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TABLE DES MATIERES D'APULÉE

 

 

 

APULÉE

 

 MÉTAMORPHOSES.

LIVRE III

livre II - livre IV

 

I. Déjà l'Aurore, de ses doigts de rose, secouant les rênes empourprées, lançait son char dans la carrière des cieux. Adieu le doux repos; la nuit le cédait au jour. (2) Une violente agitation me saisit au souvenir des événements de la veille. Je m'assis sur mon lit, les pieds croisés, et, appuyant sur mes genoux mes mains entrelacées, je me mis à pleurer à chaudes larmes. Mon imagination alarmée me peignait déjà le tribunal, l'arrêt, et jusqu'au bourreau même tout prêt à mettre la main sur moi. (3) Comment supposer un juge assez bénin, assez débonnaire, pour acquitter l'homme souillé d'un triple meurtre, teint du sang de tant de citoyens? (4) Était-ce donc là ce glorieux voyage que le Chaldéen Diophane m'avait si intrépidement promis? (5) Cependant une vive rumeur et des coups répétés se font entendre à la porte extérieure.

II. La maison s'ouvre avec violence, et des magistrats, des officiers, un flot de gens de toute espèce y fait soudain irruption. Sur l'ordre des magistrats, des licteurs me saisissent et m'entraînent. Toute idée de résistance était bien loin de moi. (2) Nous n'étions pas hors de l'impasse, que la population, déjà sur pied, nous suivait en foule, et quelle foule! (3) Or, tout en marchant tristement, la tête inclinée vers la terre (j'aurais voulu être plus bas), il m'arriva de regarder de côté, et je fus frappé d'une circonstance étrange. (4) De tant de milliers d'individus qui nous entouraient, il n'y en avait pas un qui ne parût pouffer de rire. (5) Après qu'on m'eut fait faire le tour de toutes les places de la ville, comme à ces victimes que promène une procession lustrale pour conjurer quelque fléau, nous arrivons enfin au lieu ou se rendait la justice, et je me trouve en face du tribunal. (6) Déjà les magistrats avaient pris place sur l'estrade, et l'huissier commandait le silence, quand, tout d'une voix, l'assemblée se récrie contre les dangers d'une agglomération si considérable dans un si étroit espace; et l'on demande que, en raison de son importance, la cause soit jugée au théâtre. (7) La foule aussitôt prend les devants, et, en un clin d'oeil, l'enceinte du théâtre est encombrée. (8) Les couloirs, les combles même sont envahis. Quelques spectateurs embrassent les piliers, d'autres se suspendent aux statues. Il n'y a pas jusqu'aux fenêtres et aux lucarnes où quelque curieux ne se montre jusqu'à mi-corps. L'intérêt de la scène étouffait tout sentiment de danger. (9) J'avance toujours du pas d'une victime, entouré de mes gardes, qui me font traverser le Proscenium, et me placent au milieu de l'orchestre.

III. De nouveau la voix de Stentor de l'huissier se fait entendre. Un vieillard se lève; c'était l'accusateur: il prend un petit vase dont le fond s'allonge en entonnoir, il le remplit d'une eau qui s'en écoule goutte à goutte, et prononce le discours suivant: (2) Honorables citoyens, cette affaire est des plus graves. La sécurité de toute la ville est en cause, et réclame un grand exemple. (3) L'intérêt général, le bien-être individuel, la vindicte publique, veulent également que l'atroce meurtrier dont la main impitoyable s'est baignée dans le sang de tant de victimes, ne puisse obtenir ici l'impunité. (4) Et ne croyez pas qu'en ce moment j'écoute aucun ressentiment personnel. C'est moi qui commande le guet; et je crois qu'on ne m'accuse pas de manquer de vigilance ni de zèle. (5) Voici le détail de l'événement de cette nuit; je serai exact. Vers la troisième veille, comme je faisais ma ronde de porte en porte avec la plus scrupuleuse surveillance, (6) j'aperçois ce jeune scélérat, l'épée au poing, qui semait autour de lui le carnage. Déjà sa cruauté s'était immolé trois victimes. Les corps étaient à ses pieds, palpitants encore, et noyés dans des flots de sang. (7) Justement effrayé de l'énormité de son crime, il a soudain pris la fuite et s'est glissé dans une maison, à la faveur des ténèbres; il s'y est tenu caché toute la nuit; (8) mais la céleste providence ne permet pas qu'il échappe un coupable. De grand matin je me suis posté pour prévenir toute évasion clandestine, et j'ai réussi à le faire comparaître à votre auguste tribunal. (9) L'homme que vous avez devant vous est un triple homicide; il a été pris en flagrant délit; il n'est pas de cette contrée. Épargnerez-vous, dans un étranger, un attentat dont la réparation demanderait le sang même d'un concitoyen?

