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orphée

  introduction de de  Lisle de Sales

l'Argonautique les Hymnes les Pierres Fragments

LES PIERRES (1)

TRADUITES PAR M. ERNEST FALCONNET.

 

PROOEMIUM

Voici le présent sacré que le fils de Maïa, par ordre de Jupiter, qui chasse tous les maux, apporta aux hommes, afin qu'ils eussent un secours contre leurs souffrances. Mortels, acceptez-le avec joie. Je m'adresse aux hommes prudents dont l'esprit est intègre et sait obéir aux Dieux ; car un fou ne peut jamais trouver de secours efficace dans ses maux. Le fils de Latone, ravi de ce don précieux, et la prudente Minerve conduisirent le belliqueux Hercule auprès des Immortels, dans l'Olympe neigeux. Chiron, fils de Saturne, traversa aussi l'immense Éther pour entrer dans l'Olympe, où il apprit les secrets divins de l'art de guérir. Les palais immenses de Jupiter accueillirent avec joie ces descendants illustres des Dieux. Quant à nous, exilés sur la terre, Mercure nous ordonne de vivre heureux de nos biens et sans nous abandonner à des passions méchantes. Que celui des hommes prudents qui désire descendre dans l'antre merveilleux de Mercure, où sont déposés les amas de tous les biens, rentre aussitôt dans sa maison, les deux mains pleines de ces présents inestimables qui chassent bien loin toutes les souffrances. Désormais nulle maladie ne l'attaquera dans sa maison ; il échappera toujours à la colère impuissante de ses ennemis et reviendra dans sa demeure toujours fier de la victoire. Aucun adversaire n'osera se mesurer avec lui dans les combats poudreux, et ses membres, fussent-ils robustes comme l'airain, sa force fût-elle prodigieuse, aucun rival ne luttera contre lui dans l'espoir d'obtenir la couronne du vainqueur. Je le ferai semblable à un lion terrible pour les bêtes de la montagne et semblable à un démon familier aux peuples étonnés ; je le rendrai respectable à tous les hommes et même aux rois, qui sont les élèves de Jupiter. Les tendres jeunes gens, poussés par un irrésistible désir, voudront toujours l'enlacer dans leurs bras, et la douce jeune fille, brillant d'amour, le sollicitera aux jeux de la couche nuptiale. Lorsqu'il répandra ses prières aux pieds des mortels, elles parviendront de suite à leurs oreilles bienveillantes. Il verra devant lui s'abaisser la mer tourbillonnante. Les voleurs implacables fuiront devant lui, même quand il cheminera seul, et ses serviteurs le vénéreront comme leur père et chériront la maison de leur maître. Quand il voudra savoir, il connaîtra toutes les pensées les plus occultes que les hommes cachent dans leur esprit ; il comprendra tous les cris que jettent dans le ciel les prophètes ailés de Jupiter, les oiseaux dont les chants annoncent l'avenir. Il saura arrêter l'impétuosité du dragon qui rampe à terre, il saura rendre impuissant le dard des reptiles dangereux. Je lui apprendrai à guérir les hommes atteints de la folie ou affligés de maladies pestilentielles, à chasser les âmes des morts, qui, échappées du noir Érèbe, se plaisent à tourmenter les mortels.
Bien d'autres présents, des présents innombrables apportés pour être distribués, sont encore dans la grotte de Mercure, le prudent conseiller. Celui qui parviendra jusqu'à eux deviendra un demi-dieu. Le belliqueux meurtrier d'Argus m'engagea à les annoncer aux mortels, il m'engagea à les chanter aux hommes avec les plus doux sons de ma voix. Mais, hélas ! les hommes ne professent aucun honneur pour la prudence ; ils affectent au contraire de mépriser la science vénérable. Dès qu'ils entendent, même de loin, la vertu, cette mère des héros, ils s'enfuient d'une course précipitée. Ils ont horreur d'elle qui soutient dans le travail, ils ont horreur du travail lui-même qui soutient dans la vie. Ils n'en ont pas pour cela plus de richesses dans leurs maisons et aucun d'eux ne sait honorer les Dieux immortels. Les insensés ! ils ont éloigné des hommes et des villes la science si utile, et il méprisent ignominieusement Mercure. Il est mort maintenant, celui qui avait commerce avec les demi-dieux. Devenu l'ennemi des hommes, il leur a donné le travail, et les hommes l'ont nommé Mage. Il est mort dans le combat cet homme divin, cette vaillante épée, sans être honoré de qui que ce fût, il est mort ! Les mortels, semblables à des bêtes fauves, ignorants et indociles, et ne voulant pas se soumettre à la science divine et aux conseils divins, sont pleins de malice et de mauvaises pensées. Ils n'ont pas le courage de faire quelque grande oeuvre digne d'admiration ; un nuage épais obscurcit leurs cœurs et les empêche de s'avancer dans le pré verdoyant et fertile de la vertu. Mais moi, je me propose de dévoiler à ceux qui m'écouteront un trésor bien plus précieux que des monceaux d'or ; mais il faut un homme laborieux que le travail ne rebute pas, qui éprouve promptement chaque chose et qui soit encouragé par ceux qui savent. Car Jupiter foudroyant ne veut pas donner sans peine une heureuse fin aux travaux et aux paroles : les coursiers mêmes du Soleil ne peuvent conduire ce dieu rayonnant dans l'immensité de l'Éther, qu'avec fatigue et pénible sueur.

ARGUMENT DES PIERRES.

