VIE ET DOCTRINE DE
LEUCIPPE
(Diogène Laërce, IX, 6. (Ed.
Charpentier)
Leucippe était d'Élée, ou d’Abdère
selon quelques-uns, ou de Milet selon d'autres.
Ce disciple de Zénon (d'Élée) croyait que le monde est infini; que ses parties
se changent l'une dans l'autre; que l'univers est vide et rempli de corps; que
les mondes se forment par les corps qui tombent dans le vide et s'accrochent
l'un à l’autre. Ce philosophe est le premier qui ait établi les atomes pour
principes. Telle est sa doctrine en général; la voici plus en détail :
Il croyait, comme on vient de le dire, que l'univers est infini; qu'en
quelques-unes de ses parties, il est vide, et plein en quelques autres. Il
admettait des éléments qui servent à produire des mondes à l'infini, et dans
lesquels ils se dissolvent.
Les mondes, suivant ce philosophe, se font de cette manière : un grand nombre de
corpuscules, détachés dans l'espace infini et différents en toutes sortes de
figures, voltigent dans le vide immense, jusqu'à ce qu'ils se rassemblent et
forment un tourbillon, qui se meut en rond de toutes les manières possibles,
mais de telle sorte que les parties qui sont semblables se séparent pour s'unir
les unes aux autres.
Celles qui sont agitées par un mouvement équivalent ne pouvant être également
transportées circulairement, à cause de leur trop grand nombre, il arrive de là
que les moindres passent nécessairement dans le vide extérieur, pendant que les
autres restent, et que, jointes ensemble, elles forment un premier assemblage de
corpuscules, qui cet sphérique...
Plus tard, lorsque les corps qui avaient été poussés dans le milieu demeurent
unis les uns aux autres, la terre se forme. Réciproquement l'air, comme une
membrane, augmente selon l'accroissement des corps qui viennent de dehors, et,
étant agité en tourbillon, il s'approprie tout ce qu'il touche. Quelques-uns de
ces corpuscules, desséchés et entraînés par le tourbillon qui agite le tout,
forment par leur entrelacement un assemblage, qui, d'abord humide et bourbeux,
s'enflamme ensuite, et se transforme en autant d'astres différents. Le cercle du
soleil est le plus éloigné, celui de la lune le plus voisin de la terre; ceux
des autres astres tiennent le milieu entre ceux-là. Les astres s'enflamment par
la rapidité de leur mouvement. Le soleil tire son feu des astres; la lune n'en
reçoit que très peu...
De même que la génération du monde, de même aussi ses accroissements, ses
diminutions et ses dissolutions dépendent d'une certaine nécessité dont le
philosophe ne rend point raison .
II.
VIE ET DOCTRINE DE
DÉMOCRITE.
(Diogène Laërce, l IX, 7. (Ed.
Charpentier)
Démocrite, fils d'Hégégistrate, naquit
à Abdère.
Il fut disciple de quelques mages et de philosophes chaldéens, que le roi
Xerxès, rapporte Hérodote, laissa pour précepteurs à son père lorsqu'il le reçut
chez lui. Ce fut d'eux qu'il apprit la théologie et l'astrologie dès son bas
âge. Ensuite il s'attacha à Leucippe, et fréquenta, disent quelques-uns,
Anaxagore, quoiqu'il eût quarante ans de moins que lui. Démétrius et Antisthène
disent qu'il alla trouver en Egypte les prêtres de ce pays, qu'il apprit d'eux
la géométrie; qu'il se rendit en Perse auprès des philosophes chaldéens, et
pénétra jusqu'à la mer Rouge. II y en a qui assurent qu'il passa dans les Indes,
qu'il conversa avec des gymnosophistes, et fit un voyage en Éthiopie.
Il était le troisième fils de son père : le bien paternel ayant été partagé, il
prit, disent la plupart des auteurs, la moindre portion, qui consistait en
argent, dont il avait besoin pour voyager; ce qui donna lieu à ses frères de
soupçonner qu'il avait dessein de les frauder, Démétrius ajoute que sa portion
montait à près de cent talents, et qu'il dépensa toute la somme.
