DISCOURS CONTRE P. VATINIUS.
[1] I. Si je n'avais voulu, Vatinius, que te rendre la seule justice que tu
mérites, j'aurais rempli le vœu le plus ardent de ceux qui m'écoutent en
dédaignant d'adresser la parole à un infâme dont la vie honteuse et les
turpitudes domestiques ne laissent aucun poids à son témoignage : car nul ici ne
voyait en toi un adversaire assez important pour qu'il fallût te réfuter, ni un
témoin assez consciencieux pour t'interroger. Mais peut-être me suis-je laissé
emporter au delà des bornes. Je te hais : ce sentiment, que ton crime envers moi
doit rendre si fort dans mon cœur, et qui cependant l'est encore plus dans celui
des autres, m'a fait oublier que tu ne m'inspirais pas moins de dégoût que
d'horreur, et je n'ai pu souffrir que mon mépris te préservât des coups de ma
haine. Ne t'étonne donc pas que je te fasse l'honneur de t'interroger, quoiqu'il
n'y ait personne qui ne rougisse de se rencontrer avec toi, qui ne craigne de
t'aborder, de te donner son suffrage; personne qui te croie digne du titre de
citoyen, et même de voir la lumière du jour. Jamais je ne me serais abaissé
jusque-là, si je n'avais pas voulu mettre un frein à ton insolence, réprimer ton
audace, arrêter par quelques interrogations ton impudente loquacité. Ne
devais-tu pas, Vatinius, en supposant même que P. Sextius t'eût suspecté sans
raison, me pardonner de m'être rendu à ses instances, et d'avoir, dans le péril
pressant qui le menaçait, épousé les intérêts, écouté la voix de l'homme qui
m'avait rendu tant de services? Mais hier tu mentis, lorsque tu assuras dans ta
déposition que, bien loin de t'être concerté avec Albinovanus pour accuser
Sextius, tu ne lui avais jamais parlé : tu mentis, et c'est toi-même qui, sans y
réfléchir, viens de nous l'apprendre, en disant que T. Claudius t'avait
communiqué ses projets, qu'il t'avait consulté sur son plan d'accusation contre
P. Sextius: en disant que cet Albinovanus, que tu avais déclaré t'être à peine
connu, est venu chez toi, qu'il est entré avec toi dans beaucoup de détails ;
que tu lui as remis par écrit les harangues de P. Sextius, dont il n'avait
aucune connaissance, et qu'il n'avait pu se procurer; que ces harangues ont été
lues en pleine audience. D'une part, tu es convenu d'avoir suborné et endoctriné
les accusateurs; puis, d'autre part, tu n'as repoussé le reproche
d'inconséquence qu'en laissant voir dans ta conduite une complication
d'étourderie et de parjure. Enfin n'as-tu pas dit que le même homme qui, à t'en
croire, n'avait aucune liaison avec toi, était venu dans ta maison, et que celui
que tu avais d'abord jugé d'intelligence avec l'accusé, avait reçu de toi les
pièces qu'il t'avait demandées pour appuyer son accusation?
[2] II. Ton caractère est trop violent, trop altier; tu n'imagines pas qu'il
soit permis à qui que ce soit de prononcer un mot qui n'arrive doux et flatteur
à ton oreille. Tu es venu ici furieux contre tout le monde : il m'a suffi de
t'envisager pour m'en convaincre, avant même que tu n'ouvrisses la bouche. Je
t'avais bien jugé pendant la déposition de Gellius, ce père nourricier de tous
les séditieux. Je t'ai vu venir, je t'ai deviné : car soudain tu t'es élancé
comme un serpent de son repaire, les yeux flamboyants, le cou gonflé, les
muscles tendus. J'ai cru me retrouver au temps de ton tribunat. Et, d'abord, tu
m'as reproché d'avoir défendu Cornelius, mon ancien ami, quoiqu'il soit aussi
ton intime. Ne sais-tu pas que, dans notre république, on est souvent blâmé pour
accuser comme tu fais, et jamais pour défendre? Mais, je te le demande, pourquoi
n'aurais-je pas défendu C. Cornelius? Cornelius a-t-il porté quelque loi malgré
les auspices? a-t-il enfreint les lois Élia et Fufia? s'est-il porté à des
violences contre un consul? a-t-il investi la tribune de gens armés, repoussé à
force ouverte l'opposition d'un tribun, profané les rites religieux, épuisé le
trésor, ruiné la république? Tous ces crimes sont les tiens; oui, les tiens,
Vatinius. Rien de tel n'a été reproché à Cornelius; il avait lu, disait-on, un
projet de loi. On a dit pour sa défense, et ses collègues l'ont attesté, que
c'était non pour proclamer cette loi, mais pour qu'elle fût révisée. Il est
certain du moins qu'il congédia l'assemblée et respecta l'opposition ; mais toi,
qui me blâmes d'avoir défendu Cornelius, quelle cause porteras-tu à tes
défenseurs, ou plutôt de quel front oseras-tu les aborder? Tu leur annonces déjà
la honte qui les attend s'ils prennent ta défense, puisque tu crois pouvoir me
reprocher comme un méfait d'avoir pris celle de Cornelius. Cependant, Vatinius,
rappelle-toi que ce fut peu de temps après cette défense présentée par moi, qui,
s'il faut t'en croire, déplut tant aux honnêtes gens, que le suffrage unanime de
tout le peuple romain, que le zèle admirable de tous les bons citoyens m'a fait
nommer consul; que jamais de mémoire d'homme élection n'avait été plus
glorieuse; en un mot, que, par une conduite sage et modeste, j'ai obtenu toutes
les dignités auxquelles, dans ton impudente présomption, tu t'étais vanté tant
de fois de parvenir.