IV. Après cette formidable allocution, mon redoutable accusateur se tut. L'huissier me dit alors que, si j'avais quelque chose à dire pour ma défense, je pouvais parler: (2) mais pendant quelques moments je ne pus trouver que des larmes; moins atterré, hélas! par la terrible accusation que par le cri de ma conscience. Enfin une inspiration d'en haut me rendit courage, et je répliquai: (3) En présence des cadavres de trois citoyens, je sens combien est difficile la position de l'homme qui est accusé de leur trépas. Quoiqu'il dise la vérité, quoiqu'il fasse spontanément l'aveu du meurtre, (4) comment persuadera-t-il de son innocence la nombreuse assemblée qui l'écoute? (5) Cependant, si votre humanité accorde un moment d'attention à ma défense, je démontrerai facilement que ce n'est point un crime volontaire qui me fait courir aujourd'hui le risque d'une condamnation capitale; mais que le résultat bien fortuit d'un mouvement d'indignation légitime est le seul fondement de l'odieuse prévention qui m'amène devant vous:

V. J'avais soupé en ville, et je rentrais assez tard, ayant bu plus que de raison; je n'hésite pas à en convenir. Arrivé devant la maison où je loge, celle de l'honorable Milon votre concitoyen, (2) je vois des brigands déterminés qui tentaient de s'y introduire, en faisant sauter les gonds et en forçant la porte d'entrée. Déjà toute la fermeture, bien que des plus solides, avait cédé à leurs efforts, et il n'était plus question pour eux que de mettre à mort les habitants. (3) Le plus désespéré de la bande, homme gigantesque, exhortait ainsi ses camarades: (4) Alerte, enfants! tombons vigoureusement sur ces dormeurs. Point de mollesse, point de quartier! vite, l'épée au poing, promenons partout le carnage dans cette maison. (5) Tuez dans leur lit ceux qui dorment, assommez ceux qui résisteront; que personne n'échappe, si nous voulons en échapper nous- mêmes. (6) Je l'avouerai, citoyens, en présence de tels forcenés je ne vis que mon devoir d'honnête homme, que l'extrême danger qui menaçait la famille de mon hôte, que mon propre péril. (7) Je tire une petite épée que je porte avec moi pour ces sortes de rencontres, et je fonds sur les brigands, espérant que cette démonstration les mettrait en fuite; (8) mais j'avais affaire à des sauvages, à des bêtes féroces. Au lieu de fuir en me voyant armé, ils se tournent résolument contre moi.

VI. Un véritable combat s'engage. L'un d'eux, le chef et l'orateur de la troupe, s'élance, et, de ses deux mains m'empoignant aux cheveux, me fait renverser la tête en arrière. (2) Il va me l'écraser avec un pavé qu'il demande à grands cris, lorsque je le frappe moi-même d'une main sûre, et le jette à mes pieds. Le second s'était attaché à mes jambes, et me les mordait avec rage; je prends mon temps, et lui plonge mon épée entre les deux épaules. Quant au troisième, au moment où il se lançait à corps perdu sur moi, je présente le fer, et ma lame lui traverse la poitrine. (3) J'avais combattu pour le bon ordre, protégé la maison de mon hôte, la vie de vos concitoyens. Je me croyais non seulement à l'abri de tout reproche, mais en droit d'attendre un témoignage de la reconnaissance publique. J'ajoute que jamais prévention même la plus légère ne s'éleva contre moi, et que je jouis dans mon pays de la considération qu'on mérite quand on met une conscience pure au-dessus de tous les biens. (4) Enfin, je ne puis comprendre que, pour avoir usé contre des brigands du droit de légitime défense, une telle accusation vienne peser sur ma tête, (5) quand on ne peut arguer contre moi, ni d'aucun précédent d'inimitié, que dis-je? de relations quelconques avec ces misérables, non plus que d'aucun instinct de cupidité qui ait pu me pousser à tremper mes mains dans leur sang.

VII. Ayant ainsi parlé, de nouveau je fonds en pleurs, et, joignant mes mains suppliantes, je vais de l'un à l'autre implorant leur merci, au nom de l'humanité et de tout ce qu'ils ont de plus cher au monde. (2) Je crus les voir émus de pitié, attendris par mes larmes; et déjà je faisais intervenir l'oeil du Soleil et de la Justice, et déjà je mettais ma cause sous la sauvegarde de la céleste providence, (3) quand, levant un peu la tête et promenant mes regards sur l'assemblée, je la vois s'abandonner tout entière à un fou rire. Il n'y avait pas jusqu'à cet excellent Milon, un hôte, un père, qui ne s'en donnât à coeur-joie. (4) O bonne foi! ô conscience! dis-je en moi-même: eh quoi! pour l'amour de lui je me fais meurtrier, j'expose ma tête, et cet ingrat, loin de me prêter la moindre assistance, ne verra dans mon piteux cas qu'une occasion de se désopiler la rate!