Je serais bien plus charmé de l'entretien d'un homme prudent que de la possession de l'or, ce maître de tous les hommes. Un jour que j'allais offrir un sacrifice au Soleil, je rencontrai le prudent Théodamante, qui revenait à la ville : je lui pris la main et lui parlai en ces termes : 
"O ami ! si nulle nécessité ne te presse, il nous sera loisible de rentrer demain à la ville : c'est Dieu même qui m'a fait te rencontrer à l'instant où j'allais présenter mes offrandes : viens avec moi, nous célébrerons ensemble ces sacrifices divins qui doivent plaire à tous les hommes sages. Le cœur des Dieux immortels est rempli de joie lorsque des hommes de bien leur adressent des offrandes et des prières. Je ne te ferai pas faire une bien longue route, car tu me vois me rendant  cette montagne voisine qui fait partie de nos champs. Étant jeune homme encore, j'osai un jour y aller tout seul, et je me mis à poursuivre un couple de perdrix qui m'avait échappé. Chacune d'elles ayant entendu prononcer son nom s'arrêta et reconnut ma voix. J'étendis délicatement la main, mais avant que je pusse les prendre elles s'enfuirent. Moi, qui me penchais en avant, je tombai d'abord sur le visage, mais aussitôt je me relevai et je les poursuivis. Arrivé au sommet de la montagne, elles prirent leur vol plus rapides qu'un trait et battant bruyamment des ailes : elles avaient été effrayées par la vue d'un serpent horrible, entrouvrant sa gueule effroyable et mortelle, et se précipitant d'un hêtre antique et couvert de branches épaisses. Je m'approchai et je ne le vis pas ; car mes yeux suivaient attentivement les oiseaux, je ne le vis pas avant que sa tête élevée, se dressant sur la terre, ne m'avertît de sa présence. Certainement il était prêt à me tendre un piège horrible. Mais si quelqu'un m'eût vu retournant sur mes pas et m'enfuyant avec rapidité, il n'eût pas pensé que les perdrix aux pieds rapides eussent pu me suivre ; il n'eût pas pensé que mes jambes étaient encore jeunes et débiles. La peur me donna l'impétuosité de l'aigle et de l'orage. La mort était à mes talons ; souvent la gueule du monstre atteignit l'extrémité de mon vêtement, la bête immense me glaça de son souffle empesté : j'étais perdu si je n'eusse eu l'idée de me réfugier à un autel que les anciens avaient bâti à Phébus. Un tronçon d'olivier déraciné, et que la flamme avait ménagé, était encore là ; je le saisis et je le dirigeai contre la tête menaçante du dragon. Le monstre fut enflammé de fureur quand il me vit décidé à la défense ; il se roula en rond, tournant ses reins flexibles en redoutables spirales. Les cercles se développaient les mis sur les autres. Puis, dressant sa tête, il l'éleva en situant au-dessus de l'autel, et ce bruit couvrit l'éclat de ma voix. Je frappai rudement la tête du monstre et du coup mon arme fut brisée. II n'était pas dans ma destinée de venir à bout de cette bote féroce. Alors deux chiens appartenant à mon père, et que j'avais toujours traités avec douceur, reconnurent, ma voix. Ils quittèrent les troupeaux qui paissaient loin de là et s'élancèrent à mon secours. Le dragon se précipita sur eux : aussitôt je pris rapidement la fuite à travers les champs. De même qu'un lièvre timide fuyant les ongles féroces de l'aigle, oiseau de Jupiter, se cache dans d'épaisses broussailles, de même me réfugiant au milieu des brebis, et rapetissant mes membres, j'échappai à la vue de cette bête féroce. Quand mon père sut que je n'avais pas été blessé, il amena à l'autel un jeune taureau et l'offrit en holocauste au Dieu qui avait ainsi sauvé la vie de son fils. Et moi aussi choisissant dans le troupeau un veau bien gras, et l'arrachant à la mamelle pendante de sa mère, je le conduisis an sommet de la montagne, en me faisant accompagner d'un chœur joyeux de mes amis. Les deux chiens qui avaient étranglé le dragon me suivirent de leur plein gré : une douce aménité régnait autour de l'autel des Dieux ; le champ était verdoyant, les herbes molles, l'ombre épaisse sous les ormes, et à coté une onde jaillissant éternellement des entrailles les plus profondes du roc rendait un doux son, pareil à des accents mélodieux. Viens avec moi ; il n'est pas permis de refuser un festin offert aux Dieux."
Je lui parlai ainsi. L'homme divin me répondit en ces termes : 
"Que Phébus te soit toujours favorable et te préserve de tout mal et qu'il envoie d'abondantes richesses dans ta maison, puisque tu montes au sommet de la montagne pour accomplir un sacrifice aux dieux ; je ferai en sorte qu'ils t'écoutent d'une oreille favorable ..... "

I.

LE CRISTAL.

Prenez dans vos mains le cristal brillant et flamboyant, rayon de la divine lumière, le cœur des dieux immortels en est réjoui dans l'immense éther ; si vous approchez du temple en le tenant dans vos mains, aucun dieu ne repoussera vos vœux. Ecoutez-donc afin d'apprendre les vertus de cette pierre brillante : si vous voulez allumer une flamme sans avoir besoin d'un premier tison enflammé, déposez-le sur des morceaux de bois arides. Aussitôt le soleil dardant sur sa face opposée il laissera échapper un petit rayon ; dès qu'il aura atteint la matière sèche qui doit lui servir d'aliment, il en sortira d'abord de la fumée, puis un feu léger, puis une grande flamme. Les anciens appellent cela le feu sacré ; et moi je crois qu'aucune flamme ne peut allumer les sacrifices avec plus de joie pour les immortels. J'ajoute encore cette qualité merveilleuse du cristal : quoique auteur de cette flamme qui ainsi aura subitement jailli de ce feu, il sera de suite refroidi et pourra être touché impunément, et, appliqué sur les reins, il en guérira les douleurs.

