Cassiodore

CASSIODORE

 

DE L'ÂME

 

Traduction française : Stéphane DE ROUVILLE

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

CASSIODORE

 

DE L'AME

 

TRADUCTION FRANÇAISE

par

Stéphane de Rouville

 

Ψυχή

Paris

ROUQUETTE, PASSAGE CHOISEUL.

MDCCCLXXIV


 

e nom de Cassiodore appartient à l'histoire. Ce personnage illustre ne fut pas seulement un grand écrivain, il fut aussi ministre et homme d'État. Mais, quel terrible siècle que celui il vécut et combien la politique de cette époque devait être difficile, impraticable, pour ne pas dire impossible. en 468, dans une petite ville de la Calabre, à Squillace, Magnus Aurelius Cassiodore assista à la chute de l'Empire d'Occident et subit les envahissements des hordes sauvages qui se disputèrent les dépouilles de Rome, après douze cents ans de victoires et de prospérités. Il vit de bonne heure que l'écroulement du vieux monde allait amener le chaos, l'ignorance, la barbarie; et il consacra toute son existence, soit dans l'administration, soit dans les lettres, à empêcher la disparition complète de la civilisation antique. Appelé dès sa jeunesse par Théodoric, roi des Ostrogoths, au gouvernement des affaires publiques, il fut successivement secrétaire d’État, questeur, grand chancelier, sénateur, préfet du prétoire, patrice et enfin consul. C'était une position délicate et périlleuse pour un Romain que d'être le premier ministre d'un prince barbare; Cassiodore sut néanmoins se maintenir par son incontestable supériorité et il réussit, jusqu'à la mort du roi, à défendre les intérêts de sa patrie. On ne peut nier d'ailleurs qu'il contribua largement à la grandeur du règne de Théodoric. Il continua d'occuper les mêmes fonctions sous sa fille Amalasonthe, qui fut régente du jeune Athalaric. Plus tard, Théodat, ayant fait étrangler la reine dans un bain et s'étant emparé définitivement du trône, conserva auprès de lui Cassiodore. Celui-ci n'osa refuser ce dangereux honneur, dans la crainte de livrer entièrement ses concitoyens à la domination gothique. Il servit même quelque temps son successeur Vitigès, qu'il aida de ses conseils et de ses lumières; mais, lorsqu'il.vit Bélisaire à Rome et l'Italie un instant affranchie du joug des envahisseurs, il en profita pour se retirer du monde, après avoir publié le Traité de l'Ame et XII livres de Lettres curieuses sur la politique et la diplomatie du VIe siècle. Il alla s'enfermer à Viviers, dans un monastère qu'il avait fondé. Il était alors âgé de soixante et dix ans. Depuis cette époque jusqu'à la fin de sa vie, qui dépassa cent années, Cassiodore travailla sans relâche à réunir, à corriger et à transcrire les précieux manuscrits que nous a laissés l'antiquité sur les sciences, les lettres et les arts. C'est à lui que nous devons de posséder véritablement les classiques grecs ou latins, qui, dans ces temps d'obscurité, fourmillaient d'erreurs ou d'incorrections ; car, ayant formé une riche bibliothèque d’ouvrages les plus variés, il habitua ses moines à les copier. Les autres couvents firent de même et l'exemple fut suivi jusqu'à l'invention de l'imprimerie. C'est ainsi que les chefs-d'œuvre de l'esprit humain furent conservés à la postérité. Cassiodore mérite à ce titre de la reconnaissance. Ce fut au milieu de cette retraite qu'il composa la plupart de ses livres, qui, au moyen âge, servirent longtemps à l'enseignement. Sous le titre d’Institutions des Lettres divines et humaines, il fit de savants traités sur les sept arts libéraux et les parties du discours. Il écrivit une Histoire des Goths dont Jornandès nous a heureusement conservé quelques extraits, une Chronique depuis le déluge jusqu'en 519, des Commentaires sur les Psaumes, les Epîtres, les Actes des Apôtres et l'Apocalypse, sans compter son fameux Traité de l'Orthographe qu'il rédigea lui-même, à l'âge de quatre-vingt-treize ans. On a aussi sous son nom une Histoire tripartite; mais c'est un abrégé de Socrate, de Sozomène et de Théodoret, qui a pour auteur Epiphane le Scolastique. De tous les ouvrages de Cassiodore, le Traité de l'Ame paraît caractériser le mieux l'écrivain et former un ensemble plus complet de ses doctrines; voilà pourquoi nous en présentons ici la traduction. C'est d'ailleurs une œuvre essentiellement morale, philosophique et chrétienne, qui possède une valeur réelle. On a généralement reproché à l'auteur latin un peu trop de recherche et de subtilité; cela ne l'empêche point d'avoir une grande profondeur dans les pensées et beaucoup d'élévation dans le style. Pour bien juger Cassiodore, il faut songer au siècle dans lequel il a écrit.

 


 

DE L’AME

 

 

INTRODUCTION

éja je me réjouissais d'être arrivé à la fin tant souhaitée de mon œuvre ; après y avoir consacré douze volumes, j'entrais tranquillement au port, sinon couvert de louanges, du moins délivré de soucis; mais voilà que mes meilleurs amis m'engagent de nouveau sur la haute mer de la pensée. Ils me demandent de dévoiler quelques-uns des mystères que j'ai pu découvrir, soit dans les livres sacrés, soit dans les livres profanes, touchant la substance de l'âme ou ses facultés ; ils s'adressent à moi, persuadés qu'il m'a été donné de pénétrer les secrets de si grandes choses. Ils ajoutent qu'il serait insensé de laisser ignorer le principe auquel nous devons la plupart de nos connaissances et de le considérer comme nous étant étranger, tandis qu'au contraire il est fort utile de savoir par quel moyen nous acquérons la science.

Ce n'est point entreprendre une longue excursion que de discourir sur son propre sens ; il suffit d'interroger la Nature, elle répond d'elle-même. Il ne faut donc pas aller loin pour se rencontrer. Celle que nous cherchons est toujours avec nous ; elle y demeure, elle agit, elle parle : et malgré cela, s'il est permis de le dire, elle vit entièrement ignorée.

Il ne doit point en être ainsi, puisque nous l'avons à notre disposition ; c'est d'autant plus aisé qu'elle est sans cesse en présence d'elle-même et qu'elle s'examine avec beaucoup de pénétration. D'ailleurs, il a été recommandé par les sages de nous connaître nous-mêmes : comment pourrait-on se conformer au précepte, si l'on reste inconnu à soi-même ?

Nous désirons savoir le cours varié des planètes dans le ciel, la marche régulière des constellations. Parmi ces astres, il y en a de fixes et d'immobiles, d'autres sont emportés par un mouvement perpétuel de rotation et ne se reposent jamais. En accomplissant leurs révolutions, ils font entendre, comme les Docteurs profanes essayent de l'expliquer, une harmonie pleine de charmes et des modulations que rien ne saurait exprimer. Leur sonorité et l'ensemble de leur concert produisent une musique délicieuse. Nous voulons encore étudier la hauteur de l'air, la mesure du sol, les nuages, les pluies, les tempêtes, la grêle, les tremblements de terre, la variabilité des vents, la profondeur de la mer inconstante, les propriétés des plantes, l'essence des quatre éléments qu'on retrouve dans tous les corps : et il faudrait admettre que l'âme ne peut se connaître elle-même, quand elle a reçu d'en haut le pouvoir de résoudre de tels problèmes ! Nos recherches manquent alors d'opiniâtreté et nous mettons trop de mollesse à vouloir découvrir d'aussi profonds mystères.

Nous devons apprendre :

1° Pourquoi l'âme est ainsi appelée ;

2° Quelle est la définition qui lui convient ;

3° Quelle est sa qualité substantielle ;

4° S'il faut croire qu'elle ait une forme ;

5° Quelles vertus morales elle possède, parmi celles que les Grecs nomment ἀρεταί, et qui contribuent à son honneur comme à sa gloire ;

6° Quelles sont ses facultés naturelles, c'est-à-dire celles qui servent à contenir la substance du corps;

7° Quelle est son origine ;

8° En quel endroit elle réside de préférence, bien qu'elle soit répandue par tous les membres ;

9° Quelle est la forme et la composition du corps;

10° Quelles sont les propriétés de l'âme des pécheurs et au moyen de quels signes on peut les reconnaître ;

11° Par quelle différence on la distingue de celle des justes, afin d'avoir certains indices qui nous montrent ceux que nous ne pouvons voir de nos yeux ;

12° Quelles sont les différentes opinions et le sentiment de chacun sur la résurrection, dont ne doute point le sage. Le cœur fragile des mortels aura ainsi plus de foi dans les promesses divines.

« Avec l'aide de Dieu, me disent mes amis, réponds-nous sur toutes ces questions, en ayant soin de procéder par ordre, de façon à nous pénétrer facilement de ta parole et à t'acquérir la renommée d'un savant. »

J'ai déclaré que ces propositions n'avaient aucun rapport avec les Préceptes des Rois, dont je m'occupais naguère ; elles conviennent plutôt à des dialogues intimes et mystérieux, qui s'adressent moins aux oreilles qu'à l'entendement intérieur de l'homme, à la partie la plus délicate de son intelligence. D'un autre côté, il n'est pas si aisé qu'on pourrait le croire de parler de l'Ame, puisque c'est elle qui nous sert à expliquer une foule de choses. En effet, l'œil, qui perce jusqu'aux astres, ne peut se voir lui-même: notre palais, qui éprouve des sensations de goût si diverses, ignore sa propre saveur. Les narines, qui aspirent des parfums si variés, ne sentent point l'odeur qu'elles exhalent. Enfin notre cerveau, bien qu'il transmette le sentiment aux autres membres, en est, dit-on, privé.

D'ailleurs, fatigué comme je suis, quelle discussion pourrais-je entamer, moi qui me dirigeais avec tant d'ardeur vers le terme de mes travaux? Ah! chers amis, vous m'imposez une rude tâche, en m'obligeant à traiter une pareille matière. On voit bien qu'en latin méditer et forcer (cogitare et cogere) viennent positivement de la même racine. Et puis, la question, déjà discutée par beaucoup de gens, parait avoir été abandonnée comme à peu près inexplicable.

J'ai eu beau faire ces objections, en ajouter d'autres encore ; rien n'a réussi. Malgré de nombreuses raisons, je n'ai pu ni triompher de leurs exigences, ni obtenir de concessions.

Vaincu à la fin, j'ai demandé du moins quelques jours de répit, ne voulant pas m'engager avec précipitation dans une œuvre, entreprise forcément et hérissée de difficultés. Aussi, m'arrive-t-il ce qui arrivait à Protée qu'on chargeait de chaînes, pour le contraindre à dévoiler les secrets qu'il n'entendait point divulguer volontairement. Cependant, la chose a fini par me sembler supportable ; car le sujet qu'on m'impose est tel, que si, grâce à Dieu, j'en parle d'une manière conforme à la vérité, il aura le mérite de récréer l'esprit du lecteur et d'éclairer l'intelligence de l'auteur.

Mais, avant d'entrer dans les détails, je dois élaguer, comme autant de rameaux inutiles, les similitudes de noms ; de peur que le champ de la dispute ne soit obstrué par une forêt de mots gênants et obscurci par l'abondance des images.


 

 

CHAPITRE PREMIER

Pourquoi l'âme est ainsi appelée.

e mot âme s'applique proprement à l'homme, et non aux animaux, parce que la vie de ces derniers est considérée comme résidant seulement dans le sang.

L'Ame, étant immortelle, s'appelle avec raison en latin anima, du grec ἀναίμα, pour indiquer qu'elle est tout à fait distincte du sang. En effet, même après la mort, il est certain que sa substance demeure intacte, ainsi qu'on le verra plus loin. D'autres disent que l'Ame tire son nom de ce qu'elle anime et vivifie le corps, auquel elle est attachée.

