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Claudien

PANÉGYRIQUE SUR LE CONSULAT

DE PROBINUS ET D'OLYBRE

 

 


 

PANÉGYRIQUE SUR LE CONSULAT DE PROBINUS ET D'OLYBRE

O toi qui, dans les rênes enflammées de ton char, embrasses l'univers, et roules, infatigable dans ta marche, les siècles renaissants, Soleil, répands sur ce jour un plus brillant éclat : que tes coursiers, fiers de leur longue crinière, redressent le timon, et qu'ils exhalent de leur bouche écumante des flammes de pourpre : que l'année, pour deux frères, renouvelle son cours, et que les mois de leur consulat s'empressent d'éclore.  La famille d'Auchénius, tu la connais ; tu connais aussi les puissants Annius : souvent on t'a vu, sous leurs auspices, reprendre ta marche et marquer de leur nom ta nouvelle carrière. La Fortune, pour eux, ne balance pas ses faveurs incertaines ; mais, oubliant son inconstance, elle se fixe enfin, et, sur toute leur famille, promène également les honneurs. Il n'est point d'homme, issu de cette maison, qui n'ait pour père un consul. C'est par les faisceaux qu'ils comptent leurs aïeux ; toujours le temps rajeunit leur noblesse ; constant dans sa marche et fidèle à ses lois, le destin des ancêtres est celui des neveux. Rome en vain étale d'antiques statues ; en vain elle s'entoure d'illustres sénateurs : il n'est pas de héros qui ose se proclamer leur égal ; mais le premier rang reste aux Auchénius, et le second seul peut être disputé. Telle, dans les régions silencieuses du nord, la lune, reine superbe, efface les flambeaux de la nuit, lorsque , réfléchissant les rayons de son frère, elle brille, rivale audacieuse, de feux empruntés ; alors s'amortit l'éclat du Bootès ; alors l'ardeur du Lion s'éteint. L'Ourse indignée perce par intervalle les ombres dont la couvre le Chariot ; et le pâle Orion voit avec étonnement ses armes ternies et son bras désarmé. Lequel chanterai-je le premier ? Qui ne connaît pas les exploits du vieux Probinus ? ou qui peut ignorer les hautes vertus d'0lybre ? La gloire de Probus vit encore répandue au loin ; elle retentit à toutes les oreilles : gloire immense que ne tairont pas les siècles futurs, et que le passé ne couvrira pas du nuage de l'oubli. La Renommée porte son nom par-delà les mers et leurs lointains rivages, par-delà l'Atlas et ses solitudes : elle l'apprend aux peuples, s'il en est, que nourrissent au milieu des frimas les marais Méotides, ou qui, rapprochés de la zone brûlante, boivent à leur source les eaux du Nil. Il a, par ses vertus, enchaîné la Fortune ; le souffle de la prospérité n'a jamais enflé son âme : que dis-je ? Entourée d'un torrent de délices, son âme savait opposer à la mollesse une inaltérable austérité. Loin de cacher ses richesses dans les entrailles de la terre, et de condamner ses trésors aux ténèbres, plus prodigue que la nue féconde, il aimait à les verser sur des troupes innombrables d'infortunés : on voyait chaque jour ses bienfaits s'épancher, comme une pluie abondante ; le peuple inondait son palais ; il entrait pauvre et s'en retournait heureux. Empressée à répandre l'or, sa libéralité était inépuisable comme les fleuves de l'Ibérie et [1,50] les richesses que le mineur va chercher dans les flancs entr'ouverts des collines, comme les précieuses paillettes que le Tage roule sur son limon grossier, le métal brillant qui embellit les bords de l'Hermus et le sable doré que le riche Pactole rejette en écume sur les guérets de la Lydie. Quand ma bouche retentirait de cent voix réunies ; quand, cent fois multiplié, Apollon s'élancerait de mon sein, pourrais-je dire les exploits de Probus, les peuples confiés tour à tour à sa sagesse, et les dignités auxquelles Rome éleva son mérite, lorsqu'il soumettait à ses lois l'empire des Latins, les rivages de l'Illyrie, les champs que sillonne l'Africain ?Mais les enfants ont surpassé leur père ; et, seuls, ils méritent d'être appelés les vainqueurs de Probus. Pareil honneur ne lui fut pas accordé, quand le premier âge embellissait son front : il ne partagea pas le consulat avec un frère. Vous n'avez point connu les fatigues de l'ambition, qui toujours aspire à s'élever. L'espérance n'inquiète pas votre âme et ne l'attriste pas d'une longue attente : vous commencez où vous deviez finir. À peine quelques vieillards ont atteint vos premiers pas, et vous touchez le terme de la carrière, avant que la fleur de la jeunesse vienne ombrager vos joues, et qu'un léger duvet couvre votre visage. Déesse du Parnasse, éclaire, je t'en conjure, mon ignorance, et dis à quelle divinité ils doivent un si rare avantage. A peine César, par son courage foudroyant a repoussé les Barbares, et livré les Alpes éperdues, Rome, jalouse de témoigner à Probus une reconnaissance égale à ses services, va, par des vœux pour ses enfants, intéresser le cœur du monarque. Soudain la Violence et la Peur, aux cheveux hérissés, attellent les coursiers de la déesse : esclaves vigilantes et sans cesse occupées de combats, elles suivent, haletantes, le vol de leur maîtresse, soit qu'elle porte la guerre au Parthe, soit que, de sa lance, elle aille troubler l'Hydaspe. L'une fixe les roues à l'essieu ; l'autre asservit les coursiers sous un joug de fer, et soumet au mors leur bouche docile. Rome a pris son essor vers ces contrées dont la victoire lui a donné le sceptre. Imitatrice de la chaste Minerve, elle dédaigne à la fois de captiver sa chevelure dans une guirlande et d'enserrer son cou clans un collier, symbole de la mollesse. Son épaule droite est nue, son bras d'albâtre découvert, son sein audacieux exposé aux regards : un diamant réunit les flots épars de sa robe ; le nœud qui, relève son glaive rougit de l'incarnat de la pourpre les lys de sa poitrine ; un air martial, en elle, se marie à la grâce, une fierté sévère prête des armes à son aimable pudeur; et, sur son casque menaçant, s'allonge l'ombre rougeâtre d'un sanglant panache. Chef-d'œuvre du talent de Vulcain, il représente, ici les amours de Mars et les fruits de ses larcins, là le Tibre attendri et la louve nourricière. Le fleuve se dessine sur l'électre, les enfants vivent sur l'or, l'airain reproduit la louve, Mars brille sur le diamant.

