Lysias

LYSIAS

 

DU DISCOURS POLITIQUE composé pour être prononcé dans Athènes.

ΠΕPΙ ΤΟΥ ΜΗ ΚΑΤΑΛΥΣΑΙ ΤΗΝ ΠΑΤPΙΟΝ ΠΟΛΙΤΕΙΑΝ ΑΘΗΝΗΣΙ

 

 

 

 


 

 

LYSIAS

 

DU DISCOURS POLITIQUE composé pour être prononcé dans Athènes.

 

Denys d'Halicarnasse, qui nous a conservé ce discours, nous apprend lui-même dans quel temps et à quel sujet il fut composé. Les citoyens revenus du Pirée s'étaient réconciliés avec ceux qui étaient restés dans la ville, et il avait été décidé qu'on oublierait absolument le passé. Mais, comme on craignait que le peuple, ayant recouvré sa puissance, ne persécutât les riche, Phormisius, un de ceux qui avaient ramené le peuple, proposa un décret par lequel on devait rappeler tous les exilés, mais ne donner part à l'administration qu'à ceux, qui possédaient des terres. Il se conformait en cela aux vues de Lacédémone qui demandait la même chose. Si le décret passait, cinq mille citoyens devaient être exclus de l'administration publique. Dans la vue d'empêcher qu'il ne passât, Lysias composa ce discours pour un des principaux chefs du gouvernement. On ne sait pas, dit Denys d'Halicarnasse, s'il fut prononcé alors, mais il est composé comme s'il eût dû l'être. Quoi qu'il en soit, voici l'analyse de ce que ce rhéteur nous en a conservé.

L'orateur avertit les Athéniens de se rappeler le passé dont l'expérience doit les instruire ; il leur conseille de rendre l'administration commune entre tous les citoyens, parce que c'est l'intérêt des riches comme des pauvres ; il les exhorte à ne pas souscrire aux ordres de leurs rivaux, les animant par l'exemple de quelques peuples du Péloponnèse, voisins de Lacédémone qui tiennent tête courageusement à cette fière république. A l'exemple de ces peuples, et se rappelant le courage et les victoires de leurs ancêtres, ils ne doivent pas craindre de combattre pour maintenir leur propre liberté, eux qui ont si souvent combattu pour maintenir celle des autres Grecs.

Il paraît certain que le discours qui précède n'est pas entier, et que ce n'est qu'un fragment, mais je n'oserais l'assurer de celui-ci, qui semble offrir un sens parfait. Il a dû être composé immédiatement après l'expulsion des Trente, vers l'an 403 avant J. C. 

 

[1] Ὅτε ἐνομίζομεν, ὦ Ἀθηναῖοι, τὰς γεγενημένας συμφορὰς ἱκανὰ μνημεῖα τῇ πόλει καταλελεῖφθαι, ὥστε μηδ' ἂν τοὺς ἐπιγιγνομένους ἑτέρας πολιτείας ἐπιθυμεῖν, τότε δὴ οὗτοι τοὺς κακῶς πεπονθότας καὶ ἀμφοτέρων πεπειραμένους ἐξαπατῆσαι ζητοῦσι τοῖς αὐτοῖς ψηφίσμασιν, οἷσπερ καὶ πρότερον δὶς ἤδη. [2] Καὶ τούτων μὲν οὐ θαυμάζω, ὑμῶν δὲ τῶν ἀκροωμένων, ὅτι πάντων ἐστὲ ἐπιλησμονέστατοι ἢ πάσχειν ἑτοιμότατοι κακῶς ὑπὸ τοιούτων ἀνδρῶν, οἳ τῇ μὲν τύχῃ τῶν Πειραιοῖ πραγμάτων μετέσχον, τῇ δὲ γνώμῃ τῶν ἐξ ἄστεως. Καίτοι τί ἔδει φεύγοντας κατελθεῖν, εἰ χει ροτονοῦντες ὑμᾶς αὐτοὺς καταδουλώσεσθε;

 [3] Ἐγὼ μὲν οὖν, ὦ Ἀθηναῖοι, οὔτε οὐσίᾳ οὔτε γένει ἀπελαυνόμενος, ἀλλ' ἀμφότερα τῶν ἀντιλεγόντων πρότερος ὤν, ἡγοῦμαι ταύτην μόνην σωτηρίαν εἶναι τῇ πόλει, ἅπασιν Ἀθηναίοις τῆς πολιτείας μετεῖναι, ἐπεὶ καὶ ὅτε τὰ τείχη καὶ τὰς ναῦς καὶ τὰ χρήματα καὶ συμμάχους ἐκτησάμεθα, οὐχ ὅπως τινὰ Ἀθηναῖον ἀπώσομεν διενοούμεθα, ἀλλὰ καὶ Εὐβοεῦσιν ἐπιγαμίαν ἐποιούμεθα· νῦν δὲ καὶ τοὺς ὑπάρχοντας πολίτας ἀπελῶμεν; [4] Οὔκ, ἐὰν ἔμοιγε πείθησθε, οὐδὲ μετὰ τῶν τειχῶν καὶ ταῦτα ἡμῶν αὐτῶν περιαιρησόμεθα, ὁπλίτας πολλοὺς καὶ ἱππέας καὶ τοξότας, ὧν ὑμεῖς ἀντεχόμενοι βεβαίως δημοκρατήσεσθε, τῶν δὲ ἐχθρῶν πλέον ἐπικρατήσετε, ὠφελιμώτεροι δὲ τοῖς συμμάχοις ἔσεσθε· ἐπίστασθε γὰρ ἐν ταῖς ἐφ' ἡμῶν ὀλιγαρχίαις γεγενημέναις καὶ οὐ τοὺς γῆν κεκτημένους ἔχοντας τὴν πόλιν, ἀλλὰ πολλοὺς μὲν αὐτῶν ἀποθανόντας, πολλοὺς δ' ἐκ τῆς πόλεως ἐκπε σόντας, [5] οὓς ὁ δῆμος καταγαγὼν ὑμῖν μὲν τὴν ὑμετέραν ἀπέδωκεν, αὐτὸς δὲ ταύτης οὐκ ἐτόλμησε μετασχεῖν. στ', ἐὰν ἔμοιγε πείθησθε, οὐ τοὺς εὐεργέτας, καθὸ δύνασθε, τῆς πατρίδος ἀποστερήσετε, οὐδὲ τοὺς λόγους πιστοτέρους τῶν ἔργων οὐδὲ τὰ μέλλοντα τῶν γεγενημένων νομιεῖτε, ἄλλως τε καὶ μεμνημένοι τῶν περὶ τῆς ὀλιγαρχίας μαχο μένων, οἳ τῷ μὲν λόγῳ τῷ δήμῳ πολεμοῦσι, τῷ δὲ ἔργῳ τῶν ὑμετέρων ἐπιθυμοῦσιν· ἅπερ κτήσονται, ὅταν ὑμᾶς ἐρήμους συμμάχων λάβωσιν.

[6] Εἶτα τοιούτων ἡμῖν ὑπαρχόντων ἐρωτῶσι τίς ἔσται σωτηρία τῇ πόλει, εἰ μὴ ποιήσομεν ἃ Λακεδαιμόνιοι κελεύουσιν; ἐγὼ δὲ τούτους εἰπεῖν ἀξιῶ, τίς τῷ πλήθει περιγενήσεται, εἰ ποιήσομεν ἃ ἐκεῖνοι προστάττουσιν; εἰ δὲ μή, πολὺ κάλλιον μαχομένοις ἀποθνῄσκειν ἢ φανερῶς ἡμῶν αὐτῶν θάνατον καταψηφίσασθαι. [7] Ἡγοῦμαι γάρ, ἐὰν μὲν πείσω, ἀμφοτέροις κοινὸν εἶναι τὸν κίνδυνον ... ρῶ δὲ καὶ Ἀργείους καὶ Μαντινέας τὴν αὐτὴν ἔχοντας γνώμην τὴν αὑτῶν οἰκοῦντας, τοὺς μὲν ὁμόρους ὄντας Λακεδαιμονίοις, τοὺς δ' ἐγγὺς οἰκοῦντας, καὶ τοὺς μὲν οὐδὲν ἡμῶν πλείους, τοὺς δὲ οὐδὲ τρισχιλίους ὄντας. [8] Ἴσασι γὰρ ἐκεῖνοι ὅτι, κἂν πολλάκις εἰς τὴν τούτων ἐμβάλλωσι, πολλάκις αὐτοῖς ἀπαντήσονται ὅπλα λαβόντες, ὥστε οὐ καλὸς αὐτοῖς ὁ κίνδυνος δοκεῖ εἶναι, ἐὰν μὲν νικήσωσι, τούτους μὴ καταδουλώσασθαί γε, ἐὰν δὲ ἡττηθῶσι, σφᾶς αὐτοὺς τῶν ὑπαρχόντων ἀγαθῶν ἀποστερῆσαι. σῳ δ' ἂν ἄμεινον πράττωσι, τοσούτῳ ἧττον ἐπιθυμοῦσι κιν δυνεύειν.

[9] Εἴχομεν δέ, ὦ Ἀθηναῖοι, καὶ ἡμεῖς ταύτην τὴν γνώμην, ὅτε τῶν Ἑλλήνων ἤρχομεν, καὶ ἐδοκοῦμεν καλῶς βουλεύεσθαι περιορῶντες μὲν τὴν χώραν τεμνομένην, οὐ νομίζοντες δὲ χρῆναι περὶ αὐτῆς διαμάχεσθαι: ἄξιον γὰρ ἦν ὀλίγων ἀμελοῦντας πολλῶν ἀγαθῶν φείσασθαι. Νῦν δέ, ἐπεὶ ἐκείνων μὲν ἁπάντων μάχῃ ἐστερήμεθα, ἡ δὲ πατρὶς ἡμῖν λέλειπται, ἴσμεν ὅτι ὁ κίνδυνος οὗτος μόνος ἔχει τὰς ἐλπίδας τῆς σωτηρίας. [10] Ἀλλὰ γὰρ χρὴ ἀναμνησθέντας ὅτι ἤδη καὶ ἑτέροις ἀδικουμένοις βοηθήσαντες ἐν τῇ ἀλλοτρίᾳ πολλὰ τρόπαια τῶν πολεμίων ἐστήσαμεν, ἄνδρας ἀγαθοὺς περὶ τῆς πατρίδος καὶ ἡμῶν αὐτῶν γίγνεσθαι, πιστεύοντας μὲν τοῖς θεοῖς, ἐλπίζοντας δὲ ἔτι τὸ δίκαιον μετὰ τῶν ἀδι κουμένων ἔσεσθαι. [11] Δεινὸν γὰρ ἂν εἴη, ὦ Ἀθηναῖοι, εἰ, ὅτε μὲν ἐφεύγομεν, ἐμαχόμεθα Λακεδαιμονίοις, ἵνα κατέλθωμεν, κατελθόντες δὲ φευξόμεθα, ἵνα μὴ μαχώμεθα. Οὐκ οὖν αἰσχρὸν εἰ εἰς τοῦτο κακίας ἥξομεν, ὥστε οἱ μὲν πρόγονοι καὶ ὑπὲρ τῆς τῶν ἄλλων ἐλευθερίας διεκινδύνευον, ὑμεῖς δὲ οὐδὲ ὑπὲρ τῆς ὑμετέρας αὐτῶν τολμᾶτε πολεμεῖν; ...

 

[1] Nous avions lieu de croire, ô Athéniens, que nos malheurs nous avaient donné des leçons assez frappantes, pour empêcher ceux qui viendront après nous de désirer une autre forme de gouvernement; cependant nous voyons des orateurs mal intentionnés chercher encore à tromper, par leurs décrets nuisibles, ceux que de tristes révolutions et une expérience fatale, n'ont déjà que trop instruits. [2] Aussi ce sont moins les orateurs qui m'étonnent, que vous qui les écoutez ; je suis surpris de vous voir oublier le passé, de vous voir prêts à tout souffrir de la part de gens qui se trouvèrent par hasard au Pirée, et qui étaient de cœur avec les tyrans d'Athènes. Mais était-il donc besoin de revenir de votre exil, si par vos suffrages vous vous réduisez vous-mêmes en servitude ?

