CHAPITRE PREMIER.
Tout mobile suppose nécessairement un moteur; démonstration de ce
principe. - Tout mobile est nécessairement divisible; démonstration
de ce second principe. |
§ 1. Tout ce qui est mu doit
nécessairement être mu par quelque chose.
§ 2. Car si le mobile n'a pas en lui-même le principe de son
mouvement, il est évident qu'il doit le recevoir d'un autre, et que
c'est cet autre qui est le vrai moteur.
§ 3. Examinons la première hypothèse, où le mobile a le mouvement en
lui-même, Soit AB un objet qui se meut en soi, et non pas seulement
en ce sens que c'est une simple partie de cet objet qui soit en
mouvement. D'abord donc, supposer que AB se meut lui-même parce
qu'il est mu tout entier, et qu'il n'est mu par aucune cause
extérieure, c'est absolument comme si KL, mettant LM en mouvement et
étant mu lui-même, on allait nier que KM est mu par quelque chose,
parce qu'on ne pourrait pas voir clairement lequel des deux corps
est le moteur et lequel est le mobile.
§ 4. De plus, quand un corps se meut par lui-même, et non par un
autre, il ne cessera pas nécessairement de se mouvoir, parce qu'un
autre corps viendrait à s'arrêter. Seulement, si un objet en
mouvement s'arrête parce qu'un autre objet s'arrête également, il
faut que ce premier objet soit mu par un autre. Ceci étant
clairement démontré, il y a nécessité que tout ce qui est mu soit mu
par quelque cause.
§ 5. AB étant supposé un mobile en mouvement, il est nécessairement
divisible; car nous avons vu que tout ce qui est mu est divisible
aussi. Admettons qu'il est divisible en tant qu'il est C. BC n'étant
pas mu, AB sera nécessairement sans mouvement comme lui; car, s'il
est supposé en mouvement, il est évident que AC serait mis en
mouvement, pendant que BC serait en repos. Donc, AB ne se meut pas
par lui-même et primitivement. Mais on supposait d'abord qu'il se
donnait son propre mouvement, et qu'il se le donnait primitivement.
Donc il est nécessaire que, CB étant en repos, BA y soit de même.
§ 6. Mais quand une chose s'arrête et cesse de se mouvoir, parce
qu'une autre n'est plus en mouvement, on convient que cette première
chose est mue par une autre. Par conséquent, tout ce qui est mis en
mouvement est mu nécessairement par quelque chose; car tout mobile
est divisible; et quand la partie est en repos, le tout y est aussi.
§ 7. Mais si tout mobile est mu nécessairement par quelque chose, et
s'il faut également que tout ce qui est mu d'un mouvement dans
l'espace, soit mu par un autre mobile,
§ 8. alors le moteur est mu par un autre mobile, qui est mu lui-même
; et cet autre encore est mu par un autre; et toujours ainsi de
suite. |
Ch. 1. Le livre VII renferme
quelques-unes des théories qui seront admirablement traitées dans le
livre suivant, et il semble, par conséquent, faire une sorte de
double emploi. Eudème, comme l'atteste Simplicius, n'avait point
commenté ce septième livre, qu'Alexandre trouvait de son côté d'une
doctrine moins solide que les autres. Thémistius n'en a fait qu'une
paraphrase très abrégée. Simplicius, sans méconnaître toutes ces
raisons, croit que ce livre est digne d'Aristote; et il explique la
faiblesse relative qu'il présente, en supposant que c'est une
première rédaction que l'auteur a rendue postérieurement plus
profonde et plus complète. C'est peut-être encore la conjecture la
plus plausible. Peut-être aussi est-ce la rédaction ébauchée d'un
auditeur, qui aura pris place dans l'œuvre du maître, comme pour la
Morale à Eudème et la Grande Morale, à côté de la
Morale à Nicomaque. Le fond de la doctrine appartient bien à
Aristote; mais la forme n'est pas tout à fait celle qui lui est
habituelle. Voir la Dissertation sur la composition de la Physique.
Il y a en outre deux rédactions différentes pour les trois premiers
chapitres; et elles avaient déjà cours au temps de Simplicius, qui
les signale. J'ai suivi pour les trois premiers chapitres le texte
que, d'après les travaux de M. Spengel et ceux de Bekker dans sa
petite édition, a reproduit M. Prantl. Ce texte est plus
aristotélique et surtout plus régulier que la réduction
ordinairement adoptée, qui n'est, à ce qu'il semble, qu'une
paraphrase de la rédaction primitive. Les changements d'ailleurs
sont légers, et ils ne modifient rien au fond male des pensées,
cumule le remarque Simplicius.
§ 1. Tout ce qui est mu, cette proposition paraît identique; et,
dans la première partie, il y a déjà implicitement la pensée de la
seconde. Toute la nuance consiste ici dans la différence entre ces
deux expressions: Etre mu, et Se mouvoir.
§ 2. En lui-même le principe de son mouvement, le mobile
alors se meut, et il n'est pas mu. - Le vrai moteur, le texte
n'est pas tout à fait aussi précis.
§ 3. Examinons la première hypothèse, même remarque. - Où
le mobile a le mouvement en lui-même, la pensée de ce § est
obscure; car il semblerait en résulter que, même quand le mobile a
un mouvement propre, on devrait dire qu'il n'en est pas moins uni
par une cause extérieure ; ce qui serait contradictoire. - KL
mettant LM en mouvement, les commentateurs pour expliquer ces
formules, se servent de l'exemple du pilote, qui, placé à une des
extrémités du navire, le met en mouvement, et est mu aussi lui-même
parce que le navire où il est, se meut. - KM, est l'ensemble
de KL et de LM, c'est-à-dire, le pilote et le navire. - On ne
pourrait pas voir clairement, ceci donne quelque vraisemblance à
l'exemple allégué par les commentateurs, et il est en effet assez
difficile de distinguer le pilote du navire, et de démêler à un
certain moment lequel meut et lequel est mu.
§ 4. De plus, cette proposition paraît par trop évidente, et
du moment qu'un corps se meut lui-même, il est clair que c'est lui
aussi qui s'arrête. - Un objet en mouvement, sans que le
mouvement vienne de lui-même. - Il y a nécessité, répétition
de ce qui est dit au § 4 ; mais la démonstration n'en est pas plus
avancée.
§ 5. Il est nécessairement divisible, voir plus haut, Livre
VI, ch. 5, § 8. - Divisible en C, il faudrait tracer une
ligne dont les lettres seraient ACB; la ligne serait alors divisée
en AC et CB. - BC n'étant pas mu, BBC est une partie de AB ;
et la partie BBC n'étant pas mue, le tout AB ne le sera pas non
plus. Ce principe n'est pas aussi absolu que l'auteur semble le
croire, et il aurait besoin d'explication. Les commentateurs croient
qu'il s'agit ici du mouvement de l'âme et du corps; l'âme est dans
le corps et elle se meut avec lui, quoiqu'au fond ce soit elle qui
le meuve. - Donc AB ne se meut pas par lui-même, cette
conclusion ne semble pas ressortir de ce qui précède; et l'on ne
voit pas assez clairement ce qu'on a voulu démontrer. - CB,... BA
l'ordre des lettres est renversé, au lieu de BC et de AB, employés
plus haut.
§ 6. On convient que cette première chose, le principe est de
toute évidence; mais il semble aussi qu'il est une négation absolue
de tout mouvement spontané. - Est mu nécessairement par quelque
chose, que ce soit une cause extérieure ou une cause interne;
mais, dans ce dernier cas, on ne peut pas dire que la chose est mue;
on doit dire qu'elle se meut, même en supposant que ce soit une
seule de ses parties qui mette le tout en mouvement. - Quand la
partie est en repos, ce principe aurait encore besoin d'une
explication plus étendue. Il faudrait peut-être ajouter : la partie
motrice.
§§ 7 et 8. Alors le moteur est mu, il faut sous-entendre le
moteur dans l'espace, puisque l'auteur se borne ici il considérer
cette seule espèce de mouvement. C'est en effet de ce mouvement
qu'Aristote tirera surtout la nécessité d'un premier moteur et d'une
première cause, comme on le verra au livre suivant. |
CHAPITRE II.
Nécessité d'une première cause du mouvement; la série de transmissions du
mouvement ne peut être infinie. Démonstration fondée sur ce principe, qu'il n'y
e pas de mouvement infini dans un temps fini; exception a ce principe. Autre
démonstration. |
§ 1. Il faut bien cependant qu'il y ait
quelque cause initiale et première du mouvement, et l'ou ne peut aller à
l'infini.
§ 2. Supposons, en effet, qu'il n'en est pas ainsi et que la série se prolonge à
l'infini. Soit A mu par B, B par C, C par D ; et supposons que toujours le
mobile suivant soit poussé par le suivant.
§ 3. Comme le moteur est supposé mouvoir, parce qu'il est mu lui-même, et que le
mouvement du moteur et celui du mobile sont simultanés, car le moteur est mu
lui-même, en même temps que le mobile est mu par lui, il est clair que le
mouvement de A, celui de B, celui de C, et, en un mot, de chacun des autres
moteurs et mobiles, sera simultané.
§ 4. Nous pourrons donc prendre le mouvement de chacun d'eux, et nous
représenterons celui de A par E, celui de B par F, et celui de C, D, par G, H ;
car si chacun d'eux est toujours mu réciproquement par chacun, on peut cependant
considérer le mouvement de chacun d'eux comme étant un numériquement parlant ;
et il n'est point infini à ses extrémités, puisque tout mouvement a lieu
nécessairement d'un point à un autre point.
§ 5. Quand je dis que le mouvement est un numériquement, j'entends que le
mouvement va du même au même numériquement, dans un temps qui, numériquement
aussi, est le même; car le mouvement peut être un et le même, soit en genre,
soit en espèce, soit en nombre.
§ 6. En genre, le mouvement est le même quand il a lieu dans la même catégorie,
dans la substance, par exemple, ou dans la qualité. Le mouvement est le même en
espèce, quand il va du même en espèce au même eu espèce; par exemple, il va du
blanc au noir, ou du bien au mal ; et il n'y a pas là de différence dans les
espèces. Enfin, le mouvement est le même numériquement, quand il va d'une chose
une numériquement à une autre chose une numériquement dans le même temps; et,
par exemple, de cette chose blanche à cette chose noire, ou de ce lieu à cet
autre lieu dans le même temps; car, si c'est dans un autre temps, le mouvement
n'est plus un numériquement, quoiqu'il le soit encore en espèce. Mais nous avons
donné ces explications plus haut.
