Isocrate : oeuvres complètes, tome I

ISOCRATE

ŒUVRES COMPLÈTES.

 IV. PANÉGYRIQUE - ΙΣΟΚΡΑΤΟΥΣ ΠΑΝΗΓΥPΙΚΟΣ

 III. Nicoclès à ses sujets  - v Philippe

ŒUVRES COMPLÈTES D'ISOCRATE, TRADUCTION NOUVELLE AVEC TEXTE EN REGARD  LE DUC DE CLERMONT-TONNERRE (AIMÉ-MARIE GASPARD) Ancien Ministre de la guerre et de la marine. Ancien élève de l'École polytechnique TOME PREMIER PARIS LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET C Imprimeurs de l'Institut, rue Jacob, 56. M D CCC LXII

AUTRE TRADUCTION

 

 

 

ISOCRATE

PANÉGYRIQUE.

ARGUMENT.

Pour bien apprécier le Panégyrique d'Athènes, il faudrait pouvoir se transporter au temps où il a été écrit, se placer au milieu de l'assemblée des Grecs et se pénétrer des sentiments de ce peuple passionné pour l'éloquence et pour la gloire; il faudrait éprouver, comme il l'éprouvait, cet amour de la patrie qui a enfanté tant de prodiges ; haïr les Perses comme il les haïssait, et voir, avec Isocrate, dans la conquête de l'Asie, la délivrance de la Grèce, la vengeance de ses injures, et le gage assuré des plus grandes prospérités. On comprendrait alors et les beautés de l'ouvrage, et sa brillante renommée, et les applaudissements qui devaient en être la récompense. Cette situation, vingt-deux siècles nous en séparent ; ces conditions, nous ne pouvons les remplir ; mais, du moins, nous pouvons nous rendre compte des circonstances dans lesquelles le Panégyrique a été écrit, et c'est assez pour reconnaître qu'un grand génie était seul capable de s'élever à la hauteur d'un aussi noble sujet.

Les rois de Perse avaient successivement entrepris d'envahir la Grèce. Darius, persuadé par les conseils de sa femme, Atossa, fille du grand Cyrus, voulait, d'une part, occuper les esprits turbulents de ses puissants vassaux ; de l'autre, affermir son autorité par l'ascendant qu'une grande conquête donne à la puissance royale. Xerxès prétendait venger son père, effacer la honte imprimée à ses peuples par la défaite de Darius 119 et, se fiant sur l'immensité de ses forces de terre et de mer, envahir l'Europe entière, et inscrire son nom parmi ceux des conquérants les plus célèbres.

D'un autre côté. Marathon, Artémisium, les Thermopyles, Salamine et Platée, avaient montré aux Grecs que, sur mer comme sur terre, le courage, uni à la discipline et à l'expérience de la guerre, pouvait triompher du nombre; et les barbares, épouvantés de tant de défaites, ayant fui au delà de l'Hellespont, la pensée que le moment approchait où l'empire des Perses devait être renversé était devenue universelle, chez les Grecs, par l'espérance ; chez les Perses, par la terreur. C'était un de ces sentiments précurseurs des grandes catastrophes politiques qu'on aperçoit dans l'avenir, mais sans pouvoir en déterminer l'époque. Les souvenirs de la guerre de Troie et ceux de l'expédition des Argonautes, ces réactions célèbres de l'Europe contre l'Asie, se réveillaient de toutes parts, et Jason, de Thessalie, avait formé le projet d'attaquer l'empire des Perses lorsque la mort le prévint. L'expédition du jeune Cyrus, la retraite des Dix Mille et les conquêtes d'Agésilas, montraient, avec une incontestable évidence, la facilité qui existait pour les Grecs de détrôner le grand Roi ; et tous étaient convaincus qu'Agésilas aurait fait ce qu'a fait plus tard Alexandre, si le danger que les Thébains, aidés par l'or de la Perse, faisaient courir à sa patrie, ne l'avait pas obligé d'abandonner ce projet pour sauver Lacédémone. Ainsi, tout semblait s'unir pour assurer le succès. Mais un obstacle absolu, un obstacle que la Grèce portait dans son sein, les divisions intestines, qui font la perte des nations, mettaient la Grèce dans l'impossibilité d'accomplir une juste vengeance.

Au sortir des temps fabuleux, dans ces temps que l'on appelle héroïques, la Grèce, partagée en un grand nombre de petits États gouvernés presque tous par des rois, pouvait, lorsqu'il s'agissait d'un grand intérêt, se réunir et, en obéissant au plus puissant d'entre eux, faire triompher la cause commune. C'était ainsi qu'Agamemnon, que l'on appelait le roi des rois, avait pu la conduire tout entière au siège de Troie, et l'y maintenir pendant dix ans, pour venger sa propre injure et l'honneur de sa maison.

120 Après la chute d'Ilion, qui marque le commencement des temps héroïques, tous ces rois, et Agamemnon lui-même, ayant éprouvé le sort des princes que l'ambition retient trop longtemps loin des peuples qu'ils gouvernent, la Grèce se trouva remplie de républiques, diverses de formes, peu différentes de forces, divisées entre elles par des craintes, des haines, des jalousies mutuelles, divisées en elles-mêmes par des factions rivales, et regardant comme le point le plus important de leur politique, d'empêcher leur agrandissement respectif. Dans cet état de guerre continuelle, qui faisait nécessairement des Grecs un peuple belliqueux, et un peuple aimant sa patrie, parce qu'il avait constamment les armes à la main pour la défendre, un grand danger pouvait bien réunir un moment tous les Grecs; mais, dès que le danger était conjuré, toutes leurs pensées se reportaient vers leurs rivalités nationales, qui, pour eux, dominaient tous les sentiments comme tous les intérêts.

De son côté, la cour de Perse, voyant un gage de sécurité pour elle dans les divisions de la Grèce, cherchait à les entretenir par tous les moyens que donnent la richesse et la puissance ; elle versait l'or à pleines mains, gagnait les ambassadeurs, corrompait les orateurs à Athènes, les éphores, les rois eux-mêmes à Lacédémone, secourait alternativement celle de ces deux villes contre laquelle son appui avait fait déclarer la fortune; et servant, sous ce rapport, la politique intérieure des villes grecques, elle empêchait qu'aucune d'elles pût devenir assez puissante pour subjuguer la Grèce entière ; enfin, par le traité d'Antalcidas, quatre-vingt-treize ans après l'invasion de Xerxès, elle parvenait, suivant l'expression d'Isocrate, à faire du roi de Perse l'arbitre de la Grèce.

Tel était l'état des choses, et Isocrate avait compris que si le moment favorable était arrivé pour renverser l'empire des Perses, cette grande révolution ne pouvait s'accomplir que par l'union de tous les Grecs. C'est sur cette double vérité, préoccupation de toute sa vie, que repose la pensée du discours panégyrique. Mais Isocrate ne voulait pas seulement cette gloire pour les Grecs, il la voulait surtout pour sa patrie, afin de la replacer à la tête de la Grèce, et pour que la Grèce y consentit, il fallait lui faire comprendre qu'Athènes en 121 digne, et qu'elle en était plus digne que Sparte; voilà pourquoi le discours panégyrique est généralement appelé le Panégyrique d'Athènes. Mais en supposant que les autres villes consentissent à se placer sous la conduite d'Athènes pour conquérir l'Asie, il était certain que la fierté de Sparte n'accepterait jamais la suprématie de sa rivale, et sauverait la Perse en s'alliant, s'il le fallait, avec elle, plutôt que de laisser à Athènes seule la gloire de renverser l'empire du grand Roi. Or il résultait de là qu'il était indispensable de réunir les deux villes dans un même sentiment, et, pour y parvenir, il fallait, avant tout, les amener à se placer sur un pied d'égalité par le partage du commandement. C'est ce qu'Isocrate s'efforce de leur persuader.

Thèbes et Argos étaient, après Sparte et Athènes, les deux villes les plus puissantes, celles qui pouvaient exercer le plus d'influence sur la Grèce. En appelant leur concours pour former la réunion de tous les Grecs, Isocrate se les rend favorables, parce que, dans la situation donnée, ni l'une ni l'autre ne pouvait élever de prétention pour elle-même, et que le partage du commandement entre Athènes et Lacédémone, leur convenait évidemment mieux que la suprématie complète de l'une des deux villes. Si Athènes eût réclamé pour elle seule la suprématie de la Grèce que Sparte avait autrefois possédée, on l'eût accusée d'ambition. Isocrate prévient cette accusation en annonçant que sa patrie consentira au partage du commandement, mais il prévoit, en même temps, l'impossibilité d'amener les Lacédémoniens à accepter le partage, à moins de leur démontrer, et à démontrer à la Grèce que les droits d'Athènes l'emportent sur ceux de Sparte, soit par l'importance des bienfaits, soit par l'antiquité des services, soit par la manière dont les deux villes ont usé du commandement, soit, enfin, par tout ce qui a rapport aux arts, à la philosophie, à la civilisation et à la guerre. C'est surtout à partir de l'époque des guerres persiques, qu'Isocrate fait ressortir avec le plus de magnificence la supériorité d'Athènes ; il accorde à l'une et à l'autre ville le même amour de la patrie et de la gloire, la même ardeur pour le salut de la Grèce; mais il montre, dans les faits, la supériorité de sa patrie.

Ainsi, dans la première guerre, les Lacédémoniens, pour 122 arriver sur le champ de bataille, font des efforts de célérité qui semblent tenir du prodige, mais Athènes avait vaincu, elle avait sauvé la Grèce avant que les Lacédémoniens fussent arrivés sur le lieu du combat, et, dans la seconde invasion, si trois cents Spartiates, avec Léonidas, se couvrent d'une gloire immortelle en succombant aux Thermopyles, les Athéniens, non seulement sont vainqueurs de l'avant-garde de la flotte ennemie, mais, informés des désastres de Lacédémone, ils abandonnent leur ville à la fureur des barbares pour sauver la patrie commune : la victoire de Salamine, due au génie de Thémistocle, décide du succès de la guerre : et la suprématie sur mer est déférée à Athènes par l'assentiment unanime et spontané de la Grèce. La supériorité des droits d'Athènes à cette suprématie nécessaire pour la conquête de l'Asie se trouve ainsi établie sur des faits incontestables.

Les deux villes ayant été successivement investies du commandement, il fallait démontrer que la suprématie d'Athènes avait été plus juste, plus généreuse, plus utile pour les Grecs, que la domination de Sparte; qu'elle avait donné surtout des résultats glorieux pour la Grèce; et c'est ce que fait Isocrate. Il montre que dans toutes les villes où le pouvoir de Lacédémone a pénétré, les luttes, les divisions se sont établies sous son influence, tandis qu'Athènes, respectant les droits des peuples, et conservant uniquement la direction des intérêts généraux, laissait aux villes la liberté de se gouverner selon leurs lois. Il fait voir que, sous l'influence d'Athènes, toutes les villes ont prospéré, que les arts y ont fleuri, protégés par la liberté et la paix ; tandis que tout languissait sous le pouvoir oppresseur des Harmostes de Lacédémone. Il fait voir que, sous la suprématie d'Athènes, le roi de Perse, exclu en quelque sorte de la mer, tenait ses vaisseaux renfermés dans ses ports, et respectait la liberté des villes grecques de l'Asie; tandis que la suprématie de Sparte avait replacé ces mêmes villes sous la tyrannie du roi, lui avait permis de couvrir la mer de ses vaisseaux, et l'avait laissé établir sa domination sur les îles.

Une objection se présentait encore ; Athènes, dans deux circonstances, avait agi avec rigueur à l'égard de quelques peuples alliés. Isocrate prévient cette objection et s'en empare. Il reconnaît que sa patrie a été sévère, mais il établit que, pour pouvoir accuser Athènes, il faudrait n'avoir pas commis des actes beaucoup plus graves et de la même nature : il prend de là son point de départ; il attaque Lacédémone avec verve, avec habileté; il fait voir que la dureté du gouvernement de Sparte a été la cause des plus cruelles calamités ; et que les Lacédémoniens, dans la paix d'Antalcidas, ont sacrifié la liberté des Grecs.

Isocrate avait proclamé les droits de sa patrie; mais les louanges qu'il lui avait données se rapportaient à des temps qui avaient précédé ou suivi de près l'époque des guerres persiques : or, depuis que l'ambition de Périclès avait allumé la guerre du Péloponnèse, depuis qu'il avait augmenté le pouvoir du peuple, Athènes était entrée à l'égard du roi de Perse par haine pour Lacédémone, dans le système créé par le traité d'Antalcidas ; il fallait, par conséquent, attaquer une politique devenue commune aux deux villes; Isocrate n'hésite pas; il déclare qu'il y a démence pour les Grecs à ravager mutuellement leur pays; à aider le Roi dans la répression des révoltes qui agitent son empire; à lui céder, enfin, l'Asie, au lieu de la conquérir. Puis, s'indignant contre ceux qui prétendent que l'empire des Perses est difficile à détruire, il accumule les exemples pour prouver avec quelle facilité les Grecs peuvent le renverser.

L'opportunité était aussi une condition de succès; Isocrate donne pour preuve qu'elle existe, l'état de révolte de plusieurs provinces de l'empire des Perses, les dispositions de beaucoup d'autres, et la certitude que les Grecs d'Ionie abandonneront le Roi pour se réunir à leurs frères, afin d'accomplir en commun la conquête de l'Asie.

Ces considérations le conduisent à tracer la marche de l'expédition, à presser les chefs de toutes les villes d'en hâter le moment, en travaillant à la réconciliation de Sparte et d'Athènes; et, prévenant l'objection de la paix signée à perpétuité avec le grand Roi, il en tire cet argument, qu'il est impossible de laisser subsister une paix qui a pour résultat l'asservissement de la Grèce.