II.

LA GALACTITE.

Je t'offre une autre pierre également favorable à ceux qui adressent leurs prières aux dieux ; elle est pleine d'un lait divin comme la gorge d'une jeune fille qui a conçu pour la première fois ou comme la mamelle d'une vache féconde. Les anciens l'ont appelée diamant royal parce qu'il fléchit l'esprit des dieux, de telle sorte qu'honorés par des sacrifices ils veulent bien avoir pitié des mortels. Ils l'ont aussi appelé Léthée parce que toujours elle a fait oublier aux mortels et aux immortels les maux qu'ils ont soufferts, parce qu'elle adoucit l'esprit et qu'elle fait concevoir des pensées agréables. D'autres ont pensé qu'il valait mieux appeler cette pierre Galactite, parce que, si on la brise, il coule de l'intérieur une moelle blanche parfaitement semblable à du lait. Si vous voulez en faire l'expérience cela vous sera facile.
Quand tu verras les mamelles de tes brebis diminuées et pendantes, que feras-tu, cher enfant ? Quand tes boucs, pour lesquels tu as souvent adressé des prières afin qu'ils échappassent aux bêtes féroces, seront devant toi tristes et abattus, et que maigris ils pousseront dans l'étable un long gémissement, alors fais laver les mères qui sont malades dans les gouffres des noires fontaines ; puis tu les purgeras les unes après les autres, et, mêlant de la poudre de galactite avec de la saumure, tu passeras à travers tout le troupeau de chèvres, et tu verseras de ce mélange sur le dos touffu et fertile de chacune d'elles. Aussitôt elles deviendront toutes plus fortes et plus soyeuses et donneront un lait abondant à leurs jeunes nourrissons. Ceux-ci, rassasiés à ces fécondes mamelles, sauteront de bonheur sous les ventres de leurs mères. Offre aussi à la jeune mère une douce boisson où sera mêlée de la galactite, afin qu'elle reporte à son berceau son jeune enfant nourri des trésors de son sein. Si la nourrice pend une de ces pierres au cou de son jeune élève, elle éloignera d'elle la terrible Mégère. Les rois vénérables et les nombreuses nations vous honoreront de même si vous portez cette pierre dans votre main ; et les dieux l'accordant tout ce qui est dans tes désirs exauceront tes vœux.

III.

LA PETRACE.

Ceux qui ont une pétrace verdoyante peuvent en toute confiance s'approcher des autels et accomplir le sacrifice aux immortels.  Si tu portes dans la main un fragment de cette pierre sur laquelle sont peints des arbres, le cœur de Dieu sera ravi : il en est en effet dans lesquelles tu apercevras des arbres comme dans un jardin en fleurs, planté de nombreux arbustes. Aussi les hommes ont-ils donné à cette pierre le nom d'agathe arborescente parce que dans une partie elle est semblable à l'agathe et dans une autre partie au contraire elle reproduit fidèlement une forêt verdoyante et épaisse. Lorsque tes bœufs sillonnent péniblement la terre, si tu places une agathe entre leurs deux cornes ou autour des reins d'un vigoureux laboureur qui défriche son champ, alors, du haut des cieux, Cérès, couronnée d'épis, versera dans le sillon les dons fertiles qu'elle porte dans son sein.

V.

DE LA CORNE DE CERF.

Lorsque tu auras entre les mains de la corne admirable de cerf, ne manque pas de t'approcher des dieux immortels. Le cœur des immortels est réjoui quand ils voient cette oeuvre merveilleuse de la nature produite sur la tête du cerf. Ce n'est pas en effet une pierre mais quelque chose qui lui ressemble. En sorte qu'il te serait difficile de reconnaître de suite si cela est ou n'est pas une pierre, à moins de t'en apercevoir en la touchant. Si tu es chauve elle te fera croître les cheveux ; car en la pilant dans de l'huile et te frottant tous les jours les tempes avec ce mélange, tu sentiras des poils nouveaux naître aux lieux où tu étais chauve. Si pour la première fois, jeune homme toi-même, tu conduis à ton lit nuptial une jeune épouse, aie cette pierre pour témoin de ton bonheur. Et alors un lien indissoluble d'amitié vous liera l'un à l'autre durant toute votre vie.

VI.

DE LA PIERRE BARBARE,

Pour ceux qui couchent dans les champs.

Je dis que la pierre barbare, polie par les eaux résonnantes du divin Euphrate le syrien, est agréable au fils de Jupiter qui porte l'Égide, au pasteur de taureaux sauvages, revêtu d'une courte tunique. Si tu lui fais un sacrifice, aussitôt ta vigne se chargera de grappes fécondes, et il le rendra capable de récolter beaucoup de vin.

VII.

LA JASPE.

Si à l'instant de faire un sacrifice quelqu'un porte dans sa main une jaspe élégante et d'une couleur aérienne, le cœur des immortels sera réjoui : ils verseront sur la terre desséchée des pluies abondantes et il sera cause que les champs arides seront fécondés par cette pluie. Jaspe merveilleuse, éloigne également de nos moissons la sécheresse terrible et la grêle mêlée à la pluie et tous les dangers qui menacent les champs ; car les dieux te chérissent entre toutes les pierres précieuses, et comme le cristal tu as le pouvoir d'exciter sur les autels une flamme ardente sans le secours du feu. Tu es aussi puissante qu'un feu brillant qui environnerait le ventre d'un bassin plein d'eau fraîche, et si quelqu'un laissait un bassin pareil sur des cendres froides, avec ton secours le métal bouillonnerait bien vite. 