§ 7. Soit donc le temps dans lequel A fait son mouvement représenté par K. Le
mouvement de A étant fini, le temps K sera fini aussi.
§ 8. Mais comme les moteurs et les mobiles sont infinis, il en résulte que le
mouvement EFGH, qui est composé de tous ces mouvements, sera infini aussi. En
effet, il se peut que le mouvement de A, celui de B et celui de tous les autres
soient égaux, et il se peut aussi que les mouvements des autres soient plus
grands. Mais qu'ils soient égaux ou plus grands, le mouvement total sera
toujours infini dans les deux hypothèses; car nous ne supposons ici que le
possible.
§ 9. Or comme le mouvement de A est simultané au mouvement des autres, il
s'ensuit que le mouvement total aura lieu dans le même temps que le mouvement de
A.
§ 10. Mais le mouvement de A se passant dans un temps fini, il en résulterait
qu'un mouvement infini se passerait dans un temps fini; et c'est là une
impossibilité.
§ 11. Ce serait donc là, à ce qu'il semble, une manière de démontrer la
question posée au début; mais la démonstration n'est pas réellement faite, parce
qu'on n'a pas démontré qu'il y eût une impossibilité absolue. En effet, il se
peut fort bien que dans un temps fini il y ait un mouvement infini, non pas, il
est vrai, d'un seul corps, mais de plusieurs; or, c'est précisément le cas que
nous supposons ici, puisque chacun des corps que nous considérons peut se
mouvoir du. mouvement qui lui est propre, et il n'est pas impossible que
plusieurs corps se meuvent en même temps.
§ 12. Mais il faut que le moteur primitif, qui donne le mouvement dans l'espace
ou un mouvement corporel, touche au mobile ou y soit adhérent et contigu, ainsi
que nous le voyons dans tous les cas; il faut que les moteurs et les mobiles
soient continus et se touchent réciproquement, de manière à former tous ensemble
un seul système. Peu importe pour le moment que ce système soit limité ou
infini; car, de toute façon, le mouvement de tous sera infini puisqu'ils sont
infinis, quoique les mouvements de chacun d'eux puissent être égaux ou plus
grands les uns par l'apport aux autres. Mais ce qui est possible, nous le
prendrons ici pour réel. Si donc le résultat des ABCD est infini et qu'il ait le
mouvement EFGH clans le temps K, ce temps étant fini, il s'ensuit que dans un
temps fini le fini ou l'infini parcourt l'infini. Mais l'une et l'autre
supposition est également impossible.
§ 13. Il est donc nécessaire qu'il y ait quelque point d'arrêt, et que
nécessairement il y ait aussi un premier moteur et un premier mobile.
§ 14. Ceci du reste n'importe en rien, que l'impossible ressorte d'une
hypothèse; car la supposition a été prise possible ; et, du moment qu'on a posé
le possible pour point de départ, il ne se peut pas qu'il en sorte rien
d'impossible. |
Ch. II, § 1. Il faut bien
cependant, ce grand principe est peu développé dans ce chapitre;
il le sera plus spécialement dans le cours et à la fin du Livre
VIII, comme il l'est aussi dans le XIIe Livre de la Métaphysique.
- L'on ne peut aller à l'infini, principe bien souvent
invoqué par Aristote.
§ 2. Supposons, en effet, qu'on puisse aller à l'infini, il
en résultera des impossibilités et des contradictions, signalées
plus bas au § 10.
§ 3. Sera simultané, la conclusion est évidente; car le
premier des moteurs est mu en même temps qu'il meut le premier des
mobiles; le second des moteurs est mu en même temps que le premier,
par la même raison ; et ainsi de suite.
§ 4. Prendre le mouvement de chacun d'eux, c'est-à-dire
considérer comme fini chacun des mouvements, quoique l'ensemble de
ces mouvements soit supposé infini. - Comme étant un
numériquement, en d'autres ternies, comme étant fini et limité.
- D'un point à un autre point, le texte n'est pas tout à fait
aussi précis.
§ 5. Le mouvement est un numériquement, voir plus haut, Livre
V, ch. 6, §§ 6 et 7. - Un et le même, il n'y n qu'un seul mot
dans le texte grec.
§ 6. En genre... en espèce, ces définitions ne sont pas tout
à fait les mêmes que celles qui ont été données, Livre V, ch. 6. -
Le même en espèce, voir Livre V, ch. 6, § 3. - Le même
numériquement, voir Livre V, ch. 6, §. 7.
§ 7. Représenté par K, il faudrait tracer trois ligues :
l'une où les mobiles-moteurs seraient ABCD; la seconde, où les
mouvements seraient EFGH; et la troisième enfin, qui représenterait
le temps K, durant lequel le premier mobile A accomplit son
mouvement.
§ 8. Les moteurs et les mobiles sont infinis, c'est
l'hypothèse posée dans le § 2. - Car nous ne supposons ici que le
possible, on ne voit pas trop ce que signifie celte pensée ainsi
interposée. Peut-être aussi faut-il simplement traduire :
« Nous ne faisons
qu'admettre la conclusion qui peut sortir de notre hypothèse.»
§ 9. Le mouvement de A est simultané, voir plus haut § 3. -
Dans le même temps que le mouvement A, qui est un mouvement
fini.
§ 10. C'est là une impossibilité, c'est ce qui a été démontré
plus haut, Livre VI, ch. § 8.
§ 11. La question posée au début, plus haut § 2. - Une
impossibilité absolue, j'ai ajouté ce dernier mot. - Il se
peut fort bien, comme le contraire a été démontré, Livre VI, ch.
11, l'auteur va réfuter cette objection dans le § suivant.
§ 12. Ou un mouvement corporel, ou matériel, celle expression
paraît singulière, et probablement elle n'appartient pas à la langue
d'Aristote. - Y soit adhérent et contigu, il y a les deux
mots dans le texte. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit ici du
moteur primitif et initial, c'est-à-dire immédiat; car autrement le
principe ne serait pas exact. - Puissent être égaux ou plus
grands, voir plus haut § 8. - Ce qui est possible, voir
aussi la fin du § 8.
§ 13. Quelque point d'arrêt, voir plus haut § 1.
§ 14. Que l'impossible ressort de l'hypothèse, comme on vient
de le prouver, § 10 et § 12. Voir sur les rapports des conclusions
aux prémisses contingentes les Premiers Analytiques, Livre I,
ch. 13, et chapitres suivants, p. 54 de ma traduction. |
CHAPITRE III.
Le moteur et le mobile se touchent en un certain point et sont
toujours dans le même lieu. - Application de ce principe aux trois
espèces de mouvements, dans l'espace, en qualité et en quantité;
démonstration pour les diverses variétés du mouvement dans l'espace
ou déplacement; démonstration pour le mouvement dans la qualité ou
altération; démonstration pour le mouvement dans la quantité,
accroissement ou décroissement. |
§ 1. Le moteur primitif, non
pas le moteur en vue duquel se fait le mouvement, mais celui d'où
part le mouvement, est dans le même lieu que l'objet qu'il meut; et,
par le même lieu, j'entends qu'il n'y a rien d'interposé entre eux.
C'est là une condition commune à tout mobile et tt tout moteur.
§ 2. Or, comme il y a trois mouvements, dans l'espace, dans la
qualité et dans la quantité, il faut nécessairement qu'il y ait
trois moteurs : l'un qui fait la translation dans l'espace; l'antre
qui produit l'altération; et enfin le moteur qui produit
l'accroissement et le dépérissement,
§ 3. Parlons d'abord de la translation, puisqu'on peut la regarder
comme le premier des mouvements.
§ 4. Tout ce qui se déplace dans l'espace, ou se meut par lui-même,
ou est mu par un autre.
§ 5. Pour tous les corps qui se meuvent par eux-mêmes, il est de
toute évidence que le mobile et le moteur sont dans le même lieu,
puisque le moteur primitif réside dans ces corps mêmes, et qu'il n'y
a rien d'intermédiaire et d'interposé.
§ 6. Quant aux corps qui sont mus par un autre, il n'y a que quatre
cas possibles; car le déplacement qui se fait dans l'espace par une
cause étrangère, n'est que de quatre espèces : traction, impulsion,
transport et rotation. Tous les déplacements dans l'espace peuvent
se ramener à ces quatre là. Ainsi, la compulsion n'est qu'une
impulsion où le moteur qui agit de lui-même, suit et accompagne la
chose qu'il pousse, tandis que la répulsion est une impulsion où le
moteur ne suit pas cette même chose. La projection a lieu lorsqu'on
rend le mouvement imprimé à l'objet plus fort que ne le serait sa
translation naturelle, et que l'objet est déplacé aussi longtemps
que le mouvement existe et domine. La dilatation est une répulsion;
car la répulsion a lieu, soit loin du moteur lui-même, soit loin
d'un autre. La contraction n'est qu'une traction; car c'est une
traction de l'objet ou sur lui-même ou sur un autre. Il en est
absolument de mètre pour toutes les espèces de ces mouvements,
telles que l'extension ou le rétrécissement, la première n'étant
qu'une dilatation et l'autre une contraction. De même encore pour
toutes les autres concrétions et séparations; elles ne sont tontes
que des dilatations ou des contractions, en exceptant toutefois
celles qui se rapportent à la génération et à la des truction
des choses. On voit d'ailleurs en même temps que la concrétion et la
séparation ne sont pas des genres de mouvements différents; car
toutes peuvent se ramener à l'un des mouvements qui viennent d'être
indiqués. A un autre point de vue, l'aspiration n'est qu'une
traction, et l'expiration n'est qu'impulsion. De même encore
l'expectoration et tous les autres mouvements par lesquels le corps
rejette ou ingère quelque chose; car les uns sont des attractions,
et les autres des répulsions. En un mot, c'est ainsi qu'il faut
réduire tous les autres mouvements qui se font dans l'espace; car
tous peuvent se ramener aux quatre qui ont été énoncés plus haut.
§ 7. On peut même encore, parmi ces mouvements, faire rentrer le
transport et la rotation dans la traction et dans l'impulsion.