VIII. En ce moment, une femme pleurant à fendre le coeur accourt au milieu du théâtre, vêtue de noir et tenant un enfant sur son sein. Une vieille la suivait tout en haillons, et également éplorée. Toutes deux, agitant des branches d'olivier, (2) font le tour du lit où gisaient recouverts d'un manteau les trois cadavres; et voilà ces nouvelles venues qui se mettent à pousser des cris lamentables. (3) Au nom de la pitié publique, s'écriaient-elles, par les droits sacrés de l'humanité, soyez touchés du sort de ces malheureux jeunes gens si indignement égorgés; et ne refusez pas à une veuve, à une mère, désormais sans appui, la consolation de la vengeance! (4) Secourez du moins, secourez cette faible créature vouée dès sa naissance à la misère, et que le sang de ce monstre soit offert en expiation à la morale et aux lois outragées. (5) Sur cet incident, le président se lève, et s'adresse au peuple en ces termes: Le crime est avoué par le coupable, il en sera fait justice exemplaire. Mais nous avons un devoir préalable à remplir, c'est de découvrir les complices d'un tel forfait: (6) car il n'est pas vraisemblable qu un seul homme ait pu ôter la vie à trois jeunes gens aussi vigoureux. La torture mettra au jour la vérité. (7) L'esclave qui l'accompagnait ayant pris la fuite, il ne nous reste qu'à appliquer au maître la question, pour qu'il révèle ses adhérents. Par là nous rassurerons la cité, en extirpant radicalement cette association formidable.

IX. Il dit; et déjà les apprêts se font, d'après l'usage de la Grèce. On apporte du feu, une roue, et des fouets de toutes formes et dimensions. (2) Pour surcroît de disgrâce (et ma peine en était doublée), il ne m'était pas même permis de mourir tout entier. (3) Mais la vieille, qui avait fait tant de bruit par ses lamentations, prend alors la parole: Citoyens, dit-elle, avant que cet abominable meurtrier de mes malheureux enfants expie son crime sur la croix, ordonnez-lui de découvrir leurs cadavres, (4) afin qu'à la vue de tant de beauté, de tant de jeunesse, votre indignation mesure la sévérité du supplice à l'atrocité du forfait. (5) On applaudit à cette motion, et, à l'instant, le magistrat m'ordonne de découvrir de ma propre main les cadavres placés sur le lit. (6) Je me révolte à l'idée d'une répétition de l'horrible spectacle de la veille. Je me débats longtemps contre les licteurs, qui, sur un signe des magistrats, essayent de me contraindre à obéir. Enfin ils saisissent mon bras, l'éloignent de mon corps de vive force, et l'étendent sur les cadavres. (7) Accablé, épuisé, je cède, et je prends, certes, bien malgré moi, un coin du manteau qui les recouvre. Je le soulève... Grands dieux, que vois-je? ô prodige! quelle péripétie! (8) Quand déjà je me regardais comme un hôte de Proserpine, comme un commensal des enfers, tout à coup la scène change, et je reste stupéfait: les mots ne sauraient exprimer une pareille métamorphose. (9) Mes trois victimes n'étaient autres que trois outres gonflées d'air. Leurs flancs portaient des marques de perforation qui répondaient exactement, si ma mémoire était bonne, aux blessures que j'avais faites aux trois bandits.

X. L'hilarité, que les meneurs de cette mystification avaient jusque- là tant soit peu contenue, fit alors explosion. Ce fut un débordement frénétique, des convulsions de rire à s'en tenir les côtes à deux mains. Enfin, après s'en être donné à coeur joie, la foule évacua la salle; mais chacun, avant de sortir, se retournait encore pour me regarder. (2) Moi, depuis le moment où j'avais soulevé le linceul, j'étais resté immobile et glacé comme un marbre, et je ne bougeais non plus qu'une des colonnes ou qu'une des statues du théâtre. (3) Je ne sortis de cette léthargie qu'au moment où mon hôte Milon vint s'emparer de moi pour me ramener. Je résistai; les larmes se firent jour de nouveau, et j'éclatai en sanglots. Ce ne fut qu'en me faisant doucement violence qu'il parvint à me faire sortir. (4) Pour rentrer au logis, il choisit les rues les moins fréquentées, et prit plusieurs détours. Il me disait tout ce qu'il croyait propre à calmer mes nerfs et à combattre mon chagrin; (5) mais rien n'y faisait. J'étais ulcéré de m'être vu bafoué si indignement.

