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des matières de l'œuvre d'Aristote
ARISTOTE
PROBLÈMES MUSICAUX
Introduction aux problèmes musicaux
PROBLÈMES MUSICAUX D’ARISTOTE
AVERTISSEMENT
Diogène
Laërce, dans la nomenclature qu’il a dressée des écrits d’Aristote,
cite un livre
περὶ
προβλημάτων.
Aristote lui-même a renvoyé souvent ce recueil. Parmi les auteurs
grecs, Plutarque, Galien, Apollonius Dyscole, Athénée, Suidas et les
scoliastes d’Aristophane; parmi les auteurs latins, Cicéron,
Sénèque, Apulée, Aulu-Gelle surtout, et Macrobe en ont rapporté des
extraits qui d’ailleurs ne se retrouvent pas tous dans le texte
parvenu jusqu’à nous.
Des
trente-huit sections qui composent cet ouvrage, la dix-neuvième
concerne l’art musical ou plutôt la mélodie (ὅσα
περὶ ἀρμονίαν).
L’édition d’Aristote établie par Bekker et publiée par l’Académie de
Berlin contient le collationnement de cette section d’après trois
manuscrits, le Laurentianus de Florence 87, (Ca), le
Vaticanus 1283 (Xa) et le codex
vetustissimus
de Paris 2036 (Ya) qui date du
xe siècle.
Bekker aurait consulté avec fruit le manuscrit 1865 de Paris qui
remonte au xve.
Du reste les variantes que se partagent ces diverses copies offrent
rarement quelque importance au point de vue du sens.
Le Grec
Théodore Gaza, vers 1455, donna une traduction latine des Problèmes,
que Bekker a reproduite dans son édition. Elle figure aussi dans
l’édition grecque-latine de la collection Didot, mais avec de
nombreuses modifications.
Ludovic
Settala (Ludovici
Septalii,
Aristotelis problemata, commentaria latine facta,
Lugduni,
Cf. Landry, 1632, 3 vol. in-folio) a produit, au milieu d’un fatras
indigeste, quelques observations qui nous ont paru mériter d’être
recueillies.
Pierre
d’Abano, professeur de médecine à l’Université de Padoue, mort en
1315, a commenté les Problèmes, mais nous n’avons rien trouvé
d’utile dans son volumineux ouvrage, en ce qui touche les problèmes
relatifs à la musique.
En
1780, un membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres,
Gui de Chabanon, a traduit en majeure partie les dix-neuf premiers
problèmes musicaux, en y joignant un essai d’explication.
Il y a peu de profit à tirer de cette tentative.
Notre
savant maître, mile Egger, a traduit ceux de ces problèmes qui se
rattachaient plus ou moins à son « Essai sur l’histoire de la
critique chez les Grecs », dans un des appendices de cet ouvrage. Il
est regrettable qu’il n’ait pas repris et complété ce travail.
Aug.
Gevaert, directeur du Conservatoire royal de musique à Bruxelles,
étudie plusieurs problèmes d’Aristote dans son « Histoire de
la musique de l’antiquité » (Gand, 1875 et 1881) et
communique en note et en appendice la traduction de quelques-uns
d’entre eux, due à son ami, le docte philologue-musicien A. Wagener.
Burette
de l’ancienne Académie des Inscriptions, avait l’intention de
traduire la partie musicale des problèmes aristotéliques.
Nous
donnons ici, pour la première fois,
une interprétation complète de la section XIX, accompagnée d’un
commentaire perpétuel. D’autre part, on trouvera dans la prochaine
livraison de la Revue de philologie un essai de critique
verbale qui, nous le croyons, améliore sensiblement le texte.
L’édition princeps des Problèmes est celle des Alde (Venise
1495-1498). Viennent ensuite trois éditions de Bâle, puis celles de
Camozzi (Camotius) publiée de 1551 à 1553 et de Sylburg, 1587,
reproduite avec variantes marginales dans l’édition aristotélique de
Guillaume Duval (1619, 2 volumes in-folio).
Certains problèmes musicaux pourront paraître indignes du grand
philosophe et sont peut-être l’œuvre d’un interpolateur; mais le
plus grand nombre portent la marque d’un esprit réfléchi dont les
observations ont un caractère éminemment suggestif.
M.
Charles Lévêque nous écrivait en 1885 : « Je vous félicite d’avoir
entrepris la traduction des problèmes (musicaux) d’Aristote. Ces
problèmes ont à mes yeux une grande valeur. C’est une véritable mine
à exploiter. » Puisse notre travail ne pas être trop au-dessous d’un
tel encouragement! Ajoutons qu’il a été, au dernier moment,
singulièrement amélioré, grâce à une révision minutieuse de M.
Théodore Reinach.
PROBLÈMES D’ARISTOTE.
P. 917 b - Bekker.
SECTION XIX. — Problèmes
relatifs à la musique.
1.
Pourquoi ceux qui se donnent de la peine et ceux qui prennent du
plaisir font-ils (également) usage de la flûte?
N’est-ce pas parce que les uns veulent y trouver une atténuation à
leur fatigue, les autres un plaisir de plus?
2.
Pourquoi un même individu, avec la même voix, se fait-il entendre de
plus loin
lorsqu’il chante ou crie avec d’autres qu’étant seul.
