Apocryphes coptes

LES ÉVANGILES APOCRYPHES

QUATRIÈME LIVRE D’ESDRAS.

Traduction française : GUSTAVE BRUMET

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

QUATRIÈME LIVRE D’ESDRAS.

 

NOTICE

Une traduction arabe de cet ouvrage gisait parmi les manuscrits de la bibliothèque Bodleyenne à Oxford ; l'orientaliste Grégory la signala le premier dans le cours du xviie siècle. Ockley, professeur de langue arabe à l'Université de Cambridge, la fit passer en anglais, et sa version parut dans le quatrième volume de l'ouvrage de Whiston : Primitiva Christianitas rediviva (Londres, 1711). Ce texte arabe n'a jamais été imprimé. Ludolphe a cité une traduction éthiopienne dans son Lexicon aethiopico-latinum (Francfort, 1609), et cette traduction, dont nul autre critique n'avait parlé, a fini par attirer les regards du docteur Laurence ; dont nous avons déjà cité les travaux au sujet du Livre d'Enoch et des visions d'Isaïe. Il publia à Oxford, en 1820, le texte éthiopien, en le faisant suivre d'une double version en latin et en anglais, et d'un commentaire ; il y joignit une introduction où il discute l'antiquité de cet ouvrage. On ne saurait douter qu'il n'ait été composé à une époque reculée, car on le trouve cité dans saint Clément d'Alexandrie (Stromates, livre III). La version éthiopienne ne contient pas les deux premiers et les deux derniers chapitres du livre ; la traduction arabe; faite avec beaucoup de liberté, est plutôt une paraphrase. L'une et l'autre présentait avec le texte latin des différences sur lesquelles il serait de peu d'intérêt d'insister.

Saint-Jérôme n'a point traduit le quatrième livre d'Esdras, et on le rencontre rarement dans les manuscrits latins de l'Écriture. Sur 187 manuscrits conservés à Oxford, et au Musée Britannique, sept seulement l'ont offert aux recherches de Laurence. Les variantes qu'ils présentent entre eux; et que cet érudit développe avec détail, ne sauraient nous arrêter. La traduction latine de Laurence et sa dissertation ont été reproduites dans les Prophetae veteres de Gfroerer, p. 66-168.

Saint Ambroise semble avoir fait une estime particulière du quatrième livre d'Esdras ; dans son traité de la bonne mort, il en cite, à diverses reprises, des expressions, afin de montrer quel est l'état futur des âmes après le trépas. Mais saint Jérôme l’a rejeté comme apocryphe, et le concile de Trente a confirmé cette sentence. Jusqu'alors, il avait trouvé place dans les Bibles qu'avait reproduites l'imprimerie. L'Église d'Abyssinie paraît le regarder comme canonique, et, dans un ouvrage qui, selon Bruce, a été composé vers le milieu du XIIIe siècle, elle professe pour lui la plus haute estime. Dans l’Organon Beatae Maria Virginis, on lit ces mots : « Ouvre ma bouche pour célébrer la virginité de la mère de Dieu, comme tu as ouvert la bouche d'Ezras, lequel, durant quarante jours, n'a point pris de repos, parce qu'il travaillait sans relâche à écrire les paroles de la loi et des prophètes que Nebucadnezar, roi de Babylone, avait fait brûler. » Un peu plus loin, Ezras est placé immédiatement au nombre des prophètes, après Isaïe et Jérémie. Il en est parlé en ces termes : « Ezras, trente ans après que les villes d'Israël eussent été détruites, et que les enfants de Sion eussent été conduits en captivité, commença à pleurer sur Sion. Et lorsqu'il versait des larmes amères en songeant à la destruction de la loi et à la captivité des Lévites, Sion se présenta à lui avec une figure resplendissante comme les rayons du soleil, et les bases des collines furent ébranlées tandis qu'elle parlait Ezras fut consolé en voyant la splendeur de cette gloire, mais il n’aperçut point, ô Vierge, la véritable clarté de ton visage. Il vit le crépuscule, et non le soleil, il vit une étincelle, et non la lampe dont elle émanait, il ne contempla pas la lumière de la vérité qui est en toi et dont sortit le Fils de la Justice dissipant les ténèbres. »  

Les opinions des critiques sont loin d'être unanimes au sujet de la religion de l'auteur du livre qui nous occupe. Les uns l’ont regardé comme Juif, d'autres ont pensé que c'était un chrétien qui avait abjuré le Judaïsme, d'autres enfin ont cru qu'il appartenait à la secte des Montanistes. Ceux-ci ont pensé qu'il vivait avant notre ère; ceux-là l'ont reporté au second siècle.

Laurence montre que, d'après les louanges pompeuses que donne l’écrivain au peuple Hébreu, d’après les fables rabbiniques dont on retrouve chez lui la trace, notamment au sujet du Behemoth et du Léviathan, on ne saurait douter qu'il n’ait appartenu à la religion de Moïse. Rien n'indique qu'il ait été chrétien, si ce n'est un passage on se trouve le nom de Jésus; mais ce passage se rencontre précisément dans un chapitre que n'offre ni la version arabe, ni la traduction éthiopienne, et qu’il est très permis de regarder comme une interpolation.

La principale partie du livre d’Esdras se compose de visions fort obscures pour la plupart ; Gfroerer y trouve avec raison, ce nous semble, des allusions faites après coup aux événements survenus pendant le 1er siècle de notre ère.