XI. Tout à coup les magistrats eux-mêmes se présentent, et les voilà qui m'adressent une réparation en ces termes: Seigneur Lucius, nous connaissions votre mérite personnel et votre noble maison. L'illustration de votre famille est notoire dans la province. (2) Croyez qu'aucune pensée d'insulte n'a présidé à la scène de tout à l'heure; que votre coeur n'en conserve aucun ressentiment: (3) nous célébrons aujourd'hui la fête du dieu du Rire; et c'est parmi nous à qui s'ingéniera pour rajeunir cet anniversaire. (4) Le dieu, qui vous a été si redevable en ce jour, veut que partout sa propice influence vous accompagne, et que votre heureuse physionomie soit en tous lieux un signal d'hilarité. (5) La ville, du reste, vous a par acclamation décerné les plus grands honneurs. Elle veut que votre nom soit inscrit au nombre de ses grands personnages, et que le bronze lui conserve le souvenir de vos traits. (6) À ce discours, je répondis: Je reconnais, comme je le dois, l'immense honneur que me fait une ville, la fleur et la perle de la Thessalie. Mais quant à des images, à des statues, réservez un tel témoignage pour qui les mérite mieux que moi.

XII. Après cette modeste réplique, mon front commençant à se dérider, je me donnai de mon mieux l'air agréable; et les magistrats, en prenant leur congé, ne trouvèrent chez moi que politesse et aménité. (2) Un valet arrive alors tout courant, et me dit: Vous avez promis à votre parente Byrrhène d'être aujourd'hui de son souper. L'heure approche; je vous prie de n'y pas manquer. (3) À ces mots, un frisson me saisit. Je voudrais bien, répondis-je, me rendre aux ordres de ma mère; mais un engagement sacré s'y oppose. (4) Mon hôte Milon m'a fait jurer, par le dieu dont c'est aujourd'hui la fête, de souper avec lui ce soir. Il reste au logis, et ne me permettra pas d'en sortir. Ce sera donc partie remise. (5) Je n'avais pas fini de parler, que déjà Milon m'appréhendait au corps, et m'entraînait aux bains les plus proches, donnant l'ordre de nous y apporter tout ce qu'il nous fallait. Je me serrais contre lui, pour me dissimuler autant qu'il m'était possible , évitant les regards des passants, et très peu jaloux de jouir de la gaieté qu'inspirait ma présence. (6) Dans ma confusion, je me laissai baigner, essuyer et ramener au logis sans savoir comment: tant le souvenir de tous ces yeux, de tous ces doigts braqués ensemble sur ma personne, m'avait en quelque sorte abasourdi.

XIII. Je dépêchai le maigre souper de Milon, et, sous prétexte d'un violent mal de tête que je m'étais donné à force de pleurer, j'obtins aisément la permission d'aller me coucher. Je ruminais tristement dans mon lit sur mon aventure du jour, (2) quand Photis vint me trouver après le coucher de sa maîtresse. Je la trouvai toute changée: ce n'était plus son minois éveillé, son propos égrillard. (3) Sa langue hésitait, sa parole était timide. Je suis, dit- elle, je le confesse, la cause de tout le désagrément qu'on vous a fait essuyer. (4) Là-dessus, elle tire de son sein une lanière, et me la présente: Vengez- vous, ajouta-t-elle, vengez-vous d'une femme aussi coupable, ou plutôt infligez- moi quelque châtiment plus rude encore: (5) mais ne croyez pas que j'aie volontairement amené cette cruelle scène. Me préserve le ciel de vous causer la peine la plus légère; (6) puissé-je même, si quelque infortune vous menace, la racheter au prix de mon sang! Ce que j'avais ourdi par ordre et en vue d'un autre, ma funeste étoile l'a fait tourner contre vous.

XIV. Ma curiosité naturelle s'éveille à ce propos; et désirant pénétrer ce mystère: (2) Moi, te frapper de cette odieuse et horrible courroie! m'écriai- je; plutôt la mettre en pièces mille fois, que d'en effleurer seulement le délicat tissu de cette peau d'albâtre! (3) Mais dis-moi, je t'en supplie, qu'as- tu donc fait qui m'ait été si fatal? Je le jure par cette tête chérie, je ne te supposerai jamais capable d'une machination contre moi; tu l'affirmerais, que je ne le croirais pas; (4) et quand l'intention est innocente, un hasard, fût-il même funeste, ne saurait la rendre criminelle. (5) Tandis que je parlais, Photis me regardait timidement d'un oeil humide et à demi voilé, où mille baisers allèrent aussitôt recueillir avidement et savourer ses douces larmes.

XV. Mes caresses lui rendirent sa gaieté. Avant tout, dit-elle, laissez-moi bien fermer la porte: un mot entendu au dehors serait de ma part la plus fatale des indiscrétions. (2) En disant ces mots, elle va pousser les verrous et fermer le crochet. Puis revenant à moi, elle jette ses deux bras autour de mon cou, et d'une voix basse et singulièrement affaiblie: (3) Je tremble, dit-elle, le coeur me manque. Dois-je révéler le secret de la maison, le grand arcane de ma maîtresse? (4) Allons, je me fie à vous, à vos principes. Avec les sentiments d'honneur que vous ont transmis vos nobles ancêtres, avec un esprit aussi élevé que le vôtre, initié comme vous l'êtes à de sacrés mystères, vous êtes fidèle assurément à la religion du secret. (5) Que mes confidences restent donc à jamais comme murées dans le sanctuaire de votre conscience; et payez par une discrétion à toute épreuve la candeur de mes épanchements. (6) C'est l'amour qui me force à révéler ce que nul autre que moi ne sait au monde. Oui, vous allez connaître tout ce qui se passe en ces lieux. (7) Je vous dirai par quels enchantements ma maîtresse sait faire obéir les mânes, troubler le cours des astres, assujettir les dieux, soumettre les éléments. (8) C'est surtout lorsqu'elle a jeté un regard de complaisance sur quelque beau jeune homme (ce qui lui arrive souvent), qu'on la voit déployer la terrible puissance de son art.