Tel est l'ensemble des pensées développées dans le Panégyrique d'Athènes, chef-d'œuvre d'Isocrate; rien d'omis qui ait  124 pu servir sa cause; rien de superflu qui puisse lui ôter de l'intérêt : partout le style, comme les pensées, à la hauteur du sujet: et, si les Grecs avaient su exécuter ce qu'il osait leur conseiller, il est certain qu'ils auraient enlevé à Alexandre le théâtre de sa gloire et surpassé, malgré le génie d'Homère, la renommée des héros qu'il a chantés. Deux sentiments ont dominé la vie entière d'Isocrate : l'un est l'amour de sa patrie et de la Grèce dans laquelle il voyait, en quelque sorte, la patrie de sa patrie; l'autre est le désir ardent de voir revenir Athènes à ses anciennes institutions, à ses mœurs des temps antiques, qui avaient été les causes de sa gloire. Tous les discours politiques d'Isocrate respirent ces sentiments, mais le Panégyrique d'Athènes les surpasse tous à cet égard.

Voici comment s'explique Denys d'Halicarnasse sur l'effet qu'avait du produire cet immortel discours (1) :

«Quel homme, dit-il, ne deviendrait ami de son pays, ami du peuple, et ne voudrait pas se consacrer au culte de la probité politique, après avoir lu le Panégyrique d'Athènes, dans lequel Isocrate, en retraçant aux Athéniens les vertus de leurs ancêtres, leur montre que les hommes qui ont affranchi la Grèce de la tyrannie des Barbares, n'étaient pas seulement terribles dans les combats, mais qu'ils étaient généreux dans leurs mœurs, remplis d'ardeur pour la gloire, et pourtant pleins de modération; qu'ils prenaient plus de soin des intérêts de l'État, que de leur propre fortune? etc., etc . »

Ce témoignage, rendu par Denys d'Halicarnasse à l'effet moral que devait produire le Panégyrique, est d'autant plus précieux à constater, que, si Denys d'Halicarnasse est au nombre des grands écrivains qui ont admiré le génie d'Isocrate, il est aussi du nombre de ceux qui ont cherché à signaler les points de ses discours qui pouvaient paraître susceptibles de quelque critique; et pour ce qui touche au Panégyrique, après l'avoir proclamé comme le plus renommé entre les discours d'Isocrate, il indique, comme un défaut, l'abondance des formes oratoires, et des ornements, dont il le voit, en quelque sorte, inondé, en même temps qu'il blâme la symétrie trop constante des périodes, et la préférence trop souvent 125 donnée à l'harmonie sur la concision, à la douceur sur l'énergie du style. Il semble même vouloir insinuer que cette accumulation d'ornements aurait été, dans le Panégyrique, une erreur de la jeunesse d'Isocrate, à laquelle l'âge et la réflexion l'auraient fait renoncer plus tard. Mais, en supposant que Denys d'Halicarnasse eût raison pour le fond de sa critique, ce que nous sommes loin d'admettre, il n'en serait pas moins vrai qu'il se tromperait dans la pensée qu'Isocrate aurait répudié, dans l'âge de la sagesse, l'emploi des trésors de l'éloquence, dont il se serait montré prodigue à une autre époque  de sa vie. Nous le voyons, en effet, dans la Lettre à Philippe, où il traite le même sujet que dans le Panégyrique, regretter de ne plus avoir, à cause de son grand âge, la faculté d'orner ses périodes des nombres harmonieux et des formes variées dont il avait l'habitude de se servir dans un âge moins avancé, et qu'il enseignait, dit-il, à ses disciples, «comme autant de moyens de rendre leur parole plus douce et plus persuasive. »

Cicéron, dans le livre de l'Orateur, dit bien qu'Isocrate, en avançant en âge, se dispensait de plus en plus de l'emploi des nombres harmonieux; mais il semble voir la cause de ce changement progressif, plutôt dans le nombre croissant de ses années que dans une détermination arrêtée.

Il faut remarquer en outre que le Panégyrique n'était ni un plaidoyer qui dût être prononcé devant un tribunal, ni un discours destiné à retentir du haut de la tribune aux harangues, pour entraîner le peuple d'Athènes à quelque résolution hardie et subite ; mais que le Panégyrique était un discours composé pour être lu dans l'assemblée la plus solennelle de la Grèce; un discours fait pour ranimer chez les Grecs les sentiments de patriotisme, de justice et d'honneur; un discours enfin dont le but était de réunir, pour l'accomplissement d'un grand acte d'intérêt national, des peuples rivaux qui vivaient depuis plusieurs siècles dans un état incessant de luttes et de combats ; or, un tel discours ayant dû exiger de la part d'Isocrate l'emploi de toutes les ressources de l'éloquence, rien de plus naturel que le regret qu'il exprime. Maintenant une question se présente : la pensée du Panégyrique était grande, noble, politique; et, si elle se fût réalisée, les Grecs, en conqué-  126 rant l'Asie, se seraient couverts d'une gloire immortelle; mais, pour la réalisation de cette pensée, il fallait une volonté unique à laquelle toutes les autres fussent obligées de se soumettre ;  il fallait aux Grecs un chef suprême, ou bien il fallait, comme l'avait fait Philippe, lorsque la mort le surprit, avoir, par la force des armes et par une habile politique, asservi à sa volonté les divers États de la Grèce ; mais prétendre par la puissance de la raison et l'ascendant de l'éloquence, réunir tant de pensées dans une pensée commune, concilier tant d'intérêts, enchaîner tant de jalousies, et faire régner dans tous les cœurs le seul amour de la patrie, pouvait bien, nous osons le dire, n'être que l'illusion d'une âme généreuse et patriotique, qui oubliait que l'autorité fait tout, et que rien ne se fait sans elle.

Aucun témoignage historique ne constate l'époque à laquelle le Panégyrique aurait été lu devant la grande assemblée pour laquelle il avait été composé : et il est naturel d'en conclure qu'il ne l'a pas été; on ne saurait pas même expliquer d'une autre manière le silence de l'histoire. Car, si un tel discours eût été lu dans l'assemblée des Grecs, il aurait nécessairement produit un retentissement dont le souvenir eût été conservé; mais quelles causes ont pu empêcher Isocrate de lire le Panégyrique devant l'assemblée des Grecs? Quelques hommes d'une autorité imposante croient les apercevoir dans la timidité de son caractère et dans la faiblesse de sa voix : nous observerons que si ces deux infirmités de sa nature ne lui permettaient pas d'aborder audacieusement la tribune pour y lutter corps à corps avec les orateurs populaires, elles ne l'empêchaient pas de s'y présenter et d'y soutenir, dans des discours longtemps médités, les intérêts de sa patrie, comme dans le discours sur la Paix ou dans l'Aréopagitique. De sorte qu'on est fondé à croire que, si le grand orateur n'a pas présenté aux jeux Olympiques un discours dans lequel il croyait voir son plus beau titre de gloire, s'il s'est borné à le répandre parmi ses concitoyens, c'est, sans doute, parce qu'il ne croyait pas qu'il fût possible alors de faire adopter par tous les Grecs les principes et les idées qui seuls pouvaient sauver la patrie commune; et, en effet, à aucune époque la Grèce n'avait été plus agitée, plus divisée, plus déchirée par les 127 guerres civiles, plus soumise à l'action dissolvante de la politique des rois de Perse, que dans les temps qui ont suivi le traité d'Antalcidas (2). On peut donc dire que, s'il n'y a pas évidence de fait, il y a du moins évidence de raison, qu'Isocrate n'a pas dû lire le Panégyrique aux jeux Olympiques, parce que, dans l'état où était la Grèce, il n'avait pas l'espérance de faire triompher le seul système qui pût assurer son salut : et qu'il l'a publié, d'une part, pour essayer de disposer l'esprit des gouvernements et des peuples à entrer plus tard dans cette voie, de l'autre, pour constater, par un monument impérissable, qu'il avait fait, pour sauver son pays, tout ce qu'il était en son pouvoir de faire.

SOMMAIRE.

