Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

PROBUS

 

TRAITE SUR LES PREMIERS ANALYTIQUES  D’ARISTOTE,

.

 


 

LE TRAITÉ

du

PHILOSOPHE SYRIEN PROBUS

SUR LES PREMIERS ANALYTIQUES

D’ARISTOTE,

PAR

A. VAN HOONACKER

 

NOTICE PRÉLIMINAIRE.

 

Il y a quelque temps déjà, M. P. Bedjan dont la féconde activité, si appréciée des amis des lettrée syriaques, n'a d'égale que son amabilité, nous mit entre les mains un recueil manuscrit syriaque de divers traités et écrits sur la logique. C'est un volume relié en vieux maroquin rouge, dont la reliure d'ailleurs est toute délabrée de vétusté. Il comprend 128 feuillets d'assez gros papier vergé, jaunis mais très bien conservés, sauf des taches d'humidité à la marge des douze ou treize premiers, de quelques-uns au milieu, et des quatre derniers où elles sont plus légères. Le format est d'environ 22 centimètres sur 16 centimètres. En moyenne il y a 19 à 20 lignes par page. L'écriture, en caractères nestoriens, est très distincte; assez épaisse, apparaissant à certains feuillets à travers le papier, mais sans que la lecture en soit rendue plus difficile. Les différents traités qui composent le recueil commencent toujours à une nouvelle page; il arrive même que deux traités qui se suivent soient séparés par une page blanche ou un feuillet blanc. Les titres et les souscriptions (celles-ci pas toujours en entier) sont écrits à l'encre rouge, de même que çà et là, dans le texte, les termes qui servent, par exemple, de thème aux explications. Les mots ou lignes d'écriture écrits verticalement à la marge, souvent comme corrections ou additions, sont généralement encadrés de rouge. Les feuillets ne portent aucun signe de pagination. Dans la suite nous nous en rapportons aux chiffres que nous y avons mis nous-même, page par page, depuis 1 jusqu'à 256, et que nous reproduisons plus loin, entre crochets, pour le texte du traité de Probus sur les Premiers Analytiques, et pour la version que nous en avons faite.

La page 1 et quatre lignes à la page 3 sont occupées par un griffonnage informe où il paraît être question de remèdes contre les maux d'yeux. Les pages 6-10 contiennent, sous le titre  des explications, en arabe, touchant le calendrier, accompagnées (p. 10) d'un tableau. — A la fin du volume, p. 253, on lit douze vers, sous l'en-tête  signalant au maître les défauts auxquels il pourra reconnaître le disciple incapable ou indigne :

………………………………………………………………………………………………………….

Les cinq dernières lignes de la même page et six lignes de la page suivante, exposent une recette pour enluminer l'écriture en or ou en argent. A la suite de cette recette, encore à la page 254, la notice suivante nous apprend que le document est originaire des couvents (du couvent?) de Saint-Georges et (de) Sainte-Barbe de la ville de Karmelisch :

Voici à présent rémunération des traités dont se compose le recueil :

1° P. 12-23. —

Comme on le voit déjà à la suscription, ceci est une composition en vers. L'auteur y propose à résoudre le problème suivant : d'un père seul, en dehors de toute union, naissent six cents enfants; de l'union du père avec une de ses filles naissent en outre trois mille enfants. Le père c'est le nom, la fille en question c'est le verbe. Les enfants sont d'abord les diverses formes grammaticales des éléments du discours, envisagées comme dérivant du nom; ensuite les multiples sortes de propositions résultant de la construction du nom avec le verbe. Il n'y a pas de nom d'auteur.

2° P. 25-101 : Version du livre des Catégories d'Aristote, sans nom d'auteur.[1]

3° P. 102-123 : Deux scholies sur les Catégories d'Aristote dont la seconde d'Eusèbe d'Alexandrie.[2]

4° P. 124-155 : Commentaire sur le livre Περὶ Ερμηνείας, composé par Paul le Perse et traduit du perse en syriaque par Sévère Sabokt, évêque de Kenesrin.[3] — Ce commentaire est suivi d'un appendice comprenant :

a P. 155-159 : des éclaircissements composés par Abraham à l'usage des étudiants.

b P. 159-160 : un court supplément d'explication par Jesubokt.

5° P. 161-169 : Lettre du même Sabokt à Aithalaha évêque de Ninive, où l'auteur traite « des propositions dans le livre Περὶ Ερμηνείας[4] ».

6° P. 173-216 : Traité de Probus, sur les Premiers Analytiques d'Aristote.

7° P. 217-252 : Traité sur les syllogismes d'après les Premiers Analytiques par Sévère Sabokt.[5]

C'est le numéro 6 de cette liste qui a tout d'abord attiré notre attention, grâce au nom de l'auteur. Dans son étude De Hermeneuticis apud Syros Aristoteleis, G. Hoffmann a réuni les données assez maigres que l'on possède sur Probus ou Prôbâ.[6] On ne sait point l'époque précise à laquelle vécut le philosophe syrien; mais il ne semble pas devoir être placé plus tard que le ve siècle; d'autre part, ses travaux sont postérieurs à la première moitié de ce même siècle.[7] Hoffmann a publié dans son ouvrage, avec traduction et notes, le commentaire de Probus sur le traité Περὶ Ερμηνείας. Renan avait rapporté,[8] renouvelant en cela une erreur déjà ancienne, dit Hoffmann, que dans le Kitâb-el-Fihrist Probus était désigné, sous le nom, légèrement altéré par une métathèse de lettres, de Phubrius () ; et qu'il y était présenté comme l'auteur de commentaires sur le Περὶ Ερμηνείας, les Αναλυτικὰ πρότερα et le Περὶ σοφιστικῶν Έλέγχων. Hoffmann, à la suite de Wenrich, remarque qu'au lieu de , dans le passage en question, il faut lire  (Qawairi); il considère en conséquence comme erronée la conclusion basée sur ce témoignage, touchant le commentaire de Probus sur les Premiers Analytiques.[9] Quoi qu'il en soit du témoignage du Kitâb-el-Fihrist, nous voici en présence d'un manuscrit attribuant à Probus un commentaire sur ce livre d'Aristote.

Rubens Duval signale la présence du même commentaire dans le manuscrit de Berlin, Sachau, 226. Il fait remarquer qu'il y est mis sous le nom de Probus presbyter, archidiacre et archiatre à Antioche, de même que la version de l’Isagoge de Porphyre. « Il est possible, ajoute-t-il, que la version du Περὶ Ερμηνείας soit d'un autre traducteur.[10] » Le commentaire sur les Analytiques renfermé dans le manuscrit de Berlin, que nous désignerons par la lettre B, est le même que celui du manuscrit de Bedjan (= Bdj.). Seulement la remarque de Rubens Duval n'est pas entièrement exacte. La seconde partie de l’Isagoge de Porphyre (la première partie manque) est en effet, dans B, rapportée à Probus presbyter, archiatre et archidiacre à Antioche; la souscription de ce document porte :

Il n'en est pas de même du commentaire sur les Analytiques, séparé d'ailleurs dans le manuscrit en question, du traité de Porphyre, par d'autres documents. La seconde partie de ce commentaire, laquelle vient en premier lieu, est attribuée dans la souscription à Probus le Sage, sans autre titre; la première de même est attribuée dans l'inscription à Probus le Sage tout court, exactement comme dans Bdj.

Le commentaire sur les Analytiques (= A) est-il du même auteur que le commentaire sur le Περὶ Ερμηνείας, publié par Hoffmann (= H), comme l'attribution qui en est faite de part et d'autre à Probus est de nature à le faire présumer ? La comparaison nous paraît décisive en faveur de l'identité d'auteur.[11] La méthode suivie est la même dans les deux documents. Suivant le procédé des interprètes grecs, nous avons d'abord une courte introduction générale; ensuite, arrivant au commentaire proprement dit, l’auteur expose la matière à traiter et discute l’ordre suivi; abordant le texte, ii allègue point par point les paroles d'Aristote auxquelles il fait suivre son explication, en rappelant fréquemment aussi les discussions des commentateurs touchant tel ou tel passage. Il est vrai que le thème pris dans le texte d'Aristote n'est pas précédé, dans A, de la mention du nom d'Aristote, de même que le nom de Probus ne figure pas en tête des explications qui suivent. Mais il n'est pas même prouvé que cette particularité que l'on observe dans H, soit originale ; on ne la trouve pas non plus chez les commentateurs grecs. Les opinions des interprètes sont introduites de la même manière dans A et dans H :  on dit, d'aucuns disent, d'autres disent. . . Les objections sont souvent présentées sous forme de doute auquel fauteur répond ou dont il donne la solution. Il fait poser des questions, p. e. sur l'ordre suivi, ( ), pour amener des explications. Ses transitions prennent la forme: « Après avoir exposé tel sujet, il (= Aristote) veut définir, montrer, nous apprendre . . . telle chose. » Cette dernière tournure est très fréquente, (H, p. 67, l. 19; p. 70, l. 27; p. 73, l. 29; p. 74, l. 25, etc.; A, p. 174 et passim). On trouve souvent l'expression de l'identité entre deux notions formulées par (id est): H, p. 64, l. 26; p. 66, l. 19 et suiv., etc.; A, p. 173, 189 et passim. L'auteur aligne les membres d'une énumération moyennant les chiffres d'ordre : premièrement, deuxièmement. . . (H, p. 64, l. 34 et suiv.; A, p. 180, 182, 190 et suiv.). A la question de savoir pourquoi Aristote définit ou traite tel objet de telle ou telle manière, on répond que c'est pour le distinguer du même objet envisagé au point de vue des orateurs, des grammairiens. . . (H, p. 79, l. 10 et suiv.; A, p. 189). L'amour d'Aristote pour la concision offre la justification de certaines formules, ou est alléguée comme objection (H, p. 74, l. 29; p. 86, l. 2; A, p. 181, 186…). Si le nom de Porphyre n'est pas cité dans A, en revanche Alexandre (d'Aphrodisias) dont l'opinion est débattue H, p. 81, l. 30, et p. 82, est également mis en avant A, p. 185 et suiv.

