Abd.Errazzak

ABD-ERRAZZAK SAMARKANDI

EXTRAITS DE L’OUVRAGE PERSAN QUI A POUR TITRE MATLA-ASSAADEÏN OU-MADJMA-AL-BAHREÏN

PARTIE I

INTRODUCTION - PARTIE II

 

Traduction française : Mr. QUATREMERE

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

Introduction
 

ABD-ERRAZZAK SAMARKANDI

EXTRAITS DE L’OUVRAGE PERSAN QUI A POUR TITRE

MATLA-ASSAADEÏN OU-MADJMA-AL-BAHREÏN

 

Le khakan heureux Mirza-Schah-rokh s'assit sur le trône dans la ville de Hérat, au mois de ramadan, l'an 807 de l'hégire, et fut unanimement reconnu pour souverain, depuis le Khorasan jusqu'au Séistan, et depuis le Mazandéran jusqu'aux bords du fleuve Amouieh (l'Oxus). A peine était-il en possession de l'empire, qu'il reçut la nouvelle que Mirza-Khalil-Sultan s'était fait proclamer souverain dans la ville de Samarkand et s'était emparé des trésors déposés par Timour dans la citadelle de cette ville. Schah-rokh, craignant avec raison que cet événement ne fût une source de troubles interminables, résolut de les prévenir s'il était possible. Ayant confié, en son absence, l'administration du Khorasan aux soins de plusieurs émirs du premier rang, savoir : l'émir Midrab, l'émir Hasan-Soufi-Tarkhan, l'émir Alikah-Koukeltasch et l'émir Khodjah-Rasti, il partit de Hérat et prit la route de Ma-wara'lnahar. Arrivé à Tokous-Ribat,[2] il envoya l'émir Abd-Assamed, fils de l'émir Seïf-eddin, pour armer les troupes cantonnées dans la ville de Badghis. Il fit en même temps partir Khadar-Khodjah et le scheik Hasan-Koudjin pour explorer quelle était la situation des affaires dans la ville de Samarkand. Dans le lieu nommé Dareh Zenghi, l'émir Seïd-Khodjah arriva du Mazandéran et apporta au sultan des nouvelles de cette contrée. Ce prince ayant tenu conseil avec les grands officiers de l'empire, chacun proposa les avis qu'il jugeait convenables. Enfin le prince décida que, l'expédition du Ma-wara'lnahar pouvant conduire le sultan à une distance considérable de sa capitale, il fallait, par mesure de prudence, réparer et fortifier la ville de Hérat. En effet, depuis l'époque où cette place était tombée au pouvoir de Timour et où les portes avaient été enfoncées et les murailles criblées de brèches, elle était demeurée en ruines. Schah-rokh nomma, pour diriger ces réparations, l'émir Djélal-eddin Firouz-schah. Celui-ci, jaloux de justifier la confiance de son souverain, déploya dans ce travail une activité extraordinaire. En peu de temps, les tours et les remparts se relevèrent, le fossé fut creusé à une grande profondeur, et la ville se trouva mieux bâtie et plus forte qu'elle n'avait jamais été. D'un autre côté, l'émir Seïd-Khodjah, d'après les ordres du sultan, se dirigea du côté de Tous, de Mesched, de Nisa, d'Abiwerd, de Nischabour et de Sebzewar, pour prendre des renseignements sur l'état de la province et mettre en état de défense la citadelle de Tous.

 Cependant l'armée de Schah-rokh, ayant traversé le fleuve Morg-âb, vint camper près du monument, du Scheik-zadeh-Baïzïd. Dans ce lieu, on vit arriver du Ma-wara'lnahar Mirza-Sultan-Hosaïn, qui, à l'époque de la mort de Timour, se trouvant à Tachkent, s'était séparé des autres émirs. Il fut accueilli par Schah-rokh de la manière la plus distinguée. Sur ces entrefaites, Khadar-Khodjah et le scheik Hasan-Koudjin, qui, comme nous l'avons dit, avaient été envoyés à Samarkand pour recueillir des informations, revinrent de cette ville et apportèrent des détails circonstanciés sur l'élévation de Khalil-Sultan au trône. Aussitôt Schah-rokh dépêcha l'émir Hamzah-Katoukou, avec ordre de se rendre auprès de Khalil et de lui parler en ces termes de la part de son oncle : « Mon illustre père ayant été se reposer dans le sein de la miséricorde de Dieu, tu me tiens aujourd'hui lieu de frère, de fils, tu m'es plus cher que la vie et que la lumière de mes yeux. Demande-moi ce que tu désireras : provinces, trésors, armées, je ne te refuserai rien. Cependant l'âge, l'expérience, la connaissance des hommes et des affaires donnent au trône un droit incontestable. Si quelques émirs, prenant pour prétexte la longueur des distances et la crainte des troubles, ont disposé du trône en mon absence, aujourd'hui il convient que tu te rendes auprès de moi et que nous arrêtions de concert tout ce qui pourra être utile aux intérêts de l'empire. »

Cependant l'armée de Schah-rokh, ayant dépassé Andekhoud, arriva sur les bords du Djeïhoun, et, par ordre du prince, s'occupa de jeter un pont sur ce fleuve. L'émir Schah-mulk, qui arrivait de Boukhara, où il avait vu Mirza-Olug-beg et Mirza-Ibrahim sultan,[3] apporta sur l'état des deux princes des nouvelles favorables, qui causèrent à Schah-rokh une vive satisfaction. Bientôt après il reçût un ambassadeur envoyé par Khalil-Sultan et chargé d’une lettre dans laquelle ce pince s'exprimait en ces termes : « Je suis ton serviteur, ton affectionné, ton jeune frère.[4] Comme c'est le Khorasan dont les habitants ont été de tout temps soumis à l'autorité de mon frère, il est clair que sa majesté n'abandonnera pas cet empire et qu'elle confiera à un serviteur, à un vice-roi, à un frère l'administration des contrées où je suis : or quel serviteur peut être plus propre que moi remplir ces importantes fonctions? Si donc mon souverain veut agir envers moi comme un père à l'égard de son fils, accueillir ma requête et reprendre la route de ses états, je m'engage à t'envoyer mes trésors et à exécuter fidèlement les ordres qu'il me donnera. » Schah-rokh, ayant témoigné qu'il acceptait cette proposition, rebroussa chemin et envoya à Boukhara l'émir Schah-mulk, pour faire venir les deux princes Olug-Beg et Ibrahim.

Lorsque l'armée était encore dans les environs d'Andekoud, Mirza-Sultan-Hosaïn, sans aucun motif, abandonna la cour. En même temps, on apprit que Mirza-Khalil, à la tête d'une armée en bon ordre, avait quitté Samarkand et se dirigeait vers le Djeïhoun. A cette nouvelle, les émirs qui se trouvaient à Boukhara et qui étaient en dissension ouverte avec l’émir Rustem-Tagaï-bouka, darogah de cette ville, en sortirent brusquement, se réunirent au cortège des princes Olug-Beg et Ibrahim, et, traversant le Djeïhoun ils joignirent le camp impérial. L'émir Scheik-Nour-eddin y arriva en même temps, ainsi que l'émir Abd-assamed, qui amenait les troupes de Badghis.

Schah-rokh, étant arrivé au lieu nommé Doukeh reçut la nouvelle que Pir-Ali-Taz avait quitté Mirza-Khalil et s'était rendu à Balkh. Il envoya dans cette direction plusieurs émirs du premier rang, savoir : Scheik-Lokman-Berlas, Djerkes et Yousouf-Khodjah. L'émir Schah-mulk, qui précédemment avait été chargé de la garde des bords du Djeïhoun, fit parvenir au sultan une dépêche conçue en ces termes : « Mirza-Amirek-Ahmed, Schems-eddin-Abbas et Argoun-schah sont arrivés de Samarkand; que le prince décide s'il veut envoyer l'émir Scheik-Nour-eddin pour conférer avec ces ambassadeurs. » Schah-rokh répondit que Schems-eddin et Argoun-schah n'avaient qu'à se rendre à sa cour, tandis qu'il députerait Scheik Nour-eddin auprès de Khalil-sultan, afin que tout ce qui serait réglé par l'un et par l'autre dans leur entrevue fut ponctuellement exécuté. Les deux émirs étant partis pour le camp impérial, Nour-eddin, de son côté, se rendit auprès de Khalil et lui parla en ces termes au nom de Schah-rokh : « L'émir Timour, en quittant l'empire du monde, a laissé de vastes états et des richesses immenses : maintenant il convient que ses fils, respectant; avec fidélité les lois que prescrivent les nœuds du sang, aient les mêmes amis et les mêmes ennemis, conservent entre eux une amitié inaltérable et se prêtent l'un à l'autre un appui fraternel. Si, ce qu'à Dieu ne plaise, les suggestions du diable, dont l'homme ne saurait totalement se garantir, essayaient de jeter entre nous quelque froideur, il faut empêcher qu'elles ne fassent sur notre esprit la plus légère impression et conserver précieusement une union qui doit assurer la paix et la stabilité de l'empire. »

Sur ces entrefaites, l'émir Soleïman-schah, que Timour, au retour de son expédition dans la Syrie et le pays de Roum, avait laissé dans les environs de Reï, pour administrer les provinces de Roustemdar et de Firouz-kouh, ayant appris la mort de ce prince et redoutant les entreprises audacieuses de Mirza-Miran-schah, quitta aussitôt son gouvernement et se rendit auprès de Schah-rokh, dont il reçut un accueil bienveillant et des témoignages d'une considération distinguée. L'émir Pir-Mohammed-Schenkoum, qui commandait dans la province de Sari, ayant appris la fuite de Soleïman-schah, pilla son gouvernement, prit la route de Hérat, où il s'arrêta seulement un jour, et de là se dirigea vers le camp impérial; mais les émirs Soleïman-schah et Djihan-Melik, qui nourrissaient contre lui une inimitié aussi ancienne que violente, l'ayant desservi auprès du prince par des discours calomnieux, il ne tarda pas à être mis à mort.

Cependant l'émir Sheikh-Nour-eddin, dans ses relations avec Khalil-Sultan, mettait tout en œuvre pour établir entre les deux princes une réunion aussi sincère que durable. Le succès couronnées efforts, et l'on arrêta, comme bases de la paix, les conditions suivantes : que Khalil s'engagerait à envoyer à Balkh, auprès de Mirza-Pir-Mohammed-Djihanghir, la princesse Khanikeh-Beigum, avec une partie des trésors de Timour; que les biens particuliers des deux princes Olug-Beg et Ibrahim seraient également envoyés au camp impérial, avec leurs trésoriers et leurs serviteurs qui étaient restés à Samarkand; que Mirza-Khalil-Sultan régnerait sur les provinces situées au delà du Djeïhoun. Nour-eddin ayant présenté cette convention à Schah-rokh, ce prince la ratifia sans exception, et fit partir aussitôt les émirs Nour-eddin, Abd-assamed, Bekneh-Bakhschi et Ordoui-Khasin, avec ordre de passer le Djeïhoun, de régler les affaires et de revenir sans délai à la cour. Schah-rokh se disposait à reprendre le chemin de Hérat; l'émir Soleïman-schah lui représenta que le corps de dix mille hommes qu'il commandait venait de faire une très longue route et que les chevaux étaient d'une extrême maigreur. Il demanda et obtint l'autorisation de séjourner quelques jours dans les cantons d'Andekhoud et de Sehuburgan. Le sultan ordonna expressément que les émirs envoyés au delà du Djeïhoun, dès qu'ils seraient de retour, se dirigeassent immédiatement vers la cour.

 Sur ces entrefaites, un serviteur de l'émir Seïd-Khodjah, étant arrivé du Khorasan, apporta la nouvelle que Khodjah-Sultan-Ali, à la tête d'un corps de Sarbedaris, avait levé l'étendard de la révolte. L'émir Midrab, qui venait de Hérat, reçut l'ordre de se rendre à Sebzewar pour seconder les efforts de l'émir Seïd-Khodjah. Le sultan continua sa route vers Hérat, et fit son entrée dans cette ville dans les derniers jours du mois de zou’lkadah.

RÉVOLTE DE SULTAN-ALI-SEBZEWARI.

 Dans le temps que l’émir Seïd-Khodjah était occupé à rebâtir la ville de Tous, il apprit que Sultan-Ali, fils de Khodjah-Massoud et natif de Sebzewar, oubliant les bienfaits de Timour, avait réuni un corps de Serbedaris, et, secondé par une poignée d'hommes méprisables, s'emparait à main armée des cantons voisins, qu'il revendiquait comme ayant formé jadis ses possessions héréditaires. A cette nouvelle, Seïd-Khodjah partit brusquement à la tête des troupes qui se trouvaient auprès de lui et alla camper à Radekan, après avoir dépêché des courriers pour faire avancer les corps cantonnés dans les environs du Kouhistan, de Tous, de Mesched, d'Abiwerd, de Nisa et de Iazer. Ayant été joint par l’émir Midrab, tous deux de concert envoyèrent du côté de Sebzewar un détachement composé de six cents soldats d'é lite. Sultan-Ali, de son côté, fit marcher contre les Turcs un corps de deux cents cavaliers armés de toutes pièces. Les deux partis se rencontrèrent dans les environs de Bahr-âbad. Les Turcs formaient six escadrons. Les Sebzewaris, réunis en un seul peloton, se précipitèrent sur le centre des Turcs. Le combat s'engagea et se soutint d'abord avec un égal acharnement ; mais comme l'armée de Sebzewar était composée de vieux soldats accoutumés aux fatigues de la guerre, ils taillèrent en pièces la plus grande partie de leurs ennemis. A cette nouvelle, Seïd-Khodjah, brûlant de venger la défaite de ses soldats, monta précipitamment à cheval, à la tête de deux mille cavaliers, et arriva sur le champ de bataille; mais il n'y trouva que des cadavres mutilés et n'aperçut aucun ennemi. S'étant dirigé vers Djadjerem, il vit venir à sa rencontre un corps de révoltés. Ses soldats furent couverts de blessures; lui-même en avait reçu deux, mais il n'en fit rien paraître; et, quoique pendant plusieurs jours il fut obligé de panser ses plaies, il en déroba la connaissance à ses amis les plus intimes. Ses soldats battirent la forteresse l'espace de deux ou trois jours, renversèrent les portes et les murs et firent des ennemis un carnage affreux, De là, Seïd-Khodjah s'avança vers Ferioumed. Les habitants des environs se hâtèrent d'aller chercher un asile dans la forteresse et s'y défendirent avec courage. L'émir donna l’ordre d'arracher les jardins et les arbres qui entouraient la place. Les habitants recoururent à la médiation des seïds et des savants. Seïd-Khodjah, fléchi par leurs instances, consentit à pardonner aux habitants, dont il se contenta d'exiger un présent. Ensuite il prit la route de Mezinan et se rendit maître de cette forteresse; après quoi il vint camper sous les murs de Sebzewar et ordonna à ses troupes de s'entourer d'un fossé profond.

 Chaque jour, depuis le matin jusqu'au soir, des trompettes de guerre placées a chaque, porte faisaient entendre un son éclatant, et la nuit, on observait la plus exacte surveillance. Dix jours s'étaient déjà écoulés, lorsque l’on apprit que Perek, roi du Mazandéran, était entré en armes dans la province de Djouwaïn. A cette nouvelle, Seïd-Khodjah se hâta de lever le siège de Sebzewar et de marcher à la rencontre du roi. De son côté, Sultan-Ali, étant sorti de Sebzewar, opéra sa jonction avec Perek. Les deux armées se trouvèrent alors en présence. Seïd-Khodjah se plaça au centre de son corps, l’émir Midrab commandait la droite, et la gauche était sous les ordres de Iouz-Bouka, Scheik-Sultan et Abou-Bekr. De l'autre coté, le roi Perek prit le commandement du centre, Sultan-Ali celui de la droite, et la gauche se composait d'un corps de soldats du Mazandéran. La bataille s'engagea sur tous les points avec une égale valeur. L'aile droite de Perek, grâce aux efforts impétueux de Sultan-Ali, tailla en pièces l'aile gauche de Seïd-Khodjah., mais la droite, encouragée par la valeur brillante de l'émir Midrab, défit complètement la gauche de l'ennemi et vint prendre en queue les troupes qui formaient le centre. Le roi Perek, qui dans le combat avait donné des preuves du plus grand courage, se vit contraint d'abandonner le champ de bataille. Sultan-Ali, instruit de la retraite de ce prince, suivit les fuyards. L’armée turque les harcela pendant l'espace de deux jours, en fit un affreux carnage et reprit la route de Sebzewar, emportant avec elle un butin immense.

