CHANT IV (833-fin) - SCOLIES (826-fin)
ARGONAUTIQUES
CHANT IV
SCOLIES
CHANT IV V. 4. De prononcer... — Locum difficilem, dit Merkel avec raison. J'établis ma traduction de ce passage obscur sur l'explication que donne le Scoliaste : «Le sens est: Dis-moi maintenant, toi-même, ô Muse, la peine et les projets de Médée, car je ne sais si je peux dire que c'est à cause de sa souffrance d'amour, ou des mauvais traitements qu'on lui faisait subir, qu'elle a quitté sa patrie en fuyant. » Wellauer dit aussi : « Sensus est : nescio utrum Medeam fugae consilium cepisse dicam lasonis amore commotam an patris metu. » Je ne puis admettre l'interprétation de Beck « utrum ipsum (laborem) malum ingratum, an hoc dicam, fugam indignam». Le poète ne peut se demander s'il va dire ou les peines de Médée, ou sa fuite, puisqu'il parlera de celle-ci et de celles-là. V. 12. Comme une biche légère (κεμάς).— «La κεμάς est une jeune biche. On établit une différence entre la κεμάς et le νεβρός [faon]. Car la κεμάς gîte [κιμωμένη] encore dans la tanière et le νεβρός, déjà plus grand, va chercher sa nourriture au dehors, et paît [νεμόμενος; cette étymologie est contestable : νεβρός vient plutôt de νεαρός, jeune].» (Scol.) La comparaison est inspirée de deux comparaisons homériques (Iliad., XI, v. 414 et suiv. ; XXI, v. 573 et suiv.); dans la deuxième, on trouve aussi l'expression βαθείης ἐκ (au lieu de ἐν) ξυλόχοιοι. V. 18. A sa gorge (λαυκανίκης).— « La gorge, la trachée-artère (ἀρτηρία), par où passe le souffle qu'on aspire.» (Scol.) — «Daremberg : λαυκανίη, comme λαιμός, a deux significations, celle de gosier ou œsophage, et celle de région extérieure du cou. Cette région est nettement déterminée par un passage de l'Iliade (XXII, v. 324-325), où il est dit qu'elle se trouve au point de jonction des deux clavicules. C'est bien la région sus-sternale, ou fossette jugulaire, là où l'on égorge les animaux. Cette région est, en effet, désignée comme très dangereuse par Homère, qui a reconnu aussi qu'elle est en rapport direct avec la trachée-artère. » (Note de Pierron au vers 325 du Chant XXII de l'lliade.) C'est par un mouvement machinal que Médée, étouffée par l'angoisse, porte les mains à sa gorge : « Non putem ad suspendendum ; sed factum sine ipsius consilio; invite plane facit. » (Dübner.) V. 24. Son cœur agité se calmait (πτερόεις... ἰάνθη). — Voir sur le sens de ἰαίνω la note au vers 1020 du Chant III. « Πτερόεις est synonyme de κοῦφος [léger, allégé]. Allégé par ses premiers raisonnements, son cœur change de dispositions et tourne à la joie. » (Scol.) J'aime mieux comprendre : son cœur, agité jusqu'alors, se calme maintenant. V. 25. Dans le coffret (φυριαμοῖο).— Voir, pour ce mot, la note au vers 802 du Chant III. Je comprends comme Brunck : « Confestim e sinu suo medicamenta omnia defudit in arculam. Scilicet extraxerat medicamenta, illnd selectura, quo mortem sibi conscisceret. » 334 V. 52. Dont la puissance est irrésistible (δυσπαπλέας). — « Difficiles et funestes, ou que la terre produit pour le mal (car les racines funestes sont plus nombreuses que les salutaires), ou bien celles qui sont produites avec difficulté. » (Scol.) Hoelzlin traduit par fixas; Shaw, par difficiles avulsu; Beck, par difficiles (nocentes); Lehrs, par difficiles. Ruhnken dit: Intelligo herbas nocentes. Le mot δυσπαλέος signifie contre qui on ne peut lutter, contre qui on lutte avec peine (δυς, πάλη). Je ne pense pas qu'il s'agisse de la lutte nécessaire à la magicienne pour les arracher du sol; il doit être question de la force magique de ces plantes, force à laquelle celui qui lui est soumis ne peut résister. Ce sont les patentes herbae dont Circé a usé (Aen.. VII, v. 19) pour changer les hommes en bêtes. — II est probable qu'ApoIlonios se souvient ici d'un passage des Rhizotomes de Sophocle auquel Macrobe (Saturn., V, 19) fait allusion : « In qua [tragoedia] Medeam describit, maleficas herbas secantem, sed aversam, ne vi noxii odoris ipsa interficeretur. » Les mots vi noxii odoris peuvent éclaircir le sens du mot δυσπαπλέας. V. 54. La déesse fille du Titan. — « Hélios et Séléné sont les enfants du Titan Hypérion et de Théia, comme le dit Hésiode : Thêia enfanta Hélios et la brillante Séléné [Théog., v. 371]. » (Scol.) Ce sont les Titania astra de Virgile (Aen., VI, v. 726). V. 58. Endymion. — « Dans le Latmos, mont de Carie, est une grotte où demeurait Endymion ; c'est aussi le nom d'une ville qui fut nommée Héracléia. [Strabon (543, 12 et suiv.) parle d'Héracléia, petite ville située au pied du Latmos, qui avait d'abord le même nom que la montagne.] Hésiode raconte qu'Endymion, fils de Calycé et d'Aethlios, fils de Zeus, obtint de Zeus ce privilège qu'il fixerait lui-même le moment de sa mort, qu'il mourrait quand il le voudrait. Le même fait est rapporté par Pisandre, par Acousilaos, par Phérécyde, par Nicandre, dans le livre II de ses Étoliques, et par Théopompe, le poète épique. Il est dit, dans les Grandes Éées, qu'Endymion fut enlevé au ciel par Zeus; mais s'étant épris d'amour pour Héra, il fut trompé par l'apparence d'une nuée et précipité dans la demeure d'Adès. Au sujet de l'amour que Séléné éprouva pour lui, Sappho et Nicandre, dans le livre II de l'Europé, rapportent des traditions; il est dit que Séléné descendait dans cet antre, pour aller rejoindre Endymion. Épiménide rapporte que, vivant parmi les dieux, il s'éprit d'amour pour Héra, et que Zeus, irrité, lui ordonna de dormir sans cesse. Ibycos, dans son livre Ier, dit qu'il régna sur l'Élide. D'autres disent qu'il fut, à cause de sa justice, élevé au rang des dieux et qu'il obtint de Zeus de dormir toujours. Les uns disent qu'il était de Sparte, les autres qu'il était de l'Élide. Quelques-uns suppriment le mythe du sommeil d'Endymion. Ils disent qu'aimant à chasser, il chassait la nuit au lever de la lune, car c'est le moment où les bêtes fauves sortent de leurs tanières, pour aller chercher leur nourriture, et qu'il se reposait, pendant le jour, dans une grotte, si bien que certains pensaient qu'il y dormait constamment. D'autres font du mythe une allégorie, disant qu'Endymion est le premier qui se soit occupé de l'étude philosophique des météores, et que la lune, par sa lumière et ses phases, lui en fournit 335 le moyen : aussi, s'occupant de ces spéculations pendant la nuit, il ne dormait pas, mais c'est le jour qu'il se reposait. Quelques-uns disent qu'il y eut réellement un Endymion ami du sommeil, qui a donne lieu à ce proverbe, le sommeil d'Endymion, qu'on applique à ceux qui dorment beaucoup, ou qui agissent avec une telle négligence qu'ils semblent dormir. Théocrite [Idylle, III, v. 49-50] en fait mention, quand il dit : Heureux était cet Endymion, dormant un éternel sommeil. » (Scol.) Le Scoliaste cite à peu près toutes les traditions qui ont rapport à Endymion : Apollodore (I, 7, 5) dit de plus que, fils d'Aethlios et de Calycé, il passa de Thessalie en Élide; Séléné s'éprit de lui, et ayant obtenu de Zeus de choisir le don qu'il voudrait, il demanda une jeunesse éternelle et un sommeil perpétuel. Cicéron fait allusion à Endymion (de Finib., V, 20; Tusc. Quaest., I, 38), et Pline (II, 43) voit en lui le premier astronome qui ait étudié le cours de la lune : l'ardeur qu'il mettait à cette étude aurait donné lieu à la tradition qui fait de lui un amant de la lune. — D'après M. Decharme (Mythol., p. xxv de l'Introduction), le mythe d'Endymion est un de ceux qui s'expliquent le plus aisément: « Endymion (son nom l'indique), c'est le soleil qui disparaît à l'horizon céleste ou qui se plonge dans les flots de la mer, à l'heure même où la lune s'avance dans le ciel. Un gracieux sentiment poétique avait donc inspiré la fable grecque qui représentait Séléné venant embrasser son bien-aimé étendu dans la caverne de Latmos, ou autrement, la Lune caressant de ses rayons la couche mystérieuse du beau Soleil endormi. - Le mythe a été ensuite localisé en Carie et en Elide; dans cette dernière contrée, la légende d'Endymion se mêlait aux généalogies des premiers rois du pays.— Voir Preller, Griech. Mythol., erster Band, dritte Auflage, p. 363-364. V. 59. Par tes habiles incantations. — Voir la note au vers 533 du Chant III. V. 62. Mais voici sans doute... — « D'après l'auteur des Naupactiques, ce n'est pas suivant sa propre volonté que Médée s'en alla, mais elle fut appelée au dehors, alors qu'elle se trouvait dans, sa maison. Car le moment approchait où l'on devait mettre à mort les Argonautes par trahison, quand Aiétés se sentit l'envie d'avoir commerce avec sa femme Eurylyté. Alors Idmon conseilla aux Argonautes de s'enfuir, et Médée s'embarqua avec eux. » (Scol.) Cette scolie, qu'une lacune rend peu claire, est expliquée et complétée par celle qui accompagne le vers 86. — Voir la note à ce vers. V. 66. Ainsi parla la déesse.— Dûbner trouve cette allusion à la légende d'Endymion fort déplacée : «. Pessime hae fabulae mixtae. » M. Girard (Études sur la Poésie grecque, Paris, 1884, p. 334) qualifie d' «étrange discours » ces plaintes de Séléné. V. 80. Du haut du tillac (ἀπ' ἰκριόφιν). — On a déjà vu (note au vers 566 du Chant Ier) que le mot ἴκρια désigne les gaillards soit d'avant, soit d'arrière. M. Cartault (ouvr, cité, p. 50) montre, d'après des figures de navires archaïques qui proviennent de vases antiques, que dans le navire primitif « le gaillard d'avant est plus élevé que le gaillard d'arrière... C'était là un poste de combat favorable, mais de 336 dimensions fort restreintes. » C'est là (ὑψοῦ) que se tenait sans doute Jason, le chef de l'expédition, au moment où il entendit les cris de Médée, et non au gaillard d'arrière, poste du κυβερνήτης. — Nous avons vu (Ch. III, v. 1269 et suiv.) les Argonautes conduire leur navire vers le champ d'Arès. Il ne fallait pas traverser le Phase pour aller de la ville à ce champ, puisque Aiëtès s'y rend en char (Ch. III, v. 1235 et suiv.). Si donc les Argonautes doivent maintenant se rapprocher en ramant du rivage où ils ont entendu les appels de Médée, qui vient de la ville, c'est que, par crainte de quelque surprise, ils ont bivouaqué sur la rive opposée où brillait le feu de joie allumé en l'honneur de la victoire de Jason (v. 68). V. 86. Fuyons... — « Apollonius dit que Médée se réfugia pendant la nuit sur le navire, alors qu'Aiétès réunissait les Colchiens en assemblée pour s'occuper de la perte des héros. Mais l'auteur des Naupactiques dit que, sous l'influence d'Aphrodite, Aiétès, ayant désiré avoir commerce avec sa femme, alla se coucher auprès d'elle. Les Colchiens se couchèrent aussi, après avoir soupé chez le roi qui voulait incendier le navire des Argonautes : Alors, la divine Aphrodite inspira à Aiétès le désir de s'unir d'amour avec sa femme Eurylyté [on sait que l'auteur des Naupactiques nomme ainsi la femme d'Aiétès; voir la note au vers 242 du Chant III] ; car la déesse s'occupait dans son cceur de procurer à Jason le retour vers sa demeure, avec ses compagnons belliqueux. Idmon, ayant compris ce qui se passait, dit : II faut fuir en hâte du palais, au milieu de la nuit noire. Médée, ayant entendu le bruit des pas, se leva et s'enfuit. Hérodore fait le même récit. » (Scol.) Dans la tradition suivie par Apollonios, Idmon est mort depuis longtemps chez les Mariandyniens, tué par un sanglier (cf. Ch. II, v. 815 et suiv.). Voir la note au vers 1372 du Chant III. V. 87. Je vous donnerai la toison d'or. — « Apollonios imagine que, s'étant enfuie de la maison d'Aiétès, Médée promet la toison d'or à Jason. Mais l'auteur des Naupactiques dit qu'elle emportait, en s'enfuyant, la toison qui se trouvait dans la maison d'Aiétès. Hérodore, d'autre part, dit qu'après que les Argonautes eurent quitté leurs campement, Jason fut envoyé par Aiétès vers la toison ; qu'ayant fait cette expédition il tua le dragon et rapporta la toison à Aiétès, qui alors convia traîtreusement les héros à un festin. » (Scol.) V. 103. L'action eut lieu presqu'en même temps que ses paroles. — Apollonios reproduit une expression homérique (Iliad., XIX, v. 242) dont Pierron dit : « C'est évidemment le proverbe ἅμ ἔπος, ἅμ' ἔργον, et le dictum, factum, des Latins. C'est notre aussitôt dit, aussitôt fait. » Brunck disait déjà, à propos du vers d'Apollonios, après avoir cité celui d'Homère : « Ovidius, Metam., IV, v. 549 : res dicta secuta est. Terentio, dictum, factum; Gallis, aussitôt dit que fait. » Le dictum, factum de Térence se trouve dans l'Heautontimoroumenos (V, i, v. 31). V. 111. Aux approches du matin (ἄγχαυρον). — « C'est le moment le plus proche, le plus voisin du jour, c'est comme le crépuscule; cette expression rappelle le vers du poète [Odyss., V, v. 469] : La brise [αὔρη] souffle du fleuve, très fraîche aux approches de l'aurore. » (Scol.) Xénophon (Cynégétique, IV et V) dit qu'il faut se mettre en chasse 337 dès l'aube du jour; la rosée et les grandes pluies dissipent l'odeur de la trace du gibier. En été, cette odeur est très peu marquée, parce que la terre, alors échauffée, dissipe les émanations déposées par l'animal. V. 119. L'Aiolide Phrixos. — « Denys, dans ses Argonautiques, dit que le pédagogue de Phrixos, qui se nommait Crios, s'étant aperçu le premier des embûches que sa marâtre lui préparait, persuada au jeune homme de fuir : comme il fut ainsi sauvé, grâce à lui, la tradition se répandit que Phrixos avait été sauvé, porté jusqu'en Colchide par un bélier (ἐπὶ κριοῦ). » (Scol.) — Voir les notes au vers 1144 du Chant II. V. 131. Loin de la Titanienne Aia. — « Ératosthène, dans ses Géographiques, fait mention du fleuve Titan, qui donne son nom à la terre Titanienne. Le Lycos, fleuve qui s'éloigne de l'Araxe, se joint au Phase et se jette ainsi dans la mer, après avoir perdu le nom qui lui était propre... L'Araxe est un fleuve de Scythie. Métrodore, dans le livre Ier de son ouvrage sur Tigrane, dit que le Thermodon se nomme aussi Araxe. Le poète appelle Caucasienne la mer Caspienne, parce qu'elle est voisine du Caucase.» (Scol.) Strabon (476, 32, etc.) mentionne un fleuve Lycos qui coule en Arménie et se jette dans l'Iris. Il faut le distinguer du Lycos de Bithynie, cité au vers 724 du Chant II, malgré cette note étonnante de l'Index de l'édition Didot : « Λύκος, Bithyniae amnis (II, 724), qui cum Phaside confluit (IV, i32). » Je ne trouve le fleuve Titan de Colchide cité nulle part : peut-être est-ce le même que le Gyénos ou Tyénos mentionné par Scylax (Peripl., § 81; voir les notes à la page 61 du volume Ier des Geogr. Graec. Min.). Pline (N, H., V, 121) parle d'un fleuve Titanus en Eolide : «Titanus amnis et civitas ab eo cognominata fuit. » Le Phase et l'Araxe sont bien connus; mais on sait que le Lycos se jette dans l'Iris et non dans le Phase. Peut-êtce doit-on voir une allusion à la tradition géographique rapportée par Apollonios dans ce passage d'Ovide (Met., XV, v. 273) :