1. Bien qu'aucune récompense n'ait été publiquement destinée à ceux qui exercent les facultés de leur esprit, convaincu que la gloire qui doit résulter pour moi de ce discours sera un prix assez grand pour qu'on s'efforce de l'obtenir, je viens donner le conseil de faire la guerre aux Barbares, et de rétablir la concorde entre nous. Beaucoup d'hommes qui revendiquent le nom d'orateurs se sont à l'envi précipités sur ce sujet; mais, comme le succès n'a pas répondu à leur attente, et qu'un sujet qui peut, à la fois, montrer le talent de son auteur et être utile à un grand nombre d'hommes a pour moi un attrait particulier ; que, d'un autre côté, le temps où il convenait de le traiter n'est pas encore écoulé ; qu'enfin la même matière peut admettre une grande variété dans la manière de la présenter, j'ai pensé qu'il ne fallait pas fuir un tel sujet, mais le traiter mieux qu'il ne l'a été jusqu'ici. Dans l'art de l'éloquence, comme dans tous les autres, c'est moins celui qui a traité un sujet le premier, que celui qui l'a travaillé avec le plus de perfection, qui mérite d'être loué. — 2. Ceux qui blâment le soin excessif dans la composition des discours, sous prétexte qu'ils sont au-dessus de l'intelligence du vulgaire, comme si le soin excluait la simplicité, se montrent incapables d'apprécier les miens, et j'appelle de préférence le jugement des hommes exigeants et difficiles qui s'attendent à n'y trouver que ce qu'ils cherchent inutilement dans les autres. Je suis si loin de vouloir capter la bienveillance de mes auditeurs par de préalables excuses, que je les engage à me couvrir de ridicule, si je ne satisfais pas à une attente excitée par de telles promesses. Je dis ensuite que les autres orateurs s'égarent surtout en ce qu'ils engagent les Grecs à faire la guerre aux Perses, dès qu'ils auront mis un terme à leurs inimitiés particulières, et avant que les villes principales, ayant partagé le commandement, se soient réconciliées entre elles. — 3. La cause de discorde entre les Lacédémoniens et les Athéniens, qui doit être d'abord écartée, se trouve dans le double commandement sur terre et sur mer, commandement que les Lacédémoniens réclament tout entier, tandis que les Athéniens se contenteraient de le partager; or il arrivera peut-être que les Lacédémoniens consentiront au partage, si je parviens à démontrer que la suprématie de la Grèce doit, et pour beaucoup de raisons, appartenir à Athènes plutôt qu'à Sparte. — 4-5. On peut facilement démontrer par l'antiquité, la grandeur, la célébrité d'Athènes, et par les faits des temps anciens, que la suprématie de la Grèce, à laquelle les Lacédémoniens prétendent avoir un droit supérieur à tous les autres, a été dès 129 l'origine, le partage des Athéniens, et qu'ils ont versé sur les Grecs les plus grands et les plus nombreux bienfaits. — 6. Pour ce qui touche aux bienfaits, les Athéniens, étrangers au sentiment de l'envie, ont admis tous les peuples à la participation des fruits et des mystères, dons qu'ils avaient reçus de Cérès, et qui ont eu la plus puissante influence sur la civilisation des sociétés humaines. — 7. Encore que la tradition de ce fait soit digne de confiance à cause de son antiquité même, comme elle pourrait être suspectée d'incertitude par quelques personnes, elle sera confirmée par des arguments empruntés à la raison et à l'histoire. La plupart des villes grecques, en mémoire de cet antique bienfait, envoient chaque année à Athènes les prémices de leurs blés, et souvent la Pythie a ordonné à celles qui négligeaient ce devoir, d'observer les usages de leurs ancêtres. — 8. En outre il est vraisemblable que cette amélioration de la vie humaine a été introduite peu à peu, ou qu'elle a été reçue des dieux par les hommes les plus distingués et les plus pieux, ou bien encore qu'elle a été trouvée par les plus ingénieux. — 9. Dans la suite, les Athéniens, voyant les Grecs, à cause du peu d'étendue de leur territoire, pressés par la faim et par des guerres continuelles, envoyèrent dans les différentes villes de la Grèce des hommes qui, s'étant mis à la tête de ceux qui étaient privés de moyens d'existence, chassèrent les Barbares, firent des établissements, et reculèrent les limites de la Grèce. — 10-11. Enfin, tous les autres biens que les Grecs n'ont pas reçus directement de la main des dieux sont considérés comme ayant été reçus des Athéniens. La ville d'Athènes est la première qui ait fondé des lois, et constitué une république ; elle a délivré les Grecs d'une multitude de maux ; elle a inventé les arts utiles aux nécessités, comme à l'agrément de la vie. Elle offre son hospitalité à tous les peuples, et elle a établi, au milieu de la Grèce, une sorte d'entrepôt commun où l'on peut facilement se procurer toutes les choses que l'on désire. — 12. Que si les grandes assemblées méritent pour beaucoup de raisons d'être louées, notre ville, qui offre une affluence perpétuelle d'hommes réunis de toutes les parties du monde et qui a établi chez elle des jeux et des solennités de la plus grande magnificence, n'est en arrière d'aucun  peuple à cet égard. — 13. Sous le rapport de la philosophie et de l'éloquence, l'une qui a inventé les lois, qui a réglé les mœurs et l'ordre public ; l'autre qui a tracé la différence entre les hommes et les bêtes sauvages, entre les sages et les insensés, entre les savants et les ignorants; notre ville a tellement surpassé le reste de l'univers que les disciples chez elle deviennent des maîtres ailleurs, et que le nom de Grec est dans tout l'univers le synonyme d'homme ingénieux et savant. — 14. Ce n'est pas seulement dans la paix, c'est aussi dans la guerre que les bienfaits des Athéniens méritent d'être célébrés, car ils ont bravé de nombreux, de nobles périls pour leur patrie et pour la liberté des autres peuples, préférant toujours secourir les plus faibles plutôt que de s'unir à l'injustice des plus puissants. — 15-16. Les suppliants qui, dans les temps  130  les plus anciens, se sont réfugiés vers Athènes, comme vers l'autel commun de la miséricorde, attestent assez sa puissance et sa disposition constante à secourir les malheureux. Je ne veux pas ici rappeler des faits de peu d'importance ; mais Adraste, roi d'Argos, et les enfants d'Hercule ayant imploré notre secours, le premier, contre les Thébains, qui refusaient de lui remettre, pour leur donner la sépulture, les corps de ses soldats tombés sous les murs de la Cadmée ; les seconds contre Eurysthée ; les uns et les autres obtinrent un tel succès, qu'aidés par nous, Adraste obligea les Thébains à lui remettre ceux des siens qui avaient péri dans le combat, et que les enfants d'Hercule mirent un terme à la férocité d'Eurysthée. De sorte qu'Adraste ne s'éloigna de Thèbes qu'après avoir obtenu ce qu'il demandait, et Eurysthée qui avait persécuté, pendant tout le cours de sa vie, par ses injures et par les ordres qu'il lui donnait, Hercule, le fils de Jupiter, doué d'une force divine, Eurysthée, fait prisonnier par les enfants d'Hercule, périt d'une mort honteuse ; à quoi nous ajouterons qu'après ces événements, les Héraclides fondèrent Sparte, devinrent ses rois, et se trouvèrent, par suite du bienfait d'Athènes, les auteurs de la prospérité future de Lacédémone. — 17. Si donc, dans ces temps reculés, notre ville a forcé les Thébains à exécuter ses ordres ; si elle a sauvé les Lacédémoniens, si elle a vaincu les Argiens, et si ces trois peuples étaient alors les plus puissants parmi les Grecs, il est prouvé que, depuis le commencement', nos ancêtres étaient supérieurs à tous les autres Grecs. — 18. On pourrait presque s'exprimer de la même manière relativement aux Barbares, car notre ville a vaincu parmi eux les nations les plus anciennes et les plus puissantes. — 19. Les incursions des Trace et des Amazones, qui croyaient que le jour où ils auraient abattu la puissance d'Athènes, ils auraient soumis toute la Grèce, ont été repoussées par nos ancêtres avec un tel succès, que les Thraces ont été obliges de céder aux Grecs le pays qu'ils habitaient, et que, parmi les Amazones, pas une ne survécut à leur défaite. — 20-21. Dans la guerre contre Darius et Xerxès, la vertu et la puissance de nos ancêtres ont brillé d'un si grand éclat, qu'honorés du prix de la valeur, dès le commencement de la guerre, ils reçurent peu après, d'un consentement unanime, le commandement sur mer sans aucune opposition de la part des Lacédémoniens ; j'essayerai de parler d'Athènes et de Lacédémone avec un peu plus d'étendue, encore que plusieurs de nos orateurs, doués de la plus haute éloquence, aient autrefois traité ce sujet. — 22. Je ne dois pas ici passer sous silence le nom des hommes qui, avant cette guerre, dans l'une et dans l'autre ville, se sont distingués eu administrant les affaires publiques; car ils ont fondé les sages institutions et établi les mœurs qui ont inspiré au peuple la vertu qu'il a déployée dans la guerre persique : ils étaient animés, à l'égard des autres villes, des sentiments qu'ils éprouvaient relativement à eux-mêmes, et ils préféraient les gagner par des bienfaits plutôt que de les soumettre par la force. — 23. Élevés, nourris, sous l'influence de pareilles mœurs, leurs successeurs se montrèrent tels dans la guerre contre les Perses 131 qu'après avoir brisé en un instant toutes les forces de l'Asie, ils se placèrent au-dessus de toutes les louanges, et qu'aucun poète, aucun orateur, ne pourrait célébrer dignement leurs exploits. — 24. Il a toujours existé entre les Athéniens et les Lacédémoniens une noble émulation, une rivalité de gloire; mais alors ils combattaient pour le salut de la Grèce, et non pour son asservissement. Ils ont surtout montré le sentiment qui les animait les uns et les autres par la rapidité avec laquelle ils ont repoussé la première invasion des Perses. — 25. L'émulation qui enflammait les deux peuples se manifesta principalement à l'époque de la seconde invasion que Xerxès conduisait en personne, lorsque les Athéniens, comme s'ils eussent voulu combattre seuls les Barbares, vinrent attaquer leur flotte avec un petit nombre de vaisseaux, devant Artémisium, tandis que les Lacédémoniens, secondés par un petit nombre d'alliés, accouraient aux Thermopyles pour arrêter l'innombrable infanterie des Perses. — 26. La fortune toutefois ne leur fut pas également favorable ; les Lacédémoniens, entourés par leurs ennemis, périrent aux Thermopyles ; les Athéniens, après avoir vaincu les Barbares devant Artémisium, ayant appris que les Thermopyles étaient forcées, revinrent vers leur patrie, et, abandonnés de tous leurs alliés, ils entreprirent avec leurs seules forces de repousser, par terre et par mer, cette multitude innombrable d'ennemis. — 27. Après avoir rejeté, avec une noble générosité, les avantages que les Perses leur offraient s'ils voulaient consentir à cesser la guerre, et sans s'irriter contre les Grecs, qui les avaient honteusement abandonnés, ils jugèrent qu'il leur appartenait, comme chefs de la Grèce, de mourir seuls pour la patrie commune ; et, abandonnant leur ville aux ennemis qui devaient la saccager et la détruire, ils montèrent seuls sur leurs vaisseaux. Les Barbares furent vaincus à Salamine, et comme les Athéniens avaient présenté dans le combat le plus grand nombre de navires, il est évident qu'ils doivent être considérés comme les auteurs du salut de la Grèce. — 28. N'est-il donc pas juste que la conduite de la guerre contre les Barbares soit remise à ceux qui ont acquis la plus grande gloire dans les luttes antérieures; qui se sont le plus souvent exposés pour le salut des autres peuples; qui, dans les périls communs, ont obtenu le prix de la valeur ; qui ont abandonné leur ville, afin de sauver la Grèce; qui, enfin, dans les temps anciens, ont fondé le plus grand nombre de villes, et les ont préservées des plus grands dangers? — 29. Il existe, à la vérité, des hommes qui nous accusent d'avoir agi avec sévérité envers nos alliés, quand nous avons été mis en possession du commandement sur mer ; la vérité est que nous avons sévi, mais seulement contre ceux qui avaient manqué à leurs devoirs, et cela, dans la mesure qu'exige le bon ordre lorsqu'il s'agit de diriger un si grand nombre de villes ; ce fait d'ailleurs s'est produit plus rarement sous notre suprématie que sous la domination des Lacédémoniens ; de plus, nous avons pourvu au maintien de la concorde et à l'accroissement de la prospérité dans les 132 villes dont la conduite a été irréprochable, en les soumettant toutes à la même règle, ainsi que le demande une association véritable. — 30-31. Nous avons introduit partout la démocratie, qui est la forme de république à la fois la plus juste et la plus salutaire, comme notre exemple le prouve; et nous ne méritons pas d'être blâmés parce que nous avons envoyé des colons dans quelques villes désertes pour la sûreté du pays, et non parce que nous y étions excités, comme nos adversaires le prétendent, par une injuste cupidité, sentiment dont nous sommes si éloignés que nous n'avons pas même occupé l'Eubée, dont la situation nous offrait tant d'avantages. N'avons-nous pas d'ailleurs distribué aux Plaléens le territoire des Scionéens ? — 32. De quel front les décemvirs, établis par les Lacédémoniens dans les villes de la Grèce, osent-ils nous accuser de cupidité à l'égard des autres, quand ils n'ont pas rougi de commettre les actes les plus injustes et les plus odieux envers les citoyens? Quel est celui d'entre nous qui a échappé à cette calamité commune? Ils accusent en outre les jugements que nous avons rendus à cette époque, eux qui ont fait périr sans jugement, dans l'espace de trois mois, plus de citoyens que notre ville n'en a traduit devant la justice dans tout le cours de notre suprématie ! — 33. Non, l'état présent des choses, où la paix et la liberté, inscrites dans les actes, sont absentes dans les faits, n'est pas préférable à notre suprématie; car de cette paix est sortie la guerre civile, en même temps que la liberté s'est évanouie. Les Perses d'ailleurs, aussitôt que l'empire de la Grèce eut passé de nos mains dans celles de Lacédémone, devenus maîtres de la mer, ont assiégé et attaqué un grand nombre de villes grecques. — 34. La grandeur du changement qui alors s'opéra dans les rapports politiques apparaît surtout dans le rapprochement des traités conclus aujourd'hui avec ceux qui l'ont été à cette époque, puisque le roi de Perse, durant notre suprématie, renfermé dans ses limites, était forcé de payer des tributs, tandis que depuis les traités qu'il a conclus avec les Lacédémoniens, il est l'arbitre de la Grèce, il a imposé son joug à un grand nombre de villes grecques, et les Lacédémoniens souffrent que la condition de leurs habitants soit plus misérable que celle des esclaves. — 35. Les Lacédémoniens possèdent une telle puissance, qu'ils pourraient facilement délivrer leurs alliés ; mais ils sont si loin de le faire, qu'ils augmentent les forces des Barbares par la servitude qu'ils imposent à ces mêmes alliés, et qu'ils font une guerre incessante aux Grecs, tandis qu'ils concluent avec les Barbares une alliance perpétuelle. — 36. Si je me suis exprimé avec sévérité, ce n'est pas pour exciter la haine contre les Lacédémoniens, mais pour les amener, autant que cela est possible, à renoncer à un funeste système. C'est, enfin, dans la même pensée que j'ajoute qu'ils forcent leurs voisins à subir le joug de leur ville, et que, loin de faire des Barbares les esclaves de toute la Grèce, ils vexent les malheureux insulaires par leurs exactions, eu même temps qu'ils permettent aux habitants de l'Asie de vivre dans l'abondance. — 37. Nous sommes tombés les uns et les au- 133 très dans un tel étal de démence que, négligeant les fruits utiles que nous pourrions retirer de l'Asie, nous ravageons notre propre territoire, qu'au lieu d'exciter des soulèvements chez les Barbares, nous nous efforçons d'apaiser ceux que le hasard y fait naître, et que, sans y être contraints, uniquement entraînés par notre propre folie, nous nous disputons entre nous pour des choses sans importance, permettant au roi de Perse, qui se rit de notre simplicité, de se servir de nos forces et de considérer l'Asie comme un territoire qui lui appartient. — 38. Ceux qui soutiennent l'opinion que le roi de Perse, dans ce moment où ses États sont agités par des troubles, est difficile à attaquer, à cause de l'immensité de sa puissance, nous conseillent en réalité d'entreprendre la guerre, au lieu de nous en dissuader, et se trompent de beaucoup dans l'évaluation de ses forces. — 39. Car nous devons moins les apprécier par les succès qu'il a obtenus, quand il a été uni aux Athéniens ou aux Lacédémoniens, que par les choses qu'il a faites, quand il a agi seul, puisque c'est alors qu'on reconnaît sa faiblesse, dont les exemples font foi. L'Egypte s'était révoltée, et il a vainement, pendant trois ans, essayé de la réduire. Il assiège depuis six ans Évagoras, roi de Salamine, dans l'ile de Chypre, et il n'a pas encore pu triompher de sa résistance; enfin, après avoir assiégé pendant trois ans la flotte de Lacédémone dans les parages de Cnide, c'est à peine s'il est parvenu à la vaincre. J'ai choisi à dessein des faits qui sont comptés parmi ses plus magnifiques exploits ; encore que je n'ignore pas ceux qui mettent dans une si grande évidence la lâcheté des satrapes et des généraux du Roi. — 40. Dercyllidas, général des Lacédémoniens, n'a-t-il pas, avec mille hommes armés à la légère, occupé l'Éolie? Dracon, avec trois mille, n'a-l-il pas dévasté la Mysie? Thymbron, avec le même nombre de soldats, n'a-t-il pas ravagé la Lydie presque entière? Agésilas, enfin, avec les débris de l'armée du jeune Cyrus, ne s'est-il pas rendu maître de presque toute la partie de l'Asie qui est située en deçà du fleuve Halys ? Ajoutons que les armées qui entourent le Roi lui-même, et les habitants de l'Asie intérieure, n'ont pas montré plus de valeur que les autres Perses ; car ils n'ont pas osé combattre l'armée faible et abandonnée de Cyrus ; ils lui ont vainement dressé des embûches ; et bien qu'elle eût attaqué le Roi en personne, ils ont souffert qu'elle se retirât sans lui avoir fait éprouver aucun échec. Les Perses ont donc partout montré leur lâcheté.- 41. C'est dans leur éducation et dans la forme de leur organisation politique que l'on doit chercher la cause pour laquelle les généraux et les soldats sont dénués de toute énergie et étrangers à toute vertu. Les grands, pleins d'abjection et d'insolence dans le palais même du Roi, conservent les mêmes mœurs dans les provinces de l'empire. Infidèles envers leurs amis, lâches envers leurs ennemis, leur vie est un mélange de bassesse et d'orgueil : ils méprisent leurs alliés et servent leurs ennemis. On peut citer pour exemples ce qui concerne Conon, Thémistocle, Agésilas, etc. Jamais ils n'ont cessé de dresser des embûches aux Grecs, et tout ce qui nous appartient a été pour eux l'objet 134 d'une telle haine, qu'ils n'ont pas même épargné les temples des dieux. — 42. On doit donc louer les Grecs qui, en ne rétablissant pas les temples détruits par les Barbares, et en prononçant contre les Perses l'exclusion des mystères, ont voulu laisser dans les siècles à venir un monument perpétuel de leur haine. La haine pour ainsi dire naturelle que les Grecs portent aux Barbares apparaît encore dans les hymnes qui ont été composés à l'occasion de la guerre que nous leur avons faite, et dans le plaisir avec lequel nous entendons le récit des malheurs qui les ont frappés. C'est à cette cause que nous devons attribuer l'honneur rendu par nos ancêtres aux poésies d'Homère, qu'ils ont ordonné de lire dans les écoles, et dont ils ont fait un objet d'émulation. — 43. Parmi les motifs qui doivent nous engager à faire la guerre aux Barbares, il faut placer en première ligne l'époque actuelle ; car il ne serait pas possible d'en trouver une plus opportune, puisque la plupart des villes de l'Asie se sont séparées de l'obéissance du Roi, ont été dévastées, ou sont occupées par ses ennemis. Si, profitant de cette occasion, nous nous emparons d'avance des villes maritimes de l'Asie, toutes les autres, qui portent impatiemment le joug du Roi, passeront de notre côté, et, en l'attaquant alors avec nos forces réunies, nous nous rendrons facilement maîtres de toute l'Asie. — 44. Ajoutons que plus l'expédition sera faite avec promptitude, plus ses résultats seront avantageux. L'équité demande même qu'on l'entreprenne sans retard, afin que ceux qui ont eu part aux plus grandes calamités qui jusqu'ici ont affligé la Grèce, participent aussi à ses prospérités. — 45-46-47. Plus les chefs des villes se montrent pusillanimes, en abandonnant à des hommes placés dans des situations privées les soins qui devraient être les premiers pour eux, plus nous devons nous montrer zélés à mettre un terme à nos haines et à prendre la résolution de faire d'un accord unanime la guerre aux Barbares ; un ami et un ennemi communs, aussi bien que l'abondance des choses nécessaires à la vie, sont la meilleure garantie de la concorde. Cette raison doit nous engager à nous hâter de transporter le plus tôt possible la guerre de Grèce en Asie ; car la paix récemment faite avec les Barbares ne peut pas être un obstacle pour nous, puisqu'elle est entièrement contraire à la justice ; que les Barbares eux-mêmes ne l'observent pas et qu'elle ressemble plutôt à une injonction qu'à un traité; certes les envoyés qui ont fait la paix d'Antalcidas devraient être mis en accusation pour n'avoir rien stipulé en faveur des Lacédémoniens et des Athéniens, qui avaient fait la guerre pour consolider leur puissance, et pour n'avoir pas même décidé si les uns et les autres rendraient ou conserveraient ce qui avait été conquis par la force des armes; tandis qu'ils constituaient honteusement le Barbare maître de toute l'Asie, comme si la guerre eût été faite dans son intérêt. — 48. Enfin, c'est une ignominie pour nous de ne pas tirer vengeance d'injures faites à toute la Grèce, quand nos ancêtres, pour une femme enlevée, ont combattu pendant dix années contre les Barbares, et ont détruit la ville de Troie. 13549. Non-seulement notre intérêt nous engage à faire cette expédition, mais nous y sommes appelés par la justice, par une jalousie légitime, par le respect que nous devons à nos ancêtres, et par la faiblesse de nos ennemis. — 50. Lorsque le châtiment des Barbares, l'empire de l'Asie et une gloire éternelle sont comme autant de prix offerts pour cette grande expédition, on peut regarder comme certain qu'un grand nombre d'hommes voudront y prendre part. — 51. {Épilogue.) Maintenant je me sens incapable de tracer même une esquisse du bonheur qui doit résulter d'une telle entreprise, mais j'exhorte mes auditeurs à se pénétrer des sentiments que je viens d'exprimer, afin que ceux qui sont investis d'une grande puissance s'attachent à réconcilier 4thènes et Lacédémone, et que, d'un autre côté, les orateurs dirigent leurs efforts vers des sujets de cette nature plutôt que de porter leur émulation vers des sujets moins graves et moins utiles.