Timour, au retour de son expédition dans la Syrie et le pays de Roum, avait confié à Mirza-Miran-schah et à ses fils Abou-Bekr et Omar le gouvernement de l’Irak-Arab, de l'Azerbaïdjan, d'Arran, de Mougan, du Gurdjestan et du Schirwan. Quoique Mirza-Omar fut le plus jeune des trois, le diplôme portait expressément que, dans toutes les affaires qui concerneraient l'administration des provinces, les deux autres princes se réuniraient auprès de lui et se soumettraient a ses décisions. Omar se regardait donc comme avant une autorité supérieure à celle de son père et de son frère. Après avoir passé l'hiver dans les environs de Karabag, ce prince, au commencement du printemps, s'était dirigé vers Aladag où il tenait son campement d’été. Emir-Scheik-Ibrahim Schirwani et les émirs des cantons voisins, accoururent pour lui présenter leurs hommages: Mirza-Abou-Bekr, quoique l'aîné, se fit un devoir, d'obéir aux ordres de Timour; ayant laissé son père dans le Diar-Bekr, il partit accompagné de Djanileh, sa mère ; il se rendit auprès de Mirza-Omar, lui prodigua les marques de son respect et le combla de présents; après quoi il reprit la route du Diar-Bekr. L'émir Scheik-Ibrahim et les émirs des différentes provinces obtinrent également la permission de partir.

Cependant Mirza-Omar envoya Djihan-schah-Djakou, qui résidait auprès de sa personne, avec ordre de se rendre à Karabag, par la route de Geuktcheh-Tinghiz.[5] Pour lui, il retourna à Tabriz, sa capitale.

Sur ces entrefaites, les habitants de Nakhdjiwan vinrent lui porter des plaintes contre un corps de séditieux qui s'étaient cantonnés dans la forteresse d'Alendjik et étendaient au loin leurs ravages. Timour, en confiant à Mirza-Omar le gouvernement de l’Azerbaïdjan, lui avait expressément recommandé de ruiner le château d'Alendjik. Omar donna l’ordre à l'émir Djihan-schah de raser cette place et se rendit dans les environs d'Akrehdereh, pour y prendre le divertissement de la chasse. Le 2e jour du mois de rebi second, ce prince étant arrivé au lieu nommé Chenbi-Gazan,[6] les habitants de Tabriz sortirent à sa rencontre et reçurent tous de lui des robes d'honneur. Après avoir séjourné quelques jours à Tabriz, il en partit au commencement de l'automne et prit la route de Moschkin et d'Aher, pour se rendre au campement d'hiver de Karabag. Lorsque fut arrivé près d'Aher, quoiqu'on ne fût encore qu'au commencement de l'automne, la neige, la pluie et les orages se succédèrent durant trois jours avec tant de violence, qu'il lui fut impossible d'avancer. Il arriva à Karabag, dans l’iourt de Deh-Omar, le 22e jour du mois de djoumada premier.

L'émir Scheik-Ibrahim arriva du Schirwan, amenant avec lui, pour en faire présent au prince, quelques neuvaines,[7] de chevaux, de mulets, de chameaux, des esclaves, des animaux et objets de prix. Après quoi il prit congé et retourna dans son gouvernement. Mirza-Omar, ayant passé l'hiver dans les plaisirs, reçut à la fin de l'année la nouvelle de la mort de Timour.

RÉVOLTE DE L'ÉMIR DJIHAN-SCHAH-EMIR-DJAKOU ET SA MORT TRAGIQUE.

Aussitôt que la mort de Timour fut pleinement confirmée, quelques hommes, amis du désordre, sollicitèrent l'émir Djihan-schah de faire périr plusieurs des principaux confidents de Mirza-Omar, afin, lui dirent-ils, que nous puissions rester en possession d'une autorité absolue. L'émir Djihan-schah consacrait a boire la plus grande partie des jours, et son état de raison était encore une véritable ivresse. Trompé par les discours de ces hommes perfides, le 22e jour du mois de ramazan, de grand matin, il se rendit au palais, et fit mettre à mort Maulana Kotb-eddin-Aoubehi, qui occupait le rang de naïb (vice-roi), l'émir Darab-Kouschedji et le scheik Mohammed-Towadji. Il se disposait à marcher vers le camp, Mirza-Omar, ne perdant pas courage, tint ferme, arma de cuirasses les inaks et les serviteurs nés dans sa maison les fit marcher contre Djihan-schah. A chaque moment la troupe recevait des renforts que lui envoyait Mirza-Omar. Djihan-schah, ne voyant pas jour à réussir, prit le parti de la fuite. Les émirs Omar-Taban, Baba-Hadji et son frère, qui étaient fils de feu l'émir Scheik-Mohammed-Towadji, furent égorgés. L'émir Abd-errazzak, Isen-Timour-Iesaoul et Aschik, s'étant mis à la poursuite de Djihan-schah, l'atteignirent à l'heure de la prière de l'après-midi et le firent prisonnier. Baba-Hadji, séduit par des conseils perfides, massacra le prince pour venger la mort de son père, Scheik-Mohammed, qui avait été injustement égorgé. Mirza-Omar, instruit de cet événement, adressa à Baba-Hadji de vifs reproches, mais la chose était sans remède. Du reste, contre l'attente générale, il traita avec clémence les enfants et les serviteurs du prince. Les richesses de celui-ci et de ses partisans s'élevaient à environ 2.000 toumans; une partie fut déposée à la chancellerie et le reste livré au pillage. Mirza-Omar, étant parti de son campement d'hiver et avant traversé le fleuve Aras, (l'Araxe), arriva le jour de la fête de Ramazan au bourg de Nimet-âbâd, situé sur le bord de la rivière de Berlas. Après avoir donné un festin splendide, il partit de ce lieu et se rendit à Audjan. Cependant on reçut la nouvelle que Mirza-Abou-Bekr, à la tête dune puissante armée et d'un nombreux cortège, avait quitté l'Irak-Arab et était venu camper à Bisch-barmak,[8] annonçant l'intention de venger par les armes la mort de Djihan-schah. Mirza-Omar fit la revue de ses forces, qui se composaient de quarante-sept kaschouns, dont chacun était formé de cinq cents cavaliers, sans compter cinq mille cavaliers de la garde du prince.

Sur ces entrefaites, l'émir Hosaïn-Berlas arriva comme député de Mirza-Abou-Bekr et annonça que ce prince ne songeait qu'à rester soumis et fidèle. Mirza-Omar, le 22e jour du mois de schewal, étant venu camper sur le territoire de Sultaniah, ordonna de creuser un fossé. Cependant Mirza-Abou-Bekr laissa son armée en arrière et se porta en avant, à la tête d'un petit nombre de soldats. Mirza-Omar tint conseil pour savoir s'il devait faire arrêter son frère. L'émir Omar-Taban et quelques autres s'opposèrent à ce projet; mais tout le reste des émirs opina pour l’avis contraire. Mirza-Abou-Bekr, ayant pénétré dans le camp sans aucune défiance, fut aussitôt saisi et emprisonné dans la citadelle de Sultaniah. L'émir Hosaïn-Berlas reçut l'ordre de renfermer étroitement, dans le lieu nommé Kizil-dereh, à Sultaniah, les tentes, les serviteurs et les femmes du prince.

Dans les premiers jours du mois de zou'lkadah, Mirza-Omar prit la route de Derguzin et de Hamadan. Il s'y trouvait encore à la fin de zou'lhidjah. Les principaux habitants de Kom, de Sawah, du Kurdistan et du Loristan vinrent offrir des présents à leur souverain, et reçurent de lui de nombreux témoignages de bienveillance. Mirza-Miran-schah, ayant appris l'arrestation de Mirza-Abou-Bekr, fut consterné de cette nouvelle, et se mit en marche pour se rendre à Hérat, qui devait être pour lui un lieu d'asile. Arrivé dans les environs de Kalpousch,[9] il s'y arrêta quelques jours. A cette époque, l'émir Seïd-Khodjah était occupé à réprimer la révolte de Khodjah-Sultan-Ali. L'auteur du Raouzat-assafa a donné de l’arrestation de Mirza-Abou-Bekr un récit différent de celui que j'ai transcrit. Au rapport de cet historien, lorsque le prince, aussitôt après son arrivée, entra dans la salle d'audience de Mirza-Omar, quelques-uns des émirs et des plus braves guerriers se hâtèrent de le saisir. L'émir Soundjek, le prenant par les cheveux, le mit hors d'état de faire aucune résistance. Au même instant, on lui attacha au pied une chaîne d'argent et on l'envoya à Sultaniah, où il fut mis en prison et confié à la garde de quelques hommes robustes et pleins de santé.

Dès que la nouvelle de la mort de Timour fut parvenue dans la province de Fars, Mirza-Pir-Mohammed, fils aîné de feu Mirza-Omar Scheik, s'empara de Chiraz, capitale de cette contrée. Son frère, Mirza-Rustem, se trouvait à Ispahan, et Mirza-Iskender, son autre frère, était à Hamadan, Mirza-Pir-Mohammed ayant convoqué les émirs de la cour, parmi lesquels on distinguait Lutf-allah Baba-Timour-Akbouka et le respectable Djelban-schah-Berlas, demanda à chacun son avis. Quelques-uns lui dirent : « A l'exemple de l'émir Mohammed, demandons un diplôme royal aux khalifes abbassides existant aujourd'hui en Egypte, et anéantissons ainsi les lois reçues chez les Mongols. » D'autres proposaient de se soumettre à Mirza-Omar; d'autres voulaient que le titre de roi fût donné à Mirza-Miran-schah. Mirza-Pir-Mohammed, qui était l'homme le plus habile de son siècle, exposa aux émirs tous les inconvénients que présentaient ces différents projets et leur dit : « L'illustre Timour donna ma mère Meliket-âga en mariage au Khakan heureux (Schah-rokh) et nous lia ainsi avec ce prince qui possède aujourd'hui la capitale de l'empire. Il est donc juste que nous le reconnaissions pour chef, pour seigneur, et que son nom soit placé en première ligne sur la monnaie et dans la khotbah. Comme son caractère est plein de noblesse, il est probable qu'il se contentera de cette marque de déférence et ne nous demandera rien autre chose. Les émirs et autres personnages éminents qui composaient l'assemblée donnèrent de grands éloges à la sagesse du prince, et son avis fut unanimement adopté. En conséquence il fit partir un député chargé d'une lettre conçue en ces termes : « Votre esclave désire, de tout son cœur et de toute son âme, rester soumis à votre personne auguste. Tant qu'il conservera un souffle de vie, loin de contrevenir en rien à vos ordres, il mettra le plus grand zèle à vous servir et à vous témoigner sa profonde obéissance. » A l'appui de ces promesses, il inséra dans sa lettre un vers du Schah-nameh, arrangé ainsi qu'il suit :

« Nous sommes tous des esclaves dévoués à Schah-rokh, moi, Rustem, Iskender et tout ce qui existe. »

Il ajoutait que dans toute l'étendue de ses états il faisait faire la prière au nom de Schah-rokh et graver, sur la monnaie les titres de ce prince; que lui et ses frères étaient constamment occupés de savoir quels ordres émaneraient de la cour auguste du sultan, afin de les exécuter avec une fidélité scrupuleuse. Lorsque l'envoyé fut arrivé à la cour, et eut remis sa dépêche, Schah-rokh, après avoir comblé d'honneurs ce messager, dit hautement : « Dans le monde entier, aurai-je jamais un fils qui me soit plus cher? Grâce à Dieu, je suis parfaitement sans inquiétude sur tout ce qui concerne cette partie de l'empire, car je sais qu'il conduira les affaires avec tant de capacité que je puis à cet égard être complètement tranquille. Quoique mon noble fils réunisse au plus haut point la justice, l'équité et toute sorte de qualités estimables, en sorte qu'il n'a nul besoin d'avertissements et de conseils, cependant il faut que ce prince, protégeant d'une manière spéciale la population des états soumis à son pouvoir, envisage le bien fait aux hommes comme le moyen le plus sûr d'acquérir des droits à la faveur divine, qu'il retrace dans son empire la belle conduite qu'a tenue son père, afin que sa mémoire, conservée dans les archives du temps, se maintienne avec honneur dans toute la suite des âges. »

Sur ces entrefaites, un envoyé, expédié du Kerman par l'émir Idekou-Berlas, arriva à la cour et annonça que, dans cette contrée, le nom de Schah-rokh était gravé sur la monnaie et proclamé dans la prière. Il apporta en même temps des pièces[10] frappées à l'effigie de Schah-rokh

Ce prince congédia les ambassadeurs après les avoir comblés d'honneurs et de marques de bienveillance. L'envoyé, de retour à Chiraz, rendit compte du traitement généreux et honorable qu'il avait éprouvé, et Mirza-Pir-Mohammed, occupé du soin de l'administration, envoya Mohammed-Scherbetdar et l'émir Timour-Melik vers la ville sainte de Yezd. Il fit remettre des robes d'honneur à Abd-errahman-Iltchikdaï, darogah de Yezd, à Sultan-Mahmoud, darogah d'Abrekouh, et les manda l'un et l'autre à Chiraz.

Tous deux, avec une soumission parfaite, livrèrent aux envoyés les clefs des portes, et mirent à leur disposition les trésors et registres de gouvernement. Après quoi, ayant préparé des présents magnifiques, ils se mirent en marche vers la capitale. Mirza-Pir-Mohammed les accueillit avec une noble bienveillance, et les admit au nombre des principaux émirs. Il ordonna que l'on réunît tous les anciens soldats des provinces de Fars et de l'Irak qui étaient répandus dans les différents cantons et qui s'étaient livrés soit aux exercices de la vie religieuse, soit à des professions de divers genres. Il fit inscrire leurs noms sur les registres du trésor et leur assigna un revenu. Il consacra pour la solde des vieux et des nouveaux soldats tout le produit des impôts et des contributions de cette année. Il éleva au rang de vizir un homme d'une conduite irréprochable, qui, dans l'exercice de ses fonctions, déploya une haute capacité et s'attacha constamment à faire le bonheur du peuple. Il rétablit sur l'ancien pied l'organisation financière du royaume et plaça dans les diverses provinces des percepteurs intègres. Mirza-Pir-Mohammed avait à plusieurs reprises envoyé des députés dans le Kerman pour inviter l'émir Idekou à se soumettre. Mais cet émir ne voulut entendre à aucune proie position. Mirza-Rustem, étant arrivé d'Ispahan, fut parfaitement accueilli de Mirza-Pir-Mohammed, qui le congédia au bout de deux jours, après l’avoir comblé de témoignages de bienveillance et d'affection. Dans le fait, Pir-Mohammed possédait au plus haut degré une bonté inaltérable, une générosité parfaite, une attention scrupuleuse à observer les obligations que la parenté impose, à respecter les droits des Musulmans et à traiter noblement les étrangers. Il avait établi comme une loi invariable, que personne ne pouvait, sans un ordre exprès, prendre un seul mann de paille. Tous ceux qui entraient dans ses états ou en sortaient étaient entretenus aux dépens du trésor.