Voici des observations plus précises. Dans H, l'auteur expose dès le début (p. 63 et suiv.), les sept points qu'il convient avant tout d'examiner avant l'étude d'un ouvrage quelconque : le but de l'ouvrage, son utilité, etc. Or, dans A, il commence par rappeler ces sept points ; et ce qui plus est, ici, il dit en termes explicites que « nous avons appris » la nécessité de ces considérations préalables « dans l'ouvrage qui précède celui-ci ». Ce « livre qui précède » n'est pas le traité même d'Aristote Περὶ Ερμηνείας, car Aristote ne dit rien de pareil; ce ne peut donc être que le commentaire de l'auteur sur le traité d'Aristote. De même, dans A, l'auteur rappelle (p. 187) qu'il a parlé ailleurs des propositions modales, ce qui nous renvoie encore à H, p. 68, l. 5. La formule finale de l'introduction est, à peu de chose près, la même de part et d'autre. Sur l'importance attachée à la division de la philosophie en théorie et pratique, voir H, p. 65; A, p. 175; en ce dernier endroit, la fin propre de la philosophie pratique est conçue plus spécialement comme « l'ornement » de l'âme humaine ; l'auteur semble réserver pareillement d'une manière plus spéciale cette notion à la philosophie pratique H, p. 68, l. 13 et suiv., bien qu'il s'exprime autrement H, p. 65. Dans H, l'auteur rencontre l'objection que l'objet du traité Περὶ Ερμηνείας paraît être le même que celui du traité sur les Catégories, p. 70, l. 32 ; p. 71, l. 1 et suiv. ; il traite la même objection au sujet des Analytiques, p. 180 ad fin. et suiv. — H, p. 69, l. 12 et suiv., l'exemple du taureau, du cheval et de l'homme rappelle le même exemple, A, p. 183. On peut encore signaler comme exemples communs aux deux traités celui de la maison à construire, H, p. 64, l. 2 et suiv.; A, p. 174; celui de la proposition conditionnelle : « Si le soleil est au dessus de l'horizon, il fait jour », H, p. 66, l. 21 ; A, p. 190. L'auteur dans H, emprunte parfois ses exemples à la Bible (p. 66)[12] ce qui n'est pas le cas dans A; mais, dans H non plus, il n'en manque pas qui sont pris dans l'histoire grecque; sans compter ceux dont Socrate fait les frais, voir p. e. p. 86, l. 28 (Ajax et Hector). — La raison pour laquelle Aristote ne fait pas mention de la ἀντίφασις dès le début de son exposé, c'est qu'il a le premier introduit ce terme : H, p. 85, l. 31 et suiv. ; la raison pour laquelle il traite du « terme » après la proposition, c'est que s'il n'a pas introduit le mot lui-même, il l'a le premier employé dans le sens qu'il a ici : A, p. 180 et suiv. Remarquons l'usage fréquent du verbe  commemoravit (H, p. 67, l. 15;p. 68, l. 25; p. 77, l. 10;p. 84, l. 29; A, p. 181, 182, 183...). Nous pourrions multiplier ces rapprochements, mais nous croyons que c'est inutile. L'argument principal réside dans l'ensemble des caractères que présentent les deux compositions; d'une manière générale, malgré que le commentaire dans A soit d'ordinaire encore moins développé que dans H, la lecture des deux documents donne l'impression de leur communauté d'origine.

Hoffmann ne tranche pas la question de savoir si le commentaire sur le traité Περὶ Ερμηνείας serait ou non une version d'un commentaire grec, bien qu'il semble pencher pour l'affirmative.[13] Le commentaire sur les Analytiques confirme la supposition qu'un original grec se trouve à la base de nos deux documents syriaques, que ceux-ci soient des versions proprement dites ou seulement des résumés. Ceci nous paraît plus probable.

Il est bien entendu que nous ne donnons ce titre trop pompeux de traité ou de commentaire sur les Premiers Analytiques, aux quelques pages consacrées par Probus à l'ouvrage d'Aristote, que pour plus de facilité et pour nous conformer à la suscription qu'elles portent. Il n'y a guère ici d'essai de commentaire que sur le premier chapitre des Analytiques, et encore est-il très imparfait. Pour le reste, dans presque toute la seconde partie de son traité, l'auteur se contente de dresser le tableau des trois figures du syllogisme, avec leurs modes, et d'indiquer comment les syllogismes de la seconde et de la troisième figure se ramènent à ceux de la première. Il est possible d'ailleurs que l'œuvre de Probus ne nous ait pas été conservée intégralement. L'importance ou l'intérêt qu'offrent les productions de la littérature syriaque en philosophie, comme on l'a dit, ne réside pas dans leur originalité, ni dans leur valeur intrinsèque; mais dans la circonstance qu'elles forment la transition et le lien entre la philosophie grecque et la philosophie arabe.

Dans le cod. de Berlin, Sachau, 226, les deux parties du traité de Probus sur les Analytiques sont séparées l'une de l'autre par le traité de Sabokt sur les Analytiques. La seconde partie de l'ouvrage de Probus figure d'ailleurs avant la première (fol. 62 et suiv.), immédiatement après la version de la grammaire de Denys de Thrace mise sous le nom de Joseph d'Ahwaz; la première partie est reproduite plus loin, fol. 76 et suiv.

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VERSION.

[173] PAR LA GRÂCE DE NOTRE-SEIGNEUR,

JE TRANSCRIS L'EXPLICATION DU LIVRE DES ANALYTIQUES,

COMPOSÉE PAR PROBUS LE SAGE.

 

Il est sept points qu'il importe d'établir avant (l'examen de) tout ouvrage, comme nous l'avons appris dans le livre qui précède celui-ci : le but (de l'ouvrage), l'utilité, l'ordre, l'auteur, la raison du titre, la division en chapitres, le sujet auquel il se rapporte.[14]Le but. Le but de ce livre est de nous exposer la doctrine touchant le syllogisme en général. Il y a en effet trois sortes de syllogismes:[15] (les syllogismes) apodictique, dialectique, sophistique.[16] . . .

Telle étant la division en chapitres, il nous faut savoir que l'ouvrage est intitulé Αναλυτικά, c'est-à-dire « réduction aux éléments ». L'on demande, étant donné que (l'auteur) divise son ouvrage en trois chapitres, pourquoi il passe outre au premier et a celui du milieu, pour emprunter le titre au troisième? Nous répondons : Ou bien parce qu'il s'en est occupé le plus, ou bien à cause de sa difficulté.[17] Car, dans les matières où il y a lieu à « composition » et à « réduction aux éléments », tantôt c'est l'une, tantôt c'est l'autre [174] qui est la plus difficile (à effectuer); mais lorsque les deux sont difficiles, la «réduction aux éléments » est plus difficile à faire que la « composition ». Par exemple : construire une maison est plus difficile que la détruire ; séparer l'eau et le vin est plus difficile que les mélanger; (et il se trouve) en effet (que), la construction d'une maison étant difficile, et la séparation de l'eau et du vin étant difficile, la séparation de l'eau et du vin est beaucoup plus difficile à effectuer que la construction d'une maison. — À quel sujet (le livre) se rapporte. L'on demande à quel sujet se rapporte ce livre. Nous répondons qu'il se rapporte à la logique. Mais on demande ce qu'est la logique. Or donc elle est une partie de la philosophie, ou son instrument. En effet, les stoïciens[18] disent qu'elle fait partie de la philosophie; Aristote prétend qu'elle en est l'instrument; Platon est d'avis qu'elle est à la fois instrument et partie. Les stoïciens cherchent à montrer qu'elle fait partie de la philosophie à l'aide de deux objections. Voici la première objection : Tout ce dont se sert une discipline, et qui n'est en aucune façon partie d'une autre discipline, ni élément d'une partie de la discipline qui s'en sert, est de toute nécessité partie de la discipline qui s'en sert. [175] Ainsi l'astronomie se sert de la logique, celle-ci étant partie de la philosophie.[19] Que la logique ne fasse point partie d'une autre discipline, cela ils le laissent comme évident. Qu'elle ne soit pas élément d'une partie (de la philosophie), ils cherchent à le montrer ainsi : la philosophie se divise en philosophie spéculative et en pratique, qui ont toutes deux leur sujet et leur fin; de cette manière : de même que la médecine a pour sujet les corps des hommes et pour fin la santé, — tout son soin en effet consiste à procurer ou à conserver la santé dans les corps humains; — de même la philosophie spéculative a pour sujet toutes choses qui soient, et pour fin la science vraie de ces choses ; la philosophie pratique a pour sujet les âmes des hommes et pour fin leur embellissement. Or la spéculative et la pratique se servent pareillement de la logique et celle-ci ne fait partie d'aucune des deux ; elle n'est donc point un élément d'une partie de la philosophie. Nous leur répondons : Votre disjonctive est incomplète. Il vous fallait dire : « Tout ce [176] dont se sert une discipline, et qui n'est point partie d'une autre discipline, ni élément d'une partie, « ni instrument» de la discipline en question, en fait partie. « La médecine en effet se sert du scalpel qui ne fait point partie d'une autre discipline et n'est pas un élément d'une partie à elle; et pourtant il n'est point une partie de la médecine. Votre disjonctive ne tient donc pas debout. Ils composent leur seconde objection de la manière suivante : tout ce qu'une discipline a pour objet d'expliquer[20] en fait partie. Nous répondons que cette équivoque ne tient pas non plus; la médecine, comme il vient d'être dit, s'occupe de l'explication du scalpel, qui pourtant n'en fait point partie. Aristote cherche à montrer que la logique est l'instrument de la philosophie; de cette manière : tout ce dont se sert une discipline et qui est ordonné en vue de celle-ci, est nécessairement inférieur à la discipline qui s'en sert; c'est ainsi que l'art de l'équitation a à son service la fabrication des freins.[21] Puis donc que la grammaire et la rhétorique et d'autres disciplines de ce genre se servent de la logique, qui est aussi [177] ordonnée en vue d'elles; il se trouverait une partie de la philosophie inférieure à la grammaire et à la rhétorique, ce qui est absurde. Platon dit que (la logique) est à la fois instrument et partie (de la philosophie) : instrument, quand nous considérons les règles en tant que règles, comme (celle suivant laquelle) de deux affirmatives universelles suit une affirmative universelle; partie, quand nous étudions l'universel et le particulier au point de vue de ce qu'ils ont de commun, et au point de vue de ce qui les distingue,[22] la philosophie étant seule à connaître de ces questions. En effet, elle ne connaît pas seulement les choses (en elles-mêmes), mais encore le rapport de convenance ou de différence qu'elles ont entre elles. Il n'est d'ailleurs point absurde que la mère, de toutes les disciplines soit auteur d'un instrument à son propre usage et à l'usage des autres disciplines, en vue de leur constitution et de leur conservation. Nous avons dit ce qu'il nous fallait dire avant ce livre. Fin de la préface du commentaire, exposant la raison du livre des « Analytiques ».

ESPECES DU SYLLOGISME :

 

(syllogisme) apodictique : celui-ci dit toujours vrai.

dialectique : celui-ci dit vrai le plus souvent.

sophistique : celui-ci dit faux le plus souvent.

[178] Autre exposé du syllogisme, au point de vue du sujet de la connaissance, de la connaissance et de la chose connue :

les facilités cognoscitives

sont:[23]

l'intelligence, qui n'a pas besoin de connaître par syllogisme.

 

la raison, qui fait le syllogisme apodictique.

 

la puissance de conjecture, qui fait le syllogisme dialectique.

 

le sens
l'imagination

qui font le syllogisme sophistique.