VIII.

LA TOPAZE.

On dit aussi que la topaze d'une couleur transparente est favorable aux mortels qui vont faire des sacrifices. 

IX.

L'OPALE.

Je dis que les dieux aiment aussi l'opale qui a la peau semblable à celle d'un jeune enfant. Elle guérit les yeux faibles et qui versent trop facilement les larmes, en la mêlant avec de la myrrhe qui répand une bonne odeur, et avec la lépidote qui brille par ses écailles blanchissantes. Ainsi mélangées, elles t'apprendront les biens et les maux que réserve mystérieusement l'avenir, et, si tu désires le savoir, la lépidote chasse également les douleurs terribles de nerfs. Ces deux pierres divines sont également aimées du Soleil aux cheveux d'or, et tu seras étonné quand tu les verras : toutes deux portent des rayons droits et brillants qui semblent une chevelure. Leur apparence est cependant différente : l'une ressemble au cristal transparent, l'autre à la chrysolithe ; si la lépidote ne jetait des rayons semblables à des cheveux, ce serait tout-à-fait une chrysolithe. Je dis que l'une et l'autre sont bonnes. Le Soleil, ce grand nourricier, les a dotées toutes deux d'une merveilleuse puissance. Elles donnent aux hommes la beauté de la forme et la vigueur dans le combat, quoiqu'ils soient déjà d'un âge respectable. Ceux qui portent ces pierres prennent aussitôt l'allure généreuse des héros, et les dieux leurs accordent ce don précieux. Car l'audace et le calme plaisent également aux immortels.

X.

L'AIMANT.

L'aimant est aimé du belliqueux Mars, parce que si on l'approche d'un fer poli, de même qu'une jeune fille transportée d'un ardent amour enlaçant dans ses deux bras le jeune homme qu'elle aime ne peut se détacher de sa poitrine blanche comme du lait, de même il attire toujours à lui le fer belliqueux et ne veut jamais l'abandonner. On raconte en effet qu'il fut esclave de la fille du Soleil, qu'il lui fit boire d'enivrantes boissons, et qu'alors elle conçut dans d'ineffables délices. Veux tu connaître si ta femme t'est fidèle, si elle te conserve ton lit et ta maison chastes de tout homme, prends cette pierre et dépose-la secrètement sous la couchette ; et, comme occupé d'autre chose, chante pendant ce temps-là une joyeuse chanson. Elle, s'abandonnant à un doux sommeil, étendra les mains en désirant t'embrasser. Si Vénus la tourmente de désirs amoureux, elle tombera à terre du haut du lit.
Que deux frères portent de l'aimant avec eux s'ils veulent éviter les disputes et les haines. Cette pierre t'inspirera encore, si tu veux parler au peuple assemblé, les discours les plus doux et les plus agréables et tu porteras dans ton sein la charmante persuasion. Quoique je puisse te raconter bien d'autres merveilles de cette pierre, que te dirai-je de plus quand je t'aurai parlé des dieux ? Quelque élevées que soient leurs demeures, cette pierre fléchit leur âme et les rend favorables, en sorte qu'ils s'empressent de satisfaire nos désirs comme s'ils étaient nos parents. Si nous étions déjà arrivés à l'autel nous pourrions faire l'épreuve de tout ce que je viens de te dire. Car cet homme qui me suit porte sur ses robustes épaules les matières de ces différentes choses. Mais comme nous avons encore beaucoup de route à faire et que l'appréhension du dragon tourmente encore peut-être ton esprit, apprends le moyen de ne pas craindre les dards des serpents monstrueux. Fais broyer en poussière un petit fragment d'ophite, et si un serpent vient à te mordre avec ses dents venimeuses, couvres-en la blessure, le remède sera infaillible.

XI.

L'OSTRITE.