N’est-ce pas parce que faire quelque chose collectivement, soit
presser ou pousser, ce n’est pas (produire un effet simplement)
proportionné au nombre (des agents); mais, de même que la ligne qui
a deux pieds de long ne décrit pas une figure
double, mais bien quadruple,
de même aussi
les (forces) réunies sont plus grandes, proportionnément à leur
nombre, que prises séparément? Lors donc que des individus sont
massés, la force de la voix devient une et pousse l’air d’ensemble,
de manière à produire (un son d’une intensité) multiple; et c’est
ainsi que la voix de tous les individus (réunis) est multiple de
chaque voix (prise en particulier).
3.
Pourquoi est-ce surtout en chantant la parhypate
que la voix est entrecoupée
non moins que lorsqu’on chante la nète et (en général) les sons
supérieurs,
lesquels exigent pourtant une plus grande distension?
N’est-ce pas parce qu’on la chante très difficilement et qu’elle
sert (en ce cas) de point de départ?
Or; cette difficulté tient à la surtension et à la compression de la
voix et à ce que ces (variations de son) causent de la fatigue;
et c’est surtout la fatigue qui produit une altération (de la voix).
4.
Pourquoi chante-t-on celle-ci (la parhypate) avec difficulté et l’hypate
facilement, bien qu’il n’y ait qu’un diésis
entre l’une et l’autre?
N’est-ce pas parce que l’hypate se produit avec relâchement et
qu’aussitôt après l’accroissement de tension,
il est
facile d’avancer vers la partie supérieure (inférieure)?
Pour la même raison, ce que l’on dit à propos d’une corde unique
semble s’appliquer aussi soit à celle-ci (la parhypate), soit à la
paranète
... En effet,
il faut procéder avec réflexion et en suivant un ordre tout à fait
approprié au caractère moral
918 a
et à l’intention (du compositeur). Or quelle est la condition
première d’un chant composé avec consonance (si ce n’est celle-là)?
5.
Pourquoi écoute-t-on avec plus de plaisir ceux qui chantent des
morceaux de musique que l’on se trouve connaître à l’avance, que des
morceaux encore inconnus?
Serait-ce que l’intention (du compositeur) est, en quelque sorte,
plus facile à saisir, lorsque l’on connaît le morceau chanté et que
l’on se plaît à en être l’auditeur, ou bien parce qu’il est agréable
d’apprendre (ce morceau)?
Or, la cause de ce (double plaisir), c’est que, dans ce dernier cas,
on acquiert la science, puis, que l’on s’en sert et que l’on
reconnaît (ce que l’on a appris); de plus, ce qui nous est familier
est plus agréable que ce qui ne l’est pas.
6.
Pourquoi la paracatalogé
introduite dans les chants est-elle d’un effet tragique?
N’est-ce pas à cause des contrastes (qui en résultent)? Les
contrastes, dans les situations graves, soit heureuses, soit
affligeantes, produisent le pathétique, tandis que l’uniformité est
moins émouvante.
7.
Pourquoi les anciens, quand ils faisaient des harmonies (échelles)
heptacordes
laissaient-ils (subsister) l’hypate et non pas la nète?
Est-ce
que cela n’est pas faux, attendu qu’ils laissaient (subsister) l’une
et l’autre et retranchaient la trite,
ou bien si c’est le contraire? Mais la corde la plus grave fortifie
le son de la corde la plus aigué, de sorte que l’hypate rendait l’antiphone
(l’octave) mieux que la nète,
attendu que l’aigu est plutôt (une marque) de puissance
et que le grave est plus facile à chanter.
8.
Pourquoi la (corde) grave fortifie-t-elle le son de l’aiguë?
N’est-ce pas parce que le grave est plus grand? En effet, il
ressemble à (l’angle) obtus, et (l’aigu)
à
l’angle aigu.
9.
Pourquoi écoutons-nous avec plus de plaisir la monodie si elle est
chantée au son d’une (seule) flûte ou d’une (seule) lyre (qu’avec
plusieurs de ces instruments)? Pourtant on chante le même air
de ces deux manières indifféremment.
En effet, si l’on chante mieux le même air (quand il est accompagné
de la flûte ou de la lyre),
il devrait être encore plus agréable de l’entendre avec
accompagnement de flûtes ou de lyres nombreuses.
N’est-ce pas parce qu’on se trouve paraître (mieux) saisir
l’intention (du compositeur) lorsqu’on entend un morceau avec
l’accompagnement d’une (seule) flûte ou d’une (seule) lyre, tandis
que celui de flûtes ou de lyres nombreuses n’est pas plus agréable,
vu qu’il couvre la voix du chanteur?
10.
Pourquoi, — étant admis que la voix humaine est plus agréable (que
le son des instruments), — celle d’une personne qui chante sans
parole ne sera-t-elle pas la plus agréable, par exemple, celle des
chanteurs qui font le térétisme,
mais plutôt la flûte ou la lyre?
N’est-ce pas que, même dans ce cas-là,
à moins
que les chanteurs ne produisent des sons imitatifs, ce n’est pas
aussi agréable? Mais c’est une affaire d’exécution. En effet, la
voix humaine est plus agréable; mais les instruments sont plus
sonores que la bouche.
Voilà pourquoi il est plus agréable d’entendre le jeu d’un
instrument
que le térétisme.
11.
Pourquoi toute corde est-elle plus aiguë
dans sa résonance?
N’est-ce pas parce qu’elle (résonne) moins en devenant plus faible?
12.
Pourquoi est-ce toujours la corde la plus grave
qui prend le chant?
En effet, si l’on doit chanter la paramèse
avec la mèse produite isolément
c’est le son intermédiaire
qui est rendu néanmoins; mais, si l’on doit (chanter) la mèse,
tout en admettant la nécessité de produire les deux sons,
on ne les produit pas isolément.
