MAXIME DE TYR

 

DISSERTATIONS

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

DISSERTATION XXX.

Les Agriculteurs sont plus utiles à la République que les Militaires.

Ὅτι γεωργοὶ τῶν προπολεμούντων λυσιτελέστεροι.


 

I. Ἐπαμύνωμεν τῷ δήμῳ τῶν γεωργῶν, ἐπείπερ λόγῳ τὰ νῦν γίγνεται ἡ δίαιτα, καὶ οὐχ ὅπλοις· εἰ δὲ καὶ ὅπλων δέοι, τάχα που φανεῖται καὶ ὁ γεωργὸς οὐδὲν τοῦ ὁπλίτου ἀσθενέστερος. Ἀλλὰ τοῦτο μὲν καὶ αὖθις σκεψόμεθα· λόγῳ δὲ δὴ τὰ νῦν, καὶ οὐχ ὅπλοις, κριτέον τοὺς ἄνδρας· καὶ οὐκ εὐλαβητέον οὔτε Ὅμηρον μαρτυροῦντα, οὔτε ὅστις Ὁμήρου εὐφωνότερος. Εἰ δέ τοι καὶ τοῦτο δέοι, καὶ αὐτοὶ ἀναβιβασόμεθα ἐκ τοῦ Ἑλικῶνος ποιητὴν ἄλλον οὐδὲν ἀδοξότερον τοῦ Ὁμήρου,

μεμφόμενον τῷ νῦν γένει,
οἳ πρῶτοι κακοεργὸν ἐτεκτήναντο μάχαιραν,
εἰνοδίην, πρῶτοι δέ, βοῶν ἐπάσαντο ἀροτήρων.

Τὸ γάρ τοι τὰ τοιαῦτα ἐπαινεῖν ἀνδρὸς ἂν εἴη δυσχερέστερον τῷ βίῳ τῆς τοῦ πολεμεῖν χρείας· ἧς κἂν ἀφέλῃς τὸ ἄδικον, ἐλεεινὸν αὐτῆς τὸ ἀναγκαῖον.

Hâtons-nous d'aller au secours des agriculteurs, puisque, dans cette question, c'est à la raison, et non point aux armes, à décider. Dans le cas même où les armes seraient nécessaires, peut-être trouverions-nous des agriculteurs qui les manieraient avec autant de force et de courage que des guerriers de profession. Mais nous reviendrons là-dessus. Quant à présent, mettons les armes de côté, et que la raison prononce. D'ailleurs, ne nous en laissons point imposer par le témoignage d'Homère, ni de tout autre écrivain plus éloquent que lui. S'il le fallait, nous irions nous-mêmes chercher sur l'Hélicon un autre poète, qui n'a pas moins de réputation qu'Homère, et qui accuse ceux des hommes de l'antiquité. « Qui les premiers fabriquèrent le funeste glaive pour brigander sur les chemins ; qui les premiers se nourrirent du bœuf qui labourait leurs sillons (01) ». Car il n'y a qu'un homme plus ennemi de la vie de ses semblables que la guerre même, qui puisse louer de telles actions. Lorsque, d'ailleurs, la guerre n'est point injuste, on ne peut que gémir de ce qu'elle est nécessaire (02).

II. Οὑτωσὶ δὲ θεασώμεθα. Τῶν ἀνθρώπων οἱ μὲν δίκαιοι, οἱ δὲ ἄδικοί εἰσιν. Πολεμοῦσιν δέ, ἆρα οἱ δίκαιοι τοῖς δικαίοις; οὐδαμῶς· ἴσοι γὰρ ταῖς γνώμαις ὄντες, τί ἂν τοῦ πολεμεῖν δέοιντο; Πολεμοῦσιν οὖν οἱ ἄδικοι ἢ τοῖς δικαίοις, ἢ τοῖς ὁμοίοις· ἄνισοι γὰρ καὶ πρὸς ἀλλήλους, καὶ πρὸς τοὺς δικαίους. Πολεμοῦσιν δὲ καὶ ἀσθενεῖς, ὀρεγόμενοι τοῦ ἴσου· οἱ δὲ ἰσχυροί, τοῦ πλέονος. Εἶεν. Τρία ταυτὶ συστήματα ἡμῖν πεφώρακεν ὁ λόγος· ὧν τὸ μὲν ἐκεχειρίαν ἀεὶ πρὸς ἑαυτὸ καὶ σπονδὰς ἄγει, τὸ δίκαιον· τοῖν δὲ ἄλλοιν πολεμεῖ ἑκάτερον, τὸ μὲν αὐτὸ αὑτῷ, τὸ δὲ τῷ δικαίῳ. Φαίνεται τοίνυν ὁ πόλεμος τοῖς μὲν δικαίοις ἀναγκαῖος ὤν, τοῖς δὲ ἀδίκοις ἑκούσιος. Καὶ περὶ μὲν τῶν ἀδίκων τί χρὴ σκοπεῖν; οὐ γὰρ δέος, μή τις αὐτοῖς προσθῇ ἐπαίνου μοῖραν. Ἐπεὶ δὲ οἱ δίκαιοι οὐ βουλήσει πολεμοῦσιν, ἀλλὰ ἀνάγκῃ, σωφρονίζοντες τὸ ἄδικον πᾶν, ὥσπερ ὁ Ἡρακλῆς, ἢ ἐπιόντας ἀμυνόμενοι, ὡς τοὺς Μήδους οἱ Ἕλληνες, πότερα δέξοιντο ἂν οἱ αὐτοὶ οὗτοι, ἀπηλλαγμένοι τῆς τοῦ πολεμεῖν ἀνάγκης, ἀφῃρῆσθαι καὶ τὴν ἐν ὅπλοις ἀρετήν, ἢ σὺν τῷ ἀβουλήτῳ  τῆς χρείας τὸ ἀναγκαῖον τῆς ἀρετῆς ἔχειν; ἐγὼ μὲν οἶμαι θάτερον, τὸ πρότερον. Καὶ γὰρ οἱ ἰατροί, εἴπερ δίκαιοι εἶεν καὶ φιλάνθρωποι, εὔξαιντο ἂν ἀπολωλέναι τὴν τέχνην σὺν ταῖς νόσοις.