Quant au mot animus, il vient de ἄνεμος, qui signifie vent, attendu que l'extrême rapidité de sa pensée est emportée comme le vent, avec un mouvement vertigineux. Ce mouvement est produit par l'impulsion de l'âme, en raison de la nature de ses aspirations.

Mens, intelligence, dérive de μήνη, qui veut dire lune. La lune en effet, bien qu'elle subisse des changements variés et périodiques, revient cependant à son état primitif, en se renouvelant sans cesse. Il en est de même de l'intelligence : tantôt affaissée sous le poids des douleurs, elle paraît obscurcie; tantôt revenue à la joie, elle reprend son éclat naturel.

Esprit, spiritus, a trois significations :

D'abord on nomme ainsi dans le sens véritable et propre Dieu, indépendant du Monde et Maître absolu des créatures, dispensant à son gré l'existence et les bienfaits, remplissant l'Univers de sa personne et tout entier en toutes choses, immobile et ne changeant jamais, quoique éternellement actif et exerçant le souverain pouvoir sur chacune des parties qui forment l'ensemble des êtres.

Nous appelons encore esprit une substance légère, invisible, immortelle, qui est avantageusement douée de force et d'influence.

Enfin, on donne le nom d'esprit à ce souffle qui se trouve répandu par tout le corps, comme en un récipient, et avec lequel la vie des mortels, maintenue dans l'état normal, ne s'arrête point et se répare à l'aide d'un mouvement continuel.

Il faut savoir en outre que l'esprit et l'intelligence ne peuvent être appelés proprement âme. Seulement, comme l'un et l'autre dominent en elle, il arrive parfois qu'on les confond abusivement sous le même nom. Le mot esprit (spiritus) ne doit pas non plus se prendre indistinctement pour âme ; car cette dénomination est donnée également aux puissances éthérées, c'est-à-dire aux Anges, et à tout ce qui est spirituel. On ne saurait vraiment aussi appeler âme cette sorte de souffle vital qui se dissipe par l'altération de l'air, et qui est commun aux animaux.

Il reste maintenant à désigner, d'une manière claire et distincte, l'Ame humaine, qui est une essence spirituelle qu'aucune perte de sang ne peut détruire. Parlons donc librement de sa substance elle-même, à présent que nous avons, grâce à un triage indispensable, écarté toutes les similitudes de mots. Commençons d'abord par établir, avec le plus de prudence et de réflexion possible, une définition fondamentale des choses, afin que les conséquences, qui pourront en être déduites; soient facilement reconnues comme se rattachant à la proposition qui les aura engendrées.

 


 

 

CHAPITRE II

De la définition de l'âme.

 

es auteurs profanes disent que l'âme est une substance simple, d'une espèce naturelle, distincte de la matière qui constitue le corps auquel elle est attachée. Selon eux, c'est la force motrice des membres, le principe de la vitalité. Et, s'il faut s'en rapporter à l'autorité de docteurs plus véridiques, l'âme humaine, créée par Dieu, serait une essence propre, spirituelle, vivifiante, raisonnable et immortelle, mais aussi portée au mal qu'au bien.

Voilà, en quelque sorte, l'œuf dans lequel se trouve renfermé le germe qui contient l'existence de l'oiseau et l'éclat de son plumage. Ouvrons-le à présent et examinons-en les parties, puisque ordinairement les hommes apprennent mieux les choses que la division leur fait paraître plus claires et plus évidentes.

Que Dieu produise ou ait produit les âmes, c'est ce que personne de sensé n'ignore. Et, comme tout ce qui existe est ou créateur ou créature, aucune substance créée ne peut devenir créatrice ; car, pour subsister, elle a besoin de Dieu. L'âme ne saurait, d'ailleurs, procurer à d'autres la vie, qu'elle ne possède que parce qu'elle l'a reçue. Avouons donc qu'elle est véritablement l'œuvre de la Divinité qui, seule, a le pouvoir de faire des êtres mortels et immortels. Nous en avons la preuve dans Salomon. On y lit : « Que la poussière redevienne terre, comme elle était; et que l’esprit retourne à Dieu qui l'a donné. » Et ailleurs : « Tout souffle est mon ouvrage, dit le Seigneur. »

Du reste, la raison absolue nous démontre que l'âme est d'une essence particulière. En effet, nous savons que les choses corporelles sont renfermées dans les limites de trois lignes : longueur, largeur et profondeur. Il serait impossible de rien trouver de pareil chez elle. En outre, malgré son union avec le corps dont la masse l'alourdit et l'accable, l'âme examine attentivement les opinions humaines, elle approfondit les questions célestes, elle recherche les secrets de la Nature; elle pousse à l'infini ses investigations, et brûle même de pénétrer le mystère qui enveloppe son créateur. Si elle était corporelle, elle ne pourrait avoir des pensées ni comprendre ce qui est spirituel. Il faut alors abandonner l'idée qu'elle puisse être corporelle. Elle peut d'autant moins l'être qu'elle ne se prête en aucune façon à la définition qui convient au corps, et qu'elle s'élève à des hauteurs auxquelles l'esprit seul s'efforce de parvenir. L'Ecriture sainte nous en avertit avec beaucoup de raison. D'après elle, l'âme méprise toutes les choses visibles de ce monde, parce qu'elle est incorporelle, et se porte volontiers vers les choses spirituelles, parce qu'elle a été formée à leur ressemblance. Elle a donc une substance propre, puisqu'en dehors d'elle nul autre esprit ne partage les chagrins ou les joies qui proviennent des passions charnelles.

Nous avons dit que l'âme animait le corps. En effet, à peine y est elle attachée, que, par une ineffable sympathie, elle le chérit tendrement. Elle aime cette prison qui l'empêche d'être libre, et se sent vivement affectée par ses douleurs ; elle redoute sa fin, elle qui ne peut mourir, et tremble si fort aux moindres accidents du corps qu'on la croirait à l'extrémité, tandis qu'au contraire la Nature l'exempte de toute destruction. Elle est heureuse d'une saine constitution; elle se réjouit des plaisirs de la vue, du charme de la mélodie, de la douceur des parfums; elle apprécie même une nourriture nécessaire, qui flatte le goût. Bien qu'elle ne vive d'aucune de ces choses, elle éprouve néanmoins de la tristesse quand elle en est privée; elle les regrette alors, non pas pour ses besoins, mais pour ceux des membres placés sous sa dépendance.

C'est par cette voie que se glissent quelquefois des vices contraires à la raison, lorsque l'âme, trop indulgente pour le corps qu'elle aime, s'abandonne au péché. La vie du corps consiste donc dans la présence de l'âme qui lui a été donnée; la mort résulte de son départ : de même qu'il fait jour quand le soleil brille, et qu'il fait nuit quand il disparaît. On le voit, le corps existe seulement par le secours de l'âme, et il est constant qu'il reçoit d'elle la faculté de se mouvoir.

Mais, puisque nous parlons des conditions d'existence, il importe de savoir que dès le moment où cette force ignée a pénétré les parties du corps, dès le moment où l'esprit vital a animé de son souffle la matière charnelle, l'âme ressent aussitôt ses blessures et partage ses douleurs, parce qu'elle s'y trouve essentiellement enclavée. Si la vertu, ou plutôt la chaleur de l'âme, ne servait qu'à la croissance des membres, elle ne pourrait souffrir avec le corps de l'incision faite à un doigt : de même que le soleil n'éprouve assurément aucun mal, si l'on essaye de couper ses rayons. Elle occupe donc entièrement toutes les parties; elle n'est pas ici plus petite, là plus grande ; mais, d'un côté plus intense, de l'autre moins active, quoiqu'elle répande également partout la vie. Bien qu'elle se contracte et forme un ensemble, elle ne laisse point s'affaiblir ou dépérir les membres dans lesquels elle doit conserver la vigueur vitale, elle distribue à chacun les aliments convenables, et garde entre eux la mesure et l'harmonie.

Il paraît vraiment merveilleux qu'une chose incorporelle soit alliée à des membres grossiers et que des natures si différentes aient été amenées à n'en faire qu'une; de telle sorte que l'âme ne peut rompre l'association quand elle le désire, ni la prolonger quand le Créateur lui a signifié sa volonté. Tout lui est fermé lorsqu'elle doit habiter le corps, tout lui est ouvert lorsqu'elle a ordre d'en sortir. En effet, si elle reçoit malheureusement une blessure grave, il lui est impossible de succomber sans la permission de son auteur, comme aussi d'être sauvée sans sa miséricorde. De là vient que nous voyons souvent des personnes grièvement blessées se guérir, tandis que d'autres meurent à la suite d'atteintes légères.

Quant à la présence de la raison chez l'homme, qui en douterait? N'aborde-t-il pas des choses divines, ne connaît-il pas les choses humaines, ne se livre-t-il pas à l'étude des beaux-arts et des sciences les plus élevées? S'il a l'honneur de surpasser tous les animaux, c'est grâce à la raison dont il est doué. J'appelle raison le mouvement régulier de l'esprit qui, par les moyens acquis et les chemins déjà frayés, conduit à un résultat inconnu et arrive à surprendre le secret de la vérité. C'est elle qui, à force de conjectures et d'argumentations, essaye d'approfondir tout ce qui existe dans la nature. On doit en effet donner le nom de raison vraie, pure et certaine, à celle qui conçoit de justes pensées et les exprime par l'intermédiaire du langage, avec une grande facilité d'élocution.

L'âme, placée dans le corps, voit et considère, sans sortir d'elle-même, une foule d'objets des plus variés; elle s'étend partout, bien qu'on ne puisse jamais constater son absence ; elle se meut, s'élève, s'agite et se promène en elle-même comme si elle parcourait un vaste espace. Elle ne s'échappe point pour agir; en restant sur son terrain, elle se représente les choses en idée, soit qu'elle les ait vues de ses yeux, ou conçues dans la fantaisie de son imagination. Toutes ses pensées se produisent séparément, de même que ses paroles; mais ses sensations n'ont aucun ordre : leur diversité amène la confusion. Il n'appartient qu'à Dieu de composer un ensemble et de tout développer à la fois dans des proportions équitables.

Douée d'une large part de raison, que d'inventions l'âme doit à ce présent de la Divinité! Elle a trouvé la forme des lettres, enfanté les arts et les sciences, entouré les cités de murailles, et façonné des vêtements de toute sorte. A force d'industrie, elle a amélioré le sol, exploré l'univers, lancé sur l'abîme des navires ailés; elle a transpercé les montagnes pour les voyageurs, disposé les ports en croissants pour les marins, et enrichi la terre d'usines et d'ateliers! Qui pourrait douter qu'elle n'ait la raison en partage, quand, inspirée par le Créateur, on voit son intelligence faire admirer tant de merveilles dignes d'éloges et de célébrité?

Il convient maintenant de parler de son immortalité.

Les âmes sont immortelles : les écrivains profanes l'ont prouvé de bien des manières. Ils ont dit : « Si tout ce qui donne l'existence à d'autres êtres vit par soi-même, l'âme, qui anime le corps, vit par elle-même et, par conséquent, est immortelle. » Ils disent encore : « Tout ce qui est immortel est simple : or, l'âme n'est ni complexe ni formée de plusieurs parties; sa nature, au contraire, est simple; elle est donc immortelle. » Ils avancent en outre cette proposition : « Tout ce qui ne se corrompt point par suite d'une opposition originelle, doit durer éternellement : l'âme, qui est simple et pure, est indubitablement immortelle. » Ils ajoutent enfin : « Si toute essence raisonnable qui se meut en elle-même est immortelle, l'âme qui est douée de raison et a la faculté de se mouvoir elle même, est immortelle. »

Quant à nous, il nous est facile d'appuyer sur des textes véridiques la preuve de l'immortalité des âmes. En effet, lorsque nous lisons qu'elles ont été faites à l'image et à la ressemblance de leur auteur, qui osera s'insurger contre une autorité sacrée et prétendre qu'elles sont périssables? A moins qu'on n'ait l'audace de soutenir qu'elles s'écartent de cette ressemblance avec leur créateur ! Car, de quelle façon les âmes pourraient-elles reproduire l'image et la ressemblance de Dieu, si elles étaient limitées par la mort de l'homme? Celui qui vit et demeure perpétuellement d'une manière ineffable, qui est lui-même maître de l'Éternité, qui contient et dispose tout, peut sans aucun doute, étant immortel, créer des choses immortelles et faire partager sa propre existence, dans de certaines proportions.