Sic ubi terreno Lycus est epotus hiatu, Pline (N. H., II, 225) dit aussi : « Subeunt terras rursusque redduntur Lycus in Asia, Erasinus in Argolica... » — A propos de la Titanienne Aia, Dûbner dit : « Sine dubio a fluvio aliquo, nullo modo a Prometheo. » Aia ne tire son surnom ni de Prométhéc, ni du fleuve inconnu que cite Ératosthène, mais de l'origine titanienne de son roi Aiétès, petit-fils du Titan Hypérion. V. 136. Les femmes nouvellement accouchées. — On connaît l'imitation que Virgile (Aen., VII, v. 513 et suiv.) a faite de ce passage. Brunck remarque qu'Apollonios lui-même s'inspire d'un chœur des Troyennes d'Euripide (v. 559 et suiv.). V. 146. Hypnos... le plus puissant des dieux. — Héra, dans Homère (Iliad., XIV, v. 233) appelle Hypnos le roi de tous les dieux et de tous les hommes. V. 156. Au moyen d'une brandie de genévrier. — « Le récit du poète est d'accord avec celui d'Antimaque; Phérécyde, dans son livre VII, dit que le dragon fut tué par Jason. Le genévrier est un arbuste 338 épineux, consacré à Apollon, comme il est dit dans le livre III des œuvres attribuées à Musée. » (Scol.) Pline (N. H., XXIV, 64) parle des vertus du genévrier pour se débarrasser des serpents : « lunipirus... et huius duo genera... Utraque accensa serpentes fugat... Sunt qui et perunguant corpus e semine eius in serpentium ictus. » V. 168. Au-dessus de l'étage supérieur de la maison (ὑπωροφίου θαλάμοιο). — Le mot ὑπωρόφιος (ὑπό, ὀροφή) signifie qui est sous le toit : il s'agit donc de la chambre haute où se tiennent les femmes; l'adjectif va fort bien avec le substantif θάλαμος, et Merkel semble avoir fait une heureuse conjecture en le mettant au génitif, alors que les mss. et la plupart des éditions qui ont précédé la sienne avaient ὑπωρόφιον, qui se rapporte assez mal à propos à la lumière de la lune. D'après les mss. de Paris, Brunck écrivait ὑπωρόφιος et il expliquait : Refertur ad παρθένος. Beck adopte cette leçon, quod admodum friget, suivant Wellauer qui reprend ὑπωρόφιος. — On peut rapprocher cette comparaison de celle du Chant Ier v. 776 et suiv. V. 175. Biches achainéennes.— « Achaia est une ville de Crète où naissent les biches dites achaïnécnncs. » (Scol.) Cette explication me semble inadmissible : d'abord les géographes anciens ne citent pas en Crète de ville nommée Achaia; Pline (N. H., VIII, 228) dit formellement qu'il n'y a de cerfs en Crète qu'aux environs de la ville de Cydonia : « In eadem insiua [Creta] cervos praeterquam in Cydoneatarum regione non esse. » Ensuite, si le nom de ces cerfs venait d'une ville, ce serait un nom connu généralement, et les chasseurs ne seraient pas les seuls à le leur donner. Il faut donc admettre que ce mot appartient à leur vocabulaire spécial. Hardouin dit à ce propos : « Nimis diffusa oratione usus, Scaligero post Dalccampium, Plinius videtur, nec satis vera, qui ad universum genus transtulerit quod de Achainis tantum appellatis Philosophus scripsit, Histor. Anim., lib. Il, cap. xviii, p. 253 : Τῶν δ' ἐλάφων αἱ Ἀχαιναὶ καλούμεναι δοκοῦσιν ἔχειν ἐν τῇ κέρκῳ χολήν. Quod et Antigonus, Histor. 76, p. 66, repetit totidem fere verbis. Sed existimavit is nimirum gentile id loci alicujus nomen esse, non aetatis : impulsas in fraudem fortassis ab Apollonii Scholiaste, ita scribente... Verum nugari grammaticulum constat ex ipso Apollonii carmine quod interpretatur : ubi non ab alicujus regionis indigents cervo id nominis inditum, sed a venatoribus ipsis, unde unde illi fuerint, testatur... Cervum juvenculum ea vox sonat. » (Ad Plin. N. H., XI, 192.) Dans ses Plin. Exercit. (p. i56), Saumaise fait venir ce mot de ἄχαια, lanae molles; par suite, ἀχαιινέη ἔλαφος est une biche cui tenera adhuc cornua et mollis ad instar velleris lanuginosa. On peut douter de cette étymologie, adoptée par Beck et par Lehrs, qui traduisent: « achaeineam (mollibus pilis insignem) ». Dübner, qui repousse l'explication du Scoliaste, admet que ce terme désigne les biches à un âge déterminé : « Nam saepius ita vocatur cervus certae aetatis. » Mais il me semble indispensable de rendre tel quel le mot ἀχαιινέτην, sans tâcher de le traduire en français, puisque Apollonios lui-même nous dit que c'est un terme propre au vocabulaire des chasseurs. V. 177. Le sol resplendissait. — « Beaucoup d'auteurs ont dit que la toison était d'or; Apollonios les suit. Simonide dit tantôt qu'elle est 339 blanche, tantôt qu'elle est couleur de pourpre. » (Scol.) Voir la note au vers 1141. V. 185. Chacun s'élança. — Dabner trouve tout ce tableau parfaitement inutile : « Sequentia plane superflua. » V. 201. Tenant dressés devant eux les boucliers en peau de bœuf. — « Naturellement on songea d'abord à défendre la partie du corps des rameurs qui dépassait le plat-bord au moyen des boucliers des combattants. C'est la manœuvre qu'ordonné Jason dans le navire Argo : Que dans tout le vaisseau un homme sur deux prenne place sur les bancs et manie l'aviron; que les autres les couvrent en présentant à l'ennemi leurs boucliers de cuir qui arrêtent les traits, et assurent ainsi notre retour. Un joli modèle de navire en terre cuite de style italo-grec, trouvé à Ardée et exposé au Musée du Louvre, nous montre précisément tous les boucliers rangés le long du bord qu'ils exhaussent, de façon à préserver au besoin l'équipage dans un combat naval. Il fournit ainsi comme une illustration toute naturelle du passage qui nous occupe. » (Cartault, ouvr. cité, p. 61.) — C'est ainsi que le groupe célèbre de Polyclète, les Astragalizontes, fournit une illustration toute naturelle des jolis vers où Apollonios montre Ganymède et Éros jouant aux osselets. Voir la note au vers 114 du Chant III. V. 208. Les amarres qui retenaient le navire du côté de la poupe. — «Y avait-il manque de temps ou danger à courir pour larguer les amarres, on coupait les câbles à bord. Ce procédé fut employé par Ulysse poursuivi par les Lestrygons (Odyss., X, v. 126). » (Vars, ouvr. cité, p. 147.) Homère emploie pour montrer Ulysse coupant les amarres avec son épée les expressions mêmes qu'ApoIlonios reprend, et que Virgile traduira en latin. Cf. Aen., IV, v. 379:
Dixit vaginaque eripit ensem V. 210. Il alla... se placer, pour l'aider...— Je traduis ainsi le verbe παρέβασκε dont le sens est très fort. Cf. Pierron, note au vers 104 du Chant XI de l'Iliade: « Παρέβασκε ne signifie pas seulement qu'Antiphus était monté à côté d'Irus, mais qu'il combattait du haut du char. » Le παραιβάτης est, en effet, le guerrier qui se place pour combattre à coté du conducteur. Jason se place à coté du pilote Ancaios pour l'assister, et pour combattre au besoin. V. 213. Une immense branche de pin. — « II s'agit de la torche qu'il porte pour incendier le navire. Apollonios dit qu'Aiétès partit en vain, monté sur son char qu'Apsyrtos conduisait; Denys de Milet dit qu'ayant atteint le navire, le roi en vint aux mains avec les héros et tua l'Argien Iphis, frère d'Eurysthée [Argonaute qui n'est pas mentionné par Apollonios], mais qu'il perdit beaucoup d'hommes de son côté. Phérécyde, dans son livre VII, dit que, sur l'ordre de Jason, Médée enleva de son lit Apsyrtos qui était un petit enfant et l'emporta vers les Argonautes; puis, quand ils furent poursuivis, ils l'immolèrent et le jetèrent coupé par morceaux dans le fleuve. Sophocle, dans Les Scythes, dit qu'Apsyrtos était né d'une autre mère que Médée [voir le vers 242 du Chant III] : Ils ne sont pas nés du même lit; celui-ci, fils 340 d'une Néréide, grandissait, tout jeune encore; elle, la jeune fille, était née depuis plus longtemps de l'Océanide Eidyia. » (Scol.) V. 228. Le roi, sous le coup d'un malheur. — Les scolies de ce vers complètent celles du vers 223. « Denys de Milet dit qu'Aiétès poursuivit les Argonautes. Les héros lançaient leurs javelots; Aiétès et ses compagnons étaient sur des chars. C'est là que mourut Iphis, fils de Sthénélos... Sophocle, dans Les Colchiennes, dit qu'Apsyrtos fut égorgé dans la maison d'Aiétès. » V. 231. Soumise à son pouvoir (αὐτάγρετον). — II semble assez difficile de déterminer avec précision le sens du mot αὐτάγρετος qui ne se trouve qu'une fois dans Homère (Odyss., Ch. XVI, v. 148), où il signifie soumis au libre choix de chacun, qu'on peut choisir soi-même. Ici Shaw traduit ce mot par ultro oblatam, les autres interprètes par captam. Hoelzlin précise : captam solum, sine caede, vulnere. Flangini, qui pense que le mot vient de αὐτός; et de ἄγρα (capture), dit qu'il signifie statim ab ipsa, captura, tal qual è presa, appena presa. — Aiétès demande qu'on remette la jeune fille en son pouvoir, à sa discrétion ; qu'elle redevienne sa chose. Il ne s'agit pas de la prendre sans blessure ou de la lui livrer aussitôt prise, mais de la remettre entre ses mains. V. 247. Mais ce sacrifice... — « Le poète veut indiquer par là qu'elle célébra un sacrifice à la manière des magiciennes. Nymphis, dans le livre VI de son ouvrage sur Héraclée, dit qu'il y a, en Paphlagonie, un temple d'Hécate que Médée fit construire.» (Scol.) V. 239. Il y a pour la navigation une autre route. — « Hérodore, dans ses Argonautes, dit qu'ils passèrent par la même mer par laquelle ils étaient venus en Colchide. Hécatée de Milet dit qu'ils allèrent du Phase à l'Océan, de là ensuite au Nil, d'où ils arrivèrent à notre mer. [Cette aflirmation est contredite par la scolie au vers 284 : Hésiode dit que du Phase ils entrèrent en mer; Hécatée, qui le réfute, raconte que le Phase ne se jette pas dans la mer, qu'ils ne naviguèrent pas par le Tanaïs, mais qu'ils revinrent par le même chemin qu'ils avaient pris à l'aller, comme Sophocle le rapporte dans Les Scythes.] Artémidore d'Ephèse dit que c'est faux, car le Phase qui descend des montagnes ne se jette pas dans l'Océan; Ératosthène, dans le livre III de ses Géographiques, est du même avis. Timagète, dans le livre Ierde son ouvrage sur les ports, dit que le Phase descend des monts Celtiques, situés dans la Celtique, et se jette dans un marais des Celtes; puis il se partage en deux fleuves dont l'un va au Pont-Euxin, l'autre à la mer Celtique : c'est sur ce dernier que les Argonautes naviguèrent pour arriver en Tyrrhénie. Apollonios suit Timagète. Hésiode et Pindare, dans ses Pythioniques [IVe Pythique, v. 23 et suiv.], et Antimaque, dans sa Lydé, disent que les héros arrivèrent par l'Océan en Libye; là, ayant porté à force de bras le navire Argo, ils parvinrent dans notre mer. » (Scol.) Je n'essaierai pas de mettre d'accord toutes ces traditions contradictoires; je me borne à les citer. M. Decharme dit fort bien (Mythol., p. 613): «Les Argonautes, pour rentrer dans leur patrie, suivent un itinéraire tout de fantaisie, qui varie d'Hésiode à Pindare, de Pindare à Apollonius, et qui, comme celui d'Hercule, revenant du pays des Hespérides, s'est modifié succes- 341 sivement, en même temps que s'étendaient et se développaient les connaissances géographiques des Grecs. » V. 260. Thèbes la Tritonienne. — Dübner : « Τρίτων, vetustissimum Nili nomen; cf. v. 269. » Pline (N. H., V, 54) dit aussi que le Nil a été connu sous le nom de Triton. Lycophron (v. 119) parlait du Triton, et Tzetzès explique eu surnom du Nil par ces trois changements successifs de dénomination : Τρίτων, ὁ Νείλος, ὅτι τρὶς μετωνομάσθη. — Voir la fin de la note au vers 269. V. 261. Tous ces astres... — Ce vers semble imité du vers 485 du Chant XVIII de l'lliade. V. 262. La race sacrée des Danaens. — « Beaucoup d'auteurs disent que les Égyptiens sont les plus anciens des peuples. Hérodote [II, 2] dit que ce sont les Phrygiens. Mosmès, dans le livre Ier de ses Égyptiaques, et Léon, dans le Ier des livres à sa mère [à la mère d'Alexandre, suivant Müller, Fragm. Hist. Graec., Didot, vol. II, p. 331], et Cnossos, dans le livre Ier de ses Géographiques, disent que les Egyptiens étaient le plus ancien de tous les peuples de l'Asie. Nicanor, disant que Thèbes fut la première ville fondée en Egypte, est d'accord avec Archémaque dans ses Métonomasies [changements de noms]. Il semble, au dire de Xénagoras, dans le livre Ier de ses Époques [Χρόνων], que, tout d'abord, Thèbes ait été fondée en Egypte. Hippys dit que, les premiers, les Égyptiens ont compris la constitution de l'air, et que l'eau du Nil est très féconde. Apollonios dit qu'ils sont nés avant que tous les astres aient fait leur apparition : c'est qu'ils paraissent avoir connu la nature des astres et leur avoir donné des noms. Ils saluaient les douze signes du Zodiaque du nom de dieux qui président aux conseils, et les planètes, du nom de dieux qui portent les sceptres [insignes des juges]. Hérodote [II, 2] dit que les Phrygiens sont le plus ancien des peuples. Psammiticos, roi des Égyptiens, voulant savoir quel peuple était né de la terre, confia deux enfants nouveau-nés à un berger en lui recommandant de ne leur faire entendre aucune parole et de se borner à les faire allaiter par une chèvre. Les années s'étant passées, le premier mot que ces deux enfants prononcèrent fut le mot bécos: or, c'est ainsi que pain se dit en Phrygie. On reconnut d'après cela que le peuple des Phrygiens était né de la terre. D'autres assurent qu'il y a sottise à faire cette supposition. Car les enfants, ayant entendu les moutons crier bléc [βληχομένων], essayèrent, poussés par une influence naturelle, d'articuler ce mot.» (Scol.) Dans ses notes au chapitre 2 du livre II d'Hérodote, Larcher dit à ce propos : « Ces entants prononcèrent, suivant toutes les apparences, le mot bec, qui est le cri des chèvres, comme le prétend le Scoliaste d'Apollonius de Rhodes; os étant une terminaison particulière à la langue grecque. » C'est à cette tradition que se rapporte le mot βεκκεσέληνος; qu'on lit au vers 398 des Nuées d'Aristophane. Le Scoliaste du poète comique raconte à ce propos l'histoire de Psammiticos, à peu près dans les mêmes termes que celui d'Apollonios. (Voir Scholia in Aristoplianem, édit. Didot, p. 101- 102, et Adnot. in Schol., p. 431.)— Pour les connaissances astronomiques des Égyptiens, voir Hérodote (II, 4), Strabon (693, 27 et suiv.), Diodore de Sicile (I, 50), etc. — Les Danaens sont les habitants 342 d'Argos primitivement appelés Pélasgiotes et qui reçurent, dit-on, leur nouveau nom de l'Égyptien Danaos (cf. Euripide, édit. Didot, Fragm. 