II. Voici le point de vue sous lequel nous allons envisager cette nécessité. Les hommes sont les uns bons, les autres méchants. Or, les bons se font-ils la guerre entre eux? Nullement. Ayant les mêmes principes et les mêmes intentions, où serait pour eux le besoin de se faire la guerre? Mais les méchants font la guerre, et aux gens de bien, et aux méchants qui leur ressemblent. Car ils n'ont ni les principes, ni les intentions des gens-de-bien; et, entre eux-mêmes, ils ne s'accordent pas sur ce point. Les plus faibles d'entre eux se mettent en état de guerre, pour s'élever au niveau des autres, et les pins forts, dans la vue de prédominer. C'est fort bien. Voilà donc trois classes d'individus bien distinctes, dont l'une, celle des gens de bien, est toujours en bonne intelligence en paix avec elle-même. Les deux autres sont en état de guerre, tantôt l'une contre l'autre, tantôt contre la classe des gens de bien. D'où il paraît que la guerre est une affaire de nécessité pour les gens de bien, et de spontanéité pour les méchants. Mais pourquoi nous occuper des méchants? Nous n'avons pas à craindre que personne leur fasse l'honneur de les louer. Puis donc que les gens de bien ne se mettent point en état de guerre, de leur gré, mais parce que la nécessité les y force; et que, semblables à Hercule, ils contraignent tous les méchants à respecter les règles de la justice, ou qu'ils les traitent, s'ils en sont attaqués, comme les Grecs traitèrent les Mèdes; que préféreraient-ils, ou d'être délivrés de cette nécessité de combattre, et de perdre en même temps le talent de faire usage de leurs armes, ou bien de rester dans la nécessité de s'en servir sans en avoir l'intention? Quant à moi, je pense que de ces deux choses, ils préféreraient la première. Car les médecins, s'ils avaient de la probité et de la philanthropie, feraient des vœux pour l'abolition de leur art, si cette abolition devait entraîner celle de toutes les maladies.

III. Φέρε καὶ ἐπὶ γεωργίας θεασώμεθα, εἰ τοῦτον αὐτοῖς  ἔχει τὸν τρόπον, ὅνπερ καὶ ἡ ἐν τῷ πολεμεῖν χειρουργία. Ἅπτονται ἄνθρωποι γῆς, οἱ μὲν σὺν δίκῃ, οἱ δὲ ἄνευ δίκης· σὺν δίκῃ μὲν κατὰ χρείαν καρποῦ, δίκης δὲ ἄνευ ἐπὶ χρηματισμῷ. Εἴη ἂν οὖν κἀνταῦθα ἡ δίαιτα οὐ ξυλλήβδην περὶ πάσης γεωργίας. Ἀλλὰ ἐπεὶ καὶ τοῦτο κοινὸν δικαίων καὶ μή, κοινὸν δ´ ἦν καὶ τὸ πολεμεῖν ἑκατέρῳ τῷ γένει, δέος μὴ λάθῃ ἐξαπατήσας ἡμᾶς ὁ λόγος οὗτος, οὐ γεωργικῷ τὸ πολεμικόν, ἀλλὰ τῷ δικαίῳ τὸ ἄδικον παραβαλεῖν ἐθέλων. Δικαίους οὖν ἄμφω ὑποθέμενοι, καὶ τὸν πολεμικὸν καὶ τὸν γεωργικόν, τὸν μὲν ὑπ´ ἀνάγκης ἐπὶ τὸ πολεμεῖν ἰόντα, τὸν δὲ ὑπὸ χρείας γεωργεῖν ἠναγκασμένον, οὕτως σκοπῶμεν περὶ ἑκατέρου. Καίτοι τί ταῦτα λέγω; εἰ γὰρ ἐπ´ ἀμφοῖν τὸ δίκαιον ἴσον, καὶ τὸ καλὸν ἴσον, καὶ ὁ ἔπαινος ἴσος, καὶ ἀπ´ ἴσης εἰσὶν ἡμῖν ἄμφω νικηφόροι. Βούλει τοίνυν, ἀφελὼν τὸ δίκαιον ἑκατέρου, τὸ ἄδικον προσθείς, οὕτω σκοπεῖν; Ἀλλὰ κἀνταῦθα ἐπ´ ἀμφοῖν ἡ κακία ἐπανισουμένη τὸν ἔπαινον ἐξ ἀμφοῖν ἀφαιρεῖ. Τῷ ἂν οὖν τις κρίναι τὸ λεγόμενον; βούλει σοι φράσω; καὶ δὴ λέγω. Μαντεύεταί μοι ἡ ψυχή, κατὰ τοὺς Πλάτωνος λόγους, εἶναί τι ἀνθρώπων γένος, μήτε ἀρετῆς κομιδῇ ἐπήβολον, μήτ´ εἰς κακίαν ἐσχάτην παντάπασιν ἐκκεκυλισμένον, βιοτεῦον δὲ ἐν δόξαις ὀρθαῖς, τροφῇ καὶ παιδεύσει ὑπὸ νόμῳ σώφρονι πολιτευόμενον. Τοῦτο τοίνυν τῶν ἀνθρώπων τὸ γένος διελόντες δίχα, τὸ μὲν παραδόντες τῇ γῇ, τὸ δὲ εἰς τὰ ὅπλα ἀποπέμψαντες, ἅτε ἀμφίβολον ὂν καὶ ἐν μεταιχμίῳ ἀρετῆς καὶ κακίας καθωρμισμένον, θεασώμεθα ὑπὸ τῶν ἐπιτηδευμάτων ἑκάτερον ὑπὸ ἑκατέρου, πότερον ἐφ´ ὁπότερον ἄγεται θᾶττον· θεασώμεθα δὲ οὑτωσί.