Quelqu'un dira : « Comment suis-je semblable à Dieu, puisqu'il m'est impossible de créer des êtres immortels? » A cela, nous pensons qu'il faut répondre par une comparaison : Est-ce qu'une peinture qui nous représente a le pouvoir d'imiter nos actions? Une image peut bien avoir de la ressemblance, sans être en état d'agir comme la réalité.

Nous devons aussi reconnaître que l'âme est immortelle, en ce qu'elle aspire toujours à s'occuper de l'Éternité; elle désire, en effet, laisser la renommée de son nom, après avoir quitté le corps; elle ambitionne une gloire durable, et sa conscience songe surtout à l'avenir, dans la crainte d'arriver avec quelque souillure devant la postérité. De là vient, et les plus grands auteurs en sont convaincus, que tout ce qui s'élève par la dignité de la raison ne saurait être abaissé par la mort. Joignez à cela que la vérité nous enseigne d'une façon absolue qu'aux méchants sont réservés des supplices sans fin, et aux bons des joies éternelles; de sorte qu'il n'est point permis d'accueillir avec hésitation ce que daigne promettre la puissante Divinité.

Toutefois, nous ne devons pas croire que cette immortalité de l'âme est telle, qu'elle n'admet aucune passion : elle est au contraire sujette au changement et sensible au chagrin; mais, au milieu des ennuis ou des inquiétudes, elle poursuit son but avec persévérance.

C'est d'une manière spéciale et particulière que Dieu est immortel, juste, puissant, bon et saint : et, bien que ces attributs ou d'autres semblables soient accordés aux hommes, ou aux Anges, aucun d'entre eux n'atteint néanmoins ce haut point de souveraineté, si digne de respect. Cependant, toutes les vertus éminentes, concédées aux créatures par la générosité divine, parviennent relativement à un degré très élevé de plénitude et de perfection.

A présent, il faut rechercher comment doit être comprise l'existence de l'âme.

Après avoir quitté le monde, elle vit en elle-même, non pas à l'aide d'un souffle comme le corps, mais en vertu de cette constante faculté de se mouvoir qui lui a été attribuée; toujours pure, subtile, légère, éternelle, elle voit, entend, touche et agit avec plus d'efficacité qu'au moyen des sens ; elle ne se trouve plus réduite à n'embrasser les choses que partiellement ; elle peut, par l'ensemble de sa substance, connaître tout à fond. D'ailleurs, ce serait une absurdité de penser que l'âme a moins de pouvoir, une fois affranchie, que pendant le temps où elle est alourdie par la masse d'un corps pesant. Elle se trouve alors indubitablement dans les mêmes conditions d'intelligence que les Anges, les puissances aériennes et tous les êtres formés d'une essence sublime et immortelle.

Il nous reste maintenant, en suivant l'ordre prescrit, à montrer que l'âme est sujette au changement. Plût à Dieu que cela fût incertain et ne pût être aisément prouvé! Mais, c'est malheureusement une faiblesse dans laquelle nous tombons fréquemment.

Qui peut douter, en effet, que nous ne soyons tantôt exaltés par la joie, tantôt abattus par la tristesse, dans un moment pleins de miséricorde, dans l'autre furieux d'indignation, aujourd'hui sur le chemin de la vertu, et demain sur la pente du vice? Il est des choses que nous recherchons ardemment ; il en est d'autres pour lesquelles nous avons un oubli dédaigneux. Ce qui nous plaisait il n'y a qu'un instant, nous déplaît l'instant d'après. A peine édifiés par les discours des bons, nous en laissons détruire l'effet par les propos des méchants; et, cependant, nous n'ignorons pas qu'autant nous profitons du contact des esprits droits, autant nous perdons à celui des gens pervers. Si nous avions de la constance dans nos idées, un but unique dans nos actions, jamais, de bons, nous ne deviendrions méchants, ni, de réprouvés, bienheureux, comme il arrive par suite de notre déplorable penchant au changement.

Pour reconnaître cette variabilité d'une manière plus évidente, rappelons-nous qu'il est dit que la sagesse ne nous a point été donnée avec un caractère immuable. Il en résulte que nous la pratiquons quand la lumière divine éclaire notre conduite, tandis qu'au contraire nous l'abandonnons lorsque l'obscurcissement produit par nos fautes nous aveugle. Un pareil état d'entraînement et de contraste n'offre que de l'incertitude. Le Tout-Puissant est le seul pour qui exister et être sage, pouvoir et vivre, vouloir et faire, sont des choses identiques. Et cela se comprend, puisque le bien de ce monde ne vient pas vers lui, mais procède de lui. C'est pourquoi, si on considère l'origine de ce que nous appelons l'âme, il ne faut point s'imaginer qu'elle soit une partie de Dieu, ainsi que l'ont fait quelques insensés dans une pensée irréligieuse, attendu qu'elle est mobile; ni une parcelle de la substance angélique, puisqu'elle peut être associée à la chair; ni une émanation de l'air, du feu, de l'eau, de la terre, ou des éléments étroitement unis entre eux : il faut voir en elle une nature simple et particulière, une essence distincte des autres esprits, que nous devons estimer comme étant de beaucoup plus subtile et plus transparente que l'air; car celui-ci est communément sensible, tandis que nous ne pouvons apercevoir l'âme avec notre organisation corporelle.

Cette substance, en vertu de sa mobilité naturelle, est continuellement mise en mouvement pour exprimer ses pensées. De là vient que, pendant le sommeil, si nous n'avons pu réfléchir comme de coutume et vaquer à nos occupations quotidiennes, nous voyons en songe une foule d'objets, revêtus d'une forme tantôt vraie, tantôt mensongère. C'est peu, qu'une fois nos sens assoupis, nous devenions le jouet de l'imagination : souvent même, pendant la veille, nous sommes détournés de notre contemplation ; souvent, tandis que nous nous appliquons à la prière avec la plus grande attention, des pensées, qui paraissent inspirées par je ne sais quel jeu de l'esprit, nous en écartent aussitôt; et il arrive que nous subissons alors l'influence d'idées entièrement opposées à celles que nous avions.

Il est donc certain qu'en ce monde l'âme se dirige par une volonté instable et variable, et qu'elle est également susceptible de recevoir ou de perdre les bonnes impressions. Elle n'est pas d'ailleurs toujours libre de suivre uniquement et constamment sa volonté, car elle est soumise à des changements multiples et contraires à ses dispositions intimes. Nous ne sommes point de ceux qui prétendent que les âmes se rappellent plutôt qu'elles n'acquièrent les connaissances usuelles et autres sciences; s'il en était ainsi, elles seraient prêtes à répondre aux questions, sans être obligées de les comprendre par l'intervention de l'intelligence, et elles n'écouteraient pas les choses nouvelles, comme si elles n'en avaient jamais entendu parler auparavant.

Voilà, je crois, presque terminée, cette laborieuse définition. Nous n'avons rien laissé dans, l'ombre de l'ensemble que nous avions devant les yeux. La nature du sujet est telle, qu'une fois bien posé, le problème se trouve résolu de lui-même. On ne saurait être alors taxé d'avoir dit quelque chose de plus ou de moins qu'il ne fallait.

A présent, arrivons, avec toute l'attention dont nous sommes capable, à la qualité substantielle de l'âme. C'est là, on se le rappelle, le troisième point de la question.

 


 

 

CHAPITRE III

De la qualité substantielle de l'âme.

 

es auteurs ont écrit que la qualité de cette substance était ignée, parce qu'elle se développe avec une ardeur sans cesse agissante, et, qu'une fois unie au corps, elle en vivifie les. membres par sa chaleur.

Ils fondent leur opinion sur ce qu'une flamme active alimente les corps célestes, non point d'un feu périssable et momentané, mais d'un feu durable, nourrissant et immortel.

L'âme n'en est ni diminuée ni augmentée; elle conserve éternellement la situation qu'elle reçoit à son origine. Il ne peut y avoir de fin à ce qui n'est en aucune façon formé, comme un corps quelconque, d'éléments divers. De même, ce qui est un et simple ne peut connaître l'état contraire. Voilà pourquoi l'âme subsiste toujours, n'ayant dans son essence ni trouble ni désordre.

C'est ainsi qu'on nomme immortels tous les êtres créés auxquels la substance spirituelle a été accordée.

Quant à nous, nous appellerions plutôt l'âme une lumière, et avec assez d'exactitude selon nous, en la considérant comme l'image de Dieu. Elle a reçu en effet, dans des proportions convenables à son importance et au milieu des diverses conditions de chaque chose, ce qu'il faut pour briller. Dieu, qui est tout-puissant et seul doué de l'immortalité, habite une lumière inaccessible qui surpasse toutes les clartés, toutes les admirations possibles. Si l'image a quelque ressemblance avec son modèle, elle participe alors à cette lumière, mais elle ne peut la posséder entièrement.

Ce divin modèle, dont nous adorons l'ineffable mystère, qui, quoique invisible, est présent partout ; qui, à la fois Père, Fils et Saint-Esprit, a une essence unique et une souveraineté indivisible, une splendeur supérieure à tous les éclats, une gloire au-dessus de tous les éloges : l'intelligence la plus pure et la mieux inspirée peut bien le concevoir par quelque partie, mais elle ne saurait l'expliquer d'une manière complète et satisfaisante. Comment, en effet, serait-il possible de parler dignement de Celui que les sens ne peuvent embrasser? Nous aurons beau dépasser, par une piété excessive, les limites imposées à notre âme, et, par un immense zèle de religion, arriver à d'aussi hautes contemplations; nous aurons beau même aller au delà des bornes mises au pouvoir des créatures célestes, et méditer profondément sur la nature de Celui qui, d'un mot, en un moment, a fait de si grandes choses : tout sera plus vaste que notre admiration, tout sera plus élevé que nos sensations, puisque la conception humaine ne saurait pénétrer jusqu'à cette impénétrable majesté.

En présence d'une pareille puissance, il n'y a qu'un parti à prendre : la vénérer, attendu qu'elle est au-dessus de tout examen, et qu'il ne faut pas chercher à en définir la nature et l'extension.

Après les considérations qui précèdent, il nous est facile de voir que les âmes possèdent une sorte de lumière substantielle. On lit d'ailleurs dans l'Évangile : « La lumière qui illumine tout homme en ce monde. » Enfin, lorsque nous nous adonnons à la méditation, nous sentons qu'il existe en nous je ne sais quoi de subtil, de mobile et de lucide, qui regarde sans avoir besoin de soleil, qui voit sans le secours d'une clarté étrangère. Si ce flambeau de l'âme n'était pas lumineux par lui-même, il n'atteindrait point à un tel degré de connaissance. Ce pouvoir n'a pas été donné aux objets ténébreux. Tout ce qui est obscur perd ses facultés. Mais les yeux de l'âme ont une force prodigieuse : ils découvrent les choses absentes.

Il faut remarquer, cependant, que les âmes sont d'autant plus lumineuses et plus immuables que leurs bonnes actions les éloignent moins de la grâce divine, bien qu'il soit certain que leur vertu spéculative les mette en état de pénétrer et de résoudre par l'usage beaucoup de problèmes ardus et même les secrets de la Nature.

Voyons maintenant si les âmes, que nous avons déjà déclarées incorporelles, peuvent être considérées comme ayant une forme.


 

 

CHAPITRE IV

Si l'âme a une forme.