227). C'est avec intention que le fils de Phrixos désigne les Hellènes en général par le nom de Danaens, pour rappeler qu'ils ont été civilisés et dominés par un roi venu d'Egypte. C'est une tradition bien connue que les Grecs tiraient leur origine d'Egypte. «On fit de Danaùs un personnage égyptien, quoique son nom accuse une origine essentiellement grecque. Ce roi est une personnification du sol aride de l'Argolide, τὸ δαναὸν Ἄργος. » (Maury, Histoire des Religions de la Grèce antique, vol. I, p. 234.) V. 263. Les Arcadiens Apidanéens. — « II n'y avait encore, dit-il, que les Arcadicns, les plus anciens des Hellènes. C'est d'Apis, fils de Phoroneus, que les Péloponésiens se nomment Apidanéens. Les Arcadiens semblent être nés avant la lune, comme le dit Eudoxe dans sa Description du circuit de la terre. Théodore, dans son livre XXII, dit que la lune a paru un peu avant la guerre d'Héraclès contre les géants. Aristias de Chios, dans ses Fondations [Κτίσεσι], et Denys de Chalcis,dans le livre Ier de ses Fondations, disent que les Arcadiens sont Sélénites. Mnaséas dit que Prosélénos régna sur les Arcadiens. Aristote, dans sa Constitution des Tégéates, dit que l'Arcadie fut habitée par des barbares qui furent chassés par les Arcadiens; ceux-ci les avaient attaqués avant que la lune se fût levée, d'où leur nom de Prosélénites. Douris, dans le livre XV de ses Macédoniques, dit qu'Arcas, qui donna son nom à l'Arcadie, était fils d'Orchomène, d'où vient le nom d'Orchomène, ville d'Arcadie. Certains disent qu'Endymion découvrit et calcula le cours de la lune, d'où le nom de Prosélénites donné aux Arcadiens. Quelques-uns rapportent cette découverte à Typhon; Xénagoras l'attribue à Atlas. » (Scol.) On sait que les Arcadiens passaient pour être les plus anciens des Hellènes (cf. Strabon, 333, 20, etc.). Hellanicos (Fragm. 77, Hist. Graec. Fragm., Didot, vol. Ier) dit qu'ils étaient autochtones (cf. Pausanias, V, i). Apis, fils de Phoroneus, est cité par Apollodore (I, 7, 6; II, i, i) : il est la personnification du Péloponèse, appelé anciennement Ἀπιὰ γῆ, la terre des fruits (cf. Maury, ouvr. cité, vol. I, p. 222). Voir la note au vers 1564. V. 266. Les illustres fils de Deucalion.— «Les descendants de Deucalion régnèrent sur la Thessalie, comme disent Hésiode et Hécatée. La Thessalie se nommait Pélasgie, de Pélasgos qui y avait régné.» {Scol.) Pour Deucalion, voir la note au vers 1086 du Chant III; pour Pélasgos, voir la note au vers 580 du Chant Ier. V. 267. L'Eéria (Ἠερίη).— Merkel écrit le premier, avec une majuscule initiaje, eu mot qui ici désigne évidemment l'Egypte, et que les éditions écrivent ἠερίη (nigra, dans les traductions latines). Mais, dans la note au vers 580 du Chant Ier le Scoliaste disait qu'à cause de sa terre noire on nommait l'Egypte Ἠερία (τὴν Αἴγυπτον Ἠερίαν φασίν). Que ce soit à cause de sa terre noire ou pour un autre motif, il est certain que l'Egypte a porté autrefois ce nom. Cf. Aulu-Gelle, XIV, 6 : « Quibus urbibus regionibusque vocabula iam mutata sint, quod Boeotia ante appellata fuerit Aonia, quod Aegyptus Aeria...» Il est naturel qu'Apollonios, qui rend au Nil son vieux nom de Triton, rende à 343 l'Egypte son vieux nom d'Ééria. Wcllauer, qui conserve dans son texte la leçon ἠερίη, dit cependant fort bien : « Mihi quidem... littera majuscula Ἠερίη scribendum videtur, quod antiquum Aegypti nomen fuisse testantur Etymol. M. v. ἠερίη, Hezych. et Steph. Byz. s. v. ἀερία, sive ab ἀήρ, sive ab Aeria, Aegypti matre, v. Steph. Byz. s. v. Αἴγυπτος;. Ejusmodi nomine uti decuit poetam eruditionis speciem prae se ferentem, eoque usum esse eo verisimilius est quod et Nili antiquissimo nomine Triton utitur. » Le chœur des Suppliantes d'Eschyle dit (v. 75) s'être enfui ἀερίας ἀπὸ γᾶς : peut-être faudrait-il écrire Ἀερίας. V. 269. Et le fleuve Triton. — Voir la note au vers 260. « Au sujet de la production du Nil, les anciens ont eu des opinions diverses. Anaxagore dit qu'il se gonfle de la fonte des neiges. Euripide le suit, disant : Ce sont ici les eaux virginales du Nil... Grâce à la fonte de la neige blanche, il arrose le sol [Hélène, v. i et 3]. Eschyle et Sophocle ont aussi supposé qu'il y a au-dessus de l'Egypte des contrées couvertes d'une neige qui, lorsqu'elle se fond, se déverse dans le Nil. Nicagoras dit qu'il coule des pays situés en face. Démocrite le physicien dit que le Nil prend sa source dans la mer située bien loin au midi et que son eau s'adoucit par la longue distance qu'elle parcourt, et qu'elle est amollie et comme cuite par l'ardeur du soleil; aussi le goût en est-il spécial. Aristias de Chios dit qu'en hiver, le soleil, étant sous la terre, en fait sortir l'eau; mais que, pendant l'été, se trouvant au-dessus de la terre, il ne le fait plus, car elle est trop échauffée; aussi, c'est quand la terre est amollie qu'elle produit le plus d'eau. Éphore dit que le sol de l'Egypte est élevé par le limon du fleuve, et qu'au printemps, ouverte par les rayons du soleil, la terre répand l'eau au dehors et fait gonfler le Nil. [Voir pour cette opinion d'Ephore les fragments de cet historien réunis à la page 203 du vol. Ier des Fragm. Hist. Graec., Didot.] Thalès de Milet dit que les nuages, resserrés contre les monts d'Ethiopie par l'action des vents Etésiens, y éclatent. Aussi, quand les vents, s'abattant sur la mer, soufflent en face du fleuve, par suite de la crue des eaux qu'ils amènent, le Nil subit des inondations. Diogène d'Apollonie dit que l'eau de la mer est ravie par le soleil qui la transporte dans le Nil : il pense que le Nil se remplit en été, parce que le soleil y déverse toute l'humidité qui vient de la terre. Le Nil se nommait d'abord Triton : il a, au dire d'Hermippos, reçu son nouveau nom de Neilos, le Cyclope, fils de Tantale, qui régna sur le pays fou : de Neilos, fils du Cyclope, fils de Tantale]. » (Scol.) Hérodote (II, 19 et suiv.) cite et réfute d'avance à peu près toutes les opinions sur l'origine du Nil, énumérées dans cette scolie. Diodore de Sicile (voir aussi la note au vers 1248 du Chant II) donne d'autres renseignements qu'Hermippos sur ce Neilos ou Neileus, roi légendaire d'Egypte : c'est en reconnaissance des nombreux canaux creusés par ce roi que la postérité aurait appelé de son nom le fleuve précédemment nommé Aigyplos (Diodore, I, 63). Il faut remarquer que Diodore ne mentionne pas le nom de Triton parmi ceux que le Nil a reçus successivement : le fleuve se serait nommé d'abord Océanès, puis, à cause de son impétuosité, Aétos (l'Aigle), ensuite Aigyptos, du nom d'un roi du pays, et enfin Neilos, du nom du roi Neileus (Diodore, I, ly). Le Nil se serait aussi appelé 344 Mélo (Servius, ad Georg., IV, v. 292). Je ne sais où le Scoliaste a pris la tradition qui fait du roi égyptien Neilos le fils d'un Cyclope nommé Tantale ou un Cyclope fils de Tantale. J'aimerais mieux, au lieu de Νείλου τοῦ Κύκλωπος τοῦ Ταντάλου, lire τοῦ Πέλοπος, Neilos,fils de Pélops, le fils de Tantale. — Quant au fleuve Nil, les écrivains grecs l'ont fait entrer de bonne heure dans leurs généalogies divines. Ainsi, Phérécyde (scolie au vers 1186 du Chant III) dit qu'Agénor, ayant épousé Argiopé, fille du Nil, eut d'elle Cadmos. Apollodore parle de deux tilles du Nil, Memphis et Anchirroé, qui furent épousées, l'une par Épaphos et l'autre par Bélos (II, i, 4). V. 272. C'est de là qu'un homme partit. — « Sésonchosis [nommé par Hérodote et par Strabon Sésostris, et par Diodore de Sicile, SésoosisJ] roi de toute l'Egypte après Horos, fils d'Isis et d'Osiris, se jeta sur l'Asie qu'il bouleversa tout entière, ainsi que la plus grande partie de l'Europe. Hérodote parle de lui avec beaucoup de précision [II, 102 et suiv.]. Théopompe, dans son livre III, lui donne le nom de Sésostris. Hérodote dit en outre que, chez les peuples qu'il avait soumis par la guerre, il élevait des colonnes où il inscrivait comment il les avait vaincus. Quant à ceux qui s'étaient rendus, il ajoutait sur ces colonnes l'image des parties naturelles de la femme, symbole de leur lâcheté. [Diodore (I, 55} dit qu'il faisait aussi représenter sur ces colonnes, pour les peuples guerriers, les parties sexuelles de l'homme, afin d'indiquer, par cette partie importante du corps, le caractère de chaque nation.] » (Scol.) V. 276. Il s'est écoulé depuis lors une longue suite d'années. — « Apollonios dit que cette longue suite d'années s'est écoulée depuis le temps de Sésonchosis. Dicéarque, dans son livre Ier, dit qu'il établit des lois pour empêcher que personne de ses sujets ne quittât le métier paternel; car il supposait que c'était le commencement de l'ambition. C'est lui le premier, dit-on, qui a imaginé de faire monter les hommes à cheval; d'autres disent que c'est Horos et non Sésonchosis... Certaines villes, en effet, ont disparu; d'autres ont changé de nom, et l'on ne sait plus par qui elles ont été fondées : c'est le temps qui en est cause. Dicéarque, dans son livre Ier dit que Sésonchoisis fut roi après Horos, fils d'Isis et d'Osiris. De Sésonchosis au règne de Neilos, il y a deux mille cinq cents ans; du règne de Neilos à la prise d'Ilion, il y en a sept; de la prise d'Ilion à la Iere Olympiade, quatre cent trente-six; en tout deux mille neuf cent quarante-trois.» (Scol.) Diodore de Sicile (I, 63) cite le roi Neilos comme bien postérieur à Sésostris, mais il ne donne aucune date. V. 277. Mais Aia subsiste encore aujourd'hui. — « II dit qu'Aia reste intacte depuis le t.nips de Sésonchosis, ainsi que les descendants de ceux qui y avaient été établis par Sésonchosis. C'est par catachrèse qu'il les appelle υἱωνοί, comme on nomme Héraclides non seulement les fils d'Héraclès, mais les fils de ses Descendants, ceux mêmes qui se sont établis en Scythie Les Colchiens descendent des Égyptiens, comme le dit Apollonios; Scymnos, dans son livre sur l'Asie, dit aussi que les Colchiens sont une colonie d'Egyptiens. Hérodote, dans son livre II, rappelle qu'ils pratiquent la circoncision, qu'ils tissent le lin 345 et qu'ils usent des lois des Egyptiens. Philostéphane dit qu'il est de petites îles sur le Phase et qu'Aia se trouve dans l'une d'elles. » (Scol.) Hérodote s'étend beaucoup, dans les chapitres 104 et 105 du livre II, sur les traits de ressemblance que l'on peut remarquer entre les usages des Egyptiens et ceux des Colchiens. Il admet que les Colchiens sont d'origine égyptienne. Strabon (51,7) dit que, parmi les migrations les plus célèbres, on cite celles des Egyptiens vers l'Ethiopie et la Colchide. Il rappelle les diverses preuves invoquées à l'appui de leur opinion par les auteurs qui veulent faire croire à l'existence d'un lien de parenté entre les Colchiens et les Égyptiens (427, 35 et suiv.), mais il ne semble pas partager cette opinion. Diodore de Sicile (I, 28) dit aussi que les Colchiens du Pont descendent des colons égyptiens : il explique ainsi l'origine de la circoncision, coutume qui aurait été importée en Colchide par les Égyptiens. Cette tradition d'une colonisation de la Colchide par les Égyptiens, très ancienne et très répandue, est encore rappelée par Ammien Marcellin (XXII, 8, 24) : « Colchos... Aegyptiorum antiquam subolem. » Voir aussi Denys (Perieg., v. 689) et les imitations en latin d'Aviénus (v. 874) et de Priscien (v. 671). V. 280. Des colonnes (κύρβιας). — « On appelle κύρβεις dit Ératosthène, ce qu'on nomme à Athènes les axones [ἄξονες], où l'on écrit les lois, comme dit Aristophane, le poète comique. Apollodore dit qu'on appelle κύρβις toute action publique, toute loi, parce que les anciens avaient coutume d'ériger des pierres pour y inscrire leurs décrets; ces pierres, ils les nommaient, soit stèles [στήλας] à cause de leur stabilité [ἀπὸ τῆς στάσεως], soit à cause de leur élévation en hauteur, κύρβεις, synonyme de κύρφεις : car elles s'élevaient en pointe [κεκορυφῶσθαι]. Plus tard, ils conservèrent le même nom aux tables de bois peintes en blanc où ils écrivaient les décrets. La κύρβις est donc destinée à recevoir des inscriptions sacrées. » (Scol.) La citation d'Apollodore se trouve à peu près textuellement dans les scolies au vers 448 des Nuées d'Aristophane. D'ailleurs, ce passage est reproduit par divers auteurs de scolies ou de commentaires avec des variantes plus ou moins importantes. (Voir Hist. Graec. Fragm., Didot, vol. 1er, p. 432 : on y trouvera un certain nombre d'étymologies qui ont été proposées du mot κύρβις) — Quant au passage d'Aristophane auquel le Scoliaste d'Apollonios fait allusion, c'est le vers 1354 des Oiseaux : «Cette loi antique se trouve dans les κύρβεις des cigognes. » — Il semble assez difficile de décider s'il faut traduire ici κύρβεις par colonnes ou par tables; Hoelzlin admet également les deux interprétations : Tabulae scilicet geographicae, aut columnae lapideae. Il adopte columnas dans sa traduction latine; Shaw admet tabulas; Beck et Lehrs, cippos. Je crois qu'il faut traduire le mot κύρβεις; par colonnes puisque c'est le sens le plus ancien qu'il ait eu, avant de désigner les tables de bois peintes en blanc où l'on écrivait les décrets. V. 282. Bras (κέρας) extrême de l'Océan. — « On donne le nom de κέρατα à tous les fleuves qui sortent de l'Océan lui-même. L'Ister est un fleuve de Scythie. Le sens est : Ils ont fait connaître par des signes certains un fleuve situé bien loin d'eux, et dont ils savaient l'existence. » (Scol.) Hésiode (Théogonie, v. 789) donne au Styx le nom de 346 Ὠκεανοῖο κέράς. Apollonius suit naturellement la tradition homérique d'après laquelle le fleuve Océan, qui embrasse toute la circonférence de la terre, est la source commune « de tous les fleuves, de toute la mer, de toutes les eaux jaillissantes, de tous les puits profonds » (Iliad., XXI, v. 195). Je n'ai pas osé traduire xipac par corne, qui est le mot propre, mais qui semblerait étrange en français. Hoelzin explique bien : « Mare est quasi quoddam animal; ejus pedes et brachia sunt sinus; cornua fluvii.. » V. 284. Ils le nomment l'Ister. — Voir la note au vers 259, que celle- ci complète et contredit souvent. — « II dit que l'Ister descend du pays des Hyperboréens et des monts Riphées. Il suit en cela Eschyle qui, dans le Prométhée délivré, parle ainsi : Arrivé dans la région qui se trouve entre les Scythes et les Thraces, il se partage en plusieurs branches; il en déverse une dans notre mer, une autre dans la mer Pontique, une troisième dans le golfe Adriatique. Scymnos, dans le livre XVI de son ouvrage sur l'Europe, dit que l'Ister est le seul fleuve qui vienne des déserts. Quant aux monts Riphées, ils sont situés à l'orient... Eratosthène, dans le livre III de ses Géographiques, dit que l'Ister vient de pays déserts et entoure l'île Peucé. Aucun auteur, excepté Timagète qu'Apollonios suit, ne dit que les Argonautes aient passé par l'Ister pour arriver à notre mer. Car Scymnos dit qu'ils ont navigué par le Tanaïs vers la grande mer, d'où ils ont passé dans la nôtre. Et il est raconté qu'arrivés au continent, ils ont porté Argo sur des solives jusqu'au moment où ils parvinrent à la mer... L'Ister, qui descend du pays des Hyperboréens, après