Si vous voulez calmer des douleurs, buvez du vin dans lequel vous aurez broyé une pierre pure d'ostrite ; le résultat en est infaillible : c'est une pierre absolument semblable, une pierre bonne contre les vipères, qui, à l'aide de l'art habile de Machaon, rendit sans danger la blessure dont Philoctète souffrait depuis neuf ans. Le fils de Poean n'espérait plus en être guéri, quoique au fond de son cœur il le désirât ardemment. Mais Machaon, instruit dans la médecine par son père, prit cette pierre merveilleuse, l'appliqua sur la cuisse au lieu de remède, chose étonnante ! et renvoya de nouveau au combat contre les Troyens le meurtrier d'Alexandre. Le fils de Priam, sur le point de mourir, ne pouvait se figurer qu'il fût ainsi venu à la bataille avec ses pieds parfaitement guéris. Le noble héros tua le perfide Pâris, d'après l'ordre qu'Hélénus donnait aux Grecs, d'amener de Lemnos à Troie le meurtrier infâme de son frère. Mais Phébus Apollon donna à celui-ci une véritable pierre d'aimant qui pouvait parler, que quelques hommes ont appelée l'ophite sans âme, pierre dure, raboteuse, noire, épaisse. De tous cotés elle est rayée circulairement de fibres semblables à des rides. J'ai appris que pendant trois fois sept jours Hélénus se tint éloigné du lit de son épouse et des bains communs, et que cet homme grave et continent s'abstint de se nourrir d'animaux. Mais lavant toujours sa pierre animée dans une fontaine intarissable, il l'habillait de doux vêtements, la réchauffait comme un jeune nourrisson, et lui offrant des sacrifices comme à un dieu, par ses hymnes puissantes il la rendit vivante. Puis allumant les lampes dans sa chaste maison, il lava la pierre de ses propres mains et en prit le plus grand soin, pareil à une mère qui porterait dans ses bras son petit enfant. Et toi, quand tu voudras entendre la voix des dieux, fais de même, afin que ton esprit soit témoin de ce miracle ; si tu fais semblant de limer cette pierre entre tes mains, elle poussera tout d'un coup un cri comme un jeune enfant qui pleure dans le sein de sa nourrice. Mais il faut toujours la soigner attentivement, de peur que par mégarde, ou par une frayeur précipitée, tu ne la laisses tomber à terre et que tu n'excites ainsi la colère terrible des dieux. Interroge la sur l'avenir, elle te dira toutes choses avec sincérité. Puis, après que tu l'auras lavée, approche la davantage de tes yeux. Tu la trouveras abandonnée par le dieu et inanimée. C'est ainsi que le fils de Laomédon apprit de cette pierre divine que sa patrie serait envahie par les Atrides.
Je te dirai encore d'autres qualités de l'aimant : il est toujours semblable à un serpent. Aussi, Philoctète, son esprit était, toujours occupé par une très-grande frayeur qui le privait même du sommeil, parce qu'il lui semblait continuellement voir un serpent devant ses yeux. Il priait instamment le prudent Palamède de lui indiquer quelque médicament qui pût mettre en fuite les serpents dangereux, quand il parcourait la terre nourricière en chassant. Et celui-ci prenant à témoin Phébus, fils de Latone, lui dit les choses que je vais te raconter. Phébus à la brillante chevelure m'apprit encore, à moi enfant, l'art d'interroger l'avenir ; il me fit d'abord prêter serment de ne jamais tenir aux hommes de faux discours. Toutes les choses que je te dis sont donc très-vraies. Maintenant, prête une oreille attentive à mon discours, héros qui lances au loin les traits. La terre noire produit le mal pour les hommes infortunés ; mais en même temps elle produit le remède de chaque mal. Ainsi la terre engendre les reptiles, mais elle engendre aussi des moyens infaillibles de guérir leurs morsures. C'est de la terre que viennent toutes les espèces de pierres, dans lesquelles se trouve une puissance prodigieuse et variée. Tous les avantages que présentent les racines, les pierres les offrent aussi. Les racines ont une grande force, mais les pierres en ont une bien supérieure ; d'autant plus que la terre les crée incorruptibles et que jamais elles ne vieillissent. La racine meurt ; elle ne verdoie que pendant un temps fort court ; tant qu'elle vit on peut en récolter des fruits ; mais ni fois qu'elle sera morte, quel espoir pourrez vous conserver en elle? Parmi les herbes que vous trouverez au printemps, les unes sont utiles, les autres nuisibles : mais vous rencontrerez difficilement des pierres dangereuses, et cependant il y a autant de pierres qu'il y a d'herbes. Héros illustre, armé de la pierre d'aimant, tu pourras traverser tranquillement à travers les reptiles, vinssent-ils à toi par troupes effroyables, tu ne craindras pas la mort affreuse. Ils auront beau s'élancer sur toi, ils ne pourront pas se servir de leurs dents. Il ne leur sera pas possible de rester là plus longtemps ; à peine auront-ils paru que la frayeur les prendra, ils s'enfuiront par une course rapide. S'ils veulent se précipiter sur toi, ils se retireront de suite. Leur rage sera assoupie à l'instant, et, étendant leurs longues têtes, ils chercheront à te caresser avec leurs langues, comme le feraient de petits chiens. Souvent le chasseur Euphorbe, muni de ce préservatif, entraîné par l'ardeur de la chasse, s'endormit dans les épaisses profondeurs de l'Ida au milieu des dragons avides de carnage. Cédant à ses supplications, je lui avais donné une de ces pierres, et dans le grand nombre de serpents qui l'environnaient, aucun n'osa l'attaquer.
Ménalippe un de mes cousins, d'une belle taille et d'une forme remarquable, homme excellent, était charmé d'Euphorbe, aussi belliqueux que beau ; il aimait ce jeune homme, redoutable à la lance et portant une magnifique chevelure. Aussi, quand il allait à la chasse, jamais le fils d'Icetaon ne voulait se mettre en route sans Euphorbe. Mais, se plaisant avec l'enfant divin sur le sommet boisé des montagnes, accompagné de ses chiens et de ses amis, il poursuivait avec lui les bêtes fauves à la trace et désirait être seul avec lui. Son père, craignant de voir son fils chéri lutter contre des animaux sauvages songea à le retenir, et la puissance de Priam le retint en effet. Mais son esprit ne put pas se le persuader ; car qui aurait pu ainsi renoncer à Euphorbe ? Or, une hydre affreuse le blessa en lui enfonçant son dard mortel dans la jambe. Le malheureux comprit alors qu'il fallait bien qu'il abandonnât Euphorbe, et c'était là ce qui l'affligeait le plus. Dans sa désolation il étendait ses mains sur ses genoux, j'eus pitié de lui, je lui ordonnai de mettre sur la blessure un peu de poussière de cette pierre broyée. Aussitôt la violente maladie perdit sa force. Tel est le secours que la terre engendre sur les montagnes pour les hommes : c'est un remède pour les héros blessés ; c'est un remède pour les femmes stériles, et un moyen de concevoir des enfants chéris, car les dieux accordent aux mortels des remèdes de diverse nature. Ainsi, Euphorbe, le pasteur de taureaux, instruit par ma mère Abarbarea, qui était habile et renommée pour guérir les maladies, me répéta que l'admirable ophite n'était pas seulement infaillible contre les serpents, mais encore qu'elle rendait la lumière aux yeux et qu'elle calmait les douleurs de la tête. Il est certain qu'un homme qui avait perdu l'usage de ses oreilles, s'en étant servi, parvint à entendre les sons d'une voix excessivement faible. Un autre, que la colère de la blonde Vénus avait rendu incapable de s'abandonner aux voluptueux désirs de l'amour, parvint à recouvrer sa santé : en outre, si tu jettes cette pierre dans le feu, les reptiles fuiront son odeur et ils ne pourront pas la supporter, fussent-ils cachés dans leurs plus obscures retraites.