 

vant d'aller plus loin, il importe de savoir, selon la définition des Anciens, ce qu'il faut entendre exactement par forme. Or, j'appelle forme ce qui est circonscrit dans un certain espace par une ou plusieurs lignes. D'après cela, on peut aisément juger si les âmes en sont susceptibles, lorsqu'il est assuré qu'elles subsistent en vertu d'une force spirituelle. Puisque toute forme consiste en surface ou en corps, et que la surface se 54-rencontre seulement sur un corps; puisque le corps, à son tour, est solide et palpable, et que l'âme ne remplit évidemment point ces conditions; il en résulte que les âmes doivent être regardées comme n'ayant aucune espèce de forme, et que leur essence permanente n'admet ni configuration ni matérialité.

Il n'y a pas à s'émouvoir des paroles de l'Apôtre, lorsqu'il dit du Christ : « Ayant la forme de Dieu, il ne crut point que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu. » Dans ce passage, c'est de la nature divine qu'il veut parler. Quelle forme pourrait donc avoir Dieu qui est incorporel, universel, incompréhensible? Quant à ce qu'on lit dans l'Évangile, qu'après sa mort le pauvre Lazare fut reçu dans le sein d'Abraham, et que le riche brûlant au milieu des flammes lui demanda une goutte d'eau, afin d'apaiser l'ardeur de son embrasement, on ne saurait y voir qu'une façon d'avertir la folle vanité du monde des tourments qui l'attendent. Car, en réalité, l'un n'a pu avoir de langue pour s'exprimer et l'autre de doigts pour répandre de l'eau sur le feu du mauvais riche.

On doit comprendre pareillement tous les antres endroits où se rencontrent des expressions semblables. En effet, le langage des hommes ne se contente point de traiter ainsi les créatures, il agit de même vis-à-vis de leur auteur. Bien que Dieu soit impassible, immuable, éternel, et toujours égal, ne lisons-nous pas qu'il se met en colère, n'entendons-nous pas dire fréquemment qu'il sommeille? Ce n'est point que de telles paroles puissent convenir au Seigneur; mais on les emploie pour que la connaissance de certaines choses s'accommode plus facilement à l'intelligence humaine et y pénètre mieux. Voilà pourquoi les âmes, qui n'ont aucune forme, en reçoivent souvent une dans les livres.

Quelques personnes s'inquiètent également de savoir si l'âme représente une quantité quelconque, puisqu'il est notoire qu'elle est contenue dans notre corps. En rappelant ici l'exacte définition de la quantité, qui fixe à chaque chose un espace toujours limité, la vérité nous apparaîtra aisément. Les mathématiciens, en effet, la définissent ainsi en peu de mots : « Toute quantité est composée de parties continues, comme arbre, homme, montagne, ou de parties disjointes, comme chœur, peuple, monceau, etc.. » L'âme n'étant formée ni d'éléments réunis ni d'éléments séparés, attendu qu'elle n'est pas un corps, il est évident qu'elle n'a point de quantité.. Donc, dans quelque lieu qu'elle se trouve, elle ne possède pour nous ni forme ni quantité. Cependant, il faut croire que le Créateur peut en apprécier l'ensemble et les proportions, puisqu'il n'a rien créé qui n'ait un poids, une mesure et un nombre. Seul, il sait véritablement ce qu'il a fait, lui qui, par une merveilleuse puissance, aperçoit nos pensées comme des objets visibles, lui qui entend crier le sang de l'innocent, lui qui connaît enfin toutes les choses avant même qu'elles existent.

Il est temps d'en venir aux vertus morales, qui sont des richesses vraiment dignes d'être ambitionnées; c'est là réellement le précieux trésor des âmes. Les Grecs, on s'en souvient, les appellent ἀρεταί. Grâce à elles, la conscience s'efforce de ne pas laisser ternir sa pureté par les souillures corporelles.


 

 

CHAPITRE V

Des vertus morales de l'âme.

 

l en existe quatre principales : la justice, la prudence, la force et la tempérance. La justice a d'abord été élevée contre le mal ou l'iniquité, comme une espèce de rempart. Sa nature se reconnaît aisément. Suivant la définition des Anciens, c'est un état particulier de l'esprit, qui fait qu'en vue de l'intérêt général on rend à chacun ce qui lui appartient.

La prudence s'emploie utilement contre la confusion et l'incertitude; c'est la vraie science du bien et du mal.

La force est un remède efficace qu'on oppose à l'adversité aussi bien qu'à la prospérité. Elle consiste à affronter les dangers en connaissance de cause et à supporter les épreuves avec constance.

La tempérance nous vient en aide contre les plaisirs illicites et les voluptés ardentes; elle sert à les calmer. Sa domination ferme « modérée sait refréner la luxure et les écarts de l'imagination.

Armée de ces vertus solides, qui sont autant de forteresses que nous accorde le Ciel, et garantie en quelque sorte par une quadruple cuirasse, l'âme défend son salut au milieu des périls de ce monde. Avec une pareille protection, les vices ne peuvent l'atteindre.

Mais l'heureux assemblage de ces quatre vertus résulte, pour ainsi dire, de trois autres qualités qui sont :

1° L'attention, qui étend la pénétration de notre esprit jusqu'aux choses les plus subtiles ;

2° Le jugement, qui nous permet de discerner le bien du mal par une appréciation conforme à la raison;

3° La mémoire, qui place dans le sanctuaire de nos âmes, comme dans une réserve assurée, tout ce qui fait l'objet de notre étude et de notre réflexion, afin que nous puissions puiser au fond de cette espèce de réceptacle les richesses que nous y avons amassées par suite de fréquentes méditations. Nos coffres, lorsqu'ils sont pleins, ne peuvent plus rien contenir. Mais le trésor de notre âme, si chargé qu'il soit, ne l'est jamais trop; plus il est rempli, plus il demande à l'être; il désire acquérir toujours davantage.

Telles sont ces trois facultés essentielles, dont l'harmonie rappelle celle d'un instrument à triple corde. Leur nombre réjouit l'âme, et l'on n'ignore point qu'il plaît également à la Divinité.

Quelques personnes ont l'habitude de soulever des questions pleines de subtilité. « Si la Divinité, disent-elles, crée des âmes parfaites et raisonnables, pourquoi les enfants vivent-ils sans raison, et pourquoi trouve-t-on des jeunes gens sans intelligence? » Mais, qui ne remarque que c'est la faiblesse du corps qui empêche les âmes des enfants de remplir l'office dont elles s'acquittent, par le moyen des sens et l'usage des membres? C'est comme si vous enfermiez du feu dans un vase trop petit : la flamme ne pourra s'élever suivant sa coutume, attendu qu'elle en sera empêchée par l'obstacle de cette exiguïté du récipient. La propre force de chaque chose lui suffit, quand rien de con traire n'est en mesure de s'y opposer. Voilà ce qui explique l'état des jeunes idiots. Ils contractent, dans le sein de leur mère, un vice de conformation qui provient de l'inégalité des organes ou de l'épaisseur des humeurs. L'âme alors est écrasée sous le poids d'une enveloppe par trop stupide et ne peut exercer son développement régulier. Elle subit les conséquences d'une mauvaise constitution et d'un milieu qui ne lui convient pas.

C'est ce qui arrive aujourd'hui encore aux insensés, que les Grecs nomment μωραινοντες. Car, pour parler d'une éventualité qui se produit fréquemment, combien voyons-nous de gens qui, à la suite de maladies accidentelles, de congestion cérébrale, de paralysie d'entrailles, ont perdu la finesse ordinaire de leur jugement ! Combien d'autres aussi sont changés par une lésion momentanée! L'homme même que son savoir rend le plus illustre, avec quelle facilité, lorsqu'il a pris part à un repas copieux, le voit-on descendre jusqu'au dernier degré de l'ivresse et s'y abrutir ! C'est au point que vous auriez de la peine à croire vivant celui qu'on a coutume d'entendre disserter avec tant d'habileté, et qu'on aperçoit incapable de mouvement. Il y a cependant une chose dont je suis bien assuré, c'est de l'extrême félicité des sages qui, grâce à la miséricorde du Seigneur, échappent à de telles mésaventures.

On trouverait peut-être encore d'autres causes qui paraissent contrarier le penchant de l'âme raisonnable à se développer d'elle-même. Qu'importe! Les âmes ne croissent pas avec l'âge dans les enfants, et il n'en a pas été donné aux fous qui soient d'une essence différente. Elles reçoivent l'immortalité en même temps que l'être, et l'attribut de la raison s'applique généralement à toutes. C'est la raison et non l'âme qui, chez les enfants, croît par le fait d'une longue méditation.

Reprenons maintenant la suite de notre discours.

 


 

 

CHAPITRE VI

Des vertus naturelles de l’âme.

 

'après l'Antiquité, les vertus naturelles de l'âme sont au nombre de cinq :

1° La sensibilité, qui nous donné là faculté de l'entendement, à l'aide duquel nous sentons dans notre imagination tout ce qui «st immatériel; elle procure aussi la vigueur aux sens corporels, c'est-à-dire à la vue, à l'ouïe, à l'odorat, au goût, et au toucher par lequel nous distinguons les choses dures des choses molles, et celles qui sont douces de celles qui sont rudes;

2° La volonté, qui ordonne aux organes corporels d'exécuter les mouvements divers qu'elle a résolu d'accomplir, comme de se transporter d'un lieu à un autre, d'émettre des sons, de fléchir les membres. De semblables exemples indiquent assez ses fonctions ;

3° L'intelligence, qui fait que, quand nous sommes calmes et sans action, quand nous laissons reposer nos sens, nous pouvons réfléchir profondément et d'une manière soutenue. De là vient que dans l'âge. mûr nous sommes considérés comme plus sages, parce que l'affaiblissement des membres dû à la vieillesse et le ramollissement des organes nous permettent de méditer davantage. Toutefois, si l'activité de l'esprit embrasse de trop vastes limites, il acquiert une certaine nature de force qui ne vaut point celle du recueillement. Et, d'un autre côté, ceux qui arrivent à une trop grande faiblesse retombent en enfance. On n'y peut rien, puisqu'il a été prescrit aux âmes d'être soumises, pour un temps, aux nécessités des corps qui les renferment;

4° La vitalité, qui produit la chaleur naturelle dont nous sommes animés, et qui, pour en modérer l'ardeur, nous fait alternativement inspirer et expirer l'air, et nous donne ainsi la vie et la santé ;

5° Le libre arbitre, qui est le choix entre le bien et le mal, guidé par l'amour du souverain bien.

Quant au corps, il possède quatre, propriétés distinctes, dont chacune contribue à sa conservation :

La première est attractive; elle attire les éléments qui lui sont nécessaires.

La seconde est retenante, elle les garde de façon à en faire un composé utile.

La troisième est transférente: elle les transporte, les modifie.

La quatrième est expulsive; elle chasse tout ce qui pourrait lui devenir nuisible et entraver la nature.

Nous avons franchi en quelque Sorte la sixième colline : à présent que le sommet se trouve aplani, nous pouvons continuer notre marche sans risque de nous heurter. Abordons cependant, avec d'extrêmes précautions, une question pleine de difficultés : l'origine de l'âme.

 


 

 

CHAPITRE VII

De l'origine de l'âme.

 

 

ous lisons qu'à la création du monde le Seigneur, après avoir formé le corps de l'homme du limon de la terre, souffla dessus et qu'aussitôt Adam devint vivant et animé. Il souffla est mis pour exprimer la dignité de l'œuvre et montrer l'excellence de tout ce qui sort de la bouche divine. Ce souffle, d'ailleurs, ne signifie qu'un ordre et un commandement. Car, de quelle façon pourrait souffler Celui qui n'a point d'haleine et ne possède, point de bouche, deux choses nécessairement corporelles ?

D'après cela, quelques-uns ont dit qu'aussitôt que la semence humaine a été convertie en substance vitale, des âmes distinctes et créées parfaites ont été données en même temps aux corps. Mais, les médecins prétendent que l'être humain et mortel ne reçoit l'âme qu'au quarantième jour, lorsqu'il commence à se mouvoir dans le sein de sa mère.