XVI. En ce moment même, éperdument éprise d'un jeune Béotien beau comme le jour, il n'est sorte d'artifices et de machinations qu'elle ne mette en jeu. (2) Hier, après midi, je l'ai entendue, entendue de mes propres oreilles, menacer le soleil de l'obscurcir, et d'ensevelir sa lumière dans d'éternelles ténèbres, s'il ne précipitait sa course pour laisser le champ libre à ses conjurations. (3) En sortant du bain, elle avait aperçu son jeune amant assis dans la boutique d'un barbier; et vite, elle m'ordonna de m'emparer furtivement des cheveux que les ciseaux avaient fait tomber de sa tète. (4) Le barbier me surprit au milieu de l'opération; et, comme ce trafic de maléfices nous a fait une réputation détestable, il me saisit, et m'apostrophant avec brutalité: (5) Tu ne cesseras donc pas, dit-il, de voler ainsi les cheveux de tous les beaux jeunes gens? Que je t'y reprenne, et, sans marchander, je te livre aux magistrats. (6) Le geste suit les paroles; il fourre sa main dans ma gorge, et m'arrache avec rage les cheveux que j'y avais cachés. (7) Très déconcertée de ma mésaventure, et songeant à l'humeur de ma maîtresse, qu'une contrariété de ce genre peut mettre hors d'elle-même, et qui alors me bat à outrance, je fus au moment de prendre la fuite; mais j'ai pensé à vous, et je n'ai pu m'y décider.

XVII. Je m'en revenais cependant, bien en peine de me présenter les mains vides, quand j'aperçois un homme occupé à tondre avec des ciseaux des outres de peau de bouc. (2) Après qu'il les eut gonflées, je le vis les lier fortement et les suspendre. Je ramassai par terre plusieurs touffes de leur toison; elle était blonde, et ressemblait assez sous ce rapport à la chevelure du jeune Béotien. Je rapportai cette dépouille à ma maîtresse, sans lui dire d'où je la tenais. (3) Aussi, dès que la nuit fut venue, et avant votre retour du souper, Pamphile, que le désir talonne, monte aux combles, en un réduit ouvert à tous les vents, ayant vue sur l'orient et les autres points de l'horizon. C'est le lieu qu'elle a choisi comme le plus propice à ses enchantements. (4) Enfermée dans ce magique laboratoire, la voilà qui procède à ses manipulations accoutumées, dont les éléments sont des aromates de toute espèce, des lames d'airain couvertes de caractères indéchiffrables, des ferrements des navires naufragés, (5) nombre de débris humains enlevés à des cadavres avant ou après la sépulture. Ici sont des fragments de nez, de doigts; là des clous arrachés avec la chair aux croix patibulaires; plus loin du sang d'homme tué, et des morceaux de crânes humains disputés à la dent des bêtes féroces.

XVIII. Devant elle sont des entrailles encore palpitantes. Après quelques mots magiques, elle les arrose successivement d'eau de fontaine, de lait de vache et de miel de montagne; elle y joint des libations d'hydromel. (2) Ensuite elle entrelace les prétendus cheveux, les noue, et les brûle sur des charbons ardents, avec force parfums. (3) Soudain le charme irrésistible opère, et, par la mystérieuse puissance des pouvoirs évoqués, les outres, dont la toison fumait et grillait sur la braise, s'animent comme des créatures humaines, (4) sentent, entendent, marchent, et, attirées par l'odeur qui s'exaltait de leurs dépouilles, les voilà qui arrivent au défaut du Béotien, et se lancent contre notre porte. (5) C'est alors qu'étourdi par de copieuses libations, et trompé par l'obscurité, vous mîtes bravement l'épée au vent; et, nouvel Ajax, dans un transport de folie pareil, (6) mais bien plus héroïque, (car il s'est rué comme un boucher sur des animaux vivants) vous fîtes, vous, rendre l'âme à trois outres gonflées. (7) Si bien qu'après cet innocent exploit, où pas une goutte de sang n'a coulé, c'est un vainqueur, non pas homicide, mais outricide, que je reçois dans mes bras.