Sur ces entrefaites, un courrier, envoyé de Hamadan par Mirza-Iskander, apporta, de la part de ce prince, un message conçu en ces termes : « Mirza-Omar, après avoir subitement fait mettre à mort l’émir Djihan-schah-Djakou, a forcé son illustre père Mirza-Miran-schah de quitter le royaume. Comme son passage dans la contrée qui m'est soumise pourrait entraîner des inconvénients, j'ai cru devoir, avec ma famille prendre la route des provinces de Fars et d'Irak. Que le prince veuille bien indiquer, pour notre habitation, le lieu qu'il jugera convenable. Mirza-Pir-Mohammed sentit bien que l'arrivée d'Iskender, ne manquerait pas d'amener des troubles. Il envoya à sa rencontre un homme de confiance, chargé d'une lettre, dans laquelle il disait : « Il est à craindre que le départ de mon frère ne nuise aux peuples qui vivent sous son autorité, et que cet événement n'amène une rupture entre nous et le prince de l'Azerbaïdjan; il vaut donc mieux que mon frère continue d'habiter sa capitale. Comme juste qu'aujourd'hui Mirza-Omar n'a fait aucune action répréhensible, on peut croire qu'il n'agira pas désormais autrement. » Mirza-Iskender, loin de déférer à ces avis, continua sa marche vers les provinces de Fars et d’Irak. Ses émirs, tels que Tawakkul-Arous-bouka, Bakid-Arous-bouka, Teïmen, Iounes-Djelaïr, Seïf-Ali-Djélaïr, Seïf-eddin, Kamar-eddin et Zou'lkarneïn-Mogoul, apprirent que Mirza-Iskender refusait de suivre les conseils de son frère. Comme ils avaient d'ailleurs des sujets de mécontentement, s'étant concertés entre eux, ils se saisirent des trésors, des chevaux précieux, et se dirent l'un à l'autre : « C'est à nous que l'on attribuera cette division, et nous éprouverons à ce sujet de vifs reproches. Cette nuit-là même ils montèrent à cheval. Les Intchou et les Iouaglan s'engagèrent par des serments mutuels. Muslawi, fils de Mohammed Djuneïd, qui, dans l'affaire de Mirza-Pir-Mohammed, avait eu une main et un pied coupés par ordre de l'émir Allah-dad, et que Mirza-Iskender en considération de ses anciens services, avait admis au nombre de ses principaux émirs, se joignit aux révoltés et partit avec eux. Mirza-Iskender ne put pas s'arrêter dans sa marche. Accompagné de Iousouf Kourtchi, Scheikum-Mogoul, Termisch, Allah-dad, fils de Teïmen, homme d'une beauté extraordinaire, de Berendak-Uzbek, Ali-schah-Azad, de Nik-Khodjah-Uzbek et d'autres personnes, au nombre de quinze environ, il se dirigea vers Ispahan. Quelques-uns des fugitifs, tels que Tewakkul-Arous-ikmka, Teïmen, Seïd-Ali, Iounes et Mustawi, se rendirent auprès de Mirza-Omar. D'autres, comme Iousouf, Schir-Ali et les autres iouaglans qui avaient avec eux la plus grande partie du trésor, allèrent joindre Mirza-Miran-schah. Mirza-Iskender, au bout d'un mois, quitta Ispahan, prit la route de la province de Fars, et arriva à la cour de Mirza-Pir-Mohammed. Deux jours s'étaient à peine écoulés, lorsque l’on apprit que Mirza-Omar, après avoir fait mettre en prison Mirza-Abou-Bekr, marchait contre les provinces de Fars et d'Irak; cette nouvelle répandit partout la consternation. Les deux frères après avoir tenu conseil ensemble, résolurent de livrer bataille sous les murs d'Ispahan. Mirza-Iskender ayant reçu de Pir-Mohammed le gouvernement de la province de Yezd, fit partir, le jour même, pour cette ville. Bikesi-sultan et marcha en personne au secours d’Ispahan. Mirza-Omar, à la tête d'une nombreuse armée, était arrivé sous les murs de Hamadan. Mirza-Rustem députa vers lui Hadji-Musafir-Omar. Il accueillit parfaitement le négociateur, consentit à la paix et retourna sur ses pas. Cette retraite tranquillisa les deux frères. Mirza-Iskender se rendit à Yezd, et Mirza-Pir-Mohammed étant parti de Chiraz, prit la route de Schebankareh et de Tiriz pour aller faire la conquête du Kerman. Mirza-Iskender partit de Yezd, rejoignit son frère et se mit à la tête de l’avant-garde. Il apprit bientôt qu'un corps des plus braves guerriers du Kerman était sorti à la rencontre de l'armée et se tenait en embuscade. Iskender fondit sur eux à bride abattue, en tua un grand nombre et fit beaucoup de prisonniers. Cet exploit porta une telle consternation dans le cœur des habitants du Kerman, que personne n'osa plus se hasarder à sortir des murs. Cependant le nakib Emir-Nahim-eddin Nimet-allah, qui se trouvait dans la ville de Kerman, s'étant rendu dans le camp ennemi, la paix, grâce aux soins de cet illustre personnage, fut conclue entre les deux partis. Mais dans l'intervalle qui précéda cet événement, tous les environs de la ville de Kerman avaient été complètement ruinés. L'émir Idekou envoya des présents d'une magnificence royale. Mirza-Pir-Mohammed, après avoir comblé Iskender de témoignages d'attachement et de considération, lui permit de retourner dans la ville sainte de Yezd ; lui-même reprit la route de Chiraz, sa capitale. Les deux frères, à cette époque, vivaient dans la plus parfaite union. Quelque temps auparavant, Mirza-Rustem, s'étant assuré des dispositions perverses de l'émir Saïd-Berlas, l'avait fait aveugler[11] et mettre en prison dans une forteresse. Un des yeux avait conservé, à un certain degré, la faculté de voir. Un jour, vers midi, l'émir étant parvenu à tromper la vigilance des gardiens du château, prit des chemins impraticables, et après quelques jours et quelques nuits de marche, il arriva dans la ville de Chiraz. Mirza-Pir-Mohammed, fermant les yeux sur le reproche qu'il pouvait se faire de garder chez lui l'ennemi de son frère, réfléchit et se dit à lui-même : « Cet homme, qui a été jadis mon ennemi, vient aujourd'hui humblement chercher un asile auprès de moi. La générosité exige que j'oublie le passé et que je traite ce suppliant avec bienveillance. Cette action déplut vivement à Mirza-Rustem. Il fit dire à son frère : « L'émir, à plusieurs reprises, a témoigné envers notre famille une extrême ingratitude. Favorisé par la protection divine, nous avons aveuglé les yeux de cet être pervers. Maintenant que le sanglier est percé de flèches, que le serpent a la queue coupée, la raison peut-elle supposer que cet homme ait pour notre famille des intentions pacifiques ? Mirza-Pir-Mohammed sentit bien qu'il avait manqué son but. Cherchant à pallier sa conduite par des excuses, il employa, à plusieurs reprises, tous les moyens capables d'apaiser Mirza-Rustem, et lui adressa, pour cet effet, des lettres et des présents. Rustem accueillit tout; mais l'amitié qui unissait les deux frères éprouva une altération sensible.

« On peut renouer un lieu qui a été brisé, mais il reste toujours un nœud au milieu. »

DETAILS CONCERNANT LES ENFANTS DE DJIHANGHIR,  FILS DE TIMOUR.

 Mirza-Djihanghir eut deux fils; l'aîné, qui se nommait Mirza-Mohammed-Sultan, avait été désigné par Timour comme héritier présomptif du trône. Mais, par l'effet des décrets divins, il mourut avant celui qu'il devait remplacer, ainsi que nous l'avons rapporté dans le récit de l'expédition contre le pays de Roum (l'Asie mineure). Nous parlerons plus bas des enfants de ce prince. Le plus jeune des fils de Mirza-Djihanghir était Mirza-Pir-Mohammed, qui régnait sur les contrées de Balkh, de Khatlan, du Tokharestan, de Kandahar, de Kaboul, de Ghiznin et les rivages de Hind et Sind. Au moment de la mort de Timour, Pir-Mohammed n'eut pas plus tôt appris cette funeste nouvelle, qu'il se hâta de retourner à Balkh.

ÉVÉNEMENTS DE L’ANNEE 808. —SUITE DES FAITS QUI SE PASSERENT DANS LE KHORASAN.

 Nous avons rapporté plus haut que, Khodjah-sultan-Ali-Sebzewari s'étant révolté, l'émir Seïd-Khodjah marcha contre lui, à la tête d'une année, et le défit complètement. Au commencement de cette année, on reçut la nouvelle que Mirza-Miran-schah avait pris la route du Khorasan. Schah-rokh ordonna que les émirs Hasan-Soufi-Tarkhan, Djihan-Melik et Firouz-schah s'avançassent à la rencontre du prince, à la tête de 15.000 cavaliers d'une bravoure éprouvée. Ils devaient, si Miranschah venait avec des intentions de conquête et des vues hostiles, repousser énergiquement ses projets. Si au contraire, et comme l'exigeaient les circonstances, il n'était amené dans ce pays que par des motifs de soumission et d'amitié fraternelle, ils devaient lui offrir leurs services respectueux. Ils étaient porteurs d'une lettre écrite sur un ton de fierté et dans un style qui exprimait à la fois des sentiments pacifiques et guerriers. Elle était conçue en ces termes : « L'illustre Timour, en concédant à chacun de ses fils une portion de ses états, leur a imposé l'obligation de garder soigneusement leur apanage, de manière à empêcher tout relâchement de s'y introduire, et de prévenir tout ce qui pourrait faire tort à son auguste famille. Par suite des démarches inconsidérées de son fils Omar (à qui nous souhaitons que Dieu lui ouvre les yeux sur ses fautes), Miran-schah a perdu la souveraineté de l’Azerbaïdjan, où résidaient jadis les monarques de l'Iran. Toutefois, le prince conserve encore la possession des provinces d'Arran, de Mogan, de l'Arménie, du Gurdjistan. Il n'a rien de mieux à faire que de se livrer tout entier aux soins que réclame l'administration de ses états. Grâce à Dieu, le prince est l'homme le plus éclairé de son siècle, qui a mûrement réfléchi sur cette matière. Il n’ira point, cédant aux suggestions d'hommes corrompus, qui mettent leur bonheur dans le trouble et le désordre, s'engager dans une entreprise d'où résulteraient infailliblement la perte et la ruine de notre famille.

Garde-toi de jeter une pierre contre ta coupe de verre.

Garde-toi de guerroyer contre tes propres troupes !

Du reste, cette ardeur que nous mettons à maintenir la paix ne doit point être regardée comme une preuve de faiblesse. Elle doit être attribuée au désir de conserver intact le dépôt de l'honneur. Si, ce qu'à Dieu ne plaise, on prétendait rompre les liens de la bonne intelligence et allumer le feu de la guerre, dès qu'une fois les hostilités auraient commencé, elles amèneraient probablement une maladie qui deviendrait complètement incurable. Il faut donc penser sérieusement aux suites funestes d'une pareille démarche, peser dans la balance d'une raison sage et prévoyante les chagrins et les pertes qui en résulteraient, et suivre une marche qui nous conduise infailliblement au bonheur et à la réalisation de nos espérances. De cette manière nos ennemis ne pourront nous nuire, et les Turcs, non plus que les Persans, n'auront aucun prétexte pour nous diffamer. Suivant les ordres de l'illustre Timour, ses enfants doivent s'occuper uniquement de l'administration de leurs états et ne point empiéter sur les domaines les uns des autres. Ils doivent, se contentant du don qui leur a été fait, en témoigner leur reconnaissance et mériter ainsi de nouvelles largesses. Grâce à Dieu, le prince incomparable auquel nous parlons est dans la route du bonheur, et sa position est, sinon conforme à ses désirs, du moins conforme à ce que les circonstances ont permis. J'ai une ferme confiance, une espérance entière que, du séjour de l'éternité, de la cour de l'être unique, il obtiendra un surcroît de puissance et tout ce qui peut combler ses vœux et son attente, et cela par les mérites de Mohammed et de sa famille.

Les émirs s'étant mis en marche, joignirent, dans la ville de Sebzewar, l'émir Seïd-Khodjah ; et tous ensemble se dirigèrent vers Kalpousch, où se trouvait alors Mirza-Miran-schah. Khodjah-sultan-Ali-Sebzewari, à la suite de sa défaite, s'était réfugié à Esterabad. Lorsqu'il fut instruit de l'approche de Mirza-Miran-schah, il se rendit auprès de lui. Cependant les émirs susdits étaient arrivés à Kalpousch ; l’émir Seïd-Khodjah et l'émir Midrab furent admis à l'honneur de baiser le tapis du Mirza, et remirent à ce prince la lettre de Schah-rokh. Miranschah montra des sentiments très pacifiques. Il releva les grandes qualités de son frère, le bonheur qui accompagnait toutes ses entreprises. L'émir Seïd-Khodjah et l'émir Midrab, après avoir fait des vœux pour la prospérité du prince, lui parlèrent en ces termes : « Si un homme secoue le joug de l'autorité royale et oublie les bienfaits de son maître, il doit être repoussé par tout le monde. Or le prince n'ignore pas que Sultan-Ali a osé attaquer la famille royale avec une audace qui n'avait pas d'exemple, et a soutenu la guerre avec une extrême opiniâtreté. Au moment où il allait être pris, il a pu, à force de ruse, se soustraire au danger. Obstiné dans sa révolte, il est venu chercher un asile à la cour du prince. Si cet homme ne porte pas la peine que mérite sa rébellion, il ne manquera pas, dans quelque endroit qu'il se trouve, de former des projets funestes. Si le prince veut le remettre entre les mains de ses serviteurs, il fera une action digne de son noble caractère; et vos serviteurs sont décidés à ne pas quitter la cour, tant que cet ennemi ne leur aura pas été livré. » Miranschah ayant consenti à cette proposition fit arrêter Sultan-Ali, Sultan-Hosaïn, fils du roi Perek, avec les personnes de leur suite, et les remit à l'émir Seïd-Khodjah. Celui-ci les ayant aussitôt fait conduire dans son campement, chargea de chaînes Sultan-Ali, l'envoya à Hérat, et fit mettre à mort le reste des conjurés de Sebzewar.

Sur ces entrefaites, Mirza-Abou-Bekr s'étant échappé de la prison où il était détenu à Sultaniah, se rendit auprès de son père. Il fut vivement affligé du sort de Sultan-Ali, et s'écria : « Puisqu'il était venu chercher un asile auprès de nous, le livrer à ses ennemis a été une action contraire à tous les principes de générosité. Quelle confiance aura-t-on désormais en nous ? » Les deux princes, après avoir conféré ensemble, reprirent la route de l'Azerbaïdjan. Après leur départ, les deux émirs retournèrent dans leur camp ; et le Khorasan se trouva soumis plus que jamais à l'autorité du sultan Schah-rokh. »

RÉCIT DES ÉVÉNEMENTS QUI SE PASSÈRENT DANS L'IRAK ET L'AZERBAÏDJAN.

Mirza-Omar, après avoir fait enfermer Mirza-Abou-Bekr dans la forteresse de Sultaniah, se livrait tranquillement aux soins de l'administration de ses Etats. Sur ces entrefaites, un derviche, qui affichait une piété exemplaire et se nommait Baba-Niki, parut dans la province de Maragah. Il opérait des actes surnaturels. Par exemple, une motte de terre se transformait dans sa main en un fragment de sucre candi ou raffiné. Mirza-Omar, après avoir examiné la chose avec un soin extrême et avoir eu sous les yeux plusieurs phénomènes de ce genre, n'en condamna pas moins le derviche à mort. Baba, au moment de partir pour aller subir son supplice, s'écria : « Tel devait être mon destin; mais après ma mort vous verrez ce qui arrivera. » Le dix-septième jour du mois de moharram, trois jours seulement après le meurtre de Baba, on reçut la nouvelle que Mirza-Abou-Bekr, dans la forteresse de Sultaniah, ayant mis dans ses intérêts beaucoup de personnes, avait massacré Adel le Khizandji (le trésorier), Isa-Kourdji et scheik-Hadji, qui avaient voulu s'opposer à lui, s'était emparé de la place, avait saisi le trésor, les cuirasses, les armes, et que tout le monde s'était rangé sous ses drapeaux; que l'émir Hosaïn-Berlas et la mère de Mirza-Abou-Bekr, qui se trouvaient dans la ville de Ghuzel-dereh, ayant appris la délivrance de ce prince, s'étaient rendus à Sultaniah avec toute leur suite; que Mirza-Abou-Bekr, après avoir distribué à ses partisans des sommes considérables, avait pris la route de Reï, pour se diriger de là vers le Khorasan. A cette nouvelle, Mirza-Omar quitta Bisch-barmak, arriva en deux jours à Sultaniah, et envoya à la poursuite d'Abou-Bekr l'émir Abd-errazzak, fils de Khodaïdad. Les deux partis, s'étant rencontrés dans les environs de Kazwin, se livrèrent un combat qui dura depuis le matin jusqu'à la nuit. Mirza-Abou-Bekr continua sa route du côté de Reï, et l'émir Abd-errazzak retourna sur ses pas. Mirza-Omar, ayant laissé dans la ville de Sultaniah des hommes en qui il avait confiance, repartit en suivant le chemin de Sadjas[12] et de Seraï-Abaka (le palais d'Abaka). Sur ces entrefaites, le scheik Khosrev-schâhi, étant arrive de Samarkand, s'engagea auprès de Mirza-Omar à recouvrer, dans l'espace de peu de temps, tout ce qui avait été enlevé du trésor du sultan. En conséquence, il soumit les âmil (receveurs) à des taxes arbitraires. A la même époque, Mirza, ayant quitté Audjan pour se rendre à Sarav, désirait vivement faire prisonnier l'émir Bestam-Djakou, qui avait précédemment quitté son service. L'émir Bestam, ayant pris la route de Karabag, se réunit à l'émir Scheik-Ibrahim; et tous deux, de concert, traversant le fleuve Kor, établirent leur résidence dans la ville de Berdaa. Mirza-Omar députa vers Scheik-Ibrahim pour l'inviter à faire arrêter Bestam et à le lui envoyer. Scheik-Ibrahim répondit par des excuses évasives, en disant : « Nous sommes aujourd'hui en été; lorsque, dans le courant de l'hiver, votre altesse arrivera à Karabag, votre esclave fera conduire à votre cour auguste l'émir Bestam. » Mirza-Omar, vivement irrité de cette réponse, passa le fleuve Aras (l'Araxe) et vint camper au lieu nommé Bâbi. L'émir Scheik-Ibrahim, l'émir Bestam, les enfants de Karaman et Saïdi-Ahmed-Scheki, quittèrent Berdaa et se rendirent sur les bords du fleuve Kor ; s'étant placés derrière cette rivière, et ayant élevé autour d'eux un retranchement, ils attendirent le combat. Mirza-Omar, par une marche rapide, vint camper non loin du Kor. Durant une semaine, les deux partis restèrent en présence.