[1,100] Déjà Rome a lancé ses coursiers et devancé la rapidité de l'Eurus : les zéphyrs frémissent autour du char, et les roues tracent, dans la nue déchirée, deux sillons de lumière. Rien n'arrête leur vol : le premier élan les porte au terme désiré, à ces extrémités lointaines, où des gorges tortueuses rétrécissent l'entrée des Alpes, où des rocs entassés forment d'inébranlables barrières qui, naguère rebelles à tout autre mortel et destinées à ne s'ouvrir que devant César, ont trahi l'espoir de deux tyrans. Là fument encore des remparts abattus, des tours à demi-renversées ; les cadavres s'élèvent en tas immenses, comblent les vallées et les égalent aux montagnes ; les corps nagent dans une mer de sang, et les ombres se troublent poussées pêle-mêle par la mort. Non loin de là, heureux du succès de la bataille, le vainqueur repose sur un lit de gazon : un arbre prête un appui à ses épaules. La terre, dans l'allégresse, couronne son monarque et les plantes croissent pour préparer sa couche. La sueur fume encore sur ses membres ; sa respiration est encore pressée, et son visage serein brille encore sous le casque. Tel, destructeur meurtrier des Gélons, le redoutable Mars s'étend sur l'Hoemus habité par le Gète. Bellone dresse les dépouilles en trophée ; elle décharge du joug les coursiers poudreux, et couche sur le rivage sa lance immense, qui promène sur l'Hèbre une tremblante lumière. Le nuage s'entrouvre ; Rome paraît aux pieds de Théodose. Trois fois, à son approche, le roc a retenti ; une majestueuse horreur rembrunit la forêt. Le héros la prévient : "Divinité chérie, s'écrie-t-il, auteur sacré de nos lois, ô toi ! qui règnes au loin dans le monde et partages l'empire du maître du tonnerre, parle, quel est le motif de ton voyage ? Pourquoi quitter les palais de l'Ausonie et ton céleste séjour ? Parle : à ta voix, reine de l'univers, j'oserai supporter les ardeurs de la Libye et les vents qui glacent le Sarmate ; à ta voix, je saurai parcourir toutes les contrées, et, bravant les saisons, affronter Méroé dans les chaleurs, lister dans la froidure."Prince illustre, répond la déesse, je sais combien tes armées victorieuses ont souffert pour l'intérêt de l'empire ; je sais que, sous tes armes deux fois triomphantes, ont expiré la fureur d'un esclave et l'audace d'un rebelle. Mais s'il me reste de justes droits à tes hommages, ajoute, je t'en conjure, au don récent encore de la liberté un don nouveau. Il est dans mes murs deux frères au printemps de l'âge, issus d'une race antique, les fils de Probus : au jour fortuné qui les vit naître, je les pressai contre mon cœur, et j'offris un berceau à leur enfance, lorsque Lucine dégagea de ce doux poids le sein de leur mère, et que les astres produisirent ces illustres rejetons. Ils égalent à mes yeux les vertueux Décius, les braves Métellus, les Scipion, heureux vainqueurs de la superbe Carthage, et les Camille, funestes aux Gaulois. [1,150] Ils excellent dans la science des vers, ils brillent par la pompe de leur éloquence : l'oisiveté, le luxe des festins sont pour eux sans attraits : la richesse ne les précipite pas dans les excès, la saison des plaisirs ne dérègle pas leurs mœurs ; mais de grands intérêts leur donnent la gravité du vieil âge ; et la sagesse des vieillards tempère en eux la fougue de la jeunesse. Daigne, je t'en conjure, leur accorder une dignité devenue l'apanage de leur famille, et permets que l'année s'ouvre sous leurs auspices. Non, mes vœux ne sont pas téméraires, ni tes faveurs nouvelles : cet honneur, l'usage le réclame pour leur maison. Pour prix de ce bienfait, puissent l'Araxe, dans la Scythie, nous soumettre ses flots ; les deux rives du Rhin reconnaître nos lois, le Mède mordre la poussière, la cité de Sémiramis redouter nos drapeaux, et le Gange, étonné, baigner des villes asservies aux latins !"Déesse, reprend le héros, mes désirs ont prévenu tes ordres, mes projets ta demande, et la prière, pour l'obtenir, n'était pas nécessaire. Quoi ! l'oubli aurait il à ce point effacé de mon âme le souvenir de Probus, dont le courage a relevé l'Hespérie et les nations abattues ! On verra, dans l'hiver, le Nil abandonner son lit, le daim errer au sein des fleuves, la glace enchaîner le cours de l'Indus, et le dieu du jour, pâlissant encore à la vue des festins de Thyeste, rebrousser du sommet des airs vers l'aurore, avant que Probus perde sa place dans ma mémoire."Il dit ; et déjà cette nouvelle est dans Rome : soudain on entend retentir des chœurs joyeux, et les sept collines, frappées des sept voix de l'écho, répètent de mélodieux applaudissements. L'auguste Proba se livre à l'allégresse, et, d'une main savante, elle prépare la trabée radieuse et la toge brillante, tissues des toisons que le Sère cueille sur les arbres cotonneux, et détache de la feuille chargée de ce moelleux trésor. Le duvet, sous ses doigts, s'allonge en fils déliés qu'elle enduit d'un or épais et ductile. Telle Latone préparait, de ses mains d'albâtre, la pourpre et les vêtements pour ses divins nourrissons, que Délos, enfin immobile, rappelait dans son enceinte nourricière : Diane, quittant les bois sauvages et les solitudes du Ménale, laisse reposer son arc fatigué de triomphes, et Phoebus porte les traits noircis encore du venin de Python expirant. Délosbaise avec amour les pieds des dieux ; Égée, moins ému, leur sourit, et par le calme de ses flots, témoigne son allégresse. Telle Proba revêt ses fils de pompeux ornements, Proba, la gloire de l'univers par ses vertus, de Rome par sa fécondité. On dirait la Pudeur descendue de l'Olympe, on dirait Junon, quand l'encens religieux appelle ses regards sur les temples d'Argos. Jamais l'antiquité n'a consacré dans ses fastes, jamais la poésie, chez les Grecs et les Latins, n'a célébré pareille héroïne; elle mérite la main de Probus : si Probus efface tous les époux, [1,200] il n'est pas d'épouse que n'efface Proba. Les deux sexes rivaux ont formé cette union pour montrer à l'envi leur grandeur. Que le Pélion cesse de vanter l'hymen de la fille de Nérée ! C'est un sein plus fécond qui enfante deux consuls : c'est une mère plus heureuse, qui produit des noms dont s'honorent les années. Le sceptre est à peine dans leurs mains, à peine la toge dorée couvre leurs corps : soudain, du ciel entr'ouvert, Jupiter donne le signal de la joie ; l'éclair roule dans l'espace des feux propices, et le tonnerre, dans les nues qui s'entrechoquent, fait retentir d'heureux présages. Assis au milieu d'un vallon, dans sa grotte profonde, le Tibre entend le bruit et prête une oreille étonnée au fracas qui trouble les airs. Aussitôt il abandonne sa couche jonchée de mousse, de feuilles jaunissantes, et remet aux nymphes l'urne paternelle. À son visage velu, à l'éclat de ses yeux semés de taches d'azur, on reconnaît le fils de l'Océan. Son cou est entouré d'un gazon touffu : sa tête superbe étale une chevelure de roseaux, qui, indestructible au souffle des vents printaniers, et, survivant aux brûlants rayons des soleils de l'été, ombrage le