§ 8. Ainsi, le transport ne peut avoir lieu que des trois manières
suivantes : la chose transportée est mue accidentellement, ou parce
qu'elle est dans une autre chose qui est mue, ou parce qu'elle est
sur cette chose ; ce qui transporte peut transporter, ou parce qu'il
est tiré, ou parce qu'il est poussé, ou parce qu'il tourne ; et
voilà comment le transport est commun à ces trois mouvements.
§ 9. Quant à la rotation, elle se compose de traction et
d'impulsion. En effet, il faut nécessairement que le moteur qui fait
tourner attire et pousse tout ensemble; l'une de ces actions éloigne
l'objet de lui, et l'autre l'y ramène.
§10. Si donc ce qui pousse et ce qui tire est dans le même lieu que
l'objet tiré ou poussé, il est évident qu'il ne peut y avoir rien
d'interposé entre ce qui est mu dans l'espace, et ce qui meut.
D'ailleurs, cette vérité ressort des définitions mêmes. Ainsi,
l'impulsion n'est que le mouvement partant du moteur même ou d'un
autre, pour aller vers un autre. La traction n'est pas autre chose
que le mouvement partant d'un autre, et allant vers soi ou vers un
autre, quand le mouvement de ce qui tire est plus rapide, en
séparant les continus les uns des autres ; car c'est ainsi que l'un
est attiré avec l'autre. On peut, il est vrai, comprendre la
traction encore d'une autre manière; car ce n'est pas ainsi que le
bois attire le feu. Peu importe d'ailleurs que ce qui tire exerce
sa traction, soit en étant en mouvement, soit en étant en repos ;
car alors il tire tantôt au lieu où il est lui-même, tantôt au lieu
où il a précédemment été. Mais il est bien impossible de mouvoir un
objet, ou de soi vers un autre, ou d'un autre vers soi, sans toucher
cet objet. Donc encore une fois, il est évident qu'entre le moteur
et le mobile dans l'espace, il n'y a point d'intermédiaire possible.
§ 11. Il ne peut pas y en avoir davantage entre l'objet altéré et
l'objet altérant. C'est ce dont on peut se convaincre par
l'observation et l'induction ; car, dans tous les cas, l'extrémité
altérante et le premier altéré sont dans le même lieu.
§ 12. Nous entendons, en effet, par altération, qu'un objet ou
s'échauffe, on s'adoucit, on s'épaissit, ou se sèche, ou se
blanchit, etc. Nous appliquons également cette idée, et à ce qui est
animé, et à ce qui est inanimé. Dans les êtres animés, nous
l'appliquons, et aux parties qui restent insensibles, et aux sens
eux-mêmes. Les sens, en effet, changent et s'altèrent aussi à leur
façon. La sensation en acte est, on peut dire, un mouvement qui se
passe dans le corps, quand le sens vient à éprouver une impression.
§ 13. Dans les choses où l'inanimé est altéré, l'animé l'est aussi.
Mais là où l'animé est altéré, l'inanimé ne l'est pas toujours sans
exception ; car il ne s'altère pas d'après des sensations éprouvées.
§14. L'un a conscience de ce qu'il éprouve ; l'autre n'en a pas
conscience. Mais il se peut fort bien aussi que l'animé lui-même
ignore ce qu'il sent, quand l'altération n'a pas lieu à la suite de
sensations.
§ 15. Si donc ce qui s'altère est altéré par des causes sensibles,
il est clair aussi que, dans tous ces cas, l'extrémité dernière de
ce qui altère se confond avec la première extrémité de ce qui est
altéré. L'air, en effet, est continu à l'un ; et le corps est
continu à l'air. De même encore la couleur est continue à la
lumière; et la lumière l'est à la vue. Même rapport pour l'ouïe et
pour l'odorat ; l'air est le moteur premier, relativement à l'objet
mu. Il en est de même aussi pour le goût; car la saveur est dans le
même lieu que le goût.
§ 16. Ces phénomènes se passent de la même manière pour les objets
inanimés et insensibles.
§ 17. Il n'y a jamais d'intermédiaire entre l'altéré et l'altérant.
§ 18. Il n'y en a pas davantage entre ce qui est accru et ce qui
accroît. Le primitif accroissant accroit la chose en s'y adjoignant,
de manière à ce que le tout ne fasse qu'un. A l'inverse, ce qui
dépérit va dépérissant, parce qu'il se sépare quelque chose de
l'objet qui dépérit. Donc, nécessairement ce qui accroît, ou ce qui
détruit, doit être continu; et entre les continus, il n'y a point
d'intermédiaire.
§ 19. Ainsi, l'on voit clairement qu'entre le mobile et le moteur
premier et dernier, relativement au mobile, il n'y a pas
d'intermédiaire possible. |
Ch. III, § 1. Le moteur
primitif, il faut entendre parla le moteur qui est le plus
rapproché du mobile. - Est dans le même lieu, le texte dit
simplement :
« Est ensemble
»; mais la suite
prouve qu'il s'agit du lieu et non du temps.
§ 2. Il a trois mouvements, plus haut, il a été admis quatre
mouvements; mais ils ont été réduits à trois; voir Livre Ill, ch. 1,
§ 4, et ch. 3. - Qu'il y ait trois moteurs, quelques
manuscrits disent au contraire :
« Trois mobiles. » Les
deux leçons sont acceptables; mais je préfère celle que j'ai suivie.
§ 3. Parlons d'abord de la translation, notre langue ne m'a
pas offert d'expression meilleure ; on aurait pu traduire aussi :
« Le mouvement dans
l'espace.
»
§ 4. Ou se meut par lui-même, plus haut, ch. 1, § 1, on a
cherché à établir au contraire que tout ce qui est mu doit
nécessairement être mu par un autre.
§ 5. D'intermédiaire et d'interposé, il n'y a qu'un seul mot
dans le texte. On peut voir plus haut, §1, la note sur le moteur
primitif.
§ 6. Quant aux corps qui sont mus par un autre, c'est le
second cas, posé au § 4. - La compulsion, j'ai tâché par le
choix de ce mot de rendre l'idée spéciale qui est développée dans le
contexte. - Suit et accompagne, il n'y a qu'un seul mot dans
le texte - La répulsion, est, un mouvement qui éloigne le
mobile du moteur. - La projection, par exemple quand on lance
une pierre. - Loin du moteur lui-même, j'ai dû prendre cette
formule pour rendre la force de l'expression grecque. - La
contraction n'est qu'une traction, il n'y a pas dans le grec
cette coïncidence de mots. - Celles qui se rapportent à la
génération et à la destruction des choses, parce que ce ne sont
pas de vrais mouvements; et voilà pourquoi on n'a compté: plus haut,
§ 2, que trois mouvements et non quatre. - L'aspiration..,
l'expiration, ces idées ne paraissent pas très bien amenées ici.
- Enoncés plus haut, au début même de ce §.
§ 7. Faire rentrer le transport et la rotation, et alors les
quatre espèces de déplacements dans l'espace se trouvent réduits à
deux.
§ 8. Est mue accidentellement, ou indirectement ; car,
puisqu'elle est transportée, c'est qu'elle n'a pas de mouvement
propre.
§ 9. Attire et pousse tout ensemble, c'est la force
centrifuge, et la force centripète.
§ 10. Est dans le même lieu, c'est le principe posé plus
haut, § 1. - Et allant vers soi, quand le moteur qui tire
reste en place et tire le mobile à lui. - Ou vers un autre,
quand le moteur qui tire change aussi de place, et que le mobile
tiré prend le lieu que le moteur vient de quitter. - En séparant
les continus, il faut comprendre que le mouvement de traction
est assez fort pour disjoindre les choses qui formaient un continu
et les diviser en fragments. - L'un est attiré avec l'autre,
c'est-à-dire que le mobile est tiré à la suite du moteur. - On
peut, il est vrai, c'est une abjection au-devant de laquelle
l'auteur croit devoir aller. - Le bois attire le feu, il
s'agit sans doute du bois sec, qui, en effet, semble attirer le feu
; mis c'est alors comme but, et non point comme moteur initial,
d'après la distinction faite un § 1. - Précédemment, j'ai cru
devoir ajouter ce mot pour plus de clarté. - Sans toucher cet
objet, et alors il n'y a pas d'intermédiaire entre le moteur et
le mobile; voir plus haut, §1.
§ 11. L'objet altéré et l'objet altérant, après le mouvement
dans l'espace, l'auteur considère le mouvement clans la qualité,
ainsi qu'il l'a annoncé plus haut, au § 2. .- L'extrémité
altérante, et le premier altéré, on doit comprendre par ces
formules l'extrémité dernière du corps qui altère, et le premier
point du corps qui est altéré. - Sont dans le même lieu, le
texte dit :
« Ensemble
» . voir plus haut la
note du § 1.
§ 12. Ou s'échauffe, après avoir été froid; Ou s'adoucit,
après avoir été amer, etc. - A ce qui est animé et à ce qui est
inanimé, ces idées sont un peu singulières, et elles n'ont point
été préparées par ce qui précède.
§ 13. L'inanimé est altéré, même remarque. - D'après des
sensations éprouvées, puisque l'inanimé ne sent rien,
§ 14. L'un a conscience, c'est l'être animé. - A la suite
de sensations, ainsi, toutes les altérations que l'âge amine en
nous sont insensibles, et aucune sensation ne nous les révèle.
§ 15. L'extrémité dernière, voir plus haut, § 11.
§ 16 et § 17. répétition et conclusion de ce qui précède.
§ 18. Entre ce qui est accru et ce qui accroît, c'est la
troisième espèce de mouvement indiquée au § 2, après le déplacement
et l'altération. - Le primitif accroissant, celle formule se
comprend bien après toutes celles qui précèdent. - Doit être
continu, puisque dans un cas c'est une adjonction, et dans
l'autre cas une séparation. - Entre les continus il n'y a point
d'intermédiaire, c'est ce qui résulte de la définition même du
continu ; voir plus haut, Livre V, ch. 5, § 9.
§ 19. Premier et dernier, les développements qui précèdent
expliquent suffisamment ces deux mots. - Relativement au mobile,
qu'il touche directement, bien qu'il puisse ne pas être en réalité
le moteur initial. |
CHAPITRE IV.