III. Nous examinerons, à présent, s'il en est de l'agriculture, à l'égard de ces trois classes d'individus, comme du métier de la guerre. Les hommes travaillent la terre, les uns à bonne fin, les autres à mauvaise fin ; les premiers n'envisagent que le besoin qu'ils ont des fruits qu'elle donne, les autres que l'avantage d'amasser du bien. Sur ce pied-là donc, l'agriculture n'a pas pour but, des deux côtés, de produire les choses nécessaires à la vie. Mais, si, de ce qu'elle est commune aux gens de bien et aux médians, il s'ensuivait que l'état de guerre fut également commun aux uns et aux autres, nous aurions à craindre de nous être trompés, sans nous en apercevoir, dans l'objet de ce discours, et d'avoir comparé, non pas la guerre à l'agriculture, mais la probité à la méchanceté. Supposons-les donc l'un et l'autre gens de bien, et celui qui se livre au métier de la guerre, et celui qui s'adonne à l'agriculture ; le premier, par la nécessité où il est de se défendre; le second, par le besoin qu'il a des fruits de la terre : considérons-les l'un et l'autre sous ce point-de-vue. Mais que disons-nous? S'ils sont l'un et l'autre également gens de bien, également amis du Beau moral, ils méritent les mêmes éloges, ils ont les mêmes droits à ce que nous leur décernions la palme. Voulez-vous donc que, mettant de côté la qualité de gens-de-bien de l'un et de l'autre, et les supposant tous les deux méchants, nous les considérions sous ce nouveau rapport? Mais, sur ce pied-là encore, la méchanceté étant égale des deux côtés, ils ne méritent, ni l'un ni l'autre, d'être loués. Voulez-vous donc que je vous indique le moyen de vous tirer d'affaire, dans cette question? Le voici : j'apprends par l’inspiration de l'âme, pour parler le langage de Platon, qu'il est une classe d'hommes qui n'ont, ni fait de très grands progrès dans la vertu, ni pris l'habitude de porter la méchanceté à son dernier terme; qui professent, d'ailleurs, des opinions droites et saines, et qui, avec une éducation libérale, tiennent une conduite conforme aux lois. Divisons donc en deux cette classe d'hommes; livrons les uns à l'agriculture, les autres à l'art militaire, comme une espèce amphibie, placée dans le lieu intermédiaire qui sépare la vertu et la méchanceté ; nous les examinerons les uns et les au très, et selon la nature des choses, pour lesquelles ils ont le plus d'inclination et de goût, nous verrons vers lesquelles de ces choses ils ont plus de disposition à se porter. Voici notre marche.

IV. Μέγιστον ἀνθρώπῳ κακὸν ἐπιθυμία. Πότερον ἐπιθυμίας ἐργαστικώτερον, πόλεμος, ἢ γεωργία; Καὶ μὴν τὸ μὲν ἀκόρεστον, τὸ δὲ φειδωλόν· ἀκόρεστον μὲν ὁ πόλεμος, φείδωλον δὲ ἡ γεωργία. Καὶ τὸ μὲν παντοδαπὸν ὁ πόλεμος, ἁπλοῦν ἡ γεωργία· καὶ τὸ μὲν ἄδηλον,  τὸ δὲ ὡμολογημένον. Τί γὰρ ἂν εἴη ἀδηλότερον τῆς ἐν πολέμῳ τύχης; βέβαιος δὲ ὁ ἐν γῇ πόνος. Πόλεμος  ὑπ´ εὐτυχίας μάλιστα θρασύνεται, ἡ δὲ γεωργία ὑπ´ εὐκαρπίας σωφρονίζεται. Εἰ δὲ καὶ ὁ θυμὸς ἀνθρώπῳ  σύνοικος, χαλεπὸς καὶ δεόμενος πολλῆς παιδαγωγίας, τί, ἂν ᾖ, θυμοῦ παρασκευαστικώτερον πολέμου καὶ ὅπλων; τί δὲ γεωργίας ἠπιώτερον; Πρός γε μὴν τὰς ἀρετὰς αὐτὰς οὕτως ἔχει ἑκάτερον. Καὶ πρῶτόν γε πρὸς σωφροσύνην· ὅπλα ἔχων ἀνήρ, ὁ μὲν ἰσχυρὸς ἰταμώτερος, ὁ δὲ δειλὸς σφαλερώτερος· καὶ ὁ μὲν θρασὺς ἰταμώτερος, ὁ δὲ ἀσθενὴς θρασύτερος, ὁ δὲ φιλήδονος ἀκολαστότερος. Γεωργῶν ἀνήρ, ὁ μὲν ἰσχυρὸς εὐκαρπότερος, ὁ δὲ ἀσθενέστερος ὑγιεινότερος, ὁ δὲ δειλὸς ἀσφαλέστερος, ὁ δὲ φιλήδονος σωφρονέστερος. Εἰ δὲ καὶ πρὸς δικαιοσύνην ἐξετάζοις, πόλεμος μὲν διδάσκαλος ἀδικίας, γεωργία δὲ δικαιοσύνης. Ὁ μὲν γὰρ πλεονέκτης τέ ἐστιν καὶ ἐπὶ τὰ ἀλλότρια ἄγει, καὶ αὐτὸς αὑτοῦ κράτιστα ἔχει, ἐπειδὰν τὰ μέγιστα ἀδικῇ καὶ ἀδικῶν εὐστοχῇ. Παρὰ δὲ γεωργίας ἴση μὲν ἡ ἀντίδοσις, δικαία δὲ ἡ ὁμιλία. Θεραπεύεις φυτόν,  τὸ δὲ ἀντιδίδωσιν καρπούς· θεραπεύεις λήϊον, τὸ δὲ εὐτροφεῖ· τημελεῖς ἄμπελον, ἡ δὲ εὐοινεῖ· τημελεῖς ἐλαίαν, ἡ δὲ εὐανθεῖ. Φοβερὸς γεωργὸς οὐδενί, πολέμιος οὐδενί, φίλος πᾶσιν, ἄπειρος αἵματος, ἄπειρος σφαγῆς, ἱερὸς καὶ παναγὴς θεῶν ἐπικαρπίων καὶ  ἐπιληναίων καὶ ἁλώων καὶ προηροσίων· ἴσος μὲν ἐν δημοκρατίᾳ, ὀλιγαρχίαν δὲ καὶ τυραννίδα πάντων μάλιστα μισεῖ γεωργία. Οὐ γὰρ ταύτης θρέμματα ὁ Διονύσιος, οὐδὲ ὁ Φάλαρις, ἀλλ´ ἑκάτερος ἀπὸ τῶν ὅπλων.