(1) Examen des plus célèbres écrivains de la Grèce, Isocr., chap. 6.

(2) Antalcidas, poursuivi parle mépris public, se réfugia en Perse, et, chassé par le roi, se laissa mourir de faim.

 

ΙΣΟΚΡΑΤΟΥΣ ΠΑΝΗΓΥPΙΚΟΣ

[1] Πολλάκις ἐθαύμασα τῶν τὰς πανηγύρεις συναγαγόντων καὶ τοὺς γυμνικοὺς ἀγῶνας καταστησάντων, ὅτι τὰς μὲν τῶν σωμάτων εὐτυχίας οὕτω μεγάλων δωρεῶν ἠξίωσαν, τοῖς δ' ὑπὲρ τῶν κοινῶν ἰδίᾳ πονήσασι καὶ τὰς αὑτῶν ψυχὰς οὕτω παρασκευάσασιν ὥστε καὶ τοὺς ἄλλους ὠφελεῖν δύνασθαι, [2] τούτοις δ' οὐδεμίαν τιμὴν ἀπένειμαν, ὧν εἰκὸς ἦν αὐτοὺς μᾶλλον ποιήσασθαι πρόνοιαν· τῶν μὲν γὰρ ἀθλητῶν δὶς τοσαύτην ῥώμην λαβόντων οὐδὲν ἂν πλέον γένοιτο τοῖς ἄλλοις, ἑνὸς δ' ἀνδρὸς εὖ φρονήσαντος ἅπαντες ἂν ἀπολαύσειαν οἱ βουλόμενοι κοινωνεῖν τῆς ἐκείνου διανοίας.  [3] Οὐ μὴν ἐπὶ τούτοις ἀθυμήσας εἱλόμην ῥᾳθυμεῖν, ἀλλ' ἱκανὸν νομίσας ἆθλον ἔσεσθαί μοι τὴν δόξαν τὴν ἀπ' αὐτοῦ τοῦ λόγου γενησομένην ἥκω συμβουλεύσων περί τε τοῦ πολέμου τοῦ πρὸς τοὺς βαρβάρους καὶ τῆς ὁμονοίας τῆς πρὸς ἡμᾶς αὐτοὺς, οὐκ ἀγνοῶν ὅτι πολλοὶ τῶν προσποιησαμένων εἶναι σοφιστῶν ἐπὶ τοῦτον τὸν λόγον ὥρμησαν, [4] ἀλλ' ἅμα μὲν ἐλπίζων τοσοῦτον διοίσειν ὥστε τοῖς ἄλλοις μηδὲν πώποτε δοκεῖν εἰρῆσθαι περὶ αὐτῶν, ἅμα δὲ προκρίνας τούτους καλλίστους εἶναι τῶν λόγων, οἵτινες περὶ μεγίστων τυγχάνουσιν ὄντες καὶ τούς τε λέγοντας μάλιστ' ἐπιδεικνύουσι καὶ τοὺς ἀκούοντας πλεῖστ' ὠφελοῦσιν· [5] ὧν εἶς οὗτός ἐστιν.  Ἔπειτ' οὐδ' οἱ καιροί πω παρεληλύθασιν ὥστ' ἤδη μάτην εἶναι τὸ μεμνῆσθαι περὶ τούτων. Τότε γὰρ χρὴ παύεσθαι λέγοντας, ὅταν ἢ τὰ πράγματα λάβῃ τέλος καὶ μηκέτι δέῃ βουλεύεσθαι περὶ αὐτῶν, ἢ τὸν λόγον ἴδῃ τις ἔχοντα πέρας ὥστε μηδεμίαν λελεῖφθαι τοῖς ἄλλοις ὑπερβολήν.  [6] Ἕως δ' ἂν τὰ μὲν ὁμοίως ὥσπερ πρότερον φέρηται, τὰ δ' εἰρημένα φαύλως ἔχοντα τυγχάνῃ, πῶς οὐ χρὴ σκοπεῖν καὶ φιλοσοφεῖν τοῦτον τὸν λόγον, ὃς ἢν κατορθωθῇ, καὶ τοῦ πολέμου τοῦ πρὸς ἀλλήλους καὶ τῆς ταραχῆς τῆς παρούσης καὶ τῶν μεγίστων κακῶν ἡμᾶς ἀπαλλάξει;
[7] Πρὸς δὲ τούτοις εἰ μὲν μηδαμῶς ἄλλως οἷόν τ' ἦν δηλοῦν τὰς αὐτὰς πράξεις ἀλλ' ἢ διὰ μιᾶς ἰδέας, εἶχεν ἄν τις ὑπολαβεῖν ὡς περίεργόν ἐστι τὸν αὐτὸν τρόπον ἐκείνοις λέγοντα πάλιν ἐνοχλεῖν τοῖς ἀκούουσιν· ἐπειδὴ δ' οἱ λόγοι τοιαύτην ἔχουσι τὴν φύσιν [8] ὥσθ' οἷόν τ' εἶναι περὶ τῶν αὐτῶν πολλαχῶς ἐξηγήσασθαι καὶ τά τε μεγάλα ταπεινὰ ποιῆσαι καὶ τοῖς μικροῖς μέγεθος περιθεῖναι, καὶ τά τε παλαιὰ καινῶς διελθεῖν καὶ περὶ τῶν νεωστὶ γεγενημένων ἀρχαίως εἰπεῖν, οὐκέτι φευκτέον ταῦτ' ἐστὶ περὶ ὧν ἕτεροι πρότερον εἰρήκασιν, ἀλλ' ἄμεινον ἐκείνων εἰπεῖν πειρατέον. [9] Αἱ μὲν γὰρ πράξεις αἱ προγεγενημέναι κοιναὶ πᾶσιν ἡμῖν κατελείφθησαν, τὸ δ' ἐν καιρῷ ταύταις καταχρήσασθαι καὶ τὰ προσήκοντα περὶ ἑκάστης ἐνθυμηθῆναι καὶ τοῖς ὀνόμασιν εὖ διαθέσθαι τῶν εὖ φρονούντων ἴδιόν ἐστιν. [10] Ἡγοῦμαι δ' οὕτως ἂν μεγίστην ἐπίδοσιν λαμβάνειν καὶ τὰς ἄλλας τέχνας καὶ τὴν περὶ τοὺς λόγους φιλοσοφίαν, εἴ τις θαυμάζοι καὶ τιμῴη μὴ τοὺς πρώτους τῶν ἔργων ἀρχομένους, ἀλλὰ τοὺς ἄρισθ' ἕκαστον αὐτῶν ἐξεργαζομένους, μηδὲ τοὺς περὶ τούτων ζητοῦντας λέγειν, περὶ ὧν μηδεὶς πρότερον εἴρηκεν, ἀλλὰ τοὺς οὕτως ἐπισταμένους εἰπεῖν ὡς οὐδεὶς ἂν ἄλλος δύναιτο.

ISOCRATE.

PANÉGYRIQUE.

IV.

1. [1] Je me suis souvent étonné que ceux qui ont institué nos grandes assemblées, et les fondateurs des jeux gymniques, aient considéré comme dignes de si magnifiques récompenses les succès obtenus par la force corporelle, [2] tandis qu'ils ne destinaient aucun honneur aux hommes qui, faisant de l'intérêt public l'objet particulier de leurs méditations, s'efforcent de développer les facultés de leur âme, afin d'être utiles aux autres. C'était pourtant vers les hommes de cette nature que leur prévoyance aurait dû se porter ; les athlètes pourraient acquérir une force double, sans qu'il en résultât aucun avantage pour l'humanité ; tandis que s'il se présente un homme d'un esprit sage et élevé, tous ceux qui en ont la volonté peuvent participer aux fruits de son intelligence. [3] Cette considération n'a point ébranlé mon courage ni ralenti mon ardeur ; et, regardant comme un prix assez beau la gloire qui résultera pour moi de ce discours, je viens vous offrir des conseils et sur la guerre qu'il faut faire aux Barbares et sur l'harmonie qu'il convient d'établir entre nous. Je n'ignore pas qu'un grand nombre d'orateurs qui se prétendent habiles ont à l'envi abordé ce sujet ; [4] mais, d'une part, j'ai l'espoir de mettre entre eux et moi une telle distance, 139 qu'il semblera que rien n'avait été dit sur cette matière ; et de l'autre, j'ai pour maxime que les meilleurs discours sont ceux qui, traitant les questions les plus élevées, mettent le plus en évidence le talent de leur auteur, et offrent à leurs auditeurs l'utilité la plus réelle ; [5] celui-ci est de cette nature, et les temps auxquels il s'applique ne sont pas tellement éloignés qu'il devienne superflu d'en réveiller la mémoire. Il faut cesser de parler des affaires lorsqu'elles ont atteint leur terme, qu'il n'y a plus à délibérer à leur égard, ou lorsqu'on voit la discussion parvenue [6] à un point tel qu'il n'y a plus rien à y ajouter. Mais lorsque la situation est restée la même et que tout ce qui a été dit est de peu de valeur, n'est-ce donc pas un devoir de préparer, de méditer un discours qui, s'il était couronné par le succès, nous délivrerait des guerres intestines qui nous déchirent, des troubles qui nous agitent, des maux extrêmes que nous souffrons? [7] J'ajoute que si les mêmes faits ne pouvaient être présentés que sous une seule forme, on serait en droit de penser qu'il est inutile de fatiguer de nouveau les auditeurs, en répétant les mêmes choses de la même manière; mais puisqu'il est dans la nature même de l'éloquence de développer diversement les mêmes sujets, [8] de rabaisser ce qui est grand, de donner de la grandeur à ce qui en est privé, de présenter sous une forme nouvelle les faits anciens, de revêtir les faits nouveaux d'une apparente antiquité, il ne faut pas fuir un sujet parce que d'autres l'ont traité ; il faut s'efforcer de le traiter mieux qu'ils ne l'ont fait. [9] Les événements accomplis sont comme une propriété 141 commune, abandonnée à tous les hommes ; mais s'en servir à propos, avoir sur chacun d'eux des pensées convenables, embellir ces pensées des charmes de l'éloquence, est le propre des esprits sages. [10] Enfin, je crois que l'art oratoire, de même que les autres arts, prendrait un grand développement si l'on voulait honorer et admirer, non pas ceux qui les premiers ont abordé un sujet, mais ceux qui en ont traité chaque partie avec le plus de perfection; non pas ceux qui s'attachent à parler de choses dont personne ne s'est occupé avant eux, mais ceux qui savent s'exprimer comme personne ne pourrait le faire.