D'autres pensent qu'à l'exemple du souverain Créateur, qui tire de notre corps la semence de la chair, une âme nouvelle peut être engendrée par l'essence d'une autre âme. C'est ainsi qu'elle porterait en elle, par suite d'intermédiaires, cette tache originelle que confesse l'Église et qu'efface le baptême. Comment, en effet, l'enfant qui n'a pas la volonté de pécher, serait-il en quoi que ce soit coupable, si la faute ne paraissait lui avoir été transmise par un moyen tenant à l'origine même de son âme? De là vient que saint Augustin, dont on ne saurait trop louer l'extrême circonspection en matière religieuse, dit qu'on ne doit rien affirmer témérairement et qu'il faut laisser cela dans le secret de Dieu, comme beaucoup d'autres choses que notre faiblesse ne peut pénétrer.

Ce que nous devons croire fermement et véritablement, c'est que le Seigneur crée les âmes, et qu'il les soumet strictement au péché du premier homme, par une certaine raison cachée. Il vaut mieux, du reste, dans des questions si obscures, avouer son ignorance que de vouloir montrer une audace, peut-être périlleuse. L'Apôtre n'a-t-il pas écrit : « Qui connaît la pensée de Dieu? Quel a été son conseiller? » Et ailleurs : « En partie, nous savons; en partie, nous prophétisons. »

Mais, puisque la suite de la discussion nous a amené au point de déclarer d'une manière générale que les âmes sont en état de péché, par transmission directe, il convient de parler en particulier de celle du Christ, de peur que, dans une intention calomnieuse, quelque esprit pervers ne s'avise de la croire soumise à la condition commune.

Sachons donc que l'origine de cette âme divine a été annoncée à la vierge Marie par un auguste messager. L'ange lui dit : « Le Saint-Esprit surviendra en toi, et la vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre. C'est pourquoi le saint qui naîtra de toi sera appelé le Fils de Dieu. »

Quel est l'insensé, je le demande, qui, dans la majesté d'une telle naissance, retrouvera la faute du péché originel ou soupçonnera l'existence de quelque tache profane de la chair ? Il est hors de doute que celui-là est venu sans péché, qui était destiné à laver les péchés de tous, ayant été conçu d'un souffle mystique, étant né d'une vierge! Il n'a rien tiré d'Adam, celui qui est arrivé pour vaincre le péché d'Adam. Cette chaîne si longue qui nous liait a été rompue; le torrent qui nous entraînait a été desséché. La mort elle-même a perdu ses droits, du moment que notre condition humaine a reçu la vie du Rédempteur. Le premier homme, en effet, avait transmis le malheur à sa postérité : le Christ, en venant sur terre, a apporté le Royaume des Cieux aux croyants. La vertu de l'un a restitué ce qui avait été perdu par le crime de l'autre. Il est né dans la gloire et a vécu sans tache. Qu'a-t-il pu contracter du péché qu'il est venu détruire par une influence contraire? La sainteté de sa vie répond à la sainteté de son origine. Celui qui fut engendré sans péché ne saurait être sujet à aucune souillure mondaine. Il a pris de l'humanité la nature et non les vices. Il a rejeté la faute de notre premier père et revêtu l'enveloppe de l'homme pur, comme il l'avait créé; se chargeant, non du péché, mais de la chair dû péché exempte de tout contact de corruption.

Mais, je m'aperçois de la longueur d'une digression sur laquelle il m'a été agréable de m'étendre, dans le désir d'écarter des soupçons injurieux. Forcé de passer à un autre sujet, je ne puis en dire davantage.

Il reste maintenant, pour suivre l'Ordre que je me suis proposé, à parler du siège de l'âme.

 


 

 

CHAPITRE VIII

Du siège de l'âme.

 

 

uelques personnes ont voulu placer le siège de l'âme dans le cœur, bien qu'elle soit répandue par tout le corps ; elles donnent pour raison qu'il contient l'esprit vital avec le plus pur de notre sang, et que les pensées bonnes ou mauvaises viennent de lui. Assurément, la force de l'âme peut produire ces résultats.

Mais le plus grand nombre affirment que l'âme a son siège dans la tête, à l'image de la Divinité, si toutefois il est permis de parler ainsi sans lui manquer de respect. Celle-ci en effet, quoiqu'elle remplisse le Monde de sa substance ineffable, n'en réside pas moins dans le Ciel, d'après l'Ecriture sainte. Il convenait donc de placer au sommet celle dont la sublimité se reconnaissait à l'énergie céleste, et de lui attribuer, de préférence à tout autre, ce siège d'où les membres reçoivent la direction et le gouvernement légitimes. La figure même de la tête est de reste une sphère d'une fort belle apparence ; l'âme immortelle et raisonnable devait y trouver un séjour digne d'elle.

Voyons ce qu'il en est des choses corporelles.

Le feu mortel tend toujours Vers les réglons élevées, et ce qui est de la nature la plus subtile n'hésite point à se porter vers les lieux supérieurs. Il y a encore d'autres preuves qui viennent à l'appui de cette croyance. En effet, lorsque d'habiles médecins veulent ramener à sa première solidité la partie osseuse de la tête humaine lésée par quelque coup violent, il leur arrive souvent de froisser, en essayant de nettoyer le sang coagulé, la membrane qui protège la délicatesse du cerveau. Or, à peine a-t-elle été touchée que le blessé tombe dans une insensibilité telle, que, s'il est frappé ailleurs avec force, il ne peut s'en apercevoir; mais aussitôt que la main a cessé de foire impression sur le cerveau, l'intelligence habituelle revient, la voix et le sentiment reparaissent, et l'homme est de nouveau averti de tout ce qui le concerne. On ne voit pas pareille chose se produire dans les autres membres, de quelque profondes et terribles blessures qu'ils soient atteints.

Ajoutez que les corps en pleine santé ne fournissent pas de moindres arguments pour la thèse que nous soutenons. Ainsi, quand une personne s'est laissé enflammer par. une trop grande colère, quand elle s'est échauffé l'esprit par le bouillonnement de sa pensée, ce n'est ni le trouble des viscères ni l'agitation de la poitrine qui la tourmentent; elle ressent immédiatement une douleur à la tête, comme si l'âme devait porter des traces de sa fatigue, à l'endroit où on l'a vue faire tant d'efforts de volonté.

C'est là aussi, et d'une façon absolue, que nous éprouvons certains mouvements et certaines commotions de l'âme, lorsqu'il surgit devant nos yeux des choses qu'on sait bien ne pas être présentes. Car nous dirigeons la vigueur de notre esprit vers divers objets, nous parcourons ainsi de nombreuses régions; et, par la fantaisie de l'imagination, nous faisons entrer dans notre tête tout ce que renferment de précieux les différentes parties de l'Univers. Quelquefois enfin, notre pensée se concentre tellement sur un point que les yeux s'y fixent, le goût cesse, les oreilles n'ont plus d'ouïe, les narines plus d'odorat, la langue demeure sans voix ; il devient alors manifeste, par de pareils indices, que l'âme se retire en quelque sorte dans les recoins secrets de son intérieur. Du haut de ce lieu élevé où nous la croyons établie, elle siège comme sur un tribunal; et on la voit modérer ses propres appétits, juger le bien et le mal, discerner ce qui est douteux, rejeter ce qui est nuisible, pourvu toutefois que la grâce divine ait brillé en elle.

Le premier homme jouissait d'une félicité naturelle, il était en possession de son libre arbitre, avant d'avoir violé la loi de Dieu : mais, entraîné à une funeste désobéissance, il perdit, par la faute du Démon, ce qu'il avait reçu pour le transmettre à ses descendants; il ne put par conséquent nous communiquer les avantages qu'il n'avait plus. De là est née et s'est répandue la mort, de là est venue la ruine du genre humain, de là les sou.cis cruels, les. folles résolutions, l'obscurcissement de l'intelligence, les désirs honteux, la justice négligée, mille espèces de crimes, et tant de choses qui nous sont communes avec les bêtes, et qu'avait faites distincte; la Divinité.

Hélas ! le coucher du soleil nous annonce la venue du temps calme; l'agitation des vents nous montre l'approche des tempêtes; nous augurons de la fertilité de l'année par le bon ordre des saisons; nous nous promettons même de la joie, à l'aide de je ne sais quels présages de notre esprit. Mais rien de semblable n'eût pu demeurer inconnu à l'âme, si elle eût conservé sa situation. C'est donc avec justice qu'elle a été rabaissée vers l'ignorance, puisqu'elle s'est obstinée à vouloir connaître ce qui lui était interdit.

De temps en temps, à force de pronostics et de conjectures, eue parvient à découvrir quelques parcelles des choses qu'elle aurait pu savoir en entier, sans le moindre travail. Mais il lui faut le secours de la Divinité ; elle retrouve alors, épurée par le commerce divin, ce que les embûches du Serpent lui ont fait perdre. Elle voit enfin, illuminés par le Créateur, les objets que leur obscurité ne lui permet point de distinguer par elle-même.

Nous avons dit de l'âme tout ce qu'on en peut avancer d'une manière certaine. Il convient à présent de parler de son temple ; car on ne saurait admettre que cette image de Dieu puisse avoir été jointe à un corps difforme.

 


 

 

CHAPITRE IX

De la composition du corps.

 

'homme est un être de haute stature, dont l'élévation est admirablement propre à la contemplation des choses supérieures et raisonnables, et dont la disposition harmonique nous révèle de grands mystères.

D'abord, la tête présente la forme d'une rotondité concave, à l'image de la sphère céleste; elle est composée de six os, afin que la perfection du nombre six soit contenue dans le siège de notre cerveau, organe de la connaissance. Puis, viennent les yeux qui sont pour nous deux lumières, comme l'Ancien et le Nouveau Testament. A leur exemple, tout a été combiné en nous pareillement de haut en bas : les oreilles, les narines, les lèvres, les bras, les flancs, les cuisses, les jambes, les pieds. Une dualité mystique préside à l'assemblage du corps; et, de même que les deux Testaments tendent à l'unité et y confondent leur double sagesse, ainsi ces organes concourent à la production d'une seule harmonie et d'une œuvre unique. Cette symétrie, à laquelle est associée une merveilleuse distribution, emprunte donc de là un précieux et mutuel échange de beautés.

Quelques parties essentielles ont été établies dans le milieu, de peur que, si toutes convergeaient vers le même^ points elles ne se causassent un préjudice réciproque et que la compétition de l'une ne privât l'autre de son éclat. Il en est ainsi du nez, de la bouche, du gosier, de la poitrine, du nombril, etc.. La place du milieu qu'occupent ces divers organes en démontre le mérite et l'excellence.

Notre tête, qui réunit tous les sens, est fort bien soutenue par le cou comme par une colonne : ce qui nous enseigne que la sainte Religion repose sur la base unique et inébranlable de la foi. La langue, délicieux archet de la voix, nous a été donnée pour maintenir l'harmonie dans nos discours, afin que nos paroles articulées nous distinguassent des bêtes dont le langage est confus. Ce n'est pas en vain, non plus, que deux digestions ont été mises à la disposition d'un seul gosier : c'est, en quelque sorte, pour nous indiquer qu'une âme intelligente et sage doit recevoir sa nourriture de la raison, et qu'elle ne peut la trouver que sur le double chemin des Livres sacrés. Et, comme le corps humain ne saurait se défendre ni par la corne, ni par les dents, ni par la fuite, à l'instar des animaux, il lui a été accordé un large thorax et des bras robustes, pour qu'il fût en état de repousser l'attaque avec la main et d'opposer sa poitrine, en guise de bouclier.

Quant aux parties naturelles, qui doute qu'elles ne soient destinées à d'importants services? C'est par elles que, grâce à Dieu, la fécondité réparatrice de l'homme se produit; c'est par elles que les mortels triomphent de la mort, puisque, malgré la disparition des personnes, on sait que la race peut être conservée et continuée. Admirables organes, s'ils n'avaient point été souillés par une honteuse débauche ! Qu'y aurait-il, en effet, de plus précieux, si le genre humain en pouvait descendre sans péché? C'est ainsi que toutes choses ont été créées dignes de respect, et que des vices déshonorants les ont rendues méprisables.

Ce corps animé est administré et régi par cinq sens qui, bien qu'ils soient communs avec les bêtes, sont cependant plus perfectionnés et plus complets, à cause de notre jugement :

1° La vue, qui reçoit les couleurs corporelles par l'illumination de l'air et qui en reconnaît ainsi les propriétés. La vision, eh effet, d'après la meilleure définition des Anciens, est une force subtile de l'âme, s'élançant de la prunelle de l'œil, n'atteignant pas les objets trop éloignés, mais jugeant de la distance où elle peut parvenir; elle ne perçoit que ce qu'il lui est permis de voir; car, si les yeux pouvaient distinguer leurs parties intérieures, ils s'apercevraient sans aucun doute eux-mêmes. Tel est le sentiment de saint Augustin.

2° L'ouïe, qui recueille, dans la concavité des oreilles formées en spirale, les sons résultant des battements de l'air, et qui apprécie, au moyen de la raison, la nature du bruit qui a été produit.

3° L'odorat, qui, au milieu de divers parfuma, sait distinguer les odeurs et leurs qualités rien qu'en les aspirant, comme s'il montait aux narines une vapeur invisible.

4° Le goût, qui nous fait connaître, par le discernement du palais, la saveur d'une foule de choses.

5° Le toucher, qui, on ne l'ignore point, est généralement attribué à tous les membres. L'extrême finesse de ce sens réside dans les mains, qui nous ont été particulièrement accordées pour fixer et répandre à la fois nos pensées. C'est comme une seconde mémoire plus solide qu'elles fournissent; car, ce que nous pourrions oublier, elles l'écrivent et nous le retenons alors sans peine. Elles sont également d'habiles ouvrières, elles nous aident dans les arts et la plupart des opérations. A quoi servirait-il à l'intelligence de concevoir des projets, si une main laborieuse n'était pas là pour les exécuter?

Je crois qu'il ne fout point passer sous silence le nombre dix, qui est réservé aux doigts des pieds et des mains. Il est là pour nous rappeler, dans le cours de notre vie et de nos travaux, les préceptes du Décalogue céleste, afin que nous ne puissions ni penser ni agir contrairement à la loi du Seigneur.

La figure elle-même présente les marques d'une sage prévoyance; les sentiments les plus cachés se révèlent sur la physionomie, et c'est par elle qu'on découvre quelles sont intérieurement nos intentions, nos volontés. Notre visage, en effet, dont le nom (vultus) vient de celui de volonté (voluntas), est comme un miroir de l'âme qu'il reflète; son aspect indique d'une manière évidente ce qui ne se montre pas.

Que de choses on pourrait dire des autres membres du corps !

Pourquoi avons-nous trente-deux dents enchâssées dans les gencives? Pourquoi notre cou se compose-t-il de sept vertèbres, notre épine dorsale, de vingt-trois ? Pourquoi les côtes sont-elles recourbées en vingt-quatre rayons qui servent à la défense des viscères, leur délicatesse étant trop facilement exposée sans cela à des blessures dangereuses? D'où vient cette admirable répartition des nerfs qui enveloppent le corps, et cette mesure précise avec laquelle les veines font circuler dans les membres le sang qui les nourrit? Comment des os remplis de moelle peuvent-ils être une source de force? Pour quelle raison nos ongles croissent-ils continuellement comme nos cheveux? Que penser de cette peau si brillante, si utile, qui revêt nos chairs, et empêche ainsi les humeurs de s'échapper au dehors et de ternir la beauté du teint?

On le voit, chacun des membres rend au corps des offices divers, l'un étant placé au sommet, l'autre au milieu, un autre dans les régions inférieures. Il y a plus : la grâce, 1 harmonie de l'assemblage est telle qu'ils sont tous indispensables et que leur parfaite adaptation se manifeste en tout. C'est ce qui a fait écrire à l'Apôtre, lorsqu'il fondait l'Église sur le zèle de la charité : « L'œil ne peut pas dire à la main : Tu ne m'es point nécessaire; ni la tête dire aux pieds : Je ne désire point votre secours. Bien loin de cela, les membres qui paraissent les plus faibles, sont les plus nécessaires; ceux même que nous regardons comme les plus méprisables, méritent les plus grands honneurs. Dieu a arrangé et divisé le corps de façon à permettre à ses parties de se prêter une mutuelle assistance. »

Ce que nous venons d'exposer d'une manière sommaire, afin d'éviter la prolixité, suffit abondamment pour démontrer qu'aucun être corporel ne renferme en lui autant de mystères que l'homme. Son corps, d'ailleurs, devait être formé avec une extrême sagesse, puisqu'il était destiné à s'unir étroitement à une âme raisonnable.

O la merveilleuse créature que celle du souverain Ouvrier, qui a disposé ainsi les linéaments du corps humain! Si elle n'avait pas été chargée du poids des péchés du premier homme, elle serait comblée de bénédictions. Car, de quels biens n'était-elle point digne dans l'état d'innocence, puisque, malgré sa condamnation, elle possède encore tant d'avantages? Quoique notre chair soit en proie à divers vices, quoiqu'elle soit déchirée par de nombreuses blessures, elle chante néanmoins le céleste Auteur des choses, elle fait de glorieux martyrs, elle mérite la visite de son Créateur, elle porte en elle la croix vivifiante du Rédempteur! C'est à juste titre qu'on la considère comme réservée à l'immortalité, puisqu'à l'état mortel elle accomplit de si hautes destinées. Cette admirable nature qui, en raison de la tache originelle, est sujette à des fautes journalières, se rachète tellement, par le secours de la grâce divine, au moyen des jeûnes, des aumônes et des prières assidus, elle purifie si bien son esprit des souillures du péché, qu'elle arrive à recevoir dignement son auteur. Elle devient le temple de Dieu, en récompense de ce qu'elle ne s'est pas faite l'asile du crime. La divine miséricorde, selon moi, a voulu que le corps fût subordonné à l'âme et celle-ci à Dieu, pour que l'ensemble tournât ses regards vers le Créateur, dans l'intérêt de son salut.

Nous avons achevé ce que nous avons cru devoir dire : il nous paraît convenable maintenant de parler des signes indicateurs des âmes. Malgré l'unité apparente de leur substance, elles se distinguent cependant les unes des autres par des qualités très dissemblables; puisque nous ne pouvons les voir intérieurement, efforçons-nous de les connaître par quelques marques extérieures.

 


 

 

CHAPITRE XI

De la manière de connaître les bons.

 

a vertu des saintes âmes est déjà grande dans notre vie commune. Elles domptent, en la calmant, cette chair victorieuse de la faiblesse humaine, et finissent par triompher d'elles-mêmes, lorsqu'à force de constance elles arrivent à donner en quelque sorte la mort au corps vivant. Mais malheur A la chair qui n'est pas subjuguée; car, indubitablement, il n'y a que celle qui a été vaincue dans la lutte d'ici-bas, qui puisse être couronnée là-haut.

L'homme résolument inébranlable, pur, innocent, loue les autres, s'accuse toujours; et, tandis qu'il plaît à chacun, il se déplaît à lui-même. C'est en effet le comble de la grandeur de comprendre sa petitesse. Mais cet avantage existe seulement pour celui que la grâce commence à éclairer. Ceux-là s'envolent d'un essor d'autant plus rapide vers les régions supérieures, qui se chargent en ce monde d'un poids plus lourd de mortifications. Ils commandent au corps, parce qu'ils obéissent à son auteur; et, en se reconnaissant infiniment petits, ils s'élèvent au sommet de la perfection. Ils ne cherchent à léser personne, pardonnent continuellement à qui les offense, et répondent par la charité aux gens qui les poursuivent d'une haine implacable.

De telles âmes, sous la direction de Dieu, commandent même aux Esprits malfaisants; et ceux-ci, funestes au Monde qui les subit, se trouvent domptés par une créature de moindre importance qu'eux. Placées dans le corps de l'homme, elles sont encore plus fortes que les mauvais Anges; malgré leur enveloppe de chair, elles font la loi aux puissances aériennes et elles dominent, par une faveur divine, ceux dont elles ont repoussé les tentations. Ces âmes méritent réellement d'être appelées immortelles, elles qui ne sont tourmentées d'aucun repentir, affligées d'aucune tristesse, parce qu'elles ne sauraient imputer à elles-mêmes les vicissitudes de l'existence. La pauvreté les enrichit, la prison les réjouit; et c'est à bon droit que les siècles les vénèrent, car elles suivent sans cesse le parti de la vertu. On les a toujours vues s'élever avec d'autant plus de force contre les persécuteurs que la privation de la lumière est pour elles le commencement de la félicité, et qu'elles reçoivent dans la béatitude éternelle la récompense du bien qu'elles ont fait dans la vie temporelle.

Aussi, les âmes des saints qui habitent encore parmi nous, bien qu'elles soient séparées de leur véritable séjour par une longue distance, semblent néanmoins être les concitoyennes des Anges et partager déjà leur sort en grande partie.

Moïse, en effet, ouvrit un chemin terrestre au milieu des eaux de la mer, traversa les demeures humides à pied sec; et, à sa voix, les flots amoncelés s'élevèrent en une double muraille : ils prirent une solidité qui leur était étrangère, ils devinrent rigides et pareils à la roche.

Elie, lui, eut le mérite d'arrêter la pluie; puis, il obtint qu'après avoir été longtemps désirée elle se répandît enfin sur terre. Un seul homme exécuta ainsi, par d'heureuses supplications, une chose que la généralité de ses semblables n'avait pu se faire donner. C'est que vraiment la grâce protège les mortels qui se purifient par leurs rapports avec le Ciel et qu'elle leur accorde un pouvoir, dont le péché originel prive l'humanité. Ces créatures de Dieu, tout en traversant le monde, restent toujours attachées à sa divine Majesté : alors les grandes actions leur sont si habituelles qu'elles paraissent être autant de miracles.

Quant à Elisée, il dessilla les yeux de son disciple, qui ne voyait pas la milice céleste, et frappa de cécité les armées ennemies.

Il en est qui enlevèrent aux flammes leur puissance incendiaire; d'autres qui rendirent la chaleur vitale aux cadavres glacés ; d'autres qui se firent aider par des lions farouches pour ensevelir un corps. Nous lisons que des hommes furent portés sur des crocodiles, comme sur des bateaux. Ailleurs, l'eau fut changée en pierre et des sources jaillirent des rochers; des charbons ardents ne brûlèrent point les vêtements qui les reçurent ; le boiteux obéissant marcha droit sur ses pieds ; le Soleil docile s'arrêta dans sa course rapide. Enfin, la parole humaine rompit l'ordre de la Nature. Il y en eut même qui jouirent d'une telle faveur, qu'ils auraient pu se servir de tout ce qu'on admire dans le Monde comme soumis au Créateur.

Que dire maintenant de l'autorité de la voix, quand le contact de l'habit d'un Saint apporte au malade le salut, quand l'ombre du corps d'un Apôtre suffit pour écarter la mort? Ainsi éclate l'abondance des mérites ; mais ce pouvoir semble n'être attribué qu'à ce qui n'a évidemment pas de substance.

De pareilles âmes se reconnaissent d'une manière absolue, alors même que leur existence n'est point apparente.

Le visage des gens de bien est toujours gai et reposé, vigoureux dans sa maigreur, beau dans sa pâleur, joyeux au milieu des larmes; il est vénérable par la longueur de sa barbe, élégant sans la moindre parure. C'est ainsi que, grâce à la pureté de l'âme, les mortels, en dépit des éléments contraires, deviennent plus parfaits : leurs yeux brillent d'une honnête douceur; leur parole véridique pénètre les bons esprits et brûle de persuader à tous l'amour de Dieu dont ils sont remplis; leur voix même a de la mesure : elle n'est ni faible comme un souffle, ni bruyante comme une clameur. L'homme sage ne se laisse ni briser par les écueils de la vie ni émouvoir par les prospérités; il montre toujours la même égalité de caractère et de visage : c'est le temple des choses saintes, le séjour des vertus. Son aspect est immuable parce qu'il ne cesse de s'étudier à la constance. Sa démarche, non plus, n'est ni trop lente ni trop vive; il ne visite personne pour sa propre utilité, il ne ménage personne par considération pour autrui. Il conseille le bien, qu'il enseigne sans arrogance; libre avec humilité, il est essentiellement charitable, au point qu'il semble plus pénible de le quitter que d'abandonner en quelque sorte la vie. Passionné pour une retraite salutaire, il n'éprouve aucun désir voluptueux, n'épouse aucune querelle, ne ressent nul orgueil, nulle envie ; il ne dit rien à aucun de ses frères dont il ait à se repentir et ne prête l'oreille à rien d'absurde. Fortifié par la solitude et soutenu par le Seigneur qui l'aide dans sa lutte, ri triomphe de tous les vices. Enfin, bien qu'il ne possède qu'une seule tunique qui garantisse sa peau, il la remplit de lui-même des plus suaves odeurs : elle embaume, pour ainsi dire, et son parfum surpasse les riches produits de l'Inde. On reconnaît en lui que le corps humain a ses arômes et n'exhale pas d'acres émanations, lorsqu'il ne se livre point à la débauche.

Il est d'ailleurs facile de distinguer ceux que la souveraine puissance daigne visiter; car notre esprit même se réjouit à leur approche et devine, sans en être averti, l'homme de bien. Une sorte d'inspiration divine le lui fait connaître.

Mais ce n'est pas seulement dans le sexe fort qu'il faut admirer tout cela. Et les vierges et les veuves? Qui donc pourrait raconter dignement les vertus sublimes de ces femmes qu'un saint amour entraîne à observer les préceptes de Dieu, qui supportent les supplices avec une inaltérable patience et qui, sur les ruines de la chair vaincue, parviennent à la couronne du martyre?

Nous avons beaucoup parlé de l'âme; nous avons dit aussi sur notre corps tout ce qu'on en pouvait dire. Dirigeons enfin notre attention vers la question des récompenses futures. Il convient en effet à la créature, une fois qu'elle se connaît, de se hâter d'accourir vers son créateur, avec une âme pure.

 


 

 

CHAPITRE XII

Ce, que font les âmes après la mort, et de !'espérance d'une vie future.

 

ous demandez peut-être ce que font les âmes après cette vie et dans quelles conditions elles subsistent. Nous répandrons suivant les documents que nous avons recueillis au milieu de divers lectures.

La mort est une séparation de l'âme et du corps, c'est-à-dire une cessation de la vie de ce dernier ; elle ignore absolument les désirs ou les nécessités de la chair. En effet, dès que sur l'ordre du Créateur nous avons été privés de la lumière, nous perdons à l'instant même les appétits et les faiblesses du corps. Dans l'existence ultérieure, nous ne sommes ni brisés par la fatigue, ni refaits par la nourriture, ni abattus par la longueur du jeûne ; mais, continuellement absorbés dans la nature de notre âme, nous ne raisons rien, ni en bien ni en mal, si ce n'est déplorer la perversité de nos fautes passées ou nous réjouir de la sainteté de nos œuvres, jusqu'au jour du jugement. C'est alors seulement que nous recevrons la pleine récompense de toutes nos actions, quand nous serons ou reniés par la voix du Seigneur, ou admis au Royaume de l'Éternité. Un sommeil paisible imite donc à peu près en cette vie la mort, lorsqu'il nous fait déposer les soucis, les tribulations du siècle, et que l'esprit tranquille ignore, dans l'engourdissement de la pensée, tout ce qui se produit au dehors.

Quand, au jour de la Résurrection, les corps reprendront leur sexe, avec la même rapidité qui a présidé à la création de toutes choses, quel sort affreux pour les misérables pécheurs d'être torturés dans l'éternité et de ne pouvoir jamais mourir ! Ils seront livrés à un châtiment perpétuel, de telle sorte qu'ils ne pourront échapper au cruel sentiment de leur horrible existence. Leur douleur sera sans fin, leur tourment sans repos, leur affliction sans espoir, et leur mal n'aura aucun changement : car la variété des crimes est punie par l'immutabilité des peines. Le comble du malheur pour ces damnés est de perdre ce qu'ils aiment et de souffrir éternellement ce qu'ils détestent. C'est une existence privée des douceurs de la vie, une mort sans remède final, une cité sans joie, une patrie odieuse, un séjour d'amertume, une "réunion d'affligés, une foule d'êtres en pleurs; et, comme surcroît de toutes les confusions, ils voient tourmenter avec eus ceux qu'ils ont follement crus des divinités. Il y a néanmoins, dans les supplices, des différences selon les mérites. De même qu'il se trouve divers degrés de béatitude pour les bons, il est des peines variées pour les impies. Tous auront un âge égal, arrivé à sa plénitude et à sa perfection. Comment serait-on jeune, en effet, là où il n'y a pas de croissance? Et pourquoi serait-on vieux, là où le déclin n'existe point? De pareils changements tendent à la destruction; et ce qui est éternel est un.

De tout cela, ainsi que d'un vaste fleuve d'où sortirait un ruisseau trouble, il semble découler cette objection : on craint, si l'on admet l'éternité du châtiment, que la combustion laisse à peine exister la substance qu'elle ne permet de réparer en aucun temps. Mais il est entièrement superflu d'examiner la raison des choses éternelles. Le supplice peut être tel, qu'il torture sans diminuer; et ht substance peut aussi être telle, qu'elle augmente le sentiment de la douleur, sans aller jusqu'à la destruction complète. Enfin, de combien de souffrances notre âme peut-elle être tourmentée, sans éprouver pour cela la moindre perte de substance ! N'y a-t-il pas des montagnes qui, bien que brûlées par de formidables brasiers, demeurent néanmoins stables au milieu de l'incendie? La salamandre reprend des forces dans les flammes, et l'a chaleur entretient le feu. Il y a certains petits vers que nourrissent les eaux bouillantes. Ils tirent ainsi la vie de ce qui donne aux autres la mort. Si de pareils exemples, pris dans les choses matérielles et périssables, nous frappent autant, que faut-il penser de cette éternité, où il ne se trouve point de mortel que le châtiment puisse consumer? Un embrasement inextricable, une perpétuelle combustion, sont donc réservés aux damnés.

D'ailleurs, qui pourrait douter que les récompenses des bons ne soient infinies, puisqu'ils savent que leur plaisir est sans mélange, qu'ils n'ont pas à craindre un retour de tristesse, et que la félicité dont ils jouissent doit durer toujours?

Là, l'esprit ne redoute point l'inconstance de la prospérité ; la pensée d'un bonheur éternel lui conserve.au contraire sans interruption l'immense joie qui fait partie de sa propre essence. Les Elus, en effet, comprennent bien que leur béatitude est pleinement assurée, en voyant qu'ils ne peuvent plus pécher. Là, aucune variation ne vient troubler cette sécurité : l'esprit fixé n'a ni oscillation, ni fluctuation, ni mouvement ; la stabilité de la paix à laquelle il demeuré attaché est si grande, qu'il ne saurait ni chercher ni imaginer autre chose que cette contemplation. Il lui arrive toujours ainsi ce qui lui plaît et rien dont il ait à se repentir. Nous aurons là des loisirs, si toutefois ce bienfait du Créateur nous est accordé ; mais nous ne serons pas engourdis dans la paresse, nous tendrons éternellement à la perfection. Notre sensibilité sera complétée par la plus exquise pureté; tous nos désirs aboutiront au repos ; nous raisonnerons sans effort, nous jugerons sans erreur. Le mal enfin ne nous viendra point d'autrui et il ne pourra être engendré en dehors de notre volonté.

Nous vivrons dans une abstinence pleine de charmes, et nous jouirons assidûment d'un plaisir dont l'esprit ne peut se lasser, en adorant continuellement le Créateur, en contemplant toujours son ineffable gloire. Là, les ennuis importuns ne nous accableront plus, et nous cesserons d'être troublés par une mobilité qui est le signe de la faiblesse; telles seront du reste nos félicités, que nous ne saurions y souhaiter aucune fin. Le calme dans le mouvement, l'activité dans le repos, voilà ce qui constituera l'invariable unité de l'âme. Nous serons alors remplis de la science divine, nous aurons l'intelligence la plus exacte de toutes choses, non pas à la suite de pénibles efforts, mais grâce à une lumière que l'esprit acquiert sans travail. On trouve là le nombre tel qu’il est ; on distingue les lignes avec une précision absolue; on possède l'harmonie de la musique ; on aperçoit clairement le mouvement des astres; là, enfin, la vérité d'en haut se manifeste à tous-les yeux.

Nous contemplerons la sagesse de Dieu, et la majesté avec laquelle il dispose chaque chose. Nous jugerons là combien-sont inutiles les tentatives des hérétiques pour déchirer l'Eglise catholique. Nous la Terrons en habits dorés se tenir comme une Reine à la droite de son Époux et de son Roi. Là, nous connaîtrons jusqu'où sera allée, sous le soleil, la vanité des vanités. Là, nous apprécierons réellement combien il était salutaire pour nous d'être exhortés ainsi : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu le serviras seul, » lui auprès de qui toutes choses sont sans aucun prix; qui n'a jamais été et ne sera jamais autre que ce qu'il est.; avec qui nul ne peut être qu'heureux ; sans lequel nul ne peut être qu'infortuné.

L'âme raisonnable, purifiée et transformée de la sorte par une telle connaissance, ne saurait trouver rien de plus à souhaiter.

Nous pouvons bien nous imaginer les causes de l'enivrement qui s'empare de l'homme devenu esprit pur ; mais la manière dont il goûte cette suave félicité ne saurait être ni comprise de notre intelligence ni expliquée avec des discours. Avouons pourtant qu'ils sont Vraiment heureux ceux qui ont tout ce qu'ils veulent, et qui ne sont ébranlés par aucune adversité. Là, en effet, la chair et l'esprit, harmonisés dans une paix éternelle, ne peuvent éprouver de dissentiments. On aura là des membres qui, par leur accord avec la partie spirituelle de notre être, serviront d'ornement et ne descendront pas à la concupiscence charnelle. Là, enfin, brillera une sobriété toute céleste, que ne viendra point souiller l'ivresse des pensées mondaines. La demeure des Justes sera, comme nous le pensons, dans les espaces éthérés, et nul désir ne les attirera vers la terre, dont ils n'auront nécessairement pas besoin. Aussi, n'existera-t-il point là une promiscuité pareille à celle de ce monde ; les élus, éloignés des impies, seront complètement séparés par la nature et la diversité des régions.

La Cité céleste est un asile sûr, une patrie qui renferme toutes les délices ; le peuple n'y murmure jamais, les habitants y sont paisibles, les hommes n'y ont pas le besoin des choses humaines. Là, on n'est point tourmenté d'une faim avide, ni consumé par un chagrin mortel ; on ne rougit point d'une innocente nudité; personne ne souffre de la rigueur du froid, et la chaleur ne brûle point les corps épuisés ; nul n'aspire à un sommeil réparateur, là où l'on ignore la fatigue. Tout est doux, suave, tranquille; le climat même, se dépouillant des intempéries nuisibles, présentera une constante salubrité dans la perpétuité des siècles. Là encore, le jour durera sans interruption, et la sérénité sera éternelle. Aucun nuage n'y obscurcit le soleil, et toutes les choses y brillent davantage par la grâce de leur auteur. Telles sont, en effet, la splendeur d'esprit des Bienheureux et la lumière de leur intelligence, en ce séjour, qu'elles les rendent dignes de contempler le Créateur lui-même, dans toute sa majesté.