Sur ces entrefaites on apprit que Mirza-Miran-schah et Mirza-Abou-Bekr, ayant quitté les contrées du Khorasan, étaient revenus dans la province de l'Irak-Adjem, et qu'ils avaient avec eux Sultan-Bakht-Beigheh. Vers cette même époque, Mirza-Abou-Bekr ayant épousé la fille de Tawakkul Aras-Bouka, on célébra la noce; après quoi, on se rendit en trois jours de Bistam à Damegan. Comme les habitants de cette dernière ville se hâtèrent d'envoyer des présents et des dons volontaires, on ne souffrit pas que l'armée séjournât dans la place. Ceux de Semnan, en punition d'une insulte qu'ils avaient précédemment faite aux soldats de l'armée, furent livrés au pillage. De là on arriva à Khawar. Mirza-Miranschah et Mirza-Abou-Bekr, ayant fait partir pour la forteresse de Schehriar, l'émir Pir-Hosaïn-Berlas, ne tardèrent pas à le suivre en personne et prirent possession de cette place. Là, ils apprirent que Mirza-Omar, malgré les chaleurs de l'été, s'était rendu à Karabag, pour combattre Scheik-Ibrahim. Mirza-Abou-Bekr, laissant son quartier dans la ville de Saoukh-Boulagh, (autrement Saouk-Boulak), se dirigea vers Sultaniah, à la tête de deux mille cavaliers, entra dans cette ville qui lui fut livrée sans combat, et distribua à tous ses partisans les femmes de Mirza-Omar et de ses émirs. Les officiers et les soldats de ce prince, qui étaient campés à Mianedj-Ghermroud,[13] apprenant cette nouvelle, quittèrent Mirza-Omar et se rendirent près de Mirza-Abou-Bekr. Mirza-Omar, après avoir de nouveau conclu avec l'émir Scheik-Ibrahim une paix, rompue puis renouée, retourna sur ses pas. Son lieutenant Scheik-Khosrev-schâhi et un autre officier non moins pervers, ayant imaginé de nouvelles mesures financières, dirent au prince : « Il faut exiger des gens riches une taxe et leur délivrer un berat à valoir sur les impôts de l'année prochaine, attendu que les dépenses de la guerre réclament des sommes considérables. » Mirza-Omar céda, contre son gré. Beïan-Koudjin, Scheik-Khosrev-schâhi et les autres instigateurs de ces vexations se rendirent à Tabriz, où, dans l'espace de deux jours, ils levèrent une contribution de 200 toumans iraki. Les principaux habitants de Tabriz furent, pour la plupart, dépouillés de leurs biens. Plusieurs, d'après les ordres reçus, devaient être transportés dans la citadelle de Sultaniah. L'émir Beïan, les ayant fait sortir violemment de Tabriz, les conduisit à Audjan. Mirza-Omar se rendit à Ghermroud par la route d'Ardebil. Là, il apprit que les soldats, après avoir enlevé tous les troupeaux des habitants du pays, s'étaient rendus à Sultaniah. Bientôt on sut de science certaine que cette ville était tombée au pouvoir de Mirza-Abou-Bekr. Les émirs, tels qu’Omar-Taban, Sultan-Sandjar, l'émir Seïf-eddin, l'émir Abd-errazzak-Khodaïdad, et autres, allèrent joindre Mirza-Miran-schah et Mirza-Abou-Bekr; le reste se dispersa de tous côtés. Les vexations que l'on exerce sur les malheureux sont un signe avant-coureur de la destruction d'un empire. Qui aurait pu croire qu'une dynastie qui paraissait aussi solidement affermie eût été renversée avec tant de facilité? Mirza-Abou-Bekr traita avec bonté Omar-Taban ainsi que ses enfants, et fit mettre à mort les autres émirs. L'émir Beïan et Khosrev-schâhi, qui se trouvaient dans la ville d'Audjan, apprenant la ruine de Mirza-Omar, cédèrent aussi au temps, et se rendirent à Sultaniah, apportant à Mirza-Abou-Bekr des sommes considérables. Mais, par les ordres de ce prince, le scheik, auteur de tant de vexations, fut attaché à un gibet. Mirza-Abou-Bekr, ayant fait préparer un trône d'or, éleva à la souveraineté Mirza-Miranschah. Quelques jours se passèrent dans les divertissements. Mirza-Omar quitta les environs de Kavroud, et se rendit à Maragah. Là, se trouvant renforcé par les secours de l'émir Djalik le Turcoman, de Salik-Berlas et d'une partie de la tribu de Seldouz, il se dirigea vers Tabriz. Alikeh, fils de Djalik, étant arrivé dans cette ville à la tête de l'avant-garde, se livra à des vexations odieuses, et la population était journellement insultée par les Turcomans. Les habitants, irrités de ces désordres, se soulevèrent, massacrèrent Khodjah-Pir-Ali, qui était venu apporter l'ordre de lever une contribution de 100.000 pièces d'or, fermèrent les portes de la ville et se mirent en défense. Mirza-Omar leur ayant fait faire des représentations à ce sujet, ils répondirent : « Mirza-Omar est notre souverain, le fils de notre maître : il peut, quand il voudra, entrer dans notre ville; mais nous n'y admettrons pas les Turcomans. » Ces derniers, à qui Mirza-Omar avait donné la permission de commencer l'attaque, se dirigèrent vers la ville; mais le kadi Gaïath-eddin et Khodjah-Abd-alhaïi-Kazwini opposèrent la résistance la plus courageuse, et empêchèrent les Turcomans de pénétrer dans la place. Sur ces entrefaites, la nouvelle de l'approche de Mirza-Abou-Bekr força Mirza-Omar de se retirer à Maragah.

MOZAFFER-EDDIN-MIRZA-ABOU-BEKR PREND POSSESSION DE LA SOUVERAINETE.

Mirza-Abou-Bekr était journellement sollicité par ses confidents, qui le pressaient de prendre enfin le nom de Sultan et de ne point laisser l'autorité à un autre. Cédant à ces conseils, il donna un festin somptueux, s'assit sur le trône et déposséda ainsi son père. Des lettres qui notifiaient cet événement furent expédiées dans les différentes provinces. L'émir Beïan étant arrivé à Tabriz, la populace, qui avait précédemment refusé de laisser entrer les Turcomans dans la ville, ne voulut pas recevoir l'émir, supposant que le corps qu'il commandait venait de son propre mouvement et que Mirza-Abou-Bekr se trouvait encore dans la ville de Reï. L'émir Beïan s'établit dans l'édifice appelé Schenbi-Gazan. Bientôt, il apprit que l'émir Douldaï et Khodjah-Berdi venaient à son secours. Cette nouvelle releva son courage. Le lendemain, ses coureurs lui annoncèrent que le scheik Kapani et le scheik Imad-eddin, envoyés par l'ennemi, venaient d'arriver à la tête de deux mille cavaliers. Ce même jour, Khodjah-Berdi vint le prévenir que, le lendemain, l'émir Douldaï arriverait avec son corps d'armée. Beïan, sans hésiter, prit avec lui quatre cents cavaliers, tomba sur les deux mille hommes qui lui étaient opposés. En un instant la défaite de l'ennemi fut complète. Sur ces entrefaites, l'émir Beïan fut informé que le scheik Kassab était sorti de la ville et arrivait au secours des vaincus. Renonçant à la poursuite des fuyards, il revint attaquer Kassab, dont les troupes, au premier choc, tournèrent le dos et se débandèrent. L'émir Beïan regagna le Schenbi-Gazan. Le lendemain, il vit arriver l'émir Douldaï. Les habitants de Tabriz, apprenant l'approche de Mirza-Abou-Bekr, sortirent à la rencontre de l'émir Douldaï et le reçurent dans la ville. Douldaï, qui, sur la route, avait fait prisonniers le scheik Kassab, Khodjah-Abou'lmohsin, Kazwini et plusieurs autres officiers supérieurs, voulut les punir de mort, mais Beïan s'y opposa. Les deux émirs, après avoir séjourné deux nuits dans la ville, y laissèrent, avec le titre de darogah (gouverneur), l'émir Behloul-Berlas, et reprirent la route de Maragah. »

ARRIVEE DE MIRZA-ABOU-BEKR DANS LA VILLE DE TABRIZ.

Le dernier jour du mois de djoumada second, Mirza-Abou Bekr fit, avec toute la pompe de la souveraineté, son entrée dans la ville de Tabriz. Les soldats s'étant établis pour l'hiver dans les maisons des habitants, la population se trouva exposée à toutes sortes de vexations. Tout à coup on reçut la nouvelle que Mirza-Pir-Mohammed, Mirza-Rustem et Mirza-Iskender s'étaient réunis pour marcher au secours de Mirza-Omar; que le quartier de Mirza-Abou-Bekr, qui se trouvait à Saouk-Boulak, avait été pillé par Mirza-Rustem. Mirza-Abou-Bekr, après avoir envoyé en avant Emirek-Mendjan à la tête d'un corps de troupes, partit, en personne, de la ville de Tabriz. Sur la route, son armée enleva tout ce qu'elle rencontra. Une riche caravane, qui venait de Tabriz, fut également livrée au pillage. Le prince, ayant pris le chemin de Sultaniah pour se rendre à Ispahan, vint camper à Djerbadekan. Les troupes de Mirza-Omar, de Mirza-Pir-Mohammed, de Mirza-Rustem et de Mirza-Iskender, s'étant portées en avant, les deux corps se trouvèrent à deux ou trois journées de distance l'un de l'autre. Sur ces entrefaites, on reçut la nouvelle que la ville de Tabriz était tombée au pouvoir de l'émir Bestam. Mirza-Abou-Bekr, de son côté, apprenant ce qui était arrivé aux habitants de Tabriz, dépêcha un courrier vers les princes, et reprit la route de l'Azerbaïdjan. Les Mirza, ayant tenu conseil, se dirent l'un à l'autre: « Une armée composée d'environ cinquante mille cavaliers et fantassins se trouve réunie sous nos drapeaux; Mirza-Abou-Bekr est errant et fugitif; son père et sa mère sont mécontents de lui; la division est parmi les troupes, et l'ennemi est maître des provinces de l’empire ; profitons d’une occasion si favorable. » Cette proposition fut adoptée et ils se mirent à la poursuite de Mirza-Abou-Bekr. Celui-ci se trouvait au lieu nommé Gorouk-Agroun, dans le canton de Sadjas, lorsqu’il apprit la marche des princes. Il revint sur ses pas et prit la route d'Ispahan. Il dit à ses soldats: « Soyez, dans cette expédition, complètement d'accord avec moi. Si le Dieu très haut m'accorde un heureux succès, je ne m'écarterai jamais de vos avis, j'agirai, en toute circonstance, suivant ce que vous jugerez convenable et j'irai partout où vous voudrez. » Les deux armées se trouvèrent en présence dans les environs de Derguzin.

Mirza-Omar, étant parti de Tabriz, se rendit par la route de Maragah à Ramadan. Arschioun, gouverneur de cette place, lui dit : « Nous sommes hors d'état de résister à Mirza-Abou-Bekr ; avant que le torrent des fléaux de la guerre ne vienne fondre sur nous, il faut trouver un moyen d'y échapper. » Après avoir mûrement réfléchi, ils se dirigèrent vers Chiraz pour aller implorer les secours de l'émir Zadeh-Pir-Mohammed. Arrivés dans les environs de Djerbadekan, ils dépêchèrent un courrier pour donner avis de leur arrivée à Mirza-Rustem. Celui-ci envoya à la rencontre du prince, à une distance de cinq journées de marche, les principaux courtisans, qui lui donnèrent tous les témoignages de respect auxquels il pouvait prétendre. Mirza-Rustem vint le recevoir dans les environs d'Ispahan, accompagné des seïds et des savants ; il l'introduisit dans la ville en le comblant de marques de considération, et lui donna de somptueux festins. Mirza-Omar dit à Mirza-Rustem : « Les monarques des temps anciens n'ont jamais manqué, lorsqu'ils se trouvaient dans une position critique, dans des circonstances malheureuses, de chercher un asile les uns auprès des autres, dans l'espérance de recevoir des preuves certaines de bienveillance et d'affection. Si quelques-uns de ces princes ont montré, dans de pareilles occasions, une négligence coupable, ils ont été pour toujours l'objet du blâme de ceux qui les approchaient aussi bien que des étrangers. Je suis venu vous trouver pour une affaire de la plus haute importance. Si vous, qui êtes mes frères, ne vous réunissez pas à moi, je ne suis pas en état de tenir tête à Mirza-Abou-Bekr : il convient que nous dépêchions un courrier pour mander auprès de nous Mirza-Pir-Mohammed avec Mirza-Iskender, et qu'en attendant leur arrivée, nous allions surprendre le quartier de Mirza-Abou-Bekr, qui se trouve sans défense, dans la ville de Saouk-Boulak. » Les deux princes, étant tombés d'accord et ayant envoyé le courrier, partirent d'Ispahan, et arrivèrent au lieu où était le quartier de Mirza-Abou-Bekr. Les princesses, les enfants, les concubines, les chevaux, les mulets, les chameaux, tombèrent au pouvoir des troupes d'Ispahan. Les vainqueurs, emmenant Sultan-Bakht-Beigum, une des femmes de Mirza-Miranschah, s'en retournèrent par la route de Sari-Kamisch-Reï. Tawakkul-Berlas, Emirek-Mendjan et d'autres émirs, qui étaient chargés de la garde du quartier, se trouvaient à une grande distance, occupés à boire du vin. Bien que dans un état d'ivresse, ils poursuivirent les ravisseurs, et leur livrèrent un combat acharné ; mais, comme l'armée de Mirza-Omar était beaucoup plus nombreuse, la résistance fut inutile, et toutes les richesses arrivèrent à Ispahan.

 Bientôt Mirza-Omar se dirigea vers Chiraz. Mirza-Pir-Mohammed, étant venu en personne à sa rencontre, organisa pour lui des marchés, l'introduisit dans la ville avec toutes sortes de témoignages de considération, et lui donna, durant plusieurs jours, des festins magnifiques. Les personnes de la suite de Mirza-Omar furent traitées avec une bienveillance royale, et tout l'hiver se passa en fêtes et en plaisirs.