 

[11] Καίτοι τινὲς ἐπιτιμῶσι τῶν λόγων τοῖς ὑπὲρ τοὺς ἰδιώτας ἔχουσι καὶ λίαν ἀπηκριβωμένοις, καὶ τοσοῦτον διημαρτήκασιν ὥστε τοὺς πρὸς ὑπερβολὴν πεποιημένους πρὸς τοὺς ἀγῶνας τοὺς περὶ τῶν ἰδίων συμβολαίων σκοποῦσιν, ὥσπερ ὁμοίως δέον ἀμφοτέρους ἔχειν, ἀλλ' οὐ τοὺς μὲν ἀφελῶς, τοὺς δ' ἐπιδεικτικῶς, ἢ σφᾶς μὲν διορῶντας τὰς μετριότητας, τὸν δ' ἀκριβῶς ἐπιστάμενον λέγειν ἁπλῶς οὐκ ἂν δυνάμενον εἰπεῖν. [12] Οὗτοι μὲν οὖν οὐ λελήθασιν ὅτι τούτους ἐπαινοῦσιν ὧν ἐγγὺς αὐτοὶ τυγχάνουσιν ὄντες· ἐμοὶ δ' οὐδὲν πρὸς τοὺς τοιούτους, ἀλλὰ πρὸς ἐκείνους ἐστὶ τοὺς οὐδὲν ἀποδεξομένους τῶν εἰκῇ λεγομένων, ἀλλὰ δυσχερανοῦντας καὶ ζητήσοντας ἰδεῖν τι τοιοῦτον ἐν τοῖς ἐμοῖς οἷον παρὰ τοῖς ἄλλοις οὐχ εὑρήσουσιν. Πρὸς οὓς ἔτι μικρὸν ὑπὲρ ἐμαυτοῦ θρασυνάμενος ἤδη περὶ τοῦ πράγματος ποιήσομαι τοὺς λόγους.

[13] Τοὺς μὲν γὰρ ἄλλους ἐν τοῖς προοιμίοις ὁρῶ καταπραΰνοντας τοὺς ἀκροατὰς καὶ προφασιζομένους ὑπὲρ τῶν μελλόντων ῥηθήσεσθαι καὶ λέγοντας, τοὺς μὲν ὡς ἐξ ὑπογυίου γέγονεν αὐτοῖς ἡ παρασκευὴ, τοὺς δ' ὡς χαλεπόν ἐστιν ἴσους τοὺς λόγους τῷ μεγέθει τῶν ἔργων ἐξευρεῖν. [14] Ἐγὼ δ' ἢν μὴ καὶ τοῦ πράγματος ἀξίως εἴπω καὶ τῆς δόξης τῆς ἐμαυτοῦ καὶ τοῦ χρόνου, μὴ μόνον τοῦ περὶ τὸν λόγον ἡμῖν διατριφθέντος, ἀλλὰ καὶ σύμπαντος οὗ βεβίωκα, παρακελεύομαι μηδεμίαν μοι συγγνώμην ἔχειν, ἀλλὰ καταγελᾶν καὶ καταφρονεῖν· οὐδὲν γὰρ ὅ τι τῶν τοιούτων οὐκ ἄξιός εἰμι πάσχειν, εἴπερ μηδὲν διαφέρων οὕτω μεγάλας ποιοῦμαι τὰς ὑποσχέσεις. Περὶ μὲν οὖν τῶν ἰδίων ταῦτά μοι προειρήσθω.

[15] Περὶ δὲ τῶν κοινῶν, ὅσοι μὲν εὐθὺς ἐπελθόντες διδάσκουσιν ὡς χρὴ διαλυσαμένους τὰς πρὸς ἡμᾶς αὐτοὺς ἔχθρας ἐπὶ τὸν βάρβαρον τραπέσθαι, καὶ διεξέρχονται τάς τε συμφορὰς τὰς ἐκ τοῦ πολέμου τοῦ πρὸς ἀλλήλους ἡμῖν γεγενημένας καὶ τὰς ὠφελείας τὰς ἐκ τῆς στρατείας τῆς ἐπ' ἐκεῖνον ἐσομένας, ἀληθῆ μὲν λέγουσιν, οὐ μὴν ἐντεῦθεν ποιοῦνται τὴν ἀρχὴν ὅθεν ἂν μάλιστα συστῆσαι ταῦτα δυνηθεῖεν. [16] Τῶν γὰρ Ἑλλήνων οἱ μὲν ὑφ' ἡμῖν, οἱ δ' ὑπὸ Λακεδαιμονίοις εἰσίν· αἱ γὰρ πολιτεῖαι, δι' ὧν οἰκοῦσι τὰς πόλεις, οὕτω τοὺς πλείστους αὐτῶν διειλήφασιν. Ὅστις οὖν οἴεται τοὺς ἄλλους κοινῇ τι πράξειν ἀγαθὸν πρὶν ἂν τοὺς προεστῶτας αὐτῶν διαλλάξῃ, λίαν ἁπλῶς ἔχει καὶ πόρρω τῶν πραγμάτων ἐστίν. [17] Ἀλλὰ δεῖ τὸν μὴ μόνον ἐπίδειξιν ποιούμενον, ἀλλὰ καὶ διαπράξασθαί τι βουλόμενον ἐκείνους τοὺς λόγους ζητεῖν, οἵτινες τὼ πόλεε τούτω πείσουσιν ἰσομοιρῆσαι πρὸς ἀλλήλας καὶ τάς θ' ἡγεμονίας διελέσθαι, καὶ τὰς πλεονεξίας, ἃς νῦν παρὰ τῶν Ἑλλήνων ἐπιθυμοῦσιν αὑταῖς γίγνεσθαι, ταύτας παρὰ τῶν βαρβάρων ποιήσασθαι.

[18] Τὴν μὲν οὖν ἡμετέραν πόλιν ῥᾴδιον ἐπὶ ταῦτα προαγαγεῖν, Λακεδαιμόνιοι δὲ νῦν μὲν ἔτι δυσπείστως ἔχουσι· παρειλήφασι γὰρ ψευδῆ λόγον, ὡς ἔστιν αὐτοῖς ἡγεῖσθαι πάτριον· ἢν δ' ἐπιδείξῃ τις αὐτοῖς ταύτην τὴν τιμὴν ἡμετέραν οὖσαν μᾶλλον ἢ 'κείνων, τάχ' ἂν ἐάσαντες τὸ διακριβοῦσθαι περὶ τούτων ἐπὶ τὸ συμφέρον ἔλθοιεν. [19] Ἐχρῆν μὲν οὖν καὶ τοὺς ἄλλους ἐντεῦθεν ἄρχεσθαι καὶ μὴ πρότερον περὶ τῶν ὁμολογουμένων συμβουλεύειν, πρὶν περὶ τῶν ἀμφισβητουμένων ἡμᾶς ἐδίδαξαν· ἐμοὶ δ' οὖν ἀμφοτέρων ἕνεκα προσήκει περὶ ταῦτα ποιήσασθαι τὴν πλείστην διατριβὴν, μάλιστα μὲν ἵνα προὔργου τι γένηται καὶ παυσάμενοι τῆς πρὸς ἡμᾶς αὐτοὺς φιλονικίας κοινῇ τοῖς βαρβάροις πολεμήσωμεν, [20] εἰ δὲ τοῦτ' ἐστὶν ἀδύνατον, ἵνα δηλώσω τοὺς ἐμποδὼν ὄντας τῇ τῶν Ἑλλήνων εὐδαιμονίᾳ, καὶ πᾶσι γένηται φανερὸν ὅτι καὶ πρότερον ἡ πόλις ἡμῶν δικαίως τῆς θαλάττης ἦρξεν καὶ νῦν οὐκ ἀδίκως ἀμφισβητεῖ τῆς ἡγεμονίας.  [21] Τοῦτο μὲν γὰρ εἰ δεῖ τούτους ἐφ' ἑκάστῳ τιμᾶσθαι τῶν ἔργων τοὺς ἐμπειροτάτους ὄντας καὶ μεγίστην δύναμιν ἔχοντας, ἀναμφισβητήτως ἡμῖν προσήκει τὴν ἡγεμονίαν ἀπολαβεῖν, ἥνπερ πρότερον ἐτυγχάνομεν ἔχοντες· οὐδεὶς γὰρ ἂν ἑτέραν πόλιν ἐπιδείξειεν τοσοῦτον ἐν τῷ πολέμῳ τῷ κατὰ γῆν ὑπερέχουσαν, ὅσον τὴν ἡμετέραν ἐν τοῖς κινδύνοις τοῖς κατὰ θάλατταν διαφέρουσαν. [22] Τοῦτο δ' εἴ τινες ταύτην μὲν μὴ νομίζουσιν δικαίαν εἶναι τὴν κρίσιν, ἀλλὰ πολλὰς τὰς μεταβολὰς γίγνεσθαι, τὰς γὰρ δυναστείας οὐδέποτε τοῖς αὐτοῖς παραμένειν, ἀξιοῦσιν δὲ τὴν ἡγεμονίαν ἔχειν ὥσπερ ἄλλο τι γέρας ἢ τοὺς πρώτους τυχόντας ταύτης τῆς τιμῆς ἢ τοὺς πλείστων ἀγαθῶν αἰτίους τοῖς Ἕλλησιν ὄντας, ἡγοῦμαι καὶ τούτους εἶναι μεθ' ἡμῶν· [23] ὅσῳ γὰρ ἄν τις πορρωτέρωθεν σκοπῇ περὶ τούτων ἀμφοτέρων, τοσούτῳ πλέον ἀπολείψομεν τοὺς ἀμφισβητοῦντας.
 

2. [11] Il existe cependant des hommes qui blâment les discours au-dessus de la portée du vulgaire et perfectionnés avec un soin extrême. Leur erreur est si grande qu'ils établissent une comparaison entre des discours composés pour obtenir une noble gloire et des plaidoyers qui ont pour objet des contrats particuliers, comme si les uns et les autres devaient être de la même nature, que ceux-ci n'eussent pas pour objet un avantage positif, les autres un succès d'ostentation, ou comme s'ils apercevaient les nuances intermédiaires qui séparent ces deux espèces de discours, et qu'il ne fut pas possible à celui qui sait parler avec élégance de s'exprimer avec simplicité. [12] Ces hommes ne peuvent se dissimuler qu'ils n'ont de louanges que pour ceux qui leur ressemblent. Quant à moi, je n'ai rien de commun avec de tels hommes, et je m'adresse uniquement à ceux qui, n'approuvant rien témérairement, se montrent difficiles, et cherchent dans mes discours ce qu'ils ne trouvent pas dans les discours des autres. C'est pour eux que je hasarderai encore quelques mots sur ce qui m'est personnel; j'entrerai ensuite en matière.

[13] Je vois, en général, les orateurs chercher, au début 143 de leurs discours, à se concilier la bienveillance de leur auditoire, présenter des excuses au sujet de ce qu'ils doivent dire, et alléguer, les uns, le peu de temps qu'ils ont eu pour se préparer, les autres, la difficulté de trouver des pensées et des expressions à la hauteur des objets qu'ils doivent traiter. [14] Pour moi, si je ne parle pas d'une manière digne à la fois et du sujet que je traite et de ma réputation, et non-seulement du temps que j'ai employé à composer ce discours (a), mais de ma vie tout entière, je ne sollicite aucune indulgence, je me livre à la risée et au mépris ; car il n'est rien en ce genre que je ne mérite de souffrir, si, après avoir fait de si grandes promesses, je ne sais pas me montrer supérieur à mes rivaux. Voilà ce que j'avais à dire sur ce qui m'est personnel.

[15] Pour ce qui touche aux intérêts publics, les orateurs, dès qu'ils sont à la tribune, nous enseignent qu'il faut mettre un terme aux haines qui nous divisent et les tourner contre le Barbare; ils font ensuite le tableau des calamités produites par la guerre que nous nous faisons entre nous, et des fruits qui résulteraient d'une expédition contre l'ennemi commun ; sans doute ils disent la vérité, mais ils ne prennent pas le point de départ qu'il faudrait prendre pour nous assurer ces avantages. [16] Une partie des Grecs est sous notre influence, l'autre sous celle de Sparte ; et la nature des institutions qui régissent les différents peuples de la Grèce détermine en général cette division. Par conséquent, celui qui croit persuader aux autres peuples d'agir dans l'intérêt commun avant d'avoir réconcilié entre elles les deux villes prépondérantes, montre une grande simplicité d'esprit et prouve qu'il est loin de la vérité des affaires, [17] tandis que l'orateur qui ne cherche pas seulement à faire briller son 441 talent, mais qui veut atteindre un but utile, doit chercher des paroles qui persuadent aux deux villes de s'établir sur un pied d'égalité, de partager le pouvoir et d'assouvir alors aux dépens des Barbares l'ambitieuse cupidité qu'elles s'efforcent aujourd'hui de satisfaire aux dépens de la Grèce.

3. [18] On peut sans peine amener notre patrie à comprendre cette vérité, mais les Lacédémoniens sont encore aujourd'hui difficiles à persuader, parce qu'ils ont adopté cette fausse opinion, que le commandement est pour eux un droit héréditaire ; de sorte que s'il était possible de leur montrer que cet honneur nous appartient plutôt qu'à eux, peut-être, qu'abandonnant de subtiles discussions sur le droit, ils se porteraient vers ce que demande l'intérêt général. [19] Il aurait donc fallu que les orateurs qui m'ont précédé commençassent par examiner à ce point de vue l'état des affaires, et qu'ils n'eussent pas établi la délibération sur des choses convenues, avant de nous avoir éclairés sur celles qui étaient en litige. Deux motifs me déterminent à insister principalement sur cet objet : le premier, c'est, avant tout, d'arriver à un résultat et d'obtenir que, mettant un terme aux jalousies qui nous divisent, nous fassions en commun la guerre aux Barbares; [20] le second, si ce premier but ne peut être atteint, est de montrer quels sont ceux qui mettent obstacle au bonheur de la Grèce, et de rendre évident à tous les yeux, d'une part, que notre ville a possédé la première, et possédé justement l'empire de la mer; de l'autre, que maintenant elle prétend avec justice à l'honneur de commander. [21] Or, s'il est vrai que dans toutes les circonstances on doive surtout accorder les honneurs à ceux qui réunissent à la plus grande puissance la plus grande expérience, il nous appartient sans contestation de reprendre le commandement dont nous étions investis à d'autres époques, puisque personne ne pourrait citer une autre ville qui, sur terre, 147 ait obtenu une supériorité égale à celle que nous avons acquise dans les périls sur mer ; [22] ou si l'on croit que ce jugement n'est pas équitable, et que, s'appuyant sur les nombreux changements qui arrivent dans les situations politiques (car la puissance ne reste pas toujours dans les mêmes mains), on prétende que le droit de commander, connue toute autre prérogative, doit appartenir, soit à ceux qui en ont été en possession les premiers, soit à ceux qui ont rendu le plus de services à la Grèce, je regarde cette opinion comme favorable à ma cause; [23] car, plus on voudra remonter vers les temps anciens pour examiner la question sous l'un et l'autre rapport, plus nous laisserons en arrière ceux qui veulent nous disputer l'honneur que nous réclamons.