XIX. À ce trait de Photis, ma gaieté s'anime, et je riposte: Oui, mon premier trophée peut être comparé aux douze travaux d'Hercule. (2) Cette victoire sur trois outres ira de pair avec son triomphe sur le triple Géryon ou sur Cerbère aux trois têtes. (3) Mais veux-tu que je te pardonne ton étourderie et tous les embarras qu'elle m'a causés? Il est une chose que je désire avec passion; fais-la. (4) Montre-moi ta maîtresse opérant selon la science dans le feu de l'évocation; que je la voie au moins dans une de ses métamorphoses. Je meurs d'envie d'apprendre les secrets de l'art magique. (5) Mais toi, si je ne me trompe, non, tu n'y es pas novice; je le sais, et de plus je le sens. Moi, si indifférent aux caresses de nos belles dames, ces yeux brillants, ces fraîches joues, l'or de cette chevelure, ces baisers à lèvres ouvertes, cette gorge enivrante, je suis l'esclave de tout cela, et l'esclave volontaire. (6) Adieu le foyer, adieu le retour. Une nuit comme celle-ci est ce que je mets au-dessus de tout.

XX. Que je serais heureuse de te contenter, mon cher Lucius, répondit- elle; mais ces pratiques sont vues de si mauvais oeil, que ma maîtresse ne s'y livre jamais qu'en s'environnant de solitude, en éloignant tous les regards. (2) Cependant, à mes risques et périls, je ferai ce que tu désires, j'épierai le moment favorable; ta curiosité sera satisfaite. (3) Tandis que nous jasons, le désir se réveille, et les sens se mettent de la partie. (4) Vite à bas tout voile jaloux! nus tous deux comme la main, nous nous étreignons avec fureur. L'amoureuse lutte dura longtemps; je me rendais de guerre lasse quand Photis me ranima par une piquante diversion, offerte avec une complaisance plus que féminine. Mais enfin le sommeil nous gagna, et nos paupières languissantes se fermèrent jusqu'au matin.

XXI. Nous eûmes trop peu de répétitions de cette nuit charmante. Je vois un jour Photis accourir tout émue; elle m'annonce que sa maîtresse, ayant échoué dans ses précédentes tentatives, avait résolu de se changer la nuit suivante en oiseau, et d'aller sous cette forme trouver l'objet de sa passion; (2) que j'eusse donc à me tenir prêt, et qu'elle me ferait assister, discret témoin, à cette scène merveilleuse. (3) En effet, vers la première veille, elle ne manque pas de me venir prendre; elle me mène à pas de loup jusqu'au réduit aérien, puis elle me place à une fente de la porte par où je pouvais tout voir. (4) Pamphile commença par se dépouiller de tous ses vêtements; ensuite elle ouvrit un petit coffret et en tira plusieurs boîtes, ôta le couvercle de l'une, y prit une certaine pommade, s'en frotta longtemps la paume des mains, et, se les passant sur tous les membres, s'en enduisit le corps, de la plante des pieds à la racine des cheveux. Vint après un long colloque à voix basse avec sa lanterne; (5) soudain elle imprime une secousse à toute sa personne, et voilà ses membres qui s'assouplissent et disparaissent, d'abord sous un fin duvet, puis sous un épais plumage. Son nez se courbe et se durcit, ses ongles s'allongent et deviennent crochus. (6) Pamphile est changée en hibou; elle jette un petit cri plaintif, et, après quelques essais de vol à ras de terre, la voilà qui prend l'essor à tire d'aile.

XXII. Sa transformation était volontaire, et l'effet de ses puissants sortilèges. Moi qui n'en avais été que le simple témoin, hors de l'influence du charme, je restais frappé de stupeur, et ne ressemblais à rien moins qu'à moi- même: (2) frappé comme d'imbécillité, j'étais dans un état voisin de la démence, rêvant tout éveillé, me frottant les yeux, et me demandant si ce n'était pas un songe. (3) Enfin, revenant à moi, je saisis la main de Photis, je la presse contre mes yeux: (4) L'instant nous favorise, lui dis-je; accorde-moi, je t'en supplie, un gage éclatant de ton amour: (5) donne-moi un peu de cette pommade. Par les globes charmants de ton sein, c'est moi qui t'en conjure, et qu'un tel bienfait, qu'aucun prix ne saurait payer, m'enchaîne à jamais sous tes lois; que, grâce à toi, je puisse, nouveau Cupidon, voltiger autour de ma Vénus! (6) Oui-dà! renard, mon ami; mais c'est me dire tout simplement d'aller moi-même chercher les verges! Joli moyen pour ne plus craindre ces chattes de Thessaliennes! Et ce bel oiseau, dites-moi, où courrai-je après lui? quand le verrai-je?

