler toute la chair, et à observer soigneusement les différentes fissures que la chaleur produit dam la contexture de l’os

[10] Je n'ai trouvé sur ce mot aucun renseignement. On peut croire qu'il désigne seulement l'art de fabriquer, à l'aide du feu, le gantelet sur lequel on portait le faucon ou autre oiseau destiné pour la chasse.

 

 

 

annahar et du Khorasan, les sujets d’Abou-Bekr portaient le