Toute altération ou modification suppose nécessairement la
sensibilité; l'altération ne s'applique pas, comme on le croit, aux
formes et aux figures des choses; les formes et les figures ne
changent qu'après l'altération de certains autres éléments. - Les
vertus et les vices, soit du corps, soit de l'âme, ne sont pas des
altérations réelles de l'être; elles ne viennent qu'à la suite de
l'altération de certaines autres choses : application au corps;
application à l'âme. |
§ 1. Tout ce qui s'altère est
altéré, avons-nous dit, par des causes sensibles ; et il n'y a
d'altération possible que dans les objets dont on peut dire qu'ils
sont aptes à éprouver en soi l'action de causes sensibles. Voici ce
qui doit le prouver. En dehors de ces objets, on pourrait croire que
l'altération s'applique surtout aux formes, aux figures, aux
habitudes ou propriétés, soit que les objets les conservent, soit
qu'ils les perdent. Cependant, ce n'est pas là qu'il y a vraiment
altération.
§ 2. En effet, quand une chose a reçu une forme achevée et
régulière, nous ne la désignons plus par le nom de la matière marne
dont elle est composée; et ainsi l'on ne dit pas de la statue
qu'elle est de l'airain ; on ne dit pas de la bougie qu'elle est de
la cire, non plus qu'on ne dit du lit qu'il est du bois. Mais en
détournant un peu l'expression, on dit que l'une est en airain,
l'autre en cire, et l'autre en bois. Nous qualifions d'ailleurs
l'objet qui a subi une action, et qui est altéré; et nous disons,
par exemple, de l'airain qu'il est sec, qu'il est humide, qu'il est
dur, qu'il est chaud ; nous en disons autant de la cire. Et non
seulement on parle ainsi; mais, de plus, on dit que l'humide ou le
chaud est de l'airain, en désignant la matière par une expression
homonyme à. l'affection même qu'elle éprouve. Par conséquent, si par
rapport i la forme et à la figure, on ne désigne pas l'objet altéré
par la matière dans laquelle est la forme, et si on le désigne
uniquement d'après les actions et les altérations qu'il a subies, il
est évident que les générations de ce genre ne sont pas des
altérations.
§ 3. On peut remarquer encore qu'il serait absurde de dire que
l'homme est modifié et altéré, ou la maison, on tout autre objet,
quand ces objets viennent à se produire et à naître. Tout ce qu'on
peut dire, c'est que chacun de ces êtres naît et se produit, parce
que quelque chose s'altère et change ; par exemple, ce quelque chose
peut être la matière qui s'épaissit, qui se raréfie, qui s'échauffe,
qui se refroidit. Cependant, ce qui naît et se produit n'est pas
altéré ; et la génération de ces objets ne peut pas du tout être
appelée une altération.
§ 4. Les qualités, les manières d'être, soit du corps, soit de
l'âme, ne sont pas davantage des altérations proprement dites ; car
de ces qualités, de ces manières d'être, les unes sont des vertus,
les autres sont des vices. Mais on ne peut pas trouver une
altération véritable, ni dans la vertu, ni dans le vice. La vertu
est une perfection et un achèvement; et c'est quand l'être, quel
qu'il soit, a atteint toute sa vertu propre, qu'on peut dire de lui
qu'il est achevé et parfait; car alors son état de nature est
éminemment obtenu ; et c'est ainsi que le cercle est parfait,
lorsqu'il est cercle le plus régulièrement possible. Le vice, au
contraire, est la destruction et la déchéance de cet état. De même
donc qu'en parlant d'une maison, on ne dit pas que son achèvement en
soit une altération ; car il serait par trop étrange de prendre, ou
le toit, ou la tuile, pour une altération de la maison, et (le
croire que la maison, en recevant ses tuiles ou son faîte, subit une
altération, au lieu de croire qu'elle s'achève, tout de même aussi
pour les vertus et les vices, et pour les êtres qui les possèdent ou
qui les acquièrent. Les vertus sont des perfections et des
achèvements; les vices sont des dégradations ; et par conséquent, ce
ne sont pas des altérations.
§ 5. Nous ajoutons encore que toutes les vertus ne consistent que
dans une certaine manière d'être relativement à certaines choses.
Ainsi, les vertus ou qualités du corps, telles que la santé et
l'embonpoint, consistent dans le mélange et la proportion du chaud
et du froid ; soit que l'on considère le froid et le chaud dans
leurs rapports les uns aux autres à l'intérieur, soit par rapport au
milieu dont le corps est entouré. De même pour la beauté, pour la
force, en un mot pour les vertus ou les vices du corps. Chacune de
ces façons d'être consiste dans une disposition spéciale
relativement à une certaine chose ; et elle dispose bien ou mal le
corps qui la possède, relativement aux affections spéciales que
cette chose produit. Spéciales signifie ici les affections qui, dans
l'ordre naturel des choses, peuvent produire ou détruire l'être.
Mais comme les relatifs ne peuvent jamais eux-mêmes être des
altérations, et qu'il n'y a pour eux, ni altération, ni génération,
ni, absolument parlant, aucun changement possible, il est clair que
les qualités ou façons d'être ne sont point des altérations, non
plus que la perte ou l'acquisition de ces qualités.
§ 6. Mais on peut dire qu'il faut nécessairement que certaines
choses viennent à être altérées et changées, pour que ces qualités
mêmes naissent ou périssent, de même aussi que la forme et la figure
; et ces autres choses sont les éléments chauds et froids, secs et
humides, ou les éléments primitifs dans lesquels les êtres
consistent; car on entend par chaque vice et chaque vertu, en
particulier, les qualités d'après lesquelles doit varier, selon les
lois naturelles, l'être qui les possède. La vertu du corps, par
exemple, le rend insensible à certaines choses, ou plutôt lui fait
sentir les choses uniquement comme elles doivent être senties; le
vice le rend sensible ou insensible d' une manière contraire.
§ 7. Il en est absolument de même des affections de l'âme ; car,
elles aussi, consistent toutes à être dans une certaine disposition
relativement à certaines choses.
§ 8. Et les vertus sont des perfectionnements, tandis que les vices
sont des désordres et des déchéances.
§ 9. En outre, la vertu dispose bien pour les affections et les
passions qui appartiennent proprement à l'être, tandis que le vice
dispose mal. Par conséquent, les vertus et les vices de l'âme ne
sont donc pas eux non plus des altérations; et la perte et
l'acquisition des unes et des autres ne le sont pas davantage.
§ 10. Mais il y a nécessité qu'elles ne puissent se produire que par
une altération ou un changement de la partie susceptible de sentir.
Or, cette partie n'est modifiée que par les choses qu'on sent; car
toute la vertu morale est relative aux joies ou aux douleurs du
corps, qui aboutissent elles-mêmes, soit à sentir actuellement, soit
à se souvenir, soit à espérer. Ainsi, les unes se rapportent à
l'action présente de la sensibilité, c'est-à-dire au mouvement causé
par quelque objet sensible ; les autres, relatives à la mémoire et à
l'espérance, viennent de cette même action ; car l'on a plaisir à se
souvenir de ce qu'on a éprouvé, ou bien l'on a plaisir à espérer ce
qu'on doit sentir. Par conséquent, tout plaisir du genre de celui
dont nous parlons ici est causé nécessairement par des choses
sensibles. Or, comme c'est à la suite du plaisir et de la douleur
que se forment aussi les vertus et les vices, qui ne se rapportent,
en effet, qu'à la douleur et au plaisir, et comme les plaisirs et
les douleurs sont des altérations et des modifications de la partie
sensible de l'âme, il en résulte évidemment qu'il faut, de toute
nécessité, une modification préalable, et une altération de quelque
chose, pour que l'âme puisse perdre ou acquérir la vertu ou le vice.
§ 11. Ainsi l'on peut dire que leur production a lieu avec une
certaine altération ; mais la vertu et le vice ne sont pas eux-mêmes
des altérations.
§ 12. Quant aux qualités de la partie pensante et intellectuelle de
l'âme, elles ne sont pas des altérations non plus; et l'on ne peut
pas dire davantage qu'il y ait génération pour elles. La science,
par exemple, consiste éminemment dans une certaine disposition
relativement à certaine chose. Et voici ce qui prouve qu'il n'y a
pas de génération pour les qualités de l'intelligence, c'est que la
partie de l'âme qui est en puissance d'acquérir la science, ne
l'acquiert pas parce qu'elle a éprouvé elle-même quelque mouvement,
mais parce que quelque autre chose existe préalablement. Ainsi,
quand le fait particulier se produit, c'est en quelque sorte par
l'universel qu'on a la science du particulier.
§§13-14. Bien plus, il n'y a pas même génération de l'usage qu'on
fait de la science et de l'acte même de la science, à moins qu'on ne
veuille soutenir aussi qu'il y ait génération pour l'acte de la vue
et du toucher, et que l'acte, pour les choses de l'intelligence, est
tout pareil à ceux-là.
§ 15. Mais l'acquisition originelle de la science ne peut passer
pour une génération, puisque nous ne concevons la science et la
réflexion dans l'intelligence que comme un repos et un temps
d'arrêt. Or, il n'y a pas de génération pour arriver an repos; car,
ainsi qu'on l'a dit antérieurement, il n'y a point de génération
pour aucun changement en général.
§16. Il y a plus; de même que quand quelqu'un sort d'une ivresse,
d'un sommeil ou d'une maladie, pour revenir à un état contraire,
nous ne disons pas qu'il redevient savant, bien qu'il fût quelques
instants auparavant hors d'état de faire usage de sa science; de
même non plus nous ne le disons pas, quand il acquiert cette façon
d'être pour la première fois. C'est qu'on ne peut, en effet, devenir
ou sage ou savant qu'après que l'âme s'est apaisée et remise d'un
certain trouble physique.
§ 17. C'est là ce qui fait aussi que les enfants ne peuvent
apprendre et porter, d'après leurs sensations, un jugement aussi
bien que les personnes plus âgées, parce que le trouble et le
mouvement est énorme en eux. A certains égards, c'est la nature
elle-même qui calme et qui apaise ce trouble ; à certains égards, ce
sont d'autres causes que la nature.
§ 18. Mais, dans l'un et l'autre cas, c'est qu'il s'est produit
certaines altérations et modifications dans le corps, de même qu'il
s'en produit au réveil après le sommeil, et dans l'acte
intellectuel, quand on se trouve dégrisé et qu'on est réveillé
complètement.