D'après le critique allemand, lorsque l’auteur parle d'un aigle ayant douze ailes et trois têtes silencieuses, il faut entendre les neuf premiers des Césars, depuis Jules César jusqu'à Vitellius, les trois prétendants à l'empire, qui se livrèrent entre le règne de Galba et celui de Vitellius, à des tentatives infructueuses, et les trois empereurs de la famille des Flavius, c'est-à-dire, Vespasien, Titus et Donatien ; les huit petites plumes désignent des souverains de la Judée ou des chefs des Juifs lors de leurs guerres avec les Romains. Laurence est d'avis que ces allusions, bien difficiles à saisir, se rapportent à des circonstances antérieures aux dernières époques de la république romaine.

Quoi qu'il en soit, le quatrième livre d'Esdras est loin d'être indigne d'attention ; il tient place parmi les restes si peu nombreux des travaux de l'esprit humain dans la Palestine à une époque des plus intéressantes; il fait connaître quelles étaient, parmi les Israélites, les idées relatives au Messie.

Ce n'est point le seul écrit apocryphe qu'on ait mis sur le compte d'Esdras. M. Boissonnade a inséré dans les Notices et Extraits des manuscrits de la bibliothèque du roi (t. XI, 2e partie, p. 186), un calendologe écrit en grec, rempli de superstitions astrologiques et météorologiques; l'ignorance la plus noire a seule pu consentir à reconnaître un prophète pour auteur de ces pitoyables rêveries.

Nous allons maintenant traduire le début du quatrième livre d’Esdras; il ne saurait être question de le reproduire ici en entier.


 

QUATRIÈME LIVRE D’ESDRAS.

 

La trentième année de la ruine de notre ville, j'étais à Babylone, moi, Sataël, qui suis appelé Ezras, et je me suis troublé lorsque je reposais sur mon lit; ma face s'est dévoilée et mes pensées montaient sur mon cœur.

Parce que j'ai vu la dévastation de Sion et la joie de ceux qui habitaient à Babylone.

Et mon esprit se livra à une grande agitation.

Et je commençais à parler au Très-Haut, proférant des paroles pleines de crainte, et je lui dis : « O Seigneur, mon Dieu, n'as-tu pas dit le commencement quand tu as créé la terre ? »

Et n'as-tu pas commandé à la poussière et produit Adam dans un corps mortel ; et l'œuvre de tes mains s'est accomplie en lui.

Et n'as-tu pas soufflé en lui l'esprit de vie, et n'est-il pas devenu vivant devant toi ?

Et tu l'as placé dans le paradis que ta droite avait planté avant que la terre eût été créée.

Et tu lui as imposé une injonction équitable, et il y a contrevenu.

Et tu as ensuite créé la mort en lui et en ses générations.

Et, de lui, sont nés des peuples et des tribus, et des familles, et des générations dont le nombre est infini.

Et chaque nation a marché dans sa volonté, et ils ont péché devant toi, et ils ont abjuré ta foi.

Tu as donc fait venir le déluge sur la terre et sur les habitants de ce monde, et tu les as détruits, et le supplice est devenu leur part; tu leur as infligé le déluge comme tu avais infligé la mort à Adam.

Mais, parmi eux, tu as préservé un homme avec sa famille, et, de lui, sont venus tous les justes.

Et après que les hommes qui habitaient sur la terre ont commencé à multiplier et à s'accroître, leurs enfants se sont trouvés fort nombreux.et ont formé beaucoup de peuples et de tribus.

Et, derechef, ils se sont mis à pratiquer l'impiété plus encore que leurs prédécesseurs.

Et après qu'ils eurent accompli l'iniquité en ta présence, tu as choisi l'un d'eux dont le nom était Abraham, et tu l'as chéri, et tu as formé avec lui un pacte éternel, promettant de ne pas abandonner sa race jusqu'à ce qu'elle sortît de l'Egypte.

Et tu as conduit ses descendants sur le mont de Sinaï, et tu as incliné les cieux, et tu as agité la terre, et tu as remué le monde; tu as fait trembler l'abîme et tu as troublé la mer.....

Lorsque je suis venu ici, j'ai vu des impiétés sans nombre, et mon âme a vu beaucoup d'apostats.

Voici que depuis trente ans mon cœur s'étonne de ce que tu souffres leurs péchés et de ce que tu épargnes ceux qui font les œuvres d'impiété ; tu as rejeté ton peuple et conservé tes ennemis.

Est-ce que Babylone est moins coupable que Sion ?

Est-ce qu'une autre nation t'a connu, si ce n'est Israël?

J'ai passé à travers les nations, et je les ai trouvées se livrant à l'allégresse, et ne se souvenant pas de ta loi et de tes préceptes.

Pèse dans la balance nos iniquités et celles de ceux qui habitent dans le monde, afin que tu saches chez lesquels se trouve cette parcelle qui fait tourner le plateau.

Et un sage me répondit : Il avait été envoyé vers moi et son nom était Uriel.

Et il me dit : Est-ce que ton cœur ne s’est pas livré à la surprise de ce que tu pouvais comprendre le conseil de la majesté du Très-Haut ?

Et je lui répondis et lui dis : Oui, Seigneur.

Et il me dit : J’ai été envoyé pour te montrer trois voies, et pour proposer, devant toi, trois comparaisons.