Au commencement du printemps, les deux princes se mirent en route pour Ispahan. Mirza et Iskender, arrivant de Yezd, se rendirent tous ensemble à Djerbadekan. D'un autre côté, Mirza-Abou-Bekr accourait à la tête de ses troupes, et les deux partis se rencontrèrent sur le territoire de Derguzin, dans le lieu nommé Kharbereh, et en vinrent aux mains avec une égale fureur. Le combat dura depuis le matin jusqu'au soir; quatre mille hommes, cavaliers et fantassins, restèrent sur la place. Les deux armées quittèrent le champ de bataille, et passèrent toute la nuit à faire bonne garde. Dès le matin, elles retournèrent à la charge. Mirza-Abou-Bekr, à la tête de 700 cavaliers d'élite, tombant sur le centre de l'armée de Pir-Mohammed, le mit dans une déroute complète; le reste des troupes lâcha pied également, et les fuyards coururent sans s'arrêter jusqu'à Ispahan. L'armée de Mirza-Abou-Bekr, après avoir recueilli un butin immense, et pour se soustraire à une chaleur excessive, resta quelques jours dans le lieu nommé Igar Boulak. Le prince fit mettre à mort l'émir Zirek, l'émir Omar-Taban, ainsi que le fils et le frère de ce dernier, prétendant qu'ils étaient secrètement favorables au parti du Khorasan, et qu'ils avaient, dans le combat, montré une extrême lâcheté ; puis il se dirigea vers Ispahan. L'émir Pir-Hosaïn-Berlas et quelques autres émirs, effrayés du meurtre de Zirek et d'Omar, se hâtèrent de prendre la fuite, et entrèrent dans Ispahan. Les habitants de cette ville reçurent dans leurs murs une bonne partie de la population extérieure, avec les vivres qui étaient à leur disposition. On fortifia le château de Tobrak. Mirza-Abou-Bekr, étant arrivé à une parasange d'Ispahan, défendit de faire aucun dégât dans les maisons et les jardins, dans l'espérance que les habitants se soumettraient volontairement. Après avoir attendu inutilement deux ou trois jours, il pénétra dans les jardins avec ses principaux serviteurs. Les habitants de la ville, trouvant l'occasion favorable, firent une sortie et livrèrent un combat, dans lequel il y eut quantité de blessés. Les deux partis se retirèrent simultanément et passèrent toute la nuit à faire bonne garde. Le lendemain, Mirza-Abou-Bekr, à la tête de toute son armée rangée en bataille et présentant une droite, une gauche, un centre et une aile, entra dans le quartier des jardins, et engagea l'action. Du côté des habitants déjà ville, deux mille hommes furent tués et trois généraux faits prisonniers. Le reste se débanda. Les soldats poursuivirent les fuyards jusqu'à la porte de Lenban, et les écrasèrent sous les pieds de leurs chevaux. Si Mirza-Abou-Bekr n'avait usé de clémence, la ville allait être prise. Le lendemain, les seïds et les principaux personnages, ayant demandé une capitulation, s'engagèrent à restituer tout ce qui avait été enlevé de Saouk-boulak-Reï, à faire la Khotbah et à frapper la monnaie au nom de Mirza-Miran-schah. En même temps ils renvoyèrent tout ce qu'ils avaient pris, et qui appartenait aux troupes de Reï. Le lendemain, ils se préparaient à exécuter fidèlement les conditions dont ils étaient convenus; mais Mirza-Abou-Bekr rétracta sa parole. « Il vaut mieux, dit-il, que nous emportions la ville d'assaut, et que nous fassions tout ce que nous voudrons. » Dès le matin, il fit monter ses troupes à cheval, et conduisant avec soi les claies et les échelles, il arriva à la porte de la ville. Des deux côtés on se battit avec un courage égal. Les habitants, ayant appris que Mirza-Abou-Bekr avait rompu le traité, évacuèrent les jardins et se mirent en défense. Les soldats, de leur côté, saccagèrent tous les environs de la ville. Mirza-Omar, sentant bien que les princes qui l'accompagnaient ne pouvaient lutter avec le moindre avantage contre Mirza-Abou-Bekr, se sépara d'eux et prit la route du Khorasan. Sur ces entrefaites, Mirza-Abou-Bekr apprit que Scheik-Hadji-Iraki faisait le siège de Sultaniah, que l'émir Scheik-Ibrahim était arrivé à Tabriz, et que l'émir Bestam occupait cette ville. Ayant conclu un traité avec les habitants d'Ispahan, il retourna sur ses pas. Lorsqu'il fut arrivé à Derguzin, scheik-Hadji décampa de devant Sultaniah et se rendit à Târem.

ÉVÉNEMENTS QUI SE PASSÈRENT DANS LE KHORASAN, ET MEURTRE DE SULTAN-HOSAÏN-MIRZA.

Mirza-Sultan-Hosaïn, petit-fils, par sa mère, de l'empereur Timour, était un jeune homme plein de bravoure, mais extrêmement téméraire et imprévoyant. Ainsi que je l'ai rapporté plus haut, il avait, sans aucun motif, quitté la cour du Khakan heureux (Schah-rokh), qui se trouvait dans les environs d'Andekhoud, et s'était rendu à Kesch, auprès de Mirza-Khalil-Sultan, dont il reçut l'accueil le plus bienveillant. Mirza-Khalil-Sultan refusait d'acquitter une redevance qu'il s'était engagé à payer, sur son trésor, au profit de Mirza-Pir-Mohammed-Djihanghir. Celui-ci se trouvait alors à Balkh. Mirza-Khalil-Sultan envoya, vers les bords du Djeïhoun, Mirza-Sultan-Hosaïn, escorté de plusieurs émirs, tels qu’Allah-dad, Argoun-schah, Timour-Khodjah, et Khodjah-Iousouf, pour apprendre des nouvelles de Mirza-Pir-Mohammed. Tout à coup Mirza-Sultan-Hosaïn, se livrant à l'espoir chimérique de parvenir à la souveraineté, manda les émirs, et leur fit dire : « Il est arrivé un événement important dont les émirs seuls doivent avoir connaissance. » Tous se rendirent à l'invitation. Sultan-Hosaïn était assis à la porte de sa tente, escorté de vingt serviteurs, qui tous étaient armés d'arcs, de flèches, d'épées, de poignards, de massues, de boucliers. Il leur ordonna d'arrêter prisonniers les émirs, et Timour-Khodjah, ainsi que Khodjah-Iousouf, furent mis à mort. Les autres émirs, Allah-dad, Argoun-schah, Moubaschscher et Saâdet, tremblant de tous leurs membres, se jetèrent à genoux et demandèrent grâce. Après leur avoir imposé des conditions, à l'observation desquelles ils s'engagèrent par les serments les plus forts, le prince leur accorda la vie, et les nomma pour commander en son nom. Ayant attaqué à l'improviste Khanikeh, femme de Mirza-Mohammed-Sultan, qui se rendait de Samarkand à Balkh, auprès de Mirza-Pir-Mohammed, il enleva à cette princesse des trésors et des objets du plus haut prix, qu'il distribua à ses serviteurs. Les troupes, bon gré mal gré, se soumirent à lui ; et il marcha en ordre de bataille vers Samarkand. A cette nouvelle, Mirza-Khalil-Sultan distribua à ses troupes une gratification considérable ; puis il quitta Samarkand dans les derniers jours du mois de zou'lhidjah. Les deux armées se trouvèrent en présence dans un lieu nommé Djekdâlik, situé sur le territoire de Kesch. Avant qu'elles fussent rangées en bataille, l'émir Allah-dad, Argounschah et les autres émirs passèrent du côté de Mirza-Khalil-Sultan. La plus grande partie des troupes suivit cet exemple. Cet événement arriva le 8e jour du mois de moharram, l'an 808. Mirza-Sultan-Hosaïn n'eut d'autre ressource que la fuite; Mirza-Khalil-Sultan, victorieux et triomphant, fit son entrée dans la ville de Samarkand. Sultan-Hosaïn, étant arrivé dans les environs d'Andekhoud et de Schuburgan, joignit l'émir Soleïman-schah, qu'il sut, par des ruses adroites et des discours insinuants, détourner du chemin de la fidélité. Tous deux conclurent un traité d'alliance cimenté par des serments mutuels. Mirza-Pir-Mohammed députa vers l'émir Soleïman-schah, et, lui faisant le dénombrement des actions coupables et de la conduite odieuse de son nouvel associé, il lui dit : « Sultan-Hosaïn est mon ennemi, fais-le arrêter, et envoie-le vers moi. » L'émir Soleïman-schah ne tint aucun compte de cette demande. Mirza-Pir-Mohammed, vivement irrité, se mit en marche avec la rapidité de la foudre et du vent, et vint fondre pendant la nuit sur les deux alliés. Ceux-ci, hors d'état de résister, se dirigèrent vers Hérat, et eurent l'honneur de baiser la main du Khakan heureux (Schah-rokh), qui leur prodigua les témoignages d'une bienveillance vraiment royale. Après avoir tenu conseil à leur sujet, ce prince décida que le canton de Sarkhas serait concédé comme apanage à l'émir Soleïman-schah. Il lui donna, en outre, 100.000 dinars Kopeki et d'excellents chevaux. Il lui enjoignit de se rendre dans le Khorasan, pour se réunir à l'émir Midrab et à Seïd-Khodjah. A cette époque, Mirza-Miran-schah se trouvait dans les environs de Kalpousch. Cependant, les grands de l'empire et les principaux courtisans adressèrent au monarque une dénonciation dirigée contre Mirza-Sultan-Hosaïn, et dans laquelle ils disaient : « Cet homme ignorant, factieux, turbulent, audacieux, a, pendant la vie de l'empereur Timour, montré, d'abord à Samarkand, puis en Syrie, un esprit de révolte. Après la mort de ce prince, il s'est mis en état d'hostilité avec les émirs, il y a peu de temps que, désertant, sans aucun motif, la cour de notre monarque victorieux, il s'est retiré auprès de Mirza-Khalil-Sultan ; puis, après avoir fait égorger les émirs, il a pris les armes contre ce prince et a pillé les trésors de Khanikeh. Prenons garde (ce qu'à Dieu ne plaise) de voir bientôt naître des troubles sérieux, auxquels la providence seule pourrait apporter remède; car, chez Sultan Hosaïn, tout annonce l'hypocrisie et l'esprit de discorde. » Suivant un ordre émané de la cour auguste, Sultan-Hosain fut mis à mort, en dehors de la porte de l'Irak, par les mains de l'émir Nouschirvan-Berlas.

L'émir Soleïman-schah, qui avait contracté avec ce mal heureux, prince une liaison et une alliance intimes, ayant appris cette triste nouvelle dans la ville de Tous, fut vivement affligé, et médita des projets de révolte. Il écrivit à l’empereur : « Si sa majesté tient à conserver les services de son esclave, qu'elle chasse de sa cour l’émir Schah-mulk, et qu'elle fasse mettre à mort Nouschirvan-Berlas. » A la réception de cet étrange message, le prince, animé d'une violente colère, donna l’ordre de rassembler les troupes, et se dirigea vers Tous et Mesched. Lorsque les drapeaux augustes furent arrivés à Sari-Kamisch-Djam, un serviteur de l'émir Soleïman-schah, se présentant de sa part, demanda une audience pour l'émir Abd-alsamad, fils de l'émir Seïf-eddin, qui était le gendre et l'homme de confiance de Soleïman-schah. Schah-rokh ayant admis en sa présence l'émir Abd-alsamad, le chargea de dire à Soleïman-schah : « Dans les combats, dans les circonstances mémorables, tu as rendu des services éclatants, et les titres que tu as acquis à la reconnaissance de notre dynastie victorieuse sont au-dessus de toute expression. Tu t'es constamment distingué des autres émirs par tes vertus, ta haute prudence, la sagesse de tes conseils, ton instruction, ta libéralité, ton éloquence, la pureté de tes mœurs. Aussi l’empereur Timour t'avait mis au rang de ses fils et de ses frères. Les jours d'audience, tu paraissais au nombre des principaux personnages. Lorsqu'il fallait agir, tu étais le glaive de l'État. La confiance que nous ont inspirée ta noble conduite et tes sentiments généreux, a toujours été en croissant. Viens donc à ma cour, sans aucune inquiétude ; si tu as quelque plainte à former contre qui que ce soit, j'examinerai en ta présence l'affaire avec une entière maturité. » L'émir Abd-alsamad ayant transmis à son maître les paroles du sultan, l'émir Soleïman-schah répondit par quelques excuses peu acceptables, et dit: « Bien des personnes travaillent pour me faire perdre le fruit de mes services. La cour de sa majesté ressemble aujourd'hui à un miel pur dont on ne peut goûter la douceur parce que l'on redoute l'aiguillon des abeilles ; j'ai trouvé auprès de cette dynastie des bienfaits et des plaisirs sans nombre; aujourd'hui que l'ail s'est introduit dans la conserve d'amandes, et le sel dans le paloudeh, quelle douceur ces mets peuvent-ils conserver ? » Comme l'émir Abd-alsamad insistait pour que Soleïman-schah vînt en personne, celui-ci répondit : « Que l'émir Djihan-Melik se rende auprès de moi, afin que nous fassions les préparatifs du voyage. » Bientôt, se dirigeant vers la forteresse de Kelat, il mit cette place en état de défense, et plusieurs rebelles vinrent se réunir à lui. Schah-rokh, après avoir laissé sa cour dans le canton de Djam, sous l'inspection de Mirza-Olug-beigh, et lui avoir adjoint l'émir Schah-mulk, partit du bourg de Khardjerd. Lorsque les drapeaux augustes furent arrivés dans la plaine qui avoisine Tous et Mesched, les émirs qui se trouvaient sur la frontière du Khorasan, et qui avaient fourni à Mirza-Miranschah et à Mirza-Abou-Bekr tous les moyens de se mettre en campagne, étant revenus sur ces entrefaites, obtinrent l'honneur de baiser le tapis impérial. L'émir Abd-alsamad arriva d'auprès de Soleïman-schah, et rapporta ses propositions à Schah-rokh, qui, conformément à la demande de l'émir, envoya vers lui l'émir Djihan-Melik. En même temps, Mirza-Olug-beigh et l'émir Schah-mulk, accompagnés de l'ogrok, rejoignirent la cour impériale. L'émir Djihan-Melik s'étant acquitté de sa mission, et ayant exposé les propositions dont il était porteur, l'émir Soleïman-schah refusa de tenir sa promesse. Après le retour de Djihan-Melik, Schah-rokh donna ordre à l'émir Midrab de se diriger vers Kelat.

Sur ces entrefaites, un courrier envoyé par l’émir Djerkes, fils de Toumen, arriva à la cour, et apporta la nouvelle que des Turcomans-Kara-Tatars,[14] que l'empereur Timour avait emmenés du pays de Roum, et conduits dans le Ma-wara-annahar, avaient fui cette contrée et venaient d'arriver sur la frontière. Schah-rokh donna ordre aux émirs Schah-mulk et Djihan-Melik, Seïd-Khodjah, de partir en hâte, et de fermer les passages aux Kara-Tatars. L'émir Seïd-Khodjah, sur sa route, fit prisonnier le fils de Pir-Padischah, Sultan-Ali, qui, ayant fui de Samarkand, se rendait à Esterabad, et l'envoya à Schah-rokh. Ce prince le traita avec une extrême bienveillance, et le fit partir pour retourner auprès de son père, Pir-Padischah, en compagnie de la femme de ce dernier. Il garda auprès de lui Sultan-Hasan, frère de Sultan-Ali. Montrant à l'égard de Pir-Padischah des procédés pleins de bienveillance, il lui fit dire : « Tu conserveras ton gouvernement tel que tu le possédais du temps de l'empereur Timour; il faut donc que tu ne laisses entrer dans ton esprit aucune inquiétude, mais que tu te rendes auprès de nous avec une entière confiance ; car tu n'y trouveras qu'un redoublement de traitements affectueux. »

Les drapeaux augustes ayant pris la route de Kelat, l'émir Soleïman-schah évacua cette ville, et s'enfuit du côté de Samarkand. Schah-rokh alla visiter le tombeau de Sultan-Abou-Saïd, fils d'Abou'lkhaïr, auteur de l'ouvrage intitulé Asseïr ou-attair  (le Voyage et les Oiseaux); il accomplit ce pèlerinage de la manière la plus respectueuse, et combla de ses bienfaits les enfants de ce personnage vénérable. Les émirs qui avaient été envoyés pour s'opposer aux Tatars, en ayant chargé de chaînes un grand nombre, les firent conduire à la cour du sultan. Par ordre de ce prince, l'émir Seïd-Khodjah se rendit à Kelat, avec la mission de faire l'inventaire de tout ce qu'avait laissé l'émir Soleïman-schah, de purger tout ce canton de la présence des rebelles, et, enfin, de démolir la forteresse qu'avait élevée Soleïman-schah. Les glorieux étendards du sultan, ayant repris la route de Hérat, capitale du royaume, firent leur entrée dans cette ville le 7e jour du mois de rebi premier. Sur ces entrefaites, un courrier, envoyé du Séistan par Schah-Kotb-eddin, apporta la nouvelle que les deux schah, Ferah-Schah-Ali et Schah-Gaïath-eddin, fils de Schah-Djélal-eddin, avaient dessein de se révolter. Aussitôt le sultan fit partir pour cette contrée l'émir Hasan-djandar, avec ordre d'étouffer cette guerre dans sa naissance. Ce général étant parvenu à se saisir de la personne des deux frères rebelles, les fit mettre à mort; et le pays se trouva ainsi préservé des troubles que l'on avait à craindre.