§ 19. On voit donc, en résumé, d'après ce qui précède, que l'être
est altéré, et que l'altération ne peut se produire que dans les
choses sensibles et dans la partie sensible de l'âme; et si
l'altération se produit ailleurs, ce ne peut jamais être
qu'indirectement. |
Cn. IV, § 1. Avons-nous
dit, le texte n'est pas tout à fait aussi formel. Voir le
chapitre précédent, § 15. - Par des causes sensibles, cette
expression n'est pas très claire , et elle peut signifier à la fois
et des causes qui sont accessibles à nos sens, et des causes qui
peuvent être elles-mêmes sensiblement affectées. - Dans les
objets, ou dans les êtres. - Aux formes, aux figures, la
différence est difficile à comprendre entre la forme et la figure;
et très souvent on les confond l'une avec l'autre. - Aux
habitudes ou propriétés, il n'y a qu'un seul mot dans le texte.
- Vraiment, j'ai ajouté ce mot.
§ 2. Par le nom de la matière mérite, le texte n'est pas tout
à fait aussi précis. - De la bougie, l'expression pourra
paraître un peu moderne; mais elle est exacte dans le fait qu'elle
représente. Le texte dit :
« La pyramide.
» - Qu'il est
humide, ou fluide. - Et non seulement.., est de l'airain,
il semble que toute cette phrase n'est qu'une interpolation qui gêne
la suite de la pensée.
§ 3. On peut remarquer encore, tout ce § ne fait guère que
reproduire la pensée du précédent. - A se produire et à naître,
il n'y a qu'un seul mot dans le texte. - Ce quelque chose peut
être la matière, c'est ce qui vient d'être dit au § précédent.
§ 4. Les qualités, les manières d'être, il n'y a qu'un seul
mot dans le texte, Voir sur les différentes espèces de qualités les
Catégories, ch. 8, § 3, p. 95 de ma traduction. - Ne sont
pas davantage, c'est-à-dire pas plus que la génération. - La
vertu est une perfection et un achèvement, il n'y a qu'un seul
mot dans le texte. La pensée est aussi juste que belle. - La
déchéance, l'expression grecque a peut-être un sens plus
général. - Des dégradations, l'expression est ici répétée
dans le texte; mais j'ai cru nécessaire de la changer dans la
traduction.
§ 5. Les vertus ou qualités du corps, il n'y a qu'un seul mol
dans le texte; mais Les vertus du corps m'aurait semblé une
expression un peu singulière, et j'ai dû ajouter : ou qualités.
- Spéciales signifie ici... ou détruire l'être, interpolation
probable. - Que les qualités ou façons d'être, il n'y a qu'un
seul mot dans le texte. Voir sur les Relatifs les Catégories,
ch. 7, § 22, p. 89 de ma traduction.
§ 6. La vertu du corps, j'ai ajouté ces derniers mots pour
rappeler qu'il s'agit toujours ici dit corps, comme il s'agira ici
de l'âme dans les §§ suivants. La vertu du corps signifie la santé,
la force, la beauté, l'activité, etc.
§ 7. Des affections, ou qualités.- Elles aussi, voir
plus haut, § 5.
§ 8. Des désordres et des déchéances, il n'y a qu'un seul mot
dans le texte; voir plus haut, § 4.
§ 9. Pour les affections et les passions, il n'y a qu'un seul
mot dans le texte. - Le vice dispose mal, voir le petit
traité des Vertus et des vices, tome III, p. de ma traduction
de la Morale. - De l'âme, j'ai ajouté ces mots, qui
ressortent du contexte et qui rendent la pensée plus claire.
§ 10. Une altération ou un changement, il n'y a qu'un seul
mot dans le texte. - De la partie susceptible de sentir, voir
le Traité de l'âme, Livre II, ch. 5, § 1, p. 498 et suiv. de
ma traduction. - A sentir actuellement, le texte n'est pas
tout à fait aussi précis. - A l'action présente de la sensibilité,
même remarque. - Du genre de celui dont nous parlons ici,
c'est-à-dire du plaisir de la partie sensible de l'âme. - Or,
comme c'est à la suite, etc., répétition de ce qui précède.
§ 11. Avec une certaine altération, et après celte
altération.
§ 12. Pensante et intellectuelle, il n'y a qu'un seul mot
dans le texte. Voir pour la théorie de l'Intelligence le Traité
de l'âme, Livre III, ch. 4, § 9, p. 298 de ma traduction. -
Qu'il y ait génération pour elles, c'est-à-dire qu'elles
naissent, et qu'elles soient après n'avoir point été. Elles
subsistent sans agir, et elles n'agissent qu'en présence des images
que leur transmet la sensibilité, seIon le système d'Aristote. -
Quelque autre chose est survenue, c'est-à-dire l'image d'un
objet sensible. - C'est en quelque sorte par l'universel,
voir les Derniers Analytiques, Livre II, ch. 19, § 7, p. 290,
de ma traduction. Cette théorie se rapproche beaucoup de celle de
Platon.
§§ 13 et 14. Qu'il y ait génération pour l'acte de la vue et du
toucher, en d'autres termes, on ne peut pas soutenir que la
faculté de voir et de toucher naisse au moment même où l'on voit et
où l'on touche ; la faculté existe préalablement, et elle n'entre en
action qu'au moment où l'objet visible parait devant l'organe, et où
l'objet tactile se met eu contact avec le toucher. - Est tout
pareil à ceux-là, c'est-à-dire que l'entendement naît au moment
où il y a quelque chose à comprendre. J'ai suivi d'ailleurs pour
tout ce passage, §§ 12, 13 et 14, la leçon de l'édition de Berlin
qui m'a semblé, quoique fort obscure encore, préférable à celle qu'a
suivie Pacius.
§ 15. Pour une génération, quelques manuscrits ajoutent :
« Et, pour une
altération.
» - Un repos et un
temps d'arrêt, l'intelligence se meut et s'agite tant qu'elle
cherche la science; mais dès qu'elle suit, elle s'arrête et se
repose. - Ainsi qu'on l'a dit antérieurement, voir plus haut,
Livre V, ch. 3, § 4.
§ 16. Quelques instants auparavant, le texte n'est pas tout à
fait aussi précis. - Pour la première fois, la comparaison
n'est pas tout à fait exacte ; mais l'auteur veut dire seulement que
l'ignorance initiale qui précède la science est analogue à certains
égards, aux obstacles factices ou naturels qui s'y opposent dans
l'ivresse et dans le sommeil. - D'un certain trouble physique,
d'autres manuscrits, au lieu de ces mots, donnent ceux-ci : Par
la vertu morale. Ceci semblerait impliquer l'égalité essentielle
de toutes les intelligences; et elles seraient plus ou moins
savantes, selon que le trouble physique qui empêche la science,
serait en elles plus ou moins violent. Sous quelques rapports, cette
théorie revient à la théorie platonicienne de la réminiscence, comme
Simplicius le remarque.
§ 17. Les enfants ne peuvent apprendre, cette théorie, qui se
représente souvent dans Aristote, est aussi exacte que profonde, et
ceci explique comment, par suite de l'appaisement du trouble
physique, l'âge rend presque tous les hommes plus intelligents et
plus sages, indépendamment même de l'expérience et de la réflexion.
- C'est la nature elle-même, par le progrès seul des années.
- Ce sont d'autres causes que la nature, l'éducation, la
pratique de la vie, parfois même les maladies et les souffrances.
§ 18. Quand on se trouve dégrisé, ceci répond à l'ivresse,
dont il a été question plus haut, § 16.
§ 19. Dans les choses sensibles, voir plus haut, § 1. - Et
dans la partie sensible de l'âme, voir plus haut, § 10. La
désignation spéciale de la partie sensible exclut implicitement la
partie pensante et intellectuelle. L'intelligence elle-même est
impassible, et il n'y a d'altération que dans les images et la
faculté où l'entendement les perçoit. C'est là ce que l'auteur
entend par indirectement. |
CHAPITRE V.
De la comparaison des divers mouvements. Les différentes espèces de
mouvements ne sont pas comparables entre elles. Conditions générales
qui rendent la comparaison possible. Il ne faut pas que les choses
comparées soient homonymes; mais il faut que le genre premier des
choses comparées soit identique. - Application de ces principes aux
mouvements; égalité de vitesse; comparaison de l'altération et de la
translation dans l'espace. |
§ 1. C'est une question de
savoir si tout mouvement est comparable ou n'est pas comparable avec
tout autre mouvement quelconque.
§ 2. Si l'on admet que tous les mouvements sont comparables, et si
le corps qui parcourt un égal espace dans un temps égal, est doué
d'une égale vitesse, il en résultera qu'une ligne circulaire sera
égale à une droite, ou plus grande ou plus petite.
§ 3. Il en résulterait encore qu'une altération serait égale à une
translation, pourvu que ce fût dans un temps égal que l'un des deux
corps fût altéré et que l'autre fût transporté. Ainsi, telle
affection serait égale à telle longueur. Mais cela ne se peut. Il y
a bien égalité de vitesse, quand le mouvement est égal dans un temps
égal ; mais jamais une affection ne peut être égale à une longueur.
Donc il n'y a pas d'altération égale à une translation, ni moindre
qu'une translation. Donc non plus, tout mouvement n'est pas
comparable à tout mouvement.
§ 4. Mais quels sont ici les vrais rapports du cercle et de la droite? Il
serait absurde de croire que deux objets ne puissent pas avoir un mouvement
pareil, l'un en cercle, et l'autre en ligne directe, mais qu'il faille de toute
nécessité que l'un soit plus rapide et l'autre plus lent, comme dans le cas où
l'un descendrait une pente et où l'autre la remonterait.
§ 5. Du reste, il
n'importe pas non plus, pour soutenir ce raisonnement, de dire qu'il faut
nécessairement que le mouvement soit plus rapide ou plus lent; et que si la
circonférence peut être ou plus grande ou plus petite que la droite, elle
pourra, par conséquent, aussi être égale. Soit, par exemple, dans le temps A,
l'un des corps parcourant la distance B,et l'autre la distance C, B doit être
alors plus grand que C; car c'est là ce que nous comprenions par un mouvement
plus rapide. De même que, si le mouvement est égal dans un temps moindre, c'est
que le corps est aussi plus rapide, Donc, il y aura une partie du
temps A dans laquelle le corps B parcourra une portion égale du
cercle, tandis que le corps G parcourra la ligne G dans le temps A
tout entier.
§ 6. Que si ces deux mouvements sont comparables, alors se produit
la conséquence qu'on vient de dire, à savoir que la droite est égale
au cercle. Mais ces deux derniers termes ne sont pas comparables
entre eux; et, par conséquent, les mouvements ne le sont pas
davantage.