IV. Le plus grand des maux pour l’homme, c'est d'avoir des désirs déréglés. Quelle est celle des deux, de la guerre, ou de l'agriculture, qui est la plus propre à exciter ce genre de désirs? Or, l'une est, de sa nature, d'une prodigalité de consommation qui n'a point de bornes; l'autre est naturellement frugale. La première est la guerre, la seconde l'agriculture : l'une, la guerre, est susceptible de beaucoup de modifications : l'autre, l'agriculture, a pour apanage la simplicité. L'une est toujours accompagnée d'incertitude et de chances obscures ; au lieu, que chacun sait à quoi s'en tenir sur le compte de l'autre. Car, qu'y a-t-il de moins facile à prévoir que les événements de la guerre? Le travail agricole, au contraire, a des résultats d'une solide probabilité. La guerre ne fait que devenir plus audacieuse et plus téméraire par ses succès. L'agriculture s'améliore et se perfectionne par les siens. D'ailleurs, si la fougue, l'emportement, naturels à l'homme, sont pour lui un mal qui a un grand besoin du frein de l'éducation, est-il rien qui sait plus propre à les exciter que la guerre et le métier des armes? Qu'y a-t-il, au contraire, qui donne plus de sang-froid et moins d'irascibilité que l'agriculture? Le même contraste existe entre l'une et l'autre, à l'égard des autres qualités morales. Et d'abord, pour ce qui concerne la tempérance : si le militaire est vigoureusement constitué, il en est plus impétueux pour les voluptés s'il est lâche, il se laissera vaincre par elles plus facilement ; s'il est de faible complexion, il s'y abandonnera avec plus de gaîté de cœur : et s'il a du goût pour les jouissances, il ne saura point s'en rassasier. L'agriculteur, au contraire, s'il est robuste, s'occupera, plus du produit de ses terres, qu'il ne s'occupera de ses voluptés ; s'il est faible de tempérament, il se ménagera davantage, pour l'intérêt de sa santé; s'il est pusillanime, les amorces de la volupté auront moins de facilité à le séduire ; et s'il se sent du penchant pour elle, il se tiendra d'autant plus sévèrement sur ses gardes (03). Considérons-les sous le rapport de la justice. La guerre enseigne à braver toutes les lois : l'agriculture à les respecter toutes. Dans le métier de la guerre, on est avide; on ne désire que de s'emparer du bien d'autrui ; et l'on n'a jamais plus haute opinion de soi-même, que lorsqu'on a fait le plus de mal, et qu'on est le mieux parvenu à son but. Dans l'agriculture, au contraire, on reçoit en proportion de ce que l'on donne : tout s'y passe sous les auspices de l'équité. Vous soignez une plante ; vos soins vous sont payés par ses fruits. Vous soignez vos champs; la moisson en est abondante. Vous soignez vos vignes ; vous faites beaucoup de vin. Vous soignez vos oliviers, vous récoltez beaucoup d'huile. L'agriculteur n'inspire de la terreur à personne. Il n'est l'ennemi de personne; il est l'ami de tout le monde. Etranger au sang et au meurtre, il est plein de respect et de religion pour Jupiter (04), pour Bacchus (05), et pour la Déesse à laquelle on offre des sacrifices avant les semailles, et avant de battre le froment dans l'aire (06). Elle aime l'égalité démocratique. Elle a en horreur l'oligarchie et surtout la tyrannie. Ni Denis de Syracuse, ni Phalaris ne sont ses enfants. Ce sont les armes qui en ont fait des tyrans.