Le sultan jugea à propos d'envoyer, du côté d'Andekhoud et de Schuburgan, Mirza-Olug-beigh et l'émir Schah-mulk, pour organiser les affaires de ce canton, et faire, à l'égard de la population, les règlements administratifs qui leur paraîtraient convenables. Tous deux se rendirent sur cette frontière; quelques cavaliers, détachés par eux au-delà du Djeïhoun pour prendre langue, revinrent sur leurs pas après avoir fait prisonniers Isa et Khizr-Khodjah. Mirza-Olug-beigh fit conduire Khizr-Khodjah auprès de Schah-rokh, et Isa vers Mirza-Pir-Mohammed, qui résidait alors dans la ville de Balkh. L'émir Seïd-Khodjah, après avoir réglé, d'une manière définitive, tout ce qui concernait la forteresse de Kelat, eut l'honneur de baiser le tapis impérial, et ses services obtinrent l'accueil le plus flatteur. En effet, il avait, une seconde fois, mis en déroute Perek-Padischah, fait prisonnier le fils de ce prince, abattu la puissance des Serbedars, et organisé la province du Khorasan. D'ailleurs, il était fils de Scheik-Ali-behadur, dont la bravoure et le courage sont au-dessus de tous les éloges. Aussi, le sultan lui témoigna une extrême faveur, lui conféra une autorité absolue sur toutes les affaires administratives et financières, et lui donna le titre d'émir alomarâ,  (émir des émirs). Seïd-Khodjali, s'appliquant tout entier aux soins de son gouvernement, représenta que Daoud-Ghermsiri n'avait point jusqu'alors eu l'honneur de baiser le tapis impérial. Un ordre auguste enjoignit à l'émir Djihan-Melik de se diriger du côté de Gour et de Ghermsir, afin de repousser les séditieux et les rebelles.

 Sur ces entrefaites, l'émir Mousâ-ka et l'émir Nemlik, ayant quitté la province de Khwarizm, furent admis auprès du sultan, et reçurent de lui des témoignages d'une bienveillance royale. Dès que l'hiver fut terminé, le cortège auguste du souverain se dirigea vers le campement d'été de Badghis. Dans la station de Kizil-ribat, on reçut la nouvelle du combat qui s'était livré entre Mirza-Pir-Mohammed et Khalil-Sultan. Lorsque l'on fut parvenu au lieu nommé Satraki, on vit arriver du Ma-wara-annahar Rakieh-Khanikeh, fille de l'émir Kaï-khosrev, qui amenait avec elle Akeh-beighi, fille de Mirza-Pir-Mohammed-Sultan et épouse de Mirza-Olug-beigh. Schah-rokh, pour témoigner sa joie, passa plusieurs jours dans les plaisirs et les divertissements. Vers ce même temps, Mirza-Olug-beigh et l'émir Schah-mulk arrivèrent à Andekhoud et Schuburgan ; Schah-mulk s'avança jusqu'au bord du fleuve (le Djeïhoun) et y fit jeter un pont. Mirza-Khalil-Sultan s'étant montré sur l'autre rive, ses coureurs passèrent le pont construit par Schah-mulk, et en vinrent aux mains avec les serviteurs de celui-ci. Devlet-Khodjah, parent d'Émir Khodjah, fut tué dans l'action. Les deux partis entamèrent des négociations, qui eurent pour résultat un traité de paix. Mirza-Khalil-Sultan reprit la route de Samarkand, et l'émir Schah-mulk, de son côté, retourna sur ses pas. Bientôt il fut mandé auprès de Mirza-Pir-Mohammed, et leur entrevue eut lieu dans la ville de Balkh. Mirza-Pir-Mohammed se plaignit vivement de Mirza-Khalil-Sultan, et ses familiers ajoutaient : « Mirza-Pir-Mohammed est le successeur désigné de l'empereur Timour; le trône lui appartient, car il est frère aîné, tandis que Mirza-Khalil-Sultan n'est que le cadet. » Schah-mulk dépêcha un courrier vers Khalil-Sultan, et lui fit dire : « Par quel acte testamentaire Timour a-t-il donné le trône et l'empire à Mirza-Khalil-Sultan? » Celui-ci répondit : « L'Etre puissant, qui avait concédé le trône et l'empire à Timour, est le même qui m'en a gratifié. » Cette réponse irrita au plus haut point Mirza-Pir-Mohammed et l'émir Schah-mulk. Des deux côtés on échangea des paroles pleines d'aigreur, et bientôt les troupes, complètement équipées, traversèrent le fleuve (le Djeïhoun). De son côté, Mirza-Khalil-Sultan distribua à ses soldats des gratifications immenses.

Les deux armées, animées d'un courage égal, se trouvèrent en présence dans les environs de Nasaf, et en vinrent aux mains. Mirza-Khalil-Sultan, à la tête des braves du Ma-wara-annahar, des guerriers du Khorasan et de ceux de l'Irak, se précipita sur le centre de Mirza-Pir-Mohammed et le fit reculer. Le corps des Arlat fut le premier à prendre la fuite; bientôt, la gauche et la droite se débandèrent. Mirza-Olug-beigh et l'émir Schah-mulk, voyant le centre en déroute, tournèrent également bride. Les bagages et les provisions des troupes de Balkh tombèrent au pouvoir des soldats de Samarkand; la princesse Khanikeh resta prisonnière. Mirza-Khalil-Sultan traita ses captifs avec une extrême générosité, leur garantit une sûreté entière et les combla de bienfaits. Cet événement se passa le lundi, second jour du mois de ramazan. Dès que Schah-rokh eut appris cette nouvelle, il se dirigea vers le lieu du combat. Mirza-Olug-beigh et l'émir Schah-mulk, ayant eu l'honneur d'être admis auprès du prince, reçurent de lui l'autorisation de séjourner durant un mois dans le canton de Badghis, afin de laisser les chevaux reprendre de l'embonpoint. Lorsque la cour fut arrivée à la station de Nari-koschoun, l'émir Fena-Schirin, qui avait été député par l'empereur vers Mirza-Khalil-Sultan, revint de son voyage, amenant avec lui un des serviteurs de ce prince, et rapporta que Khalil-Sultan recourait à des excuses, et disait : « Nous voulons rester fidèles aux traités ; mais Mirza-Pir-Mohammed ayant traversé le fleuve et envahi nos Etats, nous avons dû lui livrer bataille, et Dieu nous a donné la victoire. »

Schah-rokh fit partir, dans la compagnie du serviteur de Mirza-Khalil-Sultan, Mezid-Djaouni-Korbani, et le chargea de dire au prince : « Et nous aussi, nous voulons observer les traités; nous sommes et serons toujours tels que nous avons été; l'émir Soleïman-schah, Argoun-schah et Ahmed Djehreh, étant entrés sur les terres de notre domination, y ont fait de grands ravages. Toutefois, dès qu'ils ont aperçu de loin notre armée, ils ont pris la fuite, comme des ânes devant des lions. Maintenant, nous nous proposons de nous rendre sur le bord du fleuve. Que Mirza-Khalil-Sultan, de son côté, vienne camper près de la même rivière, afin que, regardant le passé comme non avenu, nous renouvelions le traité d'alliance qui nous a unis. Si le Mirza ne peut venir en personne, qu'il envoie ses principaux émirs pour s'aboucher avec nos serviteurs; et tout ce qui aura été arrêté dans cette conférence sera strictement observé par nous. » La cour du sultan s'arrêta quelques jours dans le campement d'été de Pourakan et Ilar; là, on vit revenir Mezid-Djaouni-Korbani, accompagné de Devlet-Khodjah-Djinghiz khan. Ils étaient chargés de dire, au nom de Mirza-Khalil-Sultan : « Sa majesté n'a qu'à envoyer sur la rive du fleuve telle personne qu'elle voudra; de notre côté, nous avons désigné, pour nos représentants, l'émir Allah-dad et l'émir Argoun-schah. » L'empereur choisit pour cette mission l'émir Midrab, auquel il adjoignit le kadi Kotb-eddin-Abd-allah-Imami.

L'émir Djihan-Melik, qui avait fait une expédition dans la province de Ghermsir, battit complètement Maudoud et le rejeta hors des limites de cette contrée, releva la forteresse de Derfeschaï, y laissa, avec le titre de koutoual (gouverneur) l'émir Sigal-Ghermsiri et Hosam-eddin-Gouri, et arriva à l'ordou auguste de l'empereur, traînant avec soi un immense butin. Ali-beigh, qui avait accompagné Djihan-Melik, s'avança et rapporta que l'émir Schah-mulk avait dit : « C'est l'élévation de l'émir Seïd-Khodjah qui m'a empêché de partir avec l'armée. » Schah-rokh exprima son mécontentement par de vifs reproches, et dit : « Comment Schah-mulk ose-t-il se permettre de pareils discours. » En même temps, il dépêcha vers lui Sinal-Towadji, avec ordre de lui dire : « Il avait été réglé que l'émir séjournerait un mois dans la ville de Badghis. Il s'est écoulé quelques jours au-delà du terme indiqué ; il faut donc qu'il se mette sur-le-champ en route; s'il ne veut pas rejoindre l'armée, qu'il sorte de nos Etats, et qu'il aille où il voudra. » Le prince, étant parti du lieu nommé Ilar, se dirigea vers Hérat. Il traversa la rivière de Morgab, et entra en armes dans sa capitale. L'émir Schah-mulk prenant la route de Iekehr-Olang, alla rejoindre Mirza-Pir-Mohammed-Djihanghir. L'émir Seïd-Khodjah, ainsi qu'il a été dit plus haut, avait obtenu le rang d'émir-alomarâ, et toutes les affaires du royaume étaient soumises à sa décision verbale ou écrite. Se voyant dans cette position élevée, il se livra à des idées d'une ambition démesurée; et le voyage de l'émir Schah-mulk arrivant sur ces entrefaites, il ne rêva plus que de conquérir une autorité absolue. Plusieurs fils d'émirs, ceux de Seïf-eddin-Samad, Taher et Fâdel, ceux de l'émir Oudj-Kara-Schems-eddin, de Scheik-Ali, d'Abou-Moslem, de Mohammed-beigh, de Timour-Melik-Douldaï, et Moham-med-Fadl-allah, s'étant laissé séduire par ses promesses, renoncèrent au service du sultan. Le premier jour du mois de zou'lhidjah, à l'heure de la prière du soir, l'émir Seïd-Khodjah, de concert avec ses associés, partit de Djerkalenk et se dirigea vers la ville de Djam. Dès que cette nouvelle fut parvenue aux oreilles de Schah-rokh, ce prince, au milieu même de la nuit, se mit en marche, accompagné des personnes qui s'étaient trouvées auprès de lui, et se mit à la poursuite de Seïd-Khodjah. Au point du jour, il atteignit les fugitifs dans la plaine de Navizek, et leur envoya un exprès pour leur dire : « Quel motif a pu vous exciter à la révolte? » En même temps, poussant son cheval, il arriva seul au milieu d'eux. Tous mirent pied à terre, fondant en larmes, donnant tous les signes d'une douleur véritable, confessèrent leur faute, et se précipitèrent aux genoux du sultan. Ce prince, n'écoutant que sa clémence, leur accorda un pardon généreux. Par ses ordres, tous remontèrent à cheval, accompagnèrent le cortège impérial, et arrivèrent au lieu nommé Pul-salar. Schah-rokh, plein d'une noble confiance, entra le premier dans la ville. Quelques-uns de ceux qui avaient partagé les projets de Seïd-Khodjah, dirent à cet émir: « Si le sultan t'épargne, demain il nous fera périr dans les tourments les plus cruels. Nous ne voulons pas séparer tes intérêts des nôtres. » Tous, ayant repris leurs premiers plans, se dirigèrent du côté de Djam et de Tous. A cette nouvelle, Schah-rokh résolut de punir les rebelles. Sur ces entrefaites, Tawakkul-Timour-Towadji, envoyé par l'émir Midrab, arriva à la cour, et donna les détails suivants : « Nous étions réunis en grand nombre sur la rive du fleuve; Mirza-Khalil-Sultan n'a point tenu ses engagements. » Schah-rokh donna ordre que l'émir Midrab se rendît au pied du trône impérial. En même temps, il députa les émirs Hasan-Soufi-Tarkhan et Firsman-scheik vers Seïd-Khodjah, les chargeant de lui dire : « Qui es-tu? Que deviendras-tu ? Où seras-tu mieux qu'auprès de moi ? Ne parlons plus de tout ce qui est passé ; nous oublions ta faute, et nous te destinons le même rang et la même existence que tu avais jadis. » Les émirs s'étant rendus auprès de Seïd-Khodjah, et lui ayant adressé des conseils, ne purent rien obtenir de lui. Schah-rokh désirait vivement le ramener par des procédés bienveillants.

Sur ces entrefaites, on reçut la nouvelle que Maudoud-Ghermsiri était rentré dans la province de Gour et y faisait de grands ravages. Schah-rokh fit partir pour cette contrée l'émir Akbouka, et Tagaï-Merken. Le 23e jour du mois de zou'lhidjah, les étendards victorieux quittèrent la ville capitale de Hérat, se dirigèrent du côté de Tous; la plaine de Beschertou, qui était ornée de toutes les fleurs du printemps, devint le campement du monarque. L'émir Midrab, qui se trouvait sur les bords du fleuve Amouieh, rejoignit la cour. En même temps, on vit arriver de la ville de Tabs un serviteur de l'émir Iousouf-Khalil, Darogah (gouverneur) de cette place. Il apportait une lettre qu'il avait interceptée, et qui annonçait que l'émir Seïd-Khodjah, employant la main d'un serviteur de son frère Iousouf-Khodjah, avait écrit à Mirza-Iskender, en ces termes : « Je vais conquérir pour vous le Khorasan. » Ce fait, étant divulgué, ne laissa plus aucun espoir de pacification. En outre, un homme de confiance, qui arrivait d'auprès de Seïd-Khodjah, annonça que cet émir persistait dans sa rébellion et dans des dispositions hostiles.

ÉVÉNEMENTS DE L'ANNÉE 809.  DÉPART DU KHAKAN HEUREUX (SCHAH-ROKH).

Le premier jour du mois de moharram, l'armée impériale se mit en marche et prit la route de Djam. Le 8e jour du même mois, ce lieu fut honoré par la présence du cortège de sa majesté. Schah-rokh vint descendre au mausolée du scheik alislam (docteur de l'islamisme) Ahmed-Djam, où il accomplit toutes les formalités que réclame le pèlerinage. Il se recommanda à l'âme de cet homme vénérable, dont les enfants furent comblés des témoignages de sa faveur, et il distribua des dons et d'abondantes aumônes à tous ceux qui étaient dignes de sa libéralité; de là, il se rendit au bourg de Khardjerd; il y reçut la visite d'un serviteur de Mirza-Omar-Behadur, qui lui apprit que ce prince se disposait à venir rendre hommage à son souverain ; mais que le manque des objets nécessaires pour un voyage l'obligeait de marcher lentement. Schah-rokh répondit : « Mirza-Omar est notre fils, notre frère; nous ne lui refuserons ni domaine, ni trésors. » Le lendemain, au lever du soleil, l'empereur résolut de passer ses troupes en revue et de faire l'examen des armes offensives et défensives. Monté sur un cheval à la course rapide, il inspecta chaque touman (corps de 10.000 hommes), chaque koschoun (corps de 1.000 hommes). Tous les soldats, l'arme sur l'épaule, faisaient entendre des acclamations et des vœux. Lorsque la revue fut terminée, le prince, animé d'une noble clémence, songea encore une fois à ménager les intérêts de l'émir Seïd-Khodjah, ne voulant point que des hommes qui l'avaient servi tombassent dans l'abîme du malheur. Il dépêcha vers cet émir son serviteur Bagar-Bakdi, pour lui dire que l'empereur accédait à ses demandes. Bagar-Bakdi se rendit auprès de Seïd-Khodjah, et lui rapporta ce qu'il avait entendu; mais ses représentations furent complètement inutiles. Schah-rokh, voyant que l'émir persistait dans son endurcissement, dans sa rébellion, entra dans une violente colère; il monta aussitôt à cheval, et, à la tête de Ses troupes, il partit du bourg de Khardjerd. Au milieu du mois, il vint camper dans le bourg de Iakouteh; là, il apprit que Seïd-Khodjah avait fui à toute bride, et s'était retiré dans la place de Kelat, qui était extrêmement forte, et voulait s'y mettre en état de défense. Quant aux hommes égarés qui avaient suivi ses drapeaux, plusieurs, cédant à une inspiration divine, recoururent à l'intercession des grands du royaume. Le prince leur accorda à tous leur pardon et une amnistie pleine et entière. De là il se rendit à la ville de Mesched, pour visiter le tombeau de l'imam Ali-ben-Mousa-Rida. Il accomplit ce pèlerinage avec tous les témoignages de la considération la plus respectueuse, et combla de ses dons et de ses libéralités les nobles seïds; ensuite il prit la route de Radekan, et fit dresser sa tente dans les prairies délicieuses qui environnent cette ville.

