Cicéron, de finibus

CICÉRON

ŒUVRES COMPLÈTES DE CICÉRON AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE; INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - TOME QUATRIÈME - PARIS - CHEZ FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET Cie. LIBRAIRES - IMPRIMERIE DE L'INSTITUT DE FRANCE - RUE JACOB,  - M DCCC LXIX

TOME IV.

TRAITÉ DE LA RÉPUBLIQUE

PREFACE - LIVRE I

 Notes sur le Traité Du Destin - de republica 2

Oeuvre numérisée et mise en page par Patrick Hoffman

 

 

 

ŒUVRES

COMPLÈTES



DE CICÉRON,


AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS,

PUBLIÉES

SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD,

DE L'ACADÉMIE

INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR.
 

TOME QUATRIEME






PARIS,


CHEZ FIRMIN DIDOT FRERES, FILS ET Cie, LIBRAIRES,
IMPRIMEURS DE L'INSTITUT DE FRANCE

RUE JACOB,  .

M DCCC LXIV


 

 

277 TRAITÉ DE LA RÉPUBLIQUE

 

PRÉFACE.

 

Parmi les ouvrages philosophiques de Cicéron, il n'en était pas de plus fréquemment cité par l'auteur, et de mieux apprécié clans l'antiquité, que le traité de la République. C'était de tous le plus sérieux et le plus original; Rome s'en enorgueillissait, et des Grecs eux-mêmes le préféraient aux livres d'Aristote et de Platon. Aussi, lorsqu'à la renaissance des lettres, les amis de l'antiquité rassemblèrent avec ferveur les livres dispersés du grand orateur, ils furent douloureusement surpris de ne plus trouver un seul manuscrit d'un ouvrage qui avait été répandu dans tout le monde savant, et que les premiers siècles du moyen âge avaient certainement connu et multiplié. Des recherches actives furent dirigées de tous côtés; on demanda l'ouvrage du consul romain à l'Italie, à la France, à l'Allemagne, à la Pologne elle-même; il n'y fut épargné ni dépenses ni soins. Mais tous les efforts furent inutiles; et l'on vit pendant quatre siècles les éditeurs de Cicéron réduits à déplorer une perte réputée irréparable; et à rapprocher du songe de Scipion, admirable fragment de la République, conservé par Macrobe, quelques textes de saint Augustin, de Lactance, du grammairien Nonnius, débris informes d'un monument dont ils ne montraient ni l'économie ni le mérite.

Un savant italien a eu, dans les premières années de ce siècle, le bonheur si longtemps et si vainement poursuivi à l'époque de la renaissance, et que tant d'érudits modernes rêvaient encore, malgré l'inutilité des recherches du seizième siècle. M. Angelo Maï, récemment élevé au cardinalat, a retrouvé la République à demi effacée sur un décès manuscrits qu'on nomme palimpsestes, parce que la première écriture est recouverte d'une seconde. Malheureusement la découverte est incomplète. Le précieux manuscrit présentait beaucoup de lacunes, et la composition entière, qui devait être la plus vaste de Cicéron, n'avait jamais été renfermée dans le seul cahier que la poussière du Vatican nous ait rendu. Nous ne pouvons, malgré cette bonne fortune de M. Angelo Mai, récompense si légitime de tant de travaux, nous ne pouvons nous flatter d'avoir plus de la moitié d'un ouvrage tour à tour admiré, et remplissant le monde, perdu, recherché vainement, et sortant tout à coup en lambeaux des feuilles oubliées d'un parchemin que la pieuse barbarie du moyen âge avait consacré à une tout autre destination.

Cicéron avait d'abord divisé la République en neuf, livres pour répondre au nombre de jours des féeries latines, pendant lesquelles l'artifice de la composition voulait que l'entretien qui remplit l'ouvrage eût été tenu. Il réduisit ensuite les neuf livres à six, et le nombre de jours à trois. De ces six livres, le manuscrit du Vatican nous a fait retrouver une grande partie du premier, un long fragment du second, quelques beaux détails du troisième, et enfin deux ou trois pages du quatrième et du cinquième. Le sixième livre est encore réduit, dans l'édition de M. Angelo Maï, au songe de Scipion et à quelques phrases sans lien, recueillies par les écrivains anciens qui citaient souvent Cicéron et ce traité en particulier. De toutes ces pièces éparses, nous pourrons cependant, sans trop d'imperfection et d'arbitraire, recomposer un tout, qui ne sera pas la République de Cicéron telle qu'elle est sortie des mains de son auteur, mais qui nous en donnera une juste idée, nous en montrera les principales divisions, le but et l'esprit.

Cicéron, qui aimait à mettre ses pensées dans la bouche des plus célèbres de ses concitoyens, et surtout des hommes anciens, à la fois très-illustres et très-graves, pour donner à ses propres sentiments l'autorité de ces grands noms, a rassemblé dans le traité de la République tout ce que Rome contenait de plus fameux à l'une des plus glorieuses époques de son histoire. Scipion Émilien, Lélius, Manilius, Tubéron, Philus, Fannius, Scévola, sont les principaux personnages de ces dialogues; Scipion en est le héros; Lélius y défend la cause de la justice; tous ensemble recherchent quelles sont les conditions de la vie politique, comment une nation doit être constituée, d'où vient la grandeur de l'empire romain, et par quelles sages maximes, quelles institutions et quelles lois ou pourra le maintenir, le protéger et le perpétuer.

Le premier livre est consacré à la discussion des diverses formes de gouvernement: c'est un entretien purement théorique, dont le but est d'établir les vrais principes de toute politique, en dehors des applications, et un peu dans le monde idéal, comme avait fait Platon, mais avec un sentiment 278 bien plus vif de la réalité, et un bon sens pratique qui perce jusque dans cette métaphysique politique. Cicéron, qui veut au moins imiter l'art de Platon, s'il repousse ses conceptions chimériques, n'entre pas en matière dès le début du dialogue. Il fait d'abord porter la conversation des hôtes de Scipion sur un phénomène astronomique, et met en scène la sphère d'Archimède, la science de Gallus, Thaïes, Anaxagore, et les armes que la science naissante avait déjà données au bon sens contre la superstition. L'entretien est ramené à son véritable sujet par une observation de Lélius, qui demande s'il est bien convenable de se promener en esprit parmi les sphères célestes et d'admirer stérilement l'ordre des régions éthérées, quand de toutes parts le désordre s'introduit dans Rome, menace d'ébranler l'empire et d'en compromettre la destinée. Il n'est d'autre moyen de venir en aide à la patrie ainsi travaillée, que de remonter à la source de la bonne direction des États, aux principes de la science politique. Scipion est prié d'exposer à ses amis selon quelles règles il pense que les sociétés doivent être gouvernées. Ici commence le développement des idées de Cicéron, dont il est plus facile peut-être de montrer l'enchaînement que de comprendre le vrai mérite.

Scipion parle d'abord des trois formes de constitution qui ont été remarquées, expliquées et appréciées par tous les écrivains politiques. Il en signale les avantages et les inconvénients, et tout en préférant la royauté à l'aristocratie et surtout à la démocratie, il déclare que, dans sa pensée, la meilleure constitution pour un peuple est celle qui est composée de ces trois formes simples, tempérées les unes par les autres, et formant dans leur réunion un juste équilibre qui maintient dans l'État assez de majesté, assez de lumières et assez de liberté. Toute autre constitution est perpétuellement sur une pente dangereuse, voisine d'un abus, et, en conséquence, d'une révolution. Il n'y a de stabilité que dans l'harmonie des diverses forces naturelles que présente une nation. Hors de cette condition parfaite, les sociétés sont soumises à des vicissitudes fatalement déterminées, qui les font passer de la licence à la tyrannie, et dont il est presque impossible d'arrêter le cours.

Mais toutes ces considérations ont, pour des Romains et même pour l'esprit le plus philosophique de Rome, le grand inconvénient d'être purement abstraites, de porter la pensée dans une région idéale dont on ne voit pas trop les relations avec la vie pratique, et de ne pas frapper au but que Lélius avait déterminé. Cicéron se hâte de prendre terre en quelque sorte, et de chercher parmi les sociétés humaines un modèle auquel il rapporte ses préceptes, qui en contrôle la justesse, et lui fournisse cette expérience indispensable aux bons raisonnements sur la politique. Le modèle est bientôt rencontré; Rome l'offrait et l'imposait. C'était, il faut l'avouer, une meilleure école que toutes celles où avaient pu s'instruire les politiques de la Grèce, et en présence de l'empire romain, on était moins exposé à mépriser la réalité et à construire des cités imaginaires, qu'à la vue de la mobilité et de l'abaissement d'Athènes, ou de l'égoïsme étroit et des dures institutions de Lacédémone. Le second livre contenait l'histoire de la constitution romaine, depuis les premiers essais de Romulus jusqu'à l'entier développement de la République. Le fragment de ce livre, retrouvé dans le manuscrit du Vatican, ne nous conduit que jusqu'à l'époque des Décemvirs; probablement la moitié de cette histoire philosophique nous manque. Cicéron essayait de prouver que la supériorité de la constitution romaine venait de ce qu'elle n'était pas l'œuvre d'un seul homme et le monument d'une seule génération, mais le fruit de l'expérience de plusieurs siècles, et du génie d'une longue suite de grands hommes. En même temps qu'il mettait en lumière l'excellence des institutions romaines, il montrait comment, jusqu'à l'époque de leur accomplissement, la République n'avait jamais été stable, et s'était vue soumise aux vicissitudes dont il est parlé dans le premier livre. Pour Cicéron, la constitution des beaux temps de la République offrait la perfection et l'équilibre que demandait Scipion: les consuls représentaient l'autorité royale, le sénat était le modèle de l'aristocratie éclairée et vertueuse, le peuple avait une juste mesure de liberté: doucement contenu, il ne manquait ni de droits ni de puissance.

Dans le troisième livre, la politique est rattachée à la morale; les sophismes odieux qui voulaient ôter à la justice la conduite des États, et allaient jusqu'à nier la justice elle-même, en attaquant le droit et la sainteté des lois dans leur source, toute cette doctrine que Rome n'avait pas portée, mais qu'elle avait reçue de la Grèce, est réfutée par Lélius avec entraînement et une éloquence pleine d'élévation. Philus s'était chargé d'abord de soutenir la cause de l'injustice; il avait reproduit toutes les plus fortes objections de Carnéade contre la justice et le droit naturel, objections qui remontaient à Gorgias et aux sophistes, et que dans tous les temps quelques esprits faux, corrompus ou chagrins, ont essayé de remettre en honneur. Malheureusement nous n'avons qu'une partie fort restreinte du beau discours de Lélius; et nous ne voyons qu'imparfaitement par quelles raisons profondes Cicéron était conduit à identifier la politique et la morale, et à vouloir que toutes les lois humaines fussent prises à la source éternellement pure du droit naturel et divin. Après avoir démontré que la justice doit régner sur le monde, il soumet à cette première maîtresse toutes les formes de gouvernement, et, les jugeant de plus haut encore qu'il n'avait fait jusqu'ici, il affirme que sans la justice il n'est plus ni rois, ni gouvernement, ni autorité, ni peuples.

Ce qui nous reste du quatrième et du cinquième livre est trop peu de chose, et entre ces fragments isolés il y a trop peu de liens pour qu'il soit possible d'indiquer avec quelques détails l'objet de ces nouveaux entretiens. On peut soupçonner que, dans le quatrième livre, Cicéron parlait des mœurs, et dans le cinquième des règles du gouvernement et des devoirs de l'homme politique.

279 Enfin, dans le sixième, il s'élevait, selon toute vraisemblance, des lois et des institutions humaines, à la religion, au culte, à l'influence salutaire de la crainte des Dieux et de la croyance à une autre vie. Le seul fragment important que nous ayons de ce livre est le songe de Scipion; nous ne le devons point au palimpseste de Rome; Macrobe l'avait commenté, et, ce qui valait mieux, reproduit; et l'ouvrage de Macrobe s'est conservé. Les copies du songe de Scipion n'ont jamais été rares, et il est peu de pages détachées des ouvrages anciens dont on ait plus parlé que de celles-ci.

Scipion raconte à ses amis que, pendant son premier séjour en Afrique, recevant l'hospitalité sous le toit du vieux Massinissa, il vit en songe l'Africain son aïeul lui apparaître, et l'enlever en esprit dans les demeures célestes. L'univers entier se dévoila à ses yeux; il entendit l'harmonie des sphères, et vit partout un ordre merveilleux et la main de Dieu sur le monde. Le vainqueur d'Annibal lui apprit à mépriser la terre, ce globe misérable perdu dans l'infinie grandeur des cieux; à élever sa pensée vers les biens impérissables, à ne chercher d'autre gloire que celle de la vertu et de l'immortalité. Au milieu de ces sublimes idées, qu'on croirait inspirées par le christianisme, on regrette de trouver une démonstration subtile de l'éternité de l'âme, et une copie d'un passage de Platon, déjà reproduit dans les Tusculanes, et où le génie de Cicéron ne se reconnaîtra jamais. M. Villemain a dit avec beaucoup de goût: «Le songe de Scipion est un exemple de ce que la raison et l'enthousiasme peuvent faire pour s'élever à l'éternelle vérité, et de ce qui leur manque toujours pour y parvenir: c'est un monument précieux, tout à la fois parce qu'il est sublime, et parce qu'il est insuffisant. Quelle que soit en effet l'élévation et l'éloquence de ce morceau, il semble que la simplicité de la grande vérité qu'il renferme est souvent altérée par les raisonnements d'une philosophie argutieuse et subtile. Que d'efforts, que d'expressions scolastiques pour prouver que l'âme est immortelle, parce qu'elle a son mouvement en elle-même! Les descriptions du monde céleste, le bruit harmonieux des sphères, et toute cette théurgie pythagoricienne dont Cicéron fait un grand usage, forment aussi un bien petit spectacle à côté de l'immensité réelle de l'univers. Mais l'épisode entier n'en conserve pas moins une vraie magnificence de pensées et d'expressions.»

Ce qui nous reste de la République suffit pour que nous puissions, en connaissance de cause, confirmer l'opinion, généralement accréditée dans les temps anciens, que c'était là l'ouvrage le plus parfait de Cicéron. Ce traité de politique l'emporte de beaucoup sur les autres écrits philosophiques de notre auteur. Ici ce n'est point un disciple de la Grèce expliquant en beaux termes des systèmes que l'esprit romain n'aurait jamais conçus: c'est le plus fin et le plus vaste génie de Rome parlant de la constitution et de la force des États au milieu de la plus grande république du inonde, et trouvant sans effort, dans son expérience et sa pensée, des vérités que la Grèce n'avait pas connues, ou qu'elle n'avait pu saisir avec cette haute simplicité et ce bon sens parfait, si nécessaires à qui entreprend de juger les affaires. On voit que, dans la composition de la République, Cicéron est à l'aise; il a naturellement l'élévation d'un philosophe et le tact d'un grand homme d'État; il sait comprendre les hommes; il méprise autant les abstractions sonores que les esprits chimériques dédaignent la réalité; il a reçu de la nature cet heureux mélange de raison et de sagesse pratique, ce tempérament d'esprit si rare et qui n'exclut point la noblesse, enfin toutes ces qualités précieuses qui valent mieux que la sublimité d'un génie en divorce avec le monde, et qui forment seules le moraliste et le politique.

Le traité de la République a été publié pour la première fois en France en 1823. M. Villemain en a donné à la fois le texte et la traduction. Il a joint à cette traduction un discours préliminaire qui est à lui seul un ouvrage très-intéressant, et l'un des meilleurs écrits sur la politique ancienne. Il a essayé, dans des dissertations ingénieuses et pleines d'érudition et de goût, de suppléer aux lacunes du manuscrit de Rome, et de nous tracer une esquisse des cinquième et sixième livres, qui de tous eussent été les plus curieux pour les lecteurs modernes. Quelques années après, M. Le Clerc a donné de la République une traduction nouvelle dans son édition complète des œuvres de Cicéron. Après de tels maîtres, qu'est-il permis de faire, si ce n'est de les prendre pour guides? C'est à eux, et aux notes excellentes de M. Angelo Mai, que nous devons tout ce qui n'est pas trop imparfait dans notre humble copie d'un si grand modèle.

 

 

 
 

 

 

DE RE PUBLICA - LIBER PRIMUS.

 

I. - - - <im>petu liberauissent, nec C. Duelius A. Atilius L. Metellus terrore Karthaginis, non duo Scipiones oriens incendium belli Punici secundi sanguine suo restinxissent, nec id excitatum maioribus copiis aut Q. Maximus eneruauisset, aut M. Marcellus contudisset, aut a portis huius urbis auolsum P. Africanus compulisset intra hostium moenia. M. uero Catoni homini ignoto et nouo, quo omnes qui isdem rebus studemus quasi exemplari ad industriam uirtutemque ducimur, certe licuit Tusculi se in otio delectare, salubri et propinquo loco. sed homo demens ut isti putant, cum cogeret eum necessitas nulla, in his undis et tempestatibus ad summam senectutem maluit iactari, quam in illa tranquillitate atque otio iucundissime uiuere. omitto innumerabilis uiros, quorum singuli saluti huic ciuitati fuerunt, et qui sunt <haut> procul ab aetatis huius; memoria, commemorare eos desino, ne quis se aut suorum aliquem praetermissum queratur. unum hoc definio, tantam esse necessitatem uirtutis generi hominum a natura tantumque amorem ad communem salutem defendendam datum, ut ea uis omnia blandimenta uoluptatis otique uicerit.

II. Nec uero habere uirtutem satis est quasi artem aliquam nisi utare; etsi ars quidem cum ea non utare scientia tamen ipsa teneri potest, uirtus in usu sui tota posita est; usus autem eius est maximus ciuitatis gubernatio, et earum ipsarum rerum quas isti in angulis personant, reapse non oratione perfectio. nihil enim dicitur a philosophis, quod quidem recte honesteque dicatur, quod <non> ab iis partum confirmatumque sit, a quibus ciuitatibus iura discripta sunt. unde enim pietas, aut a quibus religio? unde ius aut gentium aut hoc ipsum ciuile quod dicitur? unde iustitia fides aequitas? unde pudor continentia fuga turpi<tu>dinis adpetentia laudis et honestatis? unde in laboribus et periculis fortitudo? nempe ab iis qui haec disciplinis informata alia moribus confirmarunt, sanxerunt autem alia legibus. quin etiam Xenocraten ferunt, nobilem in primis philosophum, cum quaereretur ex eo quid adsequerentur eius discipuli, respondisse ut id sua sponte facerent quod cogerentur facere legibus. ergo ille, ciuis qui id cogit omnis imperio legumque poena, quod uix paucis persuadere oratione philosophi possunt, etiam iis qui illa disputant ipsis est praeferendus doctoribus. quae est enim istorum oratio tam exquisita, quae sit anteponenda bene constitutae ciuitati publico iure et moribus? equidem quem ad modum 'urbes magnas atque inperiosas', ut appellat Ennius, uiculis et castellis praeferendas puto, sic eos qui his urbibus consilio atque auctoritate praesunt, iis qui omnis negotii publici expertes sint, longe duco sapientia ipsa esse anteponendos. et quoniam maxime rapimur ad opes augendas generis humani, studemusque nostris consiliis et laboribus tutiorem et opulentiorem uitam hominum reddere, et ad hanc uoluptatem ipsius naturae stimulis incitamur, teneamus eum cursum qui semper fuit optimi cuiusque, neque ea signa audiamus quae receptui canunt, ut eos etiam reuocent qui iam processerint.