§ 7. Mais il faut que les choses ne soient pas simplement homonymes,
pour qu'elles soient comparables enre elles. Par exemple, pourquoi
ne peut-on pas comparer d'une part le stylet dont on se sert pour
écrire, d'autre part le vin qu'on boit et la note que l'on chante,
pour savoir lequel des trois est le plus aigu? C'est parce que ces
trois choses sont homonymes qu'elles ne sont pas comparables. Mais
on peut fort bien comparer la tonique et la
dominante, parce que pour l'une et pour l'antre l'expression d'Aiguë a tout à
fait le même sens. Mais l'expression de Rapide n'est-elle pas prise des deux
parts dans la même acception? Et cette expression l'est-elle moins dans
l'altération et dans la translation?
§ 8. Mais d'abord ne peut-on pas se
demander s'il est bien vrai que les choses soient comparables, du moment
qu'elles ne sont pas homonymes? Ainsi, Beaucoup signifie la même chose, soit
qu'on l'applique à l'eau, soit qu'on l'applique à l'air; et cependant l'air et
l'eau ne sont pas comparables. Si l'on ne veut pas prendre cet exemple, on peut
prendre celui du double ; le double est bien le même, puisque c'est toujours
deux par rapport à un; et pourtant les termes ne sont pas comparables.
§ 9. Mais la raison est-elle bien la même dans ces cas divers? Ainsi, le mot
Beaucoup lui-même est homonyme; et il y a des choses pour lesquelles les
définitions sont homonymes comme les mots. Par exemple, quand on dit
que Beaucoup signifie Tant et quelque chose encore de plus. Tant et Égal sont
alors homonymes. Un peut a certains égards aussi passer pour homonyme; et, si Un
est homonyme, Deux l'est également.
§ 10. Et pourquoi alors tels objets sont-ils
comparables, tandis que d'autres ne le sont pas, si au fond leur nature est
une
et la même? Est-ce parce que le primitif qui les reçoit originairement est
différent? Par exemple, on peut bien comparer un cheval et un chien et se
demander lequel des deux est le plus blanc; car le primitif de la blancheur est
le même de part et d'autre; à savoir la surface. Même remarque pour la grandeur.
Mais l'eau et la voix ne sont pas comparables, parce qu'elles sont dans un tout
autre primitif.
§ 11. Cependant, n'est-il pas évident que de cette façon on
pourrait tout identifier et tout confondre, en disant seulement que chaque objet
est dans un primitif différent?
Ainsi l'égal, le doux et le blanc se confondraient pour tout, et l'on dirait
seulement qu'ils sont dans différents primitifs.
§ 12. Ajoutez que ce récipient
primitif n'est pas arbitraire; mais il n'y en a qu'un seul pour chaque qualité.
§ 13. Ainsi donc, les termes que l'on compare doivent non seulement ne pas être
homonymes; mais encore il ne doit pas y avoir de différence, ni pour l'objet
comparé, ni pour l'espèce dans laquelle il est. Je m'explique. La couleur, par
exemple, est susceptible de différence ou de division. L'objet n'est donc pas
comparable sous ce rapport général, en ce sens que l'on ne peut pas se demander
si un objet est plus coloré que tel autre, si l'on ne spécifie pas telle
couleur, et si l'on ne parle de la couleur qu'en tant que couleur; mais il faut
indiquer spécialement si cet objet est plus ou moins blanc.
§ 14. Tout de même
aussi pour le mouvement, on dit d'un mobile qu'il a une vitesse égale, lorsque
dans un temps égal il parcourt une
égale distance de telle dimension. Mais si dans le même intervalle de temps, une
partie de la grandeur a été altérée et modifiée, tandis qu'une autre partie a
été déplacée, peut-on dire que l'altération même de la chose est égale a, son
déplacement et d'une égale vitesse? Ce serait absurde, parce que le mouvement a
des espèces qui ne se ressemblent pas.
§ 15. Par conséquent, si les mobiles qui, dans un temps égal, parcourent une
distance égale, sont animés d'une égale vitesse, il s'ensuivra que la droite et
la circonférence sont égales.
§ 16. Et pourquoi? Est-ce parce que la translation
est un genre, on que la ligne est un genre aussi. Le temps d'ailleurs étant
toujours le même et indivisible en espèce? Ou bien est-ce parce que la
translation et la ligne ont en même temps des espèces différentes? Car la
translation a des espèces du moment qu'en a aussi la direction selon laquelle
elle se meut.
§ 17. Elle en a même sous le rapport du moyen par lequel elle
s'accomplit; si c'est par des pieds, on l'appelle la marche; si c'est par
des
ailes, on l'appelle le vol. Ou bien cela est-il
inexact? Et est-ce seulement dans ses formes que la translation est différente?
§ 18. Par conséquent, les mobiles qui, dans un temps égal, se meuvent d'une même
distance, ont une vitesse égale. Mais, par la même distance, j'entends celle qui
ne diffère pas en espèce ; et par le même mouvement, j'entends celui dont
l'espèce ne diffère pas non plus.
§ 19. Ainsi, il faut bien regarder quelle est la différence du mouvement.
§ 20.
Cette discussion démontre encore que le genre n'est pas une unité, et qu'il
cache et renferme en lui bien d'autres termes.
§ 21. Or, parmi les homonymies,
il y en a qui sont fort éloignées; il y en a d'autres qui ont, au contraire, une
certaine ressemblance. Mais celles qui sont fort rapprochées les unes des
autres, soit par le genre, soit par l'analogie, ne semblent plus être des
homonymies, bien qu'elles en soient de très réelles.
§ 22. Quand donc l'espèce est-elle différente? Est-ce quand elle est
la même dans un autre sujet? Ou quand elle est elle-même autre dans
un sujet autre aussi? Quelle est la limite? Et comment jugeons-nous
que le blanc et le doux sont une même chose ou des choses
différentes? Est-ce parce que la qualité paraît différente dans un
sujet différent? Ou bien est-ce parce qu'en soi elle n'est pas du
tout la même?
§ 23. Mais, pour en revenir à l'altération, comment telle altération
pourra-t-elle être égale en vitesse à telle autre altération ? Par
exemple, si la guérison est une altération, il est possible que tel
malade guérisse vite et que tel autre guérisse lentement, de même
qu'il est possible que d'autres malades encore guérissent en même
temps. On peut dire alors que l'altération a été d'une égale
vitesse, puisque le malade s'est modifié et altéré dans un temps
égal.
§ 24. Mais, dans ce cas, qu'est-ce qui s'est altéré et modifié? Car
ici il ne peut être question d'égalité. Mais ce qu'est l'égalité dans la catégorie de
la quantité, la ressemblance l'est dans le cas dont nous nous occupons ; et nous
posons qu'on doit
entendre par vitesse égale le même changement se faisant dans un temps égal.
§ 25. Que faut-il donc comparer? Est-ce l'objet dans lequel réside l'affection,
ou bien l'affection même? Dans l'exemple qu'on vient de citer, comme la santé
est identique, on peut dire qu'il n'y a pour les malades, ni de plus, ni de
moins, mais que tout est semblable pour eux. Que si l'affection est différente,
et si, par exemple, d'un côté la modification s'applique à quelque chose qui
blanchit, et de l'autre côté à quelque chose qui guérit, il n'y a plus, dans
ces deux cas, même identité, ni pour l'égalité, ni pour la ressemblance, en tant
que ce sont là autant d'espèces différentes de l'altération, qui cesse alors
d'être mue aussi bien que la translation.
§ 26. Reste donc à savoir combien il y
a d'espèces d'altération, et combien il y a d'espèces de translation.
§ 27. Si donc les mobiles, quand les mouvements sont considérés comme en soi et
essentiels, et non point comme purement accidentels, diffèrent en espèce, leurs
mouvements diffèreront aussi en espèces. Si les mobiles diffèrent en genre, les
mouvements différeront en genre également, et s'ils diffèrent en nombre, leurs
mouvements différeront en nombre aussi.
§ 28. Mais alors faut-il regarder à
l'affection pour savoir, quand elle est identique, ou seulement pareille, si les
altérations sont d'égale vitesse? Ou faut-il regarder à l'objet altéré, et
regarder, par exemple, si l'un des objets blanchit de telle quantité, et
si l'autre blanchit de telle autre quantité? Ou bien enfin faut-il regarder aux
deux, c'est-à-dire à l'affection et à l'objet? L'altération dans l'affection
donnée est, ou la même, ou différente, si l'affection est identique ou
différente ; l'altération est égale ou inégale, si l'affection est égale ou
inégale elle-même.
§ 29. Dans la génération et la destruction des choses, il faut faire la même
recherche. Ainsi, comment la génération peut-elle être de vitesse égale ? Elle
est égale, si dans un temps égal le même être et le même individu, tel que
l'homme, par exemple, et non l'animal, est produit. La génération est plus
rapide, si c'est un être autre
qui est engendré dans un temps égal ; car nous ne trouvons pas ici deux êtres
dont on pourrait indiquer la diversité, comme entre d'autres on indique la
dissemblance. Si l'on dit que la substance est un nombre, on peut répondre que
le nombre peut être plus ou moins fort, tout en étant de la même espèce. Mais la
propriété commune à l'un et à l'autre n'a pas reçu de nom ; et de même qu'une
affection qui est plus forte, et qui est prépondérante s'exprime par Plus, de
même sous le rapport de la quantité, on dit qu'une chose est plus grande.
|
Ch. V, § 1. C'est une
question de savoir, la nouvelle question discutée dans ce
chapitre ne manque ni d'intérêt, ni d'importance; mais elle n'est
pas suffisamment rattachée à toutes celles qui précèdent. - Avec
tout autre mouvement quelconque, voir plus haut, Livre V, ch. 2,
la réduction de tous les mouvements à trois : translation ou
déplacement dans l'espace, altération et accroissement ou
diminution. Dans ce qui va suivre, l'auteur comparera l'altération à
la translation; et dans la translation, il comparera aussi la
translation circulaire à la translation en ligne droite. Voir la
Préface.
§ 2. Une ligne circulaire sera égale à une droite, ce qui est
impossible, en supposant que l'une et l'autre ligne partent du même
point et aboutissent au même point ; car la définition de la ligne
droite, c'est qu'elle est la plus courte ligne entre deux points; la
ligne courbe est donc plus longue et ne peut pas être égale. Le
texte dit Circulaire; mais c'est Courbe qu'il faudrait dire.