N’est-ce pas parce que le grave est grand et par suite puissant,
918 b
et que
le petit est compris dans le grand? Par le moyen de la division (de
la corde), deux nètes sont produites dans l’hypate.
13.
Pourquoi, dans l’octave, le grave est-il l’antiphone de l’aigu,
tandis que l’aigu n’est pas l’antiphone du grave?
N’est-ce pas parce que le chant des deux (sons antiphones) existe
parfaitement bien dans les deux (sons),
ou tout au moins dans le grave? car celui-ci est le plus grand.
14.
Pourquoi l’octave est-elle insensible et ressemble-t-elle à
l’unisson (dans certains cas), par exemple, sur le phénikion
et dans la voix humaine?
En effet les sons pris dans l’aigu
ne sont pas à l’unisson des graves,
mais (les uns et les autres sont) en rapport d’octave entre eux.
N’est-ce pas parce que, tout comme le son semble être le même,
l’égalité (apparente) entre les sons est causée par l’analogie; or
l’égalité tient de l’unité.
Cette (égalité) produit la même illusion dans les syringes.
15.
Pourquoi les (chants) appelés
nomes
ne sont-ils pas disposés en antistrophes, tandis que les autres
chants employés dans les chœurs le sont?
N’est-ce pas parce que les nomes étaient les chants des agonistes
(acteurs) et que, comme ceux-ci avaient pour fonction d’imiter (des
actions) et de s’étendre,
leur chant se trouvait prolongé et multiforme. De même donc que les
paroles, les chants se conformaient à l’imitation
et variaient sans cesse. En effet, on doit nécessairement imiter
plutôt avec le chant qu’avec les paroles. C’est pour la même raison
que les dithyrambes, depuis qu’ils sont devenus imitatifs,
n’ont plus d’antistrophes comme autrefois.
Cela tient à ce que, anciennement, les seuls hommes libres chantant
dans les chœurs, il leur était difficile de chanter plusieurs
ensemble en artistes.
Aussi exécutaient-ils leurs chants dans une seule harmonie;
car il est plus facile à une seule personne qu’à plusieurs d’opérer
des métaboles
et
aussi à l’artiste en scène qu’à ceux qui ont la garde du caractère
moral.
C’est pourquoi l’on composait pour ceux-ci des chants plus simples.
Or la composition anti-strophique est une chose simple; car elle est
composée d’un seul rythme et mesurée par une unité.
C’est aussi pour la même raison que les (chants) exécutés sur la
scène ne sont pas anti-strophiques, tandis que ceux du chœur le
sont. En effet, l’acteur est un artiste de profession, un imitateur,
mais le chœur est moins capable de remplir un rôle imitatif.
16.
Pourquoi l’antiphone est-il plus agréable que le consonant?
N’est-ce pas parce que le fait de consoner est plus manifeste (dans
l’antiphone) que lorsqu’on chante la consonance?
En effet, il arrive (alors) nécessairement que l’une des deux cordes
produit l’unisson, de sorte que les deux sons réduits à un seul font
disparaître l’autre corde.
47.
Pourquoi la quinte
ne donne-t-elle pas des (sons) antiphones?
N’est-ce pas parce que la corde consonante
n’est pas la même dans la consonance,
comme c’est le cas dans l’octave? En effet, cette note (identique)
est (grave)
dans le grave, par analogie, comme elle est aigué dans l’aigu. Par
conséquent, de même qu’elle est à la fois identique et autre, et que
les cordes qui consonent à la quinte et à la quarte ne sont point
dans le même cas; le son de la (corde) antiphone n’y apparaît pas,
car il n’est pas identique.
18.
Pourquoi la consonance d’octave est-elle la seule qui se chante?
En effet, on magadise cette (consonance),
mais
919 a
non pas les autres.
N’est-ce pas parce que c’est la seule qui se compose de deux cordes
antiphones? Or, dans les antiphones,
lorsque l’on chante une des deux notes, on produit le même effet;
car une (corde) unique contient en quelque façon les sons de l’une
et de l’autre de telle sorte que, une seule corde étant chantée dans
cette consonance, la consonance entière est chantée; et quand on
chante les deux cordes (qui la constituent), ou bien que l’une des
deux notes
est donnée par la voix et l’autre par la flûte, on produit en les
chantant toutes deux le même effet que si on en chantait une seule.
Voilà pourquoi (cette consonance) est la seule qui se chante ; c’est
que les antiphones ont le son d’une seule note.
19.
Pourquoi cela n’existe-t-il que pour les seules (cordes) antiphones?
N’est-ce pas parce que seules elles sont à égale distance de la mèse?
Par suite, la position intermédiaire met les sons dans une certaine
condition similaire, et l’oreille semble affirmer que c’est le même
son et que tous deux sont des sons extrêmes.
20.
Pourquoi, si quelqu’un de nous déplace la mèse, après avoir accordé
les autres cordes et que l’on joue de l’instrument, n’est-ce pas
seulement dans l’émission du son de la mèse que le désaccord
apparaît et nous choque, mais encore dans tout le reste de la
mélodie, tandis que si l’on déplace la lichanos ou quelque autre
son, la différence ne se fait sentir que lorsqu’on touche cette
corde’?
C’est
là une conséquence rationnelle. En effet,
tous les chants bien composés emploient souvent la mèse; tous les
bons poètes (compositeurs) attaquent souvent cette note, et s’ils
s’en éloignent, c’est pour y revenir promptement. Or il n’en est
ainsi d’aucune autre corde. De même que, si l’on retranche, en
parlant, des conjonctions telles que
τε
et
καὶ,
on ne parlera plus grec, tandis que la suppression de certains
autres (mots) ne choquera nullement, attendu qu’il est nécessaire
d’employer fréquemment les uns et non les autres, quand on doit
discourir; de même aussi la mèse, parmi les sons, est comme une
sorte de conjonction, et elle joue ce rôle plus que toutes les
autres cordes,
parce que ce son est celui qui revient le plus souvent.