V. Ἑορταῖς γε μὴν καὶ μυστηρίοις καὶ πανηγύρεσιν ποῖον πλῆθος ἐπιτηδειότερον; οὐχ ὁ μὲν ὁπλίτης ἑορταστὴς ἄμουσος, ὁ δὲ γεωργὸς ἐμμελέστατος; καὶ ὁ μὲν μυστηρίοις ἀλλότριος, ὁ δὲ οἰκειότατος; καὶ ὁ μὲν ἐν πανηγύρει φοβερώτατος, ὁ δὲ εἰρηναιότατος; Δοκοῦσι δέ μοι μηδὲ τὴν ἀρχὴν συστήσασθαι ἑορτὰς καὶ τελετὰς θεῶν ἄλλοί τινες, ἢ γεωργοί· πρῶτοι μὲν ἐπὶ ληνῷ στησάμενοι Διονύσου χορούς, πρῶτοι δὲ ἐπὶ ἅλῳ Δημητρὶ ὄργια, πρῶτοι δὲ τὴν ἐλαίας γένεσιν τῇ Ἀθηνᾷ ἐπιφημίσαντες, πρῶτοι δὲ τῶν ἐκ γῆς καρπῶν τοῖς δεδωκόσιν θεοῖς ἀπαρξάμενοι· οἷς εἰκὸς χαίρειν τοὺς θεοὺς μᾶλλον, ἢ Παυσανίᾳ τὴν δεκάτην ἀποθύοντι, ἢ Λυσάνδρῳ τὴν δεκάτην ἀνατιθέντι· ἐκ πολέμων αἱ ἀπαρχαί, ἐκ συμφορῶν αἱ εὐσέβειαι. Γεωργῶν δὲ φιλάνθρωποι  μὲν αἱ εὐχαί, εὔφημοι δὲ αἱ θυσίαι, ἀπ´ οἰκείων πόνων, ἄμοιροι συμφορῶν, ἄμοιροι κακῶν.

V. D'un autre côté, lesquels sont les plus propres des agriculteurs ou des militaires, à figurer dans la célébration des fêtes, des mystères, des solennités? Les militaires n'y jouent-ils point un rôle grossier, et les agriculteurs n'y jouent-ils point le leur à merveille (07)? Les militaires ne paraissent-ils pas étrangers aux mystères, tandis que les agriculteurs semblent très familiers avec eux? Dans les solennités, les premiers ne se font-ils pas redouter par leur turbulence, et les autres n'y sont-ils pas singulièrement paisibles? Il me paraît même qu'il n'y a que les agriculteurs qui aient pu, dans le principe, avoir l'idée d'établir des fêtes en l'honneur des Dieux. Ils sont, en effet, les premiers qui aient imaginé de danser, autour du pressoir, en l'honneur de Bacchus ; de célébrer, dans l'aire, des réjouissances en l'honneur de Cérès (08) ; de rendre à Minerve de solennelles actions de grâces pour leur avoir donné l'olive ; et d'offrir les prémices des fruits de la terre aux Dieux dont ils étaient le bienfait. Il est probable que les immortels accueillaient plus favorablement ces offrandes, que la dixième portion que leur présentaient Pausanias et Lysandre des dépouilles de leurs ennemis (09). Ces oblations des guerriers, ces actes de religion ont leur source dans les malheurs de l'espèce humaine. Les agriculteurs, au contraire, n'adressent aux Dieux que des vœux philanthropiques ; ils ne leur présentent que des sacrifices louables (10), les fruits de leurs propres labeurs, qui ne coûtent ni désastres, ni calamités.

VI. Εἰ δὲ δὴ καὶ πρὸς σοφίαν ἀντεξεταστέον τοὺς  ἄνδρας, ἐρώμεθα ἑκάτερον. Οὐκοῦν ὁ μὲν ἐν πολέμῳ σοφός, κοσμῆσαι δεινός, ἵππους καὶ ἀνέρας ἀσπιδιώτας, τὸ ἀκοσμότατον τῶν ἐν ἀνθρώποις πραγμάτων καὶ σκυθρωπότατον· ὁ δὲ ἐν γεωργίᾳ σοφὸς Πληϊάδων Ἀτλαγενέων περιτελλομενάων ἀμήτου ἄρχεται, ἀροτοῖο δυομενάων· μέλει δὲ αὐτῷ καὶ ἐνιαυτῶν ὡρῶν, καὶ σελήνης δρόμου, καὶ ἄστρων ἐπιτολῆς, καὶ ὄμβρου μέτρων, καὶ πνευμάτων καιροῦ. Εἰ δὲ καὶ σωμάτων ἀρετῇ τοὺς ἄνδρας κριτέον, καὶ ἀνδρείᾳ πόνων, ὀλίγοι μὲν τῷ στρατιώτῃ οἱ καιροὶ τοῦ πονεῖν, τῷ δὲ γεωργῷ διηνεκεῖς· ὑπαίθριος ἀεί, ἡλίῳ φίλος, συνήθης νιφετῶν, πεπηγώς, νηλίπους, αὐτουργός, εὔπνους, ὀξὺς δραμεῖν, ἰσχυρὸς φέρειν· εἰ δέ που καὶ δεήσαι μάχης, ὄψει στρατιώτην ἠσκημένον πόνοις ἀληθινοῖς, οἵων ἐπειράθη Δαρεῖος ἐπὶ Μαραθῶνα ἐλθών.