XII.

LE JAIS.

Les reptiles fuient aussi le jais dont la mauvaise odeur éloigne tous les mortels. II est couleur de flamme, plat et peu grand. Il jette un rayon de feu semblable à celui d'une branche de pin aride ; mais il exhale en même temps une odeur putride qui est insupportable. Il peut vous servir à faire connaître les hommes qui sont attaqués d'une maladie sacrée, car de suite, en le sentant, ils seront courbés, précipités à terre, et, privés de leurs sens, ils se rouleront ainsi de droite et de gauche. La Lune aux pieds légers et qui porte des cornes, la Lune irritée a le cœur rempli de joie quand elle les voit ainsi succomber à leur mal. Le jais est encore utile aux femmes parce qu'il fait écouler ses portions d'humeur qui leur restent au bas du ventre. Ceux que cette pierre a ainsi guéris du mal de ventre se réjouissent, car ces souffrances sont graves et sérieuses. J'ai entendu attribuer encore à la pierre de jais bien d'autres précieuses qualités, mais il suffit qu'elle chasse par son odeur les reptiles dangereux pour qu'elle te charme infiniment.

XIII.

LE CORYPHODE.

Qui ne sait pas que cette pierre chevelue mêlée à de l'ail aigre chasse les insectes qui blessent la tête et les scorpions qui lancent des dards acérés. Elle est parfaitement semblable à la chevelure d'un homme. Broyée dans un vin généreux, elle délivre des blessures de l'aspic qui engendre la mort terrible. Si on la mêle modérément avec de l'huile rosée, et qu'on se frotte avec ce mélange chaud, on aura un excellent remède pour les douleurs du col. En la mêlant avec du miel, on dissipe les eaux dangereuses qui s'amassent. dans le ventre des hommes et peuvent menacer de dégénérer en tumeur indécente dans les parties masculines.

XIV.

LE CORAIL.

Sachez aussi que le corail qui a emprunté toute sa force â Perlée, peut délivrer des dards des scorpions et rendre impuissante la morsure mortelle de l'aspic. Phébus à la belle chevelure m'a dit que de toutes les choses qui naissaient, c'était sans contredit la plus belle de la nature ; elle avait été créée par une transformation, ce qui d'abord peut paraître faux, mais ce qui est très vrai. C'est d'abord une herbe verte, elle ne croît pas sur la terre que nous savons être la forte nourrice de toutes les plantes, mais dans la mer stérile, comme les algues, comme les mousses délicates. Lorsqu'elle est parvenue à la vieillesse, ses feuilles sont corrompues par les ondes et elle nage dans les profondeurs de la mer mugissante jusqu'à ce que les flots la rejettent sur le rivage. Ceux qui l'ont vue prétendent qu'ainsi exposée au souille de l'air elle se durcit. Peu après, son écorce se solidifiant, elle est changée en pierre et vous pouvez manier dans vos mains ce qui auparavant était un corps frêle ami de l'eau. Elle garde sa première conformation d'herbe qu'elle avait auparavant, elle garde ses rameaux qui portaient des fruits et !a racine même qui lui apportait le suc vivifiant. Elle est en pierre absolument ce qu'elle était en plante. Votre esprit serait enchanté si vous la voyiez ; quant à moi, je ne sais quel charme infini descend dans mon cœur toutes les fois qu'il m'est donné de la contempler. Mes yeux ne peuvent se rassasier de ce spectacle ; et je suis frappé de stupeur, car il me semble que c'est un prodige étonnant, et, quoique je le croie, j'ai cependant de la peine à m'abandonner entièrement à cette idée.
On dit que ce fut d'abord la tête de Gorgone dont la vue était si fatale aux humains.
Persée au vol rapide ne doit pas être considéré comme un monstre, car c'est lui qui, aux extrémités escarpées de l'Atlantide, tua cette vierge farouche et d'un aspect infernal. Destinée horrible pour tous ! ceux qu'elle regardait de son oeil sanglant, ceux qui contemplaient cet épouvantable monstre étaient tués sur-le-champ et changés en pierre par une volonté fatale ! La robuste Minerve, quelque courageuse qu'elle fût, ne voulut pas la regarder en face ; Persée, au glaive d'or, ne put être décidé par son frère homme magnanime, à jeter les yeux sur elle, même après qu'elle eut été exterminée. II lui coupa la tête par ruse : s'approchant derrière elle qui ne le voyait pas, il lui trancha le gosier avec une arme recourbée. Quoiqu'elle fût morte, sa figure était encore dangereuse à voir, et beaucoup devaient descendre dans la noire demeure de Pluton à cause de sa mort. Le héros souillé de sang, s'approchant du rivage pour se laver dans la mer, déposa sur les herbes verdoyantes la tête de Gorgone chaude encore et palpitante. Quand il se fut rafraîchi dans les gouffres de la mer, il sortit de cette route trompeuse et de ses périlleuses luttes. Les racines des herbes qui se trouvaient au-dessous de la tête étaient alors humectées et remplies de sang. Aussitôt les filles de la mer accourant s'empressèrent de le comprimer ; elles le firent si bien que vous auriez cru l'herbe changée en pierre solide, et cela était en effet : elle perdit la verte couleur de l'herbe, il est vrai, mais elle n'en perdit pas la forme ; elle conserva seulement une couleur rouge qui venait du sang. Le héros intrépide fut frappé de stupeur quand il vit subitement ce grand miracle. La prudente Minerve, fille de Jupiter, accourut alors, l'admira aussi, et pour rendre la gloire de son frère immortelle, elle voulut que le corail eut la faculté de changer toujours sa première nature. La puissante Minerve lui donna aussi l'immense puissance de conserver les hommes qui entrent dans le liquide élément, si quelqu'un pénétrant dans celte route dangereuse porte avec soi cette pierre merveilleuse, ou traverse la mer enfermé dans un navire aux flancs solides. Le corail préserve encore les hommes de la lance meurtrière de Mars, de la colère homicide des brigands et des chiens aboyants de Nérée. Mais il faut qu'ils invoquent en même temps la verte Tritogénie qui excite les tempêtes et qu'ils implorent son appui. Si, en semant, tu le mêles au grain jaune que tu jetteras dans le sillon, il éloignera tous les fléaux de tes guérets, tous les insectes qui se glissent dans les épis pour les sucer, et la grêle qui tombe avec rage sur les moissons et ravage les champs par ses traits perfides. Il dissipe en outre tous les vermisseaux qui naissent dans les ulcères ; il préserve également de la rouille éthérée qui tombe du ciel, s'attache aux épis et les ronge. Il met en fuite les phalanges innombrables des rats et des fourmis. Les foudres de Jupiter, respectant la gloire illustre de sa fille, ménageront les champs. Le meurtrier d'Argus apporta cet excellent corail aux hommes qui faisaient route. Quant à toi, souviens-toi de le boire avec de bon vin : il est alors infaillible contre les serpents dangereux, comme je te l'ai déjà dit.