21.
Pourquoi, parmi les chanteurs, ceux qui chantent un morceau plus
grave font-ils des fautes plus sensibles, quand ils détonent, que
ceux qui chantent dans l’aigu? Et semblablement aussi (pourquoi),
lorsqu’on fait des fautes de rythme,
ceux qui chantent dans un rythme plus lent
laissent-ils paraître davantage ces fautes?
N’est-ce pas parce que la durée du grave est plus longue, et que
celle-ci est plus sensible? Ou bien est-ce parce qu’un temps plus
long donne une sensation plus forte, tandis que la vitesse et
l’acuité rendent les fautes moins sensibles cause de cette vitesse?
22.
Pourquoi ceux qui chantent en grand nombre gardent-ils mieux le
rythme.que ceux qui sont peu nombreux?
N’est-ce pas parce qu’ils regardent plus attentivement l’un d’entre
eux qui est leur chef et qu’ils commencent plus tardivement,
de sorte qu’il leur est plus facile d’obtenir le même (mouvement)?
En effet, avec un rythme pressé, les fautes sont plus fréquentes.
23.
Pourquoi la nète est-elle le double de l’hypate?
N’est-ce pas, d’abord, parce que la corde touchée successive-
919 b
ment sur sa moitié et sur sa totalité donne
la consonance d’octave? La même chose a lieu aussi pour la syrinx.
En effet, le son produit par le trou du milieu de la syrinx
sonne l’octave avec le son obtenu sur la syrinx entière. De plus,
dans les flûtes,
l’octave est obtenue au moyen de l’intervalle double; or c’est ainsi
que procèdent les facteurs de flûtes.
En outre,
ceux qui accordent les syrinx appliquent de la cire au bout du tuyau
pour obtenir l’hypate et réalisent la nète (en mettant de la cire)
jusqu’à la moitié de la longueur. Ils prennent semblablement la
quinte au moyen de l’intervalle sesquialtère et la quarte au moyen
de l’intervalle sesquitiers.
Enfin dans (l’accord des) trigones (et) des psalteria,
après que la tension a été rendue égale, il y a consonance d’octave
entre la corde d’une longueur double et celle qui est de moitié
moins longue.
24.
Pourquoi, lorsque l’on s’arrête après avoir touché la nète (diezeugménon
ou des disjointes) semble-t-il que l’hypate (méson ou des moyennes)
réponde seule?
N’est-ce pas parce que le son qui provient de celle-ci (l’hypate)
est plus particulièrement de la même nature que l’autre, vu qu’il
consonne (avec lui)? Par le fait de l’accroissement qui lui est
commun avec son semblable, il apparaît seul, tandis que les autres,
en raison de leur ténuité, ne sont pas perceptibles.
26.
Pourquoi une corde est-elle appelé mèse (moyenne) dans les
harmonies?
Le nombre 8 ne comporte cependant point de (chiffre) moyen.
N’est-ce pas parce que, anciennement, les harmonies étaient
heptacordes? Or, le nombre 7 comporte un (chiffre) moyen.
26.
Pourquoi la plupart (des chanteurs) détonent-ils dans le sens de
l’aigu?
Serait-ce parce qu’il est plus facile de chanter l’aigu que le
grave,
ou bien cela vient-il de ce que l’aigu est d’une nature inférieure?
Or, une faute c’est l’accomplissement d’un acte de nature
inférieure.
27.
Pourquoi la perception auditive est-elle la seule qui possède un
caractère moral? En effet, un chant quelconque, lors même qu’il est
exécuté sans parole,
possède néanmoins ce caractère, tandis que la couleur, l’odeur et la
saveur en sont dépourvues.
N’est-ce pas parce que (cette perception) seulement comporte une
impression
qui n’est pas celle que le bruit nous fait éprouver et qui existe
aussi pour les autres (sens)? — Ainsi la couleur impressionne le
sens de la vue. — Mais (ici) nous éprouvons (en outre) une
impression consécutive à ce bruit. Or, cette impression a quelque
ressemblance (avec le moral)
et dans les rythmes, et dans la disposition mélodique des sons aigus
et graves. Il n’en est pas ainsi dans leur mélange, car la symphonie
ne possède pas de caractère moral.
Au contraire dans les autres perceptions sensibles cela n’a pas
lieu. Ces impressions
se rapportent à l’action; or, les actions dénotent un caractère
moral.
28.
Pourquoi appelle-t-on nome (‘io, lois) les airs que l’on
chante?
N’est-ce pas parce que, avant de connaître l’écriture, on chantait
920 a
les
lois,
afin de ne pas les oublier, usage encore observé chez les Agathyrses.
Ainsi donc on donna aux premiers des chants survenus ultérieurement
la même dénomination qu’aux précédents.
29.
Pourquoi les rythmes et les chants, qui sont (après tout) une
émission de la voix, sont-ils assimilés des caractères moraux, mais
non pas les saveurs, non plus que les couleurs ni les odeurs?
N’est-ce pas parce que ce sont des mouvements, comme les actes?
Or, l’action est déjà un fait moral et détermine un caractère moral,
tandis que les saveurs, (les odeurs)
et les couleurs ne produisent pas le même effet.
30.