[3] III. Quant à mon départ de Rome, que tu m'as reproché sans doute afin de
renouveler la douleur de ceux que ce jour si cher à ton cœur plongea dans la
tristesse, voici ma seule réponse : tous les ennemis de l'État, et tu étais du
nombre, cherchaient, en feignant de n'en vouloir qu'à moi, un prétexte pour
prendre les armes, pour piller la fortune des riches, pour s'enivrer du sang des
principaux citoyens, pour assouvir leur haine farouche et invétérée contre les
gens de bien ; je le savais : j'ai aimé mieux prévenir le cours de vos crimes
par la retraite que par la résistance. Ainsi, Vatinius, pardonne-moi d'avoir
épargné la patrie après l'avoir sauvée ; et, puisque je souffre en toi le
persécuteur et le fléau de la république, souffre du moins que j'en sois le
défenseur et le gardien. Mais non. il faut que tu déclames contre l'éloignement
d'un homme que les regrets de tous les citoyens, que le deuil de la république
elle-même ont rappelé. Mais, as-tu dit, ce n'est pas à cause de moi, mais à
cause de la république, qu'on désirait mon retour. Or, qu'y a-t-il donc de plus
désirable pour un citoyen entré dans le gouvernement de l'État avec les
intentions les plus pures, que d'être aimé de ses concitoyens pour l'intérêt de
sa patrie? Sans doute mon caractère est dur, mon abord difficile, mon regard
fier, mes réponses hautaines, ma conduite insolente; nul ne regrettait mon
humanité, nul ma société, nul mes conseils, nul mon appui : et cependant, depuis
mon départ (s'il faut m'arrêter à ces minimes détails), le Forum était dans la
désolation, le sénat muet, toute émulation des arts honnêtes était éteinte. Mais
je veux qu'on n'ait rien fait à cause de moi ces sénatus-consultes, ces
plébiscites, ces décrets de l'Italie entière, de chaque corporation, de tous les
collèges, ont été rendus dans l'intérêt de la république ; je l'avoue. O stupide
appréciateur d'une gloire solide et d'un vrai mérite! pouvait-il m'arriver rien
de plus honorable, de plus désirable pour immortaliser mon nom, pour en
perpétuer à jamais le souvenir, que de voir tous mes concitoyens juger que de
mon salut seul dépendait le salut de la patrie? Je te renvoie donc le trait que
tu m'as lancé. Tu as dit que j'étais cher au sénat et au peuple, moins à cause
de moi que de la république; et moi je dis que, malgré toute l'atrocité, toute
la noirceur de ton âme, tous tes concitoyens te détestent, moins à cause de toi
qu'à cause de la république elle-même. Et, pour arriver enfin à ce qui te
concerne, je n'ajouterai sur moi qu'un seul mot : il ne faut pas, non il ne faut
pas tenir compte de ce que chacun de nous dit de lui-même. Que les gens de bien
nous jugent; voilà le suffrage qu'il est beau, qu'il est important d'obtenir!
[4] IV. Deux circonstances mettent à découvert l'opinion publique à notre égard
: c'est lorsqu'il s'agit des honneurs ou des droits civiques. Peu d'hommes ont
été portés aux honneurs avec une aussi grande unanimité de suffrages du peuple
romain, que moi; nul n'a été réintégré dans ses droits de citoyen avec autant de
marques d'affection. Ce que pensent de toi tes concitoyens, nous l'avons vu pour
les honneurs, nous l'allons voir dans ce qu'ils feront pour ton existence comme
citoyen. Toutefois, pour ne pas me mettre en parallèle avec les illustres
personnages dont la présence appuie la cause de P. Sextius, mais avec toi, le
plus impudent, le plus vil des hommes, je te le demande, Vatinius, quelle que
soit ton arrogance, quelle que soit la haine que tu m'as vouée, dis-nous auquel
de nous deux cette ville, cette république, doivent se féliciter le plus d'avoir
donné naissance; lequel a été le plus utile pour ces temples, pour le trésor,
pour le sénat, pour les membres de ce tribunal, pour leur fortune, leurs
enfants, pour tous les autres Romains, enfin pour les auspices et le culte des
dieux immortels? Réponds; et lorsque tu l'auras fait avec assez d'impudence pour
que ce peuple ait peine à ne pas porter la main sur toi, ou avec assez de fureur
pour épancher enfin le venin qui te gonfle la gorge, alors tu répondras aussi de
mémoire aux questions que je te ferai sur ton propre compte.