dieu, depuis sa naissance, d'un feuillage immortel : de son front, armé de cornes de taureau, un double ruisseau jaillit en murmurant ; l'eau roule sur son visage, filtre à travers sa barbe, distille sur sa poitrine : un manteau charge ses larges épaules : épouse du fleuve, Ilie, pour le filer dans son palais de cristal, avait fait courir la navette entre les fils transparents. Une île s'étend au milieu du Tibre : c'est l'endroit où le fleuve coule entre deux cités partagées par ses eaux, où ses rives, d'une hauteur égale, s'élèvent en monts sourcilleux. C'est là que le dieu s'arrête ; et, d'une colline, il voit, ô douce surprise ! deux frères étroitement unis dans un cercle de sénateurs, marcher vers le Forum : il voit les haches projeter au loin leurs reflets, et deux fois six faisceaux se montrer sur le seuil de la même demeure. Ce spectacle l'étonne, l'admiration et la joie font taire quelque temps ses transports qui éclatent enfin en ces termes : "0 toi ! gloire de la Laconie, Eurotas, considère si jamais tes bords ont enfanté de pareils nourrissons. Qu'a produit de semblable le dieu trompeur qui prit la forme d'un cygne, malgré l'adresse de ses fils à combattre avec le ceste redouté, et à dérober les vaisseaux à la fureur des tempêtes ? Vois ces jeunes héros qui effacent les astres de Léda ; vois ces habitants de mes rives : déjà, impatient de les posséder, le dieu du jour prépare leur demeure au cercle des signes célestes : Olybre, sur la voûte étoilée, remplacera dans la nuit les feux de Pollux ; Probinus, le flambeau de Castor : ils guideront les voiles, dispenseront les vents, et le pilote promènera son vaisseau sur une mer aplanie. Voici le temps de verser aux dieux des coupes écumantes, et de noyer les soucis dans le divin nectar. Rouvrez, ô naïades ! vos chœurs folâtres et bordez ma source de violettes odorantes. [1,250] Que le miel distille sur les arbres : qu'au lieu de son onde, le fleuve enivré roule des flots de vin, et que les ruisseaux, dans les plaines, exhalent de voluptueux parfums. Volez, invitez au plaisir d'un joyeux banquet les fleuves qui serpentent au pied des montagnes de l'Italie, et boivent dans la saison les frimas des Alpes, le Vulturne impétueux, le Nar chargé de vapeurs sulfureuses, l'Ufens ralenti par de sinueux détours, l'Éridan devenu le triste témoin de la chute de Phaéton, le Liris, qui baigne les chênes de Marice, et le Galèse qui féconde les moissons de l'Oebalie. Chaque année, au sein de mes ondes, rappellera ce jour fortuné ; chaque année, je le célébrerai par de somptueux festins."Il dit : à la voix de leur père, les nymphes, dans le palais, préparent le repas ; les feux de la pourpre et les diamants qui enrichissent les tables éclairent l'humide séjour. Heureuse époque, marquée du nom de deux frères ! Année glorieuse, sous leurs communs auspices rouvre au soleil la carrière des saisons ! Que l'Hiver marche à leur tête, non plus hérissé de glaçons, couvert de neige et de frimas, refroidi par les Autans, mais réchauffé parla tiède haleine du Notus ! Que le Printemps le suive, et qu'à la faveur des doux Zéphyrs, il t'embellisse de fleurs dorées : que l'Été te couronne de moissons, et que l'Automne te pare de savoureux raisins. Sans égale dans les âges écoulés, seule, tu possèdes la gloire, inconnue au siècle de nos pères, d'avoir deux frères pour te guider. La Terre entière proclamera ton bonheur, les Heures graveront sur les fleurs ton nom célèbre, et les fastes immortels le transmettront à la dernière postérité.