III.His rationibus tam certis tamque inlustribus opponuntur ab iis qui contra disputant primum labores qui sint re publica defendenda sustinendi, leue sane inpedimentum uigilanti et industrio, neque solum in tantis rebus sed etiam in mediocribus uel studiis uel officiis uel uero etiam negotiis contemnendum. adiunguntur pericula uitae, turpisque ab his formido mortis fortibus uiris opponitur, quibus magis id miserum uideri solet, natura se consumi et senectute, quam sibi dari tempus ut possint eam uitam, quae tamen esset reddenda naturae, pro patria potissimum reddere. illo uero se loco copiosos et disertos putant, cum calamitates clarissimorum uirorum iniuriasque iis ab ingratis inpositas ciuibus colligunt. hinc enim illa et apud Graecos exempla, Miltiadem uictorem domitoremque Persarum, nondum sanatis uolneribus iis quae corpore aduerso in clarissima uictoria accepisset, uitam ex hostium telis seruatam in ciuium uinclis profudisse, et Themistoclem patria quam liberauisset pulsum atque proterritum, non in Graeciae portus per se seruatos sed in barbariae sinus confugisse quam adflixerat, nec uero leuitatis Atheniensium crudelitatisque in amplissimos ciuis exempla deficiunt. quae nata et frequentata apud illos etiam in grauissumam ciuitatem nostram dicunt redundasse; nam uel exilium Camilli uel offensio commemoratur Ahalae  Vel inuidia Nasicae uel expulsio Laenatis uel Opimi damnatio uel fuga Metelli uel acerbissima C. Mari clades --- principum caedes, uel eorum multorum pestes quae paulo post secutae sunt. nec uero iam <meo> nomine abstinent, et credo quia nostro consilio ac periculo sese in illa uita atque otio conseruatos putant, grauius etiam de nobis queruntur et amantius. sed haud facile dixerim, cur cum ipsi discendi aut uisendi causa maria tramittant - - -. (- - -)

IV. Saluam esse consulatu abiens in contione populo Romano idem iurante iurassem, facile iniuriarum omnium compensarem curam et molestiam. quamquam nostri casus plus honoris habuerunt quam laboris, neque tantum molestiae quantum gloriae, maioremque laetitiam ex desiderio bonorum percepimus, quam ex laetitia inproborum dolorem. sed si aliter ut dixi accidisset, qui possem queri? cum mihi nihil inprouiso nec grauius quam expectauissem pro tantis meis factis euenisset. is enim fueram, cui cum liceret aut maiores ex otio fructus capere quam ceteris propter uariam suauitatem studiorum in quibus a pueritia uixeram, aut si quid accideret acerbius uniuersis, non praecipuam sed parem cum ceteris fortunae condicionem subire, non dubitauerim me grauissimis tempestatibus ac paene fulminibus ipsis obuium ferre conseruandorum ciuium causa, meisque propriis periculis parere commune reliquis otium. neque enim hac nos patria lege genuit aut educauit, ut nulla quasi alimenta exspectaret a nobis, ac tantummodo nostris ipsa commodis seruiens tutum perfugium otio nostro suppeditaret et tranquillum ad quietem locum, sed ut plurimas et maximas nostri animi ingenii consilii partis ipsa sibi ad utilitatem suam pigneraretur, tantumque nobis in nostrum priuatum usum quantum ipsi superesse posset remitteret.

V. Iam illa, perfugia quae sumunt sibi ad excusationem quo facilius otio perfruantur, certe minime sunt audienda, cum ita dicunt accedere ad rem publicam plerumque homines nulla re bona dignos, cum quibus comparari sordidum, confligere autem multitudine praesertim incitata miserum et periculosum sit. quam ob rem neque sapientis esse accipere habenas cum insanos atque indomitos impetus uolgi cohibere non possit, neque liberi cum inpuris atque inmanibus aduersariis decertantem uel contumeliarum uerbera subire, uel expectare sapienti non ferendas iniurias: proinde quasi bonis et fortibus et magno animo praeditis ulla sit ad rem publicam adeundi causa iustior, quam ne pareant inprobis, neue ab isdem lacerari rem publicam patiantur, cum ipsi auxilium ferre si cupiant non queant.

VI. Illa autem exceptio cui probari tandem potest, quod negant sapientem suscepturum ullam rei publicae partem, extra quam si eum tempus et necessitas coegerit? quasi uero maior cuiquam necessitas accidere possit quam accidit nobis; in qua quid facere potuissem, nisi tum consul fuissem? consul autem esse qui potui, nisi eum uitae cursum tenuissem a pueritia, per quem equestri loco natus peruenirem ad honorem amplissimum? non igitur potestas est ex tempore aut cum uelis opitulandi rei publicae, quamuis ea prematur periculis, nisi eo loco sis ut tibi id facere liceat. maximeque hoc in hominum doctorum oratione mihi mirum uideri solet, quod qui tranquillo mari gubernare se negent posse, quod nec didicerint nec umquam scire curauerint, iidem ad gubernacula se accessuros profiteantur excitatis maximis fluctibus. isti enim palam dicere atque in eo multum etiam gloriari solent, se de rationibus rerum publicarum aut constituendarum aut tuendarum nihil nec didicisse umquam nec docere, earumque rerum scientiam non doctis hominibus ac sapientibus, sed in illo genere exercitatis concedendam putant. quare qui conuenit polliceri operam suam rei publicae tum denique si necessitate cogantur? cum, quod est multo procliuius, nulla necessitate premente rem publicam regere nesciant. equidem, ut uerum esset sua uoluntate sapientem descendere ad rationes ciuitatis non solere, sin autem temporibus cogeretur, tum id munus denique non recusare, tamen arbitrarer hanc rerum ciuilium minime neglegendam scientiam sapienti propterea, quod omnia essent ei praeparanda, quibus nesciret an aliquando uti necesse esset.

VII. Haec plurimis a me uerbis dicta sunt ob eam causam, quod his libris erat instituta et suscepta mihi de re publica disputatio; quae ne frustra haberetur, dubitationem ad rem publicam adeundi in primis debui tollere. ac tamen si qui sunt qui philosophorum auctoritate moueantur, dent operam parumper atque audiant eos quorum summa est auctoritas apud doctissimos homines et gloria; quos ego existimo, etiamsi qui ipsi rem publicam non gesserint, tamen quoniam de re publica multa quaesierint et scripserint, functos esse aliquo rei publicae munere. eos uero septem quos Graeci sapientis nominauerunt, omnis paene uideo in media re publica esse uersatos. neque enim est ulla res in qua propius ad deorum numen uirtus accedat humana, quam ciuitatis aut condere nouas aut conseruare iam conditas.

VIII. Quibus de rebus, quoniam nobis contigit ut idem et in gerenda re publica aliquid essemus memoria dignum consecuti, et in explicandis rationibus rerum ciuilium quandam facultatem, non modo usu sed etiam studio discendi et docendi - - - essemus auctores, cum superiores ali fuissent in disputationibus perpoliti, quorum res gestae nullae inuenirentur, ali in gerendo probabiles, in disserendo rudes. nec uero nostra quaedam est instituenda noua et a nobis inuenta ratio, sed unius aetatis clarissimorum ac sapientissimorum nostrae ciuitatis uirorum disputatio repetenda memoria est, quae mihi tibique quondam adulescentulo est a P. Rutilio Rufo, Smyrnae cum simul essemus compluris dies, exposita, in qua nihil fere quod magno opere ad rationes omnium <harum> rerum pertineret praetermissam puto.

IX. Nam cum P. Africanus hic Pauli filius feriis Latinis Tuditano cons- et Aquilio constituisset in hortis esse, familiarissimique eius ad eum frequenter per eos dies uentitaturos se esse dixissent, Latinis ipsis mane ad eum primus sororis filius uenit Q. Tubero. quem cum comiter Scipio adpellauisset libenterque uidisset, 'quid tu' inquit 'tam mane Tubero? dabant enim hae feriae tibi opportunam sane facultatem ad explicandas tuas litteras'. tum ille (Tubero): 'mihi uero omne tempus est ad meos libros uacuum; numquam enim sunt illi occupati; te autem permagnum est nancisci otiosum, hoc praesertim motu rei publicae'. tum Scipio: 'atqui nactus es, sed mehercule otiosiorem opera quam animo'. et ille (Tubero): 'at uero animum quoque relaxes oportet; sumus enim multi ut constituimus parati, si tuo commodo fieri potest, abuti tecum hoc otio'. SCIPIO 'libente me uero, ut aliquid aliquando de doctrinae studiis admoneamur'.

X. Tum ille (Tubero): 'uisne igitur, quoniam et me quodam modo inuitas et tui spem das, hoc primum Africane uideamus, ante quam ueniunt alii, quidnam sit de isto altero sole quod nuntiatum est in senatu? neque enim pauci neque leues sunt qui se duo soles uidisse dicant, ut non tam fides non habenda quam ratio quaerenda sit'. hic Scipio: 'quam uellem Panaetium nostrum nobiscum haberemus! qui cum cetera tum haec caelestia uel studiosissime solet quaerere. sed ego Tubero - nam tecum aperte quod sentio loquar - non nimis adsentior in omni isto genere nostro illi familiari, qui quae uix coniectura qualia sint possumus suspicari, sic adfirmat ut oculis ea cernere uideatur aut tractare plane manu. quo etiam sapientiorem Socratem soleo iudicare, qui omnem eius modi curam deposuerit, eaque quae de natura quaererentur, aut maiora quam hominum ratio consequi possit, aut nihil omnino ad uitam hominum adtinere dixerit'.  Dein Tubero: 'nescio Africane cur ita memoriae proditum sit, Socratem omnem istam disputationem reiecisse, et tantum de uita et de moribus solitum esse quaerere. quem enim auctorem de illo locupletiorem Platone laudare possumus? cuius in libris multis locis ita loquitur Socrates, ut etiam cum de moribus de uirtutibus denique de re publica disputet, numeros tamen et geometriam et harmoniam studeat Pythagorae more coniungere'. tum Scipio: 'sunt ista ut dicis; sed audisse te credo Tubero, Platonem Socrate mortuo primum in Aegyptum discendi causa, post in Italiam et in Siciliam contendisse, ut Pythagorae inuenta perdisceret, eumque et cum Archyta Tarentino et cum Timaeo Locro multum fuisse et Philolai commentarios esse nanctum, cumque eo tempore in his locis Pythagorae nomen uigeret, illum se et hominibus Pythagoreis et studiis illis dedisse. itaque cum Socratem unice dilexisset, eique omnia tribuere uoluisset, leporem Socraticum subtilitatemque sermonis cum obscuritate Pythagorae et cum illa plurimarum artium grauitate contexuit'.

XI. Haec Scipio cum dixisset, L. Furium repente uenientem aspexit, eumque ut salutauit, amicissime adprehendit et in lecto suo conlocauit. et cum simul P. Rutilius uenisset, qui est nobis huius sermonis auctor, eum quoque ut salutauit, propter Tuberonem iussit adsidere. tum Furius: 'quid uos agitis? num sermonem uestrum aliquem diremit noster interuentus?' 'minime uero', Africanus; 'soles enim tu haec studiose inuestigare quae sunt in hoc genere de quo instituerat paulo ante Tubero quaerere; Rutilius quidem noster etiam, sub ipsis Numantiae moenibus solebat mecum interdum eius modi aliquid conquirere'. 'quae res tandem inciderat?' inquit Philus. tum ille SCIPIO: 'de solibus istis duobus; de quo studeo, Phile, ex te audire quid sentias'.

XII. Dixerat hoc ille, cum puer nuntiauit uenire ad eum Laelium domoque iam exisse. tum Scipio calceis et uestimentis sumptis e cubiculo est egressus, et cum paululum inambulauisset in porticu, Laelium aduenientem salutauit et eos, qui una uenerant, Spurium Mummium, quem in primis diligebat, et C. Fannium et Quintum Scaeuolam, generos Laeli, doctos adulescentes, iam aetate quaestorios; quos cum omnis salutauisset, conuertit se in porticu et coniecit in medium Laelium; fuit enim hoc in amicitia quasi quoddam ius inter illos, ut militiae propter eximiam belli gloriam Africanum ut deum coleret Laelius, domi uicissim Laelium, quod aetate antecedebat, obseruaret in parentis loco Scipio. dein cum essent perpauca inter se uno aut altero spatio conlocuti, Scipionique eorum aduentus periucundus et pergratus fuisset, placitum est ut in aprico maxime pratuli loco, quod erat hibernum tempus anni, considerent; quod cum facere uellent, interuenit uir prudens omnibusque illis et iucundus et carus, M. Manilius qui a Scipione ceterisque amicissime consalutatus adsedit proximus Laelio.

XIII. Tum Philus: 'non mihi uidetur' inquit 'quod hi uenerunt alius nobis sermo esse quaerendus, sed agendum accuratius et dicendum dignum aliquid horum auribus'. hic Laelius: 'quid tandem agebatis, aut cui sermoni nos interuenimus?' (Philus) 'quaesierat ex me Scipio quidnam sentirem de hoc quod duo soles uisos esse constaret'. LAELIUS 'ain uero, Phile? iam explorata nobis sunt ea quae ad domos nostras quaeque ad rem publicam pertinent? siquidem quid agatur in caelo quaerimus'. et ille (Philus): 'an tu ad domos nostras non censes pertinere scire quid agatur et quid fiat domi? quae non ea est quam parietes nostri cingunt, sed mundus hic totus, quod domicilium quamque patriam di nobis communem secum dederunt, cum praesertim si haec ignoremus, multa nobis et magna ignoranda sint. ac me quidem ut hercule etiam te ipsum Laeli omnisque auidos sapientiae cognitio ipsa rerum consideratioque delectat'. (20) tum Laelius: 'non inpedio, praesertim quoniam feriati sumus; sed possumus audire aliquid an serius uenimus?' (Philus) nihil est adhuc disputatum, et quoniam est integrum, libenter tibi, Laeli, ut de eo disseras equidem concessero'. LAELIUS 'immo uero te audiamus, nisi forte Manilius interdictum aliquod inter duos soles putat esse componendum, ut ita caelum possideant ut uterque possederit'. tum Manilius: 'pergisne eam, Laeli, artem inludere, in qua primum excellis ipse, deinde sine qua scire nemo potest quid sit suum quid alienum? sed ista mox; nunc audiamus Philum, quem uideo maioribus iam de rebus quam me aut quam P. Mucium consuli'.

XIV. Tum Philus: 'nihil noui uobis adferam, neque quod a me sit <ex>cogitatum aut inuentum; nam memoria teneo C. Sulpicium Gallum, doctissimum ut scitis hominem, cum idem hoc uisum diceretur et esset casu apud M. Marcellum, qui cum eo consul fuerat, sphaeram quam M. Marcelli auus captis Syracusis ex urbe locupletissima atque ornatissima sustulisset, cum aliud nihil ex tanta praeda domum suam deportauisset, iussisse proferri; cuius ego sphaerae cum persaepe propter Archimedi gloriam nomen audissem, speciem ipsam non sum tanto opere admiratus; erat enim illa uenustior et nobilior in uolgus, quam ab eodem Archimede factam posuerat in templo Virtutis Marcellus idem. Sed posteaquam coepit rationem huius operis scientissime Gallus exponere, plus in illo Siculo ingenii quam uideretur natura humana ferre potuisse iudicabam fuisse. dicebat enim Gallus sphaerae illius alterius solidae atque plenae uetus esse inuentum, et eam a Thalete Milesio primum esse tornatam, post autem ab Eudoxo Cnidio, discipulo ut ferebat Platonis, eandem illam astris quae caelo inhaererent esse descriptam; cuius omnem ornatum et descriptionem sumptam ab Eudoxo multis annis post non astrologiae scientia sed poetica quadam facultate uersibus Aratum extulisse. hoc autem sphaerae genus, in quo solis et lunae motus inessent et earum quinque stellarum quae errantes et quasi uagae nominarentur, in illa sphaera solida non potuisse finiri, atque in eo admirandum esse inuentum Archimedi, quod excogitasset quem ad modum in dissimillimis motibus inaequabiles et uarios cursus seruaret una conuersio. hanc sphaeram Gallus cum moueret, fiebat ut soli luna totidem conuersionibus in aere illo quot diebus in ipso caelo succederet, ex quo et in <caelo> sphaera solis fieret eadem illa defectio, et incideret luna tum in eam metam quae esset umbra terrae, cum sol e regione - - -.

XV. - - - SCIPIO 'fuit, quod et ipse hominem diligebam et in primis patri meo Paulo probatum et carum fuisse cognoueram. memini me admodum adulescentulo, cum pater in Macedonia consul esset et essemus in castris perturbari exercitum nostrum religione et metu, quod serena nocte subito candens et plena luna defecisset. tum ille cum legatus noster esset anno fere ante quam consul est declaratus, haud dubitauit postridie palam in castris docere nullum esse prodigium, idque et tum factum esse et certis temporibus esse semper futurum, cum sol ita locatus fuisset ut lunam suo lumine non posset attingere'. 'ain tandem?' inquit Tubero; 'docere hoc poterat ille homines paene agrestes, et apud imperitos audebat haec dicere?' SCIPIO 'ille uero, et magna quidem cum- - -. (- - -) (24) SCIPIO <neque in>solens ostentatio neque oratio abhorrens a persona hominis grauissimi; rem enim magnam <erat> adsecutus, quod hominibus perturbatis inanem religionem timoremque deiecerat.

XVI. Atque eiusmodi quiddam etiam bello illo maximo quod Athenienses et Lacedaemonii summa inter se contentione gesserunt, Pericles ille et auctoritate et eloquentia et consilio princeps ciuitatis suae, cum obscurato sole tenebrae factae essent repente, Atheniensiumque animos summus timor occupauisset, docuisse ciuis suos dicitur, id quod ipse ab Anaxagora cuius auditor fuerat acceperat, certo illud tempore fieri et necessario, cum tota se luna sub orbem solis subiecisset; itaque etsi non omni intermenstruo, tamen id fieri non posse nisi intermenstruo tempore. quod cum disputando rationibusque docuisset, populum liberauit metu; erat enim tum haec noua et ignota ratio, solem lunae oppositu solere deficere, quod Thaletem Milesium primum uidisse dicunt. id autem postea ne nostrum quidem Ennium fugit; qui ut scribit, anno quinquagesimo <et> CCC. fere post Romam conditam 'Nonis Iunis soli luna obstitit et nox'. atque hac in re tanta inest ratio atque sollertia, ut ex hoc die quem apud Ennium et in maximis annalibus consignatum uidemus, superiores solis defectiones reputatae sint usque ad illam quae Nonis Quinctilibus fuit regnante Romulo; quibus quidem Romulum tenebris etiamsi natura ad humanum exitum abripuit, uirtus tamen in caelum dicitur sustulisse'.