 

 

Toute connaissance

est ou bien solidement établie; c'est celle qui fait le syllogisme apodictique,

Toute chose quelconque

est ou bien nécessaire; et elle donne lieu au syllogisme apodictique,

ou difficile à défaire; c'est celle qui fait le syllogisme dialectique,

ou bien possible, et elle donne lieu au syllogisme dialectique,

ou facile à défaire; c'est celle qui fait le syllogisme sophistique.

ou bien impossible; et elle donne lieu au syllogisme sophistique.

 

[179] Reprise de l'interprétation du livre des « Analytiques ». Venons-en donc au corps du livre. Il nous faut savoir que, dès l'abord, (l'auteur) veut nous faire connaître le but du livre, et l'énumération de neuf points se rapportant au but, et ce que c'est que la proposition. Il dit donc que son but est (de traiter) du syllogisme apodictique. L'on demande, vu qu'il dit lui-même qu'il a pour but de traiter du syllogisme apodictique, comment nous disons que son but est de traiter du syllogisme en général.[24] Nous répondons : De même que le scalpel a pour premier but de faire sortir le sang et pour but ultérieur de procurer la santé, de même le but premier de l'auteur est de traiter du syllogisme en général, tandis que son but ultérieur est de traiter du syllogisme apodictique. L'énumération des neuf points dont il a été question est la suivante : La notion de la proposition, celle du terme et celle du syllogisme. . . C'est à bon droit que l'auteur se livre à cet examen : [180] la proposition fait l'objet de l'enquête comme étant l'élément du syllogisme; le terme, comme étant l'élément de la proposition; le syllogisme, comme étant le sujet dont l'étude est le but (du livre). Les six points qui restent sont : ce qu'on entend par syllogisme parfait et imparfait; universel et non universel (?); se disant de tout et de nul (?).[25]

On élève un doute touchant la question de savoir pourquoi il met en premier lieu la proposition, puis le terme, et puis le syllogisme; pourquoi il ne commence point par ce qui est simple, pour en venir ensuite à ce qui est composé; ou bien pourquoi, ayant commencé par ce qui est composé, il n'achève d'abord ce qui a rapport au composé, pour en venir ensuite à ce qui est simple ? A ce doute nous répondons par trois solutions; tout d'abord qu'il s'est servi du nom de «termes en un sens étranger, pour désigner l'élément de l'élément du syllogisme. Non point que [181] ce nom de « terme » soit un nom étranger, mais lui le premier l'a employé en un sens étranger, de la manière indiquée. C'est pourquoi il ne l'a pas mis en premier lieu. Nous répondons secondement que le nom de « terme » (, ὅρος) est équivoque, se disant de choses multiples. On appelle en effet de ce nom () la définition d'une chose suivant sa nature; ainsi que la séparation des terres, les extrémités et les limites des figures; et il ne convenait point qu'il débutât par un nom équivoque. Nous répondons en troisième lieu que l'auteur, pour traiter du terme, a besoin (de la notion) de la proposition, de même que nous avons besoin (de la notion) d'animal quand nous exposons la définition de l'homme ; pour cette raison, il mentionne la proposition avant le terme. Un autre doute que l'on formule, c'est que, en amateur de la concision, il n'eût point dû parler des mêmes choses à plusieurs reprises; alors en effet que dans les Catégories et dans le Péri Herménéias il a déjà exposé la doctrine touchant les mots simples, il l'expose de nouveau en cet endroit. Nous répondons que, dans les Catégories, [182] il ne les prend pas comme éléments, mais seulement comme des appellations simples; dans le Péri Herménéias, il les considère comme éléments de l'affirmation et de la négation, c'est pourquoi il y donne le nom de φάσις au nom et au verbe.[26] Mais ici il considère tant le nom que le verbe comme élément de l'élément du syllogisme.

La proposition se définit : « Une énonciation affirmative ou négative (par laquelle on dit) une chose touchant une (autre) chose; qu'elle soit universelle, ou particulière, ou indéfinie.[27] » On blâme (cette définition) comme défectueuse tant pour la qualité que pour la quantité; la qualité ferait défaut, parce que disant : « . . . (par laquelle on dit) une chose touchant une (autre) chose », il n'a pas ajouté : « (ou par laquelle on sépare) une chose d'une (autre) chose », ce qui est propre à la négation.[28] Nous répondons premièrement qu'il a fait mention de la négation en disant : « (une énonciation…) négative »; secondement que les mots : « (par laquelle on dit) une chose touchant une (autre) chose » s'appliquent en commun à l'affirmation et à la négation. En effet, celui qui dit : « Socrate se promène », et celui qui dit : « Socrate ne se promène pas », disent tous les deux (quelque chose) touchant Socrate, qu'il se promène ou qu'il ne se promène pas. La quantité [183] ferait défaut en ce que, disant : « qu'elle soit universelle ou particulière, ou indéfinie », il aurait convenu qu'il parlât aussi de la distributive. Nous répondons que peut-être dans la mention de la particulière, il a impliqué la distributive ; ou bien, ce qu'il est vrai de dire, qu'il n'a pas mentionné la distributive parce que les philosophes ne s'occupent que de ce qui a une portée commune; en effet, les énonciations particulières aussi ont une portée commune en quelque manière; car (les termes) « quelque » et « pas tout » se disent en commun de l'homme, du bœuf et du cheval.

Il nous apprend à présent ce qui distingue le syllogisme apodictique du syllogisme dialectique ; et il dit qu'il s'en distingue par l'usage et par la fin;[29] par l'usage, vu que le syllogisme apodictique prend (comme principes) les notions communes, ou ce qui se connaît par déduction des notions communes,[30] pour raisonner ; tandis que le syllogisme dialectique, après une question posée, prend l'un des membres de l'alternative contradictoire et raisonne dans ces conditions; par la fin, vu que le syllogisme apodictique dit toujours vrai, tandis que le syllogisme dialectique ne dit pas vrai toujours. On demande pourquoi [184] il n'établit pas la différence entre le syllogisme sophistique et le syllogisme apodictique, comme il l'établit entre les syllogismes dialectique et apodictique? Nous répondons que du syllogisme sophistique à l'apodictique la distance est grande, et que la différence en est évidente pour tout le monde ; l'art consiste en effet, de même qu'à montrer ce qu'il y a de commun entre les choses très éloignées les unes des autres, de même à montrer la différence entre celles qui sont très rapprochées.[31]

Après avoir exposé la doctrine touchant la proposition, il veut nous apprendre ce qu'est le terme; et il dit : « J'appelle « terme » ce en quoi se résout la proposition, de cette manière : ce qui est prédicat et ce à quoi s'applique le prédicat, soit qu'on joigne, soit qu'on sépare l'être ou le non-être[32] ». La circonstance, qu'il dit : «j'appelle », montre que, bien qu'il ne soit pas l'auteur de ce nom de terme, lui en premier lieu s'en est servi pour désigner l'élément de la proposition.[33]

Il a fait cela à l'imitation des géomètres. Car comme il désignait les syllogismes sous le nom de figures, il était juste qu'à leurs extrémités et limites [185] il donnât le nom de « termes ». Eux aussi en effet, ils appellent « termes » les limites des figures. Ainsi Euclide dit : « J'appelle « figure » ce qui est circonscrit par un seul ou par plusieurs termes ». Il emprunte d'ailleurs ce nom de « terme » aux limites qui terminent les terres [litt. : aux termes des terres); de même, en effet, que les « termes «· sont les limites des terres, de même ici ces « termes » sont des limites, et il ne se trouve rien à prendre au delà. Car le syllogisme composé se résout en (syllogisme) simple; le syllogisme simple se résout en proposition(s), et la proposition en termes ; on ne peut résoudre le terme en quelque (élément) ultérieur, bien que les grammairiens soumettent la parole (τὴν λέξιν) à des divisions, à raison de la difficulté du discours écrit; les philosophes en effet s'occupent des notions des choses et non pas du discours écrit.[34] Quant aux mots : « soit qu'on joigne, soit qu'on sépare l'être ou le non-être », Alexandre dit que par là il signifie l'affirmation et la négation. L'on objecte que cela n'est pas vrai; car, s'il avait voulu [186] signifier cela, il lui aurait suffi de dire: « par l'adjonction de l'être ou du non-être », l'adjonction de l'être faisant l'affirmation, celle du non-être faisant la négation; comme (lorsqu'on dit) : « Socrate est philosophe, Socrate n'est pas philosophe ». On leur répond qu'Alexandre a raison.[35] Quand on ajoute l'être ou le non-être, il y a l'affirmation ou la négation comprenant le troisième membre co-attribut;[36] quand on sépare (l'être ou le non-être), il y a l'affirmation et la négation transpositives;[37] p. ex. : Socrate est non-juste; Socrate n'est pas non-juste. Par cela en effet que l'on dit : Socrate est non-juste, on sépare de lui qu'il soit juste; dans l'autre cas on sépare de lui la note contraire. D'autres expliquent autrement la parole en question et disent qu'il (Aristote) s'est exprimé ainsi par amour de la concision. En effet, comme il y a deux couples de contraires, à savoir l'addition [187] et la soustraction d'un côté, la composition et la division de l'autre, il suffisait que de chaque couple il prît un des membres contraires, puisque par l'un il amenait (implicitement) l'autre; en parlant de l'addition, il amenait aussi la soustraction; en parlant de la division, il amenait la composition, c'est-à-dire l'union. Or dans l'exposé que nous venons de faire, toutes les propositions sont comprises. Car, par l'addition de l'être et (par l'addition) du non-être, naissent les propositions comprenant le troisième membre co-attribut; par la soustraction de l'être et (celle) du non-être, naissent les propositions constituées par le sujet et le prédicat seulement.[38] D'autre part, par la composition de l'être et du non-être, naissent les propositions transpositives, aussi bien celles que nous avons appelées[39] modales : « (Socrate est utilement non-pervers), Socrate n'est pas utilement non-pervers », que les transpositives non-modales; enfin par la division de l'être et du non-être, naissent les propositions simples modales,[40] il en est qui définissent autrement la nature du terme (?)[41] et disent : « Le terme est ce sans quoi il n'y a point de proposition. » Certes, ils ont raison de dire que sans le terme il n'y a point de proposition; mais cette note ne nous suffit point [188] à définir le terme. De même qu'il ne suffit point de dire que la définition de l'homme est « animal », une notion sans laquelle la définition de l'homme est impossible (la note d'animal ne te suffit pas en effet pour poser l'homme) ; de même les termes, lesquels se prendraient de la même manière, ne nous suffiraient pas à poser la proposition ; il faut en effet que l'un tienne le rang de sujet, l'autre celui de prédicat. Ainsi donc il faut dire[42] qu'Aristote), par les mots : « soit qu'on joigne l'être et le non-être », signifie toute proposition comprenant le troisième membre co-attribut; et par les mots : « soit qu'on sépare... », signifie toute proposition ne renfermant point (l'expression) d'être et de non-être. Après avoir parlé de la proposition et du terme, il entreprend de nous donner la doctrine touchant le syllogisme, et il dit : « Le syllogisme est une énonciation telle que, certaines choses y étant posées, quelque autre chose que les choses posées en résulte nécessairement, par là-même qu'elles sont (posées). » Il dit « posées » pour« énoncées » et par-là il distingue le syllogisme de la proposition[43] [189]. Car bien que la proposition soit une énonciation, et bien qu'il y soit posé certaines choses, à savoir les termes, cependant ces choses ne sont pas des énoncés, parce que (d'elles-mêmes) elles ne signifient ni vérité ni erreur. On dit : pourquoi parle-t-il de « choses énoncées » et non pas de « chose énoncée »? Nous répondons : Pour distinguer son syllogisme à lui de celui des orateurs et du syllogisme hypothétique. Les orateurs, en effet, se contentent d'exprimer une seule position, et aussitôt ils font leur syllogisme,[44] par exemple: Eschine,[45] disent-ils, a reçu des biens de Philippe ; donc il est un traître ; — un tel est très soigneux de sa personne, donc il est adultère.[46] Ils font cela, ou bien sous prétexte qu'à l'accusation comme à la défense, l'espace leur fait défaut pour s'étendre trop longuement, ce qui les oblige à la concision dans le discours; ou bien parce qu'ils ne cherchent pas à montrer qu'ils s'appliquent à raisonner, afin de n'être point suspects de vaincre par l'artifice des paroles ou par la ruse, et non grâce à la vérité de leur cause ou comme prôneurs de la justice; (ils en usent encore ainsi) pour la raison qu'il ne leur convient point de dire ce qui est universellement connu[47] [190]; ou, ce qui est plus vrai, qu'il ne leur convient point (d'exprimer) ce qui s'énonce en termes universels, parce qu’ils ont leur point faible dans la prémisse majeure, la réfutation de ce qui s'énonce en termes universels étant trop manifeste. Ils ne peuvent dire en effet que « quiconque a reçu des biens de Philippe est un traître »; ni que « tout homme soigneux de sa personne est un adultère ». — D'autre part, il distingue son syllogisme à lui des syllogismes hypothétiques, en ce que ceux-ci, à concéder qu'ils contiennent quelque énoncé, n'en prennent cependant qu'un seul; par exemple : Si le soleil est au-dessus de l'horizon, il fait jour. Ainsi, on ne prend qu'un seul énoncé et l'on raisonne dans ces conditions; on dit en effet : Si le soleil est au-dessus de l'horizon, il fait jour.[48]

