e sage peut être
outragé par la haine, par l'envie, ou par le mépris des hommes ; mais il croit
qu'il dépend de lui de se mettre au-dessus de tout préjudice par la force de sa
raison.
La sagesse est un bien si solide qu'elle ôte, à celui qui l'a en partage, toute
disposition à changer d'état, et l'empêche de sortir de son caractère, quand
même il en aurait la volonté. A la vérité le sage est sujet aux passions ; mais
leur impétuosité ne peut rien contre sa sagesse.
Il n'est point de toutes les complexions, ni de toutes les sortes de
tempéraments. Qu'il se sente affligé par les maladies, mis à la torture par les
douleurs, il n'en est pas moins heureux.
Également officieux envers ses amis, lui seul suit les obliger véritablement,
soit qu'ils soient présents sous ses yeux, ou qu'il les perde de vue dans
l'absence.
Jamaison ne l'entendra pousser des cris, se lamenter et se désespérer dans le
fort de la douleur.
Il ne sera point assez cruel pour accabler ses esclaves de grands tourments ;
loin de là, il aura pitié de leur condition, et pardonnera volontiers à
quiconque mérite de l'indulgence en considération de sa probité.
Il sera insensible aux aiguillons de l'amour, lequel, dit Diogène l'épicurien,
n'est point envoyé du ciel sur la terre. Les plaisirs de cette passion ne furent
jamais utiles ; au contraire, on est trop heureux lorsqu'ils n'entrainent point
après eux des suites qu'on aurait sujet de déplorer.
Le sage ne s'embarrassera nullement de sa sépulture et ne s'appliquera point à
l'art de bien dire. Il pourra, au sentiment d'Épicure dans ses Doutes et dans
ses livres de lu Nature, se marier et procréer des enfants par consolation de se
voir renaître dans sa, postérité. Néanmoins, il arrive dans la vie des
circonstances qui peuvent dispenser le sage d'un pareil engagement, et lui en
inspirer le dégoût. Epicure, dans son Banquet, lui défend de conserver la
rancune dans l'excès du vin, et dans son premier livre de la Conduite de la vie,
il lui donne l'exclusion en ce qui regarde le maniement des affaires de la
république. Il n'aspirera point à la tyrannie, il n'imitera. pas les cyniques
dans leur façon de vivre, ni ne s'abaissera jusqu'à mendier, dit encore Epicure
dans son deuxième livre de
la Conduite de la vie. Quoiqu'il perde la vue, ajoute-t-il dans cet
ouvrage, il continuera de vivre sans regret. Il convient pourtant avec Diogène,
dans le livre V de ses Opinions choisies, que le sage peut s'attrister
en certaines occasions. Il peut aussi arriver qu'il soit appelé en jugement. Il
laissera à la postérité des productions de son génie ; mais il s'abstiendra de
composer des panégyriques. Il amassera du bien sans attachement, pourvoira à
l'avenir sans avarice, et se préparera à repousser courageusement les assauts de
la fortune. Il ne contractera aucune liaison d'amitié avec l'avare, et aura soin
de maintenir sa réputation, de crainte de tomber dans le mépris. Son plus grand
plaisir consistera dans les spectacles publics.
Tous les vices sont inégaux.
La santé, selon quelques-uns, est une chose précieuse ; d'autres prétendent
qu'elle doit ètre indifférente.
La nature ne donne point une magnanimité achetée, elle ne s'acquiert que par la
force du raisonnement.
L'amitié doit être contractée par l'utilité qu'on en espère, de la mène manière
que l'on cultive la terre, pour recueillir l'effet de sa fertilité ; cette belle
habitude se soutient par les plaisirs réciproques du commerce qu'on a lié.
I1 y a deux sortes de félicités : l'une est suprême et n'appartient qu'à Dieu ;
elle est toujours égale, sans augmentation ni diminution ; l'autre lui est
inférieure, ainsi que celle des hommes : le plus et le moins s'y trouvent
toujours.
Le sage pourra avoir des statues dans les places publiques ; mais il ne
recherchera point ces sortes d'honneurs.
Il n'y a que le sage qui puisse parler avec justesse de la musique et de la
poésie. Il ne lira point de fictions poétiques, et n'en fera point.
Il n'est point jaloux de la sagesse d'un autre. Le gain est permis au sage dans
le besoin, pourvu qu'il l'acquière par la science. Le sage obéira à son prince
quand l'occasion s'en présentera. Il se réjouira avec celui qui sera rentré dans
le chemin de la vertu. Il pourra tenir une école, pourvu que le vulgaire n'y
soit point reçu. Il pourra lire quelques-uns de ses écrits devant le peuple; que
ce ne soit pourtant pas de son propre mouvement. Il. sera fixe en ses opinions,
et ne mettra point tout en doute. Il sera aussi tranquille dans le sommeil que
lorsqu'il sera éveillé. Si l'occasion se présente, le sage mourra pour son ami.
Diogène Laërce, I, X, 121. |