être arrivé à un endroit qui se trouve entre la Scythie et la Thrace, se partage en deux branches dont l'une se jette dans le Pont-Euxin, l'autre dans la mer Tyrrhénienne. » (Scol.) Ces théories sur les deux branches de l'Ister étaient très communes dans l'antiquité. Strabon, en effet (47, 40 et suiv.), doit réfuter Hipparque, qui, reproduisant une erreur commune à quelques-uns de ses devanciers, disait que le Pont se réunit à l'Adriatique, puisque l'Ister, à son point de départ dans la région du Pont, se divise en deux bras et se déverse à la fois dans les deux mers. Le savant géographe fait remarquer que l'Ister se jette seulement dans le Pont et ne se divise en deux branches qu'à son embouchure. Il suppose qu'Hipparque et ceux qui ont écrit avant lui ont imaginé l'existence d'un fleuve homonyme qui, se séparant du véritable Ister, aurait été descendu tout entier par Jason, lors de son retour de Colchide. Strabon n'est pas éloigné de croire que Jason a passé, en effet, par ce second fleuve Ister. « Suivant certains auteurs, Jason et ses compagnons auraient remonté la plus grande partie de l'Ister; suivant d'autres, ils l'auraient remonté jusqu'à l'Adriatique. Les uns ne connaissent pas les endroits dont ils parlent; les autres supposent un Ister qui sortirait du grand Ister pour se jeter dans l'Adriatique : leur supposition n'est ni invraisemblable ni absurde. » (Strabon, 38, 39-44.) Strabon cite encore, pour la réfuter, l'opinion de Théopompe, qui prétendait qu'une des branches de l'Ister débouche dans l'Adriatique (263, 30). Diodore de Sicile (IV, 56) réfute aussi l'opinion de ceux qui ont prétendu que les Argonautes, après avoir remonté l'Ister jusqu'à ses sources, étaient 347 entrés par une autre branche du fleuve dans l'Adriatique. Il distingue l'Ister qui se jette dans le Pont-Euxin et un autre fleuve homonyme qui se jette dans l'Adriatique. Ce dernier ne nous est pas connu : c'est quelque petit cours d'eau du pays des Istriens. V. 286. Au delà du pays où souffle le Borée... dans les monts Riphées. — Pour le peuple et le pays des Hyperboréens, voir la note au vers 675 du Chant II. Les anciens ont entendu d'une manière générale et vague par monts Riphées les montagnes situées aux extrémités septentrionales de l'Europe. A mesure que les connaissances géographiques s'étendaient vers le nord, on reculait d'autant la position légendaire de cette chaîne de montagnes, séjour des neiges éternelles et des tempêtes glacées. Les monts Riphées se trouvaient dans le pays des Hyperboréens. Cf. Virgile, Georg., III, v. 381 :
Talis Hyperboreo Septem subiecta trioni Pomponius Méla, III, 5 : « Hyperborei super Aquilonem Riphaeosque montes... iacent.» En plaçant les sources de l'Ister dans le pays des Hyperboréens, Apollonios suit une tradition qui se trouve déjà dans les Olympiques de Pindare (III, v. 25 et suiv.) et peut-être dans le Prométhée délivré d'Eschyle (voir la note au vers 284). V. 289. Dans la mer Orientale; v. 308. Au golfe le plus reculé de la mer Orientale. — Tous les mss. et toutes les éditions ont, v. 289 : Ἰονίην ἅλα, et v. 308 : πόντοιο... Ἰονίοιο. Nous n'avons pas de scolie sur le vers 289; voici celle qui concerne le vers 308 : « La mer Ionienne est une mer d'Italie où aboutit l'Adriatique; aussi, certains auteurs lui donnent le nom de mer Adriatique. La mer Ionienne a été ainsi appelée de l'Illyrien lonios, comme le dit Théopompe dans son livre XXI. Certains disent que le nom de cette mer vient des voyages errants d'Io. Strabnn (263, 14) fait remarquer que, pour distinguer le golfe Ionien et le golfe Adriatique, qui ont tous deux la même entrée, on est convenu d'appeler golfe Ionien la partie antérieure de la mer, et Adriatique, la partie intérieure jusqu'au fond; il ajoute que, de son temps, le nom d'Adriatique s'est étendu à la mer tout entière. Strabon rappelle aussi que, d'après Théopompe, le nom de mer Ionienne viendrait d'un ancien roi de ce pays, originaire d'Issa. Pour la tradition qui attribue à lo l'origine du nom de la mer Ionienne, voir la note au vers 745 du Chant II. — Cette note du Scoliaste donne de banales indications sur la mer Ionienne : mais ces indications n'ont que faire ici, puisque, dans les deux passages qui nous occupent, il ne peut être question de la mer communément désignée sous le nom de mer Ionienne ou, si l'on veut, de mer Adriatique. On a vu (note au vers 284) que, suivant les traditions anciennes, l'Ister se déverse soit par deux embouchures dans la mer Tyrrhénienne et dans le Pont, ou dans la mer Adriatique-Ionienne et dans le Pont, soit par trois embouchures dans la Méditerranée (notre mer), dans la mer Adriatique-Ionienne et dans le Pont. Or, des deux embouchures mentionnées ici par Argos, l'une se trouve « dans un golfe profond qui s'étend au-dessus de la mer de Trinacrie ». Qu'est-ce que la mer de Trinacrie ; Le Scoliaste nous le dit dans sa 348 note au vers 291 : « C'est la mer Tyrrhénienne qui baigne la Sicile; celle-ci se nommait d'abord Trinacrie à cause de ses trois promontoires [διὰ τὸ τρεῖς ἄκρας ἔχειν], Pachyne, Lilybée et Pélore. » Le golfe profond qui s'étend au-dessus de la mer de Trinacrie (ou mer Tyrrhénienne) est le golfe de Ligurie. Puisque Argos n'admet que deux embouchures de l'Ister, il ne peut dire que l'une se trouve dans la mer Tyrrhénienne, l'autre dans la mer Ionienne : comment oublierait-il celle qui intéresse le plus les Argonautes, celle par où ils vont entrer dans le fleuve pour le remonter, l'embouchure qui se trouve dans le Pont-Euxin ? Ajoutez à cela qu'au vers 308 les Colchiens se séparent en deux troupes pour donner la chasse aux Argonautes : les uns sortent du Pont-Euxin, en passant au travers des roches Cyanées; les autres, qui n'en sortent pas, se trouvent bientôt « dans le golfe le plus reculé de la mer Ionienne », où se trouve justement une embouchure de l'Ister: il faut donc que mer Ionienne soit, pour Apollonios, synonyme de Pont-Euxin. Cest ce qu'a bien vu Flangini qui propose de lire tout simplement Ἀξείνην. La correction est juste en principe, mais elle s'éloigne trop de la lettre des mss. pour être admissible. Gerhard (Lection. Apoll., p. 80) dit avec raison : « Insignis difficultas neminem advertit nisi Ftanginium qui, cum probe intelligeret de solo Ponto Euxino hoc loco cogitari posse, coniecit μετ' Ἀξείνην ἅλα, bonam ad sensum coniecturam, sed ex scripturae rationibus omni verisimilitudine destitutam. » Mais remarquant que l'expression mer Ionienne, appliquée au Pont, revient au vers 308, Gerhard propose de corriger Ἰονίην en ἠῴην, puisque, dit-il, le poète a déjà donné au Pont-Euxin le nom de mer Orientale (Ch. II, v. 743). Wellauer se rend aux raisons de Flangini et de Gerhard, mais il n'admet dans son texte ni l'une ni l'autre de leurs corrections, et il garde Ἰονίην et Ἰονίοιο, mots corrompus qui cachent quelque nom savant et peu connu du Pont : « Corrupta esse illa vocabula neque ego dubito, de emendatione ambigo; illud certum videtur, in vocabulis Ἰονίην et Ἰονίοιο rarius aliquod et doctius Ponti nomen latere. » Je pense que le nom savant et peu connu du Pont est ἠοίην ou ἠῴην, que le copiste aura changé en Ἰονίην, trompé par la tradition d'après laquelle une bouche de l'Ister aboutit à la mer Ionienne, et aussi par la similitude apparente des deux leçons des vers 632 et 982 avec celles des vers 289 et 308. On lit, en effet, au v. 632 : Ὠκεανοῦ, τῇ δ' αὖτε μετ' Ἰονίην ἅλα βάλλει. et au vers 981 : ἔστι δέ τις προθμοῖο παροιτέρη Ἰονίοιο. II est facile de se rendre compte que l'influence de ces deux vers ait amené le copiste à changer les leçons ἠοίην ou ἠῴην et ἠοίοιο ou ἠῴοιο pour écrire, au vers 289 : ἔνθα διχῇ τὸ μὲν ἔνθα μετ' Ἰονίην ἅλα βάλλει. et au vers 3o8 : κόλπον ἔσω πόντοιο πανέσχατον Ἰονίοιο. 349 L'emploi des mots Ἰονίην et Ἰονίοιο aux vers 632 et 982, où il s'agit bien de la mer Ionienne (voir les notes à ces vers), prouve qu'Apollonios ne saurait confondre le Pont-Euxin avec cette mer. Comme, d'autre part, dans tout le discours qu'il prête à Argos (v. 267-293), le poète a soin de faire employer par son héros les termes géographiques les plus archaïques (p. ex., v. 267 : Ééria pour l'Egypte; v. 269 : Triton pour le Nil), il n'y a rien d'étonnant à ce que le fils de Phrixos désigne par le nom de mer Orientale (Ἠῴην ou Ἠοίην ἅλα) le Pont-Euxin qui était, en effet, au temps des Argonautes, situé à l'extrême-orient du monde connu. Le nom de mer Orientale attribué au Pont est donc ce rarius et doctius Ponti nomen soupçonné par Wellauer. Il semble qu'on doive, aux vers 289 et 308, changer en Ἠοίην ou Ἠῴην et 'Ἠοίοιο les leçons Ἰονίην et Ἰονίοιο, introduites mal à propos dans le texte par le copiste ou le correcteur demi-savant. V. 293. L'Achéloos. — Ce fleuve, dont le cours sépare l'Acarnanie de l'Étolie, se jette, en effet, dans la mer qu'Argos appelle la mer de Trinacrie, et que Strabon (102, 3 et suiv.) désigne sous le nom de Σικελικὸν πέλαγος. (Voir Strabon, 288, 26; 386, 24.) V. 300. Le Carambis. — Voir, pour le cap Carambis, la note au vers 361 du Chant II. V. 303. Quelques-uns des Colchiens. — « Parmi les Colchiens, les uns naviguèrent en passant au travers des roches Cyanées; c'est aussi ce que dit Callimaque. Mais, contrairement à Callimaque, Apollonios dit qu'ils s'en retournèrent. Les autres, avec Apsyrtos, atteignirent l'Ister. » (Scol.) V. 306. La bouche de l'Ister que l'on nomme Calon. — « L'Ister à trois bouches, dont l'une se nomme Calon, comme dit Timagète, dans son ouvrage sur les ports. » (Scol.) Le Calon stoma est cité au nombre des diverses embouchures de l'Ister par Pline l'Ancien (N. H., IV, 79) et par Ammien Marcellin (XXII, 8, 43), qui copie à peu près textuellement la phrase de Pline. Cf. Ptolémée (III, 10), Arrien (Peripl., § 35), etc. V. 310. Elle est de forme triangulaire.— « Ératosthène, dans le livre III de ses Géographiques, dit qu'il y a dans l'Ister une île triangulaire, égale à Rhodes, qu'il nomme Peucé, à cause du grand nombre de pins qu'elle possède [διὰ τὸ πολλὰς ἔχειν πεύκας]. » (Scol.) L'île Peucé est souvent mentionnée par les auteurs anciens: Strabon (253, 46; 264, 33); Pline l'Ancien (N. H., IV, 79); Ammien Marcellin (XXII, 8, 43 et 45), etc. Scymnos de Chios, dans sa Périégèse (Geogr. Graec. Minor., Didot, vol. Ier p. 227-228, v. 785-790), donne sur l'île Peucé exactement les mêmes indications que le Scoliaste emprunte à Ératosthène. Cf. Pomponius Méla (II, 7), etc. V. 312. Narécos (Νάρηκος;).— Le Guelf. et le Laur. ont ἅρηκος, que lisait le Scoliaste; les mss. de Paris, ἄηρος. Hoelzlin a fait la correction Νάρηκος, adoptée par tous les éditeurs qui l'ont suivi, en se fondant sur le passage d'Ammien Marcellin (XXII, 8, 45), où on lit Naracu-stoma, nom qui se trouve d'ailleurs déjà dans le passage correspondant de Pline l'Ancien (N. H., IV, 79). Dans son Périple du Pont-Euxin (§ 35), Arrien cite aussi τὸ Νάρακον στόμα. — Je suppose que Νάρηκος 350 est un substantif neutre à l'accusatif; Lehrs et Bock en font le génitif d'un mot Νάρηξ. V. 316. Dans les prairies basses (εἱαμενῇσι). — « Ce sont des endroits humides et fangeux. Il faut entendre que, sur les deux rives du fleuve, les bergers prennent la fuite. » (Scol.) Pour le sens précis du mot εἱαμενή voir la note au vers 1202 du Chant III. V. 317. Effrayés à l'aspect des navires. — «L'avant du navire de guerre primitif ressemblait, au moins sur certains chantiers de l'Archipel, à une tête d'animal... Ce n'est donc pas sans raison qu'Apollonius de Rhodes dit, en parlant des premiers navires grecs : Et dans les prairies marécageuses les bergers abandonnaient leurs nombreux troupeaux, épouvantés à la vue de ces vaisseaux semblables à des monstres énormes sortant de la mer qui en est peuplée. » (Cartault, ouvr. cité, p. 64-63.) Il n'est pas question ici des premiers navires grecs, mais d'un seul navire grec, Argo, et de plusieurs navires colchiens. Apollonios a fait dire par Argos (Ch. III, v. 341 et suiv.) que les navires construits en Colchide sont bien inférieurs à Argo: du moins leur apparence extérieure était à peu près la même, puisque les bergers pouvaient trouver au navire des Minyens comme à ceux des Colchiens la même apparence de monstres marins. V. 319. Car ils n'avaient jamais vu. — Brunck rapproche de ce vers le passage où Cicéron (de Nat. Deor., II, 35, 89) cite et commente les vers d'Attius montrant l'étonnement du berger qui voit pour la première fois le navire Argo. Cf. Ribbeck, Tragic. Latin. Reliquiae (Attius, Medea, fragm. I). V. 320. Scythes mêlés aux Thraces. — « Les Scythes sont voisins des Thraces d'Europe. Le Laurion est une plaine de Scythie. Timonax enregistre cinquante-cinq peuples de Scythie, dans le premier livre de son ouvrage Sur les Scythes. C'est dans la plaine des Sindiens que l'Ister se divise en deux fleuves dont l'un se jette dans l'Adriatique, et l'autre dans le Pont-Euxin... Hipponax fait mention de la séparation des deux courants du fleuve, chez les Sindiens. Hellanicos, dans son ouvrage Sur les nations, dit : « Celui qui a complètement traversé le Bosphore, arrive chez les Sindiens; au-dessus de ceux-ci, sont les Scythes Maiotides. » Le σίγυννος est une sorte d'arme de trait qui porte le même nom que le peuple [des Sigynniens]. » (Scol.) Hérodote (V, 9) dit que les Sigynniens sont le seul peuple qu'il ait entendu citer comme habitant le pays désert et immense de l'Ister; il dit aussi que les Cypriens donnent aux javelots le nom de Sigynnes. Strabon (446, 4 et suiv.) place les Sigynniens (qu'il nomme Σίγιννοι) entre la mer Caspienne et la Perse. Le même auteur (424, 64) met les Sindiens au nombre des peuples qui habitent les bords asiatiques des marais Maiotides. C'est dans ces régions qu'Hérodote (IV, 28), Scylax (Peripl., | 72), Méla (I, 19), Ammien Marcellin (XXII, 8, 41), etc., placent le pays des Sindiens. Je ne trouve aucun renseignement sur les Graucéniens et sur la plaine du Laurion. V. 324. Le mont Angouros. — « Le mont Angouros est voisin de l'Ister. Timagète en fait mention dans son ouvrage Sur les ports. Le rocher Cauliacos est en Scythie, auprès de l'Ister. Polémon en fait 351 mention dans ouvrage Sur les fondations des villes d'Italie et de Sicile... C'est devant ce rocher, dit le poète, que l'Iister se partage en deux fleuves, l'un qui se jette dans l'Adriatique, l'autre dans le Pont-Euxin. La mer de Cronos: il désigne l'Adriatique; car on dit que Cronos habita ces régions. » (Scol.) Preller (cité dans les Fragm. Hist. Graec., Didot, vol. III, p. 126) suppose qu'il faut chercher le rocher Cauliacos au confluent du Danube et de la Drave. Eschyle (Prométhée, v. 837) désigne l'Adriatique par le nom de vaste golfe de Rhéa. V. 330. Auprès des deux îles Brygéiennes d'Artémis. — Les