« ... Quelque autre chose en résulte par cela même qu'elles sont (posées). » — Les mots « quelque autre chose», (il les emploie, premièrement) pour distinguer (son syllogisme) du syllogisme qui reproduit les mêmes propos, p. ex. : Si le soleil est au-dessus de l'horizon, il fait jour; et, s'il fait jour, le soleil est au-dessus de l'horizon. Secondement, parce que les prémisses sont [191] comme la matière, la conclusion comme la forme. Troisièmement, parce que les prémisses sont en vue d'autre chose, tandis que la conclusion est pour elle-même; car c'est en vue de la conclusion que les prémisses se prennent. Quatrièmement parce que les prémisses sont des positions énoncées, tandis que la conclusion est l'objet de la question.[49] — « Quelque autre chose en résulte nécessairement ». Il importe de savoir que tout ce qui se démontre, se démontre ou bien par la conséquence, c'est-à-dire en vertu de la règle; ou bien de par la nature des choses, ou bien moyennant les deux conditions réunies. P. ex. : Tout homme est une pierre, toute pierre est une substance, (donc) tout homme est une substance. Cette démonstration se fait en vertu de la règle qui dit que de deux affirmatives universelles, suit une affirmative universelle; mais suivant la nature des choses, il ne se conclut rien (de ce raisonnement), à cause de l'erreur qu'il renferme. Une conclusion peut être inférée de par la nature des choses : p. ex. : Socrate est (un être) raisonnable; quelque être raisonnable est mortel; donc Socrate est mortel. Nous disons donc que ceci se démontre de par la nature des choses, et non pas par la règle; parce que d'un côté c'est la vérité (qui est énoncée dans les propositions en question; mais, d'autre part, de)[50] prémisses exclusivement [192] particulières, il ne suit point de conclusion nécessaire, comme nous l'exposerons. (On peut enfin faire la démonstration) moyennant les deux (conditions) réunies : p. ex. : tout homme est un animal, or tout animal est une substance, donc tout homme est une substance. Ici la prescription de la règle est observée, et la nature des choses se trouve vérifiée de même. (Il importe de savoir) en second lieu que tout argument apodictique quelconque procède de termes également universels, ou bien de termes plus universels; mais ne procède point de termes d'une extension plus restreinte. De termes également universels, il procède; p. ex. : Tout homme est capable de rire; or tout être capable de rire est doué d'intelligence et de connaissance; donc tout homme est doué d'intelligence et de connaissance. De termes plus universels, il procède (aussi) : Tout homme est un animal, or tout animal est une substance, donc tout homme est une substance.[51] Si quelqu'un veut démontrer le particulier par le particulier, — p. ex. : un tel qui s'est promené la nuit a été reconnu voleur; donc toi aussi qui t'es promené la nuit, tu es un voleur ; — ce n'est point là un argument apodictique, mais (ce procédé) s'appelle [193] « exemple[52] »2. De même si quelqu'un démontre l'universel par le particulier, — p. ex. : Puisque Pythagore le philosophe et Socrate le philosophe et tel et tel philosophe ont été mis à mort, donc tous les philosophes sont mis à mort; ou bien : Puisque le bœuf et l’âne et le chameau quand ils mangent, font mouvoir la mâchoire inférieure; donc tout animal, quand il mange, fait mouvoir la mâchoire inférieure,[53] — un pareil procédé d'argumentation s'appelle « induction » (ἐπαγωγή),[54] et non pas démonstration. — « Par cela même qu'elles sont (posées) », dit-il; car il ne peut y avoir de conclusion qui ait besoin d'un terme en dehors de ceux qui sont posés; p. ex. : Tout homme est raisonnable; tout être raisonnable est un animal; donc tout homme est un animal. Mais si lu dis : Tout homme est raisonnable, tout être raisonnable est un animal, donc tout homme est une substance; cette conclusion ne se tire point de ce qui est posé, mais elle a besoin d'un autre terme qui soit repris dans les prémisses ; et ainsi il y aura lieu de l'inférer.

Or il faut savoir que les Pyrrhoniens s'élèvent contre lui et disent : Si c'est par le syllogisme qu'a lieu toute démonstration et (toute) possibilité d'arriver à [196] l'objet mis en question, voici ce que nous vous demandons : étant donné ce syllogisme (par lequel on prétend établir le principe énoncé], on démontre qu'il possède cette efficacité ou on ne le démontre pas. Si on ne le démontre pas, vous n'arrivez pas à savoir qu'il la possède ; si on le démontre, il faudra qu'on le démontre par un autre syllogisme ; pour ce syllogisme-ci encore, on démontre sa valeur ou on ne la démontre pas; et les mêmes (objections) se reproduisent ; ce qui s'étend à l'infini. A notre tour, en rétorquant leur doute contre eux-mêmes, nous répondons tout d'abord : vous démontrez ce que vous affirmez ou vous ne le démontrez pas; si vous ne le démontrez pas, vous ne vous rendez pas vous-mêmes dignes de crédit; si vous le démontrez, il faut que vous le démontriez par une démonstration nouvelle, et cette démonstration-ci derechef par une démonstration nouvelle, ce qui s'étend à l'infini. Nous répondons ensuite : (le syllogisme)[55] qui établit en général la doctrine touchant le syllogisme, se comprend lui-même dans cette opération. De même, en effet, que la parole qui dit : « Toute parole peut être entendue » s'applique à elle-même en même temps qu'aux autres quelconques, ainsi la chose se voit-elle dans le cas présent.

Voici qu'arrive la question de savoir ce qu'est le syllogisme [195] parfait; et il dit : « J'appelle donc syllogisme parfait celui qui n'a besoin de nulle autre chose, en dehors des données admises, pour la manifestation de son caractère de nécessité.[56] » I1 dit très bien : « . . . qui n'a besoin de nulle autre chose, en dehors des données admises, pour la « manifestation » de son caractère de nécessité ». Dans tout syllogisme, en effet, se trouve ce caractère de nécessité; mais il n'est pas évident dans tout syllogisme,[57] à moins qu'on n'y ajoute, soit « quelque chose », à savoir une conversion;[58] soit « plusieurs choses », à savoir des conversions et la réduction à l'impossible. Car il entend par « quelque chose » une conversion, et par « plusieurs choses », des conversions et la réduction à l'impossible.[59] Or le syllogisme parfait n'a besoin de rien de tout cela pour manifester le caractère de nécessité qu'il possède ; le syllogisme imparfait en a besoin pour faire apparaître ce qu'il renferme.

« Qu'une chose soit en l'autre quant à son extension entière, ou qu'elle se dise de l'autre quant à tout (individu), c'est la même chose ». [196] C'est la même chose, dît-il, qu'une chose soit en l'autre en son entier, et qu'elle se dise de l'autre quant à tout (individu), parce que ces deux notions se vérifient dans une même proposition. En effet, si l'on commence par en bas, il faut que le prédicat tout entier soit communiqué au sujet, et non seulement en partie; p. ex. : Tout homme est un animal; tout animal est substance : — « Tout homme » reçoit en communication (la note d') animal en entier, c'est-à-dire quant à l'animation, et à la sensibilité, et à l'être. Si au contraire on commence par en haut, il faut que le prédicat se dise du sujet quant à l'extension entière de celui-ci.[60] Car le prédicat doit toujours être d'extension égale à celle du sujet, ou d'extension plus grande; (le prédicat) qui serait d'extension plus restreinte ne s'appliquerait pas tout entier au sujet tout entier (?). Ici finit la copie de l'interprétation de la première partie.

[197] Je transcris encore l'interprétation de la seconde partie du livre des « Analytiques ».