XV. 

L'AGATHE.

Buvez aussi avec un vin généreux la belle agathe qui revêt différentes formes; elle paraît tour à tour présenter diverses couleurs ; en la regardant de près, vous trouverez en elle la transparence vitrée de la jaspe, la couleur sanglante de la sarde et tout le brillant de l'émeraude ; vous trouverez encore en elle la couleur luisante de l'argent et celle d'une pomme verte ; mais la plus belle et la plus utile agathe sera celle qui t'offrira la couleur d'un lion fauve.  C'est pourquoi les anciens l'ont appelée léontasère. Elle est piquée de petits points flamboyants, noirs, blancs et verts. Si quelqu'un a été piqué par le dard dangereux d'un scorpion, il approche cette pierre de la blessure, et aussitôt les douleurs sont calmées. Elle rendra agréable aux femmes un homme qu'elles n'aimaient pas avant. Par son aide tes discours charmeront les mortels ; tu remporteras toutes choses, tu obtiendras tout ce que tu demandes, et tu rentreras joyeux dans ta maison. Celui qui tiendra une agathe dans sa main pourra guérir un malade, et obtenir une cure assez merveilleuse pour le ramener à la vie. Mais mets-toi bien dans l'esprit que si Clotho a rompu le fil suprême, alors le dernier jour est venu inévitable.

XVI

DE LA MÊME PIERRE.

Si tu as une fièvre qui de deux jours l'un vienne te brûler et te tourmenter, ou que te saisissant le quatrième jour, elle te menace d'un sort fâcheux et ne veuille pas te quitter, n'aie pas peur cependant de descendre aux enfers : tu te guériras avec l'agathe, aucun remède en effet n'est meilleur que celui-là. Mais je vais t'indiquer un signe pour reconnaître la force de la pierre : si tu la jettes dans des chairs cuites et qu'elle y séjourne un instant, les chairs seront de suite dissoutes.

XVII

ENCORE DE LA MÊME PIERRE.