XXIII. Me préserve le ciel de commettre une pareille infamie! m'écriai-je. Quand je pourrais, comme l'aigle, planer sur toute l'étendue des cieux, faire les messages de Jupiter ou porter fièrement son foudre; qu'avec joie on me verrait, des hauteurs de l'empyrée, revoler au petit nid que j'aime tant! (2) Oui, j'en fais le serment par ce noeud de ta chevelure, noeud charmant qui m'enchaîne; à tout je préfère ma Photis. (3) Et, d'ailleurs, quand j'y songe, une fois que, par la vertu de cette friction, je me serai affuble d'un tel plumage, ne me faudra-t-il pas éviter toute habitation? Le beau, l'aimable galant qu'un hibou! comme les dames en doivent être tentées! (4) Triste oiseau des ténèbres, dès qu'il se montre en un logis, c'est à qui l'attrapera pour le clouer à la porte, et lui faire expier par mille tourments son aspect de sinistre augure. (5) Mais, vraiment, j'oubliais: quelles paroles dire, quelles pratiques observer, pour me débarrasser de toutes ces plumes et redevenir Lucius? (6) À cet égard, dit-elle, tu peux être tranquille. J'ai appris de ma maîtresse ce qu'il faut faire pour quitter ces formes d'emprunt et revenir à la figure humaine: (7) et ne va pas croire qu'elle m'en ait instruite par bonté d'âme; c'est seulement pour s'assurer de ma part une assistance efficace à son retour. (8) Au reste, tu le vois, c'est avec les herbes les plus communes que s'opèrent de si grands effets: il suffit d'un peu d'aneth et de quelques feuilles de laurier infusés dans de l'eau de source. Elle en fait usage en bain et en boisson.

XXIV. Après m'avoir répété cette instruction, elle se glisse dans le réduit, non sans trembler de tous ses membres. Elle prend dans le coffret une petite boîte (2) dont je m'empare et que je baise, en la suppliant de faire que je puisse voler. En un clin d'oeil je me mets nu, et je plonge mes deux mains dans la boite. Je les remplis de pommade, et je me frotte de la tête aux pieds. (3) Puis me voilà battant l'air de mes bras, pour imiter les mouvements d'un oiseau; mais de duvet point, de plumes pas davantage; (4) ce que j'ai de poil s'épaissit, et me couvre tout le corps. Ma douce peau devient cuir. À mes pieds, à mes mains, les cinq doigts se confondent et s'enferment en un sabot; du bas de l'échine il me sort une longue queue, (5) ma face s'allonge, ma bouche se fend, mes narines s'écartent, et mes lèvres deviennent pendantes; mes oreilles se dressent dans une proportion démesurée. (6) Plus de moyen d'embrasser ma Photis; mais certaine partie (et c'était toute ma consolation) avait singulièrement gagné au change.

XXV. C'en est fait; j'ai beau considérer ma personne, je me vois âne; et d'oiseau, point de nouvelles. Je voulus me plaindre à Photis; mais déjà privé de l'action et de la parole humaine, je ne pus qu'étendre ma lèvre inférieure, et la regarder de côté, l'oeil humide, en lui adressant une muette prière. (2) À peine m'a-t-elle vu dans cet état, que, se meurtrissant le visage à deux mains, elle s'écrie: Malheureuse, je suis perdue! je me suis tant pressée, j'étais si troublée... La ressemblance des boîtes... J'ai fait une méprise; (3) mais, par bonheur, il y a un moyen bien simple pour revenir de cette métamorphose. Vous n'avez qu'à mâcher des roses, et vous quitterez cette figure d'âne, et mon Lucius me sera rendu. (4) Pourquoi faut-il qu'hier au soir je n'en aie pas préparé quelque guirlande à mon ordinaire! vous n'auriez pas même à subir le retard de cette nuit. Mais patience! au point du jour, je serai près de vous avec le remède.

XXVI. Telles étaient ses lamentations. Je me trouvais âne bel et bien, et de Lucius devenu bête de somme. Mais je n'en continuais pas moins à raisonner comme un être humain: (2) je délibérai longtemps, à part moi, si je ne devais pas tuer cette exécrable femme, en la terrassant à coups de pieds ou en la déchirant à belles dents. (3) Une réflexion m'arrêta: Photis morte, toute chance de salut pour moi s'anéantissait avec elle. (4) L'oreille basse et secouant la tête, je pris donc le parti de dévorer pour un temps mon affront; et, me conformant à ma situation présente, j'allai prendre place à l'écurie à côté de mon propre cheval. J'y trouvai aussi un autre âne appartenant à mon ci-devant hôte Milon; (5) je me disais: S'il est une religion de l'instinct chez les êtres privés de la parole, ce cheval doit me reconnaître, et se sentir ému de sympathie; il va m'offrir une place, me faire les honneurs du râtelier et de la provende. (6) Mais ô Jupiter Hospitalier! ô divinités saintes, protectrices de la bonne foi! ce noble coursier, qui m'avait porté, se donne le mot avec l'autre âne; tous deux s'entendent contre moi, (7) me redoutent comme un rogneur de leur portion. Ils baissent l'oreille en signe de fureur, et me lancent vingt ruades à mon approche. (8) Je me vois repoussé loin de l'orge que de mes propres mains, j'avais étalée la veille devant ce monstre d'ingratitude domestique.