Ἦν γὰρ τότε Ἀθηναίοις στρατιωτικόν, οὐχ ὁπλιτικόν, οὐ τοξικόν, οὐ ναυτικόν, οὐχ ἱππικόν, ἀλλὰ κατὰ δήμους νενεμημένον· οἳ καὶ γεωργοῦντες, ἐπιπλεύσαντος αὐτοῖς βαρβαρικοῦ στόλου ἐπὶ Μαραθῶνα, ἐκ τῶν ἀγρῶν ἔδραμον, στρατιῶται ὀργιζόμενοι, ὁ μὲν σμινύην ἔχων, ὁ δὲ ὑννιμάχος, ὁ δὲ θεριστηρίῳ ἀμυνόμενος. Ὢ στρατιωτικοῦ καλοῦ, καὶ αὐτουργοῦ, καὶ μεστοῦ ἐλευθερίας·  ὦ γῆς καὶ γεωργίας καλὰ καὶ γενναῖα θρέμματα, ὡς ὑμῶν ἐπαινῶ μὲν τὰς ἀρετάς, ἐπαινῶ δὲ καὶ τὰ ὅπλα, οἷς ὑπὲρ τῆς οἰκείας γῆς ἐμαχέσασθε, ὑπὲρ ἀμπέλων, ἃς ἐκάμετε, ὑπὲρ ἐλαῶν, ἃς ἐφυτεύσασθε.  Ἀπὸ τοιούτων πάλιν ἐπὶ τὴν γῆν ἤλθετε, ἐκ πολέμων γεωργοί, ἐκ γεωργῶν ἀριστεῖς. Ὢ τῆς καλῆς ἀντιδόσεως.
 

VI. S'il faut, à, présent, les considérer sous le rapport de l'objet spécial de leurs travaux et de leur talent, examinons-les l'un et l'autre sous ce nouveau point de vue. En quoi consiste celui du militaire? A surveiller la bonne tenue des chevaux et des hommes, la chose du monde la moins agréable et la plus maussade (11). Celui de l'agriculteur consiste, au contraire, à être à l'affût des Pléiades, filles d'Atlas, à épier l'époque de leur lever, pour commencer la moisson, et celle de leur coucher, pour commencer les semailles. Il s'occupe de la marcher des saisons, du cours de la lune, du lever des astres, de la mesure de la pluie et de la périodicité des vents. S'il faut les considérer sous le rapport des forces physiques, et de la vigueur dans les travaux, nous verrons que les militaires ont peu d'occasions de se livrer à des travaux pénibles (12), au lieu que ces travaux sont continuels pour l'agriculteur. Il est toujours en plein air. Il supporte les ardeurs du soleil. Il est accoutumé à la neige, à la gelée. Il va nu-pieds; il fait lui-même sa besogne. Il dort peu. Il est aussi leste à la course que robuste sous les fardeaux; et s'il arrive qu'il faille en venir aux mains avec quelque ennemi, vous verrez un soldat exercé aux plus rudes fatigues, comme l'éprouva Darius dans la plaine de Marathon.

Les forces des Athéniens n'étaient alors composées ni d'infanterie (13), ni d'archers, ni de cavalerie, ni de vaisseaux. Les Athéniens n'étaient distingués, sous les armes, que par tribus (14). Au bruit de l'arrivée de la flotte des Barbares, et de l'invasion de la campagne de Marathon, les cultivateurs accoururent de leurs champs, dans le même attirail avec lequel ils avaient accoutumé de s'y rendre (15), armés l'un d'une bêche, l'antre d'un soc, un troisième d'une faux. O la belle armée, qui combattait pour conserver le fruit de ses labeurs, et qui ne respirait que l'amour de la liberté! O courageux, ô intrépides enfants de la terre et de l'agriculture, quels éloges ne dois-je pas donner à cette énergie et à ces armes, avec lesquelles vous avez combattu pour ces champs qui vous appartenaient, pour ces vignes que vous aviez travaillées, pour ces oliviers que vous aviez plantés! Du champ de bataille vous êtes retournés à vos labours; de soldats vous êtes redevenus agriculteurs, comme d'agriculteurs vous êtes devenus des héros! O l'admirable métamorphose!

VII. Ἀλλὰ Πέρσαις μὲν αἱ παλλακίδες ἕπονται, ἵνα μάχωνται καλῶς ὑπὲρ τῶν φιλτάτων· γεωργὸς δὲ ἀνὴρ οὐκ ἀμυνεῖται καλῶς ὑπὲρ τῶν φιλτάτων, ὑπὲρ ἀμπέλου τεμνομένης, ὑπὲρ ἐλαίας κοπτομένης, ὑπὲρ ληΐου δῃουμένου; Ἐὰν δὲ παραβάλῃς τῷ στρατιωτικῷ τούτῳ τὰ ὕστερα, εὑρήσεις μὲν πλείστους, ἀλλ´ οὐ νικηρους·  ὁπλίτας, ἀλλὰ μισθοφόρους, ὁπλίτας ἐσκιατροφημένους, ὁπλίτας ὑβριστάς, ἐν Σικελίᾳ ἡττωμένους, ἐν Ἑλλησπόντῳ λαμβανομένους. Τὰ δὲ Περσικὰ εἰ λέγοις, στρατιωτικόν μοι καὶ τοῦτο λέγεις ἐκ γεωργίας. Πότε γάρ ποτε Μῆδοι μὲν ἡττῶνται, κρατοῦσιν δὲ Πέρσαι; ὅτε Πέρσαι μὲν ἐγεώργουν ἔτι, Μῆδοι δ´ ἐπολέμουν, τότε ἦλθεν αὐτοῖς ἀγὼν κύριος. Στρατιωτικὸν ἐν Πασαργάδαις νενικημένον, γῇ τραχείᾳ ὑπ´ αὐτουργίᾳ στρατιώτας διαπεπονημένους· ἀλλ´ ἐπεὶ γεωργοῦντες ἐπαύσαντο οἱ Πέρσαι, καὶ τῆς γῆς ἐπελάθοντο, καὶ τῶν ἀρότρων καὶ τῶν ἀμητηρίων, τότε ἀπέβαλλον καὶ τὰς ἀρετὰς ὁμοῦ τοῖς ὀργάνοις.