Pourquoi, dans les tragédies, ni (l’harmonie) hypodorienne, ni l’hypophrygienne
ne sont-elles propres au chœur?
N’est-ce pas parce que (ce genre de chant) n’est pas en rapport
(avec le chœur),
mais bien (avec les personnages) de la scène? En effet celle-ci est
imitative.
31.
Pourquoi Phrynichus
(et les tragiques de son temps?) étaient-ils surtout des
compositeurs de musique?
N’est-ce pas parce que, dans les tragédies d’alors, les chants
tenaient plus de place que les mètres (les vers déclamés)?
32.
Pourquoi le diapason (l’octave) est-il appelé ainsi et non pas
diocto,
conformément au nombre (des cordes), de même que l’on dit le
diatessaron (la quarte) et le diapente (la quinte)?
N’est-ce pas parce que, primitivement, les cordes étaient au nombre
de sept; que plus tard ce n’est qu’après avoir retranché la trite
que Terpandre ajouta la nète,
et que, de son temps, on a dit « le diapason » et non « le diocto ».
En effet, l’intervalle (total) était un
diepta.
33.
Pourquoi est-il plus convenable d’aller de l’aigu au grave que du
grave à l’aigu?
Est-ce
parce que, dans le premier cas,
cela
revient à commencer par le commencement? En effet la mèse est le
guide (et la corde)
la plus aigüe du tétracorde;
tandis que dans le second cas, on commence non par le commencement,
mais par la fin? — Ou bien n’est-ce pas parce que le grave venant à
la suite de l’aigu est plus noble et plus mélodieux?
34.
Pourquoi la double dioxie
(quinte) et le double diatessaron (quarte) ne sont-ils pas des
consonances, tandis que le double diapason (octave) en est une?
N’est-ce pas parce que ni la double dioxie ni
le double diatessaron ne sont (en proportion) super particulière,
tandis que le diatessaron et le diapente (quinte) le sont?
35.
Pourquoi le diapason (octave) est-il la plus belle consonance?
N’est-ce pas parce que les rapports de cette consonance sont
contenus dans des termes entiers,
tandis que ceux des autres ne le sont pas. En effet comme la nète
est double de l’hypate,
par exemple la nète étant 2, l’hypate est 1; l’hypate étant 2, la
nète est 4, et ainsi de suite. Mais (la nète) est sesquialtère
de la mèse; or le diapente (quinte), étant sesquialtère, n’est pas
contenu dans des nombres entiers; car le plus petit terme est comme
qui dirait 1 et le plus grand vaut cette quantité
plus une demie; de sorte qu’il n’y a pas là un rapport d’entier à
entier, mais il s’y trouve un surplus d’une fraction.
Il en est de même du diatessaron (quarte). En effet, le sesquitiers
se compose de tout ce que contient le plus petit terme et d’un autre
(terme comprenant le premier) plus une de ses trois (parties).
Ou
encore parce que la consonance la plus parfaite est celle
qui se compose des deux autres,
et qu’elle est la mesure de la mélodie?
35
bis.
... Dans tout corps déplacé, le mouvement est le plus fort au milieu
(du parcours) et plus relâché au commencement et à la fin. Or
lorsque le mouvement est le plus fort, il arrive aussi
920 b
que le son du corps déplacé est plus aigu. Voilà aussi pourquoi les
cordes surtendues sonnent plus aigu; car le mouvement (des
vibrations?) est (alors) plus rapide; or la voix est un transport de
l’air ou de quelque autre (élément).
Le (son) placé au milieu du parcours doit nécessairement être plus
aigu, et s’il n’en était pas ainsi, il n’y aurait pas de mouvement.
36.
Pourquoi, lorsque la mèse est déplacée, les autres cordes
résonnent-elles aussi en faisant entendre un son faussé,
tandis que si elle reste immobile et que l’une des autres soit
touchée, celle qui l’a été est seule faussée?
N’est-ce pas parce que (la mèse) est en accord avec toutes les
cordes et qu’elles sont toutes
dans une certaine corrélation avec la mèse? Et aussi parce que le
rang de chacune d’elles dépend de celle-ci? Ainsi donc la cause
première de l’accord mélodique étant supprimée, il en résulte que,
semblablement, la cause de la continuité (des sons) ne peut plus
subsister. Mais
qu’une corde soit dépourvue de l’accord mélodique, la mèse demeurant
invariable, naturellement l’intervalle existant par rapport à cette
mèse est faussé, tandis que l’accord mélodique subsiste pour les
autres cordes.
37.
Pourquoi, — bien que l’acuité de la voix corresponde à une petite
quantité (d’air déplacé)
et sa gravité à une grande, car c’est à cause de cette grande
quantité que le grave est lent,
et à cause de la petite que l’aigu est rapide,
— faut-il plus d’effort pour chanter les sons aigus que (pour
chanter) les sons graves; et y a-t-il peu de personnes qui puissent
chanter les parties supérieures? (Pourquoi) les nomes orthiens
et (généralement) les (nomes) aigus sont-ils difficiles à chanter en
raison de l’intensité (qu’ils exigent)? Et pourtant il faut moins
d’effort pour déplacer une petite quantité qu’une grande, de sorte
qu’(il devrait en être de même lorsqu’il s’agit de déplacer) l’air.