XVII. Tum Tubero: 'uidesne, Africane, quod paulo ante secus tibi uidebatur, doc- - - -. ( - - -) SCIPIO - - -lis, quae uideant ceteri. quid porro aut praeclarum putet in rebus humanis, qui haec deorum regna perspexerit, aut diuturnum, qui cognouerit quid sit aeternum, aut gloriosum, qui uiderit quam parua sit terra, primum uniuersa, deinde ea pars eius quam homines incolant, quamque nos in exigua eius parte adfixi, plurimis ignotissimi gentibus, speremus tamen nostrum nomen uolitare et uagari latissime? agros uero et aedificia et pecudes et inmensum argenti pondus atque auri qui bona nec putare nec appellare soleat, quod earum rerum uideatur ei leuis fructus, exiguus usus, incertus dominatus, saepe etiam taeterrimorum hominum inmensa possessio, quam est hic fortunatus putandus! cui soli uere liceat omnia non Quiritium sed sapientium iure pro suis uindicare, nec ciuili nexo sed communi lege naturae, quae uetat ullam rem esse cuiusquam, nisi eius qui tractare et uti sciat; qui inperia consulatusque nostros in necessariis, non in expetendis rebus, muneris fungendi gratia subeundos, non praemiorum aut gloriae causa adpetendos putet; qui denique, ut Africanum auum meum scribit Cato solitum esse dicere, possit idem de se praedicare, numquam se plus agere quam nihil cum ageret, numquam minus solum esse quam cum solus esset. Quis enim putare uere potest, plus egisse Dionysium tum cum omnia moliendo eripuerit ciuibus suis libertatem, quam eius ciuem Archimedem cum istam ipsam sphaeram, nihil cum agere uideretur, de qua modo dicebatur effecerit? quis autem non magis solos esse, qui in foro turbaque quicum conloqui libeat non habeant, quam qui nullo arbitro uel secum ipsi loquantur, uel quasi doctissimorum hominum in concilio adsint, cum eorum inuentis scriptisque se oblectent? quis uero diuitiorem quemquam putet quam eum cui nihil desit quod quidem natura desideret, aut potentiorem quam illum qui omnia quae expetat consequatur, aut beatiorem quam qui sit omni perturbatione animi liberatus, aut firmiore fortuna quam qui ea possideat quae secum ut aiunt uel e naufragio possit ecferre? quod autem imperium, qui magistratus, quod regnum potest esse praestantius, quam despicientem omnia humana et inferiora sapientia ducentem nihil umquam nisi sempiternum et diuinum animo uolutare? cui persuasum sit appellari ceteros homines,esse solos eos qui essent politi propriis humanitatis artibus?  Vt mihi Platonis illud, seu quis dixit alius, perelegans esse uideatur: quem cum ex alto ignotas ad terras tempestas et in desertum litus detulisset, timentibus ceteris propter ignorationem locorum, animaduertisse dicunt in arena geometricas formas quasdam esse descriptas; quas ut uidisset, exclamauisse ut bono essent animo; uidere enim se hominum uestigia; quae uidelicet ille non ex agri consitura quam cernebat, sed ex doctrinae indiciis interpretabatur. quam ob rem Tubero semper mihi et doctrina et eruditi homines et tua ista studia placuerunt'.

XVIII. Tum Laelius: 'non audeo quidem' inquit 'ad ista Scipio dicere, neque tam te aut Philum aut Manilium - - -. (- - -) LAELIUS in ipsius paterno genere fuit noster ille amicus, dignus huic ad imitandum, 'Egregie cordatus homo, catus Aelius Sextus' qui 'egregie cordatus' et 'catus' fuit et ab Ennio dictus est, non quod ea quaerebat quae numquam inueniret, sed quod ea respondebat quae eos qui quaesissent et cura et negotio soluerent, cuique contra Galli studia disputanti in ore semper erat ille de Iphigenia Achilles: 'Astrologorum signa in caelo - quid sit obseruationis, Cum capra aut nepa aut exoritur nomen aliquod beluarum -, Quod est ante pedes nemo spectat, caeli scrutantur plagas'. atque idem - multum enim illum audiebam et libenter - Zethum illum Pacuui nimis inimicam doctrinae esse dicebat; magis eum delectabat Neoptolemus Ennii, qui se ait 'philosophari uelle, sed paucis; nam omnino haud placere'. quodsi studia Graecorum uos tanto opere delectant, sunt alia liberiora et transfusa latius, quae uel ad usum uitae uel etiam ad ipsam rem publicam conferre possumus. istae quidem artes, si modo aliquid, <id> ualent, ut paulum acuant et tamquam inritent ingenia puerorum, quo facilius possint maiora discere'.

XIX. Tum Tubero: 'non dissentio a te, Laeli, sed quaero quae tu esse maiora intellegas. LAELIUS dicam mehercule et contemnar a te fortasse, cum tu ista caelestia de Scipione quaesieris, ego autem haec quae uidentur ante oculos esse magis putem quaerenda. quid enim mihi L. Pauli nepos, hoc auunculo, nobilissima in familia atque in hac tam clara re publica natus, quaerit quo modo duo soles uisi sint, non quaerit cur in una re publica duo senatus et duo paene iam populi sint? nam ut uidetis mors Tiberii Gracchi et iam ante tota illius ratio tribunatus diuisit populum unum in duas partis; obtrectatores autem et inuidi Scipionis, initiis factis a P. Crasso et Appio Claudio, tenent nihilo minus illis mortuis senatus alteram partem, dissidentem a uobis auctore Metello et P. Mucio, neque hunc qui unus potest, concitatis sociis et nomine Latino, foederibus uiolatis, triumuiris seditiosissimis aliquid cotidie noui molientibus, bonis uiris locupletibus perturbatis, his tam periculosis rebus subuenire patiuntur. Quam ob rem si me audietis adulescentes, solem alterum ne metueritis; aut enim nullus esse potest, aut sit sane ut uisus est, modo ne sit molestus, aut scire istarum rerum nihil, aut etiamsi maxime sciemus, nec meliores ob eam scientiam nec beatiores esse possumus; senatum uero et populum ut unum habeamus et fieri potest, et permolestum est nisi fit, et secus esse scimus, et uidemus si id effectum sit et melius nos esse uicturos et beatius'.

XX. Tum Mucius: 'quid esse igitur censes Laeli discendum nobis, ut istud efficere possimus ipsum quod postulas?' LAELIUS 'eas artis quae efficiant ut usui ciuitati simus; id enim esse praeclarissimum sapientiae munus maximumque uirtutis uel documentum uel officium puto. quam ob rem ut hae feriae nobis ad utilissimos rei publicae sermones potissimum conferantur, Scipionem rogemus, ut explicet quem existimet esse optimum statum ciuitatis; deinde alia quaeremus. quibus cognitis spero nos ad haec ipsa uia peruenturos, earumque rerum rationem quae nunc instant explicaturos'.

XXI. Cum id et Philus et Manilius et Mummius admodum adproba<uissent> (- - -) nullum est exemplum cui malimus adsimulare rem publicam. (- - - ) LAELIUS 'non solum ob eam causam fieri uolui, quod erat aequum de re publica potissimum principem rei publicae dicere, sed etiam quod memineram persaepe te cum Panaetio disserere solitum coram Polybio, duobus Graecis uel peritissimis rerum ciuilium, multaque colligere ac docere, optimum longe statum ciuitatis esse eum quem maiores nostri nobis reliquissent. qua in disputatione quoniam tu paratior es, feceris - ut etiam pro his dicam - si de re publica quid sentias explicaris, nobis gratum omnibus'.

XXII. Tum ille SCIPIO: 'non possum equidem dicere me ulla in cogitatione acrius aut diligentius solere uersari, quam in ista ipsa quae mihi Laeli a te proponitur. etenim cum in suo quemque opere artificem, qui quidem excellat, nihil aliud cogitare meditari curare uideam, nisi quo sit in illo genere melior, ego cum mihi sit unum opus hoc a parentibus maioribusque meis relictum, procuratio atque administratio rei publicae, non me inertiorem esse confitear quam opificem quemquam, si minus in maxima arte quam illi in minimis operae consumpserim? Sed neque iis contentus sum quae de ista consultatione scripta nobis summi ex Graecia sapientissimique homines reliquerunt, neque ea quae mihi uidentur anteferre illis audeo. quam ob rem peto a uobis ut me sic audiatis: neque ut omnino expertem Graecarum rerum, neque ut eas nostris in hoc praesertim genere anteponentem, sed ut unum e togatis patris diligentia non inliberaliter institutum, studioque discendi a pueritia incensum, usu tamen et domesticis praeceptis multo magis eruditum quam litteris'.

XXIII. Hic Philus: 'non hercule' inquit 'Scipio dubito, quin tibi ingenio praestiterit nemo, usuque idem in re publica rerum maximarum facile omnis uiceris, quibus autem studiis semper fueris tenemus. quam ob rem si ut dicis animum quoque contulisti in istam rationem et quasi artem, habeo maximam gratiam Laelio; spero enim multo uberiora fore quae a te dicentur, quam illa quae a Graecis nobis scripta sunt omnia'. tum ille SCIPIO 'permagnam tu quidem expectationem, quod onus est ei qui magnis de rebus dicturus est grauissimum, inponis orationi meae'. Et Philus: 'quamuis sit magna, tamen eam uinces ut soles; neque enim est periculum ne te 'e re publica disserentem deficiat oratio'.

XXIV. Hic Scipio: 'faciam quod uultis ut potero, et ingrediar in disputationem ea lege, qua credo omnibus in rebus disserendis utendam esse si errorem uelis tollere, ut eius rei de qua quaeretur si nomen quod sit conueniat, explicetur quid declaretur eo nomine; quod si conuenerit, tum demum decebit ingredi in sermonem; numquam enim quale sit illud de quo disputabitur intellegi poterit, nisi quod sit fuerit intellectum prius. quare quoniam de re publica quaerimus, hoc primum uideamus quid sit id ipsum quod quaerimus'. cum adprobauisset Laelius, 'nec uero' inquit Africanus 'ita disseram de re tam inlustri tamque nota, ut ad illa elementa reuoluar quibus uti docti homines his in rebus solent, ut a prima congressione maris et feminae, deinde a progenie et cognatione ordiar, uerbisque quid sit et quot modis quidque dicatur definiam saepius; apud prudentes enim homines et in maxima re publica summa cum gloria belli domique uersatos cum loquar, non committam ut sit inlustrior illa ipsa res de qua disputem, quam oratio mea; nec enim hoc suscepi ut tamquam magister persequerer omnia, neque hoc polliceor me effecturum ut ne qua particula in hoc sermone praetermissa sit'. tum Laelius: 'ego uero istud ipsum genus orationis quod polliceris expecto'.

XXV. Est igitur, inquit Africanus, res publica res populi, populus autem non omnis hominum coetus quoquo modo congregatus, sed coetus multitudinis iuris consensu et utilitatis communione sociatus. eius autem prima causa coeundi est non tam inbecillitas quam naturalis quaedam hominum quasi congregatio; non est enim singulare nec soliuagum genus hoc, sed ita generatum ut ne in omnium quidem rerum affluen<tia> - - - . (- - -)  - - -.

XXVI. SCIPIO - - - <quae>dam quasi semina, neque reliquarum uirtutum nec ipsius rei publicae reperiatur ulla institutio. hi coetus igitur hac de qua exposui causa instituti, sedem primum certo loco domiciliorum causa constituerunt; quam cum locis manuque saepsissent, eius modi coniunctionem tectorum oppidum uel urbem appellauerunt, delubris distinctam spatiisque communibus. omnis ergo populus, qui est talis coetus multitudinis qualem exposui, omnis ciuitas, quae est constitutio populi, omnis res publica, quae ut dixi populi res est, consilio quodam regenda est, ut diuturna sit. id autem consilium primum semper ad eam causam referendum est quae causa genuit ciuitatem. deinde aut uni tribuendum est, aut delectis quibusdam, aut suscipiendum est multitudini atque omnibus. quare cum penes unum est omnium summa rerum, regem illum unum uocamus, et regnum eius rei publicae statum. cum autem est penes delectos, tum illa ciuitas optimatium arbitrio regi dicitur. illa autem est ciuitas popularis - sic enim appellant -, in qua in populo sunt omnia. atque horum trium generum quoduis, si teneat illud uinculum quod primum homines inter se rei publicae societate deuinxit, non perfectum illud quidem neque mea sententia optimum, sed tolerabile tamen, et aliud <ut> alio possit esse praestantius. nam uel rex aequus ac sapiens, uel delecti ac principes ciues, uel ipse populus, quamquam id est minime probandum, tamen nullis interiectis iniquitatibus aut cupiditatibus posse uidetur aliquo esse non incerto statu.

XXVII. Sed et in regnis nimis expertes sunt ceteri communis iuris et consilii, et in optimatium dominatu uix particeps libertatis potest esse multitudo, cum omni consilio communi ac potestate careat, et cum omnia per populum geruntur quamuis iustum atque moderatum, tamen ipsa aequabilitas est iniqua, cum habet nullos gradus dignitatis. itaque si Cyrus ille Perses iustissimus fuit sapientissimusque rex, tamen mihi populi res - ea enim est ut dixi antea publica - non maxime expetenda fuisse illa uidetur, cum regeretur unius nutu (Text zerstört) ac modo; si Massilienses nostri clientes per delectos et principes ciues summa iustitia reguntur, inest tamen in ea condicione populi similitudo quaedam seruitutis; si Athenienses quibusdam temporibus sublato Areopago nihil nisi populi scitis ac decretis agebant, quoniam distinctos dignitatis gradus non habebant, non tenebat ornatum suum ciuitas.

XXVIII. Atque hoc loquor de tribus his generibus rerum publicarum non turbatis atque permixtis, sed suum statum tenentibus. quae genera primum sunt in iis singula uitiis quae ante dixi, deinde habent perniciosa alia uitia; nullum est enim genus illarum rerum publicarum, quod non habeat iter ad finitimum quoddam malum praeceps ac lubricum. nam illi regi, ut eum potissimum nominem, tolerabili aut si uoltis etiam amabili Cyro subest ad inmutandi animi licentiam crudelissimus ille Phalaris, cuius in similitudinem dominatus unius procliui cursu et facile delabitur. illi autem Massiliensium paucorum et principum administrationi ciuitatis finitimus est qui fuit quodam tempore apud Athenienses triginta <uirorum illorum> consensus et factio. iam Atheniensium populi potestatem omnium rerum ipsi, ne alios requiramus, ad furorem multitudinis licentiamque conuersam pesti - - -. (- - -)

XXIX. SCIPIO - - - 'taeterrimus, et ex hac uel optimatium uel factiosa tyrannica illa uel regia uel etiam persaepe popularis, itemque ex ea genus aliquod ecflorescere ex illis quae ante dixi solet, mirique sunt orbes et quasi circuitus in rebus publicis commutationum et uicissitudinum; quos cum cognosse sapientis est, tum uero prospicere inpendentis, in gubernanda re publica moderantem cursum atque in sua potestate retinentem, magni cuiusdam ciuis et diuini paene est uiri. itaque quartum quoddam genus rei publicae maxime probandum esse sentio, quod est ex his quae prima dixi moderatum et permixtum tribus'.

XXX. Hic Laelius: 'scio tibi ita placere Africane: saepe enim ex te audiui; sed tamen, nisi molestum est, ex tribus istis modis rerum publicarum uelim scire quod optimum iudices. nam uel profuerit aliquid ad cog- - - -. (- - -)

XXXI. SCIPIO - - - 'et talis est quaeque res publica, qualis eius aut natura aut uoluntas qui illam regit. itaque nulla alia in ciuitate, nisi in qua populi potestas summa est, ullum domicilium libertas habet; qua quidem certe nihil potest esse dulcius, et quae si aequa non est ne libertas quidem est. qui autem aequa potest esse - omitto dicere in regno, ubi ne obscura quidem est aut dubia seruitus, sed in istis ciuitatibus in quibus uerbo sunt liberi omnes? ferunt enim suffragia, mandant inperia magistratus, ambiuntur, rogantur, sed ea dant {magis} quae etiamsi nolint danda sint, et quae ipsi non habent unde ali petunt;sunt enim expertes imperii, consilii publici, iudicii delectorum iudicum, quae familiarum uetustatibus aut pecuniis ponderantur. in libero autem populo, ut Rhodi, ut Athenis, nemo est ciuium qui - - - .

XXXII. SCIPIO - - - <po>pulo aliquis unus pluresue diuitiores opulentioresque extitissent, tum ex eorum fastidio et superbia nata esse commemorant, cedentibus ignauis et inbecillis et adrogantiae diuitum succumbentibus. si uero ius suum populi teneant, negant quicquam esse praestantius, liberius, beatius, quippe qui domini sint legum, iudiciorum, belli, pacis, foederum, capitis unius cuiusque, pecuniae. hanc unam rite rem publicam, id est rem populi, appellari putant. itaque et a regum et a patrum dominatione solere in libertatem rem populi uindicari, non ex liberis populis reges requiri aut potestatem atque opes optimatium. et uero negant oportere indomiti populi uitio genus hoc totum liberi populi repudiari: concordi populo et omnia referente ad incolumitatem et ad libertatem suam nihil esse inmutabilius, nihil firmius; facillimam autem in ea re publica esse posse concordiam, in qua idem conducat omnibus; ex utilitatis uarietatibus, cum aliis aliud expediat, nasci discordias; itaque cum patres rerum potirentur, numquam constitisse ciuitatis statum; multo iam id in regnis minus, quorum, ut ait Ennius, 'nulla {regni} sancta societas nec fides est'. quare cum lex sit ciuilis societatis uinculum, ius autem legis aequale, quo iure societas ciuium teneri potest, cum par non sit condicio ciuium? si enim pecunias aequari non placet, si ingenia omnium paria esse non possunt, iura certe paria debent esse eorum inter se qui sunt ciues in eadem re publica. quid est enim ciuitas nisi iuris societas ciuium? (- - -)

XXXIII. SCIPIO - - - ceteras uero res publicas ne appellandas quidem putant iis nominibus quibus illae sese appellari uelint. cur enim regem appellem Iouis optimi nomine hominem dominandi cupidum aut imperii singularis, populo oppresso dominantem, non tyrannum potius? tam enim esse clemens tyrannus quam rex inportunus potest: ut hoc populorum intersit utrum comi domino an aspero seruiant; quin seruiant quidem fieri non potest. quo autem modo adsequi poterat Lacedaemo illa tum, cum praestare putabatur disciplina rei publicae, ut bonis uteretur iustisque regibus, cum esset habendus rex quicumque genere regio natus esset? nam optimatis quidem quis ferat, qui non populi concessu sed suis comitiis hoc sibi nomen adrogauerunt? qui enim iudicatur iste optimus? doctrina artibus studiis, audio: quando? (- - -)

XXXIV. SCIPIO - - - Si fortuito id faciet, tam cito euertetur quam nauis, si e uectoribus sorte ductus ad gubernacula accesserit. quodsi liber populus deliget quibus se committat, deligetque si modo saluus esse uult optimum quemque, certe in optimorum consiliis posita est ciuitatium salus, praesertim cum hoc natura tulerit, non solum ut summi uirtute et animo praeesse inbecillioribus, sed ut hi etiam parere summis uelint. uerum hunc optimum statum prauis hominum opinionibus euersum esse dicunt, qui ignoratione uirtutis, quae cum in paucis est tum a paucis iudicatur et cernitur, opulentos homines et copiosos, tum genere nobili natos esse optimos putant. hoc errore uulgi cum rem publicam opes paucorum, non uirtutes tenere coeperunt, nomen illi principes optimatium mordicus tenent, re autem carent eo nomine. nam diuitiae, nomen, opes uacuae consilio et uiuendi atque aliis imperandi modo dedecoris plenae sunt et insolentis superbiae, nec ulla deformior species est ciuitatis quam illa in qua opulentissimi optimi putantur. uirtute uero gubernante rem publicam, quid potest esse praeclarius? cum is qui inperat aliis seruit ipse nulli cupiditati, cum quas ad res ciuis instituit et uocat, eas omnis conplexus est ipse, nec leges inponit populo quibus ipse non pareat, sed suam uitam ut legem praefert suis ciuibus. qui si unus satis omnia consequi posset, nihil opus esset pluribus; si uniuersi uidere optimum et in eo consentire possent, nemo delectos principes quaereret. difficultas ineundi consilii rem a rege ad plures, error et temeritas populorum a multitudine ad paucos transtulit. sic inter <in>firmitatem unius temeritatemque multorum medium optimates possederunt locum, quo nihil potest esse moderatius; quibus rem publicam tuentibus beatissimos esse populos necesse est, uacuos omni cura et cogitatione, aliis permisso otio suo, quibus id tuendum est neque committendum ut sua commoda populus neglegi a principibus putet. (53) Nam aequabilitas quidem iuris, quam amplexantur liberi populi, neque seruari potest - ipsi enim populi, quamuis soluti ecfrenatique sint, praecipue multis multa tribuunt, et est in ipsis magnus dilectus hominum et dignitatum -, eaque quae appellatur aequabilitas iniquissima est: cum enim par habetur honos summis et infimis, qui sint in omni populo necesse est, ipsa aequitas iniquissima est; quod in iis ciuitatibus quae ab optimis reguntur accidere non potest. haec fere Laeli et quaedam eiusdem generis ab iis qui eam formam rei publicae maxime laudant disputari solent'.