Il avait tant de passion pour l'étude, qu'il se choisit dans le jardin de la
maison un cabinet où il se renferma. Un jour, son père avant attaché à l'endroit
un boeuf qu'il voulait immoler, il y fut longtemps avant que Démocrite s'en
aperçût, tant il était concentré en lui-même; encore ne sut-il qu'il s'agissait
d'un sacrifice que lorsque son père le lui apprit et lui ordonna de prendre
garde au boeuf.
Démétrius raconte qu'il vint à Athènes; qu'à cause du mépris qu'il avait pour la
gloire, il ne chercha point à s'y faire connaître, et que, quoiqu'il eût
occasion de voir Socrate, il ne fut pas connu de ce philosophe; aussi dit-il :
"Je suis venu à Athènes, et en suis sorti inconnu."
Thrasyllus dit que, si le dialogue intitulé les Rivaux est de Platon,
Démocrite pourrait bien être le personnage anonyme qui, dans une conversation
sur la philosophie avec Socrate, compare le philosophe à un athlète qui fait
cinq sortes d'exercices. En effet, il était quelque chose de pareil en
philosophie; car il entendait la physique, la morale, les belles lettres, les
mathématiques, et avait beaucoup d'expérience dans les arts.
On a de lui cette maxime : "La parole est l'ombre des actions."
Démétrius de Phalère, dans l'Apologie de Socrate, nie que Démocrite soit
jamais venu à Athènes; en quoi il paraît encore plus grand, puisque, s'il
méprisa une ville si célèbre, il fit voir qu'il ne cherchait pas à tirer sa
renommée de la réputation du lieu, mais que, par sa présence, il pouvait lui
communiquer un surcroît de gloire.
Au reste, ses écrits le donnent à connaître. Selon Thrasyllus, il parait avoir
suivi les opinions des philosophes pythagoriciens, d'autant plus qu'il parle de
Pythagore même avec de grands éloges, dans un ouvrage qui en porte le nom.
D'ailleurs il semble qu'il ait tellement adhéré aux dogmes de ce philosophe,
qu'on serait porté à croire qu'il en fut le disciple, si on n'était convaincu du
contraire par la différence des temps. Au rapport d'Antisthène, il s'exerçait,
l'esprit de différentes manières, tantôt dans la retraite, tantôt parmi les
sépulcres.
Démétrius raconte qu'après avoir fini ses voyages et dépensé tout son bien, il
vécut pauvrement; de sorte que son frère Damaste, pour soulager son indigence,
fut obligé de le nourrir. L'événement ayant répondu à quelques-unes de ses
prédictions, plusieurs le crurent inspiré, et le jugèrent déjà digne qu'on lui
rendit les honneurs divins. Il y avait une loi qui interdisait la sépulture dans
sa patrie à quiconque avait dépensé son patrimoine. Démocrite, dit Antisthène,
informé de la chose, et ne voulant point donner prise à ses calomniateurs, leur
lut son ouvrage intitulé du Grand Monde, ouvrage qui surpasse tous ses
autres écrits. Il ajoute que cela lui valut cinq cents talents, qu'on lui dressa
des statues d'airain, et que, lorsqu'il mourut, il fut enterré aux dépens du
public, après avoir vécu cent ans et au delà.
Voici les doctrines de Démocrite :
Les vrais principes de toutes choses sont les atomes et le vide; tous les autres
sont imaginaires. Les mondes sont infinis, sujets à la génération et à la
corruption.
Rien ne peut sortir du néant, rien n'y petit rentrer. Les atomes sont infinis en
grandeur et, en nombre. Ils sont portés dans le Tout selon un mouvement
circulaire. Et ainsi, par toutes les manières dont ils se combinent, ils
engendrent le feu, l'eau, l'air, la terre. Car ces choses mêmes sont formées par
des assemblages d'atomes, que leur solidité rend exempts de toute atteinte et de
tout changement...
Toutes choses ont lieu selon une nécessité, car le mouvement circulaire est
cause de la génération de toutes choses, et Démocrite appelle ce mouvement
nécessité.
Le souverain bien est un état de tranquillité et de confiance qu'il nomme
euthumia. Ce n'est pas la même chose que le plaisir, comme quelques-uns
l'ont cru à tort; mais c'est un état dans lequel l’âme jouit de la sérénité et
du bonheur, sans dire troublée par nulle crainte, nulle superstition ou nulle
autre affection...
La justice est l’oeuvre des hommes ; les atomes et le vide existent par nature.
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