Bryges sont un peuple d'Illyrie cité par Strabon (271, 20), par Scymnos de Chios (Perieg., v. 434 et suiv.). Scylax (Peripl., § 23) cite les Nestiens, dont le nom vient du fleuve Nestos; mais il ne parle pas du fleuve Salangon, sur lequel je ne trouve nulle part aucun renseignement. Dans sa note au vers 1215, le Scoliaste s'occupe des Nestiens ou Nestaiens : « Scylax dit que les Nestaiens sont un peuple d'Illyrie. De chez eux on s'embarque sur le golfe. Ératosthène, dans le livre III de ses Géographiques, dit : Après les Illyriens sont les Nestaiens; près de leur pays se trouve l'île de Pharos, colonie des Phariens [cf. Scylax, Peripl., i 23; Diodore, XV, 13, 3, qui dit que Pharos est une colonie des Pariens]. » V. 355. Aisonide... — On a remarqué que ces imprécations de Médée ont servi de modèle à celles d'Ariane, dans l'Epithalame de Thétis et de Pelée, à celles de Didon, dans l'Enéide, à celles de la Médée d'Ovide, dans l'Épitre à Jason, et à celles de la Médée de Valérius Flaccus, dans le livre VIII de ses Argonautiques. On peut aussi noter, dans les imprécations que le poète alexandrin prête à son héroïne, un certain nombre de réminiscences classiques : ainsi, quand la Médée d'Apollonios rappelle à Jason qu'elle l'a sauvé (v. 364 et suiv.), elle parle comme la Médée d'Euripide (Médée, v. 476 et suiv.); quand elle lui dit qu'il doit la regarder comme sa fille, sa femme et sa soeur (v. 368 et suiv.), elle répète à peu près les paroles que l'Andromaque d'Homère adressait à Hector (Iliad., VI, v. 429 et suiv.). V. 357. L'heureuse fortune (ἀγλάάι)- — Dûbner : « Vellus aureum, sive splendida fortuna. » C'est évidemment la seconde interprétation qui est la bonne. V. 408. Quant aux Colchiens seuls, je ne leur céderai pas, je n'hésiterai point à les combattre... (οὐ δ' ἂν ἐγώ... ὑπείξω μὴ πολεμίζειν). — Je traduis le texte de Merkel, constitué d'après une heureuse correction de Gerhard, déjà adoptée par Wellauer et Lehrs. Le Laur. et le Guelf. ont ὑπείξομαι προλεμίζειν et ὑπείξωμαι πτολεμίζειν. Les mss. de Paris, au lieu de οὐ δ' ἄν ont καὶ δ'ἄν. Conservant la leçon de ces derniers pour le commencement du vers, Brunck écrit à la fin du vers ὑπείξαιμι προλεμίζειν, « ex ingenio», comme dit Beck, qu'il explique: « Ipse vero Colchis inferendi arma necessitate solutus fuerim, quum milii transitum non intercludent [μή με διατμήξωσι, mss. Paris]. » Gerhard fait remarquer avec raison (Lection. Apollon., p. 47) que, parlant ainsi, Jason serait loin de parler en héros : « Ignavi hominis illud dictum est, pugnae periculo se liberatum iri, nisi forte Colchi eum retenturi sint; fortis herois, quod hic habemus, nolle se Colchis pugnam remittere, 352 nisi apertam sinant viam. » A la vérité, l'héroïque bravoure de Jason est trop sujette à caution pour que Gerhard l'invoque à l'appui de sa correction (ὑπείξω μή), laquelle me semble pourtant excellente, nvere palmaria », comme dit Wellauer, mais pour d'autres causes. Rien, en effet, ne prouve, comme Brunck le prétend, que les Colchiens laisseraient la route ouverte, si Apsyrtos était tué : le poète dit seulement que les indigènes lâcheraient pied, si le chef des Colchiens n'était plus là. De plus, Médée a compris, exactement comme Wellauer, les paroles de Jason, puisqu'elle lui répond (v. 420) : Tue-le, et engage la bataille avec les Colchiens. V. 417. Pourvu que je puisse persuader aux hérauts...— « Haec intelligo, tanquam si plenius sic scriptum esset : εἴ κέν πως πεπίθοιμι κήρυκας ἀπέρχεσθαι, καὶ συναρθμῆσαι τὸν Ἄψυρτον οἰόθεν οἷον τοῖς ἐμοῖς ἐπέεσσι. Si forte praeconibus persuasero, ut, quum frater meus accesserit, a nobis discedant, solumque eum mecum committant. Si enim colloquio interessent praecones, opprimi non posset Apsyrtus. Erant autem illi praecones ministri publici templi Dianae, quibus Medeae cuitodia mandata.» (Brunck.) Cette interprétation de Brunck me paraît tout à fait erronée. D'abord, les hérauts ne sont pas des prêtres d'Artémis : rien ne le prouve dans le poème; d'ailleurs, il est probable que, dans le pays des Brygiens comme ailleurs, comme en Tauride, par exemple, Artémis avait des prêtresses et non des prêtres; de plus, Médée n'a pas encore été remise en garde à ces prêtresses ou à ces prêtres; elle ne le sera qu'une fois le pacte conclu. Ces hérauts sont des Argonautes, ceux qui auront porté à Apsyrtos les présents splendides, dont il est question au vers 416, φαιδροῖς... δώροις, que Dübner explique bien par « nuntiis cum muneribus ad eum missis». Il me semble donc que κήρυκας ἀπερχομένους signifie praeconibus a nobis ad eum abeuntibus. Ces hérauts étant évidemment des Argonautes, Apsyrtos pourrait être tué en leur présence sans difficulté; ce que Médée espère d'eux, ce n'est donc pas qu'ils s'éloigneront pour rendre à Jason le meurtre plus facile, mais, qu'ils sauront, persuadés par elle, faire venir Apsyrtos sans escorte au temple de la déesse. Il me semble que cette interprétation est confirmée par la suite du récit. En effet, on prépare, immédiatement après le discours de Médée à Jason, les présents qui vont être envoyés à Apsyrtos (v. 421-434). Ces présents seront portés par les hérauts Argonautes, puisqu'il n'est question ni de hérauts Colchiens, ni, comme le voulait Brunck, de prêtres d'Artémis chargés du rôle de parlementaires. Avant que ces hérauts partent, Médée leur communique les mensonges qu'ils auront à redire (v. 435... κηρύκεσσιν ἐπεξυνώσατο μύθους), elle les met dans le secret, elle les persuade ainsi (comme elle souhaitait de le faire, v. 417) d'amener Apsyrtos dans le piège où il trouvera la mort. — Telle est, à mon avis, la suite des idées dans ce passage difficile dont Wellauer disait : « Hic locus vulgo male intelligitur... », et que Gerhard (Lect. Apollon., p. 36) ne trouvait intelligible qu'à condition de supprimer deux vers : « Ac mihi quidem id quoque certum est, versus 436-437 plane ex nostro textu eiiciendos esse. » V. 425. Dia. — On sait que Dia est l'ancien nom de l'île de Naxos. 353 Le Scoliaste cite, à ce propos, un vers de Callimaque : A Dia, car tel était le plus ancien nom de Naxos. Brunck pense qu'Apollonios, énumérant les divers possesseurs de ce péplos, imite l'énumération semblable qui se trouve dans l'Iliade (II, v. 101 et suiv.), à propos du sceptre d'Agamemnon. Il renvoie aussi aux vers 37 et suiv. de l'Europe de Moschos (Idylle II), où il est question des possesseurs successifs de la corbeille d'or. L'abandon d'Ariane par Thésée devait être connu de Jason à qui Hypsipylé l'avait, sans doute, appris en lui remettant le péplos sacré : le héros mentait donc impudemment quand il racontait à Médée la romanesque et chaste histoire des amours de Thésée avec la fille de Minos (Ch. III, v. 998 et suiv.). V. 432. Ivre à demi (ἀκροχάλιξ). — Joseph Scaliger trouve le trait grossier, et il le dit avec sa brutalité ordinaire : « Ineptus poeta, omni objecta verecundia, et majestate heroici carminis illam foeditatem ipsis verbis expressit. (In Varron., de L. L.) Ruhnken admire, au contraire, la délicatesse du poète :« Rem ita elocutus est ut ne castissimas qiiidem aures offenderet. » Le mot ἀκροχάλιξ ne semble pas avoir effarouché les anciens puisque Denys (Perieg., v. 948) ne craint pas de le reprendre pour en faire une épithète caractéristique de Dionysos. V. 433. La vierge, fille de Minos. — Le mot παρθενική doit avwir ici son sens propre de vierge: voir la scolie au vers 997 du III (note au vers 1003), où il est dit que c'est Dionysos qui priva la fille de Minos de sa virginité. V. 448. Les fils de mes ennemis. — Cette formule d'imprécation, reproduite par Denys (Perieg., v. 600), a été souvent imitée par les poètes latins. Cf. Virgile, Georg., III, v. 513; Horace, Od., III, xxvii, v. 21 ; Ovide, Amor., III, xi, v. 16, etc. V. 471. Dans le vestibule (ἐνὶ προδόμῳ). — « C'est par catachrèse que le poète dit le prodomos au lieu du pronaon [vestibule de temple). » (Scol.) Voir, pour le prodomos, la note au vers 278 du Chant III. V. 477. Les extrémités des membres du mort. — C'est l'amputation qui a été subie par Agumemnon ; Electre (Sophocle, Electre, v. 445) le rappelle, en disant de son père : ἐμασϲαλίσθη.. « Au dire du Scoliaste et des anciens lexicographes, les assassins croyaient se garantir des représailles auxquelles leur crime les exposait, en coupant à leurs victimes les extrémités des membres, qu'ils leur attachaient ensuite sous les aisselles (c'est ce qu'on appelait μασχαλίζειν de μασχάλη). En leur essuyant sur la tête l'instrument du meurtre, ils s'imaginaient rejeter sur elles la responsabilité du sang versé. » (Tournier, Les tragédies de Sophocle, 2* édit., Paris, 1877, note au vers 445 d'Electre.) Déiphobe a été mutilé comme Agamemnon et comme Apsyrtos, quand Énée le rencontre aux enfers (Aen., VI, v. 494) :
... laniatum corpore loto V. 481. Les hommes Apsyrtiens. — « C'est un peuple ainsi nommé d'Apsyrtos. » (Scol.) Strabon parle des îles Apsyrtiennes, situées dans 354 le golfe tic la mer Adriatique (102, 22 et suiv.) ; il rappelle aussi (261, 42 et suiv.) que c'est dans ces fies que la tradition place le meurtre d'Apsyrtos. Pline (N. H., III, 151) cite parmi les îles de la côte d'Illyrie, dans le voisinage des Istriens, les Apsyrtides, ainsi nommées par les Grecs, à cause d'Apsyrtos, frère de Médée, qui y fut tue. Non loin d'elles, continue-t-il, les Grecs ont place les iles Élec- trides : Apollonios va en parler (v. 505). Cf. Apollodore, I, 9, 24 et 25; Stéphane de Byzance, etc. V. 505. L'île sacrée Électris. — « Cette île est voisine du fleure Éridan. » (Scol.) Strabon (179, n et suiv.) ne croit pas à l'existence des îles Électridcs : il met au nombre des mythes l'histoire de Phaéthon et des Héliades, changées en atmes sur les bords du fleuve Éridan, fleuve qu'on a prétendu voisin du Pô, et qu'on ne retrouve en aucune contrée de la terre; il dit que les prétendues iles Électrides, situées en avant des bouches du Pô, ne sont, elles aussi, qu'un mythe, puisque, de son temps, il n'existe rien de semblable dans ces parages. — Pline (voir la note au vers 481) dit aussi (N. H., III, 151) que la mention que les Grecs font des îles Electrides, voisines du lieu où Apsyrtos fut tué, est une preuve manifeste du peu de foi que ce peuple mérite, puisqu'on n'a jamais pu savoir quelles îles ce nom d'Électrides désignait. L'auteur de l'Histoire naturelle revient encore (N. H., XXXVII, 31 ) sur cette question des îles Électrides, et sur toute la légende (dont Apollonios va parler, v. 604 et suiv.) des Héliades, sœurs de Phaéthon, qui, au dire des poètes grecs, furent tellement désolées de la mort de leur frère foudroyé par Jupiter qu'elles furent changées en peupliers et que leurs larmes devinrent de l'électrum (ambre jaune, en latin sucinum). Cette origine de l'ambre jaune est aussi fantaisiste que l'existence des îles Électridcs où les eaux du Pô auraient porté cet ambre. « Qua appellatione [Electrides insulae] nullas unquam iibi fuisse certum est, nec vero allas ita positas esse in quas quidquam cursu Padi devehi possit. » D'ailleurs, Pline comprend qu'ignorant comme il l'est en géographie, Apollonios ait pu ignorer aussi la provenance de l'ambre : «... Apollonius in Hadriatico litore confluere Rhodhanum et Padum, faciliorem veniam facit ignorati sucini in tanta ignorantia orbis. » Cette ignorance d'ApolIonios lui est d'ailleurs commune avec la plupart des géographe» grecs, puisque Scylax (Peripl., § 21) place les Électrides dans l'Adriatique, et puisque Scymnos de Chios (Perieg., v. 374) cite les Ἀψυρτίδες et 'es Ἠλεκτρίδες, comme voisines. Pomponius Mêla, qui n'est pas Grec, dit, lui aussi (II, 7) : c In Hadria... Apsyrtis... Electrides. » V. 517. Le tombeau d'Harmonia et de Cadmos. — Cadmos, laissant le trône de Thèbes à son petit-fils Penthée, quitta la Béotie, en compagnie de sa femme, Harmonia, fille d'Arès et d'Aphrodite, et se rendit en Occident, chez les Illyriens, qui firent de lui leur roi. (Voir Decharme, Mythol., p. 373.) Les descendants de Cadmos et d'Harmonia régnèrent dans le pays des Enchéliens (Strabon, 271, 27), peuple d'Illyrie souvent cité par les auteurs grecs et latins (Scylax, Peripl., § 25; Scymnos de Chios, Perieg., v. 437; Pomponius Méla, II, 3; Pline, N. H., III, 139, etc.). Le tombeau d'Harmonia et de Cadmos est 355 cité par Denys (Perieg., v. 391) et par Scylax (Peripl., § 24), qui le place dans le pays des Maniens, peuple d'Illyrie, voisin des Enchéîiens. Lucain semble faire allusion à ce passage d'Apollonios, quand il dit (Pharsal., III, v. 188 et suiv.) :