§ 3. Il en résulterait encore, le texte est moins précis. - Une
altération, c'est-à-dire un mouvement ou un changement dans la
catégorie de la qualité. - A une translation, c'est-à-dire à
un mouvement dans l'espace. - Telle affection, ou telle
qualité. - A telle longueur, ou à telle quantité. Mais il est
impossible qu'une qualité soit égale à une longueur, et la
séparation des catégories, ou en d'autres termes, des idées, s'y
oppose. - Donc non plus, c'est
la conclusion que l'auteur énonce ici, et qu'il va prouver dans le reste du
chapitre.
§ 4. Les vrais rapports, l'expression du texte est un peu plus vague. -
Du
cercle et de la droite, dont il n été question plus haut, § 2. En d'autres
termes : «
Ne peut-on pas comparer le mouvement circulaire au mouvement en ligne
droite? »
L'auteur va soutenir contrairement à ce qui a été dit au
§ 2, que les deux
mouvements sont comparables. - L'un soit plus rapide et l'autre plus lent, et
que, par conséquent, les mouvements étant inégaux , ils ne soient plus
comparables.
§ 5. Par conséquent aussi lui être égale, les commentateurs font remarquer qu'il y a des choses qui peuvent être plus grandes ou plus petites sans
pouvoir être jamais égales. Ainsi, un cercle et un carré peuvent être ou plus
petits ou plus grands l'un que l'autre ; ils ne peuvent jamais être égaux, parce
que le diamètre est incommensurable à la circonférence. - Soit, par exemple,
l'exemple qui est cité ici tend à prouver que la ligne circulaire et la ligne
droite peuvent être égales. - Dans le temps A, qui reste égal pour les deux
corps. - Il doit être alors plus grand que C, puisque l'on suppose que le
premier corps est plus rapide que le second. - Ce que nous comprenions, voir
plus haut, Livre VI, ch. 1, § 10, la définition du
mouvement plus rapide. - Dans laquelle le corps D, qui est le plus rapide des
deux. - Le corps C parcourra la ligne C, les corps sont désignés par les mêmes
lettres que les lignes qu'ils parcourent.
§ 6. Si les deux mouvements sont comparables, c'est-à-dire si le mouvement
circulaire que décrit B est égal au mouvement en ligue droite que décrit C. -
Qu'on vient de dire, un peu plus haut, § .2. - Les mouvements ne le sont
pas
davantage, c'est ce que l'auteur veut prouver, bien qu'il présente aussi les
arguments en sens contraire.
§ 7. Le vin qu'on boit, on ne dit pas du vin dans notre langue qu'il est aigu ;
on dit qu'il est aigre ou acide ; mais en grec le même mot s'applique très bien
aux trois choses : le stylet, le vin et la note. Nous disons aussi d'une noir en
musique qu'elle est aigre comme nous le disons du vin ; mais on ne le dit pas
d'un stylet, lequel n'est qu'aigu. Pour la définition des Homonymes, voir les
Catégories, ch. 1, § 1, p. 53 de ma traduction. - La
tonique et la dominante,
qui sont toutes les deux des notes. J'ai pris ces expressions musicales,
quoiqu'elles ne
s'accordent peut-être pas fort bien avec le système musical des Grecs. - Des
deux parts, le texte dit :
« Ici et là,
» c'est-à-dire pour le mouvement
circulaire, et le mouvement en ligne droite. - Cette expression l'est-elle
moins. A cause de ce qui sait dans le § 8 et le § 9, on pourrait traduire aussi
: «
L'expression de Beaucoup est-elle moins pareille dans l'altération,
etc.
»
§ 8. Du moment quelles ne sont pas homonymes, et s'il ne faut pas par conséquent
une autre condition
encore, pour que les choses soient comparables entr'elles. - L'air et l'eau ne
sont pas comparables, cette pensée aurait besoin d'être expliquée; car l'air et
l'eau peuvent être comparés à bien des égards, si, sous d'autres rapports, ils
ne peuvent pas l'être. - Les termes, auxquels s'applique l'expression de Double.
§ 9. Le mot Beaucoup lui-même est homonyne, il aurait été nécessaire
d'expliquer en quel sens on entend l'homonymie du mot Beaucoup. - Les
définitions sont homonymes,
voir les Topiques, Livre I, ch. 15, § 14. - Signifie Tant et quelque chose de
plus, cette signification de Beaucoup peut être vraie; mais d'ordinaire elle
n'est pas aussi précise; et ce serait plutôt l'expression de Davantage qu'il
faudrait substituer à celle de Beaucoup. - Un peut aussi passer pour homonyme,
ceci aurait encore besoin d'explication.
§ 10. Une et la même, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. -
Le primitif qui
les reçoit originairement, on verra, par les exemples suivants, que le primitif
pour la couleur c'est la surface, de même que
pour la grandeur c'est le corps. - De part et d'autre, dans le cheval et le
chien. - La surface, parce que c'est à la surface d'abord que se rapporte la
couleur, et ce n'est que médiatement qu'elle se rapporte à l'animal, soit
cheval, soit chien. - Pour leur grandeur, si on compare un cheval et un chien
sous le rapport de la grandeur, le primitif sera le corps pour l'un et pour
l'autre. - L'eau et la voix, citées dans les exemples précédents du
§ 7 et du § 8.
§ 11. Cependant, n'est-il pas évident, objection contre la théorie qui vient
d'être exposée dans le § précédent. - Le doux, pourrait s'appliquer à la fois, par exemple, à la voix et à
l'eau; mais ce serait une erreur de croire que la douceur suit la même close,
quand on l'applique à une voix harmonieuse, ou à une saveur agréable. On ne peut
pas dire qu'il y ait identité, eu ajoutant seulement que les récipients ne sont
pas les mêmes.
§ 12. Ajoutez, ce § pourrait bien n'être qu'une interpolation, et une note de
quelque commentateur, qui serait entrée dans le texte. La pensée d'ailleurs est
tout à fait conforme à la doctrine aristotélique. - Pour
chaque qualité, l'expression du texte est plus indéterminée; mot à mot :
« Un
pour un. »
§ 13. Ne pas être homonymes, voir plus haut, § 7. - Ni pour l'espèce, le texte
n'est pas aussi précis ; mais ce sens plus déterminé résulte de ce qui suit. -
De différence ou de division, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. -
L'objet,
il vaudrait peut-être mieux dire :
«
Les objets,
» au pluriel. -
Général, j'ai
ajouté ce mot. - Si l'on ne spécifie pas telle couleur, le texte n'est pas tout
à fait aussi précis.
§ 14. Tout de même aussi pour le
mouvement, il faut distinguer soigneusement les espèces. - Altérée et modifiée,
il n'y a qu'un seul mot dans le texte. - Le mouvement a des espèces, il faut en
distinguer au moins trois ; l'accroissement, l'altération et le déplacement.
Voir plus haut, Livre V, ch. 2, § 2.
§ 15. La droite et la circonférence sont égales, voir plus
haut, § 2. Cette conclusion est amenée ici trop brusquement, et on
ne voit point assez ce qui la justifie. Elle sera expliquée en partie du moins par ce qui suit.
§ 16. La translation est un genre, et au § 18, il a été établi que les choses
doivent être comparées sous le rapport de l'espèce et non du genre. - La
direction selon laquelle elle se meut, c'est-à-dire que la transla lion est
circulaire ou en ligne droite, tout de même que la ligne est circulaire ou
droite. Les espèces sont les mêmes de part et d'autre.
§ 17. Si c'est par des pieds, au
fond le déplacement est le même ; et il ne diffère que dans ses formes, comme il
sera dit à la fin de ce même §. - Dans ses formes, et non essentiellement.
§ 18. Par conséquent, on ne voit pas bien comment ceci est la conclusion de ce
qui précède. - Celle qui ne diffère pas en espace, par exemple, la translation
circulaire et la ligne droite. L'édition de Berlin a ici une leçon un peu
différente; j'ai préféré la leçon ordinaire.
« J'entends par le même qu'il n'y
nit pas de différence d'espèce, non plus que de différence de mouvement.
«»
§ 19. Quelle est la différence du mouvement, de même que plus haut, § 13, il a
été recommandé de regarder aux espèces particulières de la couleur.
§
20. Le genre n'est pas une unité, ceci est une digression qui s'écarte du sujet.
- Bien d'autres termes, c'est-à-dire bien des espèces.
§ 21. Parmi les homonymies, continuation de la digression, qui ne semble plus se
rattacher au sujet assez directement. Ces observations d'ailleurs sont justes en
même temps que délicates. - Soit par le genre, les commentateurs citent
l'exemple d'un homme en vie, et d'un homme en peinture, qu'on appellerait tous
deux Homme, par une simple homonymie. - Soit par l'analogie, comme on dit le
pied d'un arbre, et le pied d'une montagne.
§ 22. L'espèce est-elle différente...
la même, il y a contradiction jusque dans les termes. - Le blanc et le doux,
voir plus haut, § 10, l'exemple de la blancheur dans deux animaux différents. -
La qualité paraît différente, voir la note du § 11. La
douceur n'est pas la même, selon qu'on l'applique à la voix ou à une
saveur. - Elle n'est pas en soi du tout la même, c'est là la vraie solution.
§ 23. Pour en revenir à l'altération, l'expression du texte n'est pas aussi formelle. Je l'ai précisée
davantage pour montrer que tout ceci est une digression. - Egale en vitesse, voir plus haut,
§ 3. - Tel malade guérisse vite, l'exemple peut
paraître assez inattendu. - Modifié
et altéré, il n'y a qu'un seul mot
dans le texte. Le malade s'altère quand il guérit; car alors, en effet, il
devient autre qu'il n'était.
§ 24. Dans le cas dont nous nous occupons, c'est-à-dire dans la catégorie de la
qualité.
§ 25. Que faut-il donc comparer, voir plus haut, § 3 et § 7. - La modification,
ou l'altération. - Qui blanchit... qui guérit, le mouvement d'altération a bien
toujours lieu dans la catégorie de la qualité; mais les espèces sont
différentes, et la blancheur se distingue de la guérison. - Ni pour l'égalité,
il semble que l'égalité appartenant à la catégorie de la quantité, taudis que la
ressemblance appartient à la qualité, ce ne sont pas là, comme le dit le texte, des
espèces de l'altération, qui n'est que dans la catégorie de la qualité. -
Qui
cesse d'être une, c'est-à-dire qui a plusieurs espèces. - Aussi bien que la
translation, qui peut être circulaire ou en ligne droite.