VII. Quoi! les Perses se font accompagner aux combats par leurs concubines (16), afin que le péril de ce qui leur est le plus cher, leur inspire plus de bravoure ; et un cultivateur ne se battrait pas avec intrépidité, pour ce qu'il a de plus précieux, pour ses vignes qui seraient arrachées, pour ses oliviers qui seraient détruits, pour ses moissons qui seraient incendiées! Comparez avec cette milice d'Athéniens les autres armées du même Peuple. Vous y verrez plus de soldats, mais moins de vainqueurs : des soldats, mais des mercenaires: des soldats, mais formée à couvert de l'intempérie des saisons : des soldats, mais abandonnés à toute sorte de débauche; qui se laissent et battre en Sicile, et faire prisonniers sur l'Hellespont. Lisez l’Histoire des Perses; et vous me direz que ce fut à l'agriculture qu'ils durent leur supériorité dans le métier des armes. A quelle époque de l'antiquité, les Mèdes furent-ils subjugués par les Perses? Lorsque les Perses étaient encore cultivateurs, et que les Mèdes étaient guerriers, Cyrus marcha contre ces derniers à la tète d'une armée exercée aux fatigues dans l'âpre contrée de Pasargade, et composée de soldats accoutumés à tout faire de leurs propres mains. Mais, du moment que les Perses cessèrent d'être cultivateurs, du moment qu'ils abandonnèrent les travaux rustiques, la charrue, et la faucille ; leur vertu guerrière disparut en même-temps.

 

 

NOTES.

 

(01) Ce passage est emprunté du poème d'Aratus, intitulé les Phénomènes, vers 181, et suivants. Maxime de Tyr n'est pas le seul des anciens qui ait eu une haute idée de ce poète. Cicéron fit tant de cas de son ouvrage, qu'il le traduisit en vers, dans sa propre langue. Hommage bien rare chez les anciens. Au sujet de ce passage, Heinsius parle d'une ancienne Reine de l'île de Cypre, dont on cite trois lois remarquables ; la première, qui condamnait à avoir les cheveux coupés, et à être abandonnée au métier de courtisane, la femme convaincue d'adultère ; la seconde, qui condamnait les suicides à être jetés à la voirie; la troisième, qui défendait, sous une peine qu'on ne dit pas, de tuer le bœuf qui avait servi au labourage. On rapporte que cette Reine eut une fille et deux fils, qui subirent tour à tour les peines portées par les lois de leur mère; et que les Cypriens, touchés de son malheur, lui consacrèrent ce vers :

Σοφὴ μὲν ἤμην, ἄλλα παντὰ οὐκ εὐτυχής.

(02) Les Romains, qui devinrent, par la guerre, le premier peuple de l'univers, tenaient pour maxime fondamentale, que la guerre est juste lorsqu'elle est nécessaire. A la bonne heure ; mais cette nécessité, de quels éléments se composera-t-elle, et où sera l'oracle chargé d'en déterminer les cas? En effet, si vous laissez chacun juge en sa propre cause, la maxime, toute belle qu'elle est, ne produira rien. Elle n'empêchera pas qu'à la longue tous les peuples de la terre ne deviennent la proie d'un seul. En général, ce n'est pas par le défaut de sains et de vrais principes, que pèchent les peuples, non plus que les individus. C'est par le défaut de justesse et de bonne-foi dans les applications. Tout est-là ; et tant qu'on ne trouvera pas un moyen coercitif, moral ou physique, supérieur à l'effort des passions humaines, capable, par lui-même, d'assurer l'application des principes de la sagesse et de la justice, on aura beau étaler les plus pures théories ; la condition de l'espèce humaine n'en deviendra pas meilleure.

(03) Davies et Markland ont judicieusement remarqué que ce passage est rempli d'incorrections ; et je les ai suivis dans leurs conjectures sur la restauration matérielle du texte. Quant au sens, je me suis permis d'avoir aussi ma conjecture particulière ; et, si j'ai réussi à faire disparaitre les incongruités reprochées, ici, à Maxime de Tyr, à la bonne heure. Notre philosophe avait l'intention de comparer le militaire et l'agriculteur sous le rapport de la tempérance, c'est-à-dire, des jouissances physiques. C'était donc sur ces jouissances physiques, comme sur un point fixe, que devaient rouler tous les traits dont il forme son tableau de comparaison. C'est ce que j'ai pensé; et, en traduisant dans ce sens, j'ai vu s'évanouir toutes les inconvenances que présente le passage, dans tout autre sens. Au demeurant, qu'on prenne la peine de conférer ma version avec celle de Formey, ou avec celle d'Heinsius, et l'on jugera.

(04) Si j'ai rendu le θέος ἐπικάρπιος du texte par Jupiter, c'est que j'ai trouvé dans Hésychius, sous le mot ἐπικάρπιος, que Jupiter portait ce nom dans l'Eubée : Ζεὺς ἐν Εβοί.

(05) C'est également sur la foi du même Lexicographe que j'ai rendu ἐπιληναίων par Bacchus. Sous le mot Ληναῖος j'ai trouvé Διονύσος pour synonyme ; et sous le mot ἐπὶ Ληναίῳ, j'ai appris qu'il existait à Athènes un lieu de ce nom, Ληνᾶιον, ayant une grande enceinte, dans laquelle était bâti le temple de Bacchus, et où l'on célébrait les jeux qui lui étaient consacrés, à l'époque où le théâtre qui y servit dans la suite, n'était pas encore construit. La XXVIe des Idylles de Théocrite est intitulée Ληναὶ Βακχαὶ, parce que le poète y décrit la mort tragique de Penthée, Roi de Thèbes, déchiré par des Bacchantes, pour avoir eu l'indiscrète curiosité d'assister clandestinement à leurs orgies.