Il y a trois (sortes de propositions) qui se convertissent : la négative universelle, l'affirmative universelle, l'affirmative particulière. En effet, la négative particulière ne se convertit point. Quant à la négative universelle, elle se convertit en sa propre forme; p. ex. : Nul homme n'est une pierre; ce qui se convertit ainsi : Nulle pierre n'est un homme. La négative particulière ne se convertit pas en sa propre forme, p. ex. : Pas tout animal n'est un homme; si quelqu'un convertit cette proposition et qu'il dise : pas tout homme n'est un animal, il fait erreur. Une proposition de cette sorte ne se convertit donc ni sous une autre forme ni en sa propre forme, parce qu'elle ne se convertit en aucune façon. L'affirmative universelle se convertit en particulière, p. ex. : Tout homme est un animal; ce qui se convertit ainsi : Quelque animal est un homme, ce qui est vrai; mais si l'on dit : tout animal est un homme, on fait erreur. L'affirmative particulière se convertit en sa propre forme, p. ex. : Quelque homme est un animal; ce qui se convertit ainsi : Quelque animal est un homme, ce qui est vrai.[61]

Notre auteur à son tour suit la même idée en exposant les divers modes de syllogismes; plus loin, (p. 203] et suiv. : que A soit dans B tout entier, équivaut à dire : A se dit de tout B, ou bien : tout B est A. Dans ces formules : « A est dans B tout entier », A représente le prédicat, B le sujet.

Toute proposition quelconque a deux éléments : [198] le sujet et le prédicat; le sujet aussi bien que le prédicat s'appellent termes. C'est le prédicat qui est (le terme) supérieur, le sujet est l'inférieur. Tout syllogisme se compose de deux propositions (prémisses) et comprend trois termes. L'on demande, si toute proposition a deux termes, pourquoi il n'y a pas quatre termes dans le syllogisme? Nous répondons que l'un des trois, celui qui est le (terme) moyen, se trouve dans les deux propositions, parce qu'il est le terme moyen et qu'il occupe le milieu; p. ex. : Tout homme est un animal, tout animal est une substance ; « animal » est repris dans les deux propositions et est le terme moyen. Il y a trois figures du syllogisme. On a la première figure, quand le terme moyen est prédicat relativement à l'un et sujet, relativement à l'autre (des deux termes extrêmes), comme si nous disons : L'homme est un animal; l'animal est une substance; « animal » est prédicat relativement à l'homme, et sujet relativement a substance. On a la seconde figure quand le terme moyen est le prédicat des deux (autres termes), voici comment : Tout homme est un animal, [199] nulle bûche n'est un animal; « animal » est prédicat relativement à l'homme et a ce qui est privé de vie. On a la troisième figure quand les deux (autres termes) sont prédicats relativement à lui (au terme moyen), voici comment : Tout homme est un animal, et puis : Tout homme est une substance.

On demande la raison de cet ordre des figures.[62] Nous répondons qu'à bon droit le premier rang revient à cette figure dans laquelle le terme moyen est prédicat et sujet; alors en effet il garde proprement son caractère de moyen terme, quand il a non seulement la supériorité en sa qualité de prédicat, mais aussi la condition inférieure en sa qualité de sujet; car ainsi il participe aux deux extrêmes puisqu'il possède leur double propriété; c'est pourquoi il est proprement le terme moyen; et c'est pourquoi cette figure est la première dans laquelle un pareil moyen terme se trouve. D'autre part puisque le terme moyen, soit comme prédicat des deux autres termes, soit comme sujet relativement aux deux autres, déchoit de sa condition de moyen terme au sens strict, il est juste que cette figure soit la seconde dans laquelle le terme moyen est prédicat des deux (autres termes), c'est-à-dire (dans laquelle) la condition supérieure lui est reconnue. Enfin au troisième rang est placée la figure dans laquelle le terme moyen est sujet [200] relativement aux deux autres.

Ainsi donc tout syllogisme a deux propositions: l'une majeure, l'autre mineure. Laquelle est la majeure? celle qui renferme le terme majeur; et le terme majeur est celui qui est prédicat dans la conclusion. Laquelle est la mineure? celle qui renferme le terme mineur; et le terme mineur est celui qui est sujet dans la conclusion ; p. ex. : Tout homme est un animal, tout animal est une substance; conclusion : Tout homme est une substance. Voici que « homme » est sujet, « substance » prédicat; par conséquent, « substance » est le terme majeur, « homme » le terme mineur. C'est pourquoi la proposition qui dit : Tout animal est une substance, est la majeure; celle qui dit : Tout homme est un animal, est la mineure.

Les caractères communs des figures sont les suivants : ce qui se trouve d'inférieur dans les propositions se trouve (aussi) dans la conclusion. Or la négative est inférieure à l'affirmative, et la particulière à l'universelle; dès lors donc que l'une des propositions est particulière, la conclusion se trouve être particulière; si une proposition est négative, la conclusion [201] est négative; si l'une des deux propositions est une négative universelle, l'autre une affirmative particulière, la conclusion se trouve être une négative particulière. Un autre caractère commun des figures, c'est qu'aucune conclusion ne se tire soit de deux propositions particulières, soit de deux négatives.

C'est le propre de la première figure, que la proposition mineure soit affirmative et que la proposition majeure soit universelle. Ces propriétés de la première figure, fais-en le partage entre la deuxième figure et la troisième; la deuxième figure prend (ce trait) qu'il lui faut une proposition majeure universelle; d'autre part, à la troisième figure il appartient d'avoir comme proposition mineure une affirmative. C'est le propre de la deuxième figure que les deux propositions ne soient point, dans la forme, pareilles Tune à l'autre; c'est-à-dire qu'elles ne soient point toutes deux affirmatives, ni toutes deux négatives; mais si Tune est affirmative, il faut que l'autre [202] soit négative.

Toute proposition au sujet de laquelle on te demande : « Convertis-la, et vois si elle est vraie et si tu l'admets? » si on te pose la question en présentant la proposition sous une forme où tu l’admets, accepte l'offre sans crainte.[63]

Dans la première figure il y a quatre modes:[64]

Premier mode : D'une mineure universelle affirmative et d'une majeure universelle affirmative suit une conclusion affirmative universelle; p. ex. : Si A est dans B entier et B dans G entier, A est dans G entier.[65] Ou encore autrement : Tout homme est animal, tout animal est substance; tout homme est substance. Que si Ton commence par le prédicat de manière à intervertir l'ordre, on a la formule : Substance se dit de tout animal, animal se dit de tout homme; substance se dit de tout homme.

Deuxième mode : D'une mineure universelle affirmative et d'une majeure universelle négative suit une conclusion négative universelle. P. ex. : Si A n'est en nul (individu) de B et que B soit en G entier, A n'est en nul (individu) de G. Autrement : Tout homme est animal, nul animal n'est pierre; conclusion : Nul homme n'est pierre. Que si l'on [203] commence par le prédicat en intervertissant l'ordre, on a la formule : Pierre ne se dit de nul animal, animal se dit de tout homme; (donc) pierre ne se dit de nul homme.

Troisième mode : D'une mineure particulière affirmative et d'une majeure universelle affirmative, suit une conclusion affirmative particulière. Si A est dans B entier et B dans quelque (individu) de G, A est dans quelque (individu) de G. Autrement : Quelque être raisonnable est un homme, tout homme est mortel; conclusion : Quelque être raisonnable est mortel. En commençant inversement par le prédicat on a la formule : Mortel se dit de tout homme, homme se dit de quelque être raisonnable; (donc) mortel se dit de quelque être raisonnable.

Quatrième mode : D'une mineure particulière affirmative et d'une majeure universelle négative suit une conclusion négative particulière. Si A n'est dans nul (individu) de B et que B soit dans quelque individu de G A n'est pas dans G entier. Autrement : Quelque homme est philosophe; nul philosophe n'est inculte; conclusion : Pas tout homme n'est inculte. En commençant inversement par le prédicat, on a la formule : Inculte ne se dit de nul philosophe, philosophe se dit de quelque homme; conclusion : [204] Inculte ne se dit pas de tout homme.

La deuxième figure comprend quatre modes :

Premier mode : D'une majeure universelle négative et dune mineure universelle affirmative suit une conclusion négative universelle. Soit le terme majeur N = « pierre » ; le terme moyen M ·= « animal »; le terme mineur S= « homme ». On démontre la règle moyennant une conversion; p. ex. : Si M n'est dans nul (individu) de N, et que M soit dans S entier, N n'est dans nul (individu) de S. La conversion à faire est la suivante : Si M n'est dans nul (individu) de N, il est évident que N non plus ne sera dans nul (individu) de M. Or, si N n'est dans nul individu de M et que M soit dans S entier, on trouve le deuxième mode de la première figure : N n'est dans nul (individu) de S. Autrement : Tout homme est animal ; nulle pierre n'est animal (on voit qu'animal est prédicat relativement aux deux autres termes); conclusion : Nul homme n'est une pierre. Si [205] l'on prétend que la conclusion n'est pas juste, convertis la négative qui dit : Nulle pierre n'est un animal ; et dis: nul animal n'est une pierre. Dis ensuite : nul animal n'est une pierre, tout homme est un animal; et conclus : Nul homme n'est une pierre. Ce qui se trouve être le deuxième mode de la première figure.

Deuxième mode : D'une majeure universelle affirmative et d'une mineure universelle négative suit une conclusion négative universelle. Ce qui se démontre moyennant une double conversion. Si M est dans N entier et que M ne soit dans nul (individu) de S, S n'est dans nul (individu) de N. Ce qu'on démontre ainsi : Si M n'est dans nul (individu) de S, S n'est dans nul (individu) de M. Et si S n'est dans nul (individu) de M, M étant[66] dans N entier, on trouve de nouveau le deuxième mode de la première figure : il est évident que S n'est non plus dans nul (individu) de N. Seulement la conclusion (à tirer) ne demande pas que S ne soit dans nul (individu) de N; car ceci est encore une proposition mineure;[67] mais que N ne soit dans nul (individu) de S, parce que la conclusion doit découler de la [206] proposition majeure.[68] Or cela aussi est évident à la faveur d'une seconde conversion : car si S n'est dans nul (individu) de N, à son tour N n'est dans nul (individu) de S. Autrement : Tout homme est un animal, nulle pierre n'est un animal ; conclusion : Nulle pierre n'est un homme. Si l'on prétend que la conclusion n'est pas juste, convertis la négative qui dit : Nulle pierre n'est un animal, et dis : Nul animal n'est une pierre; après, résous (le syllogisme) de cette manière : Tout homme est un animal, nul animal n'est une pierre, et conclus : Nul homme n'est une pierre. Dis ensuite : Si nul homme n'est une pierre, donc nulle pierre n'est un homme ; car c'est là ce qui était en question, et non la proposition qui dit : Nul homme n'est une pierre. (Ici encore) on a retrouvé le second mode de la première figure.

Troisième mode : D'une majeure universelle négative et d'une mineure particulière affirmative suit une conclusion négative particulière. Ce qui se démontre moyennant une conversion. Si M n'est dans nul (individu) de N, et que M soit dans quelque [207] S, N n'est pas dans S entier. La démonstration se fait ainsi : si M n'est dans nul (individu) de N, à son tour N n'est dans nul (individu) de M. Or, si N n'est dans nul (individu) de M, M étant dans quelque (individu) de S, on trouve le quatrième mode de la première figure : N n'est pas dans S entier. Autrement : Nul homme n'est cheval, quelque être mortel est cheval; conclusion : Pas tout être mortel n'est homme. Si l'on prétend que la conclusion n'est pas juste, convertis la négative qui dit : Nul homme n'est cheval, et dis : Nul cheval n'est homme ; après quoi opère la résolution : Nul cheval n'est homme, quelque être mortel est cheval ; et conclus : Pas tout être mortel n'est homme. Où l'on trouve le quatrième mode de la première figure.