§ 26. Reste donc à savoir, pour pouvoir établir convenablement la comparaison
qu'on veut faire, et qui ne doit avoir lieu qu'entre les espèces.
§
27. Différeront aussi en espèces... en genre... et en nombre, il et été bon de
donner des exemples réels pour éclaircir toutes ces généralités.
§
28. Si les altérations sont d'égale vitesse, voir plus haut, V 23, et aussi § 3.
L'auteur revient ici à la question posée dans le § 25. - Si l'affection est
identique, des exemples réels auraient rendu tout ceci beaucoup plus clair,
§
29. Dans la génération et la destruction des choses, c'est une troisième espèce
de mouvement après l'altération et la translation. - La génération peut-elle
être de vitesse égale, voir plus haut la même question pour l'altération, §
23, et § 4 pour la translation ou déplacement dans l'espace. - Un être autre,
ceci doit s'entendre, non point d'un être d'un genre différent, ni même d'une
espèce différente, mais du même être
qui devient autre, en supposant qu'il devienne plus parfait, et qu'alors il lui
faille plus de temps pour arriver à cette perfection relative. Mais l'expression
du texte est certainement très obscure à force de concision. - A l'un et
à
l'autre, c'est-à-dire aux deux êtres qu'on veut comparer, et qui sont identiques
sous le rapport de la substance. - S'exprime par Plus, c'est-à-dire que, par
exemple, on dit d'une chose qu'elle est
plus douce ou plus blanche qu'une autre. - Est plus grande, quand on parle de
quantité, il faut ajouter toujours que l'une des deux choses comparées est plus
grande que l'autre, tandis que dans la catégorie de la qualité, il suffit de dire
qu'une chose est plus telle chose que ne l'est l'autre chose. A la fin de ce
long chapitre, il eût été bien nécessaire de résumer en quelques mots tout ce qui précède. Voir la Paraphrase. |
CHAPITRE VI.
De la proportionnalité des mouvements selon les forces qui agissent, selon les
mobiles qui résistent, selon le temps écoulé et selon l'espace parcouru;
démonstrations diverses. - Réfutation du sophisme de Zénon sur l'action de
chacun des grains composant un tas de blé. - Combinaison des forces; application
de ces principes aux mouvements d'altération et d'accroissement. |
§ 1. Le moteur meut toujours quelque chose, dans un certain espace et dans une
certaine mesure; par un certain espace, j'entends un certain espace de temps; et
par une certaine mesure, je veux dire une certaine longueur; car toujours le
moteur meut en même temps qu'il a mu, et ce qui a été mu sera une certaine
quantité, qui elle-même sera mue dans une certaine quantité.
§ 2. Soit donc A le
moteur, B le mobile, et C la quantité dont il a été mu. Le temps durant lequel
le mouvement a eu lieu, sera représenté par D. Dans un temps égal, la puissance
égale représentée par A, fera faire à la moitié de B un mouvement qui sera le double de C; et il fera parcourir la distance C dans la moitié
du temps D ; car ce sera là la proportion.
§ 3. Si dans tel temps donné la même
puissance meut le même mobile de telle quantité, il produira la moitié de ce
mouvement dans un temps moitié moindre. La moitié de la force produira la moitié
du mouvement, dans un temps égal sur un mobile égal. Par exemple, soit la
puissance E, moitié de la puissance A; et F moitié de B. Les rapports restent
les :mêmes, et la force est en proportion avec le poids à mouvoir. Par
conséquent, ces deux forces produiront le même mouvement dans un temps égal.
§ 4. Si E meut F d'un mouvement C dans le temps D, il n'en résulte pas
nécessairement que dans un temps égal E puisse mouvoir le double de F, de la
moitié de C.
§ 5. Si A meut le mobile B dans le temps D d'une quantité égale à
C, la moitié de A représentée par E ne pourra pas mouvoir B dans le temps D.
Elle ne pourra
pas non plus faire parcourir au mobile une partie de C, ou' telle partie
proportionnelle qui serait à C tout entier comme A est à E; car ce cas posé, il
n'y aura pas du tout de mouvement. S'il faut, en effet, la force tout entière
pour mouvoir telle quantité, la moitié de la force ne pourra la mettre en
mouvement, ni d'une certaine distance, ni dans une proportion de temps
quelconque ; car alors il suffirait d'un homme tout seul pour mettre un navire
en mouvement, si l'on pouvait ainsi diviser la force de tous les matelots, soit
relativement au nombre, soit relativement à la longueur que tous réunis ont pu
faire ensemble parcourir au bâtiment.
§ 6. Aussi, c'est là ce qui montre que Zénon se trompe quand il prétend qu'une
partie quelconque du tas de grains doit faire du bruit; car rien n'empêche que,
dans aucun espace de temps, cette partie ne soit hors d'état de mouvoir cet air
que le médimne entier a pu mouvoir en tombant. Elle ne peut même pas, quand elle
est en soi et isolée, mouvoir autant d'air qu'elle en mettrait en mouvement sur
la totalité; car aucune partie n'a même de puissance que quand elle est dans
le tout.
§ 7. Que si l'on suppose deux forces au lieu d'une; et que chacune
de ces forces meuvent chaque mobile de telle quantité dans tel temps
donné, les cieux forces réunies pousseront le poids total formé de
la réunion des poids d'une quantité égale, dans un temps égal ; car
c'est la la proportion.
§ 8. Mais en est-il encore ainsi de l'altération et de
l'accroissement ? D'un côté il y a ce qui accroît ; de l'autre, ce
qui est accru. L'un accroît dans un certain temps, et d'une certaine
quantité; l'autre est accru dans les mêmes conditions. De même
l'altérant et l'altéré sont modifiés en plus et en moins, d'une
certaine façon et dans une certaine mesure, et dans un certain
temps. Dans un temps double, l'objet changera le double, et s'il a
changé le double, c'est dans un temps double ; dans la moitié du
temps, il changera de moitié, et s'il a changé de moitié, c'est dans
la moitié du temps ; ou parfois le double dans un temps égal. Mais
si l'altérant et l'accroissant altèrent ou accroissent de telle
quantité dans tel temps donné, il ne s'ensuit pas nécessairement que
la moitié fasse la moitié, ou que la moitié agisse deux fois moins
dans un temps deux fois moindre. Mais il se peut fort bien aussi
qu'il n'y ait aucune altération, ni aucun accroissement, comme cela
avait lieu aussi dans le cas de la pesanteur.
FIN DU LIVRE VII |
Ch. VI, § 1. Le moteur meut toujours quelque chose, il y a quatre termes à
considérer dans le mouvement : le moteur, le mobile, le temps et la distance
parcourue. - En même temps qu'il a mu, c'est ce qui a été démontré
plus haut, Livre VI, ch. 10, § 4. - Une certaine quantité, c'est le mobile. -
Dans une certaine quantité, c'est l'espace que
parcourt le mobile.
§ 2. C la quantité dont il a été mu, c'est-il-dire la distance parcourue sous
l'action du moteur, qui reste le même. - Dans un temps égal, cette première
régit est un des principes fondamentaux de la dynamique. Une force égale dans un temps égal fait
parcourir un espace double à un poids moitié moindre. - Et il fera parcourir la
distance C, c'est là une seconde règle, qu'il aurait fallu distinguer davantage
de la première. Une force égale dans un temps moitié moindre fait parcourir une
distance égale à un poids moitié moindre. - Car ce sera lui la proportion, entre
les moteurs et les mobiles, entre les distances et les temps.
§ 3. Il produira la moitié du mouvement, troisième règle : Une force
égale meut un poids égal d'une distance moitié moindre dans un temps moindre. -
La moitié de la force, quatrième
règle : Une force moitié moindre meut un poids moitié moindre d'une distance
égale dans un temps égal. Cette quatrième règle n'est pas dans le texte assez
expressément distinguée de la troisième. - Ces deux forces, celle de la première
règle, et celle de la quatrième.
§
4. Il n'en résulte pas nécessairement, mais il peut y utuir des cas où cela est
possible. Il aurait été bon de spécifier au moins un de ces cas.
§
5. Si A meut le mobile B, c'est l'hypothèse générale posée dans le § 2. -
Ne
pourra pas mouvoir B dans
le temps D, il semble qu'il faut ici ne prendre que la moitié de B ou que la
moitié de D ; mais les manuscrits n'offrent pas de variante. - Comme A est
à
E, il semble qu'il faut renverser le rapport et dire :
«
Comme E est à A.
» -
Ce cas posé, c'est-à-dire que la moitié de la force ne
pourra pas imprimer le moindre mouvement au mobile. - Il suffirait d'un homme tout
seul, la comparaison est ingénieuse et frappante.
§ 8. Une partie quelconque du tas de grains, par exemple un seul et unique
grain. On suppose qu'un tas de grains tombe de haut et fait en tombant un grand
bruit. Zénon prétend que chaque grain pris à part doit faire sa part de bruit.
On nie cette conséquence; mais quand on dit que le grain tout seul ne fait pas
de bruit, on veut dire un bruit perceptible à nos sens. - Sur la totalité, de
l'air que le boisseau de grains déplace en tombant. - Dans le tout,
c'est-à-dire que, en dehors de la totalité du boisseau de grains, un
grain n'est rien par lui-même, et qu'il n'agit que par son rapport
au tout,
§ 7. Que si l'on suppose deux forces, après avoir considéré
les forces isolément, l'auteur les étudie dans leur combinaison.
Deux forces égales réunies poussent un poids double à une même
distance, et dans un même temps. - Car c'est la la proportion,
voir plus haut, § 2.
§ 8. De l'altération et de l'accroisserment, autre espèce de
mouvement, que l'auteur étudie après la translation ou le mouvement
dans l'espace. - Modifiés en plus et en moins, c'est-à-dire
que la force qui altère est plus ou moins grande, et que
l'altération produite est en proportion de la force altérante. -
Il ne s'ensuit pas nécessairement, voir plus haut, § 4,
une restriction analogue. - Dans le cas de la pesanteur, dans
les exemples cités plus haut, il s'agissait de forces agissant sur
des poids pour les mouvoir. C'est à quoi l'on fait allusion
ici.
Voir sur ce septième Livre tout entier la Dissertation préliminaire sur
la composition de la Physique.
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