N’est-ce pas parce que autre chose est d’avoir naturellement une
voix aiguë, autre chose de chanter l’aigu? D’une part, tout ce qui,
par nature rend des sons aigus le doit à la faiblesse, ne pouvant
déplacer une grande quantité d’air, mais seulement une petite; or
une petite quantité (d’air) est transportée rapidement. Par contre,
dans le fait de chanter l’aigu, il y a un indice de puissance, car
ce qui est transporté avec véhémence l’est aussi avec rapidité, et
c’est dans ce sens que l’aigu est un indice de puissance. Voilà
pourquoi les gens étiques
ont une voix aiguë. Il faut un effort pour chanter les notes
supérieures, tandis que les graves se tiennent dans le bas.
38.
Pourquoi est-ce que tout le monde aime le rythme, le chant et
généralement les consonances?
N’est-ce pas parce que nous aimons naturellement les changements
conformes à la nature? La preuve, c’est que les petits enfants, dès
leur naissance aiment ces trois choses. D’abord, c’est par le fait
de l’habitude que nous aimons les tours mélodiques.
Quant
au rythme, nous l’aimons parce qu’il contient un nombre connu,
ordonné et qu’il nous impressionne d’une façon ordonnée. En effet,
le changement soumis à un certain ordre est plus propre à notre
nature que celui qui en est dépourvu, de sorte qu’il est mieux en
rapport avec elle. La preuve, c’est que, si le travail, le boire et
le manger sont réglés, nous conservons et nous augmenterons même la
puissance de notre nature, tandis que si ces (actes) sont
désordonnés, nous l’altérons et la faisons dévier; car les
921 a
maladies sont des changements survenus dans une disposition du corps
non conforme à la nature.
En ce
qui concerne la consonance, elle nous plaît parce que c’est un
mélange de contraires qui ont un rapport entre eux.
Maintenant, le rapport est un ordre, ce qui (tout à l’heure) était
une chose agréable à notre nature. D’autre part, ce qui est mélangé
est toujours plus agréable que ce qui ne l’est pas,
et, surtout lorsqu’il s’agit d’un objet soumis aux sens, le rapport
qui réside dans la consonance devrait avoir, dans des conditions
égales, la puissance de ses deux extrêmes.
39.
Pourquoi l’antiphone (octave)
est-il plus agréable que l’homophone (unisson)?
N’est-ce pas parce que
l’antiphone est un (intervalle) consonant à l’octave? En effet, l’antiphone
est produit par (les voix) des enfants et celles des jeunes gens
et des hommes, lesquelles diffèrent d’intonation dans le même
rapport que celui de la nète à l’hypate.
Toute consonance est plus agréable qu’un son simple, pour quelles
raisons, on l’a dit plus haut,
et parmi ces consonances, l’octave est la plus agréable.
Or, l’homophone ne donne qu’un son simple. On magadise
suivant la consonance d’octave, parce que, de même que dans les
mètres (les vers), les pieds ont entre eux un rapport d’égal à égal
ou de deux à un, ou quelque autre, de même les sons, dans cette
consonance,
ont entre eux un rapport (constant) de changement.
Pour les autres consonances,
les altérations de l’autre (note) sont imparfaites,
attendu qu’elles se terminent (par exemple) sur une moitié;
c’est
pourquoi elles ne sont point égales en puissance; or, étant
inégales, elles déterminent une différence pour l’oreille, de même
que dans les chœurs, lesquels au moment de la terminaison (du
chant), chantent (cette partie) plus fort que les autres. De plus,
il arrive que l’hypate a la même terminaison de périodes comprises
dans les Sons mélodiques. En effet, la seconde percussion de l’air
qui suit la nète est une hypate;
mais aux cordes qui finissent au même moment sans produire le même
son, il arrive de donner un résultat unique et commun, de même que
lorsqu’on joue d’un instrument pour accompagner un chant.
En effet, ces exécutants, si, tout en ne doublant pas les autres
parties du chant, ils terminent sur le même (son), causent plus de
plaisir par cette cadence finale qu’ils ne choquent par les
différences survenues avant la fin, en raison de ce que le (chant)
commun qui succède à la diversité des sons, produit un effet des
plus agréables, provenant de (l’emploi) de l’octave.
Quant au fait de magadiser, il a lieu au moyen de sons opposés.
C’est pour cela que l’on magadise dans la (consonance) d’octave.
40.
Pourquoi écoute-t-on avec plus de plaisir ceux qui chantent des
morceaux de musique que l’on se trouve connaître à l’avance, que des
morceaux inconnus?
Serait-ce que l’intention (du compositeur) est en quelque sorte plus
facile à saisir lorsque l’on connaît le morceau chanté, et que, le
connaissant, on se plaît à en être l’auditeur? — Ou bien parce que
l’on partage les impressions de celui qui exécute un morceau connu,
en chantant avec l’exécutant? Or on chante toujours par plaisir,
quand ce n’est pas par nécessité.
41.
Pourquoi la double dioxie (double quinte) ou le double
921 b
diatessaron (double quarte) ne sont-ils pas des consonances, tandis
que le double diapason (double octave) en est une?
N’est-ce pas parce que la quinte est dans le rapport sesquialtère
(3/2) et la quarte dans le rapport sesquitiers (4/3)? Or, si l’on a
de suite trois
nombres sesquialtères ou sesquitiers, les deux (termes) extrêmes
n’auront entre eux aucun rapport (mélodique), car ils ne seront ni
super particuliers ni multiples;
tandis que l’octave étant en rapport double (2/1), lorsque
cet intervalle est doublé, les extrêmes seront entre eux dans le
rapport quadruple (4/1). Ainsi donc, puisque la consonance se
compose de sons
ayant un rapport (mélodique)
entre eux, et que ceux des sons qui embrassent l’intervalle de
double diapason sont entre eux dans ce rapport, tandis qu’il n’en
est pas ainsi des autres qui forment l’intervalle de double
diatessaron ou de double diapente, ceux qui constituent le double
diapason seront consonants et les autres ne le seront pas, pour les
raisons énoncées plus haut.