[5] V. Je ne déchirerai point le voile ténébreux qui couvre tes premières
années; je ne te reprocherai point d'avoir, au sortir de l'enfance, percé des
murs, volé tes voisins, frappé ta mère. Retire au moins de ton abjection cet
avantage qu'elle cache, à la faveur de ta bassesse, les turpitudes de ton
adolescence. Tu sas brigué la questure avec P. Sextius; tandis qu'il ne parlait
que de cette dignité, le seul but de ses vœux, tu pensais déjà, disais-tu, à un
deuxième consulat. Eh bien, je te le demande, te souviens-tu que P. Sextius fut
nommé questeur d'une voix unanime, et que ton nom fut à peine appelé le dernier,
contre le vœu général et par la faveur du consul? Dans cette magistrature, quand
le sort t'eut assigné une province maritime, au grand mécontentement du peuple,
le consul ne t'envoya-t-il pas à Pouzzoles pour t'opposer à toute exportation
d'or et d'argent ? Dans cet emploi, ne t'es-tu pas comporté moins en magistrat
protecteur du commerce qu'en commis exacteur, toujours prêt à saisir sa part des
marchandises, alors qu'il n'y eut point de maison, point de magasin, point de
vaisseau qui pût échapper à ton inquisition fiscale; point de négociant à qui tu
n'aies suscité des procès injustes, point de commerçant que tu n'aies effrayé à
son arrivée au port, ou dont tu n'aies retardé le départ? Te souvient-il que la
foule à Pouzzoles se porta contre toi à des voies de fait? que ce fut à moi,
alors consul, que les habitants da cette ville adressèrent leurs plaintes ?
Après ta questure, n'es-tu pas parti avec le titre de lieutenant pour l'Espagne
Ultérieure, où commandait le proconsul C. Cosconius? Quoique ce voyage se fasse
ordinairement par terre, et qu'il y ait une route marquée pour ceux qui veulent
pendre la mer, n'allas-tu point d'abord en Sardaigne, puis en Afrique? ne
t'arrêtas-tu point dans le royaume d'Hiempsal, puis dans celui de Mastanesose?
ne traversas-tu point la Mauritanie avant de regagner le détroit? Tu savais
pourtant qu'aucun lieutenant, à moins qu'un sénatus-consulte l'y autorisât,
n'était arrivé en Espagne par tous ces détours. Tu devins tribun du peuple (car
à quoi bon t'interpeller sur tes turpitudes et tes honteuses rapines en
Espagne?). Dis-moi d'abord s'il est quelque genre d'iniquité, quelque crime que
tu n'aies pas commis dans cette magistrature; mais garde-toi, je te l'ordonne,
de mêler ton infamie avec la gloire de nos plus illustres citoyens. Je ne te
demanderai rien qui ne te soit personnel; je n'irai point te réclamer au sein de
la splendeur d'un grand homme : c'est de ton obscur cloaque que je veux
t'arracher; et tous mes traits contre toi seront dirigés de telle manière
qu'aucun d'eux (quoi que tu puisses dire) ne passera par ton flanc pour blesser
personne : ils s'arrêteront tout entiers dans tes entrailles et dans ton cœur.
[6] VI. Comme, dans toutes les affaires importantes, on doit commencer par les
dieux Immortels, réponds, je le veux, toi qui te dis pythagoricien, et qui veux
couvrir tes mœurs féroces et barbares du nom d'un savant philosophe, quel
aveuglement, ou plutôt quelle fureur égarait tes esprits? Tu as fait des
sacrifices inouïs er sacrilèges; tu t'es plu à évoquer les âmes des enfers, à
consulter les dieux mânes dans les entrailles des enfants immolés ; et les
auspices sous lesquels Rome a été fondée, les auspices garants du salut de cette
république, tu les a méprisés! Dans les premiers jours de ton tribunat, tu
déclaras au sénat que les réponses des augures et toutes les prétentions de leur
collège ne mettraient point obstacle à tes entreprises. Je te le demande
maintenant : as-tu accompli ta promesse? as-tu évité de convoquer le peuple, et
de lui soumettre un projet de loi ce jour même où tu savais qu'on prenait les
auspices? Et puisque c'est ici le seul point dans lequel tu prétends avoir
quelque chose de commun avec César, je séparerai ta cause de la sienne, non pas
uniquement pour l'honneur de la république, mais pour César lui-même, de peur
que ton opprobre ne fasse rejaillir quelque tache sur sa gloire. Je te demande
d'abord, as-tu soumis la cause au sénat, comme l'a fait César ? ensuite, quelle
est l'autorité d'un homme qui se justifie, non par ses propres actes, mais par
ceux d'un autre? Enfin (car il faut que la vérité sorte de mon cœur, et je ne
puis hésiter à dire ce que je pense), quand il serait vrai que C. César se fût
quelquefois laissé emporter trop au delà des bornes ; quand la chaleur de la
dispute, la passion de la gloire, la hauteur du caractère, la fierté d'un sang
illustre, l'auraient entraîné à quelques démarches alors excusables dans un si
grand homme, et que tant de belles actions devaient bientôt faire oublier,
siérait-il bien à toi, misérable coquin, de prendre la même licence ? et
entendrons-nous la voix du brigand, du sacrilège Vatinius réclamer pour lui le
privilège qu'on peut accorder à César?
[7] VII. Voici maintenant ce que je te demande : tu as été tribun du peuple;
sépare-toi du consul. Tu avais neuf collègues, hommes honorables; tu savais que
trois d'entre eux prenaient tous les jours les auspices; tu les tournais en
ridicule; tu les traitais d'esprits vulgaires : deux sont décorés de la robe
prétexte; qu'est devenue celle que tu avais inutilement fait faire pour ton
édilité? tu l'as revendue. Le troisième, tu ne l'ignores pas, au sortir de ce
déplorable tribunat où tu le tenais enchaîné, a joui, très jeune encore, de
toute l'autorité d'un consulaire. Les six autres ou pensaient entièrement comme
toi, ou tenaient un certain milieu. Tous soumirent des lois à la sanction du
peuple, et particulièrement mon ami C. Cosconius que je m'applaudis d'avoir pour
juge, et que tu ne peux voir sans devenir furieux, depuis qu'il a été édile.
Réponds-moi, je le veux : quel membre de ton collège a osé porter une loi, si ce
n'est toi seul? Quel excès d'audace! ou quelle violence ! Quoi ! lorsque tes
neuf collègues croyaient avoir à craindre pour eux, toi, né dans la fange, toi
seul, le dernier des humains sous tous les rapports, tu as méprisé, dédaigné,
tourné en ridicule ce que respectaient les autres. Connais-tu, depuis la
fondation de Rome, quelque tribun qui ait traité d'affaires devant le peuple,
quand il savait qu'on prenait les auspices? Réponds aussi à cette autre question
: lorsque, sous ton tribunat, subsistaient encore dans la république les lois
Élis et Fufia, qui plus d'une fois avaient amorti, réprimé les fureurs des
tribuns, et contre lesquelles personne, excepté toi, n'osa jamais s'élever ; ces
lois qui, l'année d'après, quand on vit siéger devant le peuple, je ne dirai pas
deux consuls, mais deux traîtres, deux fléaux de l'État, ces lois, dis-je, qui
périrent dans le même incendie avec les auspices, le droit d'opposition et tous
les droits publics; eh bien: as-tu jamais hésité, contre le vœu de ces lois, à
tenir l'assemblée du peuple et à la convoquer? Cherche parmi les tribuns même
les plus séditieux : en trouveras-tu un seul assez hardi pour avoir jamais
convoqué une assemblée au mépris des lois Élis et Fufia?
[8] VIII. Je te demande maintenant si tu as tenté, si tu as eu la volonté, la
pensée (car, dans un crime de cette nature, en concevoir seulement l'idée, c'est
mériter tous les supplices), je te demande donc si tu as eu la pensée, je ne
dirai point pendant ta tyrannie (car tu serais flatté d'être appelé tyran), mais
dans le cours de tes horribles brigandages, de te faire nommer augure à la place
de Q. Metellus. Sans doute tu voulais qu'à ton aspect chacun gémit, doublement
affligé et de la perte d'un illustre et vertueux citoyen, et de l'élévation du
plus infâme et de plus scélérat des hommes. Croyais-tu donc la république assez
ébranlée sous ton tribunat, nos droits civiques assez méconnus, Rome elle-même
assez asservie, assez dégradée, pour que nous pussions souffrir un augure tel
que toi, Vatinius? Supposons ici que tu le fusses devenu; tes prétentions nous
pénétraient de douleur, nous qui te haïssions; et tes partisans les plus dévoués
ne pouvaient s'empêcher d'en rire. Mais enfin, si la république, déjà frappée de
tant de coups par lesquels tu espérais la détruire, avait été affligée encore de
cette plaie mortelle, aurais-tu, à l'exemple de tous les augures depuis Romulus,
prononcé que, lorsque Jupiter fait briller l'éclair, la religion défend de
traiter d'affaires avec le peuple ? ou bien aurions-nous vu en toi un augure
abolir les auspices, pour se montrer conséquent dans son mépris pour les dieux ?
[9] IX. C'est trop parler de ton augurat. Il en coûte à mon cœur de retracer ces
désastres de la république (car tu ne te flattais pas que, tant que la majesté
des citoyens qui nous entendent subsisterait, et même tant que Rome serait
debout, tu pusses devenir augure); laissons, dis-je, ces rêves de ton ambition,
et voyons tes crimes. Je ne dirai pas que le consul M. Bibulus était bien
intentionné pour la république : comme tu n'avais pas les mêmes sentiments, je
craindrais d'irriter ta colère redoutable; mais tu avoueras du moins qu'il ne se
montrait nulle part, qu'il ne se permettait aucune manœuvre contre la
république, qu'il se contentait d'improuver tes opérations. Eh bien, lorsque tu
conduisais ce consul en prison, et que, de la table Valeria, tes collègues
t'ordonnèrent de lui rendre la liberté, n'as-tu pas pratiqué devant les rostres,
avec les sièges des tribunaux, un pont sur lequel un consul du peuple romain, le
plus ferme et le plus modéré des hommes, en butte à la violence effrénée d'une
bande de gens sans aveu, privé du secours des autres tribuns et de ses amis,
offrit le spectacle affreux et déplorable d'un magistrat conduit, je ne dis pas
en prison, mais au supplice, mais à la mort? Je te le demande : quelque autre
avant toi fut-il assez scélérat pour agir de la sorte? car il est bon que nous
sachions si, en fait de crimes, tu imites les anciens, ou si tu en inventes de
nouveaux. Ce n'est pas tout encore : quand ton audace et ta scélératesse, que tu
prétends couvrir du nom de C. César, le plus clément, le plus généreux des
hommes, eurent chassé M. Bibulus du Forum, du sénat, des temples, de tous les
lieux publics; quand tu l'obligeais à s'enfermer dans sa maison, et que la vie
d'un consul que ne protégeaient plus ni la majesté de sa charge ni l'autorité
des lois n'avait d'autre rempart que sa porte et ses murs, n'envoyas-tu pas un
huissier pour l'en arracher, afin que, pendant ton tribunat, un consul du peuple
romain n'eût pas le droit, jusqu'alors respecté à l'égard des particuliers, de
s'exiler dans sa propre maison ? Réponds-moi encore, toi qui nous appelles
tyrans, parce que nous veillons de concert à la sûreté publique : étais-tu un
tribun du peuple, ou plutôt un exécrable tyran sorti de la fange et des
ténèbres? C'était peu pour toi d'avoir tenté d'abord de détruire, par
l'abolition des auspices, cette république fondée sur les auspices mêmes;
d'avoir ensuite foulé aux pieds et compté pour rien les lois Élis et Fufia, ces
lois saintes que ne purent anéantir ni l'emportement des Gracques, ni l'audace
de Saturninus, ni l'anarchie introduite par Drusus, ni les efforts de Sulpicius,
ni les massacres de Cinna, ni même les armes de Sylla; c'était peu d'avoir
exposé un consul à la mort, de l'avoir assiégé dans sa maison, d'avoir employé
la force pour l'en arracher ; c'était peu que du sein de la misère tu fusses
monté au tribunat, et que tu nous épouvantes aujourd'hui par tes richesses :
n'as-tu pas fait au peuple la cruelle proposition d'exiler et de mettre à mort
des personnages distingués, les premiers de la république?
[10] X. Lorsque tu produisis devant le peuple L. Vettius, qui avait avoué en
plein sénat qu'il s'était armé d'un poignard dans le dessein de tuer Cu. Pompée,
le plus grand, le plus illustre de nos citoyens; lorsque tu fis paraître un
délateur sur la tribune, ce lieu, ce temple consacré par les augures, on les
autres tribuns ont coutume de produire les chefs de l'État pour se donner plus
d'autorité, ne voulus-tu pas qu'un délateur, un Vettius, prêtât sa langue et sa
voix à ta scélératesse, à tes desseins, et qu'interrogé par toi seul, il
déclarât, devant une assemblée réunie par tes ordres, qu'il avait eu pour
moteurs, pour instigateurs, pour complices de son crime, des citoyens qui ne
pouvaient être enlevés à la république sans que la république, et c'était là le
but de tes efforts, fût elle-même anéantie? Non content d'avoir emprisonné chez
lui M. Bibulus, d'avoir voulu le tuer, de l'avoir dépouillé du consulat, tu
prétendais le chasser de sa patrie! Les exploits de Lucullus te causaient une
violente jalousie, sans doute parce que tu avais dès l'enfance aspiré toi-même à
la gloire de commander les armées ; tu voyais dans C. Curion l'ennemi
irréconciliable de tous les méchants, l'oracle du conseil public, le plus
intrépide défenseur de la liberté ; son fils, l'honneur de la jeunesse romaine,
plus ardent aux intérêts de la patrie qu'on n'aurait dû l'attendre de son âge :
voilà ceux que tu voulais détruire. Croira-t-on que le mérite éclatant de L.
Domitius blessât les yeux d'un Vatinius? N'importe, tu ressentais contre lui
toute la haine que t'inspirent les gens de bien : et les grandes espérances
qu'il donnait alors et qu'il n'a point démenties depuis, te faisaient déjà
redouter sa vertu. Tu voulus aussi que la délation de ce même Vettius te
délivrât de L. Lentulus, aujourd'hui l'un de nos juges, flamine de Mars, à qui
tu ne pardonnais pas d'être le compétiteur de ton cher Gabinius. Ah! si ta
scélératesse n'eût point empêché Lentulus de l'emporter sur ce vil fléau de la
patrie, la république n'aurait pas été vaincue. Tu voulus aussi, par le même
délateur et la même accusation, envelopper le fils dans la ruine du père ; L.
Paullus, alors questeur en Macédoine, quel homme ! quel citoyen! L. Paullus qui
avait banni par l'autorité des lois deux traîtres à la patrie, deux ennemis
domestiques, cet homme né pour être le sauveur de Rome, fut livré par toi, comme
les autres, aux calomnies d'un Vettius. Tu ne m'épargnas point : m'en
plaindrai-je? Non : je te dois plutôt des remerciments pour n'avoir pas voulu me
séparer de ces grands citoyens.
[11] XI. Mais par quelle fureur étrange, lorsque ce dénonciateur docile à tes
ordres eut fini de parler, lorsqu'il eut nommé tout ce que Rome a de plus
illustre, et qu'il fut descendu de la tribune, te vit-on le rappeler tout à
coup, t'entretenir avec lui en présence du peuple romain, lui demander s'il ne
pouvait pas encore désigner quelques autres victimes? Ne le pressas-tu point
d'accuser et C. Pison, mon gendre, qui, parmi tant de jeunes gens du premier
mérite, n'en a laissé aucun l'égaler en vertu, en piété filiale, et M.
Laterensis, qui s'occupe nuit et jour de la gloire de la république? Ne
déclaras-tu point, ô le plus impur et le plus scélérat des ennemis de la patrie,
qu'on informerait contre ces hommes si distingués par leur rang et par leur
caractère, et que le délateur Vettius recevrait les plus amples récompenses?
Puis, quand on eut, je ne dis pas unanimement condamné, mais repoussé avec des
cris d'indignation toutes ces calomnies, ne fis-tu pas étrangler dans la prison
ce même Vettus, de peur qu'il ne restât quelque trace que tu l'avais suborné, et
que l'on ne demandât contre toi-même une information relative à son crime? Et
puisque tu ne cesses de répéter que tu as porté une loi qui permet aux deux
parties de récuser réciproquement des juges, je veux que tout le monde sache que
tu n'as pu faire même le bien sans te rendre coupable encore. Voyons donc : tu
avais proposé une loi juste, et même plusieurs autres, dès le commencement de
ton tribunat ; n'attendis-tu pas cependant que C. Antonius eût été accusé devant
Cn. Lentulus et Q. Claudius? Dès qu'il fut accusé, n'ajoutas-tu pas aussitôt à
ta loi cette clause : "qu'elle ne serait applicable qu'à ceux qui seraient
accusés à l'avenir," afin qu'un malheureux consulaire eût la douleur de voir
qu'un très court espace de temps avait suffi pour lui ravir le bienfait et
l'équité de ta loi? Tu m'allégueras tes liaisons avec Q. Maximus; admirable
excuse d'un si odieux procédé ! Maximus s'était déclaré l'ennemi d'Antonius,
l'affaire était engagée, le président et son conseil étaient nommés; que Maximus
n'ait pas voulu accorder à son adversaire les avantages d'une récusation qui lui
aurait été trop favorable, il n'en mérite pas moins d'éloges : il n'a rien fait
en cela qui fût indigne de sa vertu, indigne des Paul-Émile, des Fabius Maximus,
des Scipion l'Africain, de tous ces grands hommes dont nous verrons un jour, ou
plutôt dont nous voyons déjà revivre la gloire dans leur illustre descendant.
Mais, de ta part, il y a perfidie, méchanceté, d'avoir différé par cruauté une
loi que tu avais annoncée comme un acte de douceur. Aujourd'hui C. Antonius a du
moins une consolation dans son malheur : si les images de son père et de son
frère ont été traînées avec sa nièce, je ne dirai pas dans la maison, mais dans
le repaire d'un scélérat, il a mieux aimé l'entendre dire que d'en être témoin.
[12] XII. Et puisque tu méprises la fortune des autres, toi que tes richesses
rendent si insolemment orgueilleux, je veux que tu me répondes. Pendant ton
tribunat, n'as-tu pas conclu des traités avec des républiques, avec des rois,
avec des tétrarques? n'as-tu pas, en vertu de tes lois, puisé dans le trésor
public? n'as-tu pas, dans le même temps, extorqué des droits précieux, soit à
César, soit aux fermiers de l'État ? Maintenant que ces faits sont avérés,
dis-moi s'il est vrai que toi, si pauvre alors, tu sois devenu riche cette année
même où l'on avait porté une loi très sévère contre les concussionnaires ?
C'était sans doute pour que personne ne pût douter de ton mépris, non seulement
pour les actes des tyrans (car c'est ainsi que tu nous appelles), mais pour la
loi même de César, de ton meilleur ami, de ce citoyen qui nous est cher, devant
qui tu ne cesses de nous calomnier, et que ton impudence outrage indignement
toutes les fois que tu te vantes d'être son allié. Je désire encore savoir de
toi dans quel dessein, avec quelle intention tu assistas en toge noire au
banquet de Q. Arrius, mon ami. Avais-tu jamais vu, jamais entendu dire qu'on se
fût présenté dans ce costume? quel exemple, quel usage t'y autorisait? Tu me
diras que tu n'approuvais pas ces prières : fort bien, je t'accorde que ces
prières étaient nulles. Tu vois que je ne t'interroge point sur les actes de
cette année qui semblent t'être communs avec de grands personnages, mais sur tes
crimes personnels. Ce n'était pas une cérémonie religieuse, soit : mais qui
jamais s'est mis à table en habit de deuil ? A la vérité, le banquet funèbre est
encore un tribut qu'on paye aux morts; mais celui qui le donne a droit à des
égards.
[13] XIII. Oublions que c'était un banquet public, un jour de fête pour le
peuple romain, où l'argenterie, les étoffes précieuses, l'appareil le plus
pompeux s'offraient aux regards. Qui jamais dans un deuil domestique, qui même
aux obsèques d'un parent se mit à table en toge noire ? à quel autre que toi
donna-t-on jamais une toge noire au sortir du bain? Sans respect pour tant de
milliers de citoyens, ni pour le maître du festin, Q. Arrius, qui tous étaient
vêtus de blanc, tu osas entrer dans le temple de Castor avec C. Fidulus et tes
autres furies, tous enveloppés comme toi d'habits funèbres. Qui ne gémit pas
alors? qui ne déplora pas le malheur de la république? quel fut l'unique sujet
de l'entretien des convives pendant tout le repas, sinon que cet empire si
grand, si respecté, n'était plus seulement la proie de tes fureurs, mais l'objet
de tes railleries? Cet usage, l'ignorais-tu? n'avais-tu jamais vu de banquet
public? dans ton enfance, dans ta jeunesse, ne t'es-tu jamais trouvé parmi des
cuisiniers? Quelque temps auparavant, dans un festin somptueux que donnait
Faustus, jeune homme de la plus haute naissance, n'avais-tu pas assouvi la faim
qui te pressait depuis si longtemps? Qui donc as-tu vu s'asseoir à table en
habit de deuil? quel maître de maison, quel convive s'est montré jamais avec une
toge noire, même avant le repas? O comble d'extravagance, de penser que, si tu
n'avais agi contre toutes les convenances, si tu n'avais profané le temple de
Castor et la solennité d'un banquet public, blessé les yeux des citoyens, les
usages consacrés par le temps, les égards dus à celui qui t'avait invité, tu
n'aurais pas assez témoigné que tu regardais comme nulle cette fête religieuse!
[14] XIV. Je t'interroge encore sur un fait de ta vie privée : ici, du moins, tu
ne pourras dire que ta cause est liée à celle des plus illustres citoyens.
N'as-tu pas été accusé en vertu de la loi Licinia-Iunia? le préteur C. Memmius
ne t'a-t-il pas cité, en vertu de cette loi, à comparaître au bout de trente
jours? Ce délai passé, ne fis-tu pas ce qui non seulement n'avait jamais été
fait auparavant dans cette république, mais ce dont, de mémoire d'homme, on
n'avait jamais ouï parler? n'en as-tu pas appelé aux tribuns du peuple pour te
dispenser de répondre à une accusation? J'ai trop peu dit, quoique, après tout,
cela seul fût étrange, intolérable; mais n'en as-tu pas appelé nommément au
fléau de cette année, à la furie, au destructeur de la république, à Clodius,
qui, voyant que le droit, l'usage, l'autorité l'empêchaient de s'opposer à ta
condamnation, eut de nouveau recours à sa violence, à sa fureur ordinaire, et se
donna pour chef à tes satellites? Je n'entreprendrai point de prouver ce fait
par des témoins, pour que tu ne me reproches pas de déclamer contre toi, au lieu
de t'interroger; je ne me chargerai pas de témoigner contre toi; je me réserve
de dire bientôt à cette même tribune des faits que je ne crois pas devoir passer
sous silence; je ne chercherai point à te confondre, je continuerai de te
questionner comme je l'ai fait jusqu'ici. Réponds-moi, Vatinius; quel citoyen,
depuis que Rome existe, en a jamais appelé aux tribuns pour ne pas plaider sa
cause? quel accusé a-t-on vu s'élancer sur le siège de son juge, l'en
précipiter, briser les bancs, renverser les urnes, commettre, pour se soustraire
aux tribunaux, tous les excès qui ont forcé d'établir des tribunaux? Sais-tu
qu'alors Memmius prit la fuite, qu'il fallut arracher tes accusateurs de tes
mains et de celles de tes complices? que les juges qui siégeaient près de là
furent chassés? que dans le Forum, en plein jour, en présence du peuple romain,
tribunaux, magistrats, usages anciens, lois, juges, répression des coupables,
tout disparut, tout fut anéanti? Et ces attentats, sais-tu que C. Memmius a eu
soin de les consigner dans les archives de l'État et de les certifier? le
sais-tu? Je te le demande encore : quand tu fus assigné, ne revins-tu pas de ta
lieutenance, de peur qu'on ne te soupçonnât de vouloir te soustraire aux lois;
préférant te soumettre à cette sommation, lorsque, à t'en croire, il t'était
libre de t'en dispenser? Par quelle inconséquence dédaignas-tu la protection que
t'offrait ta lieutenance, pour recourir, par l'appel le plus illégal, à
l'opposition la plus criminelle?
[15] XV. Et puisque j'ai parlé de ta lieutenance, je veux savoir de toi en vertu
de quel sénatus-consulte tu as été fait lieutenant. Ton geste m'apprend ta
réponse; c'est, dis-tu, en vertu de ta loi ! Eh bien, n'es-tu pas le plus
déterminé parricide de ta patrie? Avais-tu donc espéré que le sénat serait
radicalement supprimé, pour usurper sur lui le droit que personne ne lui a
jamais ravi, celui de nommer seul les lieutenants? le conseil public te
semblait-il assez méprisable, le sénat assez dégradé, la république assez
malheureuse, assez avilie, pour que les ambassadeurs de la paix et de la guerre,
les intendants, les interprètes, les présidents du conseil militaire, les
représentants de Rome dans les provinces, ne fussent plus désignés par le sénat
comme au temps de nos ancêtres? Tu avais ravi au sénat le droit d'assigner les
provinces, de choisir les généraux et les administrateurs des deniers publics :
attributions que le peuple romain n'a jamais désirées, que jamais il n'a
disputées à ce conseil suprême. Quand je dis jamais, je me trompe : il s'en est
approprié quelquefois une partie; il l'a fait rarement; mais, enfin, il est
arrivé que le peuple a nommé un général. Qui jamais a entendu dire qu'un
lieutenant ait été nommé sans un sénatus-consulte? Avant toi, personne.
Immédiatement après, Clodius a fait comme toi en faveur de deux fléaux de la
république. Tu mérites un châtiment d'autant plus rigoureux que tu nuis à
l'État, non seulement par ta conduite, mais aussi par ton exemple : non content
d'être toi-même un scélérat, tu as voulu apprendre aux autres à le devenir. Je
voudrais aussi savoir de toi pour quelle raison cette loi, que j'avais proposée,
en vertu d'un sénatus-consulte, contre la brigue, et que j'ai fait recevoir sans
user de violence sans profaner les auspices, sans enfreindre les lois Élia et
Fufia, tu ne la regardes pas comme une loi, tandis que j'obéis à tes lois,
quelle que soit la manière dont tu les aies portées. Ma loi défend expressément
de donner des combats de gladiateurs pendant les deux années qu'on postule ou
que l'on s'annonce comme devant postuler les magistratures, à moins que ce ne
soit un jour fixé par un testament. Quelle est ta folie d'oser donner des
spectacles de gladiateurs, même pendant ta candidature? Penses-tu qu'il puisse
se trouver un tribun du peuple assez semblable à ton fidèle gladiateur, pour te
soustraire au pouvoir de ma loi? Ne sais-tu pas que, indignés de cette conduite,
les austères Sabins, les valeureux Marses et les Péligniens, qui sont de ta
tribu, t'ont flétri par le jugement qu'ils ont porté de toi, et que, depuis la
fondation de Rome, tu es le premier membre de la tribu Sergia qui ait perdu son
suffrage ?
[16] XVI. Mais peut-être tu dédaignes, tu méprises tous ces affronts, parce que
tu es persuadé, comme tu le fais sonner bien haut, qu'en dépit des dieux et des
hommes l'inconcevable amitié de C. César pour toi te fera obtenir tout ce que tu
désires. Mais quoi ! n'as-tu jamais ouï dire, personne ne t'a-t-il rapporté la
réponse que fit dernièrement César à ton sujet? Il était dans Aquilée: comme on
y parlait de quelques citoyens fort connus, il dit que l'exclusion de C. Alfius
l'avait singulièrement affligé, parce qu'il le connaissait pour un homme plein
d'honneur et de probité; il ajouta qu'il était grièvement fâché qu'on eût nommé
préteur un homme dont les vues étaient opposées à ses intérêts. Quelqu'un alors
lui ayant demandé ce qu'il pensait de Vatinius: «Vatinius, répondit-il, n'a rien
fait gratuitement pendant son tribunat. Quand on ne recherche que l'argent, on
doit se passer aisément des honneurs.» S'il n'y a point d'honneur dont tu ne
sois jugé indigne par celui même qui, pour augmenter sa considération, à tes
risques et périls, mais sans trahir son devoir, t'a laissé courir en aveugle
dans le précipice ; si tes voisins, tes alliés et ceux de ta tribu te haïssent
au point de regarder ton exclusion comme leur triomphe; si personne ne
t'envisage sans gémir, ne parle de toi sans te maudire ; si tout le monde évite
ta rencontre, te fuit, ne veut pas entendre parler de toi, abhorre ton aspect
ainsi qu'un présage sinistre; si tu es l'opprobre de ta famille, l'exécration de
ta tribu, l'effroi de tes voisins; si l'on rougit d'être ton allié; si le venin
de ta bouche impure a infecté les autres parties de ton corps; si tu es en
horreur au peuple, au sénat, à toutes tes tribus de la campagne, pourquoi
souhaites-tu la préture plutôt que la mort? Toi surtout qui veux plaire au
peuple, meurs ; tu ne saurais rien faire qui lui fût plus agréable. Mais il est
temps que nous entendions tes éloquentes réponses à mes questions; il est temps
de conclure; seulement je vais, en finissant, t'interroger en peu de mots sur le
fond de la cause.
[17] XVII. Dis-moi, par quelle inconséquence donnes-tu à T. Annius (Milon) les
mêmes éloges que lui ont donnés dans toutes les circonstances les gens de bien
et les bons citoyens, toi qui, dernièrement, produit devant le peuple par la
plus noire des furies, mis tant de passion à porter contre lui un faux
témoignage? Auras-tu le droit et le pouvoir de te contredire à ce point? quand
tu verras les artisans gagés par Clodius, quand tu seras devant cette tourbe de
scélérats et d'infâmes, de dire, comme tu l'as dit dans une assemblée du peuple,
que Milon assiégeait la république avec des gladiateurs et des bestiaires; et
lorsque tu paraîtras devant des juges respectables, tu n'oseras pas même blâmer
ce citoyen recommandable par sa vertu, sa bonne foi et sa fermeté? Mais puisque
tu loues si généreusement Milon, ou plutôt puisque tu flétris par tes éloges la
gloire de cet homme illustre, qui serait plus jaloux d'être compté parmi ceux
que tu honores de tes injures, réponds-moi. Tu sais que Milon a toujours agi de
concert avec P. Sextius dans leurs fonctions administratives ; cette union est
attestée non seulement par l'opinion des bons citoyens, mais encore par celle
des méchants : car tous deux sont accusés pour la même cause et du même crime;
l'un par celui qui l'a ajourné, par celui que quelquefois tu reconnais seul pour
ton maître en scélératesse; et l'autre par tes conseils, mais avec son secours;
je te le demande donc, comment peux-tu séparer, dans ton témoignage, deux hommes
que tu confonds dans la même accusation? Voici ma dernière question : Quand tu
t'es plaint de la collusion d'Albinovanus, n'as-tu pas dit que tu n'avais point
approuvé que Sextius fût accusé de violence, qu'on n'aurait point dû le faire,
qu'il eût été préférable de s'armer contre lui de toute autre loi, de tout autre
chef d'accusation? N'as-tu pas dit aussi que la cause de Milon, ce courageux
citoyen, était liée avec celle de Sextius? que tout ce que celui-ci avait fait
pour moi était agréable aux bons citoyens? Je ne te reproche point la
contradiction qui se trouve entre ton discours et ta déposition ; car tu as
déposé fort au long contre le même homme aux actes duquel, de ton aveu, tous les
bons citoyens ont applaudi. Ainsi, celui que tes éloges portaient si haut, tu
l'associes à la cause et à l'accusation de Sextius. Je te le demande, penses-tu
que P. Sextius doive être condamné en vertu d'une loi d'après laquelle tu
prétends qu'on ne devait pas l'accuser? ou, si tu ne veux pas que nous
demandions à un témoin son opinion (et certes tu ne dois pas craindre que
j'attache quelque prix à la tienne), dis-moi si, après avoir déclaré qu'un homme
ne devait pas être accusé de violence, tu ne l'en as pas accusé comme témoin.
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