Parmi les divers noms de Bacchus qu'Ovide a recueillis dans les premiers vers du quatrième livre des Métamorphoses, se trouve celui de Lenœus? en ces termes :

Et cum Lenaeo genialis consitor uvae.

Aristophane fait mention de ce même nom de Bacchus, dans le 503e vers de ses acarnaniennes; et son Scholiaste nous apprend, au sujet des mots οὐπὶ ληναίῳ τ' ἀγών, que les jeux en l'honneur de Bacchus étaient célébrés deux fois l'année, la première fois, au printemps, et dans la ville, à l'époque ou l'on apportait les contributions à Athènes ; la seconde fois, dans les champs.

(06) Cérès est, je pense, assez clairement désignée par les circonstances des sacrifices dont il est ici question, et auxquels j'ai conservé, autant que je l'ai pu, la physionomie de l'Onomatopée.

(07) Maxime de Tyr, lorsqu'il écrivait ceci, devait avoir sons les yeux l'inverse de ce qui existe aujourd'hui, du moins chez le peuple François. Les militaires, en général, y sont plus ou moins familiarisés arec les idées libérales, tandis que, dans la plupart de nos campagnes, on trouverait ceux qui les cultivent, bien moins avancés de ce côté-là. Faisons remarquer, en passant, que Formey a rendu le miles inelegans, d'Heinsius, par ces mots : « Le soldat est un vrai trouble-fête »; ce qui me paraît aussi éloigné de la version latine que du texte grec ὁπλίτης ἄμουσος.

(08) Quoique Servius, dans ses Scholies sur Virgile, ait observé que le mot orgie était une expression générique, propre à toutes les espèces de fête en usage chez les Anciens, en l'honneur des Dieux, quels qu'ils fussent ; néanmoins ce mot a reçu dans notre langue une telle teinte de défaveur, que je n'ai pas osé l'appliquer aux fêtes de Cérès.

(09) C'était un usage très ancien d'offrir aux Dieux la dune du butin, fait a la guerre, contre les ennemis. Témoin Harpocration et Suidas sur le verbe Δεκατεειν. Pausanias et Lysandre s'acquittèrent de ce devoir sacré, après avoir vaincu, le premier, Mardonius, le second, les Athéniens. Voyez Hérodote, liv. IX, n° 80; Plutarque, Vie de Lysandre; et Jean Selden, de Decimis, cap. 3.

(10) Heinsius a traduit εφνμοι αἱ θυσίαι par religiosissima victimae. Il m'a paru que religiosissimœ n'était pas le mot dans le sens de Maxime de Tyr. J'ai consulté Hésychius, et sous le mot εὔφημοι, j'ai trouvé καλὰ, ἐπαινετά; d'où j'ai conclu qu'en opposant les offrandes des guerriers à celle des agriculteurs, notre philosophe a voulu dire que celles de ces derniers se composaient d'objets d'une nature appropriée à leur emploi.

(11) J'en demande pardon à Maxime de Tyr, mais son raisonnement me paraît pécher, ici, par le vice, qu'on appelé, en termes de l'école, le dénombrement imparfait. Les fonctions militaires ont un cercle plus étendu que celui dans lequel notre philosophe les restreint, ici. Au surplus, notre Auteur se permet trop souvent, sans doute, cette espèce de sophisme ; et ce défaut lui est commun avec presque tous les Rhéteurs de l'antiquité.

(12) En temps de paix, à-la-bonne-heure. Mais en temps de guerre? Voilà encore le vice du dénombrement imparfait.

(13) J'ai rendu le mot ὁπλιτικὸν par infanterie ; d'abord, parce qu'infanterie m'a paru convenir, ici ; et d'un autre côté, parce que dans le Pollux de Lederlin et d'Hemsterhuis, lib. I, cap. X, n° 13o, j'ai trouvé une note du docte Kühnius, en ces termes, ὁπλίται pedites dicuntur.

(14) On sait que dans les anciennes Républiques, les Citoyens, c'est-à-dire, ceux qui avaient le droit de Cité, étaient distribués en certain nombre de classes, dont la dénomination variait. A Athènes, les Citoyens furent distribués, par Solon, si je ne me trompe, en onze tribus.

(15) Cette phrase renferme un participe, qui est devenu un sujet de controverse entre deux critiques. Heinsius a lu ὀργιζόμενοι, et a traduit, en conséquence, (milites) qui iras alerent non contemnendas. Markland a pensé que c'était retrancher une des finesses de l'idée de Maxime de Tyr, et qu'il fallait lire ἐργαζόμενοι. A son avis, notre Auteur a voulu dire que, dans cette circonstance critique, les cultivateurs Athéniens n'avaient pas eu le temps de s'armer comme des soldats, et qu'ils étaient accourus, en hâte, s'opposer aux progrès des Perses déjà débarqués, avec le même attirail que lorsqu'ils partaient pour aller aux champs, faire leur journée. Ce qui m'a décidé pour cette opinion, déjà plausible par elle-même, c'est le détail des instruments d'agriculture avec lesquels Maxime de Tyr fait accourir les Athéniens.

(16)Vide Brissonium, Regn. Pers. lib. III, cap. XLIII, p. 692.

 

Paris, le 7 fructidor an VIII. (25 août 1800.)