XXVII. Ainsi maltraité, force me fut de faire bande à part, et je me retirai dans un coin de l'écurie. Tandis que j'y réfléchissais sur l'insolence de mes deux camarades, me promettant de tirer le lendemain bonne vengeance de mon coquin de cheval, sitôt que, par la vertu des roses, je serais redevenu Lucius, (2) j'aperçois, à moitié de la hauteur du pilier qui supportait la voûte de l'écurie, une niche qu'on y avait pratiquée, et où se trouvait l'image de la déesse Épone, parce avec des guirlandes de roses encore fraîches. (3) En voyant le remède à mes maux, je me livre à l'espérance. Je me dresse, levant le plus haut possible mes pieds de devant, et, cou tendu, lèvres allongées, je fais tous mes efforts pour atteindre jusqu'aux guirlandes. (4) O fatalité! tandis que je m'évertue ainsi, le valet chargé par moi-même de panser chaque jour mon cheval s'aperçoit de ma manoeuvre, et, se levant tout en colère: (5) C'est à n'en pas finir avec ce porte-choux, dit-il; tout à l'heure il en voulait au manger de nos bêtes, maintenant le voilà qui s'en prend aux images des dieux! (6) Attends, sacrilège animal, je te vais éreinter de la bonne manière; au moins tu ne sortiras que boiteux de mes mains. Tout en parlant, il cherchait de quoi accomplir sa menace; (7) et, trouvant un fagot laissé là par hasard, il y choisit le plus gros parement, tout garni encore de ses feuilles, et se met à en labourer ma pauvre échine. Le jeu n'eût pas cessé de sitôt; mais il se lit soudain grand bruit dans le voisinage. Mille coups viennent tonner contre la porte de ta maison; on crie Aux voleurs! de toutes parts; mon bourreau s'effraye et s'enfuit.

XXVIII. Bientôt l'on force l'entrée; un gros de bandits envahit tout l'intérieur, tandis qu'un autre parti armé jusqu'aux dents garde toutes les issues. De divers côtés, les voisins arrivent au secours; mais les brigands leur font face et les repoussent. (2) Les torches se reflétant sur les glaives nus illuminent les ténèbres, et le double éclat du fer et de la flamme produit l'effet du soleil levant. (3) Au centre de la maison se trouvait une espèce de magasin, bien défendu par toute espèce de fermeture et renfermant les trésors de Milon. (4) Ils en enfoncent la porte à grands coups de hache, s'emparent de tout le butin, l'empaquettent à la hâte, et s'en distribuent la charge entre eux. (5) Mais il se trouve plus de fardeaux que de porteurs: dans l'embarras de tant de richesses et réduits aux expédients, ils me tirent de l'écurie avec l'autre âne et mon cheval, (6) nous chargent impitoyablement de ce qu'il y a de plus lourd dans le bagage, et, le bâton levé, nous poussent hors du logis, après y avoir fait maison nette. Un des leurs cependant resta seul en arrière, avec charge d'observer, et de faire son rapport de ce qui se passerait sur les lieux. Les autres, à force de coups, nous font gagner grand train une passe écartée de la montagne.

XXIX. L'énormité de ma charge, la roideur de la côte, la longueur du chemin, m'avaient tué plus qu'à demi. L'idée me vint alors, un peu tard, mais tout de bon, de recourir à la protection publique, de faire intervenir pour ma délivrance le nom sacré de l'empereur. (2) Il faisait grand jour quand nous arrivâmes dans un bourg d'une certaine importance, où se tenait précisément un marché, et où par conséquent l'affluence était considérable. Je voulus donc, me trouvant au milieu de cette population grecque, attester l'auguste nom de César dans ma langue maternelle. (3) O! m'écriai-je de l'accent le plus expressif et le mieux articulé. Mais il me fut impossible de prononcer le mot César. (4) Les voleurs, impatientés de cette tenue discordante, font à l'envi pleuvoir une grêle de coups sur mon pauvre cuir, et le mettent hors d'état de servir même de crible. Un moment, toutefois, Jupiter m'offrit une chance de salut que je n'attendais guère. (5) En traversant plusieurs hameaux où se trouvaient quelques habitations considérables, j'aperçois un joli petit jardin, et là, parmi d'autres fleurs, des roses en bouton, humides encore de la rosée du matin: (6) je m'en approche palpitant d'espoir; et déjà mes lèvres étendues étaient près d'y atteindre, quand une sage réflexion m'arrêta. (7) Si je quitte soudain ma figure d'âne pour redevenir Lucius, dis-je à part moi, je m'expose à une mort certaine; ces voleurs vont me prendre pour magicien, ou de ma part craindre des révélations. (8) Je fis donc de nécessité vertu; je passai devant les roses sans y toucher, et, prenant mon mal en patience, je cheminai, rongeant mon frein de baudet.