 Ὁμολογεῖται μὲν γὰρ τὴν πόλιν ἡμῶν ἀρχαιοτάτην εἶναι καὶ μεγίστην καὶ παρὰ πᾶσιν ἀνθρώποις ὀνομαστοτάτην· οὕτω δὲ καλῆς τῆς ὑποθέσεως οὔσης, ἐπὶ τοῖς ἐχομένοις τούτων ἔτι μᾶλλον ἡμᾶς προσήκει τιμᾶσθαι. [24] Ταύτην γὰρ οἰκοῦμεν οὐχ ἑτέρους ἐκβαλόντες οὐδ' ἐρήμην καταλαβόντες οὐδ' ἐκ πολλῶν ἐθνῶν μιγάδες συλλεγέντες, ἀλλ' οὕτω καλῶς καὶ γνησίως γεγόναμεν ὥστ' ἐξ ἧσπερ ἔφυμεν, ταύτην ἔχοντες ἅπαντα τὸν χρόνον διατελοῦμεν, αὐτόχθονες ὄντες καὶ τῶν ὀνομάτων τοῖς αὐτοῖς οἷσπερ τοὺς οἰκειοτάτους τὴν πόλιν ἔχοντες προσειπεῖν.
[25] Μόνοις γὰρ ἡμῖν τῶν Ἑλλήνων τὴν αὐτὴν τροφὸν καὶ πατρίδα καὶ μητέρα καλέσαι προσήκει. Καίτοι χρὴ τοὺς εὐλόγως μέγα φρονοῦντας καὶ περὶ τῆς ἡγεμονίας δικαίως ἀμφισβητοῦντας καὶ τῶν πατρίων πολλάκις μεμνημένους τοιαύτην τὴν ἀρχὴν τοῦ γένους ἔχοντας φαίνεσθαι.

[26] Τὰ μὲν οὖν ἐξ ἀρχῆς ὑπάρξαντα καὶ παρὰ τῆς τύχης δωρηθέντα τηλικαῦθ' ἡμῖν τὸ μέγεθός ἐστιν· ὅσων δὲ τοῖς ἄλλοις ἀγαθῶν αἴτιοι γεγόναμεν, οὕτως ἂν κάλλιστ' ἐξετάσαιμεν, εἰ τόν τε χρόνον ἀπ' ἀρχῆς καὶ τὰς πράξεις τὰς τῆς πόλεως ἐφεξῆς διέλθοιμεν. Εὑρήσομεν γὰρ αὐτὴν οὐ μόνον τῶν πρὸς τὸν πόλεμον κινδύνων, ἀλλὰ καὶ τῆς ἄλλης κατασκευῆς, [27] ἐν ᾗ κατοικοῦμεν καὶ μεθ' ἧς πολιτευόμεθα καὶ δι' ἣν ζῆν δυνάμεθα, σχεδὸν ἁπάσης αἰτίαν οὖσαν. Ἀνάγκη δὲ προαιρεῖσθαι τῶν εὐεργεσιῶν μὴ τὰς διὰ μικρότητα διαλαθούσας καὶ κατασιωπηθείσας, ἀλλὰ τὰς διὰ τὸ μέγεθος ὑπὸ πάντων ἀνθρώπων καὶ πάλαι καὶ νῦν πανταχοῦ καὶ λεγομένας καὶ μνημονευομένας.
 

4. C'est un fait reconnu par tous, que notre ville est la plus ancienne, la plus grande, la plus renommée de l'univers ; mais, quelque noble que puisse être le fondement de sa puissance, les circonstances qui s'y rattachent nous donnent encore plus de droits à être honorés. [24] Nous possédons notre pays sans en avoir chassé d'autres peuples et sans l'avoir trouvé abandonné et désert ; nous ne sommes point un mélange confus de diverses nations ; notre origine est si noble, si pure, que nous n'avons jamais cessé de posséder cette terre qui nous a produits ; qu'étant sortis de son sein, nous la saluons des mêmes noms que les êtres les plus chers, [25] et que seuls, entre tous les Grecs, il nous est permis de lui donner les noms de nourrice, de patrie et de mère. Pour avoir le droit d'être fier, pour aspirer justement à l'honneur de commander, et pour être autorisé à rappeler sans cesse les titres de ses ancêtres, il faut pouvoir montrer les preuves d'une semblable origine.

5. [26] Telle a été la grandeur de nos premiers commen- 149 cements, qui furent un don de la fortune. Quant aux bienfaits que nous avons procurés aux autres peuples, nous en ferions le plus pompeux exposé, si, reprenant les temps depuis leur origine, nous présentions l'enchaînement des actes dont se compose l'histoire de notre patrie. Nous trouverions, en effet, qu'on lui doit non-seulement les progrès dans l'art de la guerre, mais dans toutes les institutions [27] qui font la base de notre vie sociale, la règle de notre vie politique, le charme de notre vie privée. Nous ne devons pas citer de préférence parmi ces bienfaits ceux qui, à cause de leur faible importance, ont échappé à la connaissance des hommes, et que le silence a couverts ; mais nous rappellerons ceux que leur puissante influence, autrefois, maintenant, partout, a rendus célèbres dans l'univers.

[28] Πρῶτον μὲν τοίνυν, οὗ πρῶτον ἡ φύσις ἡμῶν ἐδεήθη, διὰ τῆς πόλεως τῆς ἡμετέρας ἐπορίσθη· καὶ γὰρ εἰ μυθώδης ὁ λόγος γέγονεν, ὅμως αὐτῷ καὶ νῦν ῥηθῆναι προσήκει. Δήμητρος γὰρ ἀφικομένης εἰς τὴν χώραν, ὅτ' ἐπλανήθη τῆς Κόρης ἁρπασθείσης, καὶ πρὸς τοὺς προγόνους ἡμῶν εὐμενῶς διατεθείσης ἐκ τῶν εὐεργεσιῶν, ἃς οὐχ οἷόν τ' ἄλλοις ἢ τοῖς μεμυημένοις ἀκούειν, καὶ δούσης – δωρεὰς διττὰς, αἵπερ μέγισται τυγχάνουσιν οὖσαι, τούς τε καρποὺς, οἳ τοῦ μὴ θηριωδῶς ζῆν ἡμᾶς αἴτιοι γεγόνασιν, καὶ τὴν τελετὴν, ἧς οἱ μετασχόντες περί τε τῆς τοῦ βίου τελευτῆς καὶ τοῦ σύμπαντος αἰῶνος ἡδίους τὰς ἐλπίδας ἔχουσιν, [29] οὕτως ἡ πόλις ἡμῶν οὐ μόνον θεοφιλῶς, ἀλλὰ καὶ φιλανθρώπως ἔσχεν, ὥστε κυρία γενομένη τοσούτων ἀγαθῶν οὐκ ἐφθόνησεν τοῖς ἄλλοις, ἀλλ' ὧν ἔλαβεν ἅπασιν μετέδωκεν. Καὶ τὰ μὲν ἔτι καὶ νῦν καθ' ἕκαστον τὸν ἐνιαυτὸν δείκνυμεν, τῶν δὲ συλλήβδην τάς τε χρείας καὶ τὰς ἐργασίας καὶ τὰς ὠφελείας τὰς ἀπ' αὐτῶν γιγνομένας ἐδίδαξεν.  [30] Καὶ τούτοις ἀπιστεῖν μικρῶν ἔτι προστεθέντων οὐδεὶς ἂν ἀξιώσειεν.

Πρῶτον μὲν γὰρ ἐξ ὧν ἄν τις καταφρονήσειεν τῶν λεγομένων ὡς ἀρχαίων ὄντων, ἐκ τῶν αὐτῶν τούτων εἰκότως ἂν καὶ τὰς πράξεις γεγενῆσθαι νομίσειεν· διὰ γὰρ τὸ πολλοὺς εἰρηκέναι καὶ πάντας ἀκηκοέναι προσήκει μὴ καινὰ μὲν, πιστὰ δὲ δοκεῖν εἶναι τὰ λεγόμενα περὶ αὐτῶν. Ἔπειτ' οὐ μόνον ἐνταῦθα καταφυγεῖν ἔχομεν, ὅτι τὸν λόγον καὶ τὴν φήμην ἐκ πολλοῦ παρειλήφαμεν, ἀλλὰ καὶ σημείοις μείζοσιν ἢ τούτοις ἔστιν ἡμῖν χρήσασθαι περὶ αὐτῶν. [31] Αἱ μὲν γὰρ πλεῖσται τῶν πόλεων ὑπόμνημα τῆς παλαιᾶς εὐεργεσίας ἀπαρχὰς τοῦ σίτου καθ' ἕκαστον ἐνιαυτὸν ὡς ἡμᾶς ἀποπέμπουσιν, ταῖς δ' ἐκλειπούσαις πολλάκις ἡ Πυθία προσέταξεν ἀποφέρειν τὰ μέρη τῶν καρπῶν καὶ ποιεῖν πρὸς τὴν πόλιν τὴν ἡμετέραν τὰ πάτρια. Καίτοι περὶ τίνων χρὴ μᾶλλον πιστεύειν ἢ περὶ ὧν ὅ τε θεὸς ἀναιρεῖ καὶ πολλοῖς τῶν Ἑλλήνων συνδοκεῖ καὶ τά τε πάλαι ῥηθέντα τοῖς παροῦσιν ἔργοις συμμαρτυρεῖ καὶ τὰ νῦν γιγνόμενα τοῖς ὑπ' ἐκείνων εἰρημένοις ὁμολογεῖ;

[32] Χωρὶς δὲ τούτων, ἢν ἅπαντα ταῦτ' ἐάσαντες ἀπὸ τῆς ἀρχῆς σκοπῶμεν, εὑρήσομεν ὅτι τὸν βίον οἱ πρῶτοι φανέντες ἐπὶ γῆς οὐκ εὐθὺς οὕτως ὥσπερ νῦν ἔχοντα κατέλαβον, ἀλλὰ κατὰ μικρὸν αὐτοὶ συνεπορίσαντο. Τίνας οὖν χρὴ μᾶλλον νομίζειν ἢ δωρεὰν παρὰ τῶν θεῶν λαβεῖν ἢ ζητοῦντας αὐτοὺς ἐντυχεῖν; [33] Οὐ τοὺς ὑπὸ πάντων ὁμολογουμένους καὶ πρώτους γενομένους καὶ πρός τε τὰς τέχνας εὐφυεστάτους ὄντας καὶ πρὸς τὰ τῶν θεῶν εὐσεβέστατα διακειμένους; Καὶ μὴν ὅσης προσήκει τιμῆς τυγχάνειν τοὺς τηλικούτων ἀγαθῶν αἰτίους, περίεργον διδάσκειν. Οὐδεὶς γὰρ ἂν δύναιτο δωρεὰν τοσαύτην τὸ μέγεθος εὑρεῖν ἥτις ἴση τοῖς πεπραγμένοις ἐστίν.

[34] Περὶ μὲν οὖν τοῦ μεγίστου τῶν εὐεργετημάτων καὶ πρώτου γενομένου καὶ πᾶσι κοινοτάτου ταῦτ' εἰπεῖν ἔχομεν.

Περὶ δὲ τοὺς αὐτοὺς χρόνους ὁρῶσα τοὺς μὲν βαρβάρους τὴν πλείστην τῆς χώρας κατέχοντας, τοὺς δ' Ἕλληνας εἰς μικρὸν τόπον κατακεκλειμένους καὶ διὰ σπανιότητα τῆς γῆς ἐπιβουλεύοντάς τε σφίσιν αὐτοῖς καὶ στρατείας ἐπ' ἀλλήλους ποιουμένους, καὶ τοὺς μὲν δι' ἔνδειαν τῶν καθ' ἡμέραν, τοὺς δὲ διὰ τὸν πόλεμον ἀπολλυμένους, [35] οὐδὲ ταῦθ' οὕτως ἔχοντα περιεῖδεν, ἀλλ' ἡγεμόνας εἰς τὰς πόλεις ἐξέπεμψεν, οἳ παραλαβόντες τοὺς μάλιστα βίου δεομένους, στρατηγοὶ καταστάντες αὐτῶν καὶ πολέμῳ κρατήσαντες τοὺς βαρβάρους, πολλὰς μὲν ἐφ' ἑκατέρας τῆς ἠπείρου πόλεις ἔκτισαν, ἁπάσας δὲ τὰς νήσους κατῴκισαν, ἀμφοτέρους δὲ καὶ τοὺς ἀκολουθήσαντας καὶ τοὺς ὑπομείναντας ἔσωσαν· [36] τοῖς μὲν γὰρ ἱκανὴν τὴν οἴκοι χώραν κατέλιπον, τοῖς δὲ πλείω τῆς ὑπαρχούσης ἐπόρισαν· ἅπαντα γὰρ περιεβάλοντο τὸν τόπον ὃν νῦν τυγχάνομεν κατέχοντες. Ὥστε καὶ τοῖς ὕστερον βουληθεῖσιν ἀποικίσαι τινὰς καὶ μιμήσασθαι τὴν πόλιν τὴν ἡμετέραν πολλὴν ῥᾳστώνην ἐποίησαν· οὐ γὰρ αὐτοὺς ἔδει κτωμένους χώραν διακινδυνεύειν, ἀλλ' εἰς τὴν ὑφ' ἡμῶν ἀφορισθεῖσαν, εἰς ταύτην οἰκεῖν ἰόντας. [37] Καίτοι τίς ἂν ταύτης ἡγεμονίαν ἐπιδείξειεν ἢ πατριωτέραν τῆς πρότερον γενομένης πρὶν τὰς πλείστας οἰκισθῆναι τῶν Ἑλληνίδων πόλεων, ἢ μᾶλλον συμφέρουσαν τῆς τοὺς μὲν βαρβάρους ἀναστάτους ποιησάσης, τοὺς δ' Ἕλληνας εἰς τοσαύτην εὐπορίαν προαγαγούσης;

 

6. [28] Et d'abord, les avantages dont l'humanité était privée dans l'origine, c'est notre ville qui les lui a procurés. Cette tradition, eût-elle quelque chose de fabuleux, n'en mériterait pas moins d'être rappelée aujourd'hui. Cérès, étant arrivée dans notre pays à l'époque où elle parcourait la terre, pour chercher sa fille enlevée, et se trouvant favorablement disposée pour nos ancêtres à cause des services qu'ils lui avaient rendus (services dont les seuls initiés peuvent entendre le récit), leur fit deux présents, les plus beaux, les plus grands que les hommes puissent recevoir : l'agriculture, qui nous a permis de ne plus vivre à la manière des animaux sauvages, et l'initiation, qui offre à ceux qui y participent les plus heureuses espérances pour le terme de la vie et pour l'éternité qui doit la suivre. [29] Notre ville, aussi aimée des dieux quelle était amie des hommes, et maîtresse de si grands biens, au lieu d'en envier la connaissance aux autres peuples, les a tous admis à y prendre part. Même encore aujourd'hui, chaque année nous 151 leur révélons nos mystères; quant aux fruits que le travail obtient de la terre, nous en avons fait connaître à la fois l'usage, la culture et l'utilité. [30] Ajoutons encore quelques preuves, et personne ne doutera de la vérité de nos paroles.