Quatrième mode. D'une majeure universelle affirmative et d'une mineure particulière négative suit une conclusion négative particulière. Ce qui se démontre par (la réduction à) l'impossible seulement, et non moyennant la conversion, parce qu'il ne suit aucune conclusion de deux particulières.[69] Si M est dans N entier, et que M ne soit pas dans [208] S entier, N n'est pas dans S entier. Sinon, mettons que (N) soit dans S entier. Étant donné que M est dans N entier, et N (par hypothèse) dans S entier, il se fait que M sera dans S entier. Mais (il a été posé que) M n'était pas dans S entier; or que M soit dans S entier et qu'à la fois il n'y soit point, cela est impossible. Autrement : Tout homme est raisonnable; pas tout animal n'est raisonnable; conclusion : Pas tout animal n'est homme. Si quelqu'un prétend que la conclusion n'est pas juste, réponds-lui : A raison de la contradiction, il est vrai de toute nécessité qu'où bien pas tout animal ne soit homme ou que tout animal soit homme; ainsi donc suivant ton avis (nous aurions ceci) : Tout animal est homme, tout homme est raisonnable; d'où la conclusion : Tout animal est raisonnable; ce qui se trouve être le premier mode de la première figure, à savoir que de deux affirmatives universelles suit une conclusion affirmative universelle. Mais il a été accordé que pas tout animal n'est raisonnable; or, que tout animal soit raisonnable, que pas tout animal ne soit raisonnable, les deux membres de cette contradiction ne peuvent être vrais à la fois.

Dans la troisième figure il y a [209] six modes :

Premier mode : D'une majeure universelle affirmative et d'une mineure universelle affirmative suit une conclusion affirmative particulière. Soit le terme majeur P, le terme mineur R, le terme moyen S. Si P et R (tous deux) sont dans S entier, P sera dans quelque individu de R. Ce qui se démontre moyennant une conversion ; voici comment : Si R est dans S entier, S est dans quelque (individu) de R, et l'on trouve le troisième mode de la première figure : P est dans S entier, et S est dans quelque (individu) de R; (donc) P est dans quelque (individu) de R. Autrement : Tout homme est mortel, tout homme est raisonnable; conclusion : Quelque être raisonnable est mortel. Si quelqu'un prétend que la conclusion n'est pas juste, convertis l'affirmation qui dit : Tout homme est raisonnable, et dis : donc quelque être raisonnable est homme; puis résous (la formule ainsi) : quelque être raisonnable est homme, tout homme est mortel; et conclus : quelque être raisonnable est mortel.

Deuxième mode : D'une mineure universelle affirmative [210] et d'une majeure universelle négative suit une conclusion négative particulière. Si R est dans S entier, P dans nul (individu) de S, P n'est pas dans R entier; ce qui se démontre moyennant une conversion. Car si R est dans S entier, S sera dans quelque (individu) de R, et l'on trouve le quatrième mode de la première figure : P n'est dans nul (individu) de S, S est dans quelque (individu) de R; (donc) P n'est pas dans R entier. Autrement : Tout homme est mortel, nul homme n'est cheval; conclusion : Pas tout mortel n'est cheval. Si quelqu'un dit que la conclusion n'est pas juste, convertis l'affirmative qui dit : Tout homme est mortel, et dis : Quelque mortel est homme. Puis résous (la formule) : Quelque mortel est homme, nul homme n'est cheval, et conclus : Pas tout mortel n'est cheval. Ce qui se trouve être le quatrième mode de la première figure.

Troisième mode ; D'une mineure universelle affirmative et d'une majeure particulière affirmative, suit une conclusion affirmative particulière; ainsi : Si R est dans [211] S entier, P dans quelque individu de S, P sera dans quelque individu de R. Ce qui se démontre moyennant une double conversion, de la manière suivante : Si P est dans quelque (individu) de S, S sera dans quelque (individu) de P, et l'on trouve le troisième mode de la première figure : Si R est dans S entier, S dans quelque (individu) de P, R sera dans quelque (individu) de P. Seulement il n'est pas de principe que d'une proposition mineure se puisse conclure une proposition majeure[70] (?); c'est la majeure qui l'emporte sur la mineure, et celle-ci est la première (dans la formule qui vient d'être énoncée). Que si R est dans quelque (individu) de P, P est dans quelque (individu) de R. Autrement : Tout homme est mortel, quelque homme est raisonnable; conclusion : Quelque être mortel est raisonnable. Si l'on prétend que la conclusion n'est pas juste, convertis l'affirmative qui dit : Quelque homme est raisonnable, et dis : Quelque être raisonnable est homme; puis donne la solution : Quelque être raisonnable est homme, tout homme est mortel, et conclus : Quelque être raisonnable est mortel. Convertis en outre la conclusion qui dit : Quelque être raisonnable est mortel, en celle-ci : Quelque être mortel est raisonnable. On retrouve le troisième mode de la première figure. Si quelqu'un demandait : Pourquoi l'affirmative [212] universelle n'a-t-elle pas été convertie? réponds-lui : Parce que cette universelle se convertît en particulière, et que de deux particulières ne se tire aucune conclusion.

Quatrième mode : D'une mineure particulière affirmative et d'une majeure universelle affirmative suit une conclusion affirmative particulière. P. ex. : Si R est en quelque (individu) de S, P en S entier; P est en quelque (individu) de R. Ce qui se démontre moyennant une conversion : si R est en quelque (individu) de S, S est en quelque (individu) de R, et l'on obtient le troisième mode de la première figure : P est en S entier, S est en quelque (individu) de R; (donc) P est en quelque (individu) de R. Autrement : Quelque homme est raisonnable, tout homme est mortel; conclusion : Quelque être raisonnable est mortel. Si l'on prétend que la conclusion n'est pas juste, convertis l'affirmative qui dît : Quelque homme est raisonnable, et dis : Quelque être raisonnable est homme; et donne la solution : Quelque être raisonnable est homme, tout homme est mortel ; et conclus : Quelque être raisonnable est mortel. Ce qui se trouve être le troisième mode de la première figure.

Cinquième mode ; D'une mineure universelle affirmative [213] et d'une majeure particulière négative suit une conclusion négative particulière. Ce qui se démontre par (la réduction à l'impossible : Si R est en S entier et que P ne soit pas dans S entier, P n'est pas dans R entier. Sinon, mettons que P soit dans R entier; étant donné que R est dans S entier, il se trouvera (comme conséquence) que P est dans S entier. Mais il a été accordé qu'il n'est pas dans S entier. Or, que P soit et ne soit pas, à la fois, dans S entier, c'est impossible. Autrement : Tout homme est mortel, pas tout homme n'est philosophe; conclusion : Pas tout être mortel n'est philosophe. Si quelqu'un prétend que la conclusion n'est pas juste : à raison de la contradiction, (le prédicat) se vérifie nécessairement de « tout », ou de« pas tout (mortel) ». Puis donc que (par hypothèse) il ne se vérifie pas de « pas tout (mortel) », il faut qu'il se vérifie de « tout (mortel) ». Donc : Tout homme est mortel, « tout être mortel est philosophe »; conclusion : Tout homme est philosophe. Mais il a été accordé que pas tout homme n'est philosophe ; or voici que l'on arrive à conclure que tout homme est philosophe et l'on aboutit à cette contradiction : Tout homme est philosophe, tout homme n'est pas philosophe; ce qui est absurde.

Sixième mode : [214] D'une mineure particulière affirmative et d'une majeure universelle négative suit une conclusion négative particulière. Si R est dans quelque (individu) de S, P dans nul (individu) de S, P n'est pas dans R entier. Ce qui se démontre moyennant une conversion. Si R est dans quelque (individu) de S, S est dans quelque individu de R et on obtient le quatrième mode de la première figure : P n'est dans nul (individu) de S, S est dans quelque (individu) de R; (donc) P n'est pas dans R entier. Autrement : Quelque homme est mortel; nul homme n'est cheval ; conclusion : Pas tout être mortel n'est cheval. Si quelqu'un dit que la conclusion n'est pas juste, convertis la proposition qui dit : Quelque homme est mortel, et dis : Si quelque homme est mortel, quelque être mortel est homme. Après quoi donne la solution : Quelque mortel est homme, nul homme n'est cheval; conclusion : Pas tout mortel n'est cheval. Ce qui se trouve être le quatrième mode de la première figure.

[Règles touchant les syllogismes illogiques :]

Dans la première figure : 1° de deux affirmatives particulières, la conclusion ne tient pas : Quelque homme est mortel, quelque être mortel [215] est cheval; conclusion : quelque homme est cheval. 2°De deux négatives universelles la conclusion ne tient pas : Nul homme n'est une pierre, nulle pierre n'est un animal ; conclusion : Nul homme n'est un animal. 3° De deux négatives particulières la conclusion ne tient pas : Pas tout être mortel n'est raisonnable, pas tout être raisonnable n'a une existence bornée; conclusion : Pas tout être mortel n'a une existence bornée.

Dans la seconde figure : 1° De deux affirmatives particulières, la conclusion ne tient pas : Quelque cheval est animal, quelque homme est animal; conclusion : Quelque cheval est homme. 2° De deux négatives universelles, la conclusion ne tient pas : Nul homme n'est une pierre, nul animal n'est une pierre ; conclusion : Nul homme n'est un animal. 3° De deux négatives particulières, la conclusion ne tient pas : Pas tout homme n'est philosophe; pas tout être capable de rire n'est philosophe; conclusion : Pas tout homme n'est capable de rire.

Dans la troisième figure : 1° De deux affirmatives particulières, la conclusion ne tient pas : Quelque être mortel est cheval, quelque être mortel est homme; conclusion : [216] Quelque cheval est homme, 2° De deux négatives universelles, la conclusion ne tient pas : Nulle pierre n'est homme, nulle pierre n'est capable de rire; conclusion : Nul homme n'est capable de rire. 3° De deux négatives particulières, la conclusion ne tient pas : Pas tout animal n'est homme; pas tout animal n'est capable de rire; conclusion : Pas tout homme n'est capable de rire.

 

ICI FINIT L'INTERPRÉTATION

DU LIVRE DES ANALYTIQUES EXPLIQUÉ PAR PROBUS LE SAGE.


 

[1] Même traité dans le ms. de Berlin, Sachau, 226, fol. 11-42.

[2] Cf. Rubens Duval, Les anciennes littératures chrétiennes : II, La littérature syriaque, 1899, p. a55, note 5.