Sur ces entrefaites, il reçut la nouvelle que Khodjah-Ali Nasr-allah-Terschizi, ayant fait réparer la forteresse de Pejdaroud, avait dessein de se déclarer pour l'émir Seïd-Khodjah. Le prince envoya de ce côté l'émir Midrab. Nasr-allah prit la fuite; tout ce qui lui appartenait tomba au pouvoir de Midrab, qui, conformément aux ordres qu'il avait reçus, se dirigea vers Hérat. Schah-rokh chargea l'émir Boutah de prendre des informations sur ce qui concernait Seïd Khodjah. Boutah, après des recherches scrupuleuses, apprit, d'une manière certaine, que Seïd-Khodjah s'était rendu dans la forteresse de Kelat ; que là, ayant appris que l'émir Alikeh et d'autres émirs, à la tête des troupes cantonnées à Mérou et à Sarkhas, se disposaient à joindre la cour de l'empereur, il avait été frappé de stupeur; que, s'étant décidé à la fuite, il avait pris en toute hâte le chemin du Mazandéran, et avait envoyé en avant les émirs Abd-alsamad et Schems-eddin Oudj-Kara, pour s'aboucher avec Padischah-Perek, souverain de cette contrée. Schah-rokh, en recevant cette nouvelle, ayant vu son armée grossie par l'arrivée du nombreux corps de troupes que commandait l'émir Alikeh, koukeltasch de Sa Majesté, donna ordre aux towadjis de disposer les troupes, et de lui communiquer les registres qui contenaient l'état de chaque corps. Ensuite il distribua aux émirs qui commandaient les toumans (corps de 10.000 hommes), les koschoan (corps de 1.000 hommes), les sadeh (corps de 100), et les deheh (corps de 10 hommes), et même aux simples soldats, des présents et des gratifications.

Le 10e jour du mois de safer, il quitta la prairie de Radekan, et se dirigea vers le Mazandéran. Arrivé au lieu nommé Ilgar-agatch-Khabouschan, il fut joint par l'émir Schah-mulk, qui venait de Balkh. Du iilak (campement d'été) de Salmakan, il fit partir Mengli-Timour-Naïman, qui était connu pour réunir toutes les qualités nécessaires à un ambassadeur, et l'envoya en députation auprès de Perek-Padischah. Les dépêches dont il était porteur contenaient ces mots : « J'ai tiré de l'état abject de l'esclavage Seïd-Khodjah, et je l'ai élevé au rang de général. Mais l'ambition du pouvoir absolu est entrée dans son cerveau, et en a pris possession de telle sorte que le mal est devenu sans remède, et que les conseils les plus salutaires, les promesses les plus flatteuses n'ont pu surmonter les idées de rébellion auxquelles il s'était livré; sa fureur l'a porté à saccager les villes, à faire périr les habitants dans les supplices. A peine a-t-il eu connaissance de notre marche, sans avoir vu, même de loin, l'éclat lumineux de nos glaives, il a pris la fuite, comme un renard fuit devant un lion. Comme nous avons appris qu'il s'est retiré dans vos États, nous espérons que vous voudrez, par une conduite franche, cultiver la bonne amitié qui existe entre nous, et que vous ne souffrirez plus, sur les terres de votre domination, des hommes injustes, qui ont secoué le joug de l'obéissance, et manqué aux devoirs que leur imposait le service de leur maître. Sachez de science certaine que, par suite de la faveur divine et du secours céleste, nous avons le pouvoir de récompenser nos amis, de punir nos ennemis. C'est Dieu qui conduit les hommes dans la voie de la raison. Si mes représentations ne trouvaient point chez vous des oreilles dociles à la sagesse, si vous ne voyez pas, avec l'œil de l'intelligence, les funestes conséquences d'une rupture avec nous, le zéphyr de notre bienveillance fera bientôt place aux orages, et les desseins de Dieu se manifesteront de telle sorte qu'aucune main ne pourra en arrêter l'exécution. » Lorsque Mengli-Timour fut parti pour le Mazandéran, le cortège de l'empereur s'arrêta quelques jours, à raison de l'extrême chaleur de l'atmosphère, et on se livra au plaisir de la chasse.

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[2] Le nom signifie les neuf ribat. Le mot , dans la langue des Arabes d'Afrique, désigne une station militaire, comme dans ce passage d'une histoire de Kaïrowan (manuscrit arabe 752, fol. 80 r.), où on lit : « Le château de Ziad se nommait autrement Kasr-arribat « le château de la station militaire. » Il se prend dans plusieurs significations; aujourd'hui il est employé, chez les Persans, avec le sens de caravansérail (Fraser, Journey into Khorasan, p. 383 ; Burnes, Travels into Bokhara, t. I, p. 253, 348). On lit dans le Voyage d'Ibn Batoutah (man. fol. 40 r.) : « En dehors est un ribat où viennent loger les voyageurs. » A la Mecque, au rapport de Burckhardt (Travels in Arabia, tom. I, p. 282), il désigne un édifice où peuvent résider les pauvres pèlerins qui désirent se livrer a l'étude. On lit dans l'Histoire des kadis d'Egypte, écrite par Sakhawî (manuscrit arabe 690, fol. 111 v.) : « A la Mecque étaient deux ribat, dont l'un dominait l'école des orphelins. » Et plus bas (ibid.) : « Un ribat destiné pour les veuves. » Dans un ouvrage historique de Makrizi (Solouk, t. I, man. ar. 672, p. 202), on lit : « Il distribua, par forme d'aumône, quarante mille pièces d'argent aux personnes attachées à des collèges ou à des ribat, ainsi qu'aux propriétaires de maisons. » Ce mot se retrouve avec le même sens dans un passage du Tarikhi-Wassaf (manusc. fol. 173 r.), où on lit: « Parmi les monuments qu'a laissés ce monarque équitable, est un ribat qui porte son nom et qui a été doté de mens considérables. Là les amateurs de la science, ceux qui s'occupent à acquérir les différents genres de qualités estimables et de perfections, séjournent l'espace de quatorze ans en possession d'un empire spirituel, et suivent la route de la justice et de l'indulgence. » On lit dans les Voyages d'Ibn-Batoutah (manusc. fol. 27 r.) : « La maison d'Abbas est aujourd'hui un ribat servant d'habitation aux personnes qui veulent vivre en retraite. » Makrizi, dans sa Description de l'Egypte (m. ar. 798, f. 366 r.), explique le mot , par « Une maison habitée par des religieux. » Le même historien donne, sur les diverses significations de ce terme, de nombreux détails que je transcrirai ailleurs.

[3] Ces deux princes étaient fils de Schah-rokh.

[4] Ce mot se compose de deux termes mongols, frère aîné, et frère cadet.

[5] On lit dans le Nozhat-al Koloub (man. persan 130, page 779) : « Le lac de Geuktcheh-Tinghiz (la mer bleue) est situé dans la province d'Azerbaïdjan, sur les confins de l'Arménie. Son eau est douce, en sorte que les habitants des environs la boivent. Elle n'a nullement le goût salé et amer de celle des autres lacs. Il a vingt-cinq parasanges de circuit. » Nous apprenons de l'ouvrage intitulé Alem-araï-abbassi (man. de Bruix 11, fol. 27 r.) que Schah-Ismaïl, roi de Perse, ayant quitté Karabag; se rendit à Geuktcheh-Tinghiz, et de là, dans l'Azerbaïdjan. C'est le lac nommé plus ordinairement Sevan, qui est situé à peu de distance de la ville d’Erivan, et sur lequel on peut voir le voyage de M. Kerr-Porter (Travels in Georgia, Armenia, Persia, t. I, p. 199), et surtout feu M. Saint-Martin (Mémoires sur l’Arménie, t. I, p. 61, 148; t. II, p. 415); voyez aussi la Description de l'Arménie, publiée en arménien par le P. Indjidjan (p. 264). Sur l’île de Sevan, située au milieu de ce lac et sur le monastère du même nom qu'elle renferme, on peut consulter l'ouvrage que je viens d'indiquer (p. 226, 374), et l'ouvrage du même père sur les antiquités de l'Arménie (t. III, p. 210).

[6] Le mot signifie un édifice surmonté dune coupole. Gazan-khan, après avoir entouré d'une enceinte de murs la ville de Tabriz, avait fait bâtir en dehors de cette muraille, dans un lieu nommé Scham, un vaste faubourg, dans lequel était un édifice magnifique destiné pour la sépulture du monarque. Ce dernier monument reçut le nom de Schenbi-Gazan, qui s'étendit également à tout le quartier (Nozhat-alkoloub, man. persan 139, p. 604), notre auteur en fait plusieurs ibis mention fol. 26 v., 32 r.). L'auteur de la Vie de Schah-Abbas (fol. 165 r.) donne des détails sur cet édifice.

[7] Ce mot est écrit de plusieurs manières, c'est le mot turc qui signifie neuf. Pour entendre cette locution, il faut se rappeler que chez les Mongols le nombre neuf avait quelque chose de sacré : c'est ce qu'attestent tous les écrivains orientaux. (voyez Notices des manuscrits, t. V, p. 207), Aboulfaizl, dans l’Akbar-nameh (man. persan de Oenty, 84, fol. 49), dit également : « Chez les Mongols, le nombre neuf, est en toute chose regarda comme heureux. Tchinghiz-khan se prosternait neuf fois devant la divinité. Le drapeau des Mongols avait neuf pointes (Geschichte der Ost-Mongolen, p. 71, 379). Lorsque l'on offrait au prince des présents d'une espèce quelconque, ces objets devaient être au nombre de neuf; et cet usage s'est toujours conservé chez les peuples turcs et mongols. Gonçales de Clavijo (Vida, del gran Tamerlan, 2e édition, p. 164) remarque expressément que les objets offerts au sultan devaient toujours être au nombre de neuf. Ant. Jenkinson, dans la relation de son voyage (Melchis. Thévenot, Relations de divers voyages, t. I, p. 20), s'exprime en ces termes : « Nous donnâmes au prince ou gouverneur du pays une neuvaine, c'est-à-dire un présent de neuf choses particulières. Nous lisons dans le voyage de Josaphat Barbaro (Viaggio alla Tana, fol. 7 r.) : « Novena si chiama, si presente di nove cose diverse. » D'après cet usage, le mot turc désignait constamment la quantité d'objets offerts au sultan; et comme à cet égard la coutume était invariable, le même terme, sans aucune addition, se prenait quelquefois dans le sens de don, présent; c'est ce qu'il est facile de prouver par un grand nombre d'exemples. On lit dans histoire de Mirkhond (man. d'Otter, vie partie, fol. 180 v.) : « Des présents qui se composaient d'une neuvaine de chevaux et d'une chaîne de chameaux;» c'est-à-dire de sept de ces animaux. Dans le Zafer-nameh (de mon ms., fol. 51 v.): « Des neuvaines de chevaux. » Plus loin (fol. 71 v.) : « Il observa les règles en usage pour les festins et l'offrande des présents. » Ailleurs (fol. 94 v.) : « Des dons, des présents et des objets précieux. » (Fol. 110 r.) « Des présents convenables, des dons conformes à l'usage. » Ibid. : « Au moment de faire le présent, lorsqu'il faisait passer sous les yeux du prince des objets rares et précieux au nombre de neuf de chaque espèce. » (Fol. 155 r.) « Avec des chevaux arabes, des présents convenables et des dons bien dignes du monarque. » (Fol. 166 r.). « Des dons et des présents. » (Fol. 176 r.) : « Il présenta ses dons, qui consistaient en superbes chevaux, en mulets propres à la course et en objets dignes du prince. » (Fol. 227 r.) : « Une neuvaine précieuse, composée de magnifiques étoffes. » (Fol. 230 r.) : « Trois neuvaines de chevaux. » Une scolie marginale qui se trouve à cet endroit dans mon manuscrit atteste que le mot  dans la langue des Mongols et dans celle des Tchagatéens désignait une étable. Il est en effet probable qu'une écurie était ordinairement composée de neuf chevaux, mulets et autres animaux. Plus loin (fol. 256 v.) : « On offrit au prince le butin, par forme de don et de présent. » Ailleurs (fol. 259 v.) : « Une neuvaine de chevaux et un millier de bœufs. » Plus loin (fol. 268 v.) : « Parmi les plus belles filles mongoles, il en, choisit deux fois le nombre neuf. » Ibid.: Une neuvaine de chevaux. » Ibid.: « Une neuvaine de jeunes filles. » Dans le Matla-assaadeïn (fol. 197 r.): « Deux neuvaines de satin et autres étoffes de soie. » Plus loin (fol. 236 r.) : « Quelques neuvaines d'étoffe. » Fol. 382 v. « Quelques neuvaines de chevaux. » Dans l’Akbar-nameh (man. persan de l'Arsenal, 19, fol. 97 r.) : « Douze neuvaines d'étoffe de soie. »

[8] C'est cette même ville que les auteurs persans nomment Pendj-anguscht, qui a la même signification c'est-à-dire les cinq doigts. L'auteur du Nozhat-alkoloub (man. persan 139, p. 748) s'exprime en ces termes: La; rivière de Sefid roud (la rivière blanche), que les Turcs nomment Holan moran, prend sa source dans les montagnes de Pendj-anguscht, ou, comme disent les Turcs, de Bisch-barmak, qui sont situées dans la province de Kurdistan. » Dans un passage de l’Histoire des Seldjoukides, écrite par Bondari (man. arabe 767 a, fol. 109 r.), le nom de cette ville s’écrit Bendjkuscht.

[9] Dans une histoire de Hérat (man. de Genty 128, fol. 125 v.), il est fait mention de la forteresse de Kalbous qui porte depuis le nom de Nertou. L'an 919 de l'hégire, l'armée de Schah-Ismaïl se rendit de Bistam à Kalpousch (Habib assiiar, t. III. fol. 350 r.). On lit dans la Vie de Schah-Abbas (fol. 62 v.) que l'armée persane, étant partie de Mesched, campa à Kalpousch et arriva ensuite à Nischabour; que de Kalpousch (ibid.) on se dirigea vers Mesched. Dans une autre circonstance (fol. 76 r.), on partit de Semnan, et, par la route de Kalpousch, on se rendit à Mesched.

[10] Le mot désigne une petite monnaie d'argent et, d'autres fois, la monnaie en général. On lit dans le Zafer-nameh (de mon man. fol. 297 r.) : « Des monnaies pesant cent mithkals. » Plus loin (ibid.); « Des monnaies d'or et d'argent. » Dans le Habib-assiiar (tom. III, fol. 31 v.) : « Un bassin rempli de monnaies d'or. » Ailleurs (f. 308) : « A cette époque chaque tengtcheh était reçu pour six dinars kopekis. » Plus bas (fol. 308 v. et 309 r.) : « Une somme de cent mille tengtcheh du poids d'un mithkal, dont chacun, à cette époque, avait cours pour six dinars kopekis. » Plus bas (fol. 309 ».) : «Quinze mille tengtcheh du poids d'un mithkal. » Ailleurs (fol. 310 r.): « Une somme de vingt tengtcheh-khani, valant six cents dinars de Tabriz. » Et enfin (ibid.): « Une somme de vingt mille tengtcheh, dont chacun vaut six dinars.» Dans le Matla-assaadeïn (fol. 170 r.) : « Ils apportèrent quantité de pièces rouges et blanches, » c'est-à-dire de monnaies d'or et d'argent. Ailleurs (fol. 272 v.) : «Ayant pris l'argent et lu sa lettre. » Plus loin (fol. 332 v.) : « On ne trouvait pas à acheter, pour cinq tengah, un mann d'orge ou de froment. » Et enfin (fol. 346 v.) : « Sur la face de la monnaie. » Dans la 1ère partie du même ouvrage (de mon man. fol. 211 v.): « On fit graver la monnaie courante de la Syrie, et l'on frappa des pièces de 100 et de 50 mithkal, qui portaient le nom et les titres augustes du monarque. » Dans le traité de géographie intitulé Heft iklim (les sept climats), on lit (f. 37 v.): « Si la roupie vaut 10 ou 100 tengah. » Plus bas (f. 141 v.) : « Sept korour de tengah, qui équivalent à 35 lak de roupies. » Et enfin (fol. 167 r.) : «On entend ici par le mot tengah le tengah d'argent qui équivaut à 8 tengah d'aujourd'hui. » Abou'lgazi, en deux endroits de son histoire, nomme le tengah (Historia Tatarorum, p. 111, 115). Dans un ouvrage d'Ali-schir (Koullïati-Nevaïi, tom. II, fol. 798 r.), on lit : « Le tengah et le pool (l'obole). » Suivant l'auteur du Borhani-kati (p. 253, édit. de Calcutta), « le mot tengah désigne une quantité d'or ou de cuivre, qui varie suivant les lieux. » Gonzalès Clavijo (Vida del gran Tamerlan, 2e édit. p. 157) fait mention d'une monnaie d'argent appelée tagaes; il est clair qu'il faut lire tangah; et c'est ainsi que ce nom est écrit dans un autre passage (ibid. p. 184); et l'auteur évalue ces pièces à deux réaux d'argent. Josaphat Barbaro (Viaggio alla Tana, ap. Ramusio, Relationi, tom. II, fol. 96 v.) atteste que la monnaie appelé tengh par les Zagataï est la même que les Turcs nomment aktçka et les Italiens aspro. Antonio Tenreiro, voyageur portugais qui parcourut l'Asie au commencement du xvie siècle, assure que le tanga est une monnaie d'argent de la valeur de trois vintins (Itinerario, édit. de 1752, p. 359). L'éditeur de l'histoire des Tatars d'Aboulgari (Histoire généalogique des Tatars, p. 542) dit que le tanga qui a cours dans la grande Boucharie est d'un argent assez fin et vaut à peu près le quart d'un écu. Au rapport de Hanway (An historical Account of the British trade over the Caspian sea, tom. I, p. 242), le tonga qui a cours à Khiva est une petite pièce de cuivre dont il faut quinze cents pour faire la valeur d'un ducat; tandis que le cours du tonga de Boukhara (ibid. p. 244) varie de cinquante à quatre-vingts pour un ducat. Aujourd'hui, à Khiva, suivant le témoignage de M. Mouraview (Voyage en Turcomanie, p. 316), le tenga est une petite pièce d'argent de fort bon aloi : deux tenga valent un franc quarante centimes. M. Burnes (Travels into Bokhara, tom. II, p. 37) évalue le tenga au tiers d'une roupie. Ce mot n'a pas été inconnu aux écrivains arabes; car on lit dans l'ouvrage intitulé Mesalêk-alabsar (man. arabe 583, fol. 13) que, chez les Indiens, le mot tenkeh désigne une monnaie valant huit dirhems. Ces évaluations si différentes servent à prouver le fait indiqué par l'auteur du Borhani-kati, que le mot tengah désignant en général une monnaie, sa valeur change suivant les pays, et probablement aussi suivant les époques.

