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TURNUS

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

NOTICE SUR SULPICIA ET TURNUS.

Sulpicia, issue d’une famille patricienne, fut mariée à Calénus. Plusieurs écrivains, Martial surtout, nous ont vanté la pureté de sa vie et son dévouement pour son époux. Nous trouvons la preuve de ce dévouement dans la satire même dont nous offrons la traduction au lecteur. Cette satire fut composée à l’occasion d’un édit par lequel l’empereur Domitien chassa de Rome tous les philosophes: à ce titre, Calénus se trouva enveloppé dans la proscription.

Cette satire ne fut pas le seul ouvrage que lui inspira son affection pour un époux malheureux. Elle écrivit aussi un poème sur l’amour conjugal, ouvrage dont Martial fait l’éloge, mais qui n’est point parvenu jusqu’à nous. Quelques autres poésies, qui lui sont pareillement attribuées, se trouvent dans l’édition de Tibulle publiée par Heyne. Ce ne sont pas ces poésies, sans doute, qui ont pu faire dire à Ausone que les écrits de l’épouse de Calénus n’étaient pas aussi chastes que sa vie. On n’y voit rien qui puisse blesser la pudeur.

Dès le temps de Néron, un autre écrivain, avec autant de dévouement et plus de véhémence encore que Perse, composait des satires qui ne purent sûrement voir le jour sous le règne du tyran. Cet écrivain est Turnus, le même dont Martial a dit « qu’il a avait porté dans la satire un mâle courage. » Tout ce qui nous reste de lui, c’est un fragment attribué à Lucain par quelques savants, recueilli d’abord par Balzac, inséré plus tard dans l’Anthologie latine, et conservé depuis par Wernsdorff dans son recueil des Poetœ latini minores. C’est une vigoureuse sortie contre la prostitution à laquelle se vouaient les muses en célébrant la bassesse et le crime.

 
 


 

TURNUS.

FRAGMENT.

 

IN MUSAS INFAMES.

SUR LA PROSTITUTION DES MUSES.

Ergo famem miseram, aut epulis infusa venena,
Et populum exsanguem, pinguesque in funus amicos,
Et molle imperii senium sub nomine pacis,
Et quodcunque illis nunc aurea dicitur aetas
Marmoraaeque canent lacrymosa incendia Romae,
Ut formosum aliquid, nigrae et solatia noctis.
Ergo re bene gesta, et leto matris ovantem,
Maternisque canent cupidum concurrere Diris,
Et Diras alias opponere, et anguibus angues,
10 Atque novos gladios, pejusque ostendere letum!
Saeva canent, obscena canent, foedosque hymenaeos
Uxoris pueri, Veneris monumeuta nefandae!
Nec Musas cecinisse pudet, nec nominis olim
Virginei, famaeque juvat meminisse prioris.
Ah ! pudor exstinctus, doctaeque infamia turbae
Sub titulo prostant: et quis genus ab Jovo summo,
Res hominum supra evectae, et nullius egentes,
Asse merent vili, ac sancto se corpore foedant.
Scilicet aut Menae faciles parere superbo,
20 Aut nutu Polycleti, et parca laude beatae;
Usque adeo maculas ardent in fronte recentes,
Hesternique Getae vincla et vestigia flagri.
Quin etiam patrem oblitae et cognata deorum
Numina, et antiquum castae pietatis honorem.
Prob ! Furias et monstra colunt, impuraque turpis
Fata vocant Titii mandata, et quidquid Olympi est
Transcripsere Erebo. Jamque impia ponere templa,
Sacrilegasque audeut aras, coeloque repulsos
Quondam Terrigenas superis imponere regnis,
30 Qua licet, et stolido verbis illuditur orbi.

La faim, compagne de la misère, le poison distillé dans les festins, un peuple blême, des amis, victimes repues pour le trépas; l’empire se consumant de vieillesse sous le nom de paix, tout ce qu’on nomme notre âge d’or, voilà ce que chanteront les Muses. Elles chanteront le trop déplorable incendie où Rome s’abîme avec ses édifices de marbre, magnifique fanal, à les entendre, qui console des ténèbres de la nuit: sublime exploit d’un tyran assassin de sa mère! Eh bien; elles applaudiront à ce triomphe: c’est qu’il défie les fantômes vengeurs du parricide; aux furies il oppose les furies, les serpents aux serpents, toujours prêt à dégainer le glaive, à enchérir sur l’horreur de ses assassinats. Fureurs, voluptés infâmes, épouvantables hymens d’un favori substitué aux droits d’une épouse, monuments d’une délirante passion, voilà ce qui inspirera leurs chants. Et les Muses ne rougissent pas de pareils accords; elles ne sourient plus au souvenir de leur nom virginal, au souvenir de leur première renommée. Ah ! c’en est fait de la pudeur : le docte cortège affiche l’infamie. Les nobles filles de l’Olympe, élevées au-dessus de l’humanité, affranchies de tout besoin, trafiquent de leur personne sacrée: elles se prostituent à vil prix. Eh! ne les voit-on pas soumises à l’orgueil d’un Ménas, heureuses du moindre signe, du moindre mot d’éloge échappé à Polyclète? tant elles se passionnent pour les flétrissures récemment empreintes sur un front, pour les traces des fers, des lanières infligées à un Géta, affranchi d’hier. Bien plus, oublieuses de leur père; des dieux qui les nomment leurs soeurs, de l’antique renom de leur piété virginale, ô pudeur! elles se vouent au culte des Furies, des monstres; elles appellent voix du Destin d’impurs arrêts émanés d’un ignoble Titius: tous les titres du ciel sont vendus à l’Erèbe. Déjà elles osent élever des temples impies, des autels sacrilèges. La race des Titans, jadis exclue du ciel, elles la replacent, autant qu’il est en elles, dans les demeures éthérées : elles se jouent de l’univers abusé.

 


 

NOTES SUR LE FRAGMENT.

Incendie. Vers 5. C’est une allusion l’embrasement de Rome, arrivé sous le règne de Néron. On sait que ce prince fut soupçonné d’en être l’auteur.

D’un favori. Vers 12. Il s’agit de Sporus que Néron épousa publiquement. Voir, sur ce sujet, une note de la sat. I de Juvénal, et la satire II, vers 117 et suivants du même auteur

De leur nom virginal. Vers 14. Juvénal, sat. IV, vers 56, dit de même en parlant des Muses : « Prosit mihi vos dixisse puellas. »

Menas. Ver. 19. Affranchi et favori au jeune Pompée, qui se signala par sa perfidie dans la guerre d’Auguste et de Sextus Pompée. Horace tourne en ridicule sa vanité, en lui rappelant la bassesse de son origine. Il périt dans la guerre qu’Octave, son dernier maître, soutint contre les Illyriens.

Polyclète. Favori de Néron qui se rendit odieux par ses exactions: il fut mis mort par Galba. Voy. Tac, Ann., liv. xiv, chap. 39; Hist., liv. i, chap. 37.

Geta. Autre favori qui excita une sédition à Rome, sous le même règne de Néron. Voy. Tac., Hist., liv. ii, chap. 72.

Titius. Chevalier romain, préposé la garde de Messaline. Voy. Tac., Ann., liv. ii, chap. 35.