42.
Pourquoi, lorsqu’on s’arrête après avoir touché la nète, semble-t-il
que l’hypate seule réponde?
N’est-ce pas parce que la nète, parvenue à son terme, et épuisée,
devient une hypate?
La preuve, c’est que l’on peut chanter la nète à la suite de l’hypate.
En effet, comme le chant même de celle-ci est une nète, on prend (on
perçoit) la similitude qui en résulte; mais attendu que l’écho est
une sorte de chant, la percussion du son de la nète parvenue à son
terme est un son identique à celui de l’hypate, et,
probablement, en raison de la similitude, la nète paraît susciter l’hypate.
Pour ce qui est de la nète, nous savons où elle est placée
lorsqu’on s’y arrête; mais, quant à l’hypate elle-même, tout en
voyant qu’elle est insaisissable, en écoutant le son qui lui est
propre, nous croyons qu’elle résonne. Le même effet se produit sur
nous dans beaucoup de cas où nous ne pouvons, ni par le calcul ni
par l’oreille, nous rendre compte du fait exact. Ou bien encore, si,
après avoir frappé la nète, tendue
Le
rapport multiple est une expression fractionnaire dans laquelle le
numérateur est un multiple du dénominateur au maximum, il arrive que
l’on remue le joug
(de la lyre), il n’y aurait rien d’étonnant à ce que, par suite de
ce mouvement,
toutes les cordes vibrent en même temps; et il n’est pas
inconséquent qu’elles produisent alors un certain son. Le son de la
nète est étranger aux autres cordes,
à la fin comme au début (de sa résonance), mais sur la fin il est
identique à l’hypate. Ce son (de la nète) étant ajouté par la
vibration de celle-ci, il n’y a rien d’impossible à ce que le son de
celle-là (l’hypate) semble être tout à fait le même.
Or, il sera
plus fort que le son commun à toutes les autres cordes, attendu que
ces cordes, étant repoussées en quelque sorte par la nète, rendaient
des sons faibles, tandis que la nète (résonnait) dans toute sa
puissance, étant la plus forte de toutes; de sorte que,
vraisemblablement aussi, le second état de cette corde
serait plus puissant que (le second état) des autres, surtout
lorsque leur vibration a été peu considérable.
43.
Pourquoi écoutons-nous
avec plus de plaisir une
922 a
monodie chantée avec l’accompagnement de la flûte, qu’avec celui de
la lyre?
N’est-ce pas parce qu’une chose quelconque, mélangée avec une autre
chose plus agréable, devient une unité plus agréable? Or, la flûte
est plus agréable que la lyre, de sorte que le chant vocal mélangé
avec le son de la flûte devra être plus agréable que (mélangé) avec
le son de la lyre, attendu que ce qui est mélangé est plus agréable
que ce qui ne l’est pas, si l’on perçoit en même temps l’un et
l’autre.
En effet, le vin est plus agréable que l’oxymel, parce que l’on
préfère les mélanges naturels à ceux qui sont de notre fait; car le
vin est un mélange de saveur acide et sucrée. C’est ce que montrent
aussi ce que l’on appelle les grenades vineuses.
Ainsi donc, le chant vocal et la flûte sont mélangés entre eux en
raison de leur ressemblance, puisque l’un comme l’autre est un
produit du souffle, tandis que le son de la lyre, soit parce qu’il
n’est pas un produit du souffle, soit parce qu’il est
moins accessible à l’oreille que le son de la flûte, se prête moins
au mélange avec la voix, et, produisant un effet différent sur
l’oreille, ne cause pas autant de plaisir, comme on l’a dit
(précédemment) à propos des saveurs.
De plus, la flûte dissimule, par les sons qu’elle émet et par la
ressemblance,
un grand nombre des fautes du chanteur, tandis que les sons de la
lyre, qui sont maigres, et qui se mélangent moins bien avec la voix,
étant considérés en eux-mêmes, existant par eux-mêmes, font
ressortir la fausseté du chant vocal, comme une sorte de canon
(mélodique). Or s’il y a beaucoup de fautes dans le chant, il en
résulte que l’émission commune des deux (sortes de sons) en est
forcément d’autant plus défectueuse.
44.
Pourquoi une corde, parmi les huit (du diagramme),
est-elle appelée mèse (moyenne)? Le nombre 8 ne comporte cependant
point de chiffre moyen.
N’est-ce pas parce que, anciennement, les harmonies étaient
heptacordes? Or, le nombre 7 comporte un chiffre moyen. De plus,
comme, parmi les sons compris entre les extrêmes, le moyen seul, est
un point de départ, — car, parmi les sons qui inclinent vers l’un ou
l’autre des extrêmes,
dans un intervalle,
il y en a un au milieu qui est un point de départ, — c’est la mèse
qui sera le son moyen. Mais comme (les parties) extrêmes
de l’harmonie
sont la nète et l’hypate, et que entre ces deux cordes résident tous
les autres sons, parmi lesquels la note appelée mèse est le point de
départ de l’un ou de l’autre tétracorde,
c’est à bon droit qu’on la nomme mèse, car, parmi les Sons compris
entre des extrêmes, le son moyen est, on l’a vu, le seul qui soit un
point de départ.
45.
Pourquoi ceux qui chantent en grand nombre gardent-ils mieux le
rythme que ceux qui sont peu nombreux?