[11] Les mots signifient aveugler un homme en faisant passer entre ses paupières, après l'avoir fait rougir au feu, le poinçon d'argent que l’on emploie ordinairement pour appliquer sur les yeux la poudre, de zinc ou d'antimoine, destinée à leur donner plus d'éclat et de brillant. » On en pourrait citer une foulé d'exemples; On lit dans la Vie de Schah-Abbas (f. 128) : « Il aveugla ses yeux.» Plus bas (fol. 238) : « Ayant passé le poinçon sur les yeux du père, ils l’aveuglèrent » C'est de là que l'auteur du Djihan-kuschaï (fol. 2 r.) a dit métaphoriquement : « Il réprima les troubles. » On lit dans l'histoire de Nowaïri (man. arabe 645, fol. 42 r.) : « Il fit passer le poinçon sur ses yeux et l'aveugla. » Ailleurs (man. d'Asselin 445, fol. 27 r.). « L'un d'eux eut les yeux crevés, et l'autre fut aveuglé au moyen d'un poinçon ardent:» Le poète Omar ben-Fared dit (manuscrit arabe 1479, fol. 37 r.) : « J'ai été aveuglé. » Un passage du voyageur Pietro della Valle (Voyages, t. V, p. 250, 251) explique parfaitement ce que je viens de dire. On y lit : « Le roi son père lui avait fait passer un petit poinçon d'argent tout embrasé sur les yeux, entre les deux paupières, suivant leur pratique ordinaire, sans endommager nullement le corps de l'œil ni laisser aucune marque d'aveuglement dans la personne, qui a néanmoins perdu la vue parce que la chaleur du feu dessèche l'humeur.de la lumière. L'application de ce poinçon ardent et enflammé se fait de la même manière dont se servent les dames lorsque, avec un pareil instrument ou d'argent ou d'ivoire, ou de quelque autre matière, non pas chauffé, mais tant soit peu humide, pour mieux faire prendre la poudre, avec plus de facilité, elles se fardent les yeux d'antimoine. » C’est ainsi que, chez les Grecs du Bas-Empire, on faisait passer un bassin de cuivre, chauffé au plus haut degré, devant les yeux de la personne que l'on voulait aveugler.

[12] La ville de Sadjas est nommée plusieurs fois par notre auteur (fol. 14 r. 31 v. 106 r.). On lit dans le Nozhat-alkoloub (man. pers. 139, p. 588) : « Sadjas et Sehroud formaient dans l'origine deux villes, qui furent ruinées lors de l'invasion des Mongols. Il ne reste de chacune d'elles qu'un village. D'autres villages et les cantons de Khoroud et Ab-khoroud en dépendent. Elles sont situées au midi de Sultaniah, à la distance d'une journée de marche, dans le quatrième climat. Leur territoire est froid, et produit des grains et un peu de fruits ; il renferme plus de cent villages habités, en grande partie, par des Mongols. Le tombeau d'Argoun-khan est placé dans la montagne de Sadjas. Suivant la coutume reçue chez les Mongols, cet édifice était entièrement dérobé à la vue; toute la montagne avait été déclarée kourig (lieu prohibé), et les voyageurs ne pouvaient passer dans les environs sans s'exposer à des dangers réels. Oldja-Khatoun, fille de ce prince, exposa aux regards du public le monument de son père, y fit bâtir un monastère et y plaça des habitants. La population de ce canton professe les dogmes d'Abou-Hanifah. » Sur la carte de M. Rawlinson (The Journal of the royal geographical Society of London, t. X, part. 1), Sojas est placée au midi de Zendjan. Sur la carte de M. Kinneir, le nom de cette, ville est écrit Sujueen.

[13] On lit dans le Nozhat-alkoloub (man. pers. 139, p. 614) Mianedj et Ghermroud. « Mianedj était jadis une ville, qui aujourd'hui ne forme plus qu'un village. Plusieurs lieux en dépendent. L'air y est chaud et putride. Ce territoire, est couvert de nombreuses forêts. Gherm-roud est un canton qui renferme environ cent villages. La température y est plus agréable qu'à Mianedj. Il produit des grains, du coton, des raisins, des citrons et d'autres fruits. Les eaux qui l’arrosent sortent des montagnes voisines, et le résidu va se décharger dans le Sefid-roud. Les habitants ont le teint blanc, et le caractère des Turcs. Les contributions que paye ce canton s'élèvent à 25.800 pièces d'or. » Dans la Vie de Schah-Abbas (man. de feu M. Silvestre de Sacy, fol. 253 r.), Ghermroud est désigné comme un village du territoire d'Ardebil.

[14] Les Kara-Tatars ou Tatars noirs, ainsi que leur nom l'indique, faisaient partie de la puissante nation des Tatars qui occupaient un vaste territoire au nord de la Chine, non loin des lieux habités par les Mongols. Lorsque ceux-ci portèrent leurs armes victorieuses dans l'Asie occidentale, les Kara-Tatars, qui les avaient suivis, se trouvèrent transportés à une énorme distance de leur patrie primitive, et formèrent un établissement dans l'Asie mineure. Voici les détails que nous donnent, ace sujet, Abd-errazzak (t. I de mon man. fol. 237 r. et v.) et l'auteur du Zafer-nameh (de mon man. f. 338 r. et v.) : Les Kara-Tatars sont une nation turque. A l'époque où Mangou-kaan fit partir Houlagou-khan pour faire une expédition dans l'Iran, ils furent incorporés dans l'armée de ce prince. Lorsque Houlagou eut établi sa résidence dans la ville de Tabriz, ayant eu occasion d'apprécier le naturel pervers et l'humeur turbulente des Kara-Tatars, il leur assigna une demeure sur la frontière du pays de Roum et de la Syrie. Au moment où Argoun monta sur le trône, ils avaient un chef nommé Djouschkab-ogoul. Celui-ci ayant été mis à mort, parce qu'il tramait une révolte ventre Argoun, les Kara-Tatars choisirent pour mettre à leur tête Aga-oloug; jusqu'à l'avènement du sultan Abou-Saïd, ils se montraient de temps à autre dans l’ordou (la cour). Lorsque la mort de ce monarque eut laissé l'empire d'Iran sans souverain et livré à l'anarchie, les Kara-Tatars, suivant leurs anciennes habitudes, résolurent de vivre indépendants. Ils se partagèrent en cinquante-deux oïmak (tribus), et chaque sadeh (corps de cent hommes) se choisit une iourt (habitation) séparée. Comme la division qui régnait parmi eux était portée au dernier point, le kadi Borhan-eddin, de la ville de Siouas, ayant a gagné une partie de la nation, et employant à propos sa médiation puissante, parvint à rétablir l'ordre et la paix. Dans l'année 800 de l'hégire, Ilderim-Baïazid, après avoir défait et tué le kadi Borhan-eddin, plaça les Kara-Tatars dans les environs de Karahisar et d'Akschehr, et les incorpora dans les troupes du pays de Roum. Connue, dans cette contrée, on ne paye d'autre impôt que la dîme prescrite par la religion, ce peuple acquit bientôt des richesses immenses. L'empereur Timour, ayant effectué la conquête du pays de Roum, résolut d'emmener les Kara-Tatars et de leur assigner une iourt (habitation) dans le Ma-wara-annahar, entre les Uzbeks et les Mongols. Jusqu'au moment de son départ, loin de leur faire aucun mal, toutes les fois que leurs chefs se présentaient à sa cour, il leur faisait présent de vestes brodées en or, de ceinturons d'épées du même métal, les comblait de témoignages de bienveillance et leur promettait des présents dignes d'un souverain. Aussi, les Kara-Tatars, se regardant comme les sujets de ce prince, restaient sans crainte dans leurs habitations. Timour, au moment fixé pour son départ, ayant quitté îles déserts du pays de Roum, se rendit près de Kaïsariah, où il séjourna trois jours et trois nuits pour recevoir les ambassadeurs égyptiens. Ayant tenu conseil avec les princes et les émirs, il fut arrêté dans cette assemblée que l'on emmène rait les Kara-Tatars, et qu'on les placerait dans le Ma-wara-annahar. Comme ils étaient au nombre de trente ou quarante mille tentes, et qu'ils avaient avec eux une suite nombreuse, l'empereur ordonna» que, chacun des princes et des notons se dirigeant de son côté, ils enfermassent entre eux les Kara-Tatars, de manière à ne pas laisser sortir un seul individu, leur recommandant de mettre, dans l'exécution de ce plan, la surveillance la plus scrupuleuse, mais de ne molester en rien ce peuple, ni dans ses personnes, ni dans ses biens. L'émir Djihan-schah, accompagné de plusieurs autres émirs de l'aile droite, et des troupes de l'émir-zadeh Mohammed-Sultan, se dirigea vers Amasiah et Tokat. L'émir Soleïman-schah, à la tête d'une partie des troupes de l'aile gauche, s'avança vers les plaines de Kaïsariah et d'Amasiah, qui étaient le lieu de la résidence des Kara-Tatars. Mirza-Schah-rokh et Mirza-Sultan-Hosaïn arrivèrent d'un autre côté. Les troupes impériales, formant un cercle, enveloppèrent ce peuple de toutes parts. Timour, à la tête de son cortège, ayant traversé la rivière de Karaschehr, arriva près des Kara-Tatars. Ceux-ci, se voyant complètement cernés, eurent recours à la clémence du monarque. Leurs chefs, Akhi-Mirek et Akhi-Merout, se présentèrent devant ce prince. Il les reçut de la manière la plus aimable, leur adressa des discours affectueux, leur donna des vestes brodées d'or, des ceinturons d'épée du même métal, et les assura avec serment qu'il n'avait pour eux que des intentions bienveillantes. Jadis, leur dit-il, des sultans ont forcé vos pères et vos ancêtres de quitter leur pays natal pour habiter ici. Voilà longtemps que vous êtes sur une terre étrangère. Maintenant venez à l'ombre de ma protection, retournez dans la patrie de vos pères et de vos ancêtres. Tous, paraissant approuver cette proposition, répondirent : « Nous obéirons avec une soumission sincère aux ordres de votre majesté. Quel bonheur plus grand pourraient ambitionner vos serviteurs, que d'aller, eux, leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux et leur suite, vivre tranquilles et heureux, à l'ombre de votre trône auguste ? » Timour, croyant à la sincérité de leurs paroles, combla leurs chefs de nouveaux présents, de nouvelles marques de bienveillance. Il ordonna que l'on déposât dans l'arsenal impérial les armes de ce peuple. Les Kara-Tatars furent divisés en troupes, en bandes, qui furent confiées aux soins des émirs des Toumans. Tous partirent, emmenant avec eux leurs troupeaux et leurs bestiaux. Un ordre du prince défendit que personne leur achetât, à prix d'argent, une pièce de bétail, un cheval ; dans la crainte que, se trouvant moins embarrassés, ils ne songeassent à la fuite. Plusieurs émirs furent chargés de les faire camper sur le bord d'eaux limpides, dans d'excellents pâturages. Ce fut ainsi que trente mille tentes, avec leurs richesses et leurs bagages, quittèrent le pays de Roum.

Schildtberger (Reise in den Orient, p. 40) désigne les Kara-Tatars sous le nom de Tatars blancs (weisse Tataren). Il nous apprend que les Tatars blancs, ayant mis le siège devant la ville d'Angora, furent défaits par le lils aîné de Bajazet et se soumirent au joug de ce prince. Ruy Gonzalès de Clavijo (Vita del gran Tamorlan, p. 97) parle aussi des Tartares blancs (Tartaros blancos) que Timour força de quitter l'Asie-Mineure. Et cet écrivain judicieux ne paraît pas devoir être accusé d'erreur, relativement au nom de ce peuple; car nous savons, par le témoignage de Raschid eddin, que la nation des Tatars se divisait en plusieurs grandes branches, dont une était celle des Tchagan-Tatars, c'est-à-dire Tatars blancs. Clavijo (p. 122) rapporte ensuite que, se trouvant dans une plaine voisine de la ville de Damegan, il vit une tour formée de têtes humaines, que, suivant ce qu'il apprit, les Tatars blancs que Timour avait emmenés dans l'Asie-Mineure et placés sur le territoire de Damegan, s'étant livrés à de nombreux brigandages, et ayant entrepris de regagner la contrée qu'ils habitaient précédemment, le prince les avait taillés en pièces, et, pour conserver à la postérité le souvenir de sa vengeance, avait fait ériger une haute tour, composée des têtes de ces malheureux. Cette révolte et la punition terrible qui en fut la suite ont été mentionnées par Abd-errazzak (t. I, fol. 250 v.) qui s'exprime en ces termes : « Une tribu de Tatars était campée en dehors de la ville de Damegan, sous le commandement de Tengri-birmisch. S'étant mis en état de révolte, ils blessèrent leur chef, le laissèrent étendu à terre, et partirent. Un darogah (gouverneur), qui les poursuivait, rencontra Tengri-birmisch, blessé et sans connaissance. S'apercevant qu'il respirait encore, il le fit transporter dans la ville de Damegan, afin qu'il pût y recevoir les secours de la médecine. A cette nouvelle, les autres tribus formèrent également le projet de fuir. Les émirs Schems-eddin-Abbas, Atlemisch, Siah-Veli, et autres, qui étaient darogah (chefs) de ces différentes tribus, tombant sur les fugitifs, les passèrent au fil de l'épée, en dedans, et au dehors de la ville de Damegan. Il en périt, dans cette occasion, deux ou trois mille. Plusieurs bandes parvinrent à s'échapper et se réfugièrent sur ma limite des déserts qui avoisinent Esterabad. Le reste fut ramené par l'émir Schems-eddin. Dès que cette nouvelle fut arrivée aux oreilles de l'empereur Timour, il envoya à la poursuite des fuyards Beïan-Koudjin et Fazel, à la tête de cinq cents cavaliers ; puis il fit partir sur leurs traces l'émir-zadeh Ahmed Omar-scheik et l'émir Berandak. Ceux-ci, étant arrivés à Damegan et apprenant que les Tatars avaient été massacrés, ou forcés de fuir, ou ramenés par l'émir Schems-eddin, allèrent rejoindre l'armée de Timour. Le premier corps pénétra dans le désert du Mazandéran, et atteignit les Tatars dans le lieu nommé Karabogan, situé sur te rivage de la mer de Kolzoum (la mer Caspienne). Quoique ces braves ne fussent au nombre que de cinq cents, et qu'ils eussent en télé une armée considérable de Tatars, ils les chargèrent avec vigueur, les dispersèrent, s'emparèrent de dix mille tentes et tuèrent un millier d'ennemis. Beïan-Roudjin se rendit aussitôt auprès de Timour et lui annonça cette nouvelle. » On verra plus bas le récit d'une nouvelle tentative de révolte que firent les Kara-Tatars.