7. Et d'abord, si quelqu'un voulait prétendre qu'on ne doit tenir aucun compte des faits que nous avons cités, par la raison qu'ils sont anciens, je dis qu'il devrait plutôt trouver dans cette antiquité même un motif pour y croire ; car, puisque beaucoup d'auteurs les ont publiés et que tous les bommes les ont entendu répéter, loin de les regarder comme une invention récente, on doit les accepter comme dignes de foi. Nous ne sommes pas d'ailleurs réduits, pour ces événements, au témoignage d'une tradition ancienne, et aux bruits de la renommée ; nous avons, en ce qui les concerne, des preuves plus imposantes. [31] Chaque année, la plupart des villes de la Grèce nous envoient, en mémoire de cet antique bienfait, les prémices de leurs blés, et souvent la Pythie a ordonné à celles qui s'en étaient abstenues, d'accomplir envers notre patrie un devoir héréditaire, en nous apportant une partie de leurs fruits. Quels faits pourraient mériter plus de confiance? Apollon les proclame dans ses oracles ; un grand nombre de Grecs les appuient de leur assentiment ; les actes récents s'accordent avec les traditions anciennes; ce qui se passe sous nos yeux confirme le témoignage de nos ancêtres.

8. [32] Si maintenant, laissant de côté toutes ces preuves, nous remontons à l'origine des temps, nous verrons que les premiers bommes qui ont paru sur la terre n'ont pas trouvé alors la vie organisée comme elle l'est de nos jours, et qu'ils se sont procuré peu à peu, et par de communs efforts, ce qui leur était nécessaire. Mais quels sont les bommes qui doivent être de préférence considérés comme ayant reçu ce bienfait de la 153 main des dieux, ou comme l'ayant cherché et découvert eux-mêmes? [33] N'est-ce pas ceux auxquels tout l'univers accorde d'être apparus les premiers sur la terre, d'être doués des dispositions les plus heureuses pour les arts, et d'être animés envers les dieux de la piété la plus sincère? Il serait même superflu de montrer quels honneurs devraient être accordés aux auteurs de si grands biens, car personne ne pourrait trouver une  récompense qui fût égale à de tels services.

9. [34] Voilà ce que nous pouvons dire sur le plus grand des bienfaits, sur le plus ancien, sur celui qui est devenu plus que tous les autres la propriété commune du genre humain.

Vers le même temps, notre ville voyant les Barbares posséder la plus grande partie de la terre habitable, tandis que les Grecs, resserrés dans d'étroites limites, cherchaient mutuellement à se dresser des embûches faute de terres à cultiver, se faisaient la guerre entre eux et périssaient, les uns par la misère de chaque jour, les autres par le sort des combats, [35] il ne lui fut pas possible de demeurer indifférente à une telle situation ; elle envoya vers les villes de la Grèce des généraux qui, prenant avec eux les hommes les plus pressés par le besoin, se mirent à leur tête, et, vainqueurs des Barbares, fondèrent un grand nombre de villes sur les deux continents, établirent des colonies dans toutes les îles, et sauvèrent également ceux qui les avaient suivis et ceux qui étaient restés dans leurs foyers. [36] Aux uns, ils laissaient dans leur patrie un territoire qui suffisait à leurs besoins ; aux autres, ils en procuraient un plus étendu que celui qu'ils possédaient, ayant soumis à leur puissance tout le pays que nous occupons aujourd'hui. De cette manière, ils assurèrent aux Etats qui voulurent dans la suite établir des colonies et imiter notre exemple, la plus grande facilité pour réussir dans 155 leur dessein ; il ne leur était pas même nécessaire de s'exposer aux chances de la guerre pour conquérir un établissement, il leur suffisait d'aller habiter les contrées dont nous avions marqué les limites. [37] Qui pourrait, je le demande, montrer une suprématie plus anciennement héréditaire que celle qui existait au temps où la plupart des villes grecques n'étaient pas encore fondées ; ou plus utile que celle qui, chassant les Barbares des pays qu'ils possédaient, élevait les Grecs à un si haut degré de prospérité et de puissance ?

[38] Οὐ τοίνυν, ἐπειδὴ τὰ μέγιστα συνδιέπραξεν, τῶν ἄλλων ὠλιγώρησεν, ἀλλ' ἀρχὴν μὲν ταύτην ἐποιήσατο τῶν εὐεργεσιῶν, τροφὴν τοῖς δεομένοις εὑρεῖν, ἥνπερ χρὴ τοὺς μέλλοντας καὶ περὶ τῶν ἄλλων καλῶν καλῶς διοικήσειν, ἡγουμένη δὲ τὸν βίον τὸν ἐπὶ τούτοις μόνον οὔπω τοῦ ζῆν ἐπιθυμεῖν ἀξίως ἔχειν οὕτως ἐπεμελήθη καὶ τῶν λοιπῶν ὥστε τῶν παρόντων τοῖς ἀνθρώποις ἀγαθῶν, ὅσα μὴ παρὰ θεῶν ἔχομεν, ἀλλὰ δι' ἀλλήλους ἡμῖν γέγονεν, μηδὲν μὲν ἄνευ τῆς πόλεως τῆς ἡμετέρας εἶναι, τὰ δὲ πλεῖστα διὰ ταύτην γεγενῆσθαι.  [39] Παραλαβοῦσα γὰρ τοὺς Ἕλληνας ἀνόμως ζῶντας καὶ σποράδην οἰκοῦντας, καὶ τοὺς μὲν ὑπὸ δυναστειῶν ὑβριζομένους, τοὺς δὲ δι' ἀναρχίαν ἀπολλυμένους, καὶ τούτων τῶν κακῶν αὐτοὺς ἀπήλλαξεν, τῶν μὲν κυρία γενομένη, τοῖς δ' αὑτὴν παράδειγμα ποιήσασα· πρώτη γὰρ καὶ νόμους ἔθετο καὶ πολιτείαν κατεστήσατο. [40] Δῆλον δ' ἐκεῖθεν· οἱ γὰρ ἐν ἀρχῇ περὶ τῶν φονικῶν ἐγκαλέσαντες καὶ βουληθέντες μετὰ λόγου καὶ μὴ μετὰ βίας διαλύσασθαι τὰ πρὸς ἀλλήλους ἐν τοῖς νόμοις τοῖς ἡμετέροις τὰς κρίσεις ἐποιήσαντο περὶ αὐτῶν.  Καὶ μὲν δὴ καὶ τῶν τεχνῶν τάς τε πρὸς τἀναγκαῖα τοῦ βίου χρησίμας καὶ τὰς πρὸς ἡδονὴν μεμηχανημένας, τὰς μὲν εὑροῦσα, τὰς δὲ δοκιμάσασα χρῆσθαι τοῖς ἄλλοις παρέδωκεν.

[41] Τὴν τοίνυν ἄλλην διοίκησιν οὕτω φιλοξένως κατεσκευάσατο καὶ πρὸς ἅπαντας οἰκείως ὥστε καὶ τοῖς χρημάτων δεομένοις καὶ τοῖς ἀπολαῦσαι τῶν ὑπαρχόντων ἐπιθυμοῦσιν ἀμφοτέροις ἁρμόττειν καὶ μήτε τοῖς εὐδαιμονοῦσιν μήτε τοῖς δυστυχοῦσιν ἐν ταῖς αὑτῶν ἀχρήστως ἔχειν, ἀλλ' ἑκατέροις αὐτῶν εἶναι παρ' ἡμῖν, τοῖς μὲν ἡδίστας διατριβὰς, τοῖς δ' ἀσφαλεστάτην καταφυγήν.  [42] Ἔτι δὲ τὴν χώραν οὐκ αὐτάρκη κεκτημένων ἑκάστων, ἀλλὰ τὰ μὲν ἐλλείπουσαν, τὰ δὲ πλείω τῶν ἱκανῶν φέρουσαν, καὶ πολλῆς ἀπορίας οὔσης τὰ μὲν ὅποι χρὴ διαθέσθαι, τὰ δ' ὁπόθεν εἰσαγαγέσθαι, καὶ ταύταις ταῖς συμφοραῖς ἐπήμυνεν· ἐμπόριον γὰρ ἐν μέσῳ τῆς Ἑλλάδος τὸν Πειραιᾶ κατεσκευάσατο, τοσαύτην ἔχονθ' ὑπερβολὴν ὥσθ' ἃ παρὰ τῶν ἄλλων ἓν παρ' ἑκάστων χαλεπόν ἐστιν λαβεῖν, ταῦθ' ἅπαντα παρ' αὑτῆς ῥᾴδιον εἶναι πορίσασθαι.

[43] Τῶν τοίνυν τὰς πανηγύρεις καταστησάντων δικαίως ἐπαινουμένων ὅτι τοιοῦτον ἔθος ἡμῖν παρέδοσαν ὥστε σπεισαμένους καὶ τὰς ἔχθρας τὰς ἐνεστηκυίας διαλυσαμένους συνελθεῖν εἰς ταὐτὸν, καὶ μετὰ ταῦτ' εὐχὰς καὶ θυσίας κοινὰς ποιησαμένους ἀναμνησθῆναι μὲν τῆς συγγενείας τῆς πρὸς ἀλλήλους ὑπαρχούσης, εὐμενεστέρως δ' εἰς τὸν λοιπὸν χρόνον διατεθῆναι πρὸς ἡμᾶς αὐτοὺς, καὶ τάς τε παλαιὰς ξενίας ἀνανεώσασθαι καὶ καινὰς ἑτέρας ποιήσασθαι, [44] καὶ μήτε τοῖς ἰδιώταις μήτε τοῖς διενεγκοῦσιν τὴν φύσιν ἀργὸν εἶναι τὴν διατριβὴν, ἀλλ' ἀθροισθέντων τῶν Ἑλλήνων ἐγγενέσθαι τοῖς μὲν ἐπιδείξασθαι τὰς αὑτῶν εὐτυχίας, τοῖς δὲ θεάσασθαι τούτους πρὸς ἀλλήλους ἀγωνιζομένους, καὶ μηδετέρους ἀθύμως διάγειν, ἀλλ' ἑκατέρους ἔχειν ἐφ' οἷς φιλοτιμηθῶσιν, οἱ μὲν ὅταν ἴδωσι τοὺς ἀθλητὰς αὑτῶν ἕνεκα πονοῦντας, οἱ δ' ὅταν ἐνθυμηθῶσιν ὅτι πάντες ἐπὶ τὴν σφετέραν θεωρίαν ἥκουσιν, τοσούτων τοίνυν ἀγαθῶν διὰ τὰς συνόδους ἡμῖν γιγνομένων, οὐδ' ἐν τούτοις ἡ πόλις ἡμῶν ἀπελείφθη. [45] Καὶ γὰρ θεάματα πλεῖστα καὶ κάλλιστα κέκτηται, τὰ μὲν ταῖς δαπάναις ὑπερβάλλοντα, τὰ δὲ κατὰ τὰς τέχνας εὐδοκιμοῦντα, τὰ δ' ἀμφοτέροις τούτοις διαφέροντα· καὶ τὸ πλῆθος τῶν εἰσαφικνουμένων ὡς ἡμᾶς τοσοῦτόν ἐστιν ὥστ' εἴ τι ἐν τῷ πλησιάζειν ἀλλήλοις ἀγαθόν ἐστιν, καὶ τοῦθ' ὑπ' αὐτῆς περιειλῆφθαι. Πρὸς δὲ τούτοις καὶ φιλίας εὑρεῖν πιστοτάτας καὶ συνουσίαις ἐντυχεῖν παντοδαπωτάταις μάλιστα παρ' ἡμῖν ἔστιν, ἔτι δ' ἀγῶνας ἰδεῖν μὴ μόνον τάχους καὶ ῥώμης ἀλλὰ καὶ λόγων καὶ γνώμης καὶ τῶν ἄλλων ἔργων ἁπάντων, καὶ τούτων ἆθλα μέγιστα. [46] Πρὸς γὰρ οἷς αὐτὴ τίθησιν, καὶ τοὺς ἄλλους διδόναι συναναπείθει· τὰ γὰρ ὑφ' ἡμῶν κριθέντα τοσαύτην λαμβάνει δόξαν ὥστε παρὰ πᾶσιν ἀνθρώποις ἀγαπᾶσθαι. Χωρὶς δὲ τούτων αἱ μὲν ἄλλαι πανηγύρεις διὰ πολλοῦ χρόνου συλλεγεῖσαι ταχέως διελύθησαν, ἡ δ' ἡμετέρα πόλις ἅπαντα τὸν αἰῶνα τοῖς ἀφικνουμένοις πανήγυρίς ἐστιν.