Je ne t'affirme pas qu'elle puisse être un bon remède contre les serpents, mais si tu en as besoin je t'en donnerai un qui vient du Ciel. Écoute-moi attentivement : lorsque le large Ouranos déchiré par les mains du cruel Saturne, roulant sur la terre immense son corps brillant, désirait descendre des hauteurs de l'Éther sur notre globe pour rendre toutes choses ténébreuses et abandonner ainsi à Saturne la masse du ciel étoilé, alors des gouttes de son sang ambroisien tombèrent sur la terre : comme elles émanaient d'un corps immortel, elles ne pouvaient pas périr. Les Parques voulurent que ce sang restât conservé sur les glèbes de la Terre, la mère des dieux. Les chevaux brillants du Soleil le rendirent aride. Si quelqu'un le touche il croit avoir une pierre dans les mains, mais ce n'est que du sang condensé. Elle en a en effet parfaitement la couleur, et mise quelque temps dans l'eau, elle devient vraiment du sang. C'est là ce qui lui a fait donner par nos ancêtres le nom de pierre sanglante. Elle renferme en elle-même des remèdes excellents. Aussi les poètes disent-ils qu'elle est venue aux hommes par des moyens célestes ; car, mêlée à du lait blanc ou à du lait épaissi, elle ne permet pas à de nouvelles douleurs de fatigues les yeux des hommes et elle chasse les anciennes ; mêlée à un doux miel, elle éloigne toute maladie des paupières ; elle supporte difficilement que les hommes ne puissent plus voir d'aimables visages et soient ainsi éloignés de la présence du premier né des immortels, du grand roi au regard oblique. Qu'on la mêle au vin des festins et qu'on la boive, elle éloigne toutes douteurs des parties nobles de l'homme. Je l'ai fortement recommandée au belliqueux Ajax, allant au combat contre l'impétueux Achille ; je lui conseillais de porter en ses mains ce gage certain de la victoire. Mais la valeureuse Minerve excita contre lui la gloire du patient Ulysse : sa destinée ne permettait pas d'écouter mes bons conseils. Il négligea le secours que je lui indiquais et il saisit son épée fatale. Mais toi, réfléchis mieux sur ton sort. Tu sais la merveilleuse puissance de la pierre sanglante contre la race noire des serpents : ordonne donc à tes amis d'adresser des sacrifices aux nymphes naïades. Moi, voulant que mon esclave rapide Dolon fût bien avec mon frère Hector, je lui ai donné volontiers cette pierre céleste. Aussi et il fut plus chéri de mon père et d'Hector qu'aucun des autres Troyens. Lui, désirant me remercier et reconnaître le présent que je lui avais fait, obtint de son père une pierre d'un nom précieux qu'il me donna. Il l'avait rapportée d'Assyrie lorsqu'il avait été envoyé comme député à Memnon ; et là il en avait fait l'épreuve en ma présence et l'avait trouvée bien meilleure que l'or, et, pour l'obtenir, il avait fait des dons infinis aux mages, hommes illustres dans les sciences.
Écoute le récit tout entier : je ne parle qu'après avoir moi-même fait une épreuve. Il faut se rendre d'abord à des autels qui ne soient pas souillés de sang (car il n'est pas permis d'immoler une victime animée ; célèbres-y par des vers le Soleil qui brille au loin et la Terre immense, la Terre aux fécondes mamelles, nourrice de toutes choses. Puis il faut jeter dans le feu qui pétille et faire fondre cette pierre qui par la seule odeur apprivoise les dragons. Ceux-ci, voyant la fumée qui s'élève, se pressent autour de l'autel ; ils sortent en rampant de leurs demeures souterraines et regardent attentivement. Alors trois enfants vêtus de tuniques neuves de lin, portant chacun une épée acérée, doivent saisir le serpent aux taches variées qui alléché par l'odeur rampe le plus près du feu. Toi tu le divises en neuf parties. Offres-en trois au Soleil, trois à la Terre féconde nourricière, trois à Minerve chaste et prudente qui sait l'avenir. Un vase de terre recevra toutes ces portions sanglantes ; tu y joindras l'olive, présent de la fille de Triton. Verse le vin de Bacchus qui excite aux hymnes ; jette du sel blanc sur la nourriture, joins-y du safran âcre et précieux et d'une couleur dorée : et toutes les autres choses qui mêlées aux mets des hommes excitent leur appétit. Pendant que les chairs cuisent dans le ventre du vase, invoque les dieux par leurs noms secrets ; car les dieux se réjouissent quand dans les sacrifices on les appelle par des noms peu connus du vulgaire. Prie-les de chasser la Mégère, qui machine tous les maux des hommes, loin du vase qui bout, et d'envoyer leur esprit saint sur les chairs sacrées. Quand l'instant sera venu où les chairs devront fournir un ample festin à ceux qui désirent se livrer à la joie du banquet, fais faire aux dieux des libations de lait ; joins-y les produits odorants des abeilles. Que la terre couvre les restes du festin ; couronnez vos fronts de rameaux sacrés arrachés à l'olivier, arbre aimé de Minerve. Il ne suffit pas que vous vous environniez dans vos vêtements en revenant dans vos demeures ; mais il ne faut même pas détourner vos regards quoique vous changiez de route, il faut retourner dans vos oraisons, tenant toujours les yeux fixés sur le chemin qui est devant vous. Et ne parlez à personne, quelque voyageur que vous rencontriez, jusqu'à ce que vous ayez regagné voire foyer. Là, faisant de nouveaux sacrifices aux dieux, brûlez plusieurs espèces d'aromates. Moi, quand j'ai accompli de tels mystères, je comprends toutes les choses de l'avenir, tout ce que les bêtes féroces et les cruels quadrupèdes rugissent entre eux.

XVIII

NEURITIS.

Je reconnais aussi les qualités de la neuritis pierre chérie de Bacchus Les immortels écoutent avec plaisir les sacrifices et les prières des hommes qui la possèdent. Si quelqu'un a pressé de son pied nu le dos d'un serpent terrible, que le dard lui ait été enfoncé mortel dans les chairs, la neuritis apaisera ses douleurs. Elle rend un mari l'objet des désirs de son épouse. Pierre divine, utile aux hommes, je sais encore que ta vue est un remède contre la morsure de l'aspic : ta couleur est semblable à celle d'un poireau vert.

XIX

CHABACIOS.

J'ai voulu aussi tenter ta puissance, divin Chabacios et je l'ai éprouvée. Tu nous rafraîchis dans les maladies où la flamme nous dévore et tu nous sers de remède si nous sommes piqués par un scorpion. Fils de Latone, le héros, fils de Péan, m'a dit que toutes ces choses lui avaient été longuement développées. Apollon, irrité contre ma sœur Cassandre, lui ordonna à elle qui savait l'avenir, de l'annoncer aux Troyens qui l'écouteraient. Moi j'ai juré par un grand serment de ne jamais dire une parole fausse aux hommes. Tout ce que je t'ai raconté est donc vrai : tu peux avoir confiance en mes paroles.
C'est ainsi que parla le fils chéri du divin Priam, rendant grâce à l'esclave intrépide d'Hercule. Ces doux entretiens nous adoucirent les fatigues de la route pendant que nous montions au sommet verdoyant de la montagne.


(1) Les pierres, peri lithon, sont des pièces de vers dans lesquelles Orphée chante tour à tour la nature et les propriétés des différentes pierres. Comme détail de médecine et des croyances des anciens, ces énumérations peu gracieuses peuvent offrir quelque intérêt.