nomine prisco Le profond et sombre fleuve d'Illyrie, dont parle ApoIIonios (v. 516), serait le Rhizon, d'après G. Muller (note au § 24 du Périple de Scylax). Ératosthène, d'autre part (cité par C. Muller, même note), dit que ce tombeau fameux se trouvait au bord du Drilon, ou Drinon. Comme le Drino moderne, qui se jette dans l'Adriatique au-dessous d'Alcssio, est formé de la réunion du Drino-Bianco et du Drino-Negro, on peut supposer que c'est à ce dernier qu'Apollonius fait allusion, quand il parle d'un profond et sombre fleuve. La forteresse, bâtie par les Colchiens, est sans doute l'acropole de la future ville de Pola, dont Strabon (179, 40 et suiv.) dit qu'elle fut fondée par les Colchiens envoyés à la recherche de Médée, qui, ayant échoué dans leur expédition, se condamnèrent à l'exil. Il cite à ce propos un fragment d'une élégie perdue de Callimaque : Les Grecs l'appelleraient ville des exilés; dans leur langue, ils [les Colchiens] l'ont nommée Polai. Voir aussi Strabon (38, 34 et suiv.). Cf. Pomponius Méla (II, 3) : « Pola, quondam a Colchis, ut ferunt, habitata. » V. 519. Le nom de monts Cérauniens. — Les monts Cérauniens sont très souvent cités par les auteurs grecs et latins. ApoIIonios donne, dans ce passage, l'étymologie de leur nom (κεραυνός;, tonnerre). Strabon (17, 16) dit que, de son temps encore, on montrait, aux environs des monts Cérauniens, quelques vestiges du passage des Argonautes. L'ile qui est situe en face des monts Cérauniens est l'île de Corcyre, habitée par les pacifiques Phaiaciens; c'est, sans doute, pour que les Colchiens n'aillent pas troubler leur tranquillité que Zeus les empêche de passer dans l'île de Corcyre. V. 524. La terre des Hyléens. — Les Hylléens, peuple du littoral de l'Illyrie, sont souvent cités par les auteurs grecs (Denys, Perieg., v. 386; voir les notes de C. Müller à ce vers). Scylax (Peripl., § 22) dit qu'ils habitent une presqu'île, aussi vaste à peu presque le Péloponèse. Scymnos de Chios (Perieg., v. 403), qui attribue la même étendue à leur péninsule, dit qu'elle contient quinze villes. Cf. Apollodore, Fragm. 119 (Histor. Graec. Fragm., Didot, vol. 1er). — Quant à Hyllos, héros éponyme de ce peuple, ApoIIonios a soin de donner sur sa naissance des détails précis (v. 538), pour qu'on ne le confonde pas avec un autre Hyllos, fils d'Héraclès aussi, mais né de Dcjanire, et beaucoup plus connu. Dans sa note au vers 1149, le Scoliaste explique pour quel motif Héraclès donna le même nom d'Hyllos à deux de ses fils : « Panyasis dit qu'Héraclès, s'étant trouvé malade en Lydie, fut guéri par Hyllos : c'est un fleuve qui coule dans ce pays. Voilà pourquoi il donna le nom d'Hyllos à deux de ses fils. » Pour ce qui est du fleuve Aigaios et de sa fille Mélité, je ne trouve à leur sujet aucun renseigne- 359 ment. Il est souvent parle d'une autre Mélité, fille de Nérée (Hésiode, Théog., v. 246; Homère, lliad., XVIII, v. 42; Apollodore, 1,2,7,etc.); je pense que la Mélité, fille du fleuve Aigaios, est la déesse éponymc de cette petite ile située entre Corcyre et la côte d'Illyrie, où l'on élevait les catuli Melitaei dont Pline (N. H., III, 132) fait mention, d'après Callimaque : « Melite, unde catulos Melitaeos appellari Callimachus auctor est. » D'autre part, Strabon (230, 32) dit que ces chiens, κυνίδια Μελιταῖα, sont originaires d'une autre île Mélité, la moderne île de Malte. V. 628. Un des grands trépieds d'Apollon. — L'autre trépied sera offert à Triton (v. 1589). On sait que ces trépieds étaient une des grandes richesses du temple de Pytho. Dans l'Hymne homérique à Hermès (v. 179), le petit dieu se vante qu'il ira à Pytho les voler, ainsi que les vases et les métaux précieux qui ornent la demeure d'Apollon. V. 535. La ville Agané des Hyllèens (πόλιν Ἀγανήν). — Les éditions ont toutes πόλιν ἀγανήν, une ville illustre. Koechly voulait lire πόλιν μεγάλην. Merkel fait du mot ἀγανή, un nom propre, qui, pense-t-il, est celui d'une de ces quinze villes que les Hyllèens possédaient, au dire de Scymnos de Chios (Perieg., v. 407). Voir la note au vers 624. V. 539. Les demeures de Nausithoos. — Nausithoos est connu par l'Odyssée : c'est lui qui conduisit les Phaiaciens dans l'île de Schéria (Odyss., VI, v. 7-11); fils de Poséidon et de Périboia, il fut père d'Alcinoos (Odyss., VII, v. 56-63). Quant à ses rapports avec cet Hyllos, inconnu aux auteurs anciens, il n'en est naturellement question nulle part. V. 540. L'île Macris. — « Autrefois, l'île Schéria s'appelait Macris, du nom de la nourrice de Dionysos. » (Scol.) D'après Strabon, Schéria est le nom ancien de l'île de Corcyre (224, 17; 248, 53); il dit, d'autre part, que Macris était l'ancien nom de l'Eubée (382, 6). Voir la note au vers 1024 du Chant Ier — Mais Apollonios fait allusion ici à une légende que nous ne connaissons que par lui : au lieu de suivre la tradition commune d'après laquelle Dionysos à peine né a été confié par les soins d'Hermès aux Nymphes, ses nourrices, qui relevèrent dans les cavernes de Nysa, la montagne sacrée (voir, par exemple, Decharme, Mythol., p. 437), il raconte (v. 1131-1140) que Macris, fille d'Aristée, reçut des mains d'Hermès Dionysos nouveau-né, et l'éleva dans l'île d'Eubée; chassée de cette île par le ressentiment d'Héra, elle vint se réfugier à Schéria auprès des Phaiaciens; l'ile prit son nom qu'elle perdit ensuite, dit Apollonios (v. 990), pour recevoir celui de Drépané, et le poète indique les diverses étymologies de ce second nom de Corcyre, qui est mentionné par plusieurs auteurs anciens. « L'île de Drépané est l'île de Corcyre; elle s'appelait d'abord Schéria; dans sa Constitution des Corcyreens, Aristote donne l'origine de ce premier nom. Car il dit que Déméter, craignant que les fleuves qui venaient du continent ne fissent de l'île une partie du continent [sans doute, que les alluvions de ces fleuves ne rejoignissent l'île au continent qui en est peu éloigné], demanda à Poséidon de détourner le cours de ces fleuves; ces fleuves ayant été contenus [ἐπισχεθέντων], l'île, au lieu du nom de Drépané, prit celui de Schéria [Σχερία}. [Or, elle se nommait Drépané] parce que Déméter, ayant demandé une faux 357 [δρεπανή] à Hëphaistos, enseigna aux Titans à faire la moisson ; ensuite elle cacha cette faux dans une partie de l'île voisine de la mer. Mais comme les flots battaient ce lieu, la forme de cette terre devint semblable à celle d'une faux. Timée dit que le nom de Drépané vint de ce que Zeus cacha dans cette île la faux avec laquelle il avait coupé les parties sexuelles d'Ouranos ou de Cronos. (Scoliaste, note au vers 984.) Hellanicos (Fragm. Hist. Graec., Didot, vol. Ier p. 51) dit que Phaiax était fils de Poséidon et de l'Asopide Cercyra (cf. Diodore, IV, 72) et donna son nom à l'île autrefois nommée Drépané et Schéria. Cf. Pline l'ancien (N. H., IV, 52) : « Corcyra... Homero dicta Scheria et Phaeacia, Callimacho etiam Drepane, » Apollonios donne donc à l'île de Corcyre, ou, si l'on aime mieux, à l'île fabuleuse des Phaiaciens, tous les noms successifs qui lui sont attribués d'ordinaire, et il mentionne, en outre, un autre nom, Macris, dont les auteurs anciens ne parlent pas. C'est probablement pour concilier avec la tradition qu'il suit sur l'enfance de Dionysos une autre tradition, reprise depuis par Nonnos, d'après laquelle Dionysos aurait été élevé par les Courètes et les Corybantes dans l'île d'Eubée, primitivement nommée Macris. D'ailleurs, suivant Strabon (386, 7 et suiv.), au retour du siège de Troie, des navires Eubéens furent jetés sur les côtes d'Illyrie, et une ville de l'île de Corcyre prit le nom d'Eubée. Apollonios semble vouloir confirmer les traditions qui établissaient des rapports entre les îles d'Eubée et de Corcyre. — II faut remarquer que l'auteur des Argonautiques ne donne jamais à l'île des Phaiaciens le nom de Corcyre par lequel on la désigne d'ordinaire. Il réserve ce nom de Κέρκυκα pour une autre île de la mer d'Illyrie, Corcyre-la-Noire (Κέρκυκα Μέλαινα, v. 571), où, dit-il, Poséidon établit la jeune Asopide Cercyra qu'il avait enlevée. D'après le fragment d'Hcllanicos cité plus haut, l'Asopide Cercyra, mère de Phaiax, aurait donné son nom à l'île de Drépané, qui devint plus tard la demeure des Phaiaciens. Mais les géographes anciens distinguent généralement Corcyre (Corfou) de Corcyre-la-Noire (Curzola ou Karkar). Il est question de cette dernière île dans Strabon (102, 24), dans Pline l'ancien (III, 152), dans Pomponius Méla (II, 7), etc. V. 541. Pour se purifier du meurtre funeste de ses enfants. — Apollodore (II, 4, 12) raconte qu'Héraclès, rendu fou par Héra, tua les enfants qu'il avait eus de Mégara, et que, revenu à la raison, il s'exila et se fit purifier par Thestios. Mais, quant à son voyage dans le pays des Phaiaciens où il aurait aimé la nymphe Mélité, j'ai déjà dit (note au vers 524) que, nulle part à ma connaissance, il n'en est question dans les auteurs anciens. Pour les diverses folies furieuses d'Héraclès et les purifications rendues nécessaires par les crimes commis pendant ses accès, voir Heyne, ad Apollodori Bibliothecam Observationes, p. 139-140. V. 543. Le courageux Hyllos. — Après ce vers, les éditions vulgaires ont, d'ordinaire, les unes dans la suite du texte, les autres entre crochets, les deux vers suivants : « [Qui enfanta le courageux Hyllos] dans le pays des Phaiaciens. Il habita d'abord les demeures de Nausithoos, alors qu'il était enfant; puis, il quitta l'île.» Hoelzlin n'admettait pas 358 ces deux vers, qui font évidemment double emploi avec les deux suivants; ils ne se trouvent pas dans les mss. de Merkel. Wellauer pense avec raison qu'ils appartiennent à la première édition des Argonautiques. V. 551. Les Mentores, — Les Mentores sont, d'après Hécatée (Fragm. Histor. Graec., Didot, vol. Ier, p. 4), un peuple voisin des Liburniens. Pline (N. H., III, 139) en fait une tribu de la nation des Liburniens. Seul, à la connaissance de C. Muller (Geogr. Graec. Min., Didot, vol. 1er, p. 27), Scylax cite les îles Mentorides, dans le voisinage des Électrides, et semble placer ainsi les Mentores parmi les insulaires et non parmi les continentaux, comme le font les autres auteurs anciens qui parlent de ce peuple. V. 553. Dans les îles Liguriennes, que l'on nomme Stoichades.— « Auprès de l'Italie sont trois îles nommées Ligustiades ou Stoichades, parce qu'elles sont rangées en ligne (στοὶχῳ); les Ligyens les habitent. » (Scol.) Strabon cite (153, 24) les cinq îles Stoichades dont trois sont grandes, et deux, petites : ce sont nos îles d'Hières. Pline (Ν. H., III, 79) ne compte que trois Stoichades; il donne de leur nom la même étymologie que le Scoliaste : « Tres Stoechades a vicinis Massiliensibus dictae propter ordinem quo sitae sunt. » Cf. Pomponius Méla (II, 7).— A propos de l'expression la terre Ausonienne, le Scoliaste fait remarquer que l'on a blâmé Apollonios d'avoir donné à l'Italie un nom qu'elle n'avait pas au temps de l'expédition des Argonautes, puisque ce nom vient d'Auson, né d'Ulysse et de Calypso, longtemps après l'expédition; il défend le poète en disant qu'il ne rapportait pas ce nom au temps des héros. On sait, en effet, que l'expédition des Argonautes est antérieure aux aventures d'Ulysse, puisque, dans l'Odyssée (cf. XII, v. 69 et suiv.), il est fait allusion à Jason et au voyage d'Argo. V. 564. Les îles Liburniennes. — Strabon parle de ces îles, situées près de la cote d'Illyrie (102, 23); il dit qu'il y en a une quarantaine (261, 46). Cf. Scylax (Peripl., § 21), Pline l'Ancien (III, 152), etc. On sait que les Liburnes étaient un des peuples de l'Illyrie. — L'île d'Issa est très souvent citée par les auteurs anciens : Strabon (102, 23, etc.), Scylax (§ 23), Scymnos (v. 413), Pline l'Ancien (III, 162), Pomponius Méla (II, 7), etc. — Dyscélados et Pityéia ne semblent guère mentionnées que par Pomponius Méla (II, 7). Les anciens éditeurs voyaient dans δυσκέλαδος; (dont le bruit est terrible) une épithète d'Issa, et Voss pensait qu'induit en erreur par une mauvaise intelligence du texte d'Apollonios, Pomponius Méla avait fait de l'épithète un nom propre. Brunck rétablit Δυσκέλαδος; et pense que, par suite de corruption, le nom de cette île est devenu Celadussa dans Pline (N. H., III, 132). Le Scoliaste fait aussi de Dyscélados le nom propre d'une île. — Pour Cercyra-Melaina, voir la note au vers 540. Les auteurs cités dans cette note admettent que Cercyra a été établie, non dans Cercyra-Mélaina, comme le dit Apollonios, mais dans Cercyra, pays des Phaiaciens. L'Asopos, père de Cercyra, est le rieuve de Sicyonie, qui passe devant la ville de Phlionte (voir la note au vers 115 du Chant Ier.— Mélité (voir la note au vers 524) est mentionnée aussi par Scylax (Peripl., § 23). — Cérossos et Nymphaié ne semblent pai mentionnées 359 par les anciens. Pline l'Ancien (N. H., III, 144) parle d'un Nympliaeum promontorium situé en Illyrie. Si l'on ne sait rien de Cérossos, on peut, du moins, identifier Nymphaié avec la légendaire Ogygie où, d'après, l'Odyssée (VII, v. 245), demeurait la fille rusée d'Atlas, Calypso. V. 582. La poutre douée de la parole. — Voir la note au vers 526 du Chant Ier. V. 591. Circé, fille de Perse et d'Hélios. — Voir, au sujet de Circé, la note au vers 311 du Chant III, et, pour ses origines, la note au vers 1221 du Chant II. Hésiode, qui dit aussi que Perse ou Perséis est la mère d'Aiétès et de Circé (Théog., v. 957), fait de cette déesse une Océanide (Théog., v. 356). V. 596. Au fond du cours de l'Éridan. — D'après les auteurs latins, l'Éridan est le nom grec du Padus (le Pô). Cf. Pline (N. H., XXXVII, 31): « Eridanum amnem quem Padum vocavimus.» Hygin (Fabul., 154): «Hic amnis [Padus] a Graecis Eridanus dicitur quem Pherecydes primus vocavit. » Le nom de l'Éridan se trouve mentionné par Hésiode (Théog., v. 338) avant Phérécyde : mais dans la Théogonie ce n'est qu'un nom mythique compris dans une énumération qui n'a rien de la précision géographique. Dans la Batrachomyomachie(v. 20), l'Éridan est cité comme un fleuve fabuleux; Hérodote (III, 115) rapporte sans l'admettre la tradition qui fait de l'Eridan un fleuve tributaire des mers septentrionales : il n'a vu personne qui ait pu lui donner des renseignements sur ce fleuve, et il pense que le nom de l'Éridan est de l'invention de quelque poète. A l'époque classique, l'Éridan est regardé comme un fleuve du légendaire pays des Hyperboréens. (Cf. Preller, Griech. Mythol., erster Band, dritte Auflage, p. 196.) Plus tard, on admet que l'Éridan est voisin du Pô, on prétend même qu'il n'est autre chose que le Pô : cette seconde opinion, qui est celle des auteurs latins en général, est aussi rapportée par Diodore de Sicile (V, 23). Strabon (179, 9) ne veut pas admettre l'identification de l'Éridan et du Pô, ni même le voisinage de ces deux fleuves, car, dit-il, l'Éridan n'est nulle part, il n'existe pas (voir la note au vers 505). Pour Apollonios, l'Éridan est, sans doute, le même fleuve que le Padus des Latins; il suit les traditions fantaisistes de l'ancienne géographie au sujet de ce fleuve qu'il fait communiquer avec le Rhodanos (v. 618). Ses connaissances sur le cours de l'Éridan sont aussi bizarres que celles qu'il a sur le cours de l'Ister. A supposer que les géographes d'Alexandrie connussent bien les fleuves de l'Europe, l'auteur des Argonautiques, qui fait accomplir à ses héros leur voyage traditionnel, est forcé par l'économie de son poème de se conformer aux systèmes géographiques primitifs. V. 697. C'est là qu'autrefois... — On a vu (note au vers 505) la manière dont Pline l'Ancien traite la légende des Héliades et la tradition rapportée par Apollonios à propos de la production de l'ambre. — Mais l'histoire de Phaéthon foudroyé par Zeus et précipité au fond de l'Éridan est populaire dans les légendes grecques. « Le mythe grec ajoutait que Phaéthon avait été enseveli par les Nymphes; que ses sœurs, les Héliades, s'étaient lamentées sans fin sur son tombeau, jusqu'au jour où elles avaient été changées en aunes, ou en peupliers 360 blancs. Leurs pleurs sèches et figés sur le sol étaient devenus de l'ambre : la brillante matière qui a l'éclat doré du soleil et la transparence d'une larme. A cette fable localisée sur les bords de l'Eridan se rattachait, comme on le voit, l'origine mythique de l'ambre, dont le commerce dans l'antiquité a suivi les voies de l'Adriatique pour se répandre en Grèce. » (Decharme, Mythol., p. 248.) Hésiode qui, au dire d'Hygin (Fabul., 154), semble être le premier qui ait raconté la légende de Phaéthon et des Héliades, disait que les filles d'Hélios furent changées en peupliers, in arbores sunt populos versae, comme l'auteur latin traduit le texte perdu d'Hésiode. D'après Virgile, elles furent changées en aunes (En., VI, v. 62):