10. [38] Après avoir accompli les œuvres les plus importantes, Athènes n'a pas négligé celles qui étaient d'une moindre valeur ; elle avait, en quelque sorte, inauguré ses bienfaits en procurant des moyens d'existence à ceux qui en étaient privés, premier soin des hommes destinés à administrer avec sagesse ; mais, jugeant que la vie, lorsqu'elle ne remplit que cette condition, ne mérite pas encore qu'on s'y attache, elle apporta un tel soin dans tout le reste, qu'entre les biens que nous possédons sans les avoir reçus directement de la main des dieux, et que nous nous sommes procurés par de mutuels efforts, aucun n'a été obtenu sans son secours, et que les autres sont pour la plupart son ouvrage. [39] Ayant trouvé les Grecs dispersés et sans lois, les uns opprimés par des tyrans, les autres dévorés par l'anarchie, elle les a délivrés de ces calamités en soumettant les uns à son autorité et en s'offrant comme exemple aux autres; car c'est elle qui, la première, a institué des lois et fondé un gouvernement régulier. [40] En voici la preuve évidente : ceux d'entre les Grecs qui, les premiers, ont intenté des actions judiciaires pour cause de meurtre, et qui ont voulu terminer leurs différends par la discussion du droit et non par la force, ont établi d'après 157 nos lois les formes de leurs jugements ;  et, de plus, les arts qui servent aux nécessités de la vie, comme ceux qui ont été inventés pour en accroître les jouissances, c'est Athènes qui, après les avoir découverts ou en avoir fait l'épreuve, les a transmis aux autres peuples.

11. [41] Pour ce qui touche aux autres parties de l'administration, elles ont été réglées d'une manière si hospitalière et si appropriée à toutes les conditions, qu'elles peuvent convenir aux hommes privés de fortune comme à ceux qui veulent jouir des biens qu'ils possèdent ; que, loin d'être inutiles à ceux qui sont heureux comme à ceux que le malheur accable, elles font trouver parmi nous, aux premiers la plus agréable existence, aux derniers le refuge le plus assuré. [42] Enfin, aucun peuple
ne possédant un territoire suffisant pour fournir à tous ses besoins, et la terre refusant certaines productions, tandis qu'elle en offre d'autres avec surabondance, il en résultait un embarras véritable pour déterminer les endroits ou il fallait transporter le superflu, comme ceux d'où il convenait de faire venir ce dont on était privé, Athènes a encore pourvu à cette difficulté en faisant du Pirée un entrepôt commun, placé au milieu de la Grèce, dans lequel tout existe avec une telle abondance, que les objets difficiles à rencontrer séparément chez les autres peuples peuvent toujours aisément se trouver réunis chez elle.

12. [43] C'est donc avec justice que l'on donne des louanges aux fondateurs de ces grandes assemblées, pour nous avoir transmis l'usage de nous réunir dans un même lieu, où, après nous être engagés par des traités réciproques et avoir effacé les haines qui nous divisent, nous offrons en commun des vœux et des sacrifices, où nous rappelons les liens de parenté qui nous unissent et nous resserrons pour l'avenir les nœuds d'une mutuelle 159 bienveillance; où, renouvelant les anciennes hospitalités, nous en contractons de nouvelles; [44] où le temps ne s'écoule pas avec moins d'utilité et d'agrément pour les hommes d'un esprit vulgaire que pour ceux qui se distinguent par les dons qu'ils ont reçus de la nature; où, devant les Grecs assemblés, les uns étalent avec orgueil les avantages dont ils sont doués, tandis que les autres contemplent le spectacle de leurs rivalités; où personne ne languit dans une froide indifférence; où tous ont des motifs de se glorifier, ceux-ci en voyant les athlètes multiplier leurs efforts pour être applaudis par eux, ceux-là en se persuadant que les spectateurs sont accourus uniquement pour les admirer. Or, dans ces solennités mêmes, qui présentent de si grands avantages, Athènes n'a été surpassée par personne. [45] Elle possède les spectacles les plus nombreux et les plus beaux ; les uns que rien n'égale dans leur magnificence ; les autres admirés pour la perfection de l'art; d'autres également remarquables pour leur magnificence et leur perfection. Le nombre des étrangers qui affluent dans notre ville est si grand, que s'il existe quelque avantage dans le rapprochement des hommes entre eux, il se rencontre chez elle. Disons encore que c'est parmi nous que l'on trouve les amitiés les plus fidèles et les sociétés les plus variées, que c'est parmi nous que l'on peut voir disputer non-seulement la palme de la force ou de la vitesse, mais celle de l'esprit, de l'éloquence et de tout ce que peut enfanter le génie de l'homme, et c'est encore parmi nous que les vainqueurs reçoivent les prix les plus magnifiques, [46] car, outre les récompenses qu'elle accorde, Athènes persuade encore aux autres peuples d'en ajouter, et ses jugements ont une telle autorité qu'ils sont adoptés avec empressement par tout l'univers. Enfin, tandis que les grandes assemblées, réunies à de longs intervalles, se séparent rapidement, Athènes offre, aux étrangers qui viennent la visiter, une solennité perpétuelle.

[47] Φιλοσοφίαν τοίνυν, ἣ πάντα ταῦτα συνεξεῦρε καὶ συγκατεσκεύασεν καὶ πρός τε τὰς πράξεις ἡμᾶς ἐπαίδευσεν καὶ πρὸς ἀλλήλους ἐπράϋνε καὶ τῶν συμφορῶν τάς τε δι' ἀμαθίαν καὶ τὰς ἐξ ἀνάγκης γιγνομένας διεῖλεν καὶ τὰς μὲν φυλάξασθαι, τὰς δὲ καλῶς ἐνεγκεῖν ἐδίδαξεν, ἡ πόλις ἡμῶν κατέδειξεν, [48] καὶ λόγους ἐτίμησεν, ὧν πάντες μὲν ἐπιθυμοῦσιν, τοῖς δ' ἐπισταμένοις φθονοῦσιν, συνειδυῖα μὲν ὅτι τοῦτο μόνον ἐξ ἁπάντων τῶν ζῴων ἴδιον ἔφυμεν ἔχοντες καὶ διότι τούτῳ πλεονεκτήσαντες καὶ τοῖς ἄλλοις ἅπασιν αὐτῶν διηνέγκαμεν, ὁρῶσα δὲ περὶ μὲν τὰς ἄλλας πράξεις οὕτω ταραχώδεις οὔσας τὰς τύχας ὥστε πολλάκις ἐν αὐταῖς καὶ τοὺς φρονίμους ἀτυχεῖν καὶ τοὺς ἀνοήτους κατορθοῦν, τῶν δὲ λόγων τῶν καλῶς καὶ τεχνικῶς ἐχόντων οὐ μετὸν τοῖς φαύλοις, ἀλλὰ ψυχῆς εὖ φρονούσης ἔργον ὄντας, [49] καὶ τούς τε σοφοὺς καὶ τοὺς ἀμαθεῖς δοκοῦντας εἶναι ταύτῃ πλεῖστον ἀλλήλων διαφέροντας, ἔτι δὲ τοὺς εὐθὺς ἐξ ἀρχῆς ἐλευθέρως τεθραμμένους ἐκ μὲν ἀνδρίας καὶ πλούτου καὶ τῶν τοιούτων ἀγαθῶν οὐ γιγνωσκομένους, ἐκ δὲ τῶν λεγομένων μάλιστα καταφανεῖς γιγνομένους, καὶ τοῦτο σύμβολον τῆς παιδεύσεως ἡμῶν ἑκάστου πιστότατον ἀποδεδειγμένον, καὶ τοὺς λόγῳ καλῶς χρωμένους οὐ μόνον ἐν ταῖς αὑτῶν δυναμένους, ἀλλὰ καὶ παρὰ τοῖς ἄλλοις ἐντίμους ὄντας. [50] Τοσοῦτον δ' ἀπολέλοιπεν ἡ πόλις ἡμῶν περὶ τὸ φρονεῖν καὶ λέγειν τοὺς ἄλλους ἀνθρώπους, ὥσθ' οἱ ταύτης μαθηταὶ τῶν ἄλλων διδάσκαλοι γεγόνασιν, καὶ τὸ τῶν Ἑλλήνων ὄνομα πεποίηκεν μηκέτι τοῦ γένους, ἀλλὰ τῆς διανοίας δοκεῖν εἶναι, καὶ μᾶλλον Ἕλληνας καλεῖσθαι τοὺς τῆς παιδεύσεως τῆς ἡμετέρας ἢ τοὺς τῆς κοινῆς φύσεως μετέχοντας.

[51] Ἵνα δὲ μὴ δοκῶ περὶ τὰ μέρη διατρίβειν ὑπὲρ ὅλων τῶν πραγμάτων ὑποθέμενος, μηδ' ἐκ τούτων ἐγκωμιάζειν τὴν πόλιν ἀπορῶν τὰ πρὸς τὸν πόλεμον αὐτὴν ἐπαινεῖν, ταῦτα μὲν εἰρήσθω μοι πρὸς τοὺς ἐπὶ τοῖς τοιούτοις φιλοτιμουμένους· ἡγοῦμαι δὲ τοῖς προγόνοις ἡμῶν οὐχ ἧττον ἐκ τῶν κινδύνων τιμᾶσθαι προσήκειν ἢ τῶν ἄλλων εὐεργεσιῶν.
[52] Οὐ γὰρ μικροὺς οὐδ' ὀλίγους οὐδ' ἀφανεῖς ἀγῶνας ὑπέμειναν, ἀλλὰ πολλοὺς καὶ δεινοὺς καὶ μεγάλους, τοὺς μὲν ὑπὲρ τῆς αὑτῶν χώρας, τοὺς δ' ὑπὲρ τῆς τῶν ἄλλων ἐλευθερίας· ἅπαντα γὰρ τὸν χρόνον διετέλεσαν κοινὴν τὴν πόλιν παρέχοντες καὶ τοῖς ἀδικουμένοις ἀεὶ τῶν Ἑλλήνων ἐπαμύνουσαν. [53] Διὸ δὴ καὶ κατηγοροῦσίν τινες ἡμῶν ὡς οὐκ ὀρθῶς βουλευομένων, ὅτι τοὺς ἀσθενεστέρους εἰθίσμεθα θεραπεύειν, ὥσπερ οὐ μετὰ τῶν ἐπαινεῖν βουλομένων ἡμᾶς τοὺς λόγους ὄντας τοὺς τοιούτους. Οὐ γὰρ ἀγνοοῦντες ὅσον διαφέρουσιν αἱ μείζους τῶν συμμαχιῶν πρὸς τὴν ἀσφάλειαν, οὕτως ἐβουλευόμεθα περὶ αὐτῶν, ἀλλὰ πολὺ τῶν ἄλλων ἀκριβέστερον εἰδότες τὰ συμβαίνοντ' ἐκ τῶν τοιούτων ὅμως ᾑρούμεθα τοῖς ἀσθενεστέροις καὶ παρὰ τὸ συμφέρον βοηθεῖν μᾶλλον ἢ τοῖς κρείττοσιν τοῦ λυσιτελοῦντος ἕνεκα συναδικεῖν.

 

13. [47] C'est à la philosophie que sont dus ces grands résultats ; c'est elle qui les a découverts et préparés ; c'est elle qui nous a formés pour la conduite des affaires, et qui nous a rendus plus bienveillants dans nos rapports mutuels ; c'est elle qui divisant nos malheurs en deux classes, les uns produits par notre ignorance, les autres imposés par la nécessité, nous a enseigné l'art d'éviter les premiers, de supporter noblement les seconds ; et c'est notre ville qui a fait connaître les préceptes de cette philosophie, [48] comme elle a mis en honneur le grand art de l'éloquence, auquel tout le monde aspire, et que tout le monde envie à ceux qui le possèdent. Elle savait que la parole est le seul don que la nature nous ait spécialement accordé, à l'exclusion de tous les animaux, et que cet avantage nous assure tous les autres ; elle voyait que dans les affaires humaines la fortune jette tant de trouble et de confusion, [49] que souvent les sages échouent, tandis que les insensés réussissent; mais qu'il n'est jamais donné à des hommes sans génie de composer des discours où l'élévation des pensées se réunit à la perfection de l'art, que c'est l'œuvre des intelligences d'élite; elle savait que c'est là surtout ce qui trace la différence entre les savants et les ignorants; elle avait, de plus, observé que ceux qui ont été formés dès l'enfance par une éducation libre et généreuse se font reconnaître, non par le courage, la richesse ou d'autres avantages de ce genre, mais qu'ils se manifestent surtout par la manière dont ils s'expriment; que l'éloquence est le témoignage le plus certain de l'éducation que chacun de nous a reçue, et que ceux qui savent se servir noblement de la parole obtiennent non-seulement de l'autorité dans leur pays, mais sont encore honorés chez les nations étrangères. [50] En un mot, Athènes a tellement dépassé les autres 163 peuples par le génie de l'éloquence et de la philosophie, que de simples disciples chez elle sont admis comme des maîtres chez les autres ; qu'elle a fait du nom de Grec, moins le nom d'un peuple, que le signe de l'intelligence même, et qu'on désigne par ce nom les hommes qui participent à notre éducation, plus encore que les hommes qui partagent notre origine.

14. [51] Mais, afin de ne pas paraître insister sur certaines parties, lorsque j'avais annoncé le dessein de présenter le sujet dans son ensemble, ni vanter notre ville pour les objets dont je viens de parler, à cause de l'embarras que j'éprouve à la louer en ce qui concerne la guerre, que ce qui précède soit dit pour les hommes qui placent leur ambition dans les choses de cette nature ; quant à moi, je prétends que nos ancêtres n'ont pas acquis de moindres titres d'honneