Platon : La République

PLATON

LΑ REPUBLIQUE : LIVRE X

 

Traduction française · Victor COUSIN.

VOLUME X

LIVRE IX

Autre traduction

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PLATON

 

 

LA REPUBLIQUE.

 

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LIVRE DIXIÈME.

 

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[595a] Καὶ μήν, ἦν δ’ ἐγώ, πολλὰ μὲν καὶ ἄλλα περὶ αὐτῆς ἐννοῶ, ὡς παντὸς ἄρα μᾶλλον ὀρθῶς ᾠκίζομεν τὴν πόλιν, οὐχ ἥκιστα δὲ ἐνθυμηθεὶς περὶ ποιήσεως λέγω.

Τὸ ποῖον; ἔφη.

Τὸ μηδαμῇ παραδέχεσθαι αὐτῆς ὅση μιμητική· παντὸς γὰρ μᾶλλον οὐ παραδεκτέα νῦν καὶ ἐναργέστερον, ὡς ἐμοὶ δοκεῖ, φαίνεται, ἐπειδὴ χωρὶς ἕκαστα διῄρηται τὰ τῆς ψυχῆς [595b] εἴδη.

Πῶς λέγεις;

῾Ως μὲν πρὸς ὑμᾶς εἰρῆσθαι — οὐ γάρ μου κατερεῖτε πρὸς τοὺς τῆς τραγῳδίας ποιητὰς καὶ τοὺς ἄλλους ἅπαντας τοὺς μιμητικούς — λώβη ἔοικεν εἶναι πάντα τὰ τοιαῦτα τῆς τῶν ἀκουόντων διανοίας, ὅσοι μὴ ἔχουσι φάρμακον τὸ εἰδέναι αὐτὰ οἷα τυγχάνει ὄντα.

Πῇ δή, ἔφη, διανοούμενος λέγεις;

῾Ρητέον, ἦν δ’ ἐγώ· καίτοι φιλία γέ τίς με καὶ αἰδὼς ἐκ παιδὸς ἔχουσα περὶ ῾Ομήρου ἀποκωλύει λέγειν. οικε μὲν [595c] γὰρ τῶν καλῶν ἁπάντων τούτων τῶν τραγικῶν πρῶτος διδάσκαλός τε καὶ ἡγεμὼν γενέσθαι. λλ’ οὐ γὰρ πρό γε τῆς ἀληθείας τιμητέος ἀνήρ, ἀλλ’, ὃ λέγω, ῥητέον.

Πάνυ μὲν οὖν, ἔφη.

῎Ακουε δή, μᾶλλον δὲ ἀποκρίνου.

Ἐρώτα.

Μίμησιν ὅλως ἔχοις ἄν μοι εἰπεῖν ὅτι ποτ’ ἐστίν; οὐδὲ γάρ τοι αὐτὸς πάνυ τι συννοῶ τί βούλεται εἶναι.

῏Η που ἄρ’, ἔφη, ἐγὼ συννοήσω.

Οὐδέν γε, ἦν δ’ ἐγώ, ἄτοπον, ἐπεὶ πολλά τοι ὀξύτερον [596a] βλεπόντων ἀμβλύτερον ὁρῶντες πρότεροι εἶδον.

῎Εστιν, ἔφη, οὕτως· ἀλλὰ σοῦ παρόντος οὐδ’ ἂν προθυμηθῆναι οἷός τε εἴην εἰπεῖν, εἴ τί μοι καταφαίνεται, ἀλλ’ αὐτὸς ὅρα.

Βούλει οὖν ἐνθένδε ἀρξώμεθα ἐπισκοποῦντες, ἐκ τῆς εἰωθυίας μεθόδου; εἶδος γάρ πού τι ἓν ἕκαστον εἰώθαμεν τίθεσθαι περὶ ἕκαστα τὰ πολλά, οἷς ταὐτὸν ὄνομα ἐπιφέρομεν. οὐ μανθάνεις;

Μανθάνω.

Θῶμεν δὴ καὶ νῦν ὅτι βούλει τῶν πολλῶν. Οἷον, εἰ [596b] ’θέλεις, πολλαί πού εἰσι κλῖναι καὶ τράπεζαι.

Πῶς δ’ οὔ;

Ἀλλὰ ἰδέαι γέ που περὶ ταῦτα τὰ σκεύη δύο, μία μὲν κλίνης, μία δὲ τραπέζης.

Ναί.

Οὐκοῦν καὶ εἰώθαμεν λέγειν ὅτι ὁ δημιουργὸς ἑκατέρου τοῦ σκεύους πρὸς τὴν ἰδέαν βλέπων οὕτω ποιεῖ ὁ μὲν τὰς κλίνας, ὁ δὲ τὰς τραπέζας, αἷς ἡμεῖς χρώμεθα, καὶ τἆλλα κατὰ ταὐτά; οὐ γάρ που τήν γε ἰδέαν αὐτὴν δημιουργεῖ οὐδεὶς τῶν δημιουργῶν· πῶς γάρ;

Οὐδαμῶς.

Ἀλλ’ ὅρα δὴ καὶ τόνδε τίνα καλεῖς τὸν δημιουργόν.

[596c] Τὸν ποῖον;

῝Ος πάντα ποιεῖ, ὅσαπερ εἷς ἕκαστος τῶν χειροτεχνῶν.

Δεινόν τινα λέγεις καὶ θαυμαστὸν ἄνδρα.

Οὔπω γε, ἀλλὰ τάχα μᾶλλον φήσεις. αὐτὸς γὰρ οὗτος χειροτέχνης οὐ μόνον πάντα οἷός τε σκεύη ποιῆσαι, ἀλλὰ καὶ τὰ ἐκ τῆς γῆς φυόμενα ἅπαντα ποιεῖ καὶ ζῷα πάντα ἐργάζεται, τά τε ἄλλα καὶ ἑαυτόν, καὶ πρὸς τούτοις γῆν καὶ οὐρανὸν καὶ θεοὺς καὶ πάντα τὰ ἐν οὐρανῷ καὶ τὰ ἐν ῞Αιδου ὑπὸ γῆς ἅπαντα ἐργάζεται.

[596d] Πάνυ θαυμαστόν, ἔφη, λέγεις σοφιστήν.

Ἀπιστεῖς; ἦν δ’ ἐγώ. Καί μοι εἰπέ, τὸ παράπαν οὐκ ἄν σοι δοκεῖ εἶναι τοιοῦτος δημιουργός, ἢ τινὶ μὲν τρόπῳ γενέσθαι ἂν τούτων ἁπάντων ποιητής, τινὶ δὲ οὐκ ἄν; ἢ οὐκ αἰσθάνῃ ὅτι κἂν αὐτὸς οἷός τ’ εἴης πάντα ταῦτα ποιῆσαι τρόπῳ γέ τινι;

Καὶ τίς, ἔφη, ὁ τρόπος οὗτος;

Οὐ χαλεπός, ἦν δ’ ἐγώ, ἀλλὰ πολλαχῇ καὶ ταχὺ δημιουργούμενος, τάχιστα δέ που, εἰ ’θέλεις λαβὼν κάτοπτρον [596e] περιφέρειν πανταχῇ· ταχὺ μὲν ἥλιον ποιήσεις καὶ τὰ ἐν τῷ οὐρανῷ, ταχὺ δὲ γῆν, ταχὺ δὲ σαυτόν τε καὶ τἆλλα ζῷα καὶ σκεύη καὶ φυτὰ καὶ πάντα ὅσα νυνδὴ ἐλέγετο.

Ναί, ἔφη, φαινόμενα, οὐ μέντοι ὄντα γέ που τῇ ἀληθείᾳ.

Καλῶς, ἦν δ’ ἐγώ, καὶ εἰς δέον ἔρχῃ τῷ λόγῳ. Τῶν τοιούτων γὰρ οἶμαι δημιουργῶν καὶ ὁ ζωγράφος ἐστίν. γάρ;

Πῶς γὰρ οὔ;

Ἀλλὰ φήσεις οὐκ ἀληθῆ οἶμαι αὐτὸν ποιεῖν ἃ ποιεῖ. Καίτοι τρόπῳ γέ τινι καὶ ὁ ζωγράφος κλίνην ποιεῖ· ἢ οὔ;

Ναί, ἔφη, φαινομένην γε καὶ οὗτος.

[597a] Τί δὲ ὁ κλινοποιός; οὐκ ἄρτι μέντοι ἔλεγες ὅτι οὐ τὸ εἶδος ποιεῖ, ὃ δή φαμεν εἶναι ὃ ἔστι κλίνη, ἀλλὰ κλίνην τινά;

῎Ελεγον γάρ.

Οὐκοῦν εἰ μὴ ὃ ἔστιν ποιεῖ, οὐκ ἂν τὸ ὂν ποιοῖ, ἀλλά τι τοιοῦτον οἷον τὸ ὄν, ὂν δὲ οὔ· τελέως δὲ εἶναι ὂν τὸ τοῦ κλινουργοῦ ἔργον ἢ ἄλλου τινὸς χειροτέχνου εἴ τις φαίη, κινδυνεύει οὐκ ἂν ἀληθῆ λέγειν;

Οὔκουν, ἔφη, ὥς γ’ ἂν δόξειεν τοῖς περὶ τοὺς τοιούσδε λόγους διατρίβουσιν.

Μηδὲν ἄρα θαυμάζωμεν εἰ καὶ τοῦτο ἀμυδρόν τι τυγχάνει ὂν πρὸς ἀλήθειαν.

[597b] Μὴ γάρ.

Βούλει οὖν, ἔφην, ἐπ’ αὐτῶν τούτων ζητήσωμεν τὸν μιμητὴν τοῦτον, τίς ποτ’ ἐστίν;

Εἰ βούλει, ἔφη.

Οὐκοῦν τριτταί τινες κλῖναι αὗται γίγνονται· μία μὲν ἡ ἐν τῇ φύσει οὖσα, ἣν φαῖμεν ἄν, ὡς ἐγᾦμαι, θεὸν ἐργάσασθαι. τίν’ ἄλλον;

Οὐδένα, οἶμαι.

Μία δέ γε ἣν ὁ τέκτων.

Ναί, ἔφη.

Μία δὲ ἣν ὁ ζωγράφος. γάρ;

῎Εστω.

Ζωγράφος δή, κλινοποιός, θεός, τρεῖς οὗτοι ἐπιστάται τρισὶν εἴδεσι κλινῶν.

Ναὶ τρεῖς.

[597c] ῾Ο μὲν δὴ θεός, εἴτε οὐκ ἐβούλετο, εἴτε τις ἀνάγκη ἐπῆν μὴ πλέον ἢ μίαν ἐν τῇ φύσει ἀπεργάσασθαι αὐτὸν κλίνην, οὕτως ἐποίησεν μίαν μόνον αὐτὴν ἐκείνην ὃ ἔστιν κλίνη· δύο δὲ τοιαῦται ἢ πλείους οὔτε ἐφυτεύθησαν ὑπὸ τοῦ θεοῦ οὔτε μὴ φυῶσιν.

Πῶς δή; ἔφη.

[595a] Et vraiment, entre toutes les raisons qui me font penser que le plan de notre État est aussi bon qu’il puisse être, notre règlement sur la poésie n’est pas ce qui me frappe le moins.

Quel règlement ?

Celui de ne point admettre dans notre État cette partie de la poésie qui est purement imitative : à présent que nous avons nettement établi la distinction des parties de l’âme, ce règlement me paraît, plus que jamais, d’une nécessité [595b] incontestable.

Comment cela ?

Je puis m’expliquer avec vous, car vous n’irez pas me dénoncer aux poètes tragiques et autres poètes imitateurs. H semble que ce genre de poésie est un poison pour l’esprit de ceux qui l’écoutent, lorsqu’ils n’ont pas l’antidote, qui consiste à savoir apprécier ce genre tel qu’il est.

Comment l’entends-tu ?

Je vous le dirai ; cependant je sens que ma 235 langue est arrêtée par une certaine tendresse, et un certain respect que j’ai depuis l’enfance pour Homère ; on peut dire en effet qu’Homère est le maître et le chef de [595c] tous ces beaux poètes tragiques (01) ; mais on doit plus d’égards à la vérité qu’à un homme ; je parlerai donc (02).

Fort bien.

Écoute, ou plutôt réponds-moi.

Interroge.

Pourrais-tu me dire ce que c’est en général que l’imitation ? J’ai peine à bien comprendre quelle est sa nature.

Et moi, le comprendrai-je mieux ?

Il n’y aurait en cela rien d’étonnant. Souvent ceux qui ont la vue basse aperçoivent [596a] les objets avant ceux qui ont les yeux beaucoup plus perçants.

Cela arrive en effet. Mais je n’oserai jamais dire en ta présence mon sentiment sur quoi que ce soit. Vois toi-même, je t’en prie.

Veux-tu que nous procédions dans cette recherche selon notre méthode ordinaire ? Nous avons coutume d’embrasser sous une idée générale, cette multitude d’êtres, qui chacun ont une 236 existence différente et que l’on comprend tous sous le même nom. N’entends-tu pas ?

J’entends.

Prenons celle que tu voudras de ces espèces d’êtres. [596b] Par exemple, il y a une multitude de lits et de tables.

Sans doute.

Mais tous ces meubles sont compris sous deux idées seulement, l’une du lit, l’autre de la table.

Oui.

N’avons-nous pas aussi coutume de dire que l’ouvrier qui fabrique ces deux espèces de meubles, ne fait le lit ou la table dont nous nous servons que d’après l’idée qu’il a de l’un et de l’autre de ces meubles, et ainsi des autres ? Car assurément ce n’est pas l’idée même qu’aucun de ces ouvriers fabrique. Cela peut-il être ?

Nullement.

Vois à présent quel nom tu donneras à l’ouvrier que je vais dire.

[596c] Quel ouvrier ?

Celui qui fait à lui seul tout ce que les divers ouvriers font chacun dans leur genre.

Tu parles là d’un homme bien habile et bien extraordinaire.

Attends ; tu vas admirer encore bien davantage. Ce même ouvrier n’a pas seulement le talent de faire tous les ouvrages d’art : il fait en- 237 core tout ce que nourrit dans son sein la nature, les plantes, les animaux, toutes les autres choses ; et lui-même enfin. Ce n’est pas tout : il fait la terre, le ciel, les dieux, tout ce qui existe au ciel, et sous terre, dans les enfers.

[596d] Voilà un artiste tout-à-fait admirable.

Tu doutes de ce que je dis ! Mais réponds-moi: crois-tu qu’il n’y ait absolument aucun ouvrier semblable, ou seulement qu’on puisse faire tout cela dans un certain sens, et que dans un autre sens on ne le puisse pas ? Ne vois-tu pas que tu pourrais toi-même en venir à bout, j’entends d’une certaine manière ?

Quelle manière veux-tu dire ?

Une manière qui n’est pas difficile, qui se pratique quand on veut et en très peu de temps. Veux-tu en faire à l’instant l’épreuve ? Prends un miroir, présente-le de tous côtés: [596e] en moins de rien tu feras le soleil, et tous les astres du ciel, la terre, toi-même, les autres animaux, les plantes, les ouvrages de l’art, et tout ce que nous avons dit.

Oui, je ferai tout cela en apparence ; mais il n’y aura rien qui existe réellement.

Fort bien. Tu entres parfaitement dans ma pensée. Le peintre est apparemment un ouvrier de cette espèce : n’est-ce pas ?

Sans doute.

268 Tu me diras peut-être qu’il n’y a rien de réel en tout ce qu’il fait. Cependant le peintre fait aussi un lit en quelque façon.

Oui, l’apparence d’un lit.

[597a] Et le menuisier que fait-il ? Ne viens-tu pas de dire qu’il ne fait pas l’idée même que nous appelons l’essence du lit, mais un tel lit en particulier ?

Je l’ai dit, il est vrai.

Si donc il ne fait pas l’essence même du lit, il ne fait rien de réel, mais seulement quelque chose qui représente ce qui est véritablement ; et si quelqu’un soutenait que l’ouvrage du menuisier ou de tout autre ouvrier a une existence réelle, il est très vraisemblable qu’il se tromperait.

C’est du moins le sentiment de ceux qui agitent ordinairement de semblables questions.

Ainsi ne soyons pas surpris que, comparés à la vérité, ces ouvrages soient bien peu de chose.

[597b] Non.

Veux-tu que d’après ce que nous venons de dire, nous examinions quelle idée on doit se former de l’imitateur de ces sortes d’ouvrages ?

Si tu veux.

Voici donc trois lits à distinguer : l’un essentiellement existant dans la nature des choses, et dont nous pouvons dire, ce me semble, que  239 Dieu est l’auteur. A quel autre en effet pourrait-on l’attribuer ?

A nul autre.

Le second est celui que fait le tourneur.

Oui.

Et le troisième celui qui est de la façon du peintre : n’est-ce pas ?

A la bonne heure.

Ainsi le peintre, le menuisier, Dieu, président chacun à un des trois lits.

Soit.

[597c] A l’égard de Dieu, qu’il l’ait ainsi voulu, ou que c’ait été une nécessité pour lui de ne faire essentiellement qu’un seul lit, il n’en a fait qu’un seul qui est le lit proprement dit. Il n’en a jamais produit ni deux ni plusieurs, et jamais il n’en produira.

Pour quelle raison ?

῞Οτι, ἦν δ’ ἐγώ, εἰ δύο μόνας ποιήσειεν, πάλιν ἂν μία ἀναφανείη ἧς ἐκεῖναι ἂν αὖ ἀμφότεραι τὸ εἶδος ἔχοιεν, καὶ εἴη ἂν ὃ ἔστιν κλίνη ἐκείνη ἀλλ’ οὐχ αἱ δύο.

᾿Ορθῶς, ἔφη.

[597d] Ταῦτα δὴ οἶμαι εἰδὼς ὁ θεός, βουλόμενος εἶναι ὄντως κλίνης ποιητὴς ὄντως οὔσης, ἀλλὰ μὴ κλίνης τινὸς μηδὲ κλινοποιός τις, μίαν φύσει αὐτὴν ἔφυσεν.

῎Εοικεν.

Βούλει οὖν τοῦτον μὲν φυτουργὸν τούτου προσαγορεύωμεν, ἤ τι τοιοῦτον;
Δίκαιον γοῦν, ἔφη, ἐπειδήπερ φύσει γε καὶ τοῦτο καὶ τἆλλα πάντα πεποίηκεν.

Τί δὲ τὸν τέκτονα; ἆρ’ οὐ δημιουργὸν κλίνης;

Ναί.

῏Η καὶ τὸν ζωγράφον δημιουργὸν καὶ ποιητὴν τοῦ τοιούτου;

Οὐδαμῶς.

Ἀλλὰ τί αὐτὸν κλίνης φήσεις εἶναι;

[597e] Τοῦτο, ἦ δ’ ὅς, ἔμοιγε δοκεῖ μετριώτατ’ ἂν προσαγορεύεσθαι, μιμητὴς οὗ ἐκεῖνοι δημιουργοί.

Εἶεν, ἦν δ’ ἐγώ· τὸν τοῦ τρίτου ἄρα γεννήματος ἀπὸ τῆς φύσεως μιμητὴν καλεῖς;

Πάνυ μὲν οὖν, ἔφη.

Τοῦτ’ ἄρα ἔσται καὶ ὁ τραγῳδοποιός, εἴπερ μιμητής ἐστι, τρίτος τις ἀπὸ βασιλέως καὶ τῆς ἀληθείας πεφυκώς, καὶ πάντες οἱ ἄλλοι μιμηταί.

Κινδυνεύει.

Τὸν μὲν δὴ μιμητὴν ὡμολογήκαμεν. Εἰπὲ δέ μοι περὶ [598a] τοῦ ζωγράφου τόδε· πότερα ἐκεῖνο αὐτὸ τὸ ἐν τῇ φύσει ἕκαστον δοκεῖ σοι ἐπιχειρεῖν μιμεῖσθαι ἢ τὰ τῶν δημιουργῶν ἔργα;

Τὰ τῶν δημιουργῶν, ἔφη.

῏Αρα οἷα ἔστιν ἢ οἷα φαίνεται; τοῦτο γὰρ ἔτι διόρισον.

Πῶς λέγεις; ἔφη.

῟Ωδε· κλίνη, ἐάντε ἐκ πλαγίου αὐτὴν θεᾷ ἐάντε καταντικρὺ ἢ ὁπῃοῦν, μή τι διαφέρει αὐτὴ ἑαυτῆς, ἢ διαφέρει μὲν οὐδέν, φαίνεται δὲ ἀλλοία; καὶ τἆλλα ὡσαύτως;

Οὕτως, ἔφη· φαίνεται, διαφέρει δ’ οὐδέν.

[598b] Τοῦτο δὴ αὐτὸ σκόπει· πρὸς πότερον ἡ γραφικὴ πεποίηται περὶ ἕκαστον; πότερα πρὸς τὸ ὄν, ὡς ἔχει, μιμήσασθαι, ἢ πρὸς τὸ φαινόμενον, ὡς φαίνεται, φαντάσματος ἢ ἀληθείας οὖσα μίμησις;

Φαντάσματος, ἔφη.

Πόρρω ἄρα που τοῦ ἀληθοῦς ἡ μιμητική ἐστιν καί, ὡς ἔοικεν, διὰ τοῦτο πάντα ἀπεργάζεται, ὅτι σμικρόν τι ἑκάστου ἐφάπτεται, καὶ τοῦτο εἴδωλον. Οἷον ὁ ζωγράφος, φαμέν, ζωγραφήσει ἡμῖν σκυτοτόμον, τέκτονα, τοὺς ἄλλους δημιουργούς, [598c] περὶ οὐδενὸς τούτων ἐπαΐων τῶν τεχνῶν· ἀλλ’ ὅμως παῖδάς γε καὶ ἄφρονας ἀνθρώπους, εἰ ἀγαθὸς εἴη ζωγράφος, γράψας ἂν τέκτονα καὶ πόρρωθεν ἐπιδεικνὺς ἐξαπατῷ ἂν τῷ δοκεῖν ὡς ἀληθῶς τέκτονα εἶναι.

Τί δ’ οὔ;

Ἀλλὰ γὰρ οἶμαι ὦ φίλε, τόδε δεῖ περὶ πάντων τῶν τοιούτων διανοεῖσθαι· ἐπειδάν τις ἡμῖν ἀπαγγέλλῃ περί του, ὡς ἐνέτυχεν ἀνθρώπῳ πάσας ἐπισταμένῳ τὰς δημιουργίας καὶ τἆλλα πάντα ὅσα εἷς ἕκαστος οἶδεν, οὐδὲν ὅτι οὐχὶ [598d] ἀκριβέστερον ὁτουοῦν ἐπισταμένῳ, ὑπολαμβάνειν δεῖ τῷ τοιούτῳ ὅτι εὐήθης τις ἄνθρωπος, καί, ὡς ἔοικεν, ἐντυχὼν γόητί τινι καὶ μιμητῇ ἐξηπατήθη, ὥστε ἔδοξεν αὐτῷ πάσσοφος εἶναι, διὰ τὸ αὐτὸς μὴ οἷός τ’ εἶναι ἐπιστήμην καὶ ἀνεπιστημοσύνην καὶ μίμησιν ἐξετάσαι.

Ἀληθέστατα, ἔφη.

Οὐκοῦν, ἦν δ’ ἐγώ, μετὰ τοῦτο ἐπισκεπτέον τήν τε τραγῳδίαν καὶ τὸν ἡγεμόνα αὐτῆς ῞Ομηρον, ἐπειδή τινων [598e] ἀκούομεν ὅτι οὗτοι πάσας μὲν τέχνας ἐπίστανται, πάντα δὲ τὰ ἀνθρώπεια τὰ πρὸς ἀρετὴν καὶ κακίαν, καὶ τά γε θεῖα· ἀνάγκη γὰρ τὸν ἀγαθὸν ποιητήν, εἰ μέλλει περὶ ὧν ἂν ποιῇ καλῶς ποιήσειν, εἰδότα ἄρα ποιεῖν, ἢ μὴ οἷόν τε εἶναι ποιεῖν. Δεῖ δὴ ἐπισκέψασθαι πότερον μιμηταῖς τούτοις οὗτοι ἐντυχόντες ἐξηπάτηνται καὶ τὰ ἔργα αὐτῶν ὁρῶντες [599a] οὐκ αἰσθάνονται τριττὰ ἀπέχοντα τοῦ ὄντος καὶ ῥᾴδια ποιεῖν μὴ εἰδότι τὴν ἀλήθειαν — φαντάσματα γὰρ ἀλλ’ οὐκ ὄντα ποιοῦσιν — ἤ τι καὶ λέγουσιν καὶ τῷ ὄντι οἱ ἀγαθοὶ ποιηταὶ ἴσασιν περὶ ὧν δοκοῦσιν τοῖς πολλοῖς εὖ λέγειν.

Πάνυ μὲν οὖν, ἔφη, ἐξεταστέον.

Οἴει οὖν, εἴ τις ἀμφότερα δύναιτο ποιεῖν, τό τε μιμηθησόμενον καὶ τὸ εἴδωλον, ἐπὶ τῇ τῶν εἰδώλων δημιουργίᾳ ἑαυτὸν ἀφεῖναι ἂν σπουδάζειν καὶ τοῦτο προστήσασθαι τοῦ (599b) ἑαυτοῦ βίου ὡς βέλτιστον ἔχοντα;

Οὐκ ἔγωγε.

Ἀλλ’ εἴπερ γε οἶμαι ἐπιστήμων εἴη τῇ ἀληθείᾳ τούτων πέρι ἅπερ καὶ μιμεῖται, πολὺ πρότερον ἐν τοῖς ἔργοις ἂν σπουδάσειεν ἢ ἐπὶ τοῖς μιμήμασι, καὶ πειρῷτο ἂν πολλὰ καὶ καλὰ ἔργα ἑαυτοῦ καταλιπεῖν μνημεῖα, καὶ εἶναι προθυμοῖτ’ ἂν μᾶλλον ὁ ἐγκωμιαζόμενος ἢ ὁ ἐγκωμιάζων.

Οἶμαι, ἔφη· οὐ γὰρ ἐξ ἴσου ἥ τε τιμὴ καὶ ἡ ὠφελία.

Τῶν μὲν τοίνυν ἄλλων πέρι μὴ ἀπαιτῶμεν λόγον ῞Ομηρον [599c] ἢ ἄλλον ὁντινοῦν τῶν ποιητῶν, ἐρωτῶντες εἰ ἰατρικὸς ἦν τις αὐτῶν ἀλλὰ μὴ μιμητὴς μόνον ἰατρικῶν λόγων, τίνας ὑγιεῖς ποιητής τις τῶν παλαιῶν ἢ τῶν νέων λέγεται πεποιηκέναι, ὥσπερ Ἀσκληπιός, ἢ τίνας μαθητὰς ἰατρικῆς κατελίπετο, ὥσπερ ἐκεῖνος τοὺς ἐκγόνους, μηδ’ αὖ περὶ τὰς ἄλλας τέχνας αὐτοὺς ἐρωτῶμεν, ἀλλ’ ἐῶμεν· περὶ δὲ ὧν μεγίστων τε καὶ καλλίστων ἐπιχειρεῖ λέγειν ῞Ομηρος, πολέμων τε πέρι καὶ στρατηγιῶν καὶ διοικήσεων πόλεων, καὶ (599d) παιδείας πέρι ἀνθρώπου, δίκαιόν που ἐρωτᾶν αὐτὸν πυνθανομένους· ῏Ω φίλε ῞Ομηρε, εἴπερ μὴ τρίτος ἀπὸ τῆς ἀληθείας εἶ ἀρετῆς πέρι, εἰδώλου δημιουργός, ὃν δὴ μιμητὴν ὡρισάμεθα, ἀλλὰ καὶ δεύτερος, καὶ οἷός τε ἦσθα γιγνώσκειν ποῖα ἐπιτηδεύματα βελτίους ἢ χείρους ἀνθρώπους ποιεῖ ἰδίᾳ καὶ δημοσίᾳ, λέγε ἡμῖν τίς τῶν πόλεων διὰ σὲ βέλτιον ᾤκησεν, ὥσπερ διὰ Λυκοῦργον Λακεδαίμων καὶ δι’ ἄλλους πολλοὺς (599e) πολλαὶ μεγάλαι τε καὶ σμικραί; σὲ δὲ τίς αἰτιᾶται πόλις νομοθέτην ἀγαθὸν γεγονέναι καὶ σφᾶς ὠφεληκέναι; Χαρώνδαν μὲν γὰρ ᾿Ιταλία καὶ Σικελία, καὶ ἡμεῖς Σόλωνα· σὲ δὲ τίς; ἕξει τινὰ εἰπεῖν;

Οὐκ οἶμαι, ἔφη ὁ Γλαύκων· οὔκουν λέγεταί γε οὐδ’ ὑπ’ αὐτῶν ῾Ομηριδῶν.

[600a] Ἀλλὰ δή τις πόλεμος ἐπὶ ῾Ομήρου ὑπ’ ἐκείνου ἄρχοντος ἢ συμβουλεύοντος εὖ πολεμηθεὶς μνημονεύεται;

Οὐδείς.

 

C’est que s’il en faisait seulement deux, il s’en manifesterait un troisième, dont l’idée serait commune aux deux autres ; et celui-là serait le lit proprement dit, et non pas les deux autres.

Cela est vrai.

[597d] Ainsi Dieu l’a compris sans doute, et voulant être réellement auteur du vrai lit, et non de tel lit en particulier, ce qui aurait fait de Dieu un fabricant de lits, il a produit le lit qui est un de sa nature.

240 Probablement.

Donnerons-nous à Dieu le titre de producteur du lit ou quelque autre semblable ?

Qu’en penses-tu ?

Ce titre lui appartient, d’autant plus qu’il a fait de soi et l’essence du lit et celle de toutes les autres choses.

Et le menuisier, comment rappellerons-nous ? L’ouvrier du lit, sans doute ?

Oui.

Dirons-nous aussi du peintre, qu’il en est l’ouvrier et le producteur ?

Nullement.

Qu’est-il donc par rapport au lit ?

[597e] Le seul nom qu’on puisse raisonnablement lui donner, est celui d’imitateur de la chose dont ceux-là sont les ouvriers.

Fort bien. Tu appelles donc imitateur, l’auteur d’une œuvre éloignée de la nature de trois degrés ?

Justement.

Ainsi le faiseur de tragédies, en qualité d’imitateur, est éloigné de trois degrés du roi et de la vérité. Il en est de même de tous les autres imitateurs.

Il y a apparence.

Nous voilà d’accord sur ce qu’est l’imitation ; réponds maintenant à cette question. [598a]  Le peintre 241 se propose-t-il pour objet d’imitation ce qui, dans la nature, est l’essence de chaque chose, ou ce qui sort des mains de l’ouvrier.

Ce qui sort des mains de l’ouvrier.

Tel qu’il est ou tel qu’il paraît ? Explique-moi encore ce point.

Que veux-tu dire ?

Ceci. Un lit n’est-il pas toujours le même lit, soit qu’on le regarde directement ou de biais ? Mais quoiqu’il soit le même en soi, ne paraît-il pas différent de lui-même ? Et j’en dis autant de toute autre chose.

Oui, l’apparence est différente, quoique l’objet soit le même.

[598b] Pense maintenant à ce que je vais dire. Quel est le but de la peinture ? Est-ce de représenter ce qui est, tel qu’il est, ou ce qui paraît, tel qu’il paraît ? Est-elle l’imitation de l’apparence ou de la réalité ?

De l’apparence.

L’art d’imiter est donc bien éloigné du vrai ; et ce qui fait qu’il exécute tant de choses, c’est qu’il ne prend qu’une petite partie de chacune ; encore ce qu’il en prend n’est-il qu’un fantôme. Le peintre, par exemple, nous représentera un cordonnier, un charpentier, ou tout autre artisan, [598c] sans avoir aucune connaissance de leur métier ; mais cela ne l’empêchera pas, s’il est bon 242  peintre, de faire illusion aux enfants et aux ignorants, en leur montrant de loin un charpentier qu’il aura peint, de sorte qu’ils prendront l’imitation pour la vérité.

Assurément.

Ainsi, mon cher ami, devons-nous l’entendre de tous ceux qui font comme ce peintre ; et lorsque quelqu’un viendra nous dire qu’il a trouvé un homme instruit de tous les métiers et réunissant en lui seul dans un degré éminent [598d] toutes les connaissances partagées entre les autres hommes, il faut lui répondre qu’il n’est qu’une dupe qui s’est laissé éblouir apparemment par quelque magicien, par un imitateur qu’il a pris pour le plus habile des hommes, faute de pouvoir distinguer lui-même la science de l’ignorance, la réalité de l’imitation.

Cela est très vrai.

Nous avons donc à considérer maintenant la tragédie et Homère qui en est le père. Comme [598e] nous entendons dire sans cesse à certaines personnes que les poètes tragiques sont très versés dans tous les arts, dans toutes les choses humaines qui se rapportent au vice et à la vertu, et même dans tout ce qui concerne les dieux ; qu’il est nécessaire à un poète d’avoir les connaissances relatives aux sujets qu’il traite, s’il veut les traiter avec succès ; qu’autrement il lui est im- 243 possible de réussir : c’est à nous de voir si ces personnes ne se sont pas laissé tromper par cette espèce d’imitateurs ; si elles n’ont pas oublié de remarquer, en voyant leurs productions, qu’elles sont éloignées de trois degrés de la réalité, [599a] et que sans connaître la vérité, il est aisé de réussir dans ces sortes d’ouvrages, véritables fantômes, où il n’y a rien de réel ; ou si peut-être ces personnes ont raison dans leurs discours, et si en effet les bons poètes entendent les matières sur lesquelles le commun des hommes trouve qu’ils ont bien écrit.

C’est ce qu’il nous faut examiner avec soin.

Crois-tu que si quelqu’un était également capable de faire la représentation d’une chose ou la chose même représentée, il choisît de consacrer ses talents à ne faire que des images vaines et qu’il en fît l’affaire (599b) de sa vie, comme s’il ne voyait rien de mieux ?

Je ne le crois pas.

Mais s’il était réellement versé dans la connaissance de ce qu’il imite, je pense qu’il s’appliquerait avec bien plus d’ardeur à faire lui-même qu’à imiter ce que fait autrui ; qu’il essaierait de se signaler, en laissant après lui, comme autant de monuments, un grand nombre de travaux et de beaux ouvrages, et qu’il aimerait bien mieux être l’objet que l’auteur d’un éloge.

244 Je le pense aussi, car il y trouverait à la fois plus d’avantage et plus de gloire.

N’exigeons donc pas d’Homère, [599c] ni des autres poètes, un compte rigoureux ; ne demandons pas à tel d’entre eux, par exemple, s’il était médecin et non pas seulement imitateur du langage des médecins ; si quelque poète ancien ou moderne a guéri, que l’on sache, quelques malades, comme Esculape, ou s’il a laissé après lui des disciples savants dans la médecine, comme ce même Esculape a fait de ses enfants. Faisons-leur grâce aussi sur les autres arts, et ne leur en parlons point. Mais quant à ces matières si importantes et si belles, dont Homère s’avise de parler, telles que la guerre, la conduite des armées, l’administration des États, [599d] l’éducation de l’homme, il est peut-être assez juste de l’interroger et de lui dire : « Cher Homère, s’il n’est pas vrai que tu sois un artiste éloigné de trois degrés de la réalité, incapable de faire autre chose à l’égard de la vertu que des fantômes, car telle est la définition que nous avons donnée de l’imitateur ; si tu es un artiste du second degré ; si tu as pu connaître quelles institutions peuvent rendre meilleurs ou pires les États et les particuliers ; dis-nous quel État te doit la réforme de son gouvernement, comme Lacédémone en est redevable à Lycurgue, et plusieurs États grands et 245 petits [599e] à beaucoup d'autres? Quel pays parle de toi comme d'un sage législateur, et se glorifie d'avoir tiré avantage de tes lois? L'Italie et la Sicile ont eu Charondas ; nous autres Athéniens, nous avons eu Solon : mais toi , quel peuple peut te citer ? » Homère pourrait-il en nommer un seul ?

Je ne crois pas. Du moins les Homérides eux-mêmes n'en disent rien.

[600a] Fait-on mention de quelque guerre heureusement conduite par Homère lui-même ou par ses conseils ?

Nullement.

 

Ἀλλ’ οἷα δὴ εἰς τὰ ἔργα σοφοῦ ἀνδρὸς πολλαὶ ἐπίνοιαι καὶ εὐμήχανοι εἰς τέχνας ἤ τινας ἄλλας πράξεις λέγονται, ὥσπερ αὖ Θάλεώ τε πέρι τοῦ Μιλησίου καὶ Ἀναχάρσιος τοῦ Σκύθου;

Οὐδαμῶς τοιοῦτον οὐδέν.

Ἀλλὰ δὴ εἰ μὴ δημοσίᾳ, ἰδίᾳ τισὶν ἡγεμὼν παιδείας αὐτὸς ζῶν λέγεται ῞Ομηρος γενέσθαι, οἳ ἐκεῖνον ἠγάπων ἐπὶ [600b] συνουσίᾳ καὶ τοῖς ὑστέροις ὁδόν τινα παρέδοσαν βίου ῾Ομηρικήν, ὥσπερ Πυθαγόρας αὐτός τε διαφερόντως ἐπὶ τούτῳ ἠγαπήθη, καὶ οἱ ὕστεροι ἔτι καὶ νῦν Πυθαγόρειον τρόπον ἐπονομάζοντες τοῦ βίου διαφανεῖς πῃ δοκοῦσιν εἶναι ἐν τοῖς ἄλλοις;

Οὐδ’ αὖ, ἔφη, τοιοῦτον οὐδὲν λέγεται. γὰρ Κρεώφυλος, ὦ Σώκρατες, ἴσως, ὁ τοῦ ῾Ομήρου ἑταῖρος, τοῦ ὀνόματος ἂν γελοιότερος ἔτι πρὸς παιδείαν φανείη, εἰ τὰ λεγόμενα περὶ ῾Ομήρου ἀληθῆ. Λέγεται γὰρ ὡς πολλή τις ἀμέλεια περὶ [600c] αὐτὸν ἦν ἐπ’ αὐτοῦ ἐκείνου, ὅτε ἔζη.

Λέγεται γὰρ οὖν, ἦν δ’ ἐγώ. λλ’ οἴει, ὦ Γλαύκων, εἰ τῷ ὄντι οἷός τ’ ἦν παιδεύειν ἀνθρώπους καὶ βελτίους ἀπεργάζεσθαι ῞Ομηρος, ἅτε περὶ τούτων οὐ μιμεῖσθαι ἀλλὰ γιγνώσκειν δυνάμενος, οὐκ ἄρ’ ἂν πολλοὺς ἑταίρους ἐποιήσατο καὶ ἐτιμᾶτο καὶ ἠγαπᾶτο ὑπ’ αὐτῶν, ἀλλὰ Πρωταγόρας μὲν ἄρα ὁ Ἀβδηρίτης καὶ Πρόδικος ὁ Κεῖος καὶ ἄλλοι πάμπολλοι δύνανται τοῖς ἐφ’ ἑαυτῶν παριστάναι ἰδίᾳ συγγιγνόμενοι [600d] ὡς οὔτε οἰκίαν οὔτε πόλιν τὴν αὑτῶν διοικεῖν οἷοί τ’ ἔσονται, ἐὰν μὴ σφεῖς αὐτῶν ἐπιστατήσωσιν τῆς παιδείας, καὶ ἐπὶ ταύτῃ τῇ σοφίᾳ οὕτω σφόδρα φιλοῦνται, ὥστε μόνον οὐκ ἐπὶ ταῖς κεφαλαῖς περιφέρουσιν αὐτοὺς οἱ ἑταῖροι· ῞Ομηρον δ’ ἄρα οἱ ἐπ’ ἐκείνου, εἴπερ οἷός τ’ ἦν πρὸς ἀρετὴν ὀνῆσαι ἀνθρώπους, ἢ ῾Ησίοδον ῥαψῳδεῖν ἂν περιιόντας εἴων, καὶ οὐχὶ μᾶλλον ἂν αὐτῶν ἀντείχοντο ἢ τοῦ χρυσοῦ καὶ [600e] ἠνάγκαζον παρὰ σφίσιν οἴκοι εἶναι, ἢ εἰ μὴ ἔπειθον, αὐτοὶ ἂν ἐπαιδαγώγουν ὅπῃ ᾖσαν, ἕως ἱκανῶς παιδείας μεταλάβοιεν;

Παντάπασιν, ἔφη, δοκεῖς μοι, ὦ Σώκρατες, ἀληθῆ λέγειν.

Οὐκοῦν τιθῶμεν ἀπὸ ῾Ομήρου ἀρξαμένους πάντας τοὺς ποιητικοὺς μιμητὰς εἰδώλων ἀρετῆς εἶναι καὶ τῶν ἄλλων περὶ ὧν ποιοῦσιν, τῆς δὲ ἀληθείας οὐχ ἅπτεσθαι, ἀλλ’ ὥσπερ νυνδὴ ἐλέγομεν, ὁ ζωγράφος σκυτοτόμον ποιήσει δοκοῦντα [601a] εἶναι, αὐτός τε οὐκ ἐπαΐων περὶ σκυτοτομίας καὶ τοῖς μὴ ἐπαΐουσιν, ἐκ τῶν χρωμάτων δὲ καὶ σχημάτων θεωροῦσιν;

Πάνυ μὲν οὖν.

Οὕτω δὴ οἶμαι καὶ τὸν ποιητικὸν φήσομεν χρώματα ἄττα ἑκάστων τῶν τεχνῶν τοῖς ὀνόμασι καὶ ῥήμασιν ἐπιχρωματίζειν αὐτὸν οὐκ ἐπαΐοντα ἀλλ’ ἢ μιμεῖσθαι, ὥστε ἑτέροις τοιούτοις ἐκ τῶν λόγων θεωροῦσι δοκεῖν, ἐάντε περὶ σκυτοτομίας τις λέγῃ ἐν μέτρῳ καὶ ῥυθμῷ καὶ ἁρμονίᾳ, πάνυ εὖ δοκεῖν λέγεσθαι, ἐάντε περὶ στρατηγίας ἐάντε περὶ ἄλλου [601b] ὁτουοῦν· οὕτω φύσει αὐτὰ ταῦτα μεγάλην τινὰ κήλησιν ἔχειν. πεὶ γυμνωθέντα γε τῶν τῆς μουσικῆς χρωμάτων τὰ τῶν ποιητῶν, αὐτὰ ἐφ’ αὑτῶν λεγόμενα, οἶμαί σε εἰδέναι οἷα φαίνεται. Τεθέασαι γάρ που.

῎Εγωγ’, ἔφη.

Οὐκοῦν, ἦν δ’ ἐγώ, ἔοικεν τοῖς τῶν ὡραίων προσώποις, καλῶν δὲ μή, οἷα γίγνεται ἰδεῖν ὅταν αὐτὰ τὸ ἄνθος προλίπῃ;

Παντάπασιν, ἦ δ’ ὅς.

῎Ιθι δή, τόδε ἄθρει· ὁ τοῦ εἰδώλου ποιητής, ὁ μιμητής, φαμέν, τοῦ μὲν ὄντος οὐδὲν ἐπαΐει, τοῦ δὲ φαινομένου· οὐχ [601c] οὕτως;

Ναί.

Μὴ τοίνυν ἡμίσεως αὐτὸ καταλίπωμεν ῥηθέν, ἀλλ’ ἱκανῶς ἴδωμεν.

Λέγε, ἔφη.

Ζωγράφος, φαμέν, ἡνίας τε γράψει καὶ χαλινόν;

Ναί.

Ποιήσει δέ γε σκυτοτόμος καὶ χαλκεύς;

Πάνυ γε.

῏Αρ’ οὖν ἐπαΐει οἵας δεῖ τὰς ἡνίας εἶναι καὶ τὸν χαλινὸν ὁ γραφεύς; ἢ οὐδ’ ὁ ποιήσας, ὅ τε χαλκεὺς καὶ ὁ σκυτεύς, ἀλλ’ ἐκεῖνος ὅσπερ τούτοις ἐπίσταται χρῆσθαι, μόνος ὁ ἱππικός;

Ἀληθέστατα.

῏Αρ’ οὖν οὐ περὶ πάντα οὕτω φήσομεν ἔχειν;

Πῶς;

[601d] Περὶ ἕκαστον ταύτας τινὰς τρεῖς τέχνας εἶναι, χρησομένην, ποιήσουσαν, μιμησομένην;

Ναί.

Οὐκοῦν ἀρετὴ καὶ κάλλος καὶ ὀρθότης ἑκάστου σκεύους καὶ ζῴου καὶ πράξεως οὐ πρὸς ἄλλο τι ἢ τὴν χρείαν ἐστίν, πρὸς ἣν ἂν ἕκαστον ᾖ πεποιημένον ἢ πεφυκός;

Οὕτως.

Πολλὴ ἄρα ἀνάγκη τὸν χρώμενον ἑκάστῳ ἐμπειρότατόν τε εἶναι καὶ ἄγγελον γίγνεσθαι τῷ ποιητῇ οἷα ἀγαθὰ ἢ κακὰ ποιεῖ ἐν τῇ χρείᾳ ᾧ χρῆται· οἷον αὐλητής που αὐλοποιῷ [601e] ἐξαγγέλλει περὶ τῶν αὐλῶν, οἳ ἂν ὑπηρετῶσιν ἐν τῷ αὐλεῖν, καὶ ἐπιτάξει οἵους δεῖ ποιεῖν, ὁ δ’ ὑπηρετήσει.

Πῶς δ’ οὔ;

Οὐκοῦν ὁ μὲν εἰδὼς ἐξαγγέλλει περὶ χρηστῶν καὶ πονηρῶν αὐλῶν, ὁ δὲ πιστεύων ποιήσει;

Ναί.

Τοῦ αὐτοῦ ἄρα σκεύους ὁ μὲν ποιητὴς πίστιν ὀρθὴν ἕξει περὶ κάλλους τε καὶ πονηρίας, συνὼν τῷ εἰδότι καὶ ἀναγκαζόμενος [602a] ἀκούειν παρὰ τοῦ εἰδότος, ὁ δὲ χρώμενος ἐπιστήμην.

Πάνυ γε.

῾Ο δὲ μιμητὴς πότερον ἐκ τοῦ χρῆσθαι ἐπιστήμην ἕξει περὶ ὧν ἂν γράφῃ, εἴτε καλὰ καὶ ὀρθὰ εἴτε μή, ἢ δόξαν ὀρθὴν διὰ τὸ ἐξ ἀνάγκης συνεῖναι τῷ εἰδότι καὶ ἐπιτάττεσθαι οἷα χρὴ γράφειν;

Οὐδέτερα.

Οὔτε ἄρα εἴσεται οὔτε ὀρθὰ δοξάσει ὁ μιμητὴς περὶ ὧν ἂν μιμῆται πρὸς κάλλος ἢ πονηρίαν.

Οὐκ ἔοικεν.

Χαρίεις ἂν εἴη ὁ ἐν τῇ ποιήσει μιμητικὸς πρὸς σοφίαν περὶ ὧν ἂν ποιῇ.

Οὐ πάνυ.

[602b] Ἀλλ’ οὖν δὴ ὅμως γε μιμήσεται, οὐκ εἰδὼς περὶ ἑκάστου ὅπῃ πονηρὸν ἢ χρηστόν· ἀλλ’, ὡς ἔοικεν, οἷον φαίνεται καλὸν εἶναι τοῖς πολλοῖς τε καὶ μηδὲν εἰδόσιν, τοῦτο μιμήσεται.

Τί γὰρ ἄλλο;

Ταῦτα μὲν δή, ὥς γε φαίνεται, ἐπιεικῶς ἡμῖν διωμολόγηται, τόν τε μιμητικὸν μηδὲν εἰδέναι ἄξιον λόγου περὶ ὧν μιμεῖται, ἀλλ’ εἶναι παιδιάν τινα καὶ οὐ σπουδὴν τὴν μίμησιν, τούς τε τῆς τραγικῆς ποιήσεως ἁπτομένους ἐν ἰαμβείοις καὶ ἐν ἔπεσι πάντας εἶναι μιμητικοὺς ὡς οἷόν τε μάλιστα.

Πάνυ μὲν οὖν.

[602c] Πρὸς Διός, ἦν δ’ ἐγώ, τὸ δὲ δὴ μιμεῖσθαι τοῦτο οὐ περὶ τρίτον μέν τί ἐστιν ἀπὸ τῆς ἀληθείας; ἦ γάρ;

Ναί.

Πρὸς δὲ δὴ ποῖόν τί ἐστιν τῶν τοῦ ἀνθρώπου ἔχον τὴν δύναμιν ἣν ἔχει;

Τοῦ ποίου τινὸς πέρι λέγεις;

Τοῦ τοιοῦδε· ταὐτόν που ἡμῖν μέγεθος ἐγγύθεν τε καὶ πόρρωθεν διὰ τῆς ὄψεως οὐκ ἴσον φαίνεται.

Οὐ γάρ.

Καὶ ταὐτὰ καμπύλα τε καὶ εὐθέα ἐν ὕδατί τε θεωμένοις καὶ ἔξω, καὶ κοῖλά τε δὴ καὶ ἐξέχοντα διὰ τὴν περὶ τὰ χρώματα αὖ πλάνην τῆς ὄψεως, καὶ πᾶσά τις ταραχὴ δήλη [602d] ἡμῖν ἐνοῦσα αὕτη ἐν τῇ ψυχῇ· ᾧ δὴ ἡμῶν τῷ παθήματι τῆς φύσεως ἡ σκιαγραφία ἐπιθεμένη γοητείας οὐδὲν ἀπολείπει, καὶ ἡ θαυματοποιία καὶ αἱ ἄλλαι πολλαὶ τοιαῦται μηχαναί.

Ἀληθῆ.

῏Αρ’ οὖν οὐ τὸ μετρεῖν καὶ ἀριθμεῖν καὶ ἱστάναι βοήθειαι χαριέσταται πρὸς αὐτὰ ἐφάνησαν, ὥστε μὴ ἄρχειν ἐν ἡμῖν τὸ φαινόμενον μεῖζον ἢ ἔλαττον ἢ πλέον ἢ βαρύτερον, ἀλλὰ τὸ λογισάμενον καὶ μετρῆσαν ἢ καὶ στῆσαν;

Πῶς γὰρ οὔ;

[602e] Ἀλλὰ μὴν τοῦτό γε τοῦ λογιστικοῦ ἂν εἴη τοῦ ἐν ψυχῇ ἔργον.

Τούτου γὰρ οὖν.

Τούτῳ δὲ πολλάκις μετρήσαντι καὶ σημαίνοντι μείζω ἄττα εἶναι ἢ ἐλάττω ἕτερα ἑτέρων ἢ ἴσα τἀναντία φαίνεται ἅμα περὶ ταὐτά.

Ναί.

Οὐκοῦν ἔφαμεν τῷ αὐτῷ ἅμα περὶ ταὐτὰ ἐναντία δοξάζειν ἀδύνατον εἶναι;

Καὶ ὀρθῶς γ’ ἔφαμεν.

[603a] Τὸ παρὰ τὰ μέτρα ἄρα δοξάζον τῆς ψυχῆς τῷ κατὰ τὰμέτρα οὐκ ἂν εἴη ταὐτόν.

Οὐ γὰρ οὖν.

Ἀλλὰ μὴν τὸ μέτρῳ γε καὶ λογισμῷ πιστεῦον βέλτιστον ἂν εἴη τῆς ψυχῆς.

Τί μήν;

Τὸ ἄρα τούτῳ ἐναντιούμενον τῶν φαύλων ἄν τι εἴη ἐν ἡμῖν.

Ἀνάγκη.

 

Ou bien encore, ce qu'aurait dû faire un homme habile, s'est-il signalé par beaucoup d'inventions utiles dans les arts ou autres métiers, comme on le dit de Thalès de Milet, et du Scythe Anacharsis (03)?

On ne raconte de lui rien de semblable.

Si Homère n'a rendu aucun service au public, en a-t-il du moins rendu aux particuliers ? Dit-on qu'il ait présidé pendant sa vie à l'éducation de quelques jeunes gens [600b] qui se soient plu à l'accompagner, et qui aient transmis à la postérité un plan de vie Homérique, comme Pythagore, à ce qu'on dit, fut recherché pendant sa vie dans le même  246 but, à ce point que l’on distingue encore aujourd’hui entre tous les autres hommes ceux qui suivent le genre de vie appelé par eux-mêmes Pythagorique ?

Non, Socrate, on ne dit rien de pareil d’Homère. Créophyle (04), son compagnon, a dû être encore plus ridicule pour ses mœurs que pour le nom qu’il portait. On dit en effet qu’Homère, pendant sa vie même, [600c] fut étrangement négligé par ce personnage.

On le dit en effet. Mais penses-tu, Glaucon, que si Homère eût été réellement en état d’instruire les hommes et de les rendre meilleurs, comme ayant une parfaite connaissance des choses au lieu de savoir seulement les imiter ; penses-tu, dis-je, qu’il ne se serait pas attaché un grand nombre d’amis qui l’auraient honoré et chéri ? Quoi ! Protagoras d’Abdère, Prodicus de Céos, et tant d’autres, peuvent, dans des entretiens particuliers, persuader aux hommes 247 de leur temps [600d] que jamais ils ne seront capables de gouverner ni leur famille ni leur patrie, s’ils ne se mettent à leur école ; ce talent les fait tellement chérir qu’il ne leur manque que d’être portés partout en triomphe sur les têtes de leurs amis : et ceux qui vivaient du temps d’Homère et d’Hésiode, les auraient laissés aller réciter seuls leurs vers de ville en ville, s’ils en avaient pu tirer des leçons salutaires de vertu ? Ils ne se seraient point attachés à eux plus qu’à tout l’or du monde ? [600e] Ils ne les auraient pas obligés de se fixer auprès d’eux, ou, s’ils n’avaient pu y réussir, ils ne les auraient pas suivis en tous lieux comme de fidèles disciples, jusqu’à ce qu’ils eussent assez profité de leurs leçons ?

Ce que tu dis, Socrate, me paraît tout-à-fait vrai.

Disons donc de tous les poètes, à commencer par Homère, que, soit que leurs fictions aient pour objet la vertu ou toute autre chose, ce ne sont que des imitateurs de fantômes et qu’ils n’atteignent jamais à la réalité. Un peintre, disions-nous tout à l’heure, fait un portrait de cordonnier [601a] sans rien entendre à ce métier, et pourtant tel que des gens qui n’y entendent pas plus que lui, et qui ne regardent qu’à la couleur et au dessin, croiront voir un cordonnier véritable.

Sans contredit.

248 De même, dirons-nous, le poète, par une couche de mots et d’expressions figurées, rend en quelque sorte la couleur des différents arts sans s’y entendre en rien, sinon comme imitateur, de sorte que pour ceux qui ne regardent qu’aux mots, avec la mesure, le nombre et l’harmonie de son langage, il semblera avoir parlé très pertinemment, soit qu’il s’agisse de cordonnerie, ou de la conduite des armées, ou de tout [601b] ce qu’on voudra ; tant il y a naturellement de prestige dans la poésie ! Au reste, tu sais, je pense, quelle figure font les vers, dépouillés du coloris musical, et réduits à eux-mêmes ; tu l’as sans doute remarqué.

Oui.

N’en est-il pas comme de ces visages qui n’ont d’autre beauté qu’une certaine fleur de jeunesse, lorsque cette fleur est passée ?

Cette comparaison est juste.

Allons plus loin. Le faiseur de fantômes, c’est-à-dire l’imitateur, ne connaît que l’apparence des objets et nullement ce qu’ils ont de réel : n’est-il [601c] pas vrai ?

Oui.

Eh bien, ne nous arrêtons pas à moitié chemin ; examinons la chose à fond.

J’y consens.

249 Le peintre, disons-nous, peindra une bride et un mors.

Oui.

Le sellier et le forgeron les confectionneront.

Fort bien.

Mais quant à ce qui est de savoir comment doivent être faits cette bride et ce mors, est-ce le peintre qui s’y connaît ? N’est-ce pas même un autre que celui qui les fait, et le sellier et le forgeron ? N’est-ce pas celui qui sait s’en servir, c’est-à-dire le seul écuyer ?

Cela est très vrai.

Voici donc une distinction générale que nous pourrions établir.

Laquelle ?

[601d] Je veux dire qu’il y a trois arts qui répondent à chaque chose, l’art qui s’en sert, celui qui la fait, et celui qui l’imite.

Soit.

Mais à quoi tendent les propriétés, la beauté, la perfection d’un meuble, d’un animal, d’une action quelconque, sinon à l’usage auquel chaque chose est destinée par sa nature ou par l’intention des hommes ?

A nulle autre chose.

C’est donc une nécessité que celui qui se sert d’une chose, la connaisse mieux, et qu’il dirige l’ouvrier dans son travail, en lui apprenant ce 250 que son ouvrage a de bon ou de mauvais par rapport à l’usage qu’il en fait lui-même. Le joueur de flûte, par exemple, apprendra à celui qui fabrique cet instrument, [601e] quelles sont les flûtes dont il se sert avec le plus d’avantage ; il lui prescrira la manière dont il faut les faire, et celui-ci lui obéira.

Sans doute.

Le premier prononcera donc sur les flûtes bonnes et mauvaises en homme qui sait ; et le second travaillera sur la foi du premier.

Oui.

Ainsi, à l’égard du même instrument, le fabricant jugera qu’il est bon ou mauvais par simple foi, en vertu de ses relations arec celui qui sait, et parce qu’il est obligé de s’en rapporter à lui ; [602a] mais c’est l’homme qui fait usage de la chose auquel appartient essentiellement la science.

Très bien.

Et l’imitateur, apprend-il par l’usage de la chose qu’il imite à savoir si elle est belle et bien faite ou non ? En acquiert-il du moins une opinion juste, par la nécessité où il se trouve de converser avec celui qui sait, et parce que celui-ci lui prescrit ce qu’il doit imiter ?

Ni l’un ni l’autre.

I/imitateur n’a donc ni science, ni même d’o- 251 pinion juste, touchant ce qu’il y a de bien ou de mal fait dans tout ce qu’il imite.

Il n’y a pas apparence.

A ce compte notre imitateur devra connaître à merveille les choses qu’il imite.

Pas beaucoup.

[602b] Cependant, il ne se fera pas faute d’imiter, sans savoir si rien de ce qu’il imite est bon ou mauvais ; et, selon toute apparence, ce qui semble beau à une multitude ignorante sera précisément ce qu’il imitera.

Inévitablement.

Nous avons donc suffisamment démontré deux choses : l’une, que tout imitateur n’entend pour ainsi dire rien à ce qu’il imite, et que l’imitation n’a rien de sérieux et n’est qu’un badinage d’enfants ; l’autre, que tous ceux qui s’appliquent à la poésie dramatique, qu’ils composent en vers ïambiques ou en vers héroïques, sont imitateurs autant qu’on peut l’être.

Oui, certes.

[602c] Mais quoi ! cette imitation n’est-elle pas éloignée de la vérité de trois degrés ?

Oui.

D’un autre côté, sur quelle partie de l’homme exerce-t-elle le pouvoir qu’elle a ?

De quoi veux-tu parler ?

Tu vas le savoir. N’est-il pas vrai que la même  252 grandeur, regardée de près ou de loin, ne paraît pas égale ?

Oui.

Que le même objet paraît droit ou brisé, convexe ou concave, lorsqu’on le voit hors de l’eau ou dans l’eau, à cause de l’illusion que les couleurs font au sens de la vue ; et de là évidemment [602d] une grande perturbation dans l’âme ? Or, c’est à cette disposition de notre nature que l’art du dessinateur vient tendre des pièges, ainsi que l’art des charlatans, et beaucoup d’autres semblables, ne négligeant aucun artifice pour la séduire.

Tout-à-fait.

Mais n’est-il pas reconnu aussi que mesurer, compter et peser sont d’excellents préservatifs contre ces illusions, de façon que ce qui prévaut en nous, ce n’est pas l’apparence sensible de grandeur ou de petitesse, de quantité ou de poids, mais bien le jugement de la partie de l’âme qui calcule, pèse, mesure ?

Oui.

[602e] Or, toutes ces opérations ne sont-elles pas du ressort de la raison ?

Oui.

Mais quand un homme a bien mesuré une chose, et qu’il en vient à reconnaître qu’elle est ou plus grande ou plus petite ou égale, il se 253 trouve alors avec deux jugements opposés touchant les mêmes choses.

Certainement.

Mais n’avons-nous pas dit qu’il était impossible que la même partie de l’âme portât en même temps sur la même chose deux jugements opposés ?

Oui, et nous avons eu raison de le dire.

[603a] Par conséquent ce qui juge en nous sans égard à la mesure, est différent de ce qui juge conformément à la mesure.

Nécessairement.

Mais la partie de l’âme qui s’en rapporte à la mesure et au calcul, est ce qu’il y a de plus excellent dans l’âme.

Sans contredit.

Donc l’autre partie qui est opposée à celle-là, est quelque chose d’inférieur en nous.

Il faut bien que cela soit.

Τοῦτο τοίνυν διομολογήσασθαι βουλόμενος ἔλεγον ὅτι ἡ γραφικὴ καὶ ὅλως ἡ μιμητικὴ πόρρω μὲν τῆς ἀληθείας ὂν τὸ αὑτῆς ἔργον ἀπεργάζεται, πόρρω δ’ αὖ φρονήσεως ὄντι τῷ [603b] ἐν ἡμῖν προσομιλεῖ τε καὶ ἑταίρα καὶ φίλη ἐστὶν ἐπ’ οὐδενὶ ὑγιεῖ οὐδ’ ἀληθεῖ.

Παντάπασιν, ἦ δ’ ὅς.

Φαύλη ἄρα φαύλῳ συγγιγνομένη φαῦλα γεννᾷ ἡ μιμητική.

῎Εοικεν.

Πότερον, ἦν δ’ ἐγώ, ἡ κατὰ τὴν ὄψιν μόνον, ἢ καὶ κατὰ τὴν ἀκοήν, ἣν δὴ ποίησιν ὀνομάζομεν;

Εἰκός γ’, ἔφη, καὶ ταύτην.

Μὴ τοίνυν, ἦν δ’ ἐγώ, τῷ εἰκότι μόνον πιστεύσωμεν ἐκ τῆς γραφικῆς, ἀλλὰ καὶ ἐπ’ αὐτὸ αὖ ἔλθωμεν τῆς διανοίας [603c] τοῦτο ᾧ προσομιλεῖ ἡ τῆς ποιήσεως μιμητική, καὶ ἴδωμεν φαῦλον ἢ σπουδαῖόν ἐστιν.

Ἀλλὰ χρή.

῟Ωδε δὴ προθώμεθα· πράττοντας, φαμέν, ἀνθρώπους μιμεῖται ἡ μιμητικὴ βιαίους ἢ ἑκουσίας πράξεις, καὶ ἐκ τοῦ πράττειν ἢ εὖ οἰομένους ἢ κακῶς πεπραγέναι, καὶ ἐν τούτοις δὴ πᾶσιν ἢ λυπουμένους ἢ χαίροντας. μή τι ἄλλο ἦν παρὰ ταῦτα;

Οὐδέν.

῏Αρ’ οὖν ἐν ἅπασι τούτοις ὁμονοητικῶς ἄνθρωπος διάκειται; [603d] ἢ ὥσπερ κατὰ τὴν ὄψιν ἐστασίαζεν καὶ ἐναντίας εἶχεν ἐν ἑαυτῷ δόξας ἅμα περὶ τῶν αὐτῶν, οὕτω καὶ ἐν ταῖς πράξεσι στασιάζει τε καὶ μάχεται αὐτὸς αὑτῷ; ἀναμιμνῄσκομαι δὲ ὅτι τοῦτό γε νῦν οὐδὲν δεῖ ἡμᾶς διομολογεῖσθαι· ἐν γὰρ τοῖς ἄνω λόγοις ἱκανῶς πάντα ταῦτα διωμολογησάμεθα, ὅτι μυρίων τοιούτων ἐναντιωμάτων ἅμα γιγνομένων ἡ ψυχὴ γέμει ἡμῶν.

᾿Ορθῶς, ἔφη.

᾿Ορθῶς γάρ, ἦν δ’ ἐγώ· ἀλλ’ ὃ τότε ἀπελίπομεν, νῦν μοι [603e] δοκεῖ ἀναγκαῖον εἶναι διεξελθεῖν.

Τὸ ποῖον; ἔφη.

Ἀνήρ, ἦν δ’ ἐγώ, ἐπιεικὴς τοιᾶσδε τύχης μετασχών, ὑὸν ἀπολέσας ἤ τι ἄλλο ὧν περὶ πλείστου ποιεῖται, ἐλέγομέν που καὶ τότε ὅτι ῥᾷστα οἴσει τῶν ἄλλων.

Πάνυ γε.

Νῦν δέ γε τόδ’ ἐπισκεψώμεθα, πότερον οὐδὲν ἀχθέσεται, ἢ τοῦτο μὲν ἀδύνατον, μετριάσει δέ πως πρὸς λύπην.

Οὕτω μᾶλλον, ἔφη, τό γε ἀληθές.

[604a] Τόδε νῦν μοι περὶ αὐτοῦ εἰπέ· πότερον μᾶλλον αὐτὸν οἴει τῇ λύπῃ μαχεῖσθαί τε καὶ ἀντιτείνειν, ὅταν ὁρᾶται ὑπὸ τῶν ὁμοίων, ἢ ὅταν ἐν ἐρημίᾳ μόνος αὐτὸς καθ’ αὑτὸν γίγνηται;

Πολύ που, ἔφη, διοίσει, ὅταν ὁρᾶται.

Μονωθεὶς δέ γε οἶμαι πολλὰ μὲν τολμήσει φθέγξασθαι, ἃ εἴ τις αὐτοῦ ἀκούοι αἰσχύνοιτ’ ἄν, πολλὰ δὲ ποιήσει, ἃ οὐκ ἂν δέξαιτό τινα ἰδεῖν δρῶντα.

Οὕτως ἔχει, ἔφη.

Οὐκοῦν τὸ μὲν ἀντιτείνειν διακελευόμενον λόγος καὶ νόμος [604b] ἐστίν, τὸ δὲ ἕλκον ἐπὶ τὰς λύπας αὐτὸ τὸ πάθος;

Ἀληθῆ.

Ἐναντίας δὲ ἀγωγῆς γιγνομένης ἐν τῷ ἀνθρώπῳ περὶ τὸ αὐτὸ ἅμα, δύο φαμὲν αὐτὼ ἀναγκαῖον εἶναι.

Πῶς δ’ οὔ;

Οὐκοῦν τὸ μὲν ἕτερον τῷ νόμῳ ἕτοιμον πείθεσθαι, ᾗ ὁ νόμος ἐξηγεῖται;

Πῶς;

Λέγει που ὁ νόμος ὅτι κάλλιστον ὅτι μάλιστα ἡσυχίαν ἄγειν ἐν ταῖς συμφοραῖς καὶ μὴ ἀγανακτεῖν, ὡς οὔτε δήλου ὄντος τοῦ ἀγαθοῦ τε καὶ κακοῦ τῶν τοιούτων, οὔτε εἰς τὸ πρόσθεν οὐδὲν προβαῖνον τῷ χαλεπῶς φέροντι, οὔτε τι τῶν [604c] ἀνθρωπίνων ἄξιον ὂν μεγάλης σπουδῆς, ὅ τε δεῖ ἐν αὐτοῖς ὅτι τάχιστα παραγίγνεσθαι ἡμῖν, τούτῳ ἐμποδὼν γιγνόμενον τὸ λυπεῖσθαι.

Τίνι, ἦ δ’ ὅς, λέγεις;

Τῷ βουλεύεσθαι, ἦν δ’ ἐγώ, περὶ τὸ γεγονὸς καὶ ὥσπερ ἐν πτώσει κύβων πρὸς τὰ πεπτωκότα τίθεσθαι τὰ αὑτοῦ πράγματα, ὅπῃ ὁ λόγος αἱρεῖ βέλτιστ’ ἂν ἔχειν, ἀλλὰ μὴ προσπταίσαντας καθάπερ παῖδας ἐχομένους τοῦ πληγέντος ἐν τῷ βοᾶν διατρίβειν, ἀλλ’ ἀεὶ ἐθίζειν τὴν ψυχὴν ὅτι [604d] τάχιστα γίγνεσθαι πρὸς τὸ ἰᾶσθαί τε καὶ ἐπανορθοῦν τὸ πεσόν τε καὶ νοσῆσαν, ἰατρικῇ θρηνῳδίαν ἀφανίζοντα.

᾿Ορθότατα γοῦν ἄν τις, ἔφη, πρὸς τὰς τύχας οὕτω προσφέροιτο.

Οὐκοῦν, φαμέν, τὸ μὲν βέλτιστον τούτῳ τῷ λογισμῷ ἐθέλει ἕπεσθαι.

Δῆλον δή.

Τὸ δὲ πρὸς τὰς ἀναμνήσεις τε τοῦ πάθους καὶ πρὸς τοὺς ὀδυρμοὺς ἄγον καὶ ἀπλήστως ἔχον αὐτῶν ἆρ’ οὐκ ἀλόγιστόν τε φήσομεν εἶναι καὶ ἀργὸν καὶ δειλίας φίλον;

Φήσομεν μὲν οὖν.

[604e] Οὐκοῦν τὸ μὲν πολλὴν μίμησιν καὶ ποικίλην ἔχει, τὸ ἀγανακτητικόν, τὸ δὲ φρόνιμόν τε καὶ ἡσύχιον ἦθος, παραπλήσιον ὂν ἀεὶ αὐτὸ αὑτῷ, οὔτε ῥᾴδιον μιμήσασθαι οὔτε μιμουμένου εὐπετὲς καταμαθεῖν, ἄλλως τε καὶ πανηγύρει καὶ παντοδαποῖς ἀνθρώποις εἰς θέατρα συλλεγομένοις· ἀλλοτρίου γάρ που πάθους ἡ μίμησις αὐτοῖς γίγνεται.

[605a] Παντάπασι μὲν οὖν.

῾Ο δὴ μιμητικὸς ποιητὴς δῆλον ὅτι οὐ πρὸς τὸ τοιοῦτον τῆς ψυχῆς πέφυκέ τε καὶ ἡ σοφία αὐτοῦ τούτῳ ἀρέσκειν πέπηγεν, εἰ μέλλει εὐδοκιμήσειν ἐν τοῖς πολλοῖς, ἀλλὰ πρὸς τὸ ἀγανακτητικόν τε καὶ ποικίλον ἦθος διὰ τὸ εὐμίμητον εἶναι.

Δῆλον.

Οὐκοῦν δικαίως ἂν αὐτοῦ ἤδη ἐπιλαμβανοίμεθα, καὶ τιθεῖμεν ἀντίστροφον αὐτὸν τῷ ζωγράφῳ· καὶ γὰρ τῷ φαῦλα ποιεῖν πρὸς ἀλήθειαν ἔοικεν αὐτῷ, καὶ τῷ πρὸς ἕτερον τοιοῦτον [605b] ὁμιλεῖν τῆς ψυχῆς ἀλλὰ μὴ πρὸς τὸ βέλτιστον, καὶ ταύτῃ ὡμοίωται. Καὶ οὕτως ἤδη ἂν ἐν δίκῃ οὐ παραδεχοίμεθα εἰς μέλλουσαν εὐνομεῖσθαι πόλιν, ὅτι τοῦτο ἐγείρει τῆς ψυχῆς καὶ τρέφει καὶ ἰσχυρὸν ποιῶν ἀπόλλυσι τὸ λογιστικόν, ὥσπερ ἐν πόλει ὅταν τις μοχθηροὺς ἐγκρατεῖς ποιῶν παραδιδῷ τὴν πόλιν, τοὺς δὲ χαριεστέρους φθείρῃ· ταὐτὸν καὶ τὸν μιμητικὸν ποιητὴν φήσομεν κακὴν πολιτείαν ἰδίᾳ ἑκάστου τῇ ψυχῇ ἐμποιεῖν, τῷ ἀνοήτῳ αὐτῆς [605c] χαριζόμενον καὶ οὔτε τὰ μείζω οὔτε τὰ ἐλάττω διαγιγνώσκοντι, ἀλλὰ τὰ αὐτὰ τοτὲ μὲν μεγάλα ἡγουμένῳ, τοτὲ δὲ σμικρά, εἴδωλα εἰδωλοποιοῦντα, τοῦ δὲ ἀληθοῦς πόρρω πάνυ ἀφεστῶτα.

Πάνυ μὲν οὖν.

Οὐ μέντοι πω τό γε μέγιστον κατηγορήκαμεν αὐτῆς. Τὸ γὰρ καὶ τοὺς ἐπιεικεῖς ἱκανὴν εἶναι λωβᾶσθαι, ἐκτὸς πάνυ τινῶν ὀλίγων, πάνδεινόν που.

Τί δ’ οὐ μέλλει, εἴπερ γε δρᾷ αὐτό;

Ἀκούων σκόπει. Οἱ γάρ που βέλτιστοι ἡμῶν ἀκροώμενοι ῾Ομήρου ἢ ἄλλου τινὸς τῶν τραγῳδοποιῶν μιμουμένου [605d] τινὰ τῶν ἡρώων ἐν πένθει ὄντα καὶ μακρὰν ῥῆσιν ἀποτεί νοντα ἐν τοῖς ὀδυρμοῖς ἢ καὶ ᾄδοντάς τε καὶ κοπτομένους, οἶσθ’ ὅτι χαίρομέν τε καὶ ἐνδόντες ἡμᾶς αὐτοὺς ἑπόμεθα συμπάσχοντες καὶ σπουδάζοντες ἐπαινοῦμεν ὡς ἀγαθὸν ποιητήν, ὃς ἂν ἡμᾶς ὅτι μάλιστα οὕτω διαθῇ.

Οἶδα· πῶς δ’ οὔ;

῞Οταν δὲ οἰκεῖόν τινι ἡμῶν κῆδος γένηται, ἐννοεῖς αὖ ὅτι ἐπὶ τῷ ἐναντίῳ καλλωπιζόμεθα, ἂν δυνώμεθα ἡσυχίαν ἄγειν [605e] καὶ καρτερεῖν, ὡς τοῦτο μὲν ἀνδρὸς ὄν, ἐκεῖνο δὲ γυναικός, ὃ τότε ἐπῃνοῦμεν.

Ἐννοῶ, ἔφη.

῏Η καλῶς οὖν, ἦν δ’ ἐγώ, οὗτος ὁ ἔπαινος ἔχει, τὸ ὁρῶντα τοιοῦτον ἄνδρα, οἷον ἑαυτόν τις μὴ ἀξιοῖ εἶναι ἀλλ’ αἰσχύνοιτο ἄν, μὴ βδελύττεσθαι ἀλλὰ χαίρειν τε καὶ ἐπαινεῖν;

Οὐ μὰ τὸν Δί’, ἔφη, οὐκ εὐλόγῳ ἔοικεν.

[606a] Ναί, ἦν δ’ ἐγώ, εἰ ἐκείνῃ γ’ αὐτὸ σκοποίης.

Πῇ;

Εἰ ἐνθυμοῖο ὅτι τὸ βίᾳ κατεχόμενον τότε ἐν ταῖς οἰκείαις συμφοραῖς καὶ πεπεινηκὸς τοῦ δακρῦσαί τε καὶ ἀποδύρασθαι ἱκανῶς καὶ ἀποπλησθῆναι, φύσει ὂν τοιοῦτον οἷον τούτων ἐπιθυμεῖν, τότ’ ἐστὶν τοῦτο τὸ ὑπὸ τῶν ποιητῶν πιμπλάμενον καὶ χαῖρον· τὸ δὲ φύσει βέλτιστον ἡμῶν, ἅτε οὐχ ἱκανῶς πεπαιδευμένον λόγῳ οὐδὲ ἔθει, ἀνίησιν τὴν φυλακὴν τοῦ [606b] θρηνώδους τούτου, ἅτε ἀλλότρια πάθη θεωροῦν καὶ ἑαυτῷ οὐδὲν αἰσχρὸν ὂν εἰ ἄλλος ἀνὴρ ἀγαθὸς φάσκων εἶναι ἀκαίρως πενθεῖ, τοῦτον ἐπαινεῖν καὶ ἐλεεῖν, ἀλλ’ ἐκεῖνο κερδαίνειν ἡγεῖται, τὴν ἡδονήν, καὶ οὐκ ἂν δέξαιτο αὐτῆς στερηθῆναι καταφρονήσας ὅλου τοῦ ποιήματος. Λογίζεσθαι γὰρ οἶμαι ὀλίγοις τισὶν μέτεστιν ὅτι ἀπολαύειν ἀνάγκη ἀπὸ τῶν ἀλλοτρίων εἰς τὰ οἰκεῖα· θρέψαντα γὰρ ἐν ἐκείνοις ἰσχυρὸν τὸ ἐλεινὸν οὐ ῥᾴδιον ἐν τοῖς αὑτοῦ πάθεσι κατέχειν.

[606c] Ἀληθέστατα, ἔφη.

῏Αρ’ οὖν οὐχ ὁ αὐτὸς λόγος καὶ περὶ τοῦ γελοίου; ὅτι, ἃν αὐτὸς αἰσχύνοιο γελωτοποιῶν, ἐν μιμήσει δὲ κωμῳδικῇ ἢ καὶ ἰδίᾳ ἀκούων σφόδρα χαρῇς καὶ μὴ μισῇς ὡς πονηρά, ταὐτὸν ποιεῖς ὅπερ ἐν τοῖς ἐλέοις; ὃ γὰρ τῷ λόγῳ αὖ κατεῖχες ἐν σαυτῷ βουλόμενον γελωτοποιεῖν, φοβούμενος δόξαν βωμολοχίας, τότ’ αὖ ἀνιεῖς, καὶ ἐκεῖ νεανικὸν ποιήσας ἔλαθες πολλάκις ἐν τοῖς οἰκείοις ἐξενεχθεὶς ὥστε κωμῳδοποιὸς γενέσθαι.

Καὶ μάλα, ἔφη.

[606d] Καὶ περὶ ἀφροδισίων δὴ καὶ θυμοῦ καὶ περὶ πάντων τῶν ἐπιθυμητικῶν τε καὶ λυπηρῶν καὶ ἡδέων ἐν τῇ ψυχῇ, ἃ δή φαμεν πάσῃ πράξει ἡμῖν ἕπεσθαι, ὅτι τοιαῦτα ἡμᾶς ἡ ποιητικὴ μίμησις ἐργάζεται· τρέφει γὰρ ταῦτα ἄρδουσα, δέον αὐχμεῖν, καὶ ἄρχοντα ἡμῖν καθίστησιν, δέον ἄρχεσθαι αὐτὰ ἵνα βελτίους τε καὶ εὐδαιμονέστεροι ἀντὶ χειρόνων καὶ ἀθλιωτέρων γιγνώμεθα.

Οὐκ ἔχω ἄλλως φάναι, ἦ δ’ ὅς.

Et c’est là précisément ce que je voulais établir, lorsque je disais que si, d’une part, la peinture, et en général tout art qui consiste dans l’imitation, accomplit son œuvre bien loin de la vérité ; de l’autre, cet art a commerce et amitié avec une partie [603b] de nous-mêmes bien éloignée de la sagesse et d’où il ne provient rien de vrai et de solide.

J’en demeure d’accord.

254 Ainsi l’imitation mauvaise en soi, en mauvaise compagnie, ne produit que des fruits mauvais.

Cela doit être.

Mais ceci n’est-il vrai qu’à l’égard de l’imitation qui frappe la vue ? Et n’en peut-on dire autant de celle qui est faite pour l’ouïe, et que nous appelons poésie ?

Il est vraisemblable qu’on en peut dire autant de celle-ci.

Toutefois ne nous en tenon s pas à cette vraisemblance et à l’analogie qui se trouve entre la peinture et la poésie. Pénétrons jusqu’à cette partie de l’âme [603c] avec laquelle la poésie imitative a un commerce intime, et voyons si cette partie est bonne ou mauvaise.

Il le faut.

Envisageons la chose de cette manière. La poésie imitative représente, dirons-nous, les hommes dans des actions forcées ou volontaires, en conséquence desquelles ils se croient heureux ou malheureux, et s’abandonnent à la joie ou à la tristesse : y a-t-il rien de plus dans ce qu’elle fait ?

Rien.

Or, dans toutes ces situations, l’homme est-il bien d’accord avec lui-même ? [603d] Au contraire, ne se trouve-t-il pas, par rapport à sa conduite, en contradiction et en lutte avec lui-même, comme 255 il s’y trouvait tout à l’heure, à l’occasion de la vue, portant tout à la fois sur le même objet deux jugements contraires ? Mais je me rappelle qu’il est inutile d’insister sur ce point, parce que nous sommes demeurés d’accord précédemment que notre âme était pleine d’une infinité de contradictions qui y règnent en même temps.

Nous avons eu raison.

Sans doute. Mais il me semble nécessaire d’examiner [603e] à présent ce que nous avons omis pour lors.

De quoi s’agit-il ?

Nous disions alors (05) qu’un homme d’un carac tère modéré, à qui il sera arrivé quelque disgrâce, comme la perte d’un fils, ou de quelque autre chose extrêmement chère, portera cette perte plus patiemment que ne ferait tout autre.

Eh bien ?

Voyons maintenant s’il sera tout-à-fait insensible à cette perte, ou si, une telle insensibilité étant une chimère, il mettra du moins des bornes à sa douleur.

A dire vrai, c’est-là plutôt ce qu’il fera.

[604a] Dis-moi encore, dans quel temps se fera-t-il plus de violence pour surmonter sa douleur ? Sera-ce lorsqu’il sera en présence de ses sem- 256 blables, ou lorsqu’il sera seul vis-à-vis de lui-même ?

Il prendra bien plus sur lui-même lorsqu’il sera devant le monde.

Mais se voyant sans témoins, il laissera sans doute échapper bien des plaintes qu’il aurait honte qu’on entendît ; il fera mille choses dans lesquelles il ne voudrait pas être surpris.

Il est vrai.

Ce qui lui ordonne de se roidir contre la douleur, c’est la loi et la raison : [604b] au contraire, ce qui le porte à s’y abandonner, c’est la passion.

J’en conviens.

Or, lorsque l’homme éprouve ainsi deux mouvements contraires par rapport au même objet, c’est une preuve, disons-nous, qu’il y a en lui deux parties aux prises.

Assurément.

L’une qui est prête à obéir à la loi en tout ce qu’elle prescrit.

Comment cela ?

Par exemple, la loi dit qu’il est beau de conserver le plus de calme possible dans les malheurs et de ne pas se laisser emporter au désespoir ; et cela parce qu’on ignore si ces accidents sont des biens ou des maux, qu’on ne gagne rien à s’en affliger, que les événements de la vie [604c] ne méritent pas que nous y prenions un si grand inté- 257 rêt, et surtout que l’affliction est un obstacle à ce qu’il faut s’empresser de faire en ces rencontres.

Que faut-il donc faire alors ?

Prendre conseil de la raison sur ce qui vient d’arriver ; réparer sa mauvaise fortune comme on répare un mauvais coup que les dés ont amené, c’est-à-dire par les moyens que la raison aura reconnus les meilleurs, et n’aller pas au premier choc, portant la main, comme des enfants, à la partie blessée, perdre le temps à crier ; mais plutôt accoutumer son âme [604d] à appliquer le plus promptement possible le remède à la blessure, à relever ce qui est tombé, et à se soigner au lieu de se lamenter.

C’est ce qu’un homme peut faire de mieux dans les malheurs qui lui arrivent.

C’est, disons-nous, la plus saine partie de nous-mêmes qui sait prendre ainsi conseil de la raison.

Évidemment.

Et cette autre partie qui nous rappelle sans cesse le souvenir de nos disgrâces, qui nous porte aux lamentations, et qui ne peut s’en rassasier ; craindrons-nous de dire que c’est quelque chose de déraisonnable, de lâche et de timide ?

Nous le dirons sans balancer.

[604e] Or, ce dernier principe, celui des douleurs violentes, offre à l’imitation une matière riche 258 et variée ; le caractère sage et tranquille au contraire, toujours semblable à lui-même, n’est ni facile à imiter, ni, une fois rendu, facile à bien concevoir, surtout pour cette multitude confuse qui s’assemble d’ordinaire dans les théâtres ; car ce serait lui offrir l’image d’une disposition qui lui est tout-à-fait étrangère.

[605a] Sans contredit.

Il est donc évident que le génie du poète imitateur ne le porte pas vers cette partie de l’âme, et qu’il ne s’attachera point à lui plaire, s’il tient à obtenir les suffrages de la multitude, mais qu’il s’accommode bien mieux des caractères passionnés et mobiles qui sont faciles à imiter.

Cela est évident.

Nous avons donc une juste raison de le condamner, et de le mettre dans la même classe que le peintre. Il a cela de commun avec lui, de ne composer que des ouvrages qui ne valent rien, rapprochés de la vérité ; il lui ressemble encore en ce qu’il s’adresse [605b] à la partie de l’âme qui ne vaut pas non plus grand-chose, au lieu de s’adresser ace qu’il y a de meilleur en elle. Nous sommes donc bien fondés à lui refuser l’entrée d’un État qui doit être gouverné par de sages lois, puisqu’il réveille et remue la mauvaise partie de l’âme, et qu’en la fortifiant, il détruit l’empire delà raison ; ainsi qu’il arriverait dans un État où on livrerait 259 le pouvoir aux mauvais citoyens et où on ferait périr les bons ; car c’est l’image du désordre que le poète imitateur introduit dans le gouvernement intérieur de chaque homme, par l’excessive complaisance qu’il a pour cette partie insensée de notre âme [605c] qui ne sait pas distinguer ce qui est plus grand et ce qui est plus petit, qui tantôt exagère, tantôt rapetisse les mêmes objets, produit des fantômes, et est toujours à une distance infinie du vrai.

Tu as bien raison.

Et cependant nous n’avons rien dit encore de la plus grave accusation qu’il y aurait à porter contre elle. N’est-ce pas en effet quelque chose de bien fâcheux, de voir qu’à l’exception d’un très petit nombre, elle est capable de corrompre les gens sages ?

Certainement, s’il en est ainsi.

Ecoute, et tu jugeras. Tu sais que tous tant que nous sommes, je dis même les plus raisonnables, lorsque nous entendons réciter les endroits d’Homère ou de quelque autre poète tragique, [605d] où l’on représente un héros dans l’affliction, déplorant son sort dans un long discours, poussant des cris et se frappant la poitrine ; tu sais, dis-je, que nous ressentons alors un plaisir secret auquel nous nous laissons aller insensiblement, et qu’à la compassion pour le héros qui 260 nous intéresse se joint l’admiration pour le talent du poète qui nous met en quelque sorte dans le même état que son héros.

Je le sais, et comment pourrais-je l’ignorer ?

Cependant tu as pu remarquer que dans les disgrâces qui nous arrivent à nous-mêmes, nous croyons qu’il est de notre honneur de prendre le parti contraire, je veux dire d’être fermes [605e] et tranquilles, persuadés que ce parti convient à un homme, et qu’il faut laisser aux femmes ces mêmes plaintes que nous venons d’applaudir.

Il est vrai.

Mais où est le bon sens, je ne dis pas de voir sans indignation, mais d’approuver avec transport dans un autre une situation que nous croirions indigne de nous, et où nous rougirions de nous trouver ?

En vérité, cela n’est guère raisonnable.

[606a] Non, sans doute, surtout si nous regardons la chose du côté qu’il la faut regarder.

De quel côté ?

Si nous considérons que cette partie de notre âme contre laquelle nous nous roidissons dans nos propres malheurs, qui est affamée de pleurs et de lamentations, qui voudrait s’en rassasier, et qui, de sa nature, est portée à les rechercher, est la même que les poètes flattent et s’étudient à satisfaire : que dans ces occasions, cette autre 261 partie de nous-mêmes, qui est la plus excellente, n’étant pas encore assez fortifiée par la raison et par l’habitude, néglige de surveiller [606b] la partie pleureuse, alléguant qu’après tout celle-ci est simple spectatrice des malheurs d’autrui, et qu’il n’est pas honteux pour elle de donner des marques d’approbation et de pitié aux larmes qu’un autre, qui se dit homme de bien, verse mal à propos. On compte comme un gain le plaisir que l’on goûte alors, et on ne consentirait pas à s’en priver par la condamnation de tout le poème. En effet, peu de gens font réflexion qu’on s’applique nécessairement à soi-même ce qu’on a accordé aux douleurs d’autrui, et qu’après avoir nourri l’excès de notre sensibilité par ces maux étrangers, il est bien difficile de la modérer dans les nôtres.

[606d] Cela est certain.

N’en dirons-nous pas autant du ridicule ? Si tu écoutes non-seulement sans aversion, mais avec des éclats de gaîté, soit au théâtre, soit dans les conversations, des bouffonneries que tu rougirais toi-même de dire, il t’arrivera la même chose que pour les émotions pathétiques. Ce désir de faire rire, que la raison réprimait auparavant en toi, dans la crainte où tu étais de passer pour bouffon, tu lui donnes carrière ; et après avoir nourri à la comédie ce goût de plaisante- 262 rie, tu laisses souvent échapper, dans tes relations avec les autres, même sans y prendre garde, des traits qui font de toi un farceur de profession.

Il pourrait bien en être ainsi.

[606d] La poésie imitative produit en nous le même effet pour l’amour, la colère, et toutes les passions de l’âme, agréables ou pénibles, dont nous avons reconnu que nous sommes sans cesse obsédés. Elle nourrit et arrose en nous ces passions, elle les rend maîtresses de notre âme, quand il faudrait au contraire les laisser périr faute d’aliments et nous en rendre maîtres nous-mêmes, si nous voulons devenir heureux et vertueux, et non pas médians et misérables.

Je ne puis m’empêcher d’en convenir.

[606e] Οὐκοῦν, εἶπον, ὦ Γλαύκων, ὅταν ῾Ομήρου ἐπαινέταις ἐντύχῃς λέγουσιν ὡς τὴν ῾Ελλάδα πεπαίδευκεν οὗτος ὁ ποιητὴς καὶ πρὸς διοίκησίν τε καὶ παιδείαν τῶν ἀνθρωπίνων πραγμάτων ἄξιος ἀναλαβόντι μανθάνειν τε καὶ κατὰ τοῦτον τὸν ποιητὴν πάντα τὸν αὑτοῦ βίον κατασκευασάμενον ζῆν, [607a] φιλεῖν μὲν χρὴ καὶ ἀσπάζεσθαι ὡς ὄντας βελτίστους εἰς ὅσον δύνανται, καὶ συγχωρεῖν ῞Ομηρον ποιητικώτατον εἶναι καὶ πρῶτον τῶν τραγῳδοποιῶν, εἰδέναι δὲ ὅτι ὅσον μόνον ὕμνους θεοῖς καὶ ἐγκώμια τοῖς ἀγαθοῖς ποιήσεως παραδεκτέον εἰς πόλιν· εἰ δὲ τὴν ἡδυσμένην Μοῦσαν παραδέξῃ ἐν μέλεσιν ἢ ἔπεσιν, ἡδονή σοι καὶ λύπη ἐν τῇ πόλει βασιλεύσετον ἀντὶ νόμου τε καὶ τοῦ κοινῇ ἀεὶ δόξαντος εἶναι βελτίστου λόγου.

Ἀληθέστατα, ἔφη.

[607b] Ταῦτα δή, ἔφην, ἀπολελογήσθω ἡμῖν ἀναμνησθεῖσιν περὶ ποιήσεως, ὅτι εἰκότως ἄρα τότε αὐτὴν ἐκ τῆς πόλεως ἀπεστέλλομεν τοιαύτην οὖσαν· ὁ γὰρ λόγος ἡμᾶς ᾕρει. Προσείπωμεν δὲ αὐτῇ, μὴ καί τινα σκληρότητα ἡμῶν καὶ ἀγροικίαν καταγνῷ, ὅτι παλαιὰ μέν τις διαφορὰ φιλοσοφίᾳ τε καὶ ποιητικῇ· καὶ γὰρ ἡ “λακέρυζα πρὸς δεσπόταν κύων” ἐκείνη “κραυγάζουσα” καὶ “μέγας ἐν ἀφρόνων κενεαγορίαισι” [607c] καὶ ὁ “τῶν διασόφων ὄχλος κρατῶν” καὶ οἱ “λεπτῶς μεριμνῶντες,” ὅτι ἄρα “πένονται,” καὶ ἄλλα μυρία σημεῖα παλαιᾶς ἐναντιώσεως τούτων. μως δὲ εἰρήσθω ὅτι ἡμεῖς γε, εἴ τινα ἔχοι λόγον εἰπεῖν ἡ πρὸς ἡδονὴν ποιητικὴ καὶ ἡ μίμησις, ὡς χρὴ αὐτὴν εἶναι ἐν πόλει εὐνομουμένῃ, ἅσμενοι ἂν καταδεχοίμεθα, ὡς σύνισμέν γε ἡμῖν αὐτοῖς κηλουμένοις ὑπ’ αὐτῆς· ἀλλὰ γὰρ τὸ δοκοῦν ἀληθὲς οὐχ ὅσιον προδιδόναι. γάρ, ὦ φίλε, οὐ κηλῇ ὑπ’ αὐτῆς [607d] καὶ σύ, καὶ μάλιστα ὅταν δι’ ῾Ομήρου θεωρῇς αὐτήν;

Πολύ γε.

Οὐκοῦν δικαία ἐστὶν οὕτω κατιέναι, ἀπολογησαμένη ἐν μέλει ἤ τινι ἄλλῳ μέτρῳ;

Πάνυ μὲν οὖν.

Δοῖμεν δέ γέ που ἂν καὶ τοῖς προστάταις αὐτῆς, ὅσοι μὴ ποιητικοί, φιλοποιηταὶ δέ, ἄνευ μέτρου λόγον ὑπὲρ αὐτῆς εἰπεῖν, ὡς οὐ μόνον ἡδεῖα ἀλλὰ καὶ ὠφελίμη πρὸς τὰς πολιτείας καὶ τὸν βίον τὸν ἀνθρώπινόν ἐστιν· καὶ εὐμενῶς ἀκουσόμεθα. [607e] Κερδανοῦμεν γάρ που ἐὰν μὴ μόνον ἡδεῖα φανῇ ἀλλὰ καὶ ὠφελίμη.

Πῶς δ’ οὐ μέλλομεν, ἔφη, κερδαίνειν;

Εἰ δέ γε μή, ὦ φίλε ἑταῖρε, ὥσπερ οἱ ποτέ του ἐρασθέντες, ἐὰν ἡγήσωνται μὴ ὠφέλιμον εἶναι τὸν ἔρωτα, βίᾳ μέν, ὅμως δὲ ἀπέχονται, καὶ ἡμεῖς οὕτως, διὰ τὸν ἐγγεγονότα μὲν ἔρωτα τῆς τοιαύτης ποιήσεως ὑπὸ τῆς τῶν καλῶν πολιτειῶν [608a] τροφῆς, εὖνοι μὲν ἐσόμεθα φανῆναι αὐτὴν ὡς βελτίστην καὶ ἀληθεστάτην, ἕως δ’ ἂν μὴ οἵα τ’ ᾖ ἀπολογήσασθαι, ἀκροσαόμεθ’ αὐτῆς ἐπᾴδοντες ἡμῖν αὐτοῖς τοῦτον τὸν λόγον, ὃν λέγομεν, καὶ ταύτην τὴν ἐπῳδήν, εὐλαβούμενοι πάλιν ἐμπεσεῖν εἰς τὸν παιδικόν τε καὶ τὸν τῶν πολλῶν ἔρωτα. σόμεθα δ’ οὖν ὡς οὐ σπουδαστέον ἐπὶ τῇ τοιαύτῃ ποιήσει ὡς ἀληθείας τε ἁπτομένῃ καὶ σπουδαίᾳ, ἀλλ’ εὐλαβητέον [608b] αὐτὴν ὂν τῷ ἀκροωμένῳ, περὶ τῆς ἐν αὑτῷ πολιτείας δεδιότι, καὶ νομιστέα ἅπερ εἰρήκαμεν περὶ ποιήσεως.

Παντάπασιν, ἦ δ’ ὅς, σύμφημι.

Μέγας γάρ, ἔφην, ὁ ἀγών, ὦ φίλε Γλαύκων, μέγας, οὐχ ὅσος δοκεῖ, τὸ χρηστὸν ἢ κακὸν γενέσθαι, ὥστε οὔτε τιμῇ ἐπαρθέντα οὔτε χρήμασιν οὔτε ἀρχῇ οὐδεμιᾷ οὐδέ γε ποιητικῇ ἄξιον ἀμελῆσαι δικαιοσύνης τε καὶ τῆς ἄλλης ἀρετῆς.

Σύμφημί σοι, ἔφη, ἐξ ὧν διεληλύθαμεν· οἶμαι δὲ καὶ ἄλλον ὁντινοῦν.

[608c] Καὶ μήν, ἦν δ’ ἐγώ, τά γε μέγιστα ἐπίχειρα ἀρετῆς καὶ προκείμενα ἆθλα οὐ διεληλύθαμεν.

Ἀμήχανόν τι, ἔφη, λέγεις μέγεθος, εἰ τῶν εἰρημένων μείζω ἐστὶν ἄλλα.

Τί δ’ ἄν, ἦν δ’ ἐγώ, ἔν γε ὀλίγῳ χρόνῳ μέγα γένοιτο; πᾶς γὰρ οὗτός γε ὁ ἐκ παιδὸς μέχρι πρεσβύτου χρόνος πρὸς πάντα ὀλίγος πού τις ἂν εἴη.

Οὐδὲν μὲν οὖν, ἔφη.

Τί οὖν; οἴει ἀθανάτῳ πράγματι ὑπὲρ τοσούτου δεῖν [608d] χρόνου ἐσπουδακέναι, ἀλλ’ οὐχ ὑπὲρ τοῦ παντός;

Οἶμαι ἔγωγ’, ἔφη· ἀλλὰ τί τοῦτο λέγεις;

Οὐκ ᾔσθησαι, ἦν δ’ ἐγώ, ὅτι ἀθάνατος ἡμῶν ἡ ψυχὴ καὶ οὐδέποτε ἀπόλλυται;

Καὶ ὃς ἐμβλέψας μοι καὶ θαυμάσας εἶπε· Μὰ Δί’, οὐκ ἔγωγε· σὺ δὲ τοῦτ’ ἔχεις λέγειν;

Εἰ μὴ ἀδικῶ γ’, ἔφην. Οἶμαι δὲ καὶ σύ· οὐδὲν γὰρ χαλεπόν.

῎Εμοιγ’, ἔφη· σοῦ δ’ ἂν ἡδέως ἀκούσαιμι τὸ οὐ χαλεπὸν τοῦτο.

Ἀκούοις ἄν, ἦν δ’ ἐγώ.

Λέγε μόνον, ἔφη.

Ἀγαθόν τι, εἶπον, καὶ κακὸν καλεῖς;

῎Εγωγε.

[608e] ῏Αρ’ οὖν ὥσπερ ἐγὼ περὶ αὐτῶν διανοῇ;

Τὸ ποῖον;

Τὸ μὲν ἀπολλύον καὶ διαφθεῖρον πᾶν τὸ κακὸν εἶναι, τὸ δὲ σῷζον καὶ ὠφελοῦν τὸ ἀγαθόν.

῎Εγωγ’, ἔφη.

 

[606e] Ainsi, mon cher Glaucon, lorsque tu rencontreras des admirateurs d’Homère disant que ce poète a formé la Grèce, qu’il mérite qu’on lise sans cesse ses ouvrages pour apprendre à gouverner, a bien conduire les affaires humaines et pour régler sa vie entière à l’aide de cette poésie ; [607a]  faudra avoir toutes sortes d’égards et de considération pour ceux qui tiennent ce langage, comme ayant tout le mérite possible, et leur accorder qu’Homère est le plus grand des poètes et le premier des poètes tragiques ; mais eu même temps souviens-toi qu’il ne faut admettre 263 dans notre république d’autres ouvrages de poésie que les hymnes à l’honneur des dieux et les éloges des grands hommes. Mais du moment que tu y recevras la muse voluptueuse, soit épique, soit lyrique, le plaisir et la douleur régneront dans ton État à la place de la loi et de cette raison qui a été reconnue dans tous les temps comme le meilleur guide en toutes choses.

Rien n’est plus vrai.

[607b] Puisque nous sommes revenus sur la poésie, voilà de quoi nous justifier de l’avoir bannie de notre république ; la raison nous en faisait un devoir. Au reste, de peur que la poésie elle-même ne nous accuse en cela de dureté et de rusticité, disons-lui que ce n’est pas d’aujourd’hui qu’elle est brouillée avec la philosophie. Témoins ces traits : Cette chienne hargneuse qui aboie contre son maître.... Ce grand homme parmi les vains entretiens des fous.... [607c] La troupe des sages qui s’élève au-dessus de Jupiter.... Ces contemplatifs subtils à qui la pauvreté aiguise l’esprit ; et mille autres qui témoignent de leur ancienne querelle. Malgré cela, protestons hautement que si la poésie imitative, et qui a pour but le plaisir, peut nous prouver par de bonnes raisons qu’on ne doit pas l’exclure d’un État bien policé, nous la recevrons à bras ouverts, parce que nous ne pouvons nous dissimuler à nous-mêmes 264 la force et la douceur de ses charmes ; mais il n’est pas permis de trahir ce qu’on regarde comme la vérité. Autrement, mon cher ami, n’est-il pas vrai que l’enchanteresse [607d] te séduit aussi, surtout lorsqu’elle se présente à toi dans Homère ?

Oui, assurément.

Il est donc juste de l’admettre à défendre sa cause devant nous, soit dans une ode, soit dans un poème d’un autre rythme.

Sans doute.

Nous ne demandons pas mieux aussi que d’entendre ses défenseurs officieux, qui, sans faire eux-mêmes des vers, sont amateurs de la poésie, nous montrer en prose qu’elle n’est pas seulement agréable, mais qu’elle est encore utile aux Etats et dans la pratique générale de la vie ; et nous les écouterons volontiers, [607e] car ce sera un vrai profit pour nous s’ils nous font voir qu’elle est aussi utile qu’agréable.

Oui, vraiment, nous y gagnerions.

Mais, s’ils ne peuvent venir à bout de nous le prouver, n’imiterons-nous pas, mon cher ami, la conduite des amans, qui se font violence pour s’arracher à leur passion, après qu’ils en ont reconnu le danger ? Grâce à l’amour que nous ont inspiré dès l’enfance pour cette poésie les belles institutions politiques [608a] où nous avons été élevés, 265 nous ne demanderons pas mieux que d’avoir à la reconnaître pour très bonne et très amie de la vérité : mais tant qu’elle n’aura rien de bon à alléguer pour sa défense, nous l’écouterons en nous prémunissant contre ses enchantements par les raisons que je viens d’exposer, et nous prendrons garde de retomber dans la passion que nous avons ressentie pour elle étant jeunes, et dont le commun des hommes est atteint. Ainsi nous demeurerons persuadés qu’il ne faut pas prendre au sérieux cette espèce de poésie, comme si elle avait rien de sérieux elle-même et visait à la vérité, [608b] que tout homme qui craint pour le gouvernement intérieur de son âme, doit être en garde contre elle et ne l’écouter qu’avec précaution, qu’enfin il faut s’en tenir à tout ce que nous en avons dit.

J’y consens de grand cœur.

Car c’est un grand combat, mon cher Glaucon, oui, bien grand, et tout autre qu’on ne l’imagine, celui où il s’agit de devenir vertueux ou méchant, combat d’une telle importance que ni la gloire, ni la richesse, ni la puissance ni enfin la poésie, ne méritent pas que nous négligions pour elles la justice et les autres vertus.

[608c] J’en conviens après ce qui a été dit, et je ne crois pas qu’on puisse penser autrement.

266 Cependant nous n’avons pas encore parlé des plus grandes récompenses proposées à la vertu.

Il faut qu’elles soient d’un prix infini, si elles surpassent celles que nous venons d’exposer.

Peut-on appeler grand ce qui se passe en un petit espace de temps ? En effet, l’intervalle qui sépare notre enfance de la vieillesse, est bien peu de chose en comparaison de la durée entière.

Ce n’est même rien.

Mais quoi ! penses-tu qu’un être immortel doive borner ses vues à un temps [608d] si court, au lieu de les étendre à toute la durée ?

Je ne le pense pas. Mais à quoi tend ce discours ?

Ne sais-tu pas que notre âme est immortelle, et qu’elle ne périt jamais ?

A ces mots, Glaucon me regardant avec un air de surprise : Je n’en sais rien, me dit-il ; et toi, pourrais-tu le prouver ?

Oui, repartis-je, si je ne me trompe ; je crois même que tu en pourrais faire autant, car la chose n’est pas difficile.

Elle l’est pour moi ; et tu me feras plaisir de me démontrer cette chose si facile.

Ecoute-moi.

Parle.

Reconnais-tu qu’il y a du bien et du mal ?

267 Oui.

[608e] As-tu de l’un et de l’autre la même idée que moi ?

Quelle idée ?

Que le mal est tout ce qui détruit et corrompt ; le bien, ce qui conserve et améliore.

Oui.

Τί δέ; κακὸν ἑκάστῳ τι καὶ ἀγαθὸν λέγεις; οἷον ὀφθαλμοῖς [609a] ὀφθαλμίαν καὶ σύμπαντι τῷ σώματι νόσον, σίτῳ τε ἐρυσίβην, σηπεδόνα τε ξύλοις, χαλκῷ δὲ καὶ σιδήρῳ ἰόν, καί, ὅπερ λέγω, σχεδὸν πᾶσι σύμφυτον ἑκάστῳ κακόν τε καὶ νόσημα;

῎Εγωγ’, ἔφη.

Οὐκοῦν ὅταν τῴ τι τούτων προσγένηται, πονηρόν τε ποιεῖ ᾧ προσεγένετο, καὶ τελευτῶν ὅλον διέλυσεν καὶ ἀπώλεσεν;

Πῶς γὰρ οὔ;

Τὸ σύμφυτον ἄρα κακὸν ἑκάστου καὶ ἡ πονηρία ἕκαστον ἀπόλλυσιν, ἢ εἰ μὴ τοῦτο ἀπολεῖ, οὐκ ἂν ἄλλο γε αὐτὸ ἔτι [609b] διαφθείρειεν. Οὐ γὰρ τό γε ἀγαθὸν μή ποτέ τι ἀπολέσῃ, οὐδὲ αὖ τὸ μήτε κακὸν μήτε ἀγαθόν.

Πῶς γὰρ ἄν; ἔφη.

Ἐὰν ἄρα τι εὑρίσκωμεν τῶν ὄντων, ᾧ ἔστι μὲν κακὸν ὃ ποιεῖ αὐτὸ μοχθηρόν, τοῦτο μέντοι οὐχ οἷόν τε αὐτὸ λύειν ἀπολλύον, οὐκ ἤδη εἰσόμεθα ὅτι τοῦ πεφυκότος οὕτως ὄλεθρος οὐκ ἦν;

Οὕτως, ἔφη, εἰκός.

Τί οὖν; ἦν δ’ ἐγώ· ψυχῇ ἆρ’ οὐκ ἔστιν ὃ ποιεῖ αὐτὴν αὐτὴν κακήν;

Καὶ μάλα, ἔφη· ἃ νυνδὴ διῇμεν πάντα, ἀδικία τε καὶ [609c] ἀκολασία καὶ δειλία καὶ ἀμαθία.

῏Η οὖν τι τούτων αὐτὴν διαλύει τε καὶ ἀπόλλυσι; καὶ ἐννόει μὴ ἐξαπατηθῶμεν οἰηθέντες τὸν ἄδικον ἄνθρωπον καὶ ἀνόητον, ὅταν ληφθῇ ἀδικῶν, τότε ἀπολωλέναι ὑπὸ τῆς ἀδικίας, πονηρίας οὔσης ψυχῆς. λλ’ ὧδε ποίει· ὥσπερ σῶμα ἡ σώματος πονηρία νόσος οὖσα τήκει καὶ διόλλυσι καὶ ἄγει εἰς τὸ μηδὲ σῶμα εἶναι, καὶ ἃ νυνδὴ ἐλέγομεν [609d] ἅπαντα ὑπὸ τῆς οἰκείας κακίας, τῷ προσκαθῆσθαι καὶ ἐνεῖναι διαφθειρούσης, εἰς τὸ μὴ εἶναι ἀφικνεῖται—οὐχ οὕτω;

Ναί.

῎Ιθι δή, καὶ ψυχὴν κατὰ τὸν αὐτὸν τρόπον σκόπει. ρα ἐνοῦσα ἐν αὐτῇ ἀδικία καὶ ἡ ἄλλη κακία τῷ ἐνεῖναι καὶ προσκαθῆσθαι φθείρει αὐτὴν καὶ μαραίνει, ἕως ἂν εἰς θάνατον ἀγαγοῦσα τοῦ σώματος χωρίσῃ;

Οὐδαμῶς, ἔφη, τοῦτό γε.

Ἀλλὰ μέντοι ἐκεῖνό γε ἄλογον, ἦν δ’ ἐγώ, τὴν μὲν ἄλλου πονηρίαν ἀπολλύναι τι, τὴν δὲ αὑτοῦ μή.

῎Αλογον.

[609e] Ἐννόει γάρ, ἦν δ’ ἐγώ, ὦ Γλαύκων, ὅτι οὐδ’ ὑπὸ τῆς τῶν σιτίων πονηρίας, ἣ ἂν ᾖ αὐτῶν ἐκείνων, εἴτε παλαιότης εἴτε σαπρότης εἴτε ἡτισοῦν οὖσα, οὐκ οἰόμεθα δεῖν σῶμα ἀπόλλυσθαι· ἀλλ’ ἐὰν μὲν ἐμποιῇ ἡ αὐτῶν πονηρία τῶν σιτίων τῷ σώματι σώματος μοχθηρίαν, φήσομεν αὐτὸ δι’ ἐκεῖνα ὑπὸ τῆς αὑτοῦ κακίας νόσου οὔσης ἀπολωλέναι· ὑπὸ [610a] δὲ σιτίων πονηρίας ἄλλων ὄντων ἄλλο ὂν τὸ σῶμα, ὑπ’ ἀλλοτρίου κακοῦ μὴ ἐμποιήσαντος τὸ ἔμφυτον κακόν, οὐδέποτε ἀξιώσομεν διαφθείρεσθαι.

᾿Ορθότατ’ αὖ, ἔφη, λέγεις.

Κατὰ τὸν αὐτὸν τοίνυν λόγον, ἦν δ’ ἐγώ, ἐὰν μὴ σώματος πονηρία ψυχῇ ψυχῆς πονηρίαν ἐμποιῇ, μή ποτε ἀξιῶμεν ὑπὸ ἀλλοτρίου κακοῦ ἄνευ τῆς ἰδίας πονηρίας ψυχὴν ἀπόλλυσθαι, τῷ ἑτέρου κακῷ ἕτερον.

῎Εχει γάρ, ἔφη, λόγον.

῍Η τοίνυν ταῦτα ἐξελέγξωμεν ὅτι οὐ καλῶς λέγομεν, ἢ [610b] ἕως ἂν ᾖ ἀνέλεγκτα, μή ποτε φῶμεν ὑπὸ πυρετοῦ μηδ’ αὖ ὑπ’ ἄλλης νόσου μηδ’ αὖ ὑπὸ σφαγῆς, μηδ’ εἴ τις ὅτι σμικρότατα ὅλον τὸ σῶμα κατατέμοι, ἕνεκα τούτων μηδὲν μᾶλλόν ποτε ψυχὴν ἀπόλλυσθαι, πρὶν ἄν τις ἀποδείξῃ ὡς διὰ ταῦτα τὰ παθήματα τοῦ σώματος αὐτὴ ἐκείνη ἀδικωτέρα καὶ ἀνοσιωτέρα γίγνεται· ἀλλοτρίου δὲ κακοῦ ἐν ἄλλῳ γιγνομένου, τοῦ δὲ ἰδίου ἑκάστῳ μὴ ἐγγιγνομένου [610c], μήτε ψυχὴν μήτε ἄλλο μηδὲν ἐῶμεν φάναι τινὰ ἀπόλλυσθαι.

Ἀλλὰ μέντοι, ἔφη, τοῦτό γε οὐδείς ποτε δείξει, ὡς τῶν ἀποθνῃσκόντων ἀδικώτεραι αἱ ψυχαὶ διὰ τὸν θάνατον γίγνονται.

Ἐὰν δέ γέ τις, ἔφην ἐγώ, ὁμόσε τῷ λόγῳ τολμᾷ ἰέναι καὶ λέγειν ὡς πονηρότερος καὶ ἀδικώτερος γίγνεται ὁ ἀποθνῄσκων, ἵνα δὴ μὴ ἀναγκάζηται ἀθανάτους τὰς ψυχὰς ὁμολογεῖν, ἀξιώσομέν που, εἰ ἀληθῆ λέγει ὁ ταῦτα λέγων, τὴν ἀδικίαν εἶναι θανάσιμον τῷ ἔχοντι ὥσπερ νόσον, καὶ ὑπ’ [610d] αὐτοῦ, τοῦ ἀποκτεινύντος τῇ ἑαυτοῦ φύσει, ἀποθνῄσκειν τοὺς λαμβάνοντας αὐτό, τοὺς μὲν μάλιστα θᾶττον, τοὺς δ’ ἧττον σχολαίτερον, ἀλλὰ μὴ ὥσπερ νῦν διὰ τοῦτο ὑπ’ ἄλλων δίκην ἐπιτιθέντων ἀποθνῄσκουσιν οἱ ἄδικοι.

Μὰ Δί’, ἦ δ’ ὅς, οὐκ ἄρα πάνδεινον φανεῖται ἡ ἀδικία, εἰ θανάσιμον ἔσται τῷ λαμβάνοντι—ἀπαλλαγὴ γὰρ ἂν εἴη κακῶν—ἀλλὰ μᾶλλον οἶμαι αὐτὴν φανήσεσθαι πᾶν τοὐναντίον [610e] τοὺς ἄλλους ἀποκτεινῦσαν, εἴπερ οἷόν τε, τὸν δ’ ἔχοντα καὶ μάλα ζωτικὸν παρέχουσαν, καὶ πρός γ’ ἔτι τῷ ζωτικῷ ἄγρυπνον· οὕτω πόρρω που, ὡς ἔοικεν, ἐσκήνηται τοῦ θανάσιμος εἶναι.

Καλῶς, ἦν δ’ ἐγώ, λέγεις. πότε γὰρ δὴ μὴ ἱκανὴ ἥ γε οἰκεία πονηρία καὶ τὸ οἰκεῖον κακὸν ἀποκτεῖναι καὶ ἀπολέσαι ψυχήν, σχολῇ τό γε ἐπ’ ἄλλου ὀλέθρῳ τεταγμένον κακὸν ψυχὴν ἤ τι ἄλλο ἀπολεῖ, πλὴν ἐφ’ ᾧ τέτακται.

Σχολῇ γ’, ἔφη, ὥς γε τὸ εἰκός.

Οὐκοῦν ὁπότε μηδ’ ὑφ’ ἑνὸς ἀπόλλυται κακοῦ, μήτε [611a] οἰκείου μήτε ἀλλοτρίου, δῆλον ὅτι ἀνάγκη αὐτὸ ἀεὶ ὂν εἶναι· εἰ δ’ ἀεὶ ὄν, ἀθάνατον.

Ἀνάγκη, ἔφη.

Τοῦτο μὲν τοίνυν, ἦν δ’ ἐγώ, οὕτως ἐχέτω· εἰ δ’ ἔχει, ἐννοεῖς ὅτι ἀεὶ ἂν εἶεν αἱ αὐταί. Οὔτε γὰρ ἄν που ἐλάττους γένοιντο μηδεμιᾶς ἀπολλυμένης, οὔτε αὖ πλείους· εἰ γὰρ ὁτιοῦν τῶν ἀθανάτων πλέον γίγνοιτο, οἶσθ’ ὅτι ἐκ τοῦ θνητοῦ ἂν γίγνοιτο καὶ πάντα ἂν εἴη τελευτῶντα ἀθάνατα.

Ἀληθῆ λέγεις.

Ἀλλ’, ἦν δ’ ἐγώ, μήτε τοῦτο οἰώμεθα — ὁ γὰρ λόγος οὐκ [611b] ἐάσει — μήτε γε αὖ τῇ ἀληθεστάτῃ φύσει τοιοῦτον εἶναι ψυχήν, ὥστε πολλῆς ποικιλίας καὶ ἀνομοιότητός τε καὶ διαφορᾶς γέμειν αὐτὸ πρὸς αὑτό.

Πῶς λέγεις; ἔφη.

Οὐ ῥᾴδιον, ἦν δ’ ἐγώ, ἀίδιον εἶναι σύνθετόν τε ἐκ πολλῶν καὶ μὴ τῇ καλλίστῃ κεχρημένον συνθέσει, ὡς νῦν ἡμῖν ἐφάνη ἡ ψυχή.

Οὔκουν εἰκός γε.

῞Οτι μὲν τοίνυν ἀθάνατον ψυχή, καὶ ὁ ἄρτι λόγος καὶ οἱ ἄλλοι ἀναγκάσειαν ἄν· οἷον δ’ ἐστὶν τῇ ἀληθείᾳ, οὐ λελωβημένον [611c] δεῖ αὐτὸ θεάσασθαι ὑπό τε τῆς τοῦ σώματος κοινωνίας καὶ ἄλλων κακῶν, ὥσπερ νῦν ἡμεῖς θεώμεθα, ἀλλ’ οἷόν ἐστιν καθαρὸν γιγνόμενον, τοιοῦτον ἱκανῶς λογισμῷ διαθεατέον, καὶ πολύ γε κάλλιον αὐτὸ εὑρήσει καὶ ἐναργέστερον δικαιοσύνας τε καὶ ἀδικίας διόψεται καὶ πάντα ἃ νῦν διήλθομεν. Νῦν δὲ εἴπομεν μὲν ἀληθῆ περὶ αὐτοῦ, οἷον ἐν τῷ παρόντι φαίνεται· τεθεάμεθα μέντοι διακείμενον αὐτό, ὥσπερ οἱ τὸν [611d] θαλάττιον Γλαῦκον ὁρῶντες οὐκ ἂν ἔτι ῥᾳδίως αὐτοῦ ἴδοιεν τὴν ἀρχαίαν φύσιν, ὑπὸ τοῦ τά τε παλαιὰ τοῦ σώματος μέρη τὰ μὲν ἐκκεκλάσθαι, τὰ δὲ συντετρῖφθαι καὶ πάντως λελωβῆσθαι ὑπὸ τῶν κυμάτων, ἄλλα δὲ προσπεφυκέναι, ὄστρεά τε καὶ φυκία καὶ πέτρας, ὥστε παντὶ μᾶλλον θηρίῳ ἐοικέναι ἢ οἷος ἦν φύσει, οὕτω καὶ τὴν ψυχὴν ἡμεῖς θεώμεθα διακειμένην ὑπὸ μυρίων κακῶν. λλὰ δεῖ, ὦ Γλαύκων, ἐκεῖσε βλέπειν.

Ποῖ; ἦ δ’ ὅς.

[611e] Εἰς τὴν φιλοσοφίαν αὐτῆς, καὶ ἐννοεῖν ὧν ἅπτεται καὶ οἵων ἐφίεται ὁμιλιῶν, ὡς συγγενὴς οὖσα τῷ τε θείῳ καὶ ἀθανάτῳ καὶ τῷ ἀεὶ ὄντι, καὶ οἵα ἂν γένοιτο τῷ τοιούτῳ πᾶσα ἐπισπομένη καὶ ὑπὸ ταύτης τῆς ὁρμῆς ἐκκομισθεῖσα ἐκ τοῦ πόντου ἐν ᾧ νῦν ἐστίν, καὶ περικρουσθεῖσα πέτρας [612a] τε καὶ ὄστρεα ἃ νῦν αὐτῇ, ἅτε γῆν ἑστιωμένῃ, γεηρὰ καὶ πετρώδη πολλὰ καὶ ἄγρια περιπέφυκεν ὑπὸ τῶν εὐδαιμόνων λεγομένων ἑστιάσεων. Καὶ τότ’ ἄν τις ἴδοι αὐτῆς τὴν ἀληθῆ φύσιν, εἴτε πολυειδὴς εἴτε μονοειδής, εἴτε ὅπῃ ἔχει καὶ ὅπως· νῦν δὲ τὰ ἐν τῷ ἀνθρωπίνῳ βίῳ πάθη τε καὶ εἴδη, ὡς ἐγᾦμαι, ἐπιεικῶς αὐτῆς διεληλύθαμεν.

Παντάπασι μὲν οὖν, ἔφη.

Οὐκοῦν, ἦν δ’ ἐγώ, τά τε ἄλλα ἀπελυσάμεθα ἐν τῷ λόγῳ, [612b] καὶ οὐ τοὺς μισθοὺς οὐδὲ τὰς δόξας δικαιοσύνης ἐπῃνέκαμεν, ὥσπερ ῾Ησίοδόν τε καὶ ῞Ομηρον ὑμεῖς ἔφατε, ἀλλ’ αὐτὸ δικαιοσύνην αὐτῇ ψυχῇ ἄριστον ηὕρομεν, καὶ ποιητέον εἶναι αὐτῇ τὰ δίκαια, ἐάντ’ ἔχῃ τὸν Γύγου δακτύλιον, ἐάντε μή, καὶ πρὸς τοιούτῳ δακτυλίῳ τὴν ῎Αιδος κυνῆν;
Ἀληθέστατα, ἔφη, λέγεις.

῏Αρ’ οὖν, ἦν δ’ ἐγώ, ὦ Γλαύκων, νῦν ἤδη ἀνεπίφθονόν ἐστιν πρὸς ἐκείνοις καὶ τοὺς μισθοὺς τῇ δικαιοσύνῃ καὶ τῇ [612c] ἄλλῃ ἀρετῇ ἀποδοῦναι, ὅσους τε καὶ οἵους τῇ ψυχῇ παρέχει παρ’ ἀνθρώπων τε καὶ θεῶν, ζῶντός τε ἔτι τοῦ ἀνθρώπου καὶ ἐπειδὰν τελευτήσῃ;

Παντάπασι μὲν οὖν, ἦ δ’ ὅς.

῏Αρ’ οὖν ἀποδώσετέ μοι ἃ ἐδανείσασθε ἐν τῷ λόγῳ;

Τί μάλιστα;

Chaque chose n’a-t-elle pas sou mal et son bien ? L’ophtalmie, [609a] par exemple, est le mal des yeux ; la maladie, celui de tout le corps ; la nielle est le mal du blé, la pourriture celui du bois, la rouille celui du fer et de l’airain ; en un mot, n’admets-tu pas comme moi que toute chose dans la nature a son mal et sa maladie particulière ?

Cela est vrai.

Ce mal ne gâte-t-il point la chose à laquelle il s’attache ? Ne finit-il point par la dissoudre et la ruiner totalement ?

Oui.

Ainsi chaque chose est détruite par le mal et par le principe de corruption qu’elle porte en elle ; de sorte que si ce mal n’a pas la force de la détruire, [609b] il n’est rien qui soit capable de le faire. Car le bien ne peut produire cet effet à l’égard de quoi que ce soit, non plus que ce qui n’est ni un bien ni un mal.

Comment cela pourrait-il être ?

268 Si donc nous trouvons dans la nature une chose que son mal rend à la vérité mauvaise, mais qu’il ne saurait dissoudre pour la détruire, dès ce moment, ne pourrons-nous pas assurer de cette chose qu’elle ne peut périr ?

Il y a toute apparence.

Mais quoi ! n’est-il rien qui rende l’âme mauvaise ?

Oui, certes ; ce sont les vices dont nous avons fait mention, l’injustice, [609c] l’intempérance, la lâcheté, l’ignorance.

Y a-t-il un seul de ces vices qui puisse la faire périr par dissolution ? Prends garde que nous ne tombions dans l’erreur, en nous imaginant que, quand l’homme injuste et insensé est condamné à mort pour son injustice, sa mort soit l’effet de l’injustice, qui est le mal de son âme. Considère plutôt la chose de cette manière. N’est-il pas vrai que la maladie, qui est le vice naturel du corps, le mine peu à peu, le détruit, et le réduit au point qu’il n’a plus la forme de corps : que toutes les autres choses [609d] dont nous avons parlé ont leur mal propre qui s’attache à elles, les corrompt par le séjour qu’il y fait, et les amène au point de n’être plus ce qu’elles étaient ?

Oui.

Hé bien, fais l’application de ceci à l’âme. Est- 269 il vrai que l’injustice et les autres vices, venant à se loger chez elle et à s’y fixer, la corrompent, la ruinent, jusqu’à ce qu’ils la conduisent à la mort et la séparent d’avec le corps ?

Nullement.

D’un autre côté, il serait contre toute raison de dire qu’un mal étranger détruit une chose que son propre mal ne peut détruire.

Je l’avoue.

[609e] Fais en effet attention, mon cher Glaucon, qu’à l’égard même du corps, nous ne pensons pas que sa destruction puisse être l’effet immédiat du vice propre des aliments, comme la moisissure, la trop grande ancienneté, ou tout autre vice. Mais si la mauvaise nourriture engendre dans le corps le mal qui lui est propre, nous dirons qu’à l’occasion de la nourriture, le corps a été ruiné par la maladie, qui est proprement son mal ; [610a] et jamais nous ne prétendrons que les aliments, qui sont d’une nature différente de celle du corps, aient par leur mauvaise qualité la vertu de le détruire, à moins que ce mal étranger ne fasse naître en lui le mal qui lui est propre.

Très bien.

Par la même raison, à moins que la maladie du corps n’engendre celle de l’âme, ne disons jamais que celle-ci, qui ne participe pas du mal 270 de l’autre, puisse périr par un mal étranger, sans l’intervention du mal qui lui est propre.

Rien n’est plus raisonnable.

Ainsi, établissons la fausseté de cette démonstration, ou [610b] tant qu’elle demeurera entière, gardons-nous bien de dire que ni la fièvre, ni aucune autre espèce de maladie, ni le fer, ni quoi que ce soit, le corps en dût-il être haché par morceaux, puisse en aucune façon causer la ruine de l’âme ; à moins qu’on ne nous fasse voir que l’effet de ces accidents du corps est de rendre l’âme plus injuste et plus impie. Et ne souffrons pas qu’on dise [610c] que ni l’âme, ni quelque autre substance que ce soit, périt par le mal qui survient à une substance de nature différente, si le mal qui lui est propre ne vient à s’y joindre.

Or, Socrate, jamais personne ne nous montrera que les âmes de ceux qui meurent deviennent plus injustes par la seule raison qu’ils meurent.

Si quelqu’un néanmoins était assez hardi pour combattre ce que nous venons de dire, et pour soutenir que la mort rend l’homme plus méchant et plus injuste, afin de n’être pas obligé de reconnaître l’immortalité de l’âme, nous conclurions que, si ce qu’il dit est vrai, l’injustice conduit naturellement à la mort comme la maladie, [610d] qu’elle tue par une force qui est en elle, et que ceux qui lui donnent entrée dans leur  271 âme, meurent plus ou moins promptement selon qu’ils sont plus ou moins médians ; ce qui est contraire à l’expérience de tous les jours, laquelle nous montre que ce n’est pas la justice mais les supplices auxquels on les condamne, qui font mourir les méchants.

Certainement, Socrate, si l’injustice était capable en soi de donner la mort aux méchants, ce ne serait plus une chose si terrible ; car ce serait un remède à tous les maux. Je pense au contraire qu’évidemment elle tue [610e] les autres, autant qu’il est en elle, tandis qu’elle conserve plein de vie, et de plus bien éveillé, celui en qui elle fait sa demeure ; tant elle est éloignée de lui donner la mort.

Tu dis bien. Car si la perversité propre de l’âme, si son propre mal ne peut la tuer et la détruire, il est impossible qu’un mal, destiné par sa nature à la destruction d’une autre substance, fasse périr ni l’âme ni toute autre chose que celle sur qui il doit produire naturellement cet effet.

Impossible, ce me semble.

Mais il est évident qu’une chose qui ne peut périr, ni par son propre mal, ni [611a] par un mal étranger à elle, doit nécessairement exister toujours, et que, si elle existe toujours, elle est immortelle.

272 Oui.

Posons donc cela comme un principe incontestable. Or, s’il en est ainsi, tu conçois que ces mêmes âmes doivent toujours exister ; car puisque aucune d’elles ne périt, leur nombre ne saurait diminuer : et il ne peut pas non plus augmenter ; car si le nombre des êtres immortels devenait plus grand, tu n’ignores pas (06) qu’ils se formeraient de ce qui était mortel, et que toutes choses finiraient ainsi par être immortelles.

Il est vrai.

Or, c’est ce que la raison [611b] ne nous permet pas de croire, non plus que de penser que notre âme, considérée dans le fond même de son être, soit d’une nature composée, pleine de dissemblance et de diversité.

Comment dis-tu ?

Il est difficile que ce qui résulte de l’assemblage de plusieurs parties soit éternel, à moins que la composition n’en soit aussi parfaite que vient de nous paraître celle de l’âme.

En effet, cela n’est pas vraisemblable.

Les raisons que nous venons d’alléguer, et bien d’autres (07),démontrent donc invinciblement 273 l’immortalité de l’âme. Mais pour bien connaître sa véritable nature, on ne doit [611c] pas la considérer, comme nous faisons, dans l’état de dégradation où la mettent son union avec le corps et d’autres maux ; il faut la contempler attentivement des yeux de l’esprit, telle qu’elle est en elle-même, dégagée de tout ce qui lui est étranger. Alors on verra qu’elle est infiniment plus belle : on connaîtra plus distinctement la nature delà justice et de l’injustice, et des autres choses dont nous avons parlé. Tout ce que nous avons dit de l’âme est vrai par rapport à son état présent. Mais comme que ceux qui verraient Glaucus le Marin (8) [611d], auraient peine à reconnaître sa première forme, parce que les anciennes parties de son corps ont été les unes brisées, les autres usées, et totalement défigurées par les flots, et qu’il s’en est formé de nouvelles de coquillages, d’herbes marines et de cailloux ; de sorte qu’il ressemble plutôt à un monstre qu’à un homme tel qu’il était auparavant ; ainsi l’âme s’offre à nos regards défigurée par mille maux. Mais, mon cher Glaucon, voici par quel endroit il convient de la regarder.

274 Par où ?

[611e] Par son goût pour la vérité. Il faut considérer à quelles choses elle s’attache, quels commerces elle recherche, comme étant par sa nature de la même famille que ce qui est divin, immortel, impérissable ; il faut considérer ce qu’elle peut devenir, lorsque se livrant tout entière à cette poursuite, elle s’élève par ce noble élan du fond des flots qui la couvrent aujourd’hui, et se débarrasse des cailloux [612a] et des coquillages qu’amasse autour d’elle la vase dont elle se nourrit, croûte épaisse et grossière de terre et de sable qu’elle doit à ces bienheureux festins, comme on les appelle. Un tel spectacle ferait bien connaître la vraie nature de l’âme, si elle est simple ou composée ; en un mot, quelle est son essence. Quant à présent, du moins, nous avons assez bien expliqué, ce me semble, les passions et les diverses inclinations de l’âme, telles qu’elles apparaissent dans la vie actuelle.

Je le crois.

Or, de la manière dont nous avons raisonné, n’avons-nous pas dépouillé la justice [612b] de tout ce qui lui est accessoire, et écarté les récompenses et les honneurs que vous lui avez attribués sur la foi d’Homère et d’Hésiode ? N’avons-nous pas démontré que la justice est par elle-même le 275 grand bien de l’âme, que celle-ci doit accomplir ce qui est juste, soit qu’elle dispose ou non de l’anneau de Gygès (9), et si l’on veut encore, outre cela, du casque de Pluton (10) ?

Tu dis très vrai.

On ne peut donc pas trouver mauvais, mon cher Glaucon, de nous voir maintenant restituer à la justice [612c] et aux autres vertus, indépendamment de ces avantages qui leur sont propres, les récompenses que les hommes et les dieux y ont attachées et pendant la vie et après la mort.

Non, certes.

Mais vous, ne me rendez-vous pas les concessions que vous m’avez demandées (11) ?

Quoi donc ?

῎Εδωκα ὑμῖν τὸν δίκαιον δοκεῖν ἄδικον εἶναι καὶ τὸν ἄδικον δίκαιον· ὑμεῖς γὰρ ᾐτεῖσθε, κἂν εἰ μὴ δυνατὸν εἴη ταῦτα λανθάνειν καὶ θεοὺς καὶ ἀνθρώπους, ὅμως δοτέον εἶναι τοῦ λόγου ἕνεκα, ἵνα αὐτὴ δικαιοσύνη πρὸς ἀδικίαν αὐτὴν [612d] κριθείη. οὐ μνημονεύεις;

Ἀδικοίην μεντἄν, ἔφη, εἰ μή.

Ἐπειδὴ τοίνυν, ἦν δ’ ἐγώ, κεκριμέναι εἰσί, πάλιν ἀπαιτῶ ὑπὲρ δικαιοσύνης, ὥσπερ ἔχει δόξης καὶ παρὰ θεῶν καὶ παρ’ ἀνθρώπων, καὶ ἡμᾶς ὁμολογεῖν περὶ αὐτῆς δοκεῖσθαι οὕτω, ἵνα καὶ τὰ νικητήρια κομίσηται, ἀπὸ τοῦ δοκεῖν κτωμένη ἃ δίδωσι τοῖς ἔχουσιν αὐτήν, ἐπειδὴ καὶ τὰ ἀπὸ τοῦ εἶναι ἀγαθὰ διδοῦσα ἐφάνη καὶ οὐκ ἐξαπατῶσα τοὺς τῷ ὄντι λαμβάνοντας αὐτήν.

[612e] Δίκαια, ἔφη, αἰτῇ.

Οὐκοῦν, ἦν δ’ ἐγώ, πρῶτον μὲν τοῦτο ἀποδώσετε, ὅτι θεούς γε οὐ λανθάνει ἑκάτερος αὐτῶν οἷός ἐστιν;

Ἀποδώσομεν, ἔφη.

Εἰ δὲ μὴ λανθάνετον, ὁ μὲν θεοφιλὴς ἂν εἴη, ὁ δὲ θεομισής, ὥσπερ καὶ κατ’ ἀρχὰς ὡμολογοῦμεν.

῎Εστι ταῦτα.

Τῷ δὲ θεοφιλεῖ οὐχ ὁμολογήσομεν, ὅσα γε ἀπὸ θεῶν [613a] γίγνεται, πάντα γίγνεσθαι ὡς οἷόν τε ἄριστα, εἰ μή τι ἀναγκαῖον αὐτῷ κακὸν ἐκ προτέρας ἁμαρτίας ὑπῆρχεν;

Πάνυ μὲν οὖν.

Οὕτως ἄρα ὑποληπτέον περὶ τοῦ δικαίου ἀνδρός, ἐάντ’ ἐν πενίᾳ γίγνηται ἐάντ’ ἐν νόσοις ἤ τινι ἄλλῳ τῶν δοκούντων κακῶν, ὡς τούτῳ ταῦτα εἰς ἀγαθόν τι τελευτήσει ζῶντι ἢ καὶ ἀποθανόντι. Οὐ γὰρ δὴ ὑπό γε θεῶν ποτε ἀμελεῖται ὃς ἂν προθυμεῖσθαι ἐθέλῃ δίκαιος γίγνεσθαι καὶ ἐπιτηδεύων [613b] ἀρετὴν εἰς ὅσον δυνατὸν ἀνθρώπῳ ὁμοιοῦσθαι θεῷ.

Εἰκός γ’, ἔφη, τὸν τοιοῦτον μὴ ἀμελεῖσθαι ὑπὸ τοῦ ὁμοίου.

Οὐκοῦν περὶ τοῦ ἀδίκου τἀναντία τούτων δεῖ διανοεῖσθαι;

Σφόδρα γε.

Τὰ μὲν δὴ παρὰ θεῶν τοιαῦτ’ ἄττ’ ἂν εἴη νικητήρια τῷ δικαίῳ.

Κατὰ γοῦν ἐμὴν δόξαν, ἔφη.

Τί δέ, ἦν δ’ ἐγώ, παρ’ ἀνθρώπων; ἆρ’ οὐχ ὧδε ἔχει, εἰ δεῖ τὸ ὂν τιθέναι; οὐχ οἱ μὲν δεινοί τε καὶ ἄδικοι δρῶσιν ὅπερ οἱ δρομῆς ὅσοι ἂν θέωσιν εὖ ἀπὸ τῶν κάτω, ἀπὸ δὲ τῶν ἄνω μή; τὸ μὲν πρῶτον ὀξέως ἀποπηδῶσιν, τελευτῶντες [613c] δὲ καταγέλαστοι γίγνονται, τὰ ὦτα ἐπὶ τῶν ὤμων ἔχοντες καὶ ἀστεφάνωτοι ἀποτρέχοντες· οἱ δὲ τῇ ἀληθείᾳ δρομικοὶ εἰς τέλος ἐλθόντες τά τε ἆθλα λαμβάνουσιν καὶ στεφανοῦνται. οὐχ οὕτω καὶ περὶ τῶν δικαίων τὸ πολὺ συμβαίνει; πρὸς τὸ τέλος ἑκάστης πράξεως καὶ ὁμιλίας καὶ τοῦ βίου εὐδοκιμοῦσί τε καὶ τὰ ἆθλα παρὰ τῶν ἀνθρώπων φέρονται;

Καὶ μάλα.

Ἀνέξῃ ἄρα λέγοντος ἐμοῦ περὶ τούτων ἅπερ αὐτὸς ἔλεγες [613d] περὶ τῶν ἀδίκων; ἐρῶ γὰρ δὴ ὅτι οἱ μὲν δίκαιοι, ἐπειδὰν πρεσβύτεροι γένωνται, ἐν τῇ αὑτῶν πόλει ἄρχουσί τε ἂν βούλωνται τὰς ἀρχάς, γαμοῦσί τε ὁπόθεν ἂν βούλωνται, ἐκδιδόασί τε εἰς οὓς ἂν ἐθέλωσι· καὶ πάντα ἃ σὺ περὶ ἐκείνων, ἐγὼ νῦν λέγω περὶ τῶνδε. Καὶ αὖ καὶ περὶ τῶν ἀδίκων, ὅτι οἱ πολλοὶ αὐτῶν, καὶ ἐὰν νέοι ὄντες λάθωσιν, ἐπὶ τέλους τοῦ δρόμου αἱρεθέντες καταγέλαστοί εἰσιν καὶ γέροντες γιγνόμενοι ἄθλιοι προπηλακίζονται ὑπὸ ξένων τε [613e] καὶ ἀστῶν, μαστιγούμενοι καὶ ἃ ἄγροικα ἔφησθα σὺ εἶναι, ἀληθῆ λέγων—εἶτα στρεβλώσονται καὶ ἐκκαυθήσονται— πάντα ἐκεῖνα οἴου καὶ ἐμοῦ ἀκηκοέναι ὡς πάσχουσιν. λλ’ ὃ λέγω, ὅρα εἰ ἀνέξῃ.

Καὶ πάνυ, ἔφη· δίκαια γὰρ λέγεις.

῝Α μὲν τοίνυν, ἦν δ’ ἐγώ, ζῶντι τῷ δικαίῳ παρὰ θεῶν τε [614a] καὶ ἀνθρώπων ἆθλά τε καὶ μισθοὶ καὶ δῶρα γίγνεται πρὸς ἐκείνοις τοῖς ἀγαθοῖς οἷς αὐτὴ παρείχετο ἡ δικαιοσύνη, τοιαῦτ’ ἂν εἴη.

Καὶ μάλ’, ἔφη, καλά τε καὶ βέβαια.

Ταῦτα τοίνυν, ἦν δ’ ἐγώ, οὐδέν ἐστι πλήθει οὐδὲ μεγέθει πρὸς ἐκεῖνα ἃ τελευτήσαντα ἑκάτερον περιμένει· χρὴ δ’ αὐτὰ ἀκοῦσαι, ἵνα τελέως ἑκάτερος αὐτῶν ἀπειλήφῃ τὰ ὑπὸ τοῦ λόγου ὀφειλόμενα ἀκοῦσαι.

[614b] Λέγοις ἄν, ἔφη, ὡς οὐ πολλὰ ἄλλ’ ἥδιον ἀκούοντι.

J’ai bien voulu vous accorder que l’homme juste peut passer pour méchant, et l’homme méchant pour juste. Vous avez cru qu’on devait vous accorder ce point dans l’intérêt de votre recherche, quand même il serait impossible de tromper en cela les hommes et les dieux, pour qu’on pût apprécier nettement la justice et [612d] l’in- 276 justice, prises l’une et l’autre en elles-mêmes. Ne t’en souviens-tu pas ?

J’aurais grand tort de ne pas m’en souvenir.

Puisque les voilà appréciées, je vous somme, au nom de la justice, de reconnaître vous-même tout le cas que font d’elle les dieux et les hommes, afin qu’elle remporte aussi les prix de l’opinion et les distribue à ses partisans, après qu’il a été démontré qu’elle donne déjà les biens réels et ne trompe pas ceux qui l’embrassent sincèrement.

[612e] Tu ne demandes rien que de juste.

Vous allez donc d’abord me rendre ce point, savoir, que les dieux, du moins, ne se méprennent pas sur ce que sont les deux espèces d’hommes en question.

Soit, nous te le rendrons.

S’il en est ainsi, nous reconnaîtrons que l’un est chéri, l’autre haï des dieux, comme nous en sommes convenus dès le commencement.

Cela est vrai.

Ne conviendrons - nous pas ensemble que l’homme chéri des dieux [613a] n’a de leur part du moins que des biens à attendre, sauf quelque mal nécessaire que lui attirent les fautes de sa vie passée ?

Sans contredit.

Il faut donc reconnaître, à l’égard de l’homme 277 juste, que, soit qu’il se trouve indigent ou malade, ou dans quelque autre situation regardée comme malheureuse, ces maux prétendus tourneront à son avantage durant sa vie ou après sa mort. Les dieux en effet ne sauraient négliger quiconque s’efforce de devenir juste et de se rendre par la pratique [613b] de la vertu aussi semblable à la divinité qu’il a été donné à l’homme.

Il n’est pas naturel qu’un homme de ce caractère soit négligé de l’être auquel il ressemble.

Et ne faut-il pas penser tout le contraire de l’homme injuste ?

Sans doute.

Ainsi, du côté des dieux, les fruits de la victoire demeurent au juste.

Du moins c’est mon sentiment.

Et de la part des hommes, n’est-ce pas ainsi que les choses se passent, puisque enfin il faut dire la vérité ? N’arrive-t-il pas aux fourbes et aux scélérats la même chose qu’à ces athlètes, qui courent fort bien en partant de la barrière, mais non pas lorsqu’il faut y revenir ? Ils s’élancent d’abord avec rapidité ; mais sur la fin de la course [613c] ils deviennent un sujet de risée, lorsqu’on les voit, les oreilles entre les épaules, se retirer précipitamment sans être couronnés ; au lieu que les véritables coureurs arrivent au but, remportent le prix et reçoivent la couronne. Les 278 justes n’ont-ils pas d’ordinaire le même sort ? n’est-il pas vrai qu’arrivés au terme de chacune de leurs entreprises, de leur conduite et de leur vie, ils acquièrent une bonne renommée et obtiennent des hommes les récompenses qui leur sont dues ?

Tu as raison.

Tu souffriras donc que j’applique aux justes ce que toi-même tu as dit [613d] des méchants (12). Je prétends que les justes, lorsqu’ils sont dans l’âge mûr, parviennent dans la société où ils vivent à toutes les dignités auxquelles ils aspirent, qu’ils font à leur choix des alliances pour eux et pour leurs enfants: en un mot, tout ce que tu as dit de ceux-là, je le dis de ceux-ci. Quant aux méchants, je soutiens, que quand même dans leur jeunesse ils auraient caché ce qu’ils sont, la plupart d’entre eux se trahissent et se couvrent de ridicule à la fin de leur carrière ; que devenus malheureux dans leur vieillesse, ils sont abreuvés d’outrages par les étrangers [613e] et leurs concitoyens, frappés à coups de fouet, mis à la torture, brûlés avec des fers chauds, pour me servir des expressions que tu trouvais un peu fortes, mais qui sont vraies : en un mot, suppose que je te décrive à mon tour les sup- 279 plices qu’ils ont à subir. Vois si tu veux m’accorder cela.

Très volontiers ; car tu ne dis rien que de raisonnable.

Tels sont donc les prix, le salaire, les récompenses que le juste reçoit pendant la vie de la part des hommes [614a] et des dieux, outre les biens qu’il trouve dans la pratique même de la justice.

Ce sont de belles et solides récompenses.

Mais tous ces résultats ne sont rien ni pour le nombre ni pour la grandeur, en comparaison des biens et des maux réservés dans l’autre vie à la vertu et au vice. C’est ce qu’il nous faut entendre, afin que le juste et le méchant remportent l’un et l’autre de cet entretien tout ce qu’il leur appartient d’y trouver.

[614b] Fais-nous ce récit ; il est bien peu de choses que je sois aussi curieux d’entendre.

Ἀλλ’ οὐ μέντοι σοι, ἦν δ’ ἐγώ, Ἀλκίνου γε ἀπόλογον ἐρῶ, ἀλλ’ ἀλκίμου μὲν ἀνδρός, ᾿Ηρὸς τοῦ Ἀρμενίου, τὸ γένος Παμφύλου· ὅς ποτε ἐν πολέμῳ τελευτήσας, ἀναιρεθέντων δεκαταίων τῶν νεκρῶν ἤδη διεφθαρμένων, ὑγιὴς μὲν ἀνῃρέθη, κομισθεὶς δ’ οἴκαδε μέλλων θάπτεσθαι δωδεκαταῖος ἐπὶ τῇ πυρᾷ κείμενος ἀνεβίω, ἀναβιοὺς δ’ ἔλεγεν ἃ ἐκεῖ ἴδοι. φη δέ, ἐπειδὴ οὗ ἐκβῆναι, τὴν ψυχὴν πορεύεσθαι [614c] μετὰ πολλῶν, καὶ ἀφικνεῖσθαι σφᾶς εἰς τόπον τινὰ δαιμόνιον, ἐν ᾧ τῆς τε γῆς δύ’ εἶναι χάσματα ἐχομένω ἀλλήλοιν καὶ τοῦ οὐρανοῦ αὖ ἐν τῷ ἄνω ἄλλα καταντικρύ. Δικαστὰς δὲ μεταξὺ τούτων καθῆσθαι, οὕς, ἐπειδὴ διαδικάσειαν, τοὺς μὲν δικαίους κελεύειν πορεύεσθαι τὴν εἰς δεξιάν τε καὶ ἄνω διὰ τοῦ οὐρανοῦ, σημεῖα περιάψαντας τῶν δεδικασμένων ἐν τῷ πρόσθεν, τοὺς δὲ ἀδίκους τὴν εἰς ἀριστεράν τε καὶ κάτω, ἔχοντας καὶ τούτους ἐν τῷ ὄπισθεν σημεῖα πάντων ὧν [614d] ἔπραξαν. αυτοῦ δὲ προσελθόντος εἰπεῖν ὅτι δέοι αὐτὸν ἄγγελον ἀνθρώποις γενέσθαι τῶν ἐκεῖ καὶ διακελεύοιντό οἱ ἀκούειν τε καὶ θεᾶσθαι πάντα τὰ ἐν τῷ τόπῳ. ρᾶν δὴ ταύτῃ μὲν καθ’ ἑκάτερον τὸ χάσμα τοῦ οὐρανοῦ τε καὶ τῆς γῆς ἀπιούσας τὰς ψυχάς, ἐπειδὴ αὐταῖς δικασθείη, κατὰ δὲ τὼ ἑτέρω ἐκ μὲν τοῦ ἀνιέναι ἐκ τῆς γῆς μεστὰς αὐχμοῦ τε καὶ κόνεως, ἐκ δὲ τοῦ ἑτέρου καταβαίνειν ἑτέρας ἐκ τοῦ [614e] οὐρανοῦ καθαράς. Καὶ τὰς ἀεὶ ἀφικνουμένας ὥσπερ ἐκ πολλῆς πορείας φαίνεσθαι ἥκειν, καὶ ἁσμένας εἰς τὸν λειμῶνα ἀπιούσας οἷον ἐν πανηγύρει κατασκηνᾶσθαι, καὶ ἀσπάζεσθαί τε ἀλλήλας ὅσαι γνώριμαι, καὶ πυνθάνεσθαι τάς τε ἐκ τῆς γῆς ἡκούσας παρὰ τῶν ἑτέρων τὰ ἐκεῖ καὶ τὰς ἐκ τοῦ οὐρανοῦ τὰ παρ’ ἐκείναις. Διηγεῖσθαι δὲ ἀλλήλαις τὰς [615a] μὲν ὀδυρομένας τε καὶ κλαούσας, ἀναμιμνῃσκομένας ὅσα τε καὶ οἷα πάθοιεν καὶ ἴδοιεν ἐν τῇ ὑπὸ γῆς πορείᾳ — εἶναι δὲ τὴν πορείαν χιλιέτη —τ ὰς δ’ αὖ ἐκ τοῦ οὐρανοῦ εὐπαθείας διηγεῖσθαι καὶ θέας ἀμηχάνους τὸ κάλλος. Τὰ μὲν οὖν πολλά, ὦ Γλαύκων, πολλοῦ χρόνου διηγήσασθαι· τὸ δ’ οὖν κεφάλαιον ἔφη τόδε εἶναι, ὅσα πώποτέ τινα ἠδίκησαν καὶ ὅσους ἕκαστοι, ὑπὲρ ἁπάντων δίκην δεδωκέναι ἐν μέρει, ὑπὲρ ἑκάστου δεκάκις —τοῦτο δ’ εἶναι κατὰ ἑκατονταετηρίδα [615b] ἑκάστην, ὡς βίου ὄντος τοσούτου τοῦ ἀνθρωπίνου—ἵνα δεκαπλάσιον τὸ ἔκτεισμα τοῦ ἀδικήματος ἐκτίνοιεν, καὶ οἷον εἴ τινες πολλοῖς θανάτων ἦσαν αἴτιοι, ἢ πόλεις προδόντες ἢ στρατόπεδα, καὶ εἰς δουλείας ἐμβεβληκότες ἤ τινος ἄλλης κακουχίας μεταίτιοι, πάντων τούτων δεκαπλασίας ἀλγηδόνας ὑπὲρ ἑκάστου κομίσαιντο, καὶ αὖ εἴ τινας εὐεργεσίας εὐεργετηκότες καὶ δίκαιοι καὶ ὅσιοι γεγονότες εἶεν, κατὰ ταὐτὰ [615c] τὴν ἀξίαν κομίζοιντο. Τῶν δὲ εὐθὺς γενομένων καὶ ὀλίγον χρόνον βιούντων πέρι ἄλλα ἔλεγεν οὐκ ἄξια μνήμης. Εἰς δὲ θεοὺς ἀσεβείας τε καὶ εὐσεβείας καὶ γονέας καὶ αὐτόχειρος φόνου μείζους ἔτι τοὺς μισθοὺς διηγεῖτο. ῎Εφη γὰρ δὴ παραγενέσθαι ἐρωτωμένῳ ἑτέρῳ ὑπὸ ἑτέρου ὅπου εἴη Ἀρδιαῖος ὁ μέγας. δὲ Ἀρδιαῖος οὗτος τῆς Παμφυλίας ἔν τινι πόλει τύραννος ἐγεγόνει, ἤδη χιλιοστὸν ἔτος εἰς ἐκεῖνον τὸν χρόνον, γέροντά τε πατέρα ἀποκτείνας [615d] καὶ πρεσβύτερον ἀδελφόν, καὶ ἄλλα δὴ πολλά τε καὶ ἀνόσια εἰργασμένος, ὡς ἐλέγετο. φη οὖν τὸν ἐρωτώμενον εἰπεῖν, “Οὐχ ἥκει,” φάναι, “οὐδ’ ἂν ἥξει δεῦρο. θεασάμεθα γὰρ οὖν δὴ καὶ τοῦτο τῶν δεινῶν θεαμάτων· ἐπειδὴ ἐγγὺς τοῦ στομίου ἦμεν μέλλοντες ἀνιέναι καὶ τἆλλα πάντα πεπονθότες, ἐκεῖνόν τε κατείδομεν ἐξαίφνης καὶ ἄλλους — σχεδόν τι αὐτῶν τοὺς πλείστους τυράννους· ἦσαν δὲ καὶ ἰδιῶταί τινες τῶν [615e] μεγάλα ἡμαρτηκότων — οὓς οἰομένους ἤδη ἀναβήσεσθαι οὐκ ἐδέχετο τὸ στόμιον, ἀλλ’ ἐμυκᾶτο ὁπότε τις τῶν οὕτως ἀνιάτως ἐχόντων εἰς πονηρίαν ἢ μὴ ἱκανῶς δεδωκὼς δίκην ἐπιχειροῖ ἀνιέναι. νταῦθα δὴ ἄνδρες, ἔφη, ἄγριοι, διάπυροι ἰδεῖν, παρεστῶτες καὶ καταμανθάνοντες τὸ φθέγμα, τοὺς μὲν διαλαβόντες ἦγον, τὸν δὲ Ἀρδιαῖον καὶ ἄλλους συμποδίσαντες [616a] χεῖράς τε καὶ πόδας καὶ κεφαλήν, καταβαλόντες καὶ ἐκδείραντες, εἷλκον παρὰ τὴν ὁδὸν ἐκτὸς ἐπ’ ἀσπαλάθων κνάμπτοντες, καὶ τοῖς ἀεὶ παριοῦσι σημαίνοντες ὧν ἕνεκά τε καὶ ὅτι εἰς τὸν Τάρταρον ἐμπεσούμενοι ἄγοιντο.” νθα δὴ φόβων, ἔφη, πολλῶν καὶ παντοδαπῶν σφίσι γεγονότων, τοῦτον ὑπερβάλλειν, μὴ γένοιτο ἑκάστῳ τὸ φθέγμα ὅτε ἀναβαίνοι, καὶ ἁσμενέστατα ἕκαστον σιγήσαντος ἀναβῆναι. Καὶ τὰς μὲν δὴ δίκας τε καὶ τιμωρίας τοιαύτας τινὰς [616b] εἶναι, καὶ αὖ τὰς εὐεργεσίας ταύταις ἀντιστρόφους. πειδὴ δὲ τοῖς ἐν τῷ λειμῶνι ἑκάστοις ἑπτὰ ἡμέραι γένοιντο, ἀναστάντας ἐντεῦθεν δεῖν τῇ ὀγδόῃ πορεύεσθαι, καὶ ἀφικνεῖσθαι τεταρταίους ὅθεν καθορᾶν ἄνωθεν διὰ παντὸς τοῦ οὐρανοῦ καὶ γῆς τεταμένον φῶς εὐθύ, οἷον κίονα, μάλιστα τῇ ἴριδι προσφερῆ, λαμπρότερον δὲ καὶ καθαρώτερον· εἰς ὃ ἀφικέσθαι προελθόντες ἡμερησίαν ὁδόν, καὶ ἰδεῖν αὐτόθι κατὰ [616c] μέσον τὸ φῶς ἐκ τοῦ οὐρανοῦ τὰ ἄκρα αὐτοῦ τῶν δεσμῶν τεταμένα — εἶναι γὰρ τοῦτο τὸ φῶς σύνδεσμον τοῦ οὐρανοῦ, οἷον τὰ ὑποζώματα τῶν τριήρων, οὕτω πᾶσαν συνέχον τὴν περιφοράν — ἐκ δὲ τῶν ἄκρων τεταμένον Ἀνάγκης ἄτρακτον, δι’ οὗ πάσας ἐπιστρέφεσθαι τὰς περιφοράς· οὗ τὴν μὲν ἠλακάτην τε καὶ τὸ ἄγκιστρον εἶναι ἐξ ἀδάμαντος, τὸν δὲ σφόνδυλον μεικτὸν ἔκ τε τούτου καὶ ἄλλων γενῶν. Τὴν δὲ [616d] τοῦ σφονδύλου φύσιν εἶναι τοιάνδε· τὸ μὲν σχῆμα οἵαπερ ἡ τοῦ ἐνθάδε, νοῆσαι δὲ δεῖ ἐξ ὧν ἔλεγεν τοιόνδε αὐτὸν εἶναι, ὥσπερ ἂν εἰ ἐν ἑνὶ μεγάλῳ σφονδύλῳ κοίλῳ καὶ ἐξεγλυμμένῳ διαμπερὲς ἄλλος τοιοῦτος ἐλάττων ἐγκέοιτο ἁρμόττων, καθάπερ οἱ κάδοι οἱ εἰς ἀλλήλους ἁρμόττοντες, καὶ οὕτω δὴ τρίτον ἄλλον καὶ τέταρτον καὶ ἄλλους τέτταρας. κτὼ γὰρ εἶναι τοὺς σύμπαντας σφονδύλους, ἐν ἀλλήλοις ἐγκειμένους, [616e] κύκλους ἄνωθεν τὰ χείλη φαίνοντας, νῶτον συνεχὲς ἑνὸς σφονδύλου ἀπεργαζομένους περὶ τὴν ἠλακάτην· ἐκείνην δὲ διὰ μέσου τοῦ ὀγδόου διαμπερὲς ἐληλάσθαι. Τὸν μὲν οὖν πρῶτόν τε καὶ ἐξωτάτω σφόνδυλον πλατύτατον τὸν τοῦ χείλους κύκλον ἔχειν, τὸν δὲ τοῦ ἕκτου δεύτερον, τρίτον δὲ τὸν τοῦ τετάρτου, τέταρτον δὲ τὸν τοῦ ὀγδόου, πέμπτον δὲ τὸν τοῦ ἑβδόμου, ἕκτον δὲ τὸν τοῦ πέμπτου, ἕβδομον δὲ τὸν τοῦ τρίτου, ὄγδοον δὲ τὸν τοῦ δευτέρου. Καὶ τὸν μὲν τοῦ μεγίστου ποικίλον, τὸν δὲ τοῦ ἑβδόμου λαμπρότατον, τὸν δὲ [617a] τοῦ ὀγδόου τὸ χρῶμα ἀπὸ τοῦ ἑβδόμου ἔχειν προσλάμποντος, τὸν δὲ τοῦ δευτέρου καὶ πέμπτου παραπλήσια ἀλλήλοις, ξανθότερα ἐκείνων, τρίτον δὲ λευκότατον χρῶμα ἔχειν, τέταρτον δὲ ὑπέρυθρον, δεύτερον δὲ λευκότητι τὸν ἕκτον. Κυκλεῖσθαι δὲ δὴ στρεφόμενον τὸν ἄτρακτον ὅλον μὲν τὴν αὐτὴν φοράν, ἐν δὲ τῷ ὅλῳ περιφερομένῳ τοὺς μὲν ἐντὸς ἑπτὰ κύκλους τὴν ἐναντίαν τῷ ὅλῳ ἠρέμα περιφέρεσθαι, αὐτῶν δὲ τούτων τάχιστα μὲν ἰέναι τὸν ὄγδοον, δευτέρους δὲ καὶ ἅμα [617b] ἀλλήλοις τόν τε ἕβδομον καὶ ἕκτον καὶ πέμπτον· [τὸν] τρίτον δὲ φορᾷ ἰέναι, ὡς σφίσι φαίνεσθαι, ἐπανακυκλούμενον τὸν τέταρτον, τέταρτον δὲ τὸν τρίτον καὶ πέμπτον τὸν δεύτερον. Στρέφεσθαι δὲ αὐτὸν ἐν τοῖς τῆς Ἀνάγκης γόνασιν. πὶ δὲ τῶν κύκλων αὐτοῦ ἄνωθεν ἐφ’ ἑκάστου βεβηκέναι Σειρῆνα συμπεριφερομένην, φωνὴν μίαν ἱεῖσαν, ἕνα τόνον· ἐκ πασῶν δὲ ὀκτὼ οὐσῶν μίαν ἁρμονίαν συμφωνεῖν. λλας δὲ καθημένας [617c]  πέριξ δι’ ἴσου τρεῖς, ἐν θρόνῳ ἑκάστην, θυγατέρας τῆς Ἀνάγκης, Μοίρας, λευχειμονούσας, στέμματα ἐπὶ τῶν κεφαλῶν ἐχούσας, Λάχεσίν τε καὶ Κλωθὼ καὶ ῎Ατροπον, ὑμνεῖν πρὸς τὴν τῶν Σειρήνων ἁρμονίαν, Λάχεσιν μὲν τὰ γεγονότα, Κλωθὼ δὲ τὰ ὄντα, ῎Ατροπον δὲ τὰ μέλλοντα. Καὶ τὴν μὲν Κλωθὼ τῇ δεξιᾷ χειρὶ ἐφαπτομένην συνεπιστρέφειν τοῦ ἀτράκτου τὴν ἔξω περιφοράν, διαλείπουσαν χρόνον, τὴν δὲ ῎Ατροπον τῇ ἀριστερᾷ τὰς ἐντὸς αὖ ὡσαύτως· τὴν δὲ Λάχεσιν [617d] ἐν μέρει ἑκατέρας ἑκατέρᾳ τῇ χειρὶ ἐφάπτεσθαι. Σφᾶς οὖν, ἐπειδὴ ἀφικέσθαι, εὐθὺς δεῖν ἰέναι πρὸς τὴν Λάχεσιν. Προφήτην οὖν τινα σφᾶς πρῶτον μὲν ἐν τάξει διαστῆσαι, ἔπειτα λαβόντα ἐκ τῶν τῆς Λαχέσεως γονάτων κλήρους τε καὶ βίων παραδείγματα, ἀναβάντα ἐπί τι βῆμα ὑψηλὸν εἰπεῖν—

Ἄνάγκης θυγατρὸς κόρης Λαχέσεως λόγος. Ψυχαὶ ἐφήμεροι, ἀρχὴ ἄλλης περιόδου θνητοῦ γένους θανατηφόρου. [617e] Οὐχ ὑμᾶς δαίμων λήξεται, ἀλλ’ ὑμεῖς δαίμονα αἱρήσεσθε. Πρῶτος δ’ ὁ λαχὼν πρῶτος αἱρείσθω βίον ᾧ συνέσται ἐξ ἀνάγκης. ρετὴ δὲ ἀδέσποτον, ἣν τιμῶν καὶ ἀτιμάζων πλέον καὶ ἔλαττον αὐτῆς ἕκαστος ἕξει. Αἰτία ἑλομένου· θεὸς ἀναίτιος.”

Ταῦτα εἰπόντα ῥῖψαι ἐπὶ πάντας τοὺς κλήρους, τὸν δὲ παρ’ αὑτὸν πεσόντα ἕκαστον ἀναιρεῖσθαι πλὴν οὗ, ἓ δὲ οὐκ ἐᾶν· τῷ δὲ ἀνελομένῳ δῆλον εἶναι ὁπόστος εἰλήχει. [618a] Μετὰ δὲ τοῦτο αὖθις τὰ τῶν βίων παραδείγματα εἰς τὸ πρόσθεν σφῶν θεῖναι ἐπὶ τὴν γῆν, πολὺ πλείω τῶν παρόντων. Εἶναι δὲ παντοδαπά· ζῴων τε γὰρ πάντων βίους καὶ δὴ καὶ τοὺς ἀνθρωπίνους ἅπαντας. Τυραννίδας τε γὰρ ἐν αὐτοῖς εἶναι, τὰς μὲν διατελεῖς, τὰς δὲ καὶ μεταξὺ διαφθειρομένας καὶ εἰς πενίας τε καὶ φυγὰς καὶ εἰς πτωχείας τελευτώσας· εἶναι δὲ καὶ δοκίμων ἀνδρῶν βίους, τοὺς μὲν ἐπὶ εἴδεσιν καὶ κατὰ κάλλη καὶ τὴν ἄλλην ἰσχύν [618b] τε καὶ ἀγωνίαν, τοὺς δ’ ἐπὶ γένεσιν καὶ προγόνων ἀρεταῖς, καὶ ἀδοκίμων κατὰ ταῦτα, ὡσαύτως δὲ καὶ γυναικῶν. Ψυχῆς δὲ τάξιν οὐκ ἐνεῖναι διὰ τὸ ἀναγκαίως ἔχειν ἄλλον ἑλομένην βίον ἀλλοίαν γίγνεσθαι· τὰ δ’ ἄλλα ἀλλήλοις τε καὶ πλούτοις καὶ πενίαις, τὰ δὲ νόσοις, τὰ δ’ ὑγιείαις μεμεῖχθαι, τὰ δὲ καὶ μεσοῦν τούτων. νθα δή, ὡς ἔοικεν, ὦ φίλε Γλαύκων, ὁ πᾶς κίνδυνος ἀνθρώπῳ, καὶ διὰ ταῦτα μάλιστα [618c] ἐπιμελητέον ὅπως ἕκαστος ἡμῶν τῶν ἄλλων μαθημάτων ἀμελήσας τούτου τοῦ μαθήματος καὶ ζητητὴς καὶ μαθητὴς ἔσται, ἐάν ποθεν οἷός τ’ ᾖ μαθεῖν καὶ ἐξευρεῖν τίς αὐτὸν ποιήσει δυνατὸν καὶ ἐπιστήμονα, βίον καὶ χρηστὸν καὶ πονηρὸν διαγιγνώσκοντα, τὸν βελτίω ἐκ τῶν δυνατῶν ἀεὶ πανταχοῦ αἱρεῖσθαι· ἀναλογιζόμενον πάντα τὰ νυνδὴ ῥηθέντα καὶ συντιθέμενα ἀλλήλοις καὶ διαιρούμενα πρὸς ἀρετὴν βίου πῶς ἔχει, εἰδέναι τί κάλλος πενίᾳ ἢ πλούτῳ κραθὲν καὶ [618d] μετὰ ποίας τινὸς ψυχῆς ἕξεως κακὸν ἢ ἀγαθὸν ἐργάζεται, καὶ τί εὐγένειαι καὶ δυσγένειαι καὶ ἰδιωτεῖαι καὶ ἀρχαὶ καὶ ἰσχύες καὶ ἀσθένειαι καὶ εὐμαθίαι καὶ δυσμαθίαι καὶ πάντα τὰ τοιαῦτα τῶν φύσει περὶ ψυχὴν ὄντων καὶ τῶν ἐπικτήτων τί συγκεραννύμενα πρὸς ἄλληλα ἐργάζεται, ὥστε ἐξ ἁπάντων αὐτῶν δυνατὸν εἶναι συλλογισάμενον αἱρεῖσθαι, πρὸς τὴν τῆς ψυχῆς φύσιν ἀποβλέποντα, τόν τε χείρω καὶ τὸν ἀμείνω [618e] βίον, χείρω μὲν καλοῦντα ὃς αὐτὴν ἐκεῖσε ἄξει, εἰς τὸ ἀδικωτέραν γίγνεσθαι, ἀμείνω δὲ ὅστις εἰς τὸ δικαιοτέραν. Τὰ δὲ ἄλλα πάντα χαίρειν ἐάσει· ἑωράκαμεν γὰρ ὅτι ζῶντί τε καὶ τελευτήσαντι αὕτη κρατίστη αἵρεσις. δαμαντίνως δὴ [619a] δεῖ ταύτην τὴν δόξαν ἔχοντα εἰς ῞Αιδου ἰέναι, ὅπως ἂν ᾖ καὶ ἐκεῖ ἀνέκπληκτος ὑπὸ πλούτων τε καὶ τῶν τοιούτων κακῶν, καὶ μὴ ἐμπεσὼν εἰς τυραννίδας καὶ ἄλλας τοιαύτας πράξεις πολλὰ μὲν ἐργάσηται καὶ ἀνήκεστα κακά, ἔτι δὲ αὐτὸς μείζω πάθῃ, ἀλλὰ γνῷ τὸν μέσον ἀεὶ τῶν τοιούτων βίον αἱρεῖσθαι καὶ φεύγειν τὰ ὑπερβάλλοντα ἑκατέρωσε καὶ ἐν τῷδε τῷ βίῳ κατὰ τὸ δυνατὸν καὶ ἐν παντὶ τῷ ἔπειτα· οὕτω γὰρ [619b] εὐδαιμονέστατος γίγνεται ἄνθρωπος.

Καὶ δὴ οὖν καὶ τότε ὁ ἐκεῖθεν ἄγγελος ἤγγελλε τὸν μὲν προφήτην οὕτως εἰπεῖν· “Καὶ τελευταίῳ ἐπιόντι, ξὺν νῷ ἑλομένῳ, συντόνως ζῶντι κεῖται βίος ἀγαπητός, οὐ κακός. Μήτε ὁ ἄρχων αἱρέσεως ἀμελείτω μήτε ὁ τελευτῶν ἀθυμείτω.”

Εἰπόντος δὲ ταῦτα τὸν πρῶτον λαχόντα ἔφη εὐθὺς ἐπιόντα τὴν μεγίστην τυραννίδα ἑλέσθαι, καὶ ὑπὸ ἀφροσύνης τε καὶ λαιμαργίας οὐ πάντα ἱκανῶς ἀνασκεψάμενον ἑλέσθαι, ἀλλ’ [619c] αὐτὸν λαθεῖν ἐνοῦσαν εἱμαρμένην παίδων αὑτοῦ βρώσεις καὶ ἄλλα κακά· ἐπειδὴ δὲ κατὰ σχολὴν σκέψασθαι, κόπτεσθαί τε καὶ ὀδύρεσθαι τὴν αἵρεσιν, οὐκ ἐμμένοντα τοῖς προρρηθεῖσιν ὑπὸ τοῦ προφήτου· οὐ γὰρ ἑαυτὸν αἰτιᾶσθαι τῶν κακῶν, ἀλλὰ τύχην τε καὶ δαίμονας καὶ πάντα μᾶλλον ἀνθ’ ἑαυτοῦ. Εἶναι δὲ αὐτὸν τῶν ἐκ τοῦ οὐρανοῦ ἡκόντων, ἐν τεταγμένῃ πολιτείᾳ ἐν τῷ προτέρῳ βίῳ βεβιωκότα, ἔθει [619d] ἄνευ φιλοσοφίας ἀρετῆς μετειληφότα. ς δὲ καὶ εἰπεῖν, οὐκ ἐλάττους εἶναι ἐν τοῖς τοιούτοις ἁλισκομένους τοὺς ἐκ τοῦ οὐρανοῦ ἥκοντας, ἅτε πόνων ἀγυμνάστους· τῶν δ’ ἐκ τῆς γῆς τοὺς πολλούς, ἅτε αὐτούς τε πεπονηκότας ἄλλους τε ἑωρακότας, οὐκ ἐξ ἐπιδρομῆς τὰς αἱρέσεις ποιεῖσθαι. Διὸ δὴ καὶ μεταβολὴν τῶν κακῶν καὶ τῶν ἀγαθῶν ταῖς πολλαῖς τῶν ψυχῶν γίγνεσθαι καὶ διὰ τὴν τοῦ κλήρου τύχην· ἐπεὶ εἴ τις ἀεί, ὁπότε εἰς τὸν ἐνθάδε βίον ἀφικνοῖτο, ὑγιῶς φιλοσοφοῖ [619e] καὶ ὁ κλῆρος αὐτῷ τῆς αἱρέσεως μὴ ἐν τελευταίοις πίπτοι, κινδυνεύει ἐκ τῶν ἐκεῖθεν ἀπαγγελλομένων οὐ μόνον ἐνθάδε εὐδαιμονεῖν ἄν, ἀλλὰ καὶ τὴν ἐνθένδε ἐκεῖσε καὶ δεῦρο πάλιν πορείαν οὐκ ἂν χθονίαν καὶ τραχεῖαν πορεύεσθαι, ἀλλὰ λείαν τε καὶ οὐρανίαν.

Ταύτην γὰρ δὴ ἔφη τὴν θέαν ἀξίαν εἶναι ἰδεῖν, ὡς ἕκασται [620a] αἱ ψυχαὶ ᾑροῦντο τοὺς βίους· ἐλεινήν τε γὰρ ἰδεῖν εἶναι καὶ γελοίαν καὶ θαυμασίαν. Κατὰ συνήθειαν γὰρ τοῦ προτέρου βίου τὰ πολλὰ αἱρεῖσθαι. δεῖν μὲν γὰρ ψυχὴν ἔφη τήν ποτε ᾿Ορφέως γενομένην κύκνου βίον αἱρουμένην, μίσει τοῦ γυναικείου γένους διὰ τὸν ὑπ’ ἐκείνων θάνατον οὐκ ἐθέλουσαν ἐν γυναικὶ γεννηθεῖσαν γενέσθαι· ἰδεῖν δὲ τὴν Θαμύρου ἀηδόνος ἑλομένην· ἰδεῖν δὲ καὶ κύκνον μεταβάλλοντα εἰς ἀνθρωπίνου βίου αἵρεσιν, καὶ ἄλλα ζῷα μουσικὰ ὡσαύτως. [621b] Εἰκοστὴν δὲ λαχοῦσαν ψυχὴν ἑλέσθαι λέοντος βίον· εἶναι δὲ τὴν Αἴαντος τοῦ Τελαμωνίου, φεύγουσαν ἄνθρωπον γενέσθαι, μεμνημένην τῆς τῶν ὅπλων κρίσεως. Τὴν δ’ ἐπὶ τούτῳ Ἀγαμέμνονος· ἔχθρᾳ δὲ καὶ ταύτην τοῦ ἀνθρωπίνου γένους διὰ τὰ πάθη ἀετοῦ διαλλάξαι βίον. ν μέσοις δὲ λαχοῦσαν τὴν Ἀταλάντης ψυχήν, κατιδοῦσαν μεγάλας τιμὰς ἀθλητοῦ ἀνδρός, οὐ δύνασθαι παρελθεῖν, ἀλλὰ λαβεῖν. Μετὰ [621c] δὲ ταύτην ἰδεῖν τὴν Ἐπειοῦ τοῦ Πανοπέως εἰς τεχνικῆς γυναικὸς ἰοῦσαν φύσιν· πόρρω δ’ ἐν ὑστάτοις ἰδεῖν τὴν τοῦ γελωτοποιοῦ Θερσίτου πίθηκον ἐνδυομένην. Κατὰ τύχην δὲ τὴν ᾿Οδυσσέως λαχοῦσαν πασῶν ὑστάτην αἱρησομένην ἰέναι, μνήμῃ δὲ τῶν προτέρων πόνων φιλοτιμίας λελωφηκυῖαν ζητεῖν περιιοῦσαν χρόνον πολὺν βίον ἀνδρὸς ἰδιώτου ἀπράγμονος, καὶ μόγις εὑρεῖν κείμενόν που καὶ παρημελημένον [621d] ὑπὸ τῶν ἄλλων, καὶ εἰπεῖν ἰδοῦσαν ὅτι τὰ αὐτὰ ἂν ἔπραξεν καὶ πρώτη λαχοῦσα, καὶ ἁσμένην ἑλέσθαι. Καὶ ἐκ τῶν ἄλλων δὴ θηρίων ὡσαύτως εἰς ἀνθρώπους ἰέναι καὶ εἰς ἄλληλα, τὰ μὲν ἄδικα εἰς τὰ ἄγρια, τὰ δὲ δίκαια εἰς τὰ ἥμερα μεταβάλλοντα, καὶ πάσας μείξεις μείγνυσθαι.

Ἐπειδὴ δ’ οὖν πάσας τὰς ψυχὰς τοὺς βίους ᾑρῆσθαι, ὥσπερ ἔλαχον ἐν τάξει προσιέναι πρὸς τὴν Λάχεσιν· ἐκείνην δ’ ἑκάστῳ ὃν εἵλετο δαίμονα, τοῦτον φύλακα συμπέμπειν [621e] τοῦ βίου καὶ ἀποπληρωτὴν τῶν αἱρεθέντων. ν πρῶτον μὲν ἄγειν αὐτὴν πρὸς τὴν Κλωθὼ ὑπὸ τὴν ἐκείνης χεῖρά τε καὶ ἐπιστροφὴν τῆς τοῦ ἀτράκτου δίνης, κυροῦντα ἣν λαχὼν εἵλετο μοῖραν· ταύτης δ’ ἐφαψάμενον αὖθις ἐπὶ τὴν τῆς Ἀτρόπου ἄγειν νῆσιν, ἀμετάστροφα τὰ ἐπικλωσθέντα ποιοῦντα· ἐντεῦθεν δὲ δὴ ἀμεταστρεπτὶ ὑπὸ τὸν τῆς [621a] Ἀνάγκης ἰέναι θρόνον, καὶ δι’ ἐκείνου διεξελθόντα, ἐπειδὴ καὶ οἱ ἄλλοι διῆλθον, πορεύεσθαι ἅπαντας εἰς τὸ τῆς Λήθης πεδίον διὰ καύματός τε καὶ πνίγους δεινοῦ· καὶ γὰρ εἶναι αὐτὸ κενὸν δένδρων τε καὶ ὅσα γῆ φύει. Σκηνᾶσθαι οὖν σφᾶς ἤδη ἑσπέρας γιγνομένης παρὰ τὸν Ἀμέλητα ποταμόν, οὗ τὸ ὕδωρ ἀγγεῖον οὐδὲν στέγειν. Μέτρον μὲν οὖν τι τοῦ ὕδατος πᾶσιν ἀναγκαῖον εἶναι πιεῖν, τοὺς δὲ φρονήσει μὴ σῳζομένους πλέον πίνειν τοῦ μέτρου· τὸν δὲ ἀεὶ πιόντα [621b] πάντων ἐπιλανθάνεσθαι. πειδὴ δὲ κοιμηθῆναι καὶ μέσας νύκτας γενέσθαι, βροντήν τε καὶ σεισμὸν γενέσθαι, καὶ ἐντεῦθεν ἐξαπίνης ἄλλον ἄλλῃ φέρεσθαι ἄνω εἰς τὴν γένεσιν, ᾄττοντας ὥσπερ ἀστέρας. Αὐτὸς δὲ τοῦ μὲν ὕδατος κωλυθῆναι πιεῖν· ὅπῃ μέντοι καὶ ὅπως εἰς τὸ σῶμα ἀφίκοιτο, οὐκ εἰδέναι, ἀλλ’ ἐξαίφνης ἀναβλέψας ἰδεῖν ἕωθεν αὑτὸν κείμενον ἐπὶ τῇ πυρᾷ.