Tum Phaethontiadas musco circumdat amarae ou en peupliers (Aen., X, v. 190) : Populeas inter frondes, umbramque sororum. Ovide, qui raconte avec grands détails toute l'histoire de Phaéthon (Met., II, v. 1-366), ne précise pas en quels arbres les Héliades furent changées. Euripide (Hippolyte, v. 735 et suiv.) parle des larmes d'ambre des Héliades, mais il ne dit rien de leur métamorphose. Strabon (179, 9) rapporte comme fabuleuse la tradition d'après laquelle elles auraient été changées en aunes. Apollonios, il me semble, indique nettement que l'arbre en question est le peuplier noir, αἴγειρος, que VOdyssée (X, v. 510) place dans les bois de Perséphoné. Der.ys (Perieg., v. 290 et suiv.), dans un passage imité d'Apollonios, dit que, se tenant au pied des peupliers noirs (ὑφήμενοι αἰγείροισι), les Celtes recueillent les larmes d'ambre des Héliades. Diodore de Sicile (V, 13) dit aussi que les Héliades furent changées en peupliers noirs. V. 604. Enfermées (ἐελμέναι). — Le mot ἐελμέναι est une excellente correction de Gerhard (Lection. Apollon., p. 52), adoptée par Wellauer et par Merkel. Le Laur. et le Guelf. ont ἐφήμεναι (la première leçon du Laur. était ἀείμεναι). mot qui fait ici un contre-sens et qui semble amené par le ὑφήμενοι de Denys (voir la note au vers 597). Mais ἐφήμεναι, dans le passage d'Apollonios, ne peut se rapporter aux Héliades comme, dans la Périégèse, ὑφήμενοι se rapporte aux Celtes qui se tiennent au pied des peupliers. Brunck rejette ἐφήμεναι « quod nobis Heliades repraesentat, tanquam aves, arborum ramis insidentes », pour admettre ἑλιγμέναι, leçon des mss. de Paris. Mais ἑλιγμέναι (roulées, entortillées) n'offre pas un sens satisfaisant et semble, comme la première leçon du Laur. ἀείμεναι, une faute de copie pour ἐελμέναι. V. 616. Irrité au sujet de son fils. — Ce fils d'Apollon, mis au monde par Coronis, fille de Phlégyas, dans la riche Lacéréia, ville de Thessalie, près de l'embouchure de l'Amyros (voir la note au vers 596 du Chant Ier), est Asclépios (voir Decharme, Mythol., p. 293). Quant à la légende des larmes d'Apollon qu'Apollonios dit avoir prise aux Celtes, elle ne semble pas se trouver dans la mythologie ordinaire des Grecs. Sturz (Pherecydis fragmenta, editio altera, Lipsiae, 1824, p. 84), 361 énumérant les divers auteurs qui ont parlé de la mort d'Asclépios et du châtiment d'Apollon, fait remarquer que la légende empruntée par Apollonios aux Celtes est en désaccord avec la légende consacrée. D'après le récit traditionnel (Apollodore, III, 10; Diodore de Sicile, IV, 71; cf. Decharme, Mythol., p. 294), Zeus foudroya Asclépios dont la science médicale rendait les hommes immortels; ayant voulu venger son fils, Apollon tua les Cyclopes qui fabriquent la foudre, et, pour le punir de ce meurtre, Zeus l'exila du ciel et le condamna à être l'esclave d'Admète. Il n'est pas question des larmes qu'Apollon aurait versées au bord de l'Éridan en se rendant chez les hommes Hyperboréens. Mais, comme l'Eridan était un fleuve mythique du pays des Hyperboréens (voir la note au vers 596), comme, d'autre part, les Hyperboréens étaient un des peuples favoris d'Apollon (voir la note au vers 676 du Chant II), la légende, citée par Apollonios, pour s'éloigner des traditions reçues, n'a rien d'invraisemblable. On peut admettre qu'Apollon ait obtenu d'aller passer chez les Hyperboréens le temps de son exil terrestre; on connaît d'ailleurs le goût d'Apollonios pour les traditions peu vulgaires où son érudition alexandrine se complaît. V. 627. Le cours profond du Rhodanos qui se jette dans l'Éridan. — « Le Rhodanos est un fleuve de la Celtique qui s'unit à l'Éridan. Puis ils se séparent en deux; l'une des branches se jette dans l'Océan, l'autre dans le golfe Ionien. » (Scol.) Les anciens géographes que suit Apollonios se faisaient sur le cours du Rhodanos (le Rhône) des idées aussi étranges que sur celui de l'Ister. Pline (N. H., XXXVII, 31) accuse Eschyle, Euripide et Apollonios d'ignorance au sujet du Rhône et du Pô: «Nam quod Aeschylus in Iberia, hoc est in Hispania, Eridanum esse dixit, eumdemque appellari Rhodanum, Euripides rursus et Apollonius in Hadriatico litore confluere Rhodanum et Padum... » Apollonios adopte quelque tradition géographique qui se trouvait dans une pièce d'Euripide aujourd'hui perdue. V. 633. Dans la mer Sardonienne, golfe immense. — L'expression grecque Σαρδόνιον πέλαγος καὶ ἀπείρονα κόλπον est un ἓν διὰ δυοῖν. Apollonios fait de la mer Sardonienne un golfe immense qui s'étend jusqu'aux bouches du Rhône. D'ordinaire, on donne le nom de Λιγθστικὸν πέλαγος au golfe où le Rhône se jette, et Strabon (88, i) fait remarquer que ce golfe est distinct de la mer Sardonienne. V. 634. Par sept embouchures. — « Au sujet des bouches du Rhodanos, Polybe accuse Timée d'ignorance, disant qu'elles ne sont pas au nombre de cinq, comme Timée le prétend, mais bien au nombre de deux. Artémidore rapporte qu'il y en a trois... Quelques-uns disent que ce fleuve a sept bouches. » (Strabon, 152, 27 et suiv.). V. 635. Les lacs... sur le territoire des Celtes. — Le Rhône ne traverse qu'un lac, qui est le Léman, Λημέννα λίμνη (Strabon, 170, 7, etc.). Mais puisque Apollonios admet que la suite des lacs traversés par le Rhodanos aurait conduit les Argonautes jusqu'à l'Océan, on comprend qu'il s'agit des divers lacs helvétiques, plus ou moins vaguement connus des géographes alexandrins. Le territoire des Celtes s'étend à l'infini au nord de l'Europe connue des contemporains d'Apollonios. Il ne faut pas entendre par Celtes, comme le fait Scylax (Peripl., § 18), 362 par exemple, un peuple qui soit voisin des Tyrrhéniens et qui habite au bord de l'Adriatique, mais bien, comme le dit Strabon (27, 3;), l'ensemble des peuples de l'Europe occidentale que l'ignorance des premiers géographes rangeait sous une seule et même dénomination. V. 640. Du haut des monts Hercyniens. — « Le mont Hercynien est un mont du pays des Celtes. » (Scol.) La forêt Hercynienne passait pour la plus vaste de toute l'Europe (Diodore, V, 21). Strabon dit que les forets Hercyniennes s'étendent sur une vaste contrée montagneuse et qu'elles sont voisines des sources du Rhin et de l'Ister et des lacs du Rhin (172, 35; 242, 45). C'est sur un mont voisin des lacs du Rhin (qu'Apollonios confond avec les prétendus lacs du Rhône) qu'Hëra s'élance pour pousser ce grand cri et donner cet avertissement aux Argonautes. V. 646. Les peuples innombrables des Celtes et des Ligyens. — Des monts Hercyniens jusqu'aux environs de la mer, les héros ont traversé le pays des Celtes; en arrivant vers la Méditerranée, ils se trouvent chez les Ligyens, peuple méditerranéen et riverain du Rhône, dont la ville principale est Massilia (Scylax, Peripl., | 4). Voir Strabon, etc. V. 650. Ils arrivèrent aux îles Stoichades. — Pour les îles Stoichades, voir la note au vers 553. V. 653. Zeus leur confia les navires des hommes. — On sait que les Dioscures, sous les noms de Σωτῆρας; et de Ἀγαθοὶ παραστάται, sont devenus les dieux bienveillants de la mer, les protecteurs des marins en danger. Voir Decharme, Mythol., p. 656; Preller, Griech. Mythol., zweiter Band, dritte Auflage, p. 104-105. Apollonios rattache l'origine de cette légende au souvenir des services que Castor et Pollux rendent aux Argonautes, leurs compagnons. V. 656. D'une couleur semblable à celle de la sueur des héros (χροιῇ εἵκελαι).— Strabon rapporte les mêmes traditions qu'Apollonios sur le séjour des Argonautes dans l'île d'Aithalia, qui se trouve à 300 stades de la côte et à la même distance de l'île Cyrnos (186, 37 et suiv.): « II y a sur la côte d'Aithalia un port appelé Argoos, du nom, dit-on, du navire Argo; on prétend qu'en cherchant la demeure de Circé, que Médée voulait voir, Jason aborda dans cette île; on assure même que des strigilles dont se servaient les héros, des gouttes d'huile sont tombées qui, en se pétrifiant, ont formé les cailloux de diverses couleurs qu'on voit sur le rivage (τῶν ἀποστλεγγισμάτων παγέντων... διαποικίλους τὰς... ψήρους). » On trouve les mêmes renseignements dans le livre περὶ θαυμασίων ἀκουσμάτων, attribué à Aristote, où il est dit (p. 107, édit. Sylburg) que sur le rivage d'Aithalia on voit des cailloux de diverses couleurs (ψήρους... ποικίλας), qui ont pris la couleur de la crasse que les héros, couverts d'huile, s'enlevaient avec leurs strigilles (τὴν χροιὰν λαβεῖν ἀπὸ τῶν στλεγγισμάτων, ὧν ἐποιοῦντο ἀλειφόμενοι). Ces mots διαποικίλους, ποικίλας, ont fait penser à plusieurs critiques (à Dübner, entre autres) qu'il faudrait changer ἴκελοι ou εἱκελοι leçon des mss., et εἱκελαι, correction de Brunck, en ποικίλαι, parce que le texte ne dit pas à quoi ces cailloux sont semblables. Wellauer répond à cela : « Quod minime necessarium est : subintelligendum est εἱκελαι ἱδρῶτι, nam colorem acceperant ἀπὸ τῶν στλεγγισμάτων, ut dicunt qui hanc rem 363 fusius narrant. » Si l'on prend le mot χροιή non dans le sens de couleur, mais dans le sens de peau humaine qu'il semble avoir (cf., à ce mot, le Dictionnaire d'Homère de Theil), la seule fois qu'il est employé dans Homère (lliad., XIV, v. 164), on n'a rien à sous-entendre : χροιῇ εἵκελαι signifie des cailloux semblables par leur couleur à la peau des héros (souillée de sueur). — L'île Aithalia (aujourd'hui l'île d'Elbe) est très souvent citée par les auteurs latins et grecs. D'après C. Müller (Strabon-Didot, Index, au mot Argous), le port 'Ἀργῷος est aujourd'hui le Porto Ferrajo. Diodore de Sicile (IV, 56) dit que le nom d'Argoos, donné par les Argonautes à un des ports de l'île Aithalia, est encore conservé de son temps. Il sera question (v. 1620) d'un port homonyme, voisin du lac Triton, nommé lui aussi Argoos en souvenir du passage d'Argo. V. 661. Ils arrivèrent au port célèbre d'Aia. — Voir la note au vers 3111 du Chant III. Dans ce passage, Aiétès disait qu'Hélios avait conduit Circé au milieu des régions occidentales, sur le rivage du continent Tyrrhénien. Le poète indique ici avec précision en vue de quelle partie des rivages Tyrrhéniens se trouve l'île d'Aia, demeure de Circé. Elle est un peu au sud de l'île Aithalia que les héros viennent de quitter et au nord de l'île des Sirènes et de la Trinacrie qu'ils longeront après être partis de la demeure de Circé. — On ne peut établir la position de la légendaire Aia où la Circé d'Homère habitait. Virgile semble placer Aia, Aeaeae insula Circae (Aen., III, v. 386), dans la même région qu'Apollonios (cf. Aen., VII, v. 10). Les auteurs latins, voulant identifier la demeure de Circé avec le Circeium promontorium, ont imaginé que ce cap formait autrefois l'île d'Aia, disparue depuis. Cf. Servius (ad Aen., III, v. 386) : « Qui nunc Circeius mons a Circe dicitur, aliquando, ut Varro dicit, insula fuit, nondum siccatis paludibus quae eam a continenti dividebant. » V. 662. Circé qui purifiait sa tête. — C'est ainsi qu'Atossa se purifie dans l'eau d'une source du songe qui a troublé son sommeil (Eschyle, Les Perses, v. 201 et suiv.). Dans les Grenouilles (v. 1338 et suiv.), Aristophane fait dire à Eschyle, dans la bouche de qui il met sans doute la parodie de quelques vers d'Euripide : « Servantes, allumez une lampe, puisez dans vos urnes la rosée des fleuves, faites chauffer l'eau, que je me purifie de ce songe envoyé par les dieux... » V. 665. Toute l'enceinte de sa demeure (ἕρκεα πάντα δόμοιο). — Voir la note au vers 39 du Chant III. V. 672. Des bêtes sauvages... dont les membres étaient un mélange... — Cette idée d'animaux primitifs monstrueux appartient à Empédocle. En réfutant ce philosophe, Lucrèce (V, v. 905 et suiv.) semble faire allusion à cette description d'Apollonios :
Talia qui fingit potuisse nnimalia gigni... V. 676. Tels, du limon primitif... — Apollonios s'exprime dans les termes mêmes que Diogène de Laerce (édit. Tauchnitz, 1. II, cap. iv, 3) prête à Archélaos : « Ἀρχέλαος... ἔλεγε... τὰ ζῶα τῆς ἰλύος γεννηθῆναι. » 364 Archélaos, en effet, qui passe pour avoir été le maître de Socrate, et qui était l'élève d'Anaxagore, dit que les êtres vivants doivent leur origine première à l'influence de la chaleur solaire qui les fit éclore du limon de la terre. Ces animaux aux membres hétérogènes (ἀνόμοια, Hippolyte, Refut,, I, 9) se nourrissaient de ce limon qui les avait produits : ils vécurent peu de temps. La génération sexuelle n'eut lieu que plus tard; et, peu à peu, par l'industrie et par les moeurs, les hommes s'élevèrent au-dessus des autres créatures. — Mais cette doctrine sur la production primitive des êtres animés n'est pas particulière à Archélaos : il l'a empruntée à son maître Anaxagore, qui disait que tous les animaux viennent à l'origine de la terre vaseuse, fécondée par les germes contenus dans l'éther. Empédocle admettait aussi cette théorie qui avait été enseignée avant lui par Anaximandre et Parménide, et qui fut répandue dans la suite par Démocrite et par Diogène. (Voir Zeller, Philosophie des Grecs, t. II de la traduction Boutroux, Hachette, 1882, chap. II, ιι, § 4, surtout la note 4 de la page 421.) D'après Diodore de Sicile (l, 47), Euripide, dans sa tragédie de Mélanippé, disait, lui aussi, que les animaux étaient nés à l'origine du limon de la terre. — On voit qu'Apollonius reproduit dans ce passage un véritable lieu commun de l'ancienne philosophie cosmogonique. V. 683. Les yeux de Circé. — Apollonios dira (v. 717 et suiv.) que tous les descendants d'Hélios étaient faciles à reconnaître grâce à cet éclat de leurs yeux qui permet aux héros de conjecturer que la saur d'Aiétès est devant eux, et à Circé de deviner que la jeune fille qui vient chez elle en suppliante est de sa race. V. 694. Telle est la coutume des tristes suppliants. — Ulysse observe cette coutume quand il se présente en suppliant dans la maison d'Alcinoos (Odyss., VII, v. i53). Les Thébains qui supplient Apollon de faire cesser la peste sont assis en silence au pied des autels du dieu, devant le palais d'Œdipe (Sophocle, Œdipe-Roi, v. 15 et suiv.). V. 696. Sa grande épée, munie d'une poignée (κωπῆεν μέγα φάσγανον). — Le φάσγανον (de σφάζω, immoler) est l'arme meurtrière par excellence; il a deux tranchants (ἄμφηκες, lliad., X, v. 256, etc.). La κώπη est la poignée sans garde : elle correspond au capulus des Latins, qui s'oppose à l'ansa, poignée recourbée. La traduction latine d'Hoelzlin, Shaw, Beck et Lehrs, ansatus magnus gladius, semble inexacte. V. 703. Les suppliants dont l'âme a été sans pitié (νηληεῖς). — Merkel adopte la leçon du Laur.; le Guelf. et les mss. de Paris ont νηλειεῖς. Les deux mots ont le même sens et viennent l'un et l'autre de νη, ἔλεος. Hoelzlin a corrigé en νηλητεῖς ou νηλιτεῖς (de νη, ἀλιταίνω), qui signifie ceux qui n'ont pas expié leur faute. Wellauer, suivi par Lehrs, admet cette correction, déjà approuvée par Ruhnken : ils estiment que le mot νηληεῖς ou νηλιτεῖς contredit le sens de la phrase. Il semble, au contraire, que dire de Jason et de Médée suppliants qu'ils n'ont pas expié leur faute, c'est une simple banalité. Rappeler que leur âme a été sans pitié au moment du crime et que cependant Zeus, touché par la cérémonie expiatoire, aura pitié d'eux, c'est donner une grande idée de l'importance de ces pratiques mystérieuses auxquelles Circé va procéder et dont le poète décrira minutieusement tous les rites. 