[3] Comp. sur Paul le Perse et son traité adressé à Chosroès Anoschirwan, Renan, Lettre à M. Reinaud 5Extr. du Journ. asiat., n° 3, 1853), p. 21. Notre traité n'est pas le même que celui dont il est ici question.

[4] Rubens Duval, loc. cit., p. 357, Renan, loc. cit., p. 36; l'inscription communiquée par Renan diffère de celle du manuscrit de M. Bedjan qui est aussi celle du ms. de Berlin, Sachau, 226, fol. 83.

[5] Rubens Duval, loc. cit.; Renan, loc. cit., p, 35 : la suscription reproduite par Renan est à peu près identique à celle du manuscrit Bedjan; — le même traité dans le ms. de Berlin Sachau, 226, fol. 60 et suiv.

[6] 2e éd. 1873. p. 141 et suiv.

[7] Loc. cit., p. 144, 146.

[8] De philosoph. perip. apud Syros, p. 14.

[9] Loc. cit., p. 146.

[10] Loc. cit., p. 254.

[11] Dans sa dissertation Aristoteles Analytica bei den Syrern (Berlin, 1898), M. I. Friedmann écrit lui aussi, en s'appuyant sur des raisons qu'il n'indique pas, que l'authenticité du traité de Probus «ne peut plus être contestée! (p. 28). Voir plus loin, à la fin de cette notice préliminaire.

[12] Hoffmann remarque que ces traces des idées chrétiennes se retrouvent aussi dans les versions des œuvres d'Aristote (loc. cit., p. 145).

[13] Loc. cit., p.146.

[14] Cf. G. Hoffmann, De Hermeneuticis apud Syros Aristoteleis, 1873, p. 113.

[15] Aristote énumère ces trois sortes de syllogismes, Top. lib. I, cap. 1. Au début de son introduction au commentaire sur les Premiers Analytiques, Alexandre d'Aphrodisias rappelle lui aussi les trois modes de raisonnement: apodictique, dialectique, sophistique; mais sans dire, que leur examen est le but de ce traité. Ce qui n'est d'ailleurs vrai qu'en ce sens que le traité étant consacré à l'exposé des règles, des principes et des conditions du raisonnement démonstratif, il montre par là, indirectement, ce qui distingue celui-ci des autres.

[16] Il y a ici une lacune. Comme la suite immédiate le montre, il devait être en cet endroit question, dans le texte, tout au moins d'une division du traité d'Aristote en trois chapitres ou parties, qu'Aristote lui-même d'ailleurs n'indique pas. Dans son traité sur les syllogismes, le philosophe syrien Sabokt parle aussi d'une division des Premiers Analytiques en trois sections; mais les formules qu'il donne de l'objet de ces dernières ne répondent pas à notre contexte. D'après celui-ci, la troisième section est censée avoir pour objet la résolution des syllogismes, leur composition étant supposée faire l'objet d'une section précédente. Magentinus expose, dans l'introduction à son commentaire**, une division qui se trouve parfaitement d'accord avec cette donnée.

[17] La même raison indiquée par Magentinus, loc. cit.

** Ammonias in Porphyrii institutionem, Magentinus in l. Aristotelis de Interpretatione, Magentinus in Prima Analytica. Lugduni 1547, p. 103.

[18] Une note marginale en arabe porte : les partisans d'Aristote (!), parce qu'ils se livraient à l'étude dans le portique (la στοα), (s'appelaient) les stoïciens = les partisans de la στοα.

[19] Les stoïciens sont censés montrer par cet exemple qu'une science comme l'astronomie peut avoir pour auxiliaire une science appartenant à un autre domaine, comme la logique qui, d'après eux, fait partie de la philosophie.

[20] Le verbe a le sens de traiter, exposer, expliquer un sujet, d'après Al-Lobab de Cardahi (Beyrouth, 1887), II, p. 228b.

[21] L'exemple se trouve aussi chez Alexandre.** Les considérations de notre auteur se trouvent d'ailleurs sans aucun doute en rapport au moins indirect avec la préface de cet interprète à son commentaire sur les Premiers Analytiques.

** Alexandri Aphrodisiensis in priora resolutoria explanatio ; Ven., 1542, p. 6 (initio).

[22] Ce qui est censé faire aussi l'objet de la logique.

[23] L'auteur énumère cinq « facultés cognoscitives » comme Ammonius** : νοῦς, διάνοια, δόξα, φαντασία, αἴσθησις.

** Υπόμνημα, εἰς το Περὶ Ερμηνείαε Αριστοτελους; Ven., 1503, fol. A 2 b.

[24] Voir le commencement du traité de Probus et notre note 15.

[25] Aristote, loc. cit. ; « … quid sit protasis... et posthaec quid sit esse et non esse in toto aliquid alicui et quid dicimus praedicari de omni vel de nullo... ». Ces mots sont représentés dans le texte· syriaque qui, en cet endroit, n'a qu'un rapport très éloigné avec l'original grec. Plus loin (p. [195] et suiv.), la formule revient, et cette fois notre commentaire en donne une traduction plus exacte.

[26] Aristote, Péri Herm., V, 5. Le nom ou le verbe séparément ne sont qu'une φάσις, non pas une ἀπόφανσις.

[27] Aristote : (Pr. Anal., lib. I, cap. i, 2). La proposition non définie est celle dont le sujet est négatif, de manière à n'être ni universel, ni particulier (ex. non homo ambulat).

[28] Aristote, Péri Herm., cap. vi, init.

[29] Aristote rappelle seulement, et très sommairement, en cet endroit (I Anal., I, cap. i) la différence entre les propositions démonstrative et dialectique. De la différence en question entre les syllogismes, laquelle dérive de la précédente, il parle Top., lib. I, cap. i, où il s'agit d'ailleurs aussi du syllogisme sophistique.

[30] Sur les principes qu'il appelle communs, voir Aristote II Anal., lib. I, cap. xi. La démonstration doit partir, suivant la terminologie d'Aristote, des principes premiers ou de ceux qui sont connus moyennant les premiers (II Anal., lib. I, cap. ix, 5; Top., lib. I, cap. i, 4)

[31] Voir une observation analogue chez Aristote, Top. lib. III, cap. i, 2. — (cf. plus haut, note 29).

[32] Aristote, I Anal., lib. I, cap. 1

[33] Alexandre fait la même remarque, in l. — Magentinus attribue, l'introduction du nom (ὅρος) lui-même à Aristote; mais il doit sans aucun doute être compris au sens de la remarque d'Alexandre. L'insistance de notre commentaire à distinguer, au point de vue de cette question d'origine, le nom lui-même du sens nouveau que lui donna Aristote (p. [180] et suiv., et ici) n'aurait-elle pas pour objet de mettre en garde contre une confusion qui se commettait, au moins dans la manière de parler?

[34] Dans son traité sur les syllogismes, Sabokt remarque, à la même occasion, que le terme à la vérité se résout en syllabes; mais, dit-il, celles-ci n'ont aucune signification, alors que les philosophes ne s'occupent que de ce qui a une signification. C'est sans doute aussi de l'analyse du mot en syllabes que Probus veut parler en cet endroit.

[35] La copule est, dit Alexandre, n'est pas un terme dans la proposition. Celle-ci ne comprend que deux termes : le sujet et le prédicat. La copule, affirmative ou négative, n'est qu'une apposition signifiant l'union ou la séparation des deux termes. Telle est la portée qu'il faudrait attribuer, dans la définition du « terme », aux mots : ἢ προστιθεμένου ἢ διαιρουμένου τοῦ εἶναι καὶ μὴ εἶναι. Cependant, poursuit le commentateur, Aristote eût peut-être mieux fait de dire simplement : ἢ προστιθεμένου ἢ διαιρουμένου τοῦ εἶναι; il a ajouté καὶ μὴ εἶναι pour indiquer comment se faisait la séparation des deux termes, à savoir par la construction négative de la copule; ou bien encore pour laisser entendre qu'en décomposant la proposition en ses termes, on pouvait ajouter ou retrancher à loisir la copule affirmative ou négative.

[36] Voir plus loin, note 38.

[37] Ceci, comme on peut le voir par la note 35, n'est pas l'exposé de l'interprétation d'Alexandre. L'affirmation ou la négation de transposition dont il est question dans notre texte, sont celles qui se répondent comme contradictoires avec un prédicat négatif (cf. Aristote Péri. Herm., cap. x). Dans son commentaire sur le Peri Herm. (éd. cit. fol. Ε 4), Ammonius rapporte que Théophraste le premier leur appliqua la dénomination d'affirmation et de négation transpositives (ἐκ μεταθέσεως), parce qu'elles se présentent en ordre transposé vis-à-vis des propositions simples, c'est-à-dire à prédicat simple ou positif : à une affirmation simple répond une négation à prédicat négatif; à une négation simple répond une affirmation a prédicat négatif; p. ex. :

Homo est justus.                                Homo non est justus.

Homo non est non justus.                        Homo est non justus.

Ainsi, d'après l'explication qui semble attribuée dans notre texte aux défenseurs de l'opinion d'Alexandre, en disant : ἢ προστιθεμένου τοῦ εἶναι καὶ μὴ εἶναι. Aristote aurait eu en vue, d'une manière générale, les propositions formées à l'aide de la copule affirmative ou négative (voir note suivante); en disant : ἢ διαιρουμένου τοῦ εἶναι καὶ μὴ εἶναι, il aurait songé plus spécialement aux propositions à prédicat négatif, dans lesquelles il y a toujours division ou séparation soit de l'être, soit du non-être, d'avec le sujet.

[38] Voir Probus, in Péri Herm. (ap. Hoffmann, loc. cit., p. 94). Il est des propositions composées du sujet et du prédicat seulement; ex. : Socrates ambulat (de celles-ci il n'est tenu aucun compte spécial dans l'explication précédente, note 37); d'autres dans lesquelles la copule est exprimée, comme Socrates est homo. Ces dernières (dans lesquelles la copule est le troisième membre co-attribut, τρίτον προσκατηγορονμένον, Aristote, Péri Herm., cap. x) seraient visées formellement dans la définition par l'élément : ἢ προστιθεμένου τοῦ εἶναι καὶ μὴ εἶναι; les premières y seraient implicitement comprises par corrélation avec les secondes.

[39] Dans le commentaire sur le Péri Herm, cf. Hoffmann, loc. cit., p. 68, I. 5 et suiv.