Καὶ οὕτως, ὦ Γλαύκων, μῦθος ἐσώθη καὶ οὐκ ἀπώλετο, [621c] καὶ ἡμᾶς ἂν σώσειεν, ἂν πειθώμεθα αὐτῷ, καὶ τὸν τῆς Λήθης ποταμὸν εὖ διαβησόμεθα καὶ τὴν ψυχὴν οὐ μιανθησόμεθα. λλ’ ἂν ἐμοὶ πειθώμεθα, νομίζοντες ἀθάνατον ψυχὴν καὶ δυνατὴν πάντα μὲν κακὰ ἀνέχεσθαι, πάντα δὲ ἀγαθά, τῆς ἄνω ὁδοῦ ἀεὶ ἑξόμεθα καὶ δικαιοσύνην μετὰ φρονήσεως παντὶ τρόπῳ ἐπιτηδεύσομεν, ἵνα καὶ ἡμῖν αὐτοῖς φίλοι ὦμεν καὶ τοῖς θεοῖς, αὐτοῦ τε μένοντες ἐνθάδε, καὶ ἐπειδὰν τὰ ἆθλα [621d] αὐτῆς κομιζώμεθα, ὥσπερ οἱ νικηφόροι περιαγειρόμενοι, καὶ ἐνθάδε καὶ ἐν τῇ χιλιέτει πορείᾳ, ἣν διεληλύθαμεν, εὖ πράττωμεν.

Ce n’est point le récit d’Alcinoüs que je vais vous rapporter, mais celui d’un homme de cœur (13), 280 Er l’Arménien, originaire de Pamphylie. Il avait été tué dans une bataille : dix jours après, comme on enlevait les cadavres déjà défigurés de ceux qui étaient tombés avec lui, le sien fut trouvé sain et entier ; on le porta chez lui pour faire ses funérailles, et le douzième jour, lorsqu’il était sur le bûcher, il revécut et raconta ce qu’il avait vu dans l’autre vie : Aussitôt, dit-il, que son âme était sortie de son corps, il s’était mis en route [614c] avec une foule d’autres âmes, et était ainsi arrivé en leur compagnie dans un lieu merveilleux, où se voyaient dans la terre deux ouvertures voisines l’une de l’autre, et deux autres au ciel qui répondaient à celles-là. Entre ces deux régions étaient assis des juges : dès qu’ils avaient prononcé leur sentence, ils ordonnaient aux justes de prendre leur route à droite par une des ouvertures du ciel, après leur avoir attaché, par devant un écriteau contenant le jugement rendu en leur faveur ; et aux méchants de prendre leur route à gauche par une des ouvertures de la terre, ayant derrière le dos un semblable écrit où étaient marquées [614d] toutes leurs actions. Lorsqu’il s’était présenté à son tour, les juges avaient déclaré qu’il devait porter aux hommes la nouvelle de ce qui se passait en cet autre monde, et ils lui avaient ordonné d’écouter et d’observer tout ce qui s’offrirait à lui. Il vit donc 281 d’abord les âmes de ceux qu’on avait jugés, celles-ci monter au ciel, celles-là descendre sous terre, par les deux ouvertures qui se répondaient ; tandis que par l’autre ouverture de la terre, il vit sortir des âmes couvertes d’ordure et de poussière, en même temps que par l’autre ouverture [614e] du ciel descendaient d’autres âmes pures et sans tache : elles paraissaient toutes venir d’un long voyage, et s’arrêter avec plaisir dans la prairie, comme dans un lieu d’assemblée. Celles qui se connaissaient se saluaient les unes les autres, et se demandaient des nouvelles de ce qui se passait aux lieux d’où elles venaient, le ciel ou la terre. Les unes racontaient leurs aventures [615a] avec des gémissements et des pleurs, que leur arrachait le souvenir des maux qu’elles avaient soufferts ou vu souffrir pendant le temps de leur voyage sous terre, et la durée en était de mille ans ; les autres qui revenaient du ciel faisaient le récit des plaisirs délicieux qu’elles avaient goûtés et des choses merveilleuses qu’elles avaient vues. Il serait trop long, mon cher Glaucon, d’entrer dans les nombreux détails de l’Arménien à ce sujet ; mais voici en somme ce qu’il disait : chacune des âmes portait dix fois la peine des injustices qu’elle avait commises dans la vie ; [615b] la durée de chaque punition était de cent ans,  282 durée naturelle de la vie humaine ; afin que le châtiment fut toujours décuple pour chaque crime. Ainsi, ceux qui se sont souillés de plusieurs meurtres, qui ont trahi des états et des armées, les ont réduits en esclavage, ou qui se sont rendus coupables de quelque autre crime semblable, étaient tourmentés au décuple pour chacun de ces crimes. Ceux au contraire qui ont fait du bien autour d’eux, qui ont été justes et vertueux, recevaient dans la même proportion [615c] la récompense de leurs bonnes actions. Er donnait d’autres détails, mais qu’il est superflu de rappeler, au sujet des enfants morts peu de temps après leur naissance. Il y avait encore, selon son récit, de plus grandes peines pour l’impie, le fils dénaturé, l’homicide qui tue de sa propre main, et de plus grandes récompenses pour l’homme religieux et le bon fils. Il avait été présent, ajoutait-il, lorsqu’une âme avait demandé à une autre où était le grand Ardiée. Cet Ardiée avait été tyran d’une ville de Pamphylie, mille ans auparavant ; il avait tué son vieux père, [615d] son frère aîné, et commis, à ce qu’on disait, plusieurs autres crimes énormes. Il ne vient point, avait répondu l’âme, et il ne viendra jamais ici : nous avons toutes été témoins à son occasion d’un affreux spectacle. Lorsque nous étions sur le point de sortir de l’abîme sou- 283 terrain, après avoir accompli nos peines, nous vîmes tout à coup Ardiée et un grand nombre d’autres, dont la plupart étaient des tyrans comme lui ; il y avait aussi quelques particuliers, [615e] qui, dans une condition privée, avaient été de grands scélérats. Au moment qu’ils s’attendaient à sortir, l’ouverture leur refusa le passage, et toutes les fois qu’un de ces misérables dont les crimes étaient sans remède, ou n’avaient pas été suffisamment expiés, essayait de sortir, elle se mettait à mugir. Alors des personnages hideux, au corps enflammé, qui se trouvaient là, accoururent à ces mugissements. Ils emmenèrent d’abord de vive force un certain nombre de ces criminels ; quant à Ardiée et aux autres, ils leur lièrent les pieds, [616a] les mains, la tête, et les ayant jetés à terre, et écorchés à force de coups, ils les traînèrent hors de la route, à travers des ronces sanglantes, répétant aux ombres, à mesure qu’il en passait quelqu’une, la raison pour laquelle ils les traitaient de la sorte, et qu’ils allaient les précipiter dans le Tartare. Cette âme ajoutait que parmi les terreurs de toute espèce dont elles avaient été agitées pendant la route, aucune n’égalait celle que le mugissement ne se fît entendre, quand elles s’avanceraient pour sortir, et que c’avait été pour elles un moment de vive joie de ne pas l’avoir 284 entendu en sortant. Tels étaient à peu près les jugements des âmes, leurs châtiments, [616b] ainsi que les récompenses qui y correspondent. Après que chacune de ces âmes eut passé sept jours dans cette prairie, il leur avait fallu en partir le huitième, et se rendre en quatre jours de marche dans un lieu d’où l’on voyait une lumière traversant toute la surface de la terre et du ciel, droite comme une colonne et semblable à l’Iris, mais plus éclatante et plus pure. Elles y étaient arrivées après un autre jour de marche ; là elles avaient vu que les extrémités du ciel aboutissaient [616c] au milieu de cette bande lumineuse qui leur servait d’attache, et reliait le ciel, en embrassant toute sa circonférence, comme ces pièces de bois qui ceignent les flancs des galères. A ces extrémités était suspendu le fuseau de la Nécessité, lequel donnait le branle à toutes les révolutions des sphères. La tige et le crochet de ce fuseau étaient d’acier ; le peson était un mélange d’acier et d’autres matières. Voici comment [616d] ce peson était fait: il ressemblait pour la forme aux pesons d’ici-bas ; mais d’après la description donnée par l’Arménien, il faut se le représenter comme contenant dans sa vaste concavité un autre peson plus petit, de forme correspondante, comme des vases qui s’ajustent l’un dans l’autre ; dans le second peson il y en avait un troisième, dans 285 celui-ci un quatrième, et de même quatre autres encore. C’étaient donc en tout huit pesons enveloppés les uns dans les autres, [616e] dont on voyait d’en haut les bords circulaires, et qui tous présentaient la surface continue d’un seul peson à l’entour du fuseau, dont la tige passait par le centre du huitième. Les bords circulaires du peson extérieur étaient les plus larges ; puis ceux du sixième, du quatrième, du huitième, du septième, du cinquième, du troisième et du second, allaient en diminuant de largeur selon cet ordre. Le cercle formé par les bords du plus grand peson était de différentes couleurs ; celui du septième était d’une couleur très éclatante ; [617a] celui du huitième se colorait de l’éclat du septième ; la couleur des cercles du second et du cinquième était presque la même, et tirait davantage sur le jaune ; le troisième était le plus blanc de tous ; le quatrième était un peu rouge ; enfin, le second surpassait en blancheur le sixième. Le fuseau tout entier roulait sur lui-même d’un mouvement uniforme ; et dans l’intérieur, les sept pesons concentriques se mouvaient lentement dans une direction contraire. Le mouvement du huitième était le plus rapide. [617b] Ceux du septième, du sixième et du cinquième étaient moindres, et égaux entre eux pour la vitesse. Le quatrième était le troisième pour la vitesse, le troisième était 286 le quatrième ; le second n’avait que la cinquième vitesse. Le fuseau lui-même tournait entre les genoux de la Nécessité. Sur chacun de ces cercles était assise une Sirène qui tournait avec lui, faisant entendre une seule note de sa voix, toujours sur le même ton ; mais de ces huit notes différentes, résultait un seul effet harmonique. [617c] Autour du fuseau, et à des distances égales, siégeaient sur des trônes les trois Parques, filles de la Nécessité, Lachésis, Clotho et Atropos, vêtues de blanc et la tête couronnée d’une bandelette. Elles accompagnaient de leur chant celui des Sirènes ; Lachésis chantait le passé, Clotho le présent, Atropos l’avenir. Clotho, touchant par intervalles le fuseau de la main droite, lui faisait faire la révolution extérieure ; pareillement Atropos, de la main gauche, imprimait le mouvement aux pesons du dedans, et Lachésis [617d] touchait tour à tour de l’une et de l’autre main, tantôt le fuseau, tantôt les pesons intérieurs. Aussitôt que les âmes étaient arrivées, il leur avait fallu se présenter devant Lachésis. Et d’abord un hiérophante les avait fait ranger par ordre l’une auprès de l’autre ; ensuite ayant pris sur les genoux de Lachésis les sorts et les différentes conditions humaines, il était monté sur une estrade élevée et avait parlé ainsi :

« Voici ce que dit la vierge Lachésis, fille de la Nécessité : Ames passagères, vous 287 allez recommencer une nouvelle carrière et renaître à la condition mortelle. [617e] Vous ne devez point échoir en partage à un génie : vous choisirez vous-même chacune le vôtre. Celle que le sort appellera, choisira la première, et son choix sera irrévocable. La vertu n’a point de maître : elle s’attache à qui l’honore, et abandonne qui la néglige. On est responsable de son choix : Dieu est innocent. »

A ces mots, il avait répandu les sorts (14), et chaque âme ramassa celui qui tomba devant elle, excepté notre Arménien, à qui on ne le permit pas. Chacune connut alors quel rang lui était échu pour choisir. [618a] Ensuite l’hiérophante étala sur terre devant elles des genres de vie de toute espèce, en beaucoup plus grand nombre qu’il n’y avait d’âmes assemblées ; la variété en était infinie ; il s’y trouvait à la fois toutes les conditions des animaux ainsi que des hommes. Il y avait des tyrannies, les unes qui duraient jusqu’à la mort ; les autres brusquement interrompues et finissant par la pauvreté, l’exil, la mendicité. On y voyait des conditions d’hommes célèbres, ceux-ci pour leurs avantages corporels, la beauté, la force, [618b] l’aptitude aux combats ; ceux-là pour leur noblesse et les grandes qualités de leurs an- 288 cêtres ; on en voyait aussi d’obscures par tous ces endroits. Il y avait pareillement des conditions de femmes de la même variété. Quant à l’âme, les rangs n’étaient pas réglés, chaque âme changeant nécessairement suivant son choix. Du reste, il y avait des partages plus ou moins contrastés de richesse et de pauvreté, de santé et de maladie, ainsi que des partages moyens entre ces extrêmes. Or, c’est évidemment là, cher Glaucon, l’épreuve redoutable pour l’humanité ; voilà pourquoi chacun de nous doit laisser de côté [618c] toute autre étude pour rechercher et cultiver celle-là seule qui nous fera découvrir et reconnaître l’homme, dont les leçons nous mettront à même de pouvoir et de savoir discerner les bonnes et les mauvaises conditions, et choisir toujours la meilleure en toute circonstance ; et ce sera sans doute en considérant sans cesse les vérités dont nous nous sommes entretenus aujourd’hui, les rapprochements et les distinctions que nous avons établis sur ce qui intéresse la moralité de notre vie. C’est ainsi que nous apprendrons, par exemple, ce que peut apporter de bien ou de mal, la beauté jointe à la pauvreté [618d] ou à la richesse, et avec telle ou telle disposition de l’âme ; la naissance illustre et commune, les dignités et la vie privée, la force et la faiblesse, le talent et la médiocrité, et toutes les qualités de 269  raisons entre elles ; en sorte qu’après avoir réfléchi sur tout cela et ne perdant pas de vue la nature de notre âme, nous saurons faire le discernement entre le bon et le mauvais partage [618e] en cette vie, appelant mauvais celui qui aboutirait à rendre l’âme plus injuste, et bon celui qui la rendrait plus vertueuse, sans avoir aucun égard à tout le reste ; car nous avons vu que c’est le meilleur parti qu’on puisse prendre, soit pour cette vie, soit pour ce qui la suit. [619a] Il faut donc conserver jusqu’à la mort son âme ferme et inébranlable dans ce sentiment, afin qu’elle ne se laisse éblouir là-bas ni par les richesses ni par les autres maux de cette nature ; qu’elle ne s’expose point, en se jetant avec avidité sur la condition de tyran ou sur quelque autre semblable, à commettre un grand nombre de maux sans remède et à en souffrir encore de plus grands, mais plutôt qu’elle sache se fixer pour toujours à un état médiocre, et éviter également les deux extrémités, autant qu’il dépendra d’elle, soit dans la vie présente, soit dans toutes les autres par où elle passera, c’est à cela [619b] qu’est attaché le bonheur de l’homme.

Aussi, selon le rapport de notre messager, l’hiérophante avait dit : Celui qui choisira lé dernier, pourvu qu’il le fasse avec discernement, et qu’ensuite il soit conséquent dans sa conduite, peut se promettre une vie pleine de 290 contentement et très bonne. Que celui qui choisira le premier se garde de trop de confiance, et que le dernier ne désespère point.

Après que l’hiérophante eut ainsi parlé, celui à qui le premier sort était échu, s’avança avec empressement, et choisit la tyrannie la plus considérable, emporté par son imprudence et son avidité, et sans regarder suffisamment à ce qu’il faisait ; [619c] il ne vit point cette fatalité attachée à l’objet de son choix, d’avoir un jour à manger la chair de ses propres enfants, et bien d’autres crimes horribles. Mais quand il eut considéré à loisir le sort qu’il avait choisi, il gémit, se lamenta, et, oubliant les avertissements de l’hiérophante, ce n’était pas à sa propre faute qu’il s’en prenait, c’était à la fortune, aux dieux, à tout, excepté à lui-même. Cette âme était du nombre de celles qui venaient du ciel ; elle avait vécu précédemment dans un État bien gouverné, et avait fait le bien par la force de l’habitude [619d] plutôt que par philosophie. Voilà pourquoi, parmi celles qui tombaient en de semblables mécomptes, les âmes venues du ciel n’étaient pas les moins nombreuses, faute d’avoir été éprouvées par les souffrances ; au contraire, la plupart de celles qui, ayant passé par le séjour souterrain, avaient souffert et vu souffrir, ne choisissaient pas ainsi à la hâte. De là, indépendamment du hasard des rangs pour être  291 appelées à choisir, une sorte d’échange des biens et des maux pour la plupart des âmes. Ainsi, un homme qui, à chaque renouvellement de sa vie d’ici-bas, s’appliquerait constamment à la saine philosophie, [619e] et aurait le bonheur de ne pas être appelé des derniers à choisir, il y a grande apparence, d’après tout ce récit, que non-seulement il serait heureux dans ce monde, mais encore que dans son voyage d’ici là-bas, et dans le retour, il marcherait par la voie unie du ciel, et non par le sentier pénible de l’abîme souterrain.

L’Arménien ajoutait que c’était un spectacle curieux de voir de quelle manière chaque [620a] âme faisait son choix. Rien n’était plus étrange, plus digne à la fois de compassion et de risée. C’était la plupart du temps d’après les habitudes de la vie antérieure que l’on choisissait. Er avait vu, disait-il, l’âme qui avait appartenu à Orphée, choisir l’âme d’un cygne en haine des femmes qui lui avaient donné la mort autrefois (15), ne voulant devoir sa naissance à aucune d’elles : l’âme de Thamyris (16) avait choisi la condition d’un rossignol, et réciproquement un cygne, ainsi que d’autres animaux, musiciens comme lui, avait adopté la nature de l’homme. [621b] Une autre âme, appelée la vingtième à 292 choisir, avait pris la nature d’un lion : c’était celle d’Ajax, fils de Télamon, ne voulant plus de l’état d’homme, en ressouvenir du jugement qui lui avait enlevé les armes d’Achille. Après celle-là vint l’âme d’Agamemnon, qui, ayant aussi en aversion le genre humain à cause de ses malheurs passés, prit la condition d’aigle. L’âme d’Atalante (17) appelée à choisir vers la moitié, ayant considéré les grands honneurs rendus aux athlètes, n’avait pu résister à l’envie de devenir athlète elle-même. [621c] Epée (18), fils de Panopée, était devenu une femme industrieuse. L’âme du bouffon Thersite (19) qui se présenta des dernières, revêtit le corps d’un singe. L’âme d’Ulysse, à qui le hasard avait donné le dernier sort, vint aussi pour choisir : mais le souvenir de ses longs revers l’ayant désabusée de l’ambition, elle chercha longtemps, et découvrit à grand-peine dans un coin la vie tranquille d’un homme privé [621d] que toutes les autres âmes avaient laissée dédaigneusement à l’écart. En l’apercevant enfin, elle dit que, quand elle aurait été la première à choisir, elle n’aurait pas fait un autre 293 choix. Pareillement les animaux changent leur condition pour la condition humaine, ou pour celle d’autres animaux ; ce qui a été injuste passe dans les espèces féroces, ce qui a été juste dans les espèces apprivoisées : de là des échanges de toute sorte.

Après que toutes les âmes eurent fait choix d’une condition, elles s’approchèrent de Lachésis dans l’ordre suivant lequel elles avaient choisi ; la Parque donna à chacune le génie qu’elle avait préféré, afin qu’il lui servît de gardien durant le cours [621e] de sa vie mortelle et qu’il lui aidât à remplir sa destinée. Ce génie la conduisait d’abord à Clotho, qui de sa main et d’un tour du fuseau confirmait la destinée choisie. Après avoir touché le fuseau, il la menait de là vers Atropos, qui roulait le fil pour rendre irrévocable ce qui avait été filé par Clotho. Ensuite, sans qu’il fût désormais possible de retourner en arrière, on s’avançait [621a] vers le trône de la Nécessité, sous lequel l’âme et son génie passaient ensemble. Aussitôt que toutes eurent passé, elles se rendirent dans la plaine du Léthé (20), où elles essuyèrent une chaleur insupportable, parce qu’il n’y avait ni arbre ni plante. Le soir étant venu, elles passèrent la nuit auprès du fleuve Amélès (21), dont aucun vase 294 ne peut contenir l’eau. Chaque âme est obligée de boire de cette eau en certaine quantité. Celles qui ne sont pas retenues par la prudence, en boivent plus qu’il ne faut ; à mesure que chacune boit, [621b] elle perd toute mémoire. On s’endormit après ; mais vers le milieu de la nuit, il survint un éclat de tonnerre, avec un tremblement de terre ; et aussitôt les âmes furent dispersées çà et là vers les divers points de leur naissance terrestre, comme des étoiles qui jailliraient tout à coup dans le ciel. Quant à lui, disait Er, on l’avait empêché de boire de l’eau du fleuve ; cependant il ne savait pas par où ni comment son âme s’était rejointe à son corps ; mais le matin, ayant tout à coup ouvert les yeux, il s’était aperçu qu’il était étendu sur le bûcher.

Ce mythe, mon cher Glaucon, a été préservé de l’oubli, [621c] et il peut nous préserver nous-mêmes de notre perte si nous y ajoutons foi ; nous passerons heureusement le fleuve Léthé, et nous maintiendrons notre âme pure de toute souillure. Et si c’est à moi, mes amis, qu’il vous plaît ajouter foi, persuadés que l’âme est immortelle, et qu’elle est capable par sa nature de tous les biens comme de tous les maux, nous marcherons sans cesse par la route qui conduit en haut, et nous nous attacherons de toutes nos forces à la pratique de la justice et de la sagesse, afin que 295 nous soyons en paix avec nous-mêmes et avec les dieux, et que, durant cette vie terrestre et quand nous aurons remporté le prix [621δ] destiné à la vertu, comme des athlètes victorieux qu’on mène en triomphe, nous soyons heureux ici-bas et dans ce voyage de mille années que nous venons de raconter.

 

(01)  Rapprochez de l'opinion de Platon celle d'Aristote. Art. poét. , c. 4.

(02)  C'est là la source de la phrase célèbre d'Aristote, Morale à Nicomaque, liv. I, chap. IV, édit. Bekk, , p. 1096.

(03) Voyez sur Thalès de Milet, Hérodote, I ; Aristote, Polit. ,  I, 2 ; et Diogène de Laërce , 1 , 24 et sqq. ; sur Anacharsis, Diogène de Laërce, I,  105.

(04) Le nom de Créophyle se compose des mots viande et race. Il paraît qu’il circulait dans l’antiquité des traditions peu honorables pour ce personnage, auxquelles Platon fait ici allusion. Il en est parvenu jusqu’à nous quelques-unes, fort incohérentes, sur ses relations avec Homère, soit comme son gendre ou son hôte, soit comme ayant reçu en don un de ses poèmes, qu’il aurait, après la mort de l’auteur, publié sous son propre nom. Voyez Fabricius, Bibl. Gr., I, 4.

(05)  Liv. III.

(06) Allusion à l’argument des contraires, développé dans le Phédon, t. Ier, p. 217.

(07) Voyez le Phèdre et le Phédon.

(8) Voyez sur ce personnage fabuleux le Scholiaste, Athénée, VII, 12, et surtout la dissertation d’Hermann, De Glaucis Aeschyli, Lips., 1812.

(9) Voyez le livre II.

(10) Homère, Iliade, V, v. 845. Ce casque rendait ceux qui le portaient invisibles aux dieux, comme l’anneau de Gygès les rendait invisibles aux hommes.

(11) Livre II, discours d’Agathon.

(12)  Livre II.

(13) Le récit d’Ulysse à Alcinoüs (Odyssée, liv. IX, X, XI, XII), où, parmi beaucoup de fictions étranges, se rencontre un tableau de la condition des ames après la mort, était décrié et devenu proverbe, comme une fable mensongère. L’épithète d’homme de cœur est opposée au nom d’Alcinoüs, à cause du caractère indolent, frivole et crédule que le poème d’Homère avait fait attribuer aux Phéaciens. Il y a en grec entre cette épithète et le nom d’Alcinoùs une ressemblance de son, qui fait jeu de mots, et ne peut être rendue.

(14) C’est à-dire les numéros dans l’ordre desquels chaque ame était appelée à choisir une condition.

(15) Ovide, Métam., XI.

(16)  Homère, Iliade, II, v. 595.

(17) Atalante, Ovide, Métam., X.

(18)  Epée est celui qui construisit le cheval de bois dont les Grecs se servirent pour prendre Troie. Homère, Odyssée, VIII, v. 493 ; Virgile, Enéide, II, v. 264.

(19)  Homère, Iliade, II, v. 212 et suiv.

(20) Oubli.

(21) Absence de soucis ou de pensées sérieuses