Aussi, les livres des Anciens nous enseignent-ils avec raison qu'il n'appartient qu'à ta partie spirituelle, épurée et améliorée par la faveur divine, de considérer véritablement son Auteur, quoiqu'elle porte de toute manière son image. C'est ainsi que nous verrons enfin les objets de notre foi, et que nous contemplerons ce bien suprême, parfait, unique, par lequel seulement on devient meilleur.

Lorsque le globe du Soleil brille sans nuages, de quelle douce chaleur notre âme et nos sens sont pénétrés! Quand la lumière terrestre apparaît, de quel charme nous remplit-elle ! La vue des fleurs nous cause une joie des plus enivrantes. C'est une jouissance exquise pour nous d'admirer la terre verdoyante, la mer azurée, l'air pur, les étoiles scintillantes. Si nous trouvons autant de plaisir à repaître nos regards des choses créées, que pensez-vous qu'on puisse ressentir à l'aspect de cette Majesté, à laquelle rien de pareil ne saurait être comparé.

Nous connaîtrons alors complètement ce que nous croyons aujourd'hui, en vue de notre salue. Mais nous, ne pouvons méritée un tel bienfait qu'en confessant, dès à présent, les vérités de la foi: c'est-à-dire la. Trinité, coéternelle à elle-même, immuable, distincte, et inséparable en ses personnes; remplissant tout de sa vertu substantielle; une en trois parties, triple en urne seule; et possédant la parité dans la toute-puissance, l’égalité dans la charité, l'unité dans la nature.

Cette Trinité, parfaite et singulière en même temps, juge avec sa justice, pardonne, avec sa miséricorde, et aide avec sa grâce; elle a un pouvoir incompréhensible, une béatitude admirable. C'est à elle que les Bienheureux doivent leur félicité, les vivants leur existence, les créatures leur subsistance. Elle connaît, et pèse si exactement les choses, qu'elle ne se trompe jamais dans ses jugements. Bien qu'elle soit invisible, elle est toujours présente pour les bons ; bien qu'elle ne manque nulle part, elle est absente pour les méchants. Elle est immobile, parce qu'elle se trouve tout entière partout; et, cependant, elle est sans cesse en mouvement, parce que sa volonté agit continuellement; elle entend et voit tout en elle-même; mais elle ne regarde pas par quelque endroit comme avec un organe, elle embrasse toutes choses d'une manière générale, telles qu'elles sont réellement, par la seule force de sa perspicacité.

On dit encore qu'elle sent, goûte et marche ; mais on emploie ce langage pour qu'il s'accommode mieux à notre intelligence et aux habitudes humaines, puisqu'il est certain qu'avec la puissance inénarrable qu'elle possède, elle a une façon d'agir bien différente de la nôtre. Sa sainte vertu, qui crée et dispose tout, réside dans sa propre Majesté, dans sa gloire éternelle. Elle constitue ce pouvoir incompréhensible, inestimable et impérissable, qui consolide les cieux merveilleusement suspendus, fixe les îles au milieu de la mer, donne aux sources leur cours, pose des limites à l'Océan, fait briller l'éclair dans un ciel serein, et lance de justes foudres sur la Terre. Elle gouverne le Monde d'une extrémité à l'autre par la seule loi de sa sagesse; et cela, en raison de ce que toutes choses, ne pouvant être abandonnées à elles-mêmes, se trouvent nécessairement placées sous l'autorité divine. Sa colère est paisible, ses jugements sont calmes; et, sans s'émouvoir, elle punit les péchés des coupables. Pourtant, elle a grand pitié des misères humaines et pardonne aussitôt à ceux qui se convertissent; elle corrige même les pécheurs en leur accordant du temps; et, bien qu'elle ne puisse souffrir rien de contraire à la vertu, elle supporte leurs fautes arec patience, dans l'espoir du repentir.

Comme nous soupçonnons ici-bas peu de choses de l'ineffable Trinité! C'est là-haut que nous connaîtrons pleinement combien notre admiration est au-dessous de sa gloire. Servie par un peuple d'anges, elle reçoit des Empires de précieux hommages ; d'innombrables Puissances lui obéissent fidèlement, et la plus grande sommité, si élevée qu'elle soit, a toujours besoin d'elle. Mais, que pouvons-nous conjecturer de sa souveraineté, quand nous ne savons même pas comprendre les choses qui lui sont indubitablement soumises?

Délivrés de l'existence, nous concevrons ce que nous avions la folie de méconnaître. A quelles merveilles sera-t-on appelé ! De quelles misères paraîtrait-on s'être occupé ! Pour s'en convaincre, il suffira d'apercevoir un instant ce dont la foi nous promet la Vue éternelle. C'est là qu'on reconnaît la fausseté des doutes, et que les erreurs cèdent à la voix de la Vérité elle-même. C'est un règne sans fin, une lumière sans nuit, un corps sans vice, une vie sans mort; car, tout se trouvant dirigé vers l'éternité, la mort seule n'existe plus. De telles jouissances sont considérables; mais il est encore meilleur de savoir qu'elles ne finiront point. Les Elus voient ainsi les récompenses dépasser leurs vœux. C'est alors qu'ils connaissent véritablement combien ils sont heureux et à quel faîte de grandeur ils sont parvenus.

O majesté, ô bonté incompréhensibles ! Entre tant d'œuvres qui remplissent le Monde des louanges du divin Ouvrier, en est-il vraiment de plus sublimes que les substances spirituelles, qui peuvent contempler d'une âme pure leur auteur? Le reste des créatures a été fait pour l'agrément d'êtres intelligents, tandis que l'humanité est destinée à la béatitude, en adorant son créateur !

Mais, il est temps d'abandonner la variété des sujets pour condenser et réunir une si abondante matière en quelques points principaux, afin que ces provisions exactement calculées puissent être, grâce à leur peu d'étendue, facilement emmagasinées dans la mémoire.

1° Comme vous vous en souvenez, très prudents Auditeurs, j'ai enseigné que le nom de l'âme est entièrement conforme dans sa consonance à son étymologie, tout en écartant soigneusement les mots dont la ressemblance aurait pu amener la confusion dans l'esprit du lecteur.

2° J'ai donné la véritable définition de cette substance avec tous les éclaircissements qu'elle comporte.

3° J'ai discouru sur sa qualité substantielle.

4° J'ai montré que l'âme ne peut avoir de forme.

5° J’ai énuméré ses vertus morales, qui sont opposées aux vices de ce siècle, comme des armes solides et efficaces.

6° Il a été parlé avec détails des vertus naturelles de l'âme.

7° J'ai raconté ce que j'ai lu sur son origine.

8° J'ai décrit le siège qu'elle occupe et la façon dont elle exerce son jugement.

9° Il a été traité de la composition de notre corps.

10° J'ai fait le tableau de l'âme infidèle avec les signes qui la caractérisent, d'après ce qu'on est convenu d'admettre à ce sujet.

11° J'ai touché quelques mots de son intelligence lumineuse et pleine de la Divinité, autant qu'il nous est possible de le comprendre.

12° J'ai rappelé en dernier lieu, cet admirable bienfait du Seigneur ; l'espoir d'une vie future ; afin qu'on soit convaincu que celle que nous croyons immortelle a aussi des récompenses éternelles.

J'ai terminé les parties de ce petit ouvrage par le nombre douze, qui marque dans les cieux la diversité des signes du Zodiaque, et dans Farinée le charme des mois : c'est lui qui, par une prévoyante disposition, distribue les vents nécessaires aux produits de la terre, et divise en quantités égales les espaces horaires du jour et de la nuit. J'ai agi de la sorte pour que les éclaircissements, qui ont trait à la description de l'âme, fussent aidés par ce calcul, consacré dans l'harmonie de tant de choses naturelles.

Il ne nous reste plus maintenant, hommes sages et intelligents, qu'à être délivrés pour notre salut du fardeau de ce monde, afin que nous puissions nous offrir bientôt nous-même à la divine miséricorde, dont la lumière illumine pleinement tout homme qui réfléchit. Comprenons Dieu, aimons-le, «t nous connaîtrons vraiment l'âme, si la sagesse nous vient de sa grâce. Il est en effet le Maître puissant et pariait : c'est lui qui enseigne la vérité à notre âme et qui, en éclairant son entendement, lui fait voir les chosas sous leur jour réel. Dans l'école du Christ, on ne saurait trouver de cœur indocile; car celui qui s'est donné à lui tout entier ne peut ignorer ce qu'il cherche, ni perdre ce qu'il a reçu en récompense de sa piété. L’âme devient donc grande, précieuse, riche, lorsque d'elle-même elle reconnaît sa pauvreté ; elle devient puissante, si elle ne s'écarte point d'une saine humilité; elle devient enfin heureuse, si elle conserve, sous son enveloppe terrestre, ce que les anges superbes ont perdu dans le séjour éthéré.

En effet, divin Seigneur, personne ne parvient jusqu'à toi en s'élevant : c'est plutôt en s'abaissant qu'on y arrive. Quoique tu sois placé très haut, les supplications de ceux qui s'inclinent devant toi te rapprochent d'eux. Tu agrées notre humilité. Tu aimes ce que tu ne recherches pas pour toi ; tu désires ce dont tu n'as nul besoin. L'humilité, c'est la mère de notre vie, la sœur de la charité, l'unique sauvegarde d'une âme ardente, l'ennemie acharnée et victorieuse de l'orgueil; et, comme celui-ci est, par l'intervention du Démon, l'origine du mal, celle-là est, grâce à toi, la source du bien.

Tu as voulu, ô Christ, ennoblir l'humilité au point de ne pas te borner à la prescrire, mais de daigner la mettre en pratique. En prenant la nature humaine, tu t'es soumis au jugement, toi qui un jour dois juger le monde; tu t'es laissé battre de verges, toi qui élèves et abaisses les Rois; tu as permis que ta face divine fût outragée par d'odieuses souillures, elle qui excite l'insatiable désir des Anges ; tu as bu du fiel, toi qui t'es montré si doux envers le genre humain que tu n'as pas dédaigné, étant le Maître des choses, d'endosser l'enveloppe d'un esclave; tu as supporté patiemment une couronne d'épines, toi qui remplis l'Univers des fleurs variées de tes récompenses; tu as subi la condition de la mort, toi qui as donné la vie à toutes les créatures. Aussi, y a-t-il dans la sainte Incarnation autant d'humilité qu'il existe d'incompréhensible grandeur dans la Divinité.

Grâce à toi, admirable Seigneur, le châtiment est devenu un éternel repos, la passion un remède, la mort le commencement du salut pour les fidèles. Elle qui avait coutume d'être une extinction, est une source d'existence perpétuelle ; et à bon droit, puisqu'il est juste que celle qui prend la vie des hommes perde le pouvoir de la détruire. Donnée en signe d'opprobre, elle demeure comme un honneur: c'est, que les mêmes choses, qui autrefois conduisaient aux Enfers, nous portent maintenant dans les Cieux.

Seigneur, qui agis avec tant de miséricorde, tu es vraiment puissant! Nul de tous les Rois; ne peut s'.égaler à tes pauvres; nulle pourpre ne peut rivaliser avec les filets de tes pêcheurs ; car, la pourpre jette ceux qui en sont revêtus dans, les tempêtes du monde, tandis que ces filets ramènent les humains, vers le, rivage de. l'éternelle sécurité. Tu es pauvre par nous, riche par toi. Tu t'es fait le compagnon de notre mortalité, pour nous laisser partager ton éternité. Tu guéris l'orgueil avec l'humilité, et tu détruis la. Mort avec la mort même. Enfin, tu sais faire le bien par le moyen des méchants, convertissant en secours ce qui a été. préparé pour nuire; car, tu as jugé qu'il y avait plus de puissance à tourner le mal pour notre utilité, qu'à en couper la cause dans les racines.

Comment pourrait-on, d'ailleurs, connaître tes bontés infinies, si elles ne se manifestaient même à tes ennemis par d'irrécusables marques?