[40] L'autre membre (voir note 38) de la définition aristotélicienne: ἢ διαιρουμένου τοῦ εἶναι καὶ μὴ εἶναι, s'appliquerait ainsi à deux nouveaux groupes de propositions : celles dans lesquelles il y a division de l'être et du non-être, et celles-là seraient formellement visées; puis celles dans lesquelles il y a composition de l'être et du non-être et qui seraient implicitement comprises dans le membre en question de la définition par corrélation avec les précédentes. Il est étrange que notre auteur, d’après le texte syriaque en son état actuel, commence par expliquer ce qu'il entend par les propositions où il y a composition; ce seraient les propositions transpositives dont il a été question plus haut (note 37). Nous n'avons pu trouver dans les commentaires que nous avons sous la main des éclaircissements sur la manière dont il faudrait entendre cette composition dans les propositions transpositives. Celles-ci sont-elles envisagées comme composées, par opposition aux propositions à prédicat positif qui sont appelées simples? (Voir Ammonius, loc. cit.) Ou bien la composition s'entend-elle de l'association (affirmative ou négative) du sujet comme être avec le prédicat négatif comme non-être ? Les propositions dans lesquelles il y a division de l'être et du non-être seraient, d'après notre texte, les propositions simples modales ; peut-être parce que le mode ajoute équivaut à un dédoublement de l'affirmation ou de la négation ? Ex. : Socrates necessario est homo = necesse est Socratem esse hominem.

Mais il y aurait plutôt là une raison de dire que, dans les propositions modales simples (·= non transpositives) il y a « composition »; ce qui serait aussi plus conforme au langage des commentateurs. On comprendrait mieux également, au point de vue du contexte, la nation de « division » comme s'appliquent aux propositions transpositives, dans lesquelles, suivant l'opinion alléguée plus haut par l'auteur, il y a toujours division : « Par cela que l'on dit : « Socrate c'est non-juste», on sépare de lui qu'il soit juste; dans l'autre cas, on sépare de lui la note contraire. » N'y aurait-il pas eu dans notre texte interversion de termes, si bien que l'auteur aurait, en réalité commencé par expliquer quelles sont les propositions où il y a « division » de l'être ou du non-être, à savoir les propositions transpositives, modales ou non; pour en venir ensuite à celles dans lesquelles il y a « composition », à savoir les propositions modales simples? Nous le répétons, il était plus logique de commencer par les propositions auxquelles s'applique la notion de « division », puisque celles-ci sont censées explicitement visées par le membre de la définition : ἢ διαιρουμένου τοῦ εἶναι καὶ μὴ εἶναι. L'interversion pourrait avoir été favorisée par la circonstance qu'il semblait y avoir contradiction à appliquer la notion de composition à des propositions appelées « simples ».

[41] Cela nous paraît inintelligible et fautif. L'auteur introduit une nouvelle définition du « terme », qu'il discute et rejette. L'auteur montre que la nouvelle définition du Terme n'offre pas un moyen acceptable d'éviter les difficultés de la définition d'Aristote.

[42] L'auteur indique enfin sa propre manière de voir. A son avis les deux membres de l'alternative ἢ προστιθεμένου ἢ διαιρουμένου τοῦ εἶναι καὶ μὴ εἶναι, s'appliquent respectivement aux propositions qui ont la copule explicite, soit affirmative, soit négative, et à celles qui ne l'ont pas. Voir note 38.

[43] Pour que cette observation ait un sens, il faut supposer que l'auteur s'en rapporte à l'exposé d'Aristote lui-même dans l'ensemble de son traité sur les syllogismes.

[44] Sur l’enthymème comme forme du raisonnement propre aux orateurs, voir Aristote, notamment Rhet., lib. I, cap. 2 ; puis Rhet., lib. II, cap. 1, 20, 22 et seq.

[45] Eschine? L'exemple renfermerait une allusion à l'accusation de dorodochie élevée par Démosthène contre Eschine.

[46] Cet exemple est pareillement emprunté à un auteur grec. Il se trouve déjà chez Aristote Rhet., lib. II, cap. 24.

[47] Voir pour cette raison Aristote, Rhet., lib. I, cap. ii, § 13. — A la différence d'Aristote, autre auteur semble n'apprécier qu'ironiquement l'usage des orateurs.

[48] Alexandre expose au contraire qu'il n'y a aucun raisonnement dans un propos de ce genre (loc. cit., p. 13). — Probus semble faire une réserve touchant le point de savoir si le soi-disant raisonnement hypothétique renferme un « énoncé » (praedicatio); il n'y est en effet rien énoncé d'une manière absolue. Nous croyons pouvoir traduire les mots par : à concéder qu’il y ait.

[49] Pour la terminologie suivant laquelle la conclusion s'appelle question, cf. Alexandre, loc. cit., p. 27.

[50] La phrase est mutilée. L'omission a été occasionnée par la ressemblance entre les particules. Le sens n'est pas douteux.

[51] Dans le premier exemple le terme moyen visibilis est d'extension égale au sujet de la conclusion homo; dans le second exemple le terme moyen animal est d'extension plus grande que le sujet de la conclusion homo. Ainsi se vérifie la règle énoncée par l'auteur. — Les mêmes exemples pour les propositions à prédicat d'extension égale ou supérieure à celle du sujet chez Alexandre, loc. cit., p. 17.

[52] Παράδειγμα, Cf. Aristote, I Anal., lib. II, cap. 26; Rhet., lib. I, cap. 2 (plus haut, note 44), lib. II, cap. 20.

[53] Même exemple chez Alexandre (loc. cit., p. 26) qui nomme : l'homme, le cheval, le chien, !e bœuf et la brebis. Magentinus le propose en nommant le cheval, le bœuf et le lion (loc. et cd. cit., p. 108).

[54] Voir Aristote, p. e. 1 AmL, lib. II, cap. a5; liket., lib. 1, raj>. 3 (plus haut, note 3u), clc.

[55] Littéralement : « Nous répondons ensuite qu'en établissant en plierai la doctrine touchant le syllogisme, celui-ci se comprend aussi lui-même dans cette opération. »

[56] Aristote, Ι Anal., lib. Ι, cap. i.

[57] Aristote relève lui aussi, au même endroit, cette différence.

[58] L'auteur expliquera plus loin ce qu'il entend par « conversion ».

[59] Aristote fait ces mentions en disant ce qu'il entend par syllogisme imparfait, (Ι Anal., lib. Ι, cap. i).

[60] Probus, ou l'auteur dont il est l'écho, croit pouvoir entendre la parole d'Aristote en ce sens que le prédicat doit s'appliquer au sujet, quant à la « compréhension » entière du premier et dans toute l’« extension » du second. Cela est très vrai; mais ce n'est pas ce que dit Aristote en cet endroit, pour le premier de ces deux points. — Voici d'autre part quelle serait d'après Alexandre, l'explication de la parole d'Aristote : dans toute proposition universelle, il est également vrai de dire, quand il s'agit d'une affirmation, que le prédicat s'applique au sujet dans toute l'extension de celui-ci et que le sujet est renfermé dans le prédicat comme en un tout, parce que l'extension du prédicat doit être au moins égale à celle du sujet. De même quand il s'agit d'une négation universelle, il est également vrai de dire que le prédicat ne s'applique à nul individu compris sous l'extension du sujet, et que le sujet n'entre point dans le tout du prédicat. Encore une fois ce commentaire ne répond pas à la pensée d'Aristote.

« C'est une seule et même notion », dit Aristote, ταὐτόν ἐστι, qu'une chose soit en l'autre dans l'extension entière du concept de celle-ci (animal est in universo homine), et qu’elle se dise de l’autre quant à tout individu compris sous cette extension (animal [dicitur] de omni homine). — Aristote fait cette observation, également applicable, comme il le dit, aux propositions universelles négatives, pour indiquer la signification des formules dans ses syllogismes.

[61] Cf. Aristote, I Anal., lib. I, cap. 2.

[62] La même question est traitée par Alexandre, loc. cit., p. 28 et suiv. — Aristote expose les trois figures, loc. cit., ch. 4 et suiv.

[63] Telle est, croyons-nous, la seule manière rationnelle de traduire ce passage. Voici comment nous le comprenons. Une proposition certaine convertie suivant les règles indiquées plus haut (p. [197]) donnera toujours une proposition pareillement certaine. Mais de ces mêmes règles il suit, qu'une proposition universelle affirmative fausse, régulièrement convertie, peut donner une universelle particulière vraie. La proposition : « Tout homme est animal » étant certaine, on est sûr d'avance que la particulière qui résultera de la conversion sera pareillement certaine. Mais une universelle affirmative fausse peut donner comme résultat de la conversion une proposition vraie ou une proposition fausse, — On peut donc, dit notre auteur, entreprendre toujours, en pleine sécurité, l'épreuve de la conversion d'une proposition de la vérité de laquelle on est certain. On est sûr d'avance du résultat.

[64] A ces quatre modes de la première figure se ramènent les syllogismes de la seconde et de la troisième figures. Sabokt énumère neuf modes de la première figure, les cinq derniers se ramenant eux aussi aux quatre premiers, qu'il appelle « indémontrables ».

[65] Sur la position respective du sujet et du prédicat dans ces formules, voir note 60. Les lettres de l'alphabet employées pour représenter les termes varient suivant les figures et répondent à celles dont se sert Aristote, sauf que, dans la seconde figure, le X grec est remplacé par un Semcath qui se présente aussi pour le S dans la troisième.

[66] Le texte porte : n'étant pas, addition fautive.

[67] Il est supposé dans le mode en question que la négative universelle est mineure, l'affirmative universelle, majeure; donc c'est le « terme extrême » qui se trouve dans l'affirmative universelle qui doit être prédicat dans la conclusion, parce que le prédicat de la conclusion vient de la majeure. Dans la formule proposée le terme extrême qui se trouve dans la majeure est N ; N doit donc être prédicat dans la conclusion. La question est donc de montrer que N ne se trouve en nul individu de S; en d'autres termes que nul S n'est N. La proposition qui dit : nul N n'est S, n'est elle-même qu'une mineure, dit Probus. En effet, S est le terme mineur; et une proposition dans laquelle le terme mineur figure comme prédicat ne peut être ni la majeure, ni la conclusion d'un syllogisme. Se rappeler l'exposé de notre auteur p. [200].

[68] Voir note précédente.

[69] Une négative particulière ne peut pas être convertie; une affirmative universelle se convertit en particulière. La conversion appliquée aux prémisses ne pourrait donc avoir ici comme résultat que deux prémisses particulières qui ne peuvent point servir de base à une conclusion.

[70] Ceci nous paraît difficile à comprendre. « Il n'est pas de principe que la mineure ait la majeure comme subordonnée; au contraire, la majeure l'emporte sur la mineure... » Dans le résultat obtenu par la première conversion, l'universelle affirmative est devenue virtuellement majeure, puisque le prédicat de la conclusion (R) est le terme extrême qui se trouve dans l'affirmative universelle. La mineure a donc pris l'avantage sur la majeure, ce qui ne peut pas être; c'est la majeure qui doit dominer. Donc c'est le terme extrême qui se trouve dans celle-ci, c'est-à-dire dans l'affirmative particulière, qui doit être prédicat dans la conclusion. Ce qui s'obtient par Une seconde conversion. En effet, si quelque P est R, quelque R est P.