XXXV. Tum Laelius: 'quid tu' inquit 'Scipio? e tribus istis quod maxime probas?' SCIPIO recte quaeris quod maxime e tribus, quoniam eorum nullum ipsum per se separatim probo, anteponoque singulis illud quod conflatum fuerit ex omnibus. sed si unum ac simplex p<ro>bandum <sit>, regium <pro>bem atque in primis laudem. In primo autem genere, quod hoc loco appellatur, occurrit nomen quasi patrium regis, ut ex se natis ita consulentis suis ciuibus et eos con<s>eruantis stu<dio>sius quam redigentis in seruitutem : ut sane utilius sit facultatibus et mente exiguos sustentari unius optimi et summi uiri diligentia. Adsunt optimates, qui se melius hoc idem facere profiteantur, plusque fore dicant in pluribus consilii quam in uno, et eandem tamen aequitatem et fidem. ecce autem maxima uoce clamat populus neque se uni neque paucis uelle parere; libertate ne feris quidem quicquam esse dulcius; hac omnes carere, siue regi siue optimatibus seruiant. ita caritate nos capiunt reges, consilio optimates, libertate populi, ut in conparando difficile ad eligendum sit quid maxime uelis'. LAELIUS 'credo' inquit, 'sed expediri quae restant uix poterunt, si hoc incohatum reliqueris'.

XXXVI. SCIPIO 'imitabor ergo Aratum, qui magnis de rebus dicere exordiens a Ioue incipiendum putat'. LAELIUS 'quo Ioue? aut quid habet illius carminis simile haec oratio?' SCIPIO 'tantum' inquit 'ut rite ab eo dicendi principia capiamus, quem unum omnium deorum et hominum regem esse omnes docti indoctique <expoliri> consentiunt. 'quid?' inquit Laelius'. Et ille SCIPIO 'quid censes nisi quod est ante oculos? siue haec ad utilitatem uitae constituta sunt a principibus rerum publicarum, ut rex putaretur unus esse in caelo, qui nutu ut ait Homerus, totum Olympum conuerteret, idemque et rex et pater haberetur omnium, magna auctoritas est multique testes, siquidem omnis multos appellari placet, ita consensisse gentes decretis uidelicet principum, nihil esse rege melius, quoniam deos omnis censent unius regi numine; siue haec in errore inperitorum posita esse et fabularum similia dicimus, audiamus communis quasi doctores eruditorum hominum, qui tamquam oculis illa uiderunt, quae nos uix audiendo cognoscimus'. 'quinam' inquit Laelius 'isti sunt?' et ille SCIPIO 'qui natura omnium rerum peruestiganda senserunt omnem hunc mundum mente' (- - -).

XXXVII. SCIPIO - - - 'sed si uis Laeli, dabo tibi testes nec nimis antiquos nec ullo modo barbaros'. LAELIUS 'istos' inquit uolo'. SCIPIO 'uidesne igitur minus quadringentorum annorum esse hanc urbem ut sine regibus sit?' LAELIUS 'uero minus'. SCIPIO 'quid ergo? haec quadringentorum annorum aetas ut urbis et ciuitatis num ualde longa est?' LAELIUS 'ista uero' inquit 'adulta uix'. SCIPIO 'ergo his annis quadringentis Romae rex erat?' LAELIUS 'et superbus quidem. SCIPIO quid supra? LAELIUS 'iustissimus, et deinceps retro usque ad Romulum, qui ab hoc tempore anno sescentesimo rex erat'. SCIPIO 'ergo ne iste quidem peruetus?' LAELIUS 'minime, ac prope senescente iam Graecia'. 'cedo, num' Scipio 'barbarorum Romulus rex fuit?' LAELIUS 'si ut Graeci dicunt omnis aut Graios esse aut barbaros, uereor ne barbarorum rex fuerit; sin id nomen moribus dandum est, non linguis, non Graecos minus barbaros quam Romanos puto'. et Scipio: 'atqui ad hoc de quo agitur non quaerimus gentem, ingenia quaerimus. si enim et prudentes homines et non ueteres reges habere uoluerunt, utor neque perantiquis neque inhumanis ac feris testibus.

XXXVIII. Tum Laelius: 'uideo te Scipio testimoniis satis instructum, sed apud me, ut apud bonum iudicem, argumenta plus quam testes ualent'. tum Scipio: 'utere igitur argumento Laeli tute ipse sensus tui'. 'cuius' inquit ille LAELIUS 'sensus?' SCIPIO 'Si quando, si forte tibi uisus es irasci alicui'. LAELIUS 'ego uero saepius quam uellem'. SCIPIO 'quid? tum cum tu es iratus, permittis illi iracundiae dominatum animi tui?' LAELIUS 'non mehercule' inquit, 'sed imitor Archytam illum Tarentinum, qui cum ad uillam uenisset et omnia aliter offendisset ac iusserat, 'a te <in> felicem' inquit uilico, 'quem necassem iam uerberibus, nisi iratus essem'. (60) 'Optime' inquit Scipio. 'ergo Archytas iracundiam uidelicet dissidentem a ratione seditionem quandam animi esse iure ducebat, atque eam consilio sedari uolebat; adde auaritiam, adde imperii, adde gloriae cupiditatem, adde libidines, et illud uides: si in animis hominum regale imperium sit, unius fore dominatum, consilii scilicet - ea est enim animi pars optima -, consilio autem dominante nullum esse libidinibus, nullum irae, nullum temeritati locum'. LAELIUS 'sic' inquit 'est'. SCIPIO 'probas igitur animum ita adfectum?' LAELIUS 'nihil uero' inquit 'magis'. SCIPIO 'ergo non probares, si consilio pulso libidines, quae sunt innumerabiles, iracundiaeue tenerent omnia?' LAELIUS 'ego uero nihil isto animo, nihil ita animato homine miserius ducerem'. SCIPIO 'sub regno igitur tibi esse placet omnis animi partes, et eas regi consilio?' LAELIUS 'miti uero sic placet'. SCIPIO 'cor igitur dubitas quid de re publica sentias? in qua si in plures translata res sit, intellegi iam licet nullum fore quod praesit inperium, quod quidem nisi unum sit esse nullum potest'.

XXXIX. Tum Laelius: 'quid quaeso interest inter unum et plures, si iustitia est in pluribus?' et Scipio: 'quoniam testibus meis intellexi Laeli te non ualde moueri, non desinam te uti teste, ut hoc quod dico probem'. 'me?' inquit ille LAELIUS 'quonam modo?' SCIPIO 'quia animum aduerti nuper, cum essemus in Formiano, te familiae ualde interdicere, ut uni dicto audiens esset'. LAELIUS 'quippe uilico'. SCIPIO 'quid? domi pluresne praesunt negotiis tuis?' LAELIUS 'immo uero unus' inquit. SCIPIO 'quid? totam domum num quis alter praeter te regit?' LAELIUS 'minime uero'. SCIPIO 'quin tu igitur concedis <it>idem in re publica singulorum dominatus, si modo iusti sint, esse optimos?' LAELIUS 'adducor,' inquit, 'et prope modum adsentior'.

XL. Et Scipio: 'tum magis adsentiare Laeli, si - ut omittam similitudines, uni gubernatori, uni medico, si digni modo sint iis artibus, rectius esse alteri nauem committere, aegrum alteri quam multis - ad maiora peruenero'. LAELIUS 'quaenam ista sunt?' SCIPIO 'quid? tu non uides unius inportunitate et superbia Tarquinii nomen huic populo in odium uenisse regium?' LAELIUS 'uideo uero' inquit. SCIPIO 'ergo etiam illud uides, de quo progrediente oratione plura me dicturum puto, Tarquinio exacto mira quadam exultasse populum insolentia libertatis; tum exacti in exilium innocentes, tum bona direpta multorum, tum annui consules, tum demissi populo fasces, tum prouocationes omnium rerum, tum secessiones plebis, tum prorsus ita acta pleraque ut in populo essent omnia'. LAELIUS 'est' inquit 'ut dicis'. 'Est uero' inquit Scipio 'in pace et otio - licet enim lasciuire, dum nihil metuas - ut in naui ac saepe etiam in morbo leui. sed ut ille qui nauigat, cum subito so mare coepit horrescere, et ille aeger ingrauescente morbo unius opem inplorat, sic noster populus in pace et domi imperat et ipsis magistratibus, minatur, recusat, appellat, prouocat, in bello sic paret ut regi; ualet enim salus plus quam libido. grauioribus uero bellis es etiam sine collega omne imperium nostri penes singulos esse uoluerunt, quorum ipsum nomen uim suae potestatis indicat. nam dictator quidem ab eo appellatur quia dicitur, sed in nostris libris uides eum Laeli magistrum populi appellari'. LAELIUS 'uideo' inquit. et Scipio: 'sapienter igitur illi uete<res> (- - -).

XLI. (Scipio.) - - - 'iusto quidem rege cum est populus orbatus, 'pectora dura tenet desiderium,' sicut ait Ennius, post optimi regis obitum; - - - simul inter Sese sic memorant: 'o Romule Romule die, Qualem te patriae custodem di genuerunt! O pater, o genitor, o sanguen dis oriundum!' non eros nec dominos appellant eos quibus iuste paruerunt, denique ne reges quidem, sed patriae custodes, sed patres, sed deos; nec sine causa; quid enim adiungunt? 'Tu produxisti nos intra luminis oras'. Vitam honorem decus sibi datum esse iustitia regie existimabant. mansisset eadem uoluntas in eorum posteris, si regum similitudo permansisset, sed uides unius iniustitia concidisse genus illud totum rei publicae'. LAELIUS 'uideo uero' inquit 'et studeo cursus istos mutationum non magis in nostra quam in omni re publica noscere'.

XLII. Et Scipio: 'est omnino, cum de illo genere rei publicae quod maxime probo quae sentio dixero, accuratius mihi dicendum de commutationibus rerum publicarum, etsi minime facile eas in ea re publica futuras puto. sed huius regiae prima et certissima est illa mutatio: cum rex iniustus esse coepit, perit illud ilico genus, et est idem ille tyrannus, deterrimum genus et finitimum optimo; quem si optimates oppresserunt, quod ferme euenit, habet statum res publica de tribus secundarium; est enim quasi regium, id est patrium consilium populo bene consulentium principum. sin per se populus interfecit aut eiecit tyrannum, est moderatior, quoad sentit et sapit, et sua re gesta laetatur, tuerique uult per se constitutam rem publicam. sin quando aut regi iusto uim populus attulit regnoue eum spoliauit, aut etiam, id quod euenit saepius, optimatium sanguinem gustauit ac totam rem publicam substrauit libidini suae: caue putes aut{em} mare ullum aut flammam esse tantam, quam non facilius sit sedare quam effrenatam insolentia multitudinem!

XLIII. Tum fit illud quod apud Platonem est luculente dictum, si modo id exprimere Latine potuero; difficile factu est, sed conabor tamen. "Cum" enim inquit "inexplebiles populi fauces exaruerunt libertatis siti, malisque usus ille ministris non modice temperatam sed nimis meracam libertatem sitiens hausit, tum magistratus et principes, nisi ualde lenes et remissi sint et large sibi libertatem ministrent, insequitur insimulat arguit, praepotentes reges tyrannos uocat." puto enim tibi haec esse nota'. 'uero mihi' inquit ille LAELIUS 'notissima'. SCIPIO 'ergo illa sequuntur, "eos qui pareant principibus agitari ab eo populo et seruos uoluntarios appellari; eos autem qui in magistratu priuatorum similes esse uelint, eosque priuatos qui efficiant ne quid inter priuatum et magistratum differat, <ef>ferunt laudibus, <et> mactant honoribus, ut necesse sit in eius modi re publica plena libertatis esse omnia, ut et priuata domus omnis uacet dominatione, et hoc malum usque ad bestias perueniat, denique ut pater filium metuat, filius patrem neclegat, absit omnis pudor, ut plane liberi sint, nihil intersit ciuis an peregrinus, magister ut discipulos metuat et iis blandiatur, spernantque discipuli magistros, adulescentes ut senum sibi pondus adsumant, senes autem ad ludum adulescentium descendant, ne sint iis odiosi et graues; ex quo fit ut etiam serui se liberius gerant, uxores eodem iure sint quo uiri, inque tanta libertate canes etiam et equi, aselli denique libere <sint> sic incurrant ut iis de uia decedendam sit. ergo ex hac infinita," inquit, "licentia haec summa cogitur, ut ita fastidiosae mollesque mentes euadant ciuium, ut si minima uis adhibeatur imperii, irascantur et perferre nequeant; ex quo leges quoque incipiunt neclegere, ut plane sine ullo domino sint".

XLIV. Tum Laelius: 'prorsus' inquit 'expressa sunt a te quae dicta sunt ab illo'. SCIPIO 'atque ut iam ad sermonis mei auctorem reuertar, ex hac nimia licentia, quam illi solam libertatem putant, ait ille ut ex stirpe quadam existere et quasi nasci tyrannum. nam ut ex nimia potentia principum oritur interitus principum, sic hunc nimis liberum populum libertas ipsa seruitute adficit. sic omnia nimia, cum uel in tempestate uel in agris uel in corporibus laetiora fuerunt, in contraria fere conuertuntur, maximeque <id> in rebus publicis euenit, nimiaque illa libertas et populis et priuatis in nimiam seruitutem cadit. itaque ex hac maxima libertate tyrannus gignitur et illa iniustissima et durissima seruitus. ex hoc enim populo indomito uel potius immani deligitur aliqui plerumque dux contra illos principes adflictos iam et depulsos loco, audax, inpurus, consectans proterue bene saepe de re publica meritos, populo gratificans et aliena et sua; cui quia priuato so sunt oppositi timores, dantur imperia, et ea continuantur, praesidiis etiam, ut Athenis Pisistratus, saepiuntur, postremo, a quibus producti sunt, existunt eorum ipsorum tyranni; quos si boni oppresserunt, ut saepe fit, recreatur ciuitas; sin audaces, fit illa factio, genus aliud tyrannorum, eademque oritur etiam ex illo saepe optimatium praeclaro statu, cum ipsos principes aliqua prauitas de uia deflexit. sic tanquam pilam rapiunt inter se rei publicae statum tyranni ab regibus, ab iis autem principes aut populi, a quibus aut factiones aut tyranni, nec diutius unquam tenetur idem rei publicae modus.

XLV. Quod ita cum sit, <ex> tritus primis generibus longe praestat mea sententia regium, regio autem ipsi praestabit id quod erit aequatum et temperatum ex tribus primis rerum publicarum modis. placet enim esse quiddam in re publica praestans et regale, esse aliud auctoritati principum inpartitum ac tributum, esse quasdam res seruatas iudicio uoluntatique multitudinis. haec constitutio primum habet aequabilitatem quandam {magnam}, qua carere diutius uix possunt liberi, deinde firmitudinem, quod et illa prima facile in contraria uitia conuertuntur, ut exsistat ex rege dominus, ex optimatibus factio, ex populo turba et confusio; quodque ipsa genera generibus saepe conmutantur nouis, hoc in hac iuncta moderateque permixta constitutione rei publicae non ferme sine magnis principum uitiis euenit. non est enim causa conuersionis, ubi in suo quisque est gradu firmiter collocatus, et non subest quo praecipitet ac decidat.

XLVI. Sed uereor, Laeli uosque homines amicissimi ac prudentissimi, ne si diutius in hoc genere uerser, quasi praecipientis cuiusdam et docentis et non uobiscum simul considerantis esse uideatur oratio mea. quam ob rem ingrediar in ea quae nota sunt omnibus, quaesita autem a nobis iam diu. sic enim decerno, sic sentio, sic adfirmo, nullam omnium rerum publicarum aut constitutione aut discriptione aut disciplina conferendam esse cum ea, quam patres nostri nobis acceptam iam inde a maioribus reliquerunt. quam, si placet, quoniam ea quae tenebatis ipsi etiam ex me audire uoluistis, simul et qualis sit et optimam esse ostendam, expositaque ad exemplum nostra re publica, accommodabo ad eam si potero omnem illam orationem quae est mihi habenda de optimo ciuitatis statu. quod si tenere et consequi potuero, cumulate munus hoc, cui me Laelius praeposuit, ut opinio mea fert, effecero'.

XLVII. Tum Laelius: 'tuum uero' inquit 'Scipio, ac tuum quidem unius. quis enim te potius aut de malorum dixerit institutis, cum sis clarissimis ipse maioribus? aut de optimo statu ciuitatis? quem si habemus, etsi ne nunc quidem, tum uero, quis te possit esse florentior? aut de consiliis in posterum prouidendis? cum tu duobus huius urbis terroribus depulsis in omne tempus ei prospexeris?' I. 

 

 

Sic, quoniam plura beneficia continet patria et est antiquior parens quam is, qui creavit, maior ei profecto quam parenti debetur gratia.

II. Nec tantum Karthago habuisset opum sescentos fere annos sine consiliis et disciplina.

III. Cognoscere mehercule, inquit, consuetudinem istam et studium sermonis.

IV. Profecto omnis istorum disputatio, quamquam uberrimos fontes virtutis et scientiae continet, tamen collata cum eorum actis perfectisque rebus vereor ne non tantum videatur attulisse negotii hominibus, quantam oblectationem.

 

279 TRAITÉ

DE LA RÉPUBLIQUE.

 

LIVRE PREMIER.

I. ... Sans cette vertu, C. Duellius, Aulus Atilius, L. Métellus n'auraient point délivré Rome de la terreur de Carthage; les deux Scipions n'auraient point éteint dans leur sang l'incendie de la seconde guerre Punique, qui jetait ses premières flammes. Quand il éclata de nouveau plus menaçant et plus vif, ce fléau n'eût pas été victorieusement combattu par Q. Maximus, étouffé par M. Marcellus; et des portes de Rome qu'il 280 assiégeait, rejeté par P. l'Africain jusque dans le sein de la cité ennemie. M. Caton, que nous regardons tous, nous qui marchons sur ses traces, comme le modèle du citoyen actif et dévoué, pouvait sans doute, alors qu'il était inconnu et sans nom, goûter les douceurs du repos dans les champs de Tusculum, sous ce beau ciel et si près de Rome. Mais il fut assez insensé, si l'on en croit ces partisans de la mollesse, pour s'exposer jusqu'à son extrême vieillesse, sans que rien lui en fît un devoir, sur cette mer orageuse des affaires publiques, et préférer tant d'agitation aux charmes d'une vie retirée et tranquille. Je pourrais citer un nombre infini d'hommes qui tous ont rendu à notre patrie des services signalés; mais je me fais surtout une loi de ne nommer aucun de ceux qui se rapprochent de notre âge, afin que personne ne puisse se plaindre de mon silence sur quelqu'un de sa famille ou sur lui-même. Tout ce que je veux faire entendre, c'est que la nature a fait aux hommes une telle nécessité de la vertu, et leur a inspiré une si vive ardeur pour la défense du salut commun, que cette noble impulsion triomphe facilement de toutes les séductions de la volupté et du repos.