365 V. 704. Le meurtre irréparable (ἀτρέπτοιο... φόνοιο). — « Agitur de nefanda caede Absyrti, fratris Medeae, lustranda Circae. Pro adiectivo merita suspecta eruditis non inepte suspiceris ἀτηροῖο vel ἀρρήτοιο. » (H. van Henverden.) Merkel dit à propos de cet adjectif: « In ἀτρέπτοιο nescio an recte Schneiderus offenderit : temptari varia possunt. » Hoelzlin déjà trouvait le sens du mot faible : « Ἀτρέπτοιο immutabilis : nullam mutabilem esse caedem ante satis omnes novimus. » La nécessité d'un changement ne semble pas évidente : le mot irréparable est une sorte d'épithète de nature, à la manière homérique. V. 705. Le petit d'une truie.— Flangini fait remarquer que cette description des cérémonies expiatoires d'un meurtre ne se trouve que dans Apollonios : « E' propria di Apollonio net suo intiero complesso questa descrizione del rito usato da Circe nella espiazione di Giasone e Medea. Non se ne trova, ch'io sappia, altro esempio pressa altri Scrittori. » L'usage de se faire purifier d'un meurtre paraît postérieur à l'époque homérique : on n'en trouve pas d'exemple dans l'Iliade et dans l'Odyssée. Le Scoliaste des Argonautiques (note au vers 62 du Chant III) dit que Phérécyde parle de la purification d'Ixion accomplie par Zeus : il y est fait allusion dans les Euménides d'Eschyle (v. 718). Cette tragédie indique toutes les pratiques de purification auxquelles Oreste est soumis (v. 40-45, 63, 79, 237, 283, 446-452). Le porc est l'animal expiatoire pour Oreste comme pour Jason et Médéc. Mais Oreste est arrosé d'eau lustrale et non du sang de l'animal : cette rosée sanglante qui coule sur les mains des coupables fait penser aux rites expiatoires du taurobole, inconnus au temps d'Eschyle. Les autres pratiques de la cérémonie se trouvent dans les poèmes homériques et dans les Euménides. Quand, sur l'ordre d'Agamemnon, les guerriers se purifient, ils jettent à la mer, comme font les Naïades de Circé, l'eau qui a servi aux purifications (Iliad, I, v. 313). On sait que les sacrifices où les libations se font sans vin s'adressent spécialement aux Erinyes (Euménides, v. 107). V. 709. Zeus protecteur des suppliants dont les mains sont ensanglantées (παλαμναίων).— Zeus lui-même a le surnom de Παλαμναῖος. Voir Preller, Griech. Mythol., erster Band, dritte Auflage, p. 115. V. 711. Les Naïades servantes. — Dans l'Odyssée (X, v. 348 et Suiv.), Circé est servie par quatre Naïades des sources et des forêts. V. 715. Doux et propice. — Ce vers est imité de Callimaque (Hymne à Artémis, v. 119). V. 757. Chère Iris... — Voir sur Iris la note au vers 286 du Chant II. — Apollonios se souvient ici du passage de l'Iliade (XXIV, v. 74 et suiv.) où Iris va trouver Thétis de la part de Zeus. V. 761. Les rivages où les enclumes d'airain d'Héphaistos... — Le Scoliaste reproduit avec quelques compléments sa note au vers 41 du Chant III sur les îles d'Aiolos et les forges d'Héphaistos. « C'est dans celles de ces îles que l'on nomme Lipara et Strongylé qu'Héphaistos, dit-on, habite, et qu'on entend le frémissement du feu et le fracas des marteaux. On rapportait autrefois que celui qui le voulait pouvait porter au dieu du fer brut et recevoir le lendemain une épée ou tout autre objet qu'il désirait, pourvu qu'il payât le prix. C'est Pythéas qui raconte 366 cela dans son Circuit de la terre; il y dit aussi que la mer est bouillante [aux environs de ces îles;]. Agathocle, dans ses Mémoires, dit au sujet des forges d'Héphaistos que, près de la Sicile, il y a deux îles dont l'une se nomme Hiéra et l'autre Strongylé, que toutes les deux exhalent du feu nuit et jour... L'une s'appelle l'île d'Aiolos, l'autre l'île d'Héphaistos. » V. 764. Aiolos. — II est déjà question d'Aiolos dans l'Odyssée (X, v, i et suiv.). « Dans l'Odyssée (X, v. 1-21), Eole est un roi qui tient de la faveur des dieux le pouvoir de calmer et d'exciter les vents a son gré. Mais, chez les Grecs, il n'est nullement ce qu'il sera plus tard dans la mythologie romaine : le roi et le père des vents. » (Decharme, Mythol., p. 279, n. 3.) Voir, à propos d'Aiolos et de sa demeure, Preller, Griech. Mythol., erster Band, dritte Aullage, p. 519-521. V. 765. Aux vents nés de la région supérieure de l'air (αἰθρηγενέεσσιν). — « Aux vents qui amènent le beau temps et la fraîcheur. » (Scol.) Cette interprétation, qui est celle de quelques traducteurs d'Apollonios, est aussi celle de Voss, qui rend par vent qui souffle la sérénité l'épithète αἰθρηγενής qu'Homère donne à Borée; elle semble inadmissible. M. Pierron dit fort bien (note au vers 171 du Chant XV de l'Iliade): « Né de l'αἴθρη, (de la couche supérieure de l'air) : soufflant du haut du ciel... C'est donc bien à tort que quelques-uns donnent à αἰθρηγενής un sens actif. La terminaison γενής a même toujours le sens de natus; et nos chimistes du dernier siècle se sont trompés du tout au tout, quand ils ont fait les mots oxygène et hydrogène, pour dire engendre-acides et engendre-eau. » V. 772. La mer Egée. — Voir la note au vers 831 du Chant Ier. Pour Homère, la demeure de Nérée est une grotte brillante au fond des abîmes de la mer (Iliad., XVIII, v. 36, 50, 140). Apollonios précise la situation de cette demeure en la plaçant au-dessous de la mer Egée. V. 778. Aiolos, l'illustre fils d'Hippotas.— En faisant d'Aiolos le fils d'Hippotas, Apollonios suit la tradition homérique (Odyss., X, v. 3, 36), qui est d'ailleurs généralement admise. Oiodore de Sicile (IV, 67) établit ainsi la filiation d'Aiolos. Deucalion, fils de Prométhée, est père d'Hellen; Hellen, d'Aiolos; Aiolos, de Mimas; Mimas, d'Hippotas. Hippotas, enfin, eut de sa femme Mélanippé un fils nommé Aiolos, qui, abandonnant l'Hellade continentale, royaume de ces ancêtres, vint s'établir dans les îles de la mer Tyrrhénienne, qui, de son nom, s'appelèrent Iles Aioliennes. Zeus fit de lui le maître des vents. D'après d'autres traditions, Aiolos, le maître des vents, serait fils de Zeus ou de Poséidon. V. 786. Au travers des roches mobiles (πλαγτὰς... πέτρας). — « Les πλαγταὶ πέτραι sont dans le détroit, comme le disent Timée et Pisistrate de Lipara. » (Scol.) Le Scoliaste ne dit pas à quel détroit il fait allusion : mais puisqu'il cite Pisistrate de Lipara, il est probable qu'il entend par ce détroit celui qui se trouve entre les îles d'Aiolos et la côte d'Italie. C'est une erreur : Héra rappelle qu'elle a sauvé les Argonautes alors qu'ils pénétraient au travers des Roches Cyanées ou Symplégades qui sont situées à l'entrée du Pont (Argon., II, v. 528-618). Il semble qu'Héra se vante, car le poète a montré Athéna s'emprîssant à aider 367 les héros dans ce passage difficile; il n'a rien dit du secours qu'Héra leur aurait porté. — Quoi qu'il en soit, pour éviter la confusion où le Scoliaste est tombé, je traduis, dans ce passage où il est évidemment question des Roches Cyanées, πλαγταὶ πέτραι par roches mobiles, et je réserve le nom de Roches-Errantes aux Πλαγκταὶ Πέτραι, voisines de la côte d'Italie, qui avaient déjà ce nom dans l'Odyssée (XII, v. 61), et qui l'ont aussi dans les Argonautiques (IV, v. 860). Strabon (123, 42 et suiv.) suppose qu'Homère a imaginé ses Planctai à l'instar des Cyanées ou Symplégades. On sait d'ailleurs que ces trois noms désignent également les rochers qui se trouvent à l'entrée du Pont : « Insulae in Ponto Planctae, sive Cyaneae, sive Symplegades. » (Pline, N. H., VI, 32.) V. 791. Je t'ai nourrie moi-même. — L'Héra d'Homère s'exprime à peu près dans les mêmes termes (Iliad., XXIV, v. 59-63). V. 793. A cause de cela (οὕνεκεν). — Le sens de la phrase est : Je t'ai nourrie et aimée; c'est à cause de cela, en reconnaissance de mes bontés pour toi que tu as craint d'entrer dans le lit de Zeus. Beck me semble faire un contresens en traduisant οὕνεκεν par quoniam. Il fait en effet dire par Héra à Thétis : Je t'ai nourrie, aimée, etc., parce que tu as craint d'entrer dans le lit de Zeus; or, il est évident qu'au moment où Héra a commencé à s'occuper d'élever Thétis, celle-ci n'avait pas encore eu l'occasion de résister aux poursuites de Zeus. V. 800. La vénérable Thémis lui a fait connaître toutes choses. — Pour la prédiction de Thémis, voir la VIIe Isthmique de Pindare. Cf. aussi Apollodore (III, 13, 5) et Decharme (Mythol., p. 600 et suiv.). V. 805. Le meilleur de ceux qui habitent la terre. — C'est à cause de sa sagesse, dit le Juste, dans les Nuées d'Aristophane (v. 1067) que Pelée épousa Thétis. V. 807. J'ai appelé au festin des noces l'assemblée de tous les dieux. — Voir, pour la description des noces de Thétis et de Pelée, la Ve Néméenne de Pindare et le chœur d'Iphigênie à Aulis(v. 1040 et suiv.). « Tous les dieux assistaient à ce banquet, souvent chanté par les poètes grecs et latins, depuis Hésiode (dont on cite des Ἐπιθαλάμια εἰς Πηλέα καὶ Θέτιν) jusqu'à Catulle (Carm., LXIV). » (Weil, Sept tragédies d'Euripide, note au vers 1041 d'Iphigénie à Aulis.) V. 808. J'ai tenu dans mes mains la torche nuptiale. — « C'était une antique coutume que, dans les mariages, les mères de ceux qui se mariaient portassent une torche [δᾳδουχεῖν] ; Euripide dit, dans les Phéniciennes [v. 344-346] : Je n'ai pas allumé pour toi la lumière du feu suivant l'usage, comme il convient à une mère bienheureuse. Donc, Héra dit qu'elle a tenu la torche en l'honneur de Thétis, remplissant à son endroit le rôle d'une mère, à cause de la bienveillance qu'elle avait pour elle. » (Scol.) Cette coutume semble postérieure à l'époque homérique; il n'en est pas question dans l'Iliade et dans l'Odyssée. Dans la description de la noce gravée sur le bouclier d'Achille (Iliad., XVIII, v. 490 et suiv.), on voit seulement le cortège nuptial qui conduit les fiancés par la ville à la lueur des torches. V. 813. Les Naïades. — « II veut dire Chariclo et Philyra par qui Achille fut élevé. Chariclo était la femme de Chiron, et Philyra, sa 368 mère. » (Scol.) Voir, pour Chariclo, Philyra et l'éducation d'Achille, les notes aux vers 554 et 558 du Chant Ier et 1231 du Chant II. V. 814. Il doit être l'époux... de Médée. — « Anaxagore dit que les habitants de la Laconie ont réellement honoré Achille comme un dieu. Quelques-uns rapportent que, par sympathie pour Thétis, les dieux ont donné l'immortalité à Achille. Quant au fait qu'une fois parvenu dans la plaine Élyséenne il épousa Médée, Ibycos l'a rapporté le premier et, après lui, Simonide. » (Scol.) Pour les diverses traditions concernant la destinée d'Achille après sa mort, voir Decharme (Mythol., p. 431, 500, 662). V. 816. Pourquoi cet inflexible courroux? — « L'auteur de l'Aigimios [voir la note au vers 587 du Chant III] dit, dans son livre II, que Thétis plongeait dans une chaudière pleine d'eau bouillante les enfants qui lui étaient nés de Pelée, voulant savoir s'ils étaient mortels; d'autres, comme Apollonios, disent qu'elle les jetait dans le feu. L'auteur ajoute que, beaucoup étant déjà morts ainsi, Pelée s'irrita et empêcha qu'Achille ne fût plongé dans la chaudière. Sophocle, dans les Amants d'Achille, dit que Thétis, outragée par Pelée, l'abandonna. Staphylos, dans le livre III de ses Histoires de Thessalie, dit que Chiron, qui était savant et habile dans l'astronomie, voulant rendre Pelée illustre, envoya chercher Philoméla, fille d'Actor, le descendant de Myrmidon, et répandit le bruit que Pelée devait épouser Thétis qui lui était donnée par Zeus, et que les dieux viendraient à ses noces, au milieu de la pluie et de la tempête. Ayant ainsi parlé, il observa le moment où il y aurait une grande tempête avec abondance de pluie, et alors il donna Philoméla à Pelée, et c'est ainsi que se confirma le bruit du mariage de Thétis et de Pelée. » (Scol.) Cette Philoméla serait la mère d'Achille, d'après d'autres auteurs cités par le Scoliaste (Ch. Ier, v. 558) : «Certains auteurs sont en désaccord au sujet de la mère d'Achille; ainsi, Lysimaque d'Alexandrie, dans le livre II des Retours, dit en propres termes : Suidas, Aristote [de Chalcis], qui a écrit un ouvrage sur l'Eubée, et l'auteur des histoires de Phrygie, ainsi que Daimachos et Denys de Chalcis sont loin de suivre la tradition commune qui est répandue parmi nous; au contraire, les uns disent qu'Achille est né de Thétis, fille de Chiron; Daimachos dit qu'il naquit de Philoméla, fille d'Actor. » Apollodore (III, 13, 6) rapporte une tradition semblable à celle qu'Apollonios exposera (v. 873 et suiv.). Voulant rendre immortel le fils qu'elle avait eu de Pelée, Thétis l'exposait au feu, la nuit, en secret, pour détruire tout ce qui en lui était mortel, par le fait de son père; en même temps, elle l'oignait d'ambroisie. Pelée la surprit; en voyant son fils qui palpitait au milieu des flammes, il jeta un cri. Thétis, empêchée d'exécuter son projet, abandonna son petit enfant et se retira chez les Néréides. Alors Pelée porta son fils à Chiron qui le nourrit des entrailles des lions et de la moelle des ours et des sangliers, et qui le nomma Achille (l'enfant s'appelait d'abord Ligyron), parce que ses lèvres ne s'étaient pas approchées des mamelles d'une nourrice (χείλη, lèvres). Voir Heyne, ad Apollodori Bibliothecam Observationes, III, 13, 6, p. 315. V. 825. Charybde. — Apollonios se conforme aux traditions de la 369 géographie homérique (Odyss., XII, v. 104 et suiv.), quand il place Charybde auprès de Scylla. « Ces deux monstres n'étaient que l'expression poétique du double péril qui attendait au passage du détroit de Sicile les navigateurs exposés à être perdus dans un tournant ou à se briser contre un écueil. Mais si Charybde est une simple image empruntée au spectacle des dangers de la mer, Scylla a une légende.» (Decharme, Mythol., p. 341.) On trouvera la légende de Scylla dans la note au vers 826. Comme Homère, Apollonios s'abstient de faire de Charybde une personnalité divine ayant des parents; d'après des traditions postérieures, Charybde était fille de Poséidon et de Gaia. « Charybdis femina fuit voracissima, ex Neptuno et Terra genita, quae quia boves Herculis rapuit, fulminata a love est et in maria praecipitata. Unde naturam pristinam servat : nam sorbet tiniversa quae prehendit. » (Servius, ad Aen., III, v. 420.) Je ne sais où Servius a pris cette légende du vol des bœufs d'Héraclès, qui est aussi attribué à Scylla.— Voir la note au vers 826.
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