N’est-ce pas parce qu’ils regardent plus attentivement un d’entre
eux qui est leur chef et qu’ils commencent plus tard,
de sorte qu’il leur est plus facile de rencontrer le même
(mouvement). En effet, avec un rythme précipité, les fautes sont
plus fréquentes, et il arrive, au contraire, que les chanteurs
nombreux ont l’œil sur le chef. Aucun d’eux, se singularisant, ne
pourrait briller, en dominant la masse (des chanteurs), tandis que
dans le cas du petit nombre, on peut briller plus aisément. C’est
pourquoi, dans, ce dernier cas, (les chanteurs) rivalisent entre eux
au, lieu de régler leur exécution sur la direction du chef.
46.
Pourquoi la plupart (des chanteurs) détonent-ils dans le sens de
l’aigu?
922 b
N’est-ce pas parce qu’il est plus facile de chanter l’aigu que le
grave? On chante donc plutôt l’aigu; et en le chantant, on fait des
fautes.
47.
Pourquoi les anciens,
quand ils faisaient les harmonies heptacordes, laissaient-ils
l’hypate, mais non pas la nète,
ou bien retranchaient-ils, non point l’hypate,
mais la corde que nous appelons aujourd’hui paramèse et l’intervalle
tonié?
Or ils employaient comme corde médiane la dernière du pycnum
situé à l’aigu. C’est pourquoi ils l’appelaient mèse (corde du
milieu).
N’est-ce pas parce que (cette note) était la fin du tétracorde
supérieur et le commencement du tétracorde inférieur, et que, par
son degré d’intonation, elle était dans un rapport intermédiaire
entre les cordes extrêmes.
48.
Pourquoi, dans les tragédies, les chœurs ne chantent-ils ni
(l’harmonie) hypodorienne ni l’hypophrygienne?
N’est-ce pas
parce que ces harmonies ne comportent nullement le chant que réclame
surtout le chœur, mais que l’hypophrygienne (par exemple) a un
caractère propre à l’action?
C’est pourquoi, dans (la pièce) de Géryone,
la sortie et la prise d’armes sont chantées dans cette harmonie.
Quant à l’hypodorienne, elle a un caractère majestueux et posé;
aussi convient-elle mieux que toute autre à la citharédie.
Or ces deux (genres de chant) ne conviennent pas au chœur, mais sont
plutôt propres aux personnages de la scène. En effet, ceux-ci
représentent des héros, — chez les anciens les chefs étaient seuls
des héros, —tandis que le peuple, auquel appartient le chœur, était
des hommes (proprement dits). Par conséquent, ce qui lui convient,
c’est le caractère et le chant plaintifs et calmes; car l’un et
l’autre sont propres à l’homme. Les autres harmonies ont bien ces
caractères, mais la phrygienne
l’a moins que toute autre. Car elle respire l’enthousiasme et la
fureur bachique. (La mixolydienne est celle qui les a au plus haut
degré).
En effet, sous l’influence de cette harmonie nous sommes passifs;
car
les faibles ont un rôle passif, bien plutôt que les puissants. C’est
pourquoi cette harmonie
convient aux chœurs; mais avec l’hypodorienne et l’hypophrygienne
nous avons un rôle actif, ce qui n’est pas le propre du chœur. Son
rôle, c’est de s’intéresser (à l’action) sans y prendre part, et il
ne peut que témoigner de la bienveillance à ceux qu’il assiste.
49.
Pourquoi, parmi les sons qui produisent la consonance, le plus mou
est-il dans le grave?
N’est-ce pas parce que le chant est, par sa nature propre, mou et
paisible, et que c’est par son mélange avec le rythme qu’il devient
âpre et mouvementé? Or, puisque le son grave est mou et paisible, et
que le son aigu est mouvementé, si deux personnes exécutent le même
chant,
le son le plus grave est aussi plutôt plus mou dans ce même chant.
En effet, (tout à l’heure)
le chant par lui-même
était
mou.
50.
Pourquoi, lorsque (deux) tonneaux sont égaux et semblables,
si l’un est vide et l’autre à moitié plein, leur résonance
donne-t-elle l’octave?
N’est-ce pas parce qu’il y a aussi
un rapport double (2/1) entre la résonnance du tonneau vide et celle
du tonneau à moitié plein? En effet, quelle différence y a-t-il
entre ce cas et celui des syrinx?
Le mouvement plus rapide semble donner plus d’acuité.
Dans les (tuyaux) plus longs, l’air arrive plus lente-
923 a
ment, dans ceux dune longueur double, cette lenteur est doublée et
dans les autres elle diffère proportionnellement (à leur longueur).
Il y a donc
consonance d’octave entre l’outre double et celle qui est moitié
moins grande.
Ch.-Em.
RUELLE.
A moins d’observation spéciale, les notes ou cordes
mentionnées dans ces problèmes appartiennent toutes au
diagramme ci-après
Nète
diezeugménon ou des disjointes, correspondant à notre
MI
paranète —
—
RÉ
trite —
—
UT
Paramèse
…………………………………………………… SI
Mèse………………………………………………………
LA
lichanos méson ou des moyennes …………………………… SOL
parhypate —
—
FA
Hypate
—
—
MI
Cf. le problème 42. — Rapprocher de ce problème l’épigramme
de l’Anthologie (I, 46) contenant ces vers :
Δεξιτέρην ὑπάτην ὅποτε πλήκτροισι δονήσω
Ἡ
λαιὴ νήτη πάλλεται αὐτομάτως
Lorsque je ferai vibrer avec le plectrum l’hypate de droite,
La nète, à gauche, vibrera d’elle-même.
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