II. Il n'en est pas de la vertu comme d'un art, on ne l'a point si on ne la met en pratique. Vous pouvez ne pas exercer un art et le posséder cependant, car il demeure avec la théorie; la vertu est tout entière dans les œuvres, et le plus grand emploi de la vertu, c'est le gouvernement des États, et la perfection accomplie, non plus en paroles, mais en réalité, de toutes ces grandes parties dont on fait tant de bruit dans la poussière des écoles. Il n'est aucun précepte de la philosophie, j'entends de ceux qui sont honnêtes et dignes de l'homme,qui n'ait été quelque part deviné et mis en pratique par les législateurs des peuples. D'où viennent la piété et la religion? A qui devons-nous le droit public et les lois civiles? La justice, la bonne foi, l'équité, et avec elles la pudeur, la tempérance, cette noble aversion pour ce qui nous dégrade, l'amour de la gloire et de l'honneur, le courage à supporter les travaux et les périls, qui donc les a enseignés aux hommes? Ceux-là même qui, après avoir confié à l'éducation les semences de toutes ces vertus, ont établi les unes dans les mœurs, et sanctionné les autres par les lois. On demandait à l'un des plus célèbres philosophes, Xénocrate, ce que ses disciples gagnaient à ses leçons: «Ce qu'ils y gagnent? répondit-il; c'est qu'ils apprennent à faire de leur propre mouvement ce que les lois ordonnent.» Il faut donc en conclure que celui qui obtient d'un peuple entier, par l'empire salutaire et le frein des lois, ce que les philosophes peuvent à grand'peine persuader à quelques auditeurs, doit être mis fort au-dessus de ces docteurs habiles, malgré tous leurs beaux discours. Quelles merveilles leur talent peut-il produire, qui soient comparables à un grand corps social parfaitement établi sur le double fondement des lois et des mœurs? Autant les grandes villes,» les cités dominatrices, «comme les appelle Ennius. l'emportent sur les bourgades et les châteaux forts, autant il me semble que la sagesse des hommes qui gouvernent ces cités et en règlent les destins, s'élève au-dessus d'une doctrine conçue loin du monde et du jour des affaires. Ainsi donc, puisque notre plus grande ambition est de servir la cause du genre humain; puisque nos pensées et nos efforts n'ont véritablement qu'un seul but, donner à la 281 vie de. l'homme plus de sécurité et en accroître les ressources; puisque la nature elle-même nous donne un si généreux élan, poursuivons cette carrière, où nous voyons devant nous tout ce que le monde a compté d'hommes excellents, et n'écoutons point ces efféminés qui sonnent la retraite, et voudraient rappeler ceux que leur ardeur a déjà emportés.

III. A ces raisons si certaines et si évidentes, qu'opposent les philosophes que je combats? D'abord les rudes travaux sans lesquels ou ne peut servir son pays; obstacle bien peu fait pour arrêter un homme vigilant et actif, obstacle méprisable non-seulement au prix de tels intérêts, mais même dans la poursuite des biens de l'esprit les moins relevés, dans l'accomplissement des devoirs les moins importants, dans les affaires les plus simples. Ils parlent ensuite des périls que l'on court sans cesse, et cherchent à inspirer aux hommes de cœur cette terreur de la mort qui retient les lâches, oubliant que les hommes de cette trempe regardent comme un plus grand malheur d'être lentement consumés et de s'éteindre de vieillesse, que de faire à la patrie, dans une belle occasion, le sacrifice de cette vie, que tôt ou tard il eût fallu rendre à la nature. Mais où croient triompher ces philosophes paresseux? c'est quand ils rassemblent toutes les infortunes des grands hommes, et les traitements indignes que leur a fait souffrir l'ingratitude de leurs concitoyens. La Grèce leur fournit plus d'un douloureux exemple: Miltiade, victorieux des Perses anéantis par ses armes, la poitrine encore saignante des blessures qu'il a reçues au milieu de son éclatante victoire, trouve dans les prisons d'Athènes la mort qui l'avait épargné sur le champ de bataille; Thémistocle, proscrit par le peuple qu'il a sauvé, craignant pour ses jours, vient chercher un asile non dans les ports de la Grèce, dont il est le libérateur, mais sur les rivages des Barbares que ses armes ont moissonnés. Les exemples de l'inconstance des Athéniens et de leur cruauté envers leurs plus grands hommes sont innombrables; l'ingratitude a pris en quelque façon naissance chez eux, et partout nous en voyons les marques; mais dans Rome même, dans l'histoire de cette grave cité, ne les retrouvons-nous pas à chaque pas? On cite alors l'exil de Camille, la haine qui poursuivait Ahala, l'impopularité de Nasica, la proscription de Lénas, la condamnation d'Opimius, la fuite de Métellus, Marius et son affreux destin, les chefs de l'État immolés, et les maux terribles qui bientôt après désolèrent notre patrie. Il n'y a pas jusqu'à mon nom qui ne soit invoqué: et parce que ces amis de la paix croient sans doute qu'au prix de mes veilles et de mes périls j'ai protégé leur vie et garanti leur repos, ils me plaignent avec plus d'effusion et de sympathie que pas un autre. Mais moi, je ne puis comprendre comment des hommes qui, pour s'instruire et voir le monde, traversent les mers ......

(Il manque deux pages au manuscrit.)

IV Lorsqu'au sortir de mon consulat, je pus déclarer avec serment, devant Rome assemblée, que j'avais sauvé la république, alors que le peuple entier répéta mon serment, j'éprouvai assez de bonheur pour être dédommagé à la fois de toutes les injustices et de toutes les infortunes. Cependant j'ai trouvé dans mes malheurs mêmes plus d'honneur que de peine, moins d'amertume que de gloire; et les regrets des gens de bien ont plus réjoui mon cœur que la joie des méchants ne l'avait attristé. Mais, je le répète, si ma dis- 282 grâce avait eu un dénoûment moins heureux, de quoi pourrais-je me plaindre? J'avais tout prévu, et je n'attendais pas moins pour prix de mes services. Quelle avait été ma conduite? La vie privée m'offrait plus de charmes qu'à tout autre, car je cultivais depuis mon enfance les études libérales, si variées, si délicieuses pour l'esprit: qu'une grande calamité vînt à nous frapper tous, du moins ne m'eût-elle pas plus particulièrement atteint, le sort commun eût été mon partage: eh bien! je n'avais pas hésité à affronter les plus terribles tempêtes, et, si je l'ose dire, la foudre elle-même, pour sauver mes concitoyens, et à dévouer ma tête pour le repos et la liberté de mon pays. Car notre patrie ne nous a point donné les trésors de la vie et de l'éducation pour ne point en attendre un jour les fruits, pour servir sans retour nos propres intérêts, protéger notre repos et abriter nos paisibles puissances; mais pour avoir un titre sacré sur toutes les meilleures facultés de notre âme, de notre esprit, de notre raison, les employer à la servir elle-même, et ne nous en abandonner l'usage qu'après en avoir tiré tout le parti que ses besoins réclament.

V. Ceux qui veulent jouir sans discussion d'un repos inaltérable recourent à des excuses qui ne méritent pas d'être écoutées: Le plus souvent, disent-ils, les affaires publiques sont envahies par des hommes indignes, à la société desquels il serait honteux de se trouver mêlé, avec qui il serait triste et dangereux de lutter, surtout quand les passions populaires sont en jeu; c'est donc une folie que de vouloir gouverner les hommes, puisqu'on ne peut dompter les emportements aveugles et terribles de la multitude; et c'est se dégrader que de descendre dans l'arène avec des adversaires sortis de la fange, qui n'ont pour toutes armes que les injures, et tout cet arsenal d'outrages qu'un sage ne doit pas supporter. Comme si les hommes de bien, ceux qui ont un beau caractère et un grand cœur pouvaient jamais ambitionner le pouvoir dans un but plus légitime que celui de secouer le joug des méchants, et ne point souffrir qu'ils mettent en pièces la république, qu'un jour les honnêtes gens voudraient enfin, mais vainement, relever de ses ruines.

VI. Ils nous accordent une exception, il est vrai, mais qui ne peut faire passer leur système; le sage ne doit, selon eux, se mêler d'affaires publiques que s'il y est contraint par la nécessité et clans des circonstances éminemment critiques. Y eut-il jamais, je le demande, de circonstances plus critiques que celles où je me trouvai moi-même? et dans ces circonstances qu'aurais-je pu faire, si je n'avais été consul? et le titre de consul, comment aurais-je pu l'obtenir, si je ne m'étais dès mon enfance avancé dans cette carrière qui m'a conduit par degrés, moi obscur chevalier romain, à cet honneur suprême? Vous ne pouvez donc venir au secours de votre patrie, quand vous le souhaitez, dans une circonstance critique, dans un danger pressant, si vous n'êtes déjà en position de la servir. Ce que j'admire surtout dans les écrits de ces philosophes, c'est que des hommes qui sur une mer calme ne croiraient pas pouvoir servir de pilotes, parce qu'ils n'ont pas appris l'art de tenir le gouvernail, déclarent qu'ils sont tout prêts à conduire un vaisseau au milieu des tempêtes. Ils disent fort ouvertement qu'ils n'ont jamais appris et qu'ils 283 n'enseignent pas l'art de constituer et de gouverner les États; ils le disent et s'en font gloire; ils soutiennent que ce n'est pas là l'affaire des savants ni des sages, et qu'il faut laisser ce soin! aux politiques. Mais alors pourquoi promettre de prêter leur secours à l'État, si la nécessité les y contraint? pourquoi, lorsqu'ils avouent qu'ils seraient incapables de prendre part aux affaires publiques dans les temps ordinaires, et sans comparaison plus faciles? Mais entrons dans leurs vues; admettons que le sage ne descendra; pas volontairement à s'occuper des intérêts de l'État, mais que si les circonstances l'y obligent jamais, il ne reculera point devant le fardeau qu'elles lui imposeront: je dis qu'alors même le sage ne doit point négliger l'étude de la politique, car il est de son devoir de se préparer à toutes les ressources dont il ignore s'il ne sera pas un jour obligé de faire usage.

VII. Si je me suis étendu sur ce sujet, c'est que me proposant de traiter de la République dans cet ouvrage, et ne voulant pas faire un livre inutile, je devais avant tout lever tous les doutes sur l'excellence de la vie publique. S'il est des esprits qui aient besoin pour se rendre de l'autorité des philosophes, qu'ils jettent les yeux sur les écrits de ceux qui tiennent la première place dans l'estime des meilleurs juges, et dont la gloire est incomparable; ils verront ce que pensent ces grands maîtres, qui tous n'ont pas eu des États à gouverner, mais qui, méditant et écrivant avec tant d'ardeur sur les sociétés humaines, me semblent avoir exercé par là quelque importante magistrature. Quant aux sept sages dont la Grèce s'honore, je les vois presque tous engagés dans les affaires publiques. C'est qu'en effet l'homme ne se rapproche jamais plus de la Divinité que lorsqu'il fonde des sociétés nouvelles, ou conduit heureusement celles qui déjà sont établies.

VIII. Pour nous, nous avons peut-être plus d'un titre à entreprendre cet ouvrage; car nous réunissons le double avantage d'avoir signalé notre carrière politique par quelque fait digne de mémoire, et acquis par l'expérience, par l'étude et l'usage constant de communiquer nos connaissances, une certaine facilité à traiter ces matières délicates; tandis que ceux qui nous ont ouvert la carrière ont tous été ou d'élégants écrivains, dont on ne pourrait citer aucune action mémorable, ou des politiques habiles, mais étrangers à l'art d'écrire. D'ailleurs mon intention n'est pas de développer ici un nouveau système politique éclos de mon imagination, mais de rapporter en narrateur fidèle, et tel que nous l'avons entendu de la bouche de P. Rutilius Rufus, lorsque nous passâmes, vous et moi, vous bien jeune alors, plusieurs jours à Smyrne, l'entretien de quelques anciens Romains, les plus illustres de leur temps et les plus sages de notre république. Dans cet entretien se trouve rassemblé, à ce que je crois, tout ce qui a un rapport essentiel aux intérêts et au gouvernement des États.

IX. On était alors sous le consulat de Tuditanus et d'Aquillius; Publius l'Africain, le fils de Paul Émile, avait décidé qu'il passerait les féries Latines dans ses jardins, et ses plus intimes amis lui avaient promis de venir le voir souvent pendant ces jours de fêtes. Le premier luisait à peine, que 284 Q. Tubéron, son neveu, devançant tous les autres, se présente. Scipion, charmé de le voir et lui faisant un aimable accueil: Eh quoi! mon cher Tubéron, lui dit-il, vous si matin chez moi! ces jours de repos vous offraient cependant une belle occasion de vous livrer à vos études favorites. — J'ai tout le temps d'être avec mes livres, répondit Tubéron, car personne ne me les dispute; mais c'est une bonne fortune que de vous trouver de loisir, surtout à une époque orageuse comme celle-ci. — De loisir, je le veux bien; mais je vous avoue que vous me trouvez plus libre de corps que d'esprit. — Cependant, reprit Tubéron, il faudra bien que vous donniez aussi quelque relâche à votre esprit; car nous sommes plusieurs qui avons formé le dessein, si notre empressement ne vous est pas importun, de venir goûter dans votre société le repos que les fériés nous donnent. — Ce me sera une distraction fort agréable, et j'espère qu'elle nous rendra pour un temps aux douces préoccupations de la science.

X. — Voulez-vous donc, Scipion, puisque vous m'encouragez et me donnez l'espoir de vous entendre, que nous examinions ensemble, avant l'arrivée de nos amis, ce que ce peut être que ce second soleil dont on a annoncé l'apparition au sénat? Ceux qui déclarent avoir vu deux soleils sont nombreux et méritent confiance; il ne peut être question de contester ce prodige; le mieux, selon moi, est de chercher à l'expliquer. — Que n'avons-nous ici, dit alors Scipion, notre ami Panétius, qui étudie avec tant d'ardeur tous les secrets de la nature, et surtout ces phénomènes célestes! Mais, à vrai dire, Tubéron, car je veux vous déclarer franchement ce que je pense, pour toutes ces questions mystérieuses je ne m'en rapporte pas aveuglément à notre confiant ami; bien des choses qu'il est déjà très-hardi de conjecturer, Panétius les affirme avec tant d'assurance qu'il semble les voir de ses yeux ou les toucher de ses mains. Cette témérité me fait mieux apprécier toute la sagesse de Socrate, qui s'était interdit ces recherches curieuses, et avait pour maxime que la découverte des secrets de la nature excède la portée de notre esprit, et n'est absolument d'aucun intérêt pour la vie humaine. — Je ne sais, reprit Tubéron, pourquoi l'opinion s'est répandue que Socrate proscrivait toutes les recherches physiques et ne s'occupait que de morale. Qui peut nous faire connaître Socrate avec autant d'autorité que Platon? et ne voyons-nous pas dans les dialogues du disciple le maître parler en plus de vingt endroits non pas seulement des mœurs, des vertus, de la république, mais des nombres de la géométrie divine, de l'harmonie des sphères, à l'exemple de Pythagore? — Je suis loin de contester ce que vous dites, Tubéron; mais vous devez savoir qu'après la mort de Socrate, Platon, emporté par l'amour de la science, alla d'abord en Égypte, et vint plus tard en Italie et en Sicile pour s'instruire dans la doctrine de Pythagore; vous savez qu'il eut de fréquents entretiens avec Archytas de Tarente et Timée de Locres, qu'il recueillit tous les ouvrages de Philolaüs, et que dans ces contrées, que remplissait à cette époque la renommée de Pythagore, il se livra aux hommes de cette école et à leurs études favorites. Mais comme il avait voué un culte exclusif à Socrate et qu'il voulait lui faire honneur de toutes les richesses de son esprit, il unit avec art la grâce Socratique et son habile dialectique aux dogmes obscurs et aux graves enseignements de Pythagore.

XI. A peine Scipion avait-il prononcé ces der- 285 niers mots, qu'il vit entrer L. Furius; il le salua, le prit amicalement par la main, et le fit asseoir près de lui. P. Rutilius, celui qui nous a rapporté cet entretien, arrivait en même temps. Scipion, après les premiers compliments, lui fit prendre place près de Tubéron. De quoi parliez-vous? dit alors Furius; est-ce que notre brusque arrivée aurait mis fin à votre conversation? — Nullement, répondit Scipion; car la question que Tubéron avait soulevée entre nous est de celles qui ont d'ordinaire le privilège de vous intéresser vivement. Et quant à Rutilius, je me souviens que sous les remparts mêmes de Numance il proposait parfois des sujets semblables à nos entretiens. — Mais enfin, de quoi était-il question? demanda Philus. — De ces deux soleils dont tout le monde parle, dit Scipion; et j'aurais grande envie de savoir ce que vous-même pensez de ce prodige.

XII. A cet instant, un esclave vint annoncer que Lélius sortait de chez lui et se dirigeait vers les jardins de Scipion. Celui-ci se lève, met à la hâte sa chaussure et une toge, et sort de son appartement; après avoir fait quelques pas sous le portique, il rencontre et reçoit Lélius, et avec lui Spurius Mummius, pour qui il avait une tendresse particulière; G. Fannius et Q. Scévola, tous deux gendres de Lélius, jeunes gens d'un esprit fort cultivé, et qui déjà avaient atteint l'âge de la questure. Scipion fait accueil à chacun, puis il se retourne pour les conduire, en ayant soin de laisser la place du milieu à Lélius. C'était en effet comme une convention sacrée de leur amitié, que dans les camps Lélius honorât Scipion comme un dieu, à cause de sa grande gloire militaire, et qu'une fois les armes déposées, Scipion à son tour témoignât le respect d'un fils à Lélius, qui avait plus d'âge que lui. Toute la société fit d'abord un ou deux tours sous le portique, en échangeant quelques paroles de bienvenue. Bientôt Scipion, qui était heureux et charmé de l'arrivée de ces hôtes, leur offrit de venir se reposer à l'endroit de la prairie le plus exposé au soleil, car on était alors en hiver. Ils se rendaient à son invitation, lorsque survint un habile jurisconsulte, M. Manilius, qui leur était cher et agréable à tous; Scipion et la société le reçurent avec un empressement affectueux, et il alla prendre place auprès de Lélius.