[3] Pour moi, que ni mon âge ni ma naissance n'excluent de la tribune, qui l'emporte par l'un et l'autre sur ceux qui combattent mon avis, je pense qu'il n'y a de salut pour l'état, qu'en rendant l'administration commune entre tous les citoyens. Car enfin, lorsque nous avions des murs, de l'argent et des alliés, non contents d'accorder le droit de cité à quelques-uns, nous accordions même aux Eubéens le droit de mariage ; et l'on nous verrait aujourd'hui nous priver de nos propres citoyens! [4] Non, certes, et si du moins on veut m'en croire, nous craindrons de nous porter à une extrémité semblable, et après avoir perdu nos murs, nous ne nous ôterons pas encore à nous-mêmes une multitude d'archers, de soldats d'infanterie et de cavalerie, qui nous serviront à affermir le gouvernement populaire, à nous rendre utiles à nos alliés, et à triompher sans peine de nos ennemis. Vous savez, en effet, que sous la domination oligarchique établie de nos jours, les possesseurs mêmes de fonds, n'ont pu vivre en sûreté dans la ville, que plusieurs y ont trouvé la mort, ou en ont été chassés ; [5] le peuple a ramené les riches exilés, il vous a rétablis dans vos possessions, sans entreprendre de s'en saisir lui-même. Si donc vous voulez m'écouter, loin de songer à priver de leur patrie vos propres bienfaiteurs, loin de regarder les discours comme plus sûrs que les faits, et l'avenir comme plus certain que le passé, vous aurez soin de vous rappeler que les partisans de l'oligarchie en veulent au peuple en apparence, mais qu'en effet leur cupidité n'ambitionne que vos fortunes, dont ils ne tarderont pas à s'emparer, s'ils vous trouvent sans défense.

[6] Il faut, je crois, répondre à ceux qui envient nos possessions, et qui nous demandent quelle ressource il restera à notre république, si nous refusons de nous prêter à ce qu'exige de nous Lacédémone; il faut, dis-je, leur répondre et leur demander ce qu'il restera à la ville d'Athènes, si nous souscrivons aux ordres de sa rivale. D'ailleurs, il est bien plus beau de mourir sur un champ de bataille, que de nous condamner ouvertement nous-mêmes à la mort. [7] Si mes conseils ne sont pas suivis, je vois que ceux qui possèdent des terres, comme ceux qui en sont dépourvus, auront également à craindre. Les Argiens et les Mantinéens sont animés des sentiments que je voudrais vous inspirer. Les uns, qui sont voisins de Lacédémone, ne sont pas en plus grand nombre que nous ; les autres, qui sont sur les cousins de son territoire, ne comptent guère plus de 3000 hommes.[8]  Les Lacédémoniens cependant craignent de les attaquer, parce qu'ils savent que toutes les fois qu'ils chercheront à se jeter dans leur pays, ceux-ci prendront les armes et viendront à leur rencontre. Il leur paraîtrait peu honorable de manquer à les subjuguer s'ils étaient vainqueurs, ou de se voir ravir leurs propres avantages s'ils étaient vaincus. Ainsi donc plus ils jouissent d'une prospérité brillante, plus ils craignent de la commettre dans une action décisive.

[9] Nous étions animés des mêmes sentiments que les peuples d'Argos et de Mantinée, lorsque nous commandions aux Grecs : nous nous faisions gloire alors de laisser ravager nos campagnes et de nous embarrasser peu de les défendre, parce qu'il était à propos de négliger des parties pour conserver le tout. Aujourd'hui que par notre défaite nous nous voyons dépouillés de tous les privilèges attachés au commandement, et que notre ville seule nous reste, pourrions-nous ignorer que nous n'avons de ressource que dans le hasard des combats ? [10] Rappelons-nous que par le passé volant au secours des autres, nous remportâmes, plus d'une sois, en pays étranger d'éclatantes victoires ; rappelons-nous ces triomphes, et que ce souvenir nous inspire du courage pour nous-mêmes et pour la patrie. Comptons sur les dieux, osons espérer que le ciel se déclarera enfin pour la justice, et viendra au secours des malheureux qu'on opprime. [11] Nous qui, dans notre exil, avons combattu courageusement contre les Lacédémoniens pour revenir à Athènes, pourrions-nous, sans rougir, maintenant que nous sommes de retour, nous condamner nous-mêmes à l'exil, dans la crainte de combattre ? Quelle honte enfin, si l'on vous voyait redouter la guerre pour le soutien de votre propre liberté, tandis que vos ancêtres s'exposaient généreusement pour la liberté des autres Grecs?