XIII. Je ne crois pas, dit alors Philus, que l'arrivée de nos amis doive nous faire changer d'entretien; la seule obligation qu'elle nous impose, c'est de traiter le sujet avec le plus grand soin, et de nous montrer dignes d'un tel auditoire. — Quel est donc ce sujet, demanda Lélius, et quelle conversation avons-nous interrompue? — Scipion me demandait, dit Philus, ce que je pensais de l'apparition incontestable d'un second soleil. — Lélius. Eh quoi! Philus,sommes-nous assez édifiés sur ce qui se passe chez nous ou dans la république, pour nous mettre ainsi en quête des phénomènes célestes? — Philus. Croyez-vous donc, Lélius, que nos intérêts les plus chers ne demandent pas que nous sachions ce qui se passe dans notre propre demeure? Mais la demeure de l'homme n'est pas renfermée dans l'étroite enceinte d'une maison; elle est aussi vaste que le monde, cette patrie que les Dieux ont voulu partager avec nous. Et d'ailleurs, si nous ignorons ce qui se passe dans les cieux, combien de vérités, que de choses importantes nous seront éternellement cachées! Pour moi du moins, 286 et je puis dire hardiment pour vous aussi, Lélius, et pour tous les vrais amis de la sagesse, étudier la nature, approfondir ses mystères, est une source de plaisirs inexprimables. — Lélius. Je ne m'oppose pas à ces bel les spéculations, surtout un jour de fête; mais pouvons-nous encore vous entendre, ou sommes-nous arrivés trop tard? — Phi. Nous n'avions pas même commencé; le champ est entièrement libre, et je suis tout prêt, Lélius, à vous céder la parole. — Lél. Il vaut bien mieux vous entendre; à moins toutefois que Manilius ne veuille, en jurisconsulte consommé, régler le litige entre les deux soleils, et assigner à chacun la possession définitive d'une partie du ciel. — Manilius. Vous ne cesserez donc pas, Lélius, de tourner en raillerie un art dans lequel vous excellez vous-même, et dont les lumières sont indispensables à l'homme pour qu'il sache quel est son droit, quel est le droit d'autrui? Tout n'est pas dit là-dessus entre nous; mais pour le moment écoutons Philus, que l'on consulte, à ce que je vois, sur des matières plus graves que celles qui nous exercent d'ordinaire, Mucius et moi.

XIV. Ce que je vous dirai, reprit Philus, n'est pas nouveau; je n'en suis pas l'inventeur et ma mémoire seule en fera les frais. Je me souviens que C. Sulpicius Gallus, un des plus savants hommes de notre pays, comme vous ne l'ignorez pas, s'étant rencontré par hasard chez M. Marcellus, qui naguère avait été consul avec lui, la conversation tomba sur un prodige exactement semblable; et que Gallus fit apporter cette fameuse sphère, seule dépouille dont l'aïeul de Marcellus voulut orner sa maison après la prise de Syracuse, ville si pleine de trésors et de merveilles. J'avais souvent entendu parler de cette sphère qui passait pour le chef-d'œuvre d'Archimède, et j'avoue qu'au premier coup d'œil elle ne me parut pas fort extraordinaire. Marcellus avait déposé dans le temple de la Vertu une autre sphère d'Archimède, plus connue du peuple et qui avait beaucoup plus d'apparence. Mais lorsque Gallus eut commencé à nous expliquer, avec une science infinie, tout le système de ce bel ouvrage, je ne pus m'empêcher de juger qu'il y avait eu dans ce Sicilien un génie d'une portée à laquelle la nature humaine ne me paraissait pas capable d'atteindre. Gallus nous disait que l'invention de cette autre sphère solide et pleine remontait assez haut, et que Thaïes de Milet en avait exécuté le premier modèle; que dans la suite Eudoxe de Cnide, disciple de Platon, avait représenté à sa surface les diverses constellations attachées à la voûte du ciel; et que, longues années après, Aratus, qui n'était pas astronome, mais qui avait un certain talent poétique, décrivit en vers tout le ciel d'Eudoxe. Il ajoutait que, pour figurer les mouvements du soleil, de la lune et des cinq étoiles que nous appelons errantes, il avait fallu renoncer à la sphère solide, incapable de les reproduire, et en imaginer une toute différente; que la merveille de l'invention d'Archimède était l'art avec lequel il avait su combiner dans un seul système et effectuer par la seule rotation tous les mouvements dissemblables et les révolutions inégales des différents astres. Lorsque Gallus mettait la sphère en mouvement, on voyait à chaque tour la lune succéder au soleil dans l'horizon terrestre, comme elle lui succède tous les jours dans le ciel; on voyait par conséquent, le soleil disparaître comme 287 dans le ciel, et peu à peu la lune venir se plonger dans l'ombre de la terre, au moment même où le soleil du côté opposé

(Il manque ici huit pages dans le manuscrit, selon Angelo Mai.)

XV. ...... Scipion. J'étais moi-même fort attaché à Gallus, et je savais que PauL.Émile, mon père, l'avait singulièrement apprécié et beaucoup aimé. Je me souviens que dans ma première jeunesse, lorsque mon père commandait les armées romaines en Macédoine, une nuit que nous étions dans les camps, toutes nos légions furent frappées d'une terreur religieuse, parce que la lune, alors dans tout son éclat, s'était soudainement obscurcie. Gallus, qui dans cette campagne était le lieutenant de mon père, une année environ avant son consulat, n'hésita pas à déclarer le lendemain aux légions qu'il n'y avait eu aucun prodige, que ce phénomène était dans l'ordre de la nature et se reproduirait à des époques réglées, toutes les fois que le soleil se trouverait situé de manière à ne pouvoir éclairer la lune de ses rayons. — Mais c'est une vraie merveille, dit Tubéron; comment Gallus A.t-il pu faire comprendre cette explication à des hommes grossiers? comment A.t-il osé braver la superstition de ces soldats ignorants? — II l'a fait, reprit Scipion, et avec une grande......

(Il manque ici deux pages au moins, selon Angelo Mai.)

...... Point de vaine ostentation, point de langage indigne d'un homme grave; et ce n'était pas un médiocre succès que d'affranchir ces esprits troublés et superstitieux de leur folle terreur.

XVI. Il arriva quelque chose d'assez semblable pendant la longue guerre que se firent les Athéniens et les Lacédémoniens avec un si terrible acharnement. On nous rapporte que Périclès, qui par son crédit, son éloquence et son habile politique, était devenu le chef d'Athènes, voyant ses concitoyens consternés d'une éclipse de soleil qui les avait plongés dans des ténèbres subites, leur expliqua ce qu'il avait appris lui-même de son maître Anaxagore, qu'un pareil phénomène est dans l'ordre de la nature et se reproduit à des époques déterminées, lorsque le disque de la lune s'interpose tout entier entre le soleil et nous; et que s'il n'est pas amené à chaque renouvellement de la lune, il ne peut toutefois avoir lieu qu'à l'époque précise où la lune se renouvelle. Périclès décrivit aux Athéniens tous ces mouvements astronomiques; il leur en fit comprendre la raison, et dissipa leur terreur; l'explication des éclipses de soleil par l'interposition de la lune était alors assez nouvelle et peu répandue. Thaïes de Milet est, dit-on, le premier qui la proposa. Plus tard elle ne fut pas inconnue à notre poète Ennius, puisqu'il dit que vers l'an 350 de la fondation de Rome, «aux nones de juin, le soleil fut dérobé aux hommes par la lune et les ténèbres.» Aujourd'hui l'habileté des astronomes et la justesse de. leurs calculs vont si loin, qu'à partir de ce jour, indiqué par Ennius et consigné dans les Grandes Annales, ils ont supputé toutes les éclipses de soleil antérieures jusqu'à celle des nones de juillet, arrivée dans le règne de Romulus, et qui répandit sur la terre cette nuit soudaine pendant laquelle le fondateur de Rome, enlevé au monde, subit probablement la loi commune, mais put aux yeux du vulgaire passer pour avoir été ravi au ciel par sa vertu surhumaine.

XVII. Tubéron l'interrompit: Ne voyez-vous 288 pas, Scipion, que malgré le sentiment que vous exprimiez tout à l'heure

(Il manque deux pages au manuscrit.)

Scip. Mais qu'est-ce que tout l'éclat des choses humaines, comparé aux magnificences de ce royaume des Dieux? qu'est-ce que leur durée au prix de l'éternité? Et la gloire, qu'est-elle pour celui qui a vu combien la terre est petite, et encore quelle faible portion de sa surface est habitée par les hommes; qui a su comprendre la vanité de ces pauvres humains, perdus dans un imperceptible canton du monde, à tout jamais inconnus à des peuples entiers, et qui croient que l'univers va retentir du bruit de leur nom? Qu'est-ce que tous les biens de cette vie, pour celui qui ne consent pas même à regarder comme biens, ni champs, ni maisons, ni troupeaux, ni trésors, parce qu'il en trouve la jouissance médiocre, l'usage fort restreint, la possession incertaine, et que souvent les derniers hommes ont toutes ces richesses à profusion? Qui peut se dire véritablement heureux en ce monde? n'est-ce pas celui qui seul peut se reconnaître le maître souverain de toutes choses, non pas en vertu du droit civil, mais au nom du beau privilège des sages; non par un contrat tout couvert de formules, mais par la loi de nature, qui n'admet pour possesseurs des choses que ceux qui savent s'en servir? celui qui voit dans le commandement des armées, dans le consulat lui-même, des charges à accepter par patriotisme, et non des titres à ambitionner, de graves obligations à remplir, et non des honneurs ou de brillants avantages à poursuivre; qui peut enfui comme Scipion mon aïeul, au rapport de Caton, se rendre ce témoignage, qu'il n'est jamais plus actif que lorsqu'il ne fait rien, et jamais moins seul que dans la solitude? Qui pourrait croire en effet que Denys, détruisant par ses menées infatigables la liberté de sa patrie, accomplissait une plus grande œuvre qu'Archimède son concitoyen, inventant dans son apparente inaction cette sphère dont nous parlions tout à l'heure? L'homme qui, au milieu de la foule, et en plein forum, ne trouve personne avec qui il lui soit agréable d'échanger ses pensées, n'est-il pas plus seul que celui qui, sans témoin, s'entretient avec lui-même, ou, se transportant dans la société des sages, converse avec eux, étudie avec délices leurs découvertes et leurs écrits? Pouvez-vous imaginer un mortel plus riche que celui à qui rien ne manque de ce que la nature réclame; plus puissant que celui qui vient à bout de tout ce qu'il désire; plus heureux que celui dont l'âme n'est agitée par aucun trouble; ou possédant une fortune plus solide que celui qui pourrait, suivant le proverbe, retirer avec lui tous ses trésors du naufrage? Est-il un commandement, une magistrature, une couronne comparable à la grandeur de l'homme qui regardant de haut toutes les choses humaines, et n'accordant de prix qu'à la sagesse, n'entretient sa pensée que d'objets éternels et divins? Il sait de science certaine que si rien n'est plus commun que le nom d'homme, ceux-là seuls devraient le porter qui ont reçu cette culture sans laquelle il n'est point d'homme. Et, ace propos, il me revient un mot fort heureux de Platon, ou peut-être de quelque autre philosophe. La tempête l'avait jeté sur une plage inconnue et déserte; tandis que ses compagnons d'infortune étaient effrayés de ne pas savoir en quel lieu ils se trouvaient, il aperçut, dit-on, des figures de géométrie tracées sur le sable: «Bon courage, 289 s'écriA.t-il, je vois ici des vestiges humains!» Et à quoi les reconnaissait-il? Ce n'était certainement pas à la culture de la terre, mais aux traces d'une meilleure culture, celle de l'esprit. Voilà pourquoi, Tubéron, j'ai toujours eu tant de goût pour la science et les savants, et en particulier pour vos études favorites.

XVIII. Lélius adressant alors la parole à Scipion: Je n'oserais rien objecter à ce que vous venez de dire; et c'est beaucoup moins vous, ou Philus, ou Manilius......

(Il manque ici deux pages au manuscrit.)

...... Nous avons eu dans la famille de Tubéron un ami bien digne de lui servir de modèle, «Élius Sextus, cet homme de tant de sens et de finesse;» fin et sensé vraiment, et bien nommé par Ennius, non qu'il se creusât l'esprit à chercher ce qu'on ne peut découvrir, mais parce qu'il donnait à ceux qui l'interrogeaient des réponses qui leur soulageaient l'esprit et les tiraient d'affaire. Il livrait à l'astronomie de Gallus de rudes combats, et il avait toujours à la bouche ces vers d'Achille dans Iphigénie: «Tous ces astronomes étudient les mouvements de leurs constellations; c'est Jupiter, c'est la Chèvre, c'est le Scorpion et je ne sais quelle autre bête dont ils veulent voir surgir les cornes; ils ne voient point ce qui est a leurs pieds, et ils veulent lire dans les cieux.» Ëlius, que j'écoutais souvent et avec grand plaisir, disait encore que le Zéthus de Pacuvius lui paraissait trop ennemi de la science; il goûtait davantage le Néoptolème d'Ennius, qui veut bien philosopher, mais doucement, car trop ne lui saurait plaire. Si cependant les études des Grecs ont tant de charmes pour vous, il en est de moins abstraites qui conviennent à un plus grand nombre d'esprits, et qui ont au moins une utilité pratique, soit pour notre conduite morale, soit pour le gouvernement des États. Quant aux sciences dont nous parlions, si elles sont bonnes à quelque chose, ce ne peut être qu'à exercer et aiguiser un peu l'esprit des jeunes gens, pour les rendre capables de travaux plus sérieux.

XIX. Tubébon. Je partage votre sentiment, Lélius; mais ces études plus sérieuses, quelles sont-elles dans votre pensée? — Lél. Je vais vous le dire; mais je crains fort de m'exposer à vos dédains, car c'est vous, je me le rappelle, qui avez proposé à Scipion cette question sur un phénomène céleste, tandis que dans mon opinion il est bien plus important de nous occuper de ce qui est devant nos yeux. Eh quoi! le petit-fils de PauL.Émile, le neveu de Scipion l'Africain, le membre d'une si noble famille, le citoyen d'une si grande république, demande pourquoi l'on a vu deux soleils, et ne demande pas pourquoi nous voyons aujourd'hui dans un seul État deux sénats et presque deux peuples? Vous en êtes témoins comme moi, la mort de Tibérius Gracchus, et auparavant tous les actes de son tribunal, ont divisé le peuple romain en deux camps: les détracteurs et les envieux de Scipion, enrôlés d'abord sous la bannière de P. Crassus et d'Appius Claudius, n'en continuent pas moins, après la mort de ces deux chefs, à entretenir l'hostilité d'une partie du sénat contre nous, Métellus et Mucius en tête; les alliés se remuent, les Latins se soulèvent; on viole les traités; des triumvirs 290 séditieux nous font voir chaque jour des nouveautés étranges; les gens de bien sont menacés dans leurs fortunes, de toutes parts il n'y a que périls: un homme, un homme seul pourrait les conjurer, mais on ne veut pas qu'il sauve son pays. Ainsi donc, jeunes gens, si vous m'en croyez, ne vous mettez pas en peine de ce second soleil: ou c'est une apparition trompeuse, ou c'est un prodige dont nous n'avons rien à redouter; n'espérez pas qu'il nous soit jamais donné de découvrir ces mystères, ou que leur découverte puisse nous rendre meilleurs ni plus heureux: mais l'unité du sénat, la concorde dans le peuple, voilà ce qui est possible, voilà ce dont la perte est une calamité publique; nous savons, nous voyons que cette calamité afflige Rome, et qu'en réunissant nos efforts, nous pouvons renaître à la vertu et au bonheur.

XX. Mucius. Que devons-nous donc apprendre, Lélius, pour être capables de faire ce que vous demandez? — Lél. L'art de la politique, qui nous rend utiles à notre pays; car c'est là, selon moi, le plus magnifique emploi de la sagesse, la plus grande marque de la vertu, et le premier devoir de la vie. Ainsi, pour consacrer ces jours de fêtes aux entretiens qui peuvent être le plus profitables à notre chère patrie, prions Scipion de nous expliquer quelle est, à ses yeux, la meilleure forme de gouvernement. Nous examinerons ensuite d'autres questions, et lorsqu'elles seront suffisamment éclaircies, nous reviendrons, j'espère, par une voie naturelle, au grave sujet qui nous préoccupait à l'instant, et nous pourrons porter un jugement certain sur l'état critique où Rome est tombée.

XXI. Philus, Manilius et Mummius se joignirent avec empressement à Lélius...... (Il manque deux pages au manuscrit.)

... Comme si un autre ne pouvait tracer ici le modèle d'une autre république. (Diomède, liv. i) ......

...... Ainsi donc, nous vous en prions, faites descendre votre discours du ciel sur cette terre qui nous porte (Nonius, ii, 126; iv, 143.) ......

Lél. Si je me suis adressé à vous, c'est d'abord parce qu'il appartient naturellement au premier citoyen de l'État de parler de la république, en second lieu parce que je me souvenais que vous aviez eu de fréquents entretiens sur cette matière avec Panétius et devant Polybe, deux des plus profonds politiques de toute la Grèce; et qu'après maintes observations et réflexions, vous en étiez venu à conclure que de toutes les formes de gouvernement, celle que nous ont laissée nos ancêtres est incomparablement la meilleure. Préparé comme vous l'êtes sur cet important sujet, vous nous ferez à tous, car je puis répondre pour nos amis, un vrai plaisir en nous expliquant ce que vous pensez de la constitution et de la conduite des États.

XXII. Je dois avouer, Lélius,qu'aucun sujet de méditation n'a plus assidûment et plus vivement exercé mon esprit que celui même qui m'est aujourd'hui proposé par vous. Aussi bien, quand je vois dans toutes les carrières ceux qui sortent de la foule n'avoir d'autre pensée, d'autre soin, d'autre rêve que d'exceller dans leur genre, ne serais-je pas convaincu d'une inertie coupable, moi dont l'unique carrière, toute tracée par l'exemple de mon père et de mes aïeux, est de veiller aux intérêts publics et de conduire les affaires de l'État, si je consacrais au premier de tous les arts moins de veilles et de soins que le plus humble des artisans n'en donne à son mé- 290 tier? Mais je ne suis point satisfait des ouvrages politiques que nous ont laissés les plus grands philosophes et les plus beaux génies de la Grèce; et, d'un autre côté, je n'ose préférer mes propres idées à leurs systèmes. Écoutez-moi donc, je vous prie, non comme un homme à qui les livres des Grecs seraient entièrement inconnus, ou comme un esprit entêté de leurs théories,et commettant la faute, surtout en politique, de les préférer à nos antiques maximes, mais comme un Romain, qui doit à la sollicitude de son père une éducation libérale, qui est enflammé depuis son enfance du désir d'apprendre, et que l'expérience et les enseignements domestiques ont formé bien plus que les livres.

XXIII. Phil. Je suis convaincu, Scipion, qu'il est impossible d'avoir un génie plus heureux que le vôtre, et que pour l'expérience des grandes affaires politiques personne ne vous égale; nous savons d'ailleurs quelle a toujours été votre ardeur pour l'étude. Aussi dès que vous nous donnez l'assurance que vos méditations se sont portées sur l'art difficile et sur les théories dont nous parlons, je ne puisque remercier Lélius du fond de mon cœur; car j'ai l'espérance que votre entretien nous instruira plus que ne feraient jamais tous les livres des Grecs. — Scipion. Vous promettez à l'avance des merveilles de mon discours. Savez-vous bien que c'est là mettre dans une position difficile celui qui doit parler de grandes choses? — Phil. Quelle que soit notre attente. vous la surpasserez, comme c'est votre usage; et il n'est pas à craindre que vous, Scipion, en parlant de la république sentiez tarir vos idées.

XXIV. Scip. J'essaierai donc de répondre à vos désirs dans la mesure de mes forces; et, pour débuter, je suivrai une règle à laquelle je crois qu'il faut se conformer dans toutes les discussions, si l'on veut éviter l'erreur. Cette règle consiste, quand le nom de l'objet en question est parfaitement arrêté, à expliquer nettement ce qu'il signifie. Ce n'est qu'après être tombé d'accord sur cette définition que l'on doit entrer en matière; car avant de découvrir quelles qualités une chose doit avoir, il faut d'abord comprendre ce qu'elle est. Ainsi donc, puisque nous voulons parler de la république, voyons d'abord ce qu'il faut entendre par république. — Lélius fit un signe d'approbation, et Scipion poursuivit: Mon intention n'est pas, en nous entretenant d'une chose si manifeste et si connue, de remonter aux premiers principes, comme font d'ordinaire les philosophes, d'aller prendre mon point de départ à la première union de l'homme et de la femme, aux premiers liens du sang et aux différents nœuds de parenté qui se formèrent bientôt après; je ne veux pas non plus définir chacun des termes, ni en marquer minutieusement toutes les diverses acceptions: je sais que je parle à des hommes éclairés, et qui se sont montrés, dans la première république du monde, à la fois de grands citoyens et de grands guerriers, et je ne veux pas m'exposer à leur donner des explications plus obscures que la chose même que je prétends éclaircir. Je ne m'engage pas à vous faire, comme un maître de gymnase, une leçon où rien ne soit omis; je ne vous promets pas de tout dire sans négliger le moindre détail. — Lél. Voilà bien la méthode que j'attendais de vous, Scipion.

XXV. Scip. La chose publique, comme nous 292 l'appelons, est la chose du peuple; un peuple n'est pas toute réunion d'hommes assemblés au hasard, mais seulement une société formée sous la sauvegarde des lois et dans un but d'utilité commune. Ce qui pousse surtout les hommes à se réunir, c'est moins leur faiblesse que le besoin impérieux de se trouver dans la société de leurs semblables. L'homme n'est pas fait pour vivre isolé, errant dans la solitude; mais sa nature le porte, lors même qu'il serait dans l'affluence de tous les biens...

(Il manque deux pages au manuscrit.)

[Qu'est-ce que la chose publique, si ce n'est la chose du peuple? c'est donc la chose commune, la chose de la cité. Mais qu'est-ce que la cité, si ce n'est une multitude d'hommes fondus dans un même corps et vivant d'une vie commune? Aussi lit-on chez les politiques romains: «Une multitude «d'hommes errants et dispersés s'unit par la concorde et devint une cité.»] Saint Augustin, Ep. 138, 10.

[On a expliqué diversement l'origine des sociétés. Les uns rapportent que les hommes, les premiers nés de la terre, menaient une vie errante au milieu des forêts et des champs, n'avaient point de langage pour s'entendre mutuellement, ni de lois pour se respecter; des branches d'arbre et l'herbe des campagnes leur servaient de couche; les cavernes et les antres, d'habitations; mais en cet état ils étaient la proie des animaux féroces, plus forts qu'eux. Ceux qui avaient pu échapper à leurs dents meurtrières, ou bien ceux qui avaient vu périr quelqu'un de leurs semblables non loin d'eux, avertis de leur propre péril, se réfugièrent près d'autres hommes, implorèrent leur secours, et leur firent comprendre par geste, ce qu'ils attendaient de leur aide; peu après les premiers éléments du langage furent inventés, on donna des noms à chaque chose; insensiblement les langues se perfectionnèrent. Bientôt les hommes s'aperçurent que, réunis en troupes, ils n'étaient pas encore assez protégés contre les bêtes sauvages; ils s'enfermèrent alors dans des remparts qui leur ménagèrent un asile sûr pour les nuits, et leur permirent de repousser sans combats les attaques des animaux féroces. D'autres philosophes ont traité, et avec beaucoup de raison, ce système de visions chimériques, et ont enseigné que ce n'était pas aux attaques de bêtes féroces, mais plutôt à la nature humaine, qu'il fallait faire honneur de la formation des sociétés; que les hommes se sont rassemblés parce qu'ils ont naturellement horreur de la solitude et besoin d'être réunis à leurs semblables.] Lactance, Instit. I. iv, 10.

XXVI. ...... Toutes les choses excellentes ont des semences naturelles; ni les vertus, ni la société, ne reposent sur de simples conventions. Les diverses sociétés, formées en vertu de la loi naturelle que j'ai exposée, fixèrent d'abord leur séjour en un lieu déterminé et y établirent leurs demeures; ce lieu fortifié à la fois par la nature et par la main des hommes, et renfermant toutes ces demeures, entre lesquelles s'étendaient les places publiques et s'élevaient les temples, fut appelé forteresse ou ville. Or, tout peuple, c'est-à-dire toute société établie sur les principes que j'ai posés; toute cité, c'est-à-dire toute constitution d'un peuple, toute chose publique, qui est la chose du peuple, comme je l'ai dit déjà, a besoin, pour ne pas périr, d'être gouvernée par intelligence et conseil; et ce conseil doit se rapporter sans cesse 292 et avant tout au principe même qui a produit la société. Il peut être exercé ou par un seul, ou par quelques hommes choisis, ou par la multitude entière. Lorsque le souverain pouvoir est dans les mains d'un seul, ce maître unique prend le nom de roi, et cette forme de gouvernement s'appelle royauté. Lorsqu'il est dans les mains de quelques hommes choisis, c'est le gouvernement aristocratique. Quand le peuple dispose de tout dans l'État, c'est le gouvernement populaire. Chacun de ces trois gouvernements peut, à la condition de maintenir dans toute sa force le lien qui a formé les sociétés humaines, devenir, je ne dirai pas parfait ni excellent, mais tolérable; et suivant les temps l'une ou l'autre de ces constitutions méritera la préférence. Un roi équitable et sage, une aristocratie digne de son nom, le peuple lui-même (quoique l'état populaire soit le moins bon de tous), s'il n'est aveuglé ni par l'iniquité ni par les passions, tous, en un mot, peuvent donnera la société une assiette assez régulière.

XXVII. Mais dans les monarchies la nation entière, à l'exception d'un seul, a trop peu de droits et de part aux affaires; sous le gouvernement des nobles, le peuple connaît à peine la liberté, puisqu'il ne participe pas aux conseils et n'exerce aucun pouvoir; et dans l'état populaire, quand même on y rencontrerait toute la justice et la modération possibles, l'égalité absolue n'en est pas moins de sa nature une iniquité permanente, puisqu'elle n'admet aucune distinction pour le mérite. Ainsi, que Cyrus, roi de Perse, ait montré une justice et une sagesse admirables, je ne puis cependant me persuader que son peuple se soit trouvé dans l'état le plus parfait sous la conduite et l'empire absolu d'un seul homme. Si l'on peut me montrer les Marseillais, nos clients, gouvernés avec la plus grande équité par quelques citoyens choisis et tout-puissants, je n'en trouve pas moins dans l'état du peuple, soumis à de tels maîtres une image assez, frappante de la servitude. Enfin lorsque les Athéniens, à une certaine époque, supprimèrent l'Aréopage, et ne voulurent plus reconnaître d'autre autorité que celle du peuple et de ses décrets, au milieu de cette égalité injurieuse au mérite, Athènes n'avait-elle pas perdu son plus bel ornement?

XXVIII. Et quand je parle ainsi de ces trois formes de gouvernement, ce ne sont pas les États bouleversés et déchirés que je juge, mais les sociétés florissantes. Dans la monarchie comme dans les deux autres, nous trouvons d'abord les inconvénients nécessaires dont j'ai parlé; mais bientôt on y peut découvrir d'autres germes plus graves d'imperfection et de ruine, car chacune de ces constitutions est toujours près de dégénérer en un fléau insupportable. A l'image de Cyrus, que je devrais appeler, pour bien dire, un roi supportable, mais que je nommerai, si vous le voulez, un monarque digne d'amour, succède en mon esprit le souvenir de Phalaris, ce monstre de cruauté; et je comprends que la domination absolue d'un seul est entraînée par une pente bien glissante vers cette odieuse tyrannie. A côté de cette aristocratie de Marseille, Athènes nous montre la faction des Trente. Enfin, dans cette même Athènes, pour ne pas citer d'autres peuples, la démocratie sans frein nous donne le triste spectacle d'une multitude qui s'emporte aux derniers excès de la fureur, et dont l'aveuglement...

294 (Il manque deux pages au manuscrit.)

XXIX. ...... De l'anarchie sort le pouvoir des grands, ou une olygarchie factieuse, ou la royauté, ou très-souvent même un état populaire; celui-ci, à son tour, donne naissance à quelques-uns de ceux que j'ai déjà nommés; et c'est ainsi que les sociétés semblent tourner dans un cercle fatal de changements et de vicissitudes. Le sage médite sur ces révolutions; mais l'homme qui a le don de prévoir les orages dont est menacé son pays, la force de lutter contre le torrent qui entraîne chefs et peuples, la puissance de l'arrêter ou d'en modérer le cours, celui-là est un grand citoyen, et j'oserais presque dire un demi-dieu. C'est ce qui me porte à regarder comme la meilleure forme de gouvernement cette forme mixte qui est composée des trois premières, se tempérant l'une l'autre.

XXX. Lél. Je sais que c'est là votre sentiment arrêté, Scipion, car je vous l'ai entendu exprimer plus d'une fois; mais cependant, si ce n'est pas trop exiger, je voudrais apprendre de vous auquel de ces trois modes de gouvernement vous donnez la préférence. Je crois qu'il ne serait pas sans utilité......

(Il manque deux pages au manuscrit.)

XXXI. Scip. ...... telle est la nature et la volonté du souverain, telle est invariablement la société qu'il régit. Aussi n'y A.t-il que les États où le peuple a le pouvoir suprême qui puissent admettre la liberté; la liberté, le plus doux de tous les biens, et qui n'existe pas sans une égalité parfaite. Et comment serait-il possible de trouver cette égalité, je ne dis pas dans une monarchie où la servitude est manifeste et avouée, mais dans ces États où les citoyens ont toutes les apparences de la liberté? Ils donnent leurs suffrages, ils font des généraux, des magistrats; on les sollicite, on brigue leurs faveurs; mais ces faveurs, il faut bien qu'ils les accordent, bon gré mal gré; ce qu'ils prodiguent ainsi ne leur appartient jamais; car ils sont exclus du commandement des armées, des conseils de l'État, du jugement de toutes les causes importantes, et les hautes fonctions sont le privilège exclusif de la noblesse ou de la fortune. Chez un peuple libre, au contraire, comme à Rhodes, à Athènes, il n'est pas un seul citoyen qui......

(Il manque deux pages au manuscrit.)

XXXII. ...... Qu'au milieu d'une nation il s'élève un ou plusieurs hommes riches et opulents, bientôt, disent les partisans de la démocratie, leur orgueil et leur dédain font naître des privilèges que reconnaît la foule des lâches et des faibles, pliant sous l'arrogance des riches. Les mêmes politiques ajoutent qu'on ne peut rien imaginer de plus libre, de plus heureux, de plus excellent qu'un État où le peuple a conservé tous ses droits, parce qu'alors il est l'arbitre souverain des lois, des jugements, de la paix, de la guerre, des alliances, de la vie et de la fortune de chacun; voilà, disent-ils, le seul gouvernement qui mérite le nom de république, c'est-à-dire de chose du peuple. Aussi voit-on d'ordinaire le peuple chercher à s'affranchir du pouvoir des rois ou des patriciens, tandis qu'il est sans exemple qu'un peuple libre ait recouru à la royauté ou à la domination protectrice des grands. Ils prétendent que l'on serait fort injuste de condamner sans retour la cause popu- 295 laire a en haine des dérèglements d'un peuple; qu'il n'y a rien de plus fort et de plus inébranlable qu'une république où règne la concorde, et où l'on ne connaît d'autre ambition que de maintenir la liberté de l'État, et de veiller à son salut; qu'enfin la concorde est très-facile dans une société dont tous les membres ont le même intérêt, tandis que c'est la diversité d'intérêts qui partout donne naissance à la discorde. Aussi, à les entendre, jamais gouvernement aristocratique n'a offert de stabilité; encore bien moins en trouverait-on dans l'état monarchique, qui ne connaît ni foi ni loi, comme le dit Ennius. Puisque la loi est le lien de la société civile, et que le droit donné par la loi est le même pour tous, il n'y a plus de droits ni de règles dans une société dont les membres ne sont pas égaux. Si l'on ne veut point admettre l'égalité des fortunes, s'il faut avouer que celle des esprits est impossible, au moins doit-on établir l'égalité des droits entre tons les citoyens d'une même république. Qu'est-ce en effet qu'une société, si ce n'est la participation à de certains droits communs?......

(Il manque deux pages au manuscrit.)

XXXIII. Ces politiques vont jusqu'à refuser aux autres formes de gouvernement le nom dont elles veulent être appelées. Pourquoi donner le titre de roi, ce beau nom du monarque des cieux, à un homme avide de dominer et de commander seul à un peuple qu'il opprime? Le nom de tyran ne lui convient-il pas mieux? La tyrannie peut être douce, et la royauté insupportable; ce qui importe à des sujets, c'est de porter un joug commode, et non pas cruel: mais qu'ils ne soient pas sous le joug, c'est là ce qui ne se peut faire. Comment Lacédémone, à l'époque même où sa constitution politique passait pour un chef-d'œuvre, pouvait-elle avoir la certitude d'être gouvernée toujours par des rois bons et justes, quand il fallait qu'elle reçût invariablement pour maître le rejeton d'une souche royale? Quant à l'aristocratie, comment souffrir ces princes de l'État, qui ne tiennent pas du suffrage public, mais qui se décernent à eux-mêmes ce titre magnifique? Ou ont-ils fait leurs preuves ces hommes qui s'arrogent la suprématie de la science, du talent, de la vertu?......

(Il manque quatre pages au manuscrit.)

XXXIV. Si une société choisit au hasard ceux qui la doivent conduire, elle périra aussi promptement qu'un vaisseau dirigé par un des passagers que le sort aurait appelé au gouvernail. Un peuple libre choisira ceux à qui il veut se confier, et s'il pense à ses vrais intérêts, il fera choix des meilleurs citoyens; car c'est de leurs conseils, on n'en peut douter, que dépend le salut des États; et la nature, tout en destinant les hommes qui ont le plus de caractère et de noblesse à conduire les faibles, a inspiré en même temps à la foule le besoin de voir à sa tête les hommes supérieurs. Mais on prétend que cette forme excellente de gouvernement est décréditée par les faux jugements du vulgaire, qui ne sachant discerner le vrai mérite, aussi rare peut-être à découvrir qu'à posséder, prend pour les premiers des hommes ceux qui ont de la fortune, de la puissance, ou qui portent un nom illustre. Une fois que cette erreur du peuple a donné à la puissance le rang que devait seule avoir la vertu, ces chefs de faux aloi gardent obstinément le nom d'aristocrates, qui ne leur convient en aucune façon. Car les richesses, l'éclat du nom, la puissance, sans la 296 sagesse qui apprend à se gouverner soi-même et à conduire les autres, ne sont plus qu'une honteuse et insolente vanité; et il n'est pas au monde de plus triste spectacle que celui d'une société où l'on estime les hommes en proportion de leur fortune. Mais aussi que peut-on comparer à une république gouvernée par la vertu, alors que celui qui commande aux autres n'obéit lui-même à aucune passion; alors qu'il ne donne à ses concitoyens aucun précepte dont l'exemple ne reluise en sa personne; qu'il n'impose au peuple aucune loi dont il ne soit l'observateur le plus fidèle; et que sa conduite entière peut être proposée comme une loi vivante à la société qu'il dirige? Si un seul homme pouvait satisfaire à tout à la fois, le concours de plusieurs deviendrait inutile; si tout un peuple pouvait voir le bien et le poursuivre d'un commun accord, on n'aurait pas besoin de faire choix de quelques chefs. La difficulté de former un sage conseil a fait passer le pouvoir du roi aux grands; les errements et la témérité des peuples l'ont transporté des mains de la foule dans celles du petit nombre. Ainsi, entre l'impuissance d'un seul et l'aveuglement de la multitude, l'aristocratie tient le milieu, et présente par sa position même les garanties de la plus parfaite modération. Sous son gouvernement tutélaire les peuples doivent être le plus heureux possible, vivre sans inquiétude ni tourments, puisqu'ils ont confié leur repos à des protecteurs dont le premier devoir est la vigilance, et dont la préoccupation constante est de ne point donner au peuple l'idée que les grands négligent ses intérêts. Quant à l'égalité absolue des droits, que poursuivent les peuples libres, elle n'est jamais qu'une utopie; les nations les plus jalouses de leur liberté et les plus impatientes de tout frein accordent cependant une foule de distinctions, et savent parfaitement classer les hommes et faire acception du mérite. D'ailleurs cette égalité absolue serait le comble de l'iniquité. Essayez de mettre sur la même ligne les grands hommes et cette lie du peuple qui se trouve nécessairement partout, et vous reconnaîtrez que c'est par esprit d'équité commettre l'iniquité la plus révoltante. Dans les gouvernements aristocratiques, une pareille absurdité ne sera jamais à craindre. Voila, Lélius, à peu près du moins, ce que disent les partisans et les admirateurs de l'aristocratie.

XXXV. Lél. Mais vous, Scipion, lequel de ces trois gouvernements préférez-vous? — Scip. Vous avez raison de me demander lequel je préfère, car je n'approuve aucun des trois séparément, et je mets fort au-dessus de chacun d'eux celui qui les réunit tous. Mais s'il fallait en choisir un exclusivement, je me prononcerais pour le gouvernement royal. Il semble que le titre de roi a quelque chose de paternel; il nous montre un chef de famille qui veille sur ses sujets comme sur ses propres enfants, qui protège son peuple avec amour, bien loin de le réduire en esclavage; c'est un homme excellent et tout-puissant qui soutient et guide les petits et les faibles: est-il rien de plus raisonnable? Mais voici les grands qui réclament pour eux l'honneur de mieux accomplir cet ouvrage, et qui nous disent qu'il y a plus de lumières dans une assemblée que dans un seul homme, et tout autant d'équité et de bonne foi. Enfin voici le peuple qui nous crie, de toutes ses forces, qu'il ne veut obéir ni à un seul ni à plusieurs; que pour les animaux eux-mêmes rien n'est plus doux que la liberté, et qu'elle périt sous l'empire d'un roi comme sous la domination 297 des grands. Ainsi un roi nous offre la tendresse d'un père, les grands leur sage conseil, le peuple la liberté; entre les trois le choix est difficile. — Lél. Je le crois comme vous; mais cependant, si cette difficulté n'est résolue, je ne vois pas comment nous pourrons aborder toutes celles qui suivent.

XXXVI. Scip. J'imiterai donc Aratus, qui, au début de son grand ouvrage, commence par invoquer Jupiter. — LÉl. Pourquoi Jupiter? et quelle ressemblance y A.t-il entre le poëme d'Aratus et notre entretien politique? — Scip. II n'y en a qu'une: c'est que nous devons, nous aussi, au début de nos recherches, élever notre pensée à celui que le monde entier, d'un commun accord, savants et ignorants, regarde comme le roi des Dieux et des hommes. — Pourquoi donc? dit Lélius. — Pourquoi?repartit Scipion; vous pouvez en juger vous-même. En effet, ou les chefs des nations ont répandu parmi le peuple, pour l'intérêt des sociétés, cette croyance qu'il y a dans le ciel un maître souverain, qui d'un froncement de sourcil, comme dit Homère, ébranle l'Olympe, et que l'on adore comme le roi et le père de tous les êtres; et s'il en est ainsi, nous voyons que la plupart des nations, pour ne pas dire toutes, entrant dans l'esprit de leurs chefs, ont reconnu par un éclatant témoignage l'excellence de la royauté, puisqu'elles s'accordent à penser que tous les Dieux sont gouvernés par un seul monarque tout-puissant: ou si l'on prétend que ce sont là des fables accréditées par la superstition des peuples, consultons ces maîtres révérés de tous les gens instruits, ces hommes supérieurs qui ont vu de leurs yeux en quelque façon ce qu'à peine nos oreilles peuvent entendre. — De quels hommes voulez-vous parler? demanda Lélius. — Scip. De ceux qui, en approfondissant tous les secrets de la nature, comprirent que le monde entier est gouverné par une intelligence......

(Il manque quatre pages au manuscrit.)

[Angelo Mai croit que l'on peut combler cette lacune par le passage suivant de Lactance, qui semble reproduire en substance les pages de Cicéron perdues pour nous:]

«Platon établit la royauté en principe, quand il déclare qu'il n'y a qu'un Dieu par qui le monde a été formé et ordonné suivant les règles admirables de la raison éternelle. Aristote, son disciple, affirme que le monde est gouverné par une intelligence souveraine et unique. Antisthène dit que la nature ne connaît qu'un seul Dieu, régulateur suprême de tout ce qui est. Il serait superflu de recueillir ici ce qu'enseignaient sur la Divinité Thalès, Pythagore et Anaximène, et longtemps après eux les Stoïciens, Cléanthe, Chrysippe, Zénon, et Tullius lui-même; car tous faisaient profession de reconnaître que le monde est sous l'empire d'un seul Dieu. Hermès à qui sa vertu et sa vaste science valurent le surnom de Trismégiste, Hermès dont la doctrine remonte bien plus haut que les plus anciens systèmes des philosophes, et que les Égyptiens révèrent comme un dieu, adresse au Dieu unique et à sa majesté sainte des louanges infinies, lui donne le nom de maître et de père......» Lactance, Épit. 4.

XXXVII. ...... Mais si vous voulez, Lélius, je vous produirai des témoins qui ne sont ni trop anciens ni barbares. — Lél. Des témoins de cette sorte me conviendraient fort. — Scip. Et d'abord, vous savez qu'il n'y a pas encore quatre 298 cents ans que Rome n'est plus gouvernée par des rois. — Lél. Je le sais, sans doute. — Scip. Mais, selon vous, quatre cents ans d'âge est-ce beaucoup pour une ville ou pour un État? — Lél. C'est à peine l'âge adulte. — Scip. Ainsi donc, il y a quatre cents ans, Rome avait un roi? — Lél. Et même un roi superbe. — Scip. Mais avant celui-là? — Lél. Un roi très-juste, et ainsi des autres en remontant jusqu'à Romulus, qui régnait il y a six siècles. — Scip. Romulus lui-même est-il bien ancien? — Lél. Nullement; car à son époque la Grèce était déjà bien près de vieillir. — Scip. Romulus, dites-moi, régnait-il sur des barbares? — Lél. S'il faut écouter les Grecs, pour qui tous les hommes sont ou des Grecs ou des barbares, je crains bien que Romu1ns n'ait été un roi de barbares; mais s'il faut juger un peuple par ses mœurs et non par sa langue, je ne crois pas les Romains plus barbares que les Grecs.

D'ailleurs, reprit Scipion, pour le point qui nous occupe, c'est moins le témoignage d'une nation entière que celui des hommes éclairés que nous voulons consulter. Si donc il est constant qu'à une époque peu reculée, des hommes sages ont voulu être gouvernés par des rois, voilà bien, comme je vous le promettais, des témoins qui ne sont ni trop anciens ni barbares.

XXXVIII. Lél. Je vois bien, Scipion, que vous ne manquez pas de témoins; mais auprès de moi comme auprès de tous les juges, les preuves bien raisonnées valent mieux que les témoins. — Scip. Vous voulez des preuves, Lélius: eh bien! votre propre expérience va vous en fournir. — Lél. Quelle expérience? — Scip. Dites-moi, vous êtes-vous jamais senti en colère? — Lel. Plus souvent que je n'eusse voulu. — Scip. Et lorsque vous êtes en colère, permettez-vous à cette passion de dominer votre âme? Lél. Non, par Hercule; mais j'imite alors cet Archytas de Tarente, qui arrivant à sa campagne et trouvant qu'en tout on y avait pris justement le contrepied de ses ordres: Malheureux, dit-il à son fermier, je t'aurais déjà roué de coups, si je n'étais en colère. — Parfaitement, dit Scipion. Archytas regardait donc la colère, celle du moins que la raison désarme, comme une certaine sédition de l'âme; et il voulait l'apaiser par la réflexion. Mettez-vous maintenant devant les yeux l'avarice, l'ambition, la vanité, toutes les passions, et vous comprendrez que si l'âme est gouvernée royalement, tout en elle sera soumis à l'empire de la raison (puisque la raison est la partie la plus excellente de l'âme), et que, sous cet empire, il n'y a plus de place pour les passions, plus de place pour la colère et l'aveuglement. — Lél. Rien n'est plus vrai. — Scip. Approuvez-vous une âme ainsi réglée? — Lél. On ne peut davantage. — Scip. Vous ne pourriez donc souffrir que, méconnaissant la raison, l'âme s'abandonnât à ses passions qui sont sans nombre, ou se laissât emporter à la colère? — Scip. A mon avis, rien de plus misérable qu'une telle âme et qu'un homme en proie à ses passions. — Scip. Vous voulez donc qu'une royauté s'établisse dans l'âme humaine, et que la raison y règle tout souverainement? — Lél. Sans nul doute. — Scip. Comment donc pouvez-vous hésiter sur le gouvernement qui convient aux États? Ne voyez-vous pas que, dans une nation, si le pouvoir est partagé, il n'y a plus d'autorité souveraine? car la souveraineté, si on la divise, est anéantie.

299 XXXIX. Lél. Mais, je vous prie, qu'importe le gouvernement d'un seul ou de plusieurs, si ce dernier est juste? — Scip. Je vois que mes autorités n'ont pas produit grande impression sur vous: aussi suis-je bien résolu â ne plus invoquer, à l'appui de mon sentiment, que votre propre témoignage. — Lél. Quel témoignage tirerez-vous de moi? — Scip. J'ai remarqué dernièrement, lorsque nous étions ensemble à Formies, que vous enjoigniez formellement à vos esclaves de ne prendre les ordres que d'un seul chef. — Lél. Oui sans doute, de mon fermier. — Scip. Et à Rome, vos affaires sont-elles dans les mains de plusieurs intendants? — Lél. Non, certes; je n'en ai qu'un seul. — Scip. Enfin le gouvernement général de toute votre maison, le partagez-vous avec quelqu'un? — Lél. Pas le moins du monde, j'espère. — Scip. Que n'accordez-vous donc également que pour les sociétés l'empire d'un seul, lorsqu'il est équitable, est de tous le meilleur? — Lél. Je me sens entraîné, et je me rends presque à votre avis.

XL. Scip. Vous vous y rendrez bien mieux encore, Lélius, si laissant de côté la comparaison du vaisseau, du malade, qu'il vaut mieux confier à un seul pilote ou à un seul médecin-expérimenté, que de le remettre à la direction de plusieurs, j'arrive à des considérations d'un ordre plus relevé. — Lél. Quelles considérations? — Scip. Vous savez que c'est la cruauté et la domination superbe du seul Tarquin, qui a fait détester au peuple romain jusqu'au nom de roi? — Lél. Je le sais. — Scip. Vous n'ignorez pas non plus qu'après avoir chassé Tarquin, le peuple, enivré de sa liberté nouvelle, s'emporta à des excès dont bientôt j'aurai à vous entretenir longuement. On vit alors des innocents exilés, un grand nombre de citoyens dépouillés, des magistrats annuels, les faisceaux inclinés devant le peuple, la multitude jugeant en dernier ressort, la fameuse retraite au mont Aventin; enfin une longue suite de mouvements et d'actes qui devaient aboutir à la souveraineté absolue du peuple. — Lél. C'est la vérité. — Scip. Mais tout cela se passait en temps de paix et de sécurité. Lorsqu'on n'a rien à craindre, un peu de licence est bien permise, témoin les malades attaqués légèrement, et les passagers d'un vaisseau qui ne court point de danger; mais quand la mer devient houleuse, quand la fièvre redouble, passagers et malades s'abandonnent à une main exercée. Ainsi le peuple de Rome, en paix et dans ses foyers, commande, menace ses magistrats, désobéit à leurs ordres, appelle de leur décision, les traduit devant son tribunal; en temps de guerre, on pourrait croire qu'il obéit à un roi; car l'intérêt du salut parle plus haut que la passion de l'indépendance. Bien mieux, dans les guerres importantes, nos ancêtres ont voulu que toute l'autorité fût réunie dans les mains d'un seul homme, dont le titre même indique l'extrême puissance. On le nomme dictateur, parce qu'un consul le proclame (quia dicitur); mais dans nos livres vous voyez, Lélius, qu'il est appelé le maître du peuple. — Lél. C'est très-vrai. — Scip. Reconnaissons la sagesse de ces anciens......

(II manque deux pages au manuscrit.)

XLI. ...... Lorsqu'un peuple a perdu un bon roi, alors, comme le dit Ennius en parlant de la mort d'un prince excellent, «les cœurs de fer sont émus jusqu'aux larmes; de tous côtés on entend ces cris de deuil: O Romulus, divin Romulus, père de la patrie, que le ciel nous avait donné! ô notre ami, notre dieu tutélaire, digne 300 fils des immortels!» Ils n'appellent ni maître ni seigneur celui qui leur a commandé avec tant de justice; ils ne lui donnent pas même le nom de roi; c'est la providence de la patrie, c'est un père, c'est un dieu. Et ces titres sont fondés; écoutez ce que le peuple ajoute: «C'est à toi que nous devons la vie.» Ils pensaient donc, ces anciens Romains, que la vie, l'honneur et la gloire sont donnés au peuple par la justice du roi. Leur postérité aurait conservé les mêmes sentiments, si ce caractère sacré s'était toujours maintenu dans la personne des rois; mais vous voyez que l'injuste domination d'un seul entraîna pour toujours la chute de la royauté. — Lél. Je le vois, et il me tarde de connaître le cours de ces vicissitudes politiques, non-seulement dans notre pays, mais dans toutes les sociétés possibles.

XLII. Scip. Lorsque je vous aurai exposé mon sentiment sur la forme de gouvernement qui, de toutes, me paraît la meilleure, j'aurai à vous entretenir avec soin de ces grandes révolutions politiques; quoique je pense qu'elles doivent difficilement se produire dans un État gouverné comme je l'entends. Quant au pouvoir royal, en voici la première et la plus infaillible altération: dès qu'un roi devient injuste, la royauté disparaît, et fait place à la tyrannie, le pire des gouvernements et qui tient de si près au meilleur. Lorsque la tyrannie est abattue par les grands, ce qui est assez l'usage, l'État prend alors la seconde des trois formes générales; c'est un conseil aristocratique qui veille aux intérêts du peuple avec une sollicitude paternelle, et qui a par cet endroit quelque chose de royal. Si c'est le peuple lui-même qui a tué ou chassé un tyran, il garde assez de modération, tant que le bon sens l'inspire; et comme il s'applaudit de ce qu'il a fait, il veut donner à l'État restauré par lui une certaine consistance. Mais si le peuple a porté une main violente sur un bon roi, ou, ce que l'on voit plus souvent, s'il a versé le sang des nobles, et soumis tout l'État à ses fureurs, il n'est point de tempête, point d'incendie, qui ne soient plus faciles à calmer que les emportements d'une multitude effrénée.

XLIII. Il arrive alors ce que Platon décrit avec des couleurs si vives, et que je voudrais exprimer d'après lui; je ne sais si notre langue s'y prêtera; du moins c'est un effort à tenter. «Lorsque, dit-il, le peuple est dévoré d'une soif intarissable d'indépendance, et que, servi par de perfides échansons, il a vidé jusqu'à la lie la coupe enivrante d'une liberté sans mélange; alors ses magistrats et ses chefs, s'ils ne sont relâchés et débonnaires, deviennent l'objet d'attaques, de poursuites, d'accusations terribles; il les appelle dominateurs, rois, tyrans.» Je pense que vous connaissez ce passage. — Lél. Je le savais par cœur. — Scip. Voyons la suite: «Ceux qui obéissent aux magistrats sont insultés par le peuple, qui les nomme des esclaves volontaires; les magistrats, au contraire, qui affectent de descendre au niveau des simples citoyens, et les citoyens qui s'étudient à effacer toute différence entre eux et les magistrats, sont couverts de louanges et surchargés d'honneurs. Il faut nécessairement que dans une telle société la liberté afflue partout; qu'au sein des familles toute au- 301 torité disparaisse, et que les animaux eux-mêmes soient atteints de cette contagion. Le père craint son fils, le fils ne connaît plus son père; toute pudeur est proscrite, pour que la liberté soit entière; il n'y a plus de différence entre le citoyen et l'étranger; le maître redoute ses élèves et les flatte, les élèves prennent leur maître en dédain; les jeunes gens s'arrogent l'autorité des vieillards; les vieillards prennent part aux amusements de la jeunesse, pour ne pas lui être odieux et à charge. Bientôt l'esclave se donne tous les airs d'un homme libre, la femme se croit l'égale de son mari; et au milieu de cette indépendance universelle, il n'est pas jusqu'aux chiens, aux chevaux et aux ânes qui ne se trémoussent de liberté, et qui ne courent en bêtes libres sur la voie publique, forçant les hommes à leur laisser e passage. De cette licence illimitée il résulte enfin que les esprits deviennent si ombrageux et si délicats, qu'au moindre signe d'autorité ils s'irritent et regimbent, et que de proche en proche ils vont jusqu'au mépris des lois, afin d'être plus complètement libres de sujétion.»

XLIV. Lél. Vous avez, ce me semble, rendu avec une fidélité parfaite ce qu'a dit Platon. — Scip. Pour reprendre maintenant la suite de nos idées, nous voyons (c'est Platon qui nous l'enseigne) que de cette extrême licence, réputée pour l'unique liberté, sort la tyrannie comme de sa souche naturelle. Le pouvoir excessif des grands amène la chute de l'aristocratie; tout pareillement l'excès de la liberté conduit un peuple à la servitude. Ne voyons-nous pas constamment pour l'état du ciel, pour les biens de la terre, pour la santé, qu'un extrême se tourne subitement en l'extrême contraire? c'est là surtout la destinée des États; l'extrême liberté pour les particuliers et pour les peuples se change bientôt en une extrême servitude. De la licence naît la tyrannie, et avec elle le plus injuste et le plus dur esclavage. Ce peuple indompté, cette hydre aux cent têtes se choisit bientôt contre les grands, dont le pouvoir est déjà abattu et les dignités abolies, un chef audacieux, impur, persécuteur impudent des hommes qui souvent ont le mieux mérité de leur patrie, prodiguant à la populace la fortune d'autrui et la sienne. Comme dans la vie privée il pourrait craindre pour sa tête, on lui donne des commandements, on les lui continue; bientôt sa personne est protégée par une garde, témoin Pisistrate à Athènes; enfin il devient le tyran de ceux mêmes qui l'ont élevé. S'il tombe sous les coups des bons citoyens, comme on l'a vu souvent, alors l'État est régénéré; s'il périt victime de quelques audacieux, la société est en proie à une faction, autre espèce de tyrannie qui succède encore parfois à ce beau gouvernement des nobles, lorsque l'aristocratie se corrompt et s'oublie. Ainsi le pouvoir est comme une balle que se renvoient tour à tour les rois aux tyrans, les tyrans aux grands ou au peuple, ceux-ci aux factions ou à de nouveaux tyrans; et jamais une forme politique n'est de bien longue durée dans un État.

XLV. Pour toutes ces raisons, je tiens donc que la royauté est de beaucoup préférable nu gouvernement des grands ou du peuple; mais la royauté elle-même le cède dans mon esprit à une constitution politique qui réunirait ce que les trois premières ont de meilleur, et allierait dans une 302 juste mesure les trois pouvoirs. J'aime que dans un État il y ait quelque chose de majestueux et de royal; qu'une part soit faite à l'influence des nobles, et que certaines choses soient réservées au jugement et à l'autorité du peuple. Cette forme de gouvernement a d'abord l'avantage de maintenir une grande égalité, bienfait dont un peuple libre ne peut être privé longtemps; elle a ensuite beaucoup de stabilité, tandis que les autres sont toujours près de s'altérer, la royauté inclinant vers la tyrannie, le pouvoir des grands vers l'oligarchie factieuse, et celui du peuple vers l'anarchie. Taudis que les autres constitutions se renversent et se succèdent sans fin, celle-ci, fondée sur un sage équilibre et qui n'exclut aucun pouvoir légitime, ne peut guère être sujette à toutes ces vicissitudes sans que les chefs de l'État n'aient commis de grandes fautes. On ne peut trouver de germe de révolution dans une société où chacun tient son rang naturel, y est solidement établi, et ne voit point au-dessous de place libre où il puisse tomber.

XLVI. Mais je crains, Lélius, et vous, mes sages amis, que si je m'arrête trop longtemps à ces questions générales, mon discours ne ressemble plutôt à la leçon d'un maître qu'au libre entretien d'un ami qui cherche la vérité avec vous. C'est pourquoi je vais vous parler de choses qui sont connues de tous, et qui ont été depuis longtemps l'objet de nos réflexions. Je le reconnais donc, je le sens, je le déclare, il n'est aucune forme de gouvernement qui, par sa constitution, son organisation, ses règles, puisse être comparée a celle que nos pères nous ont transmise et que nos ancêtres ont établie. Et puisque vous voulez entendre de ma bouche ce que vous savez si bien vous-mêmes, j'exposerai d'abord le système de la constitution romaine, je montrerai que de tous il est le plus excellent; et, proposant ainsi notre république pour modèle, j'essaierai de rapporter à cet exemple tout ce que j'ai à dire sur la meilleure forme de gouvernement. Si j'en viens à bout, si je puis toucher le but, je crois que j'aurai surabondamment rempli la tâche que Lélius m'a imposée.

XLVII. Lél. Imposée, dites-vous! Mais s'il en est une qui vous convienne, c'est bien celle-là. Qui pouvait parler des institutions de nos ancêtres mieux que Scipion, issu d'un sang si glorieux? Qui aurait mieux que vous le droit de nous entretenir de la meilleure forme de gouvernement, de cet état prospère qui n'est pas le nôtre aujourd'hui, mais qui ne le pourrait devenir sans vous rendre aux premiers honneurs? A qui appartient-il enfin de nous parler d'avenir et de prévoyante sagesse, si ce n'est au héros qui a renversé deux puissantes rivales, la terreur de Rome, et garanti par là nos futures destinées?

 

FRAGMENTS DU LIVRE PREMIER,

DONT LA PLACE EST INCERTAINE.

I. Mais comme la patrie nous comble de bienfaits, et qu'elle est notre mère bien avant celle qui nous a donné le jour, nous lui devons plus de reconnaissance qu'à nos propres parents. (Nonius, v, 17.)

II. Carthage n'aurait pas été si florissante pendant près de six siècles, sans un gouvernement sage et une forte discipline. (Nonius, xii, 30.)

303 III. Ils ont, dit-il, l'habitude de ces sortes d'entretiens; ils en ont le goût. (Nonius, iv, 109.)

IV. Certes, toutes les théories de ces beaux penseurs, quoiqu'elles contiennent les sources les plus fécondes de la vertu et du savoir, mises en regard des œuvres et de la vie si pleine des hommes d'action, paraîtront, je le crains, offrir moins d'utilité pour les affaires publiques que d'agrément pour nos loisirs. (Lactance, Instit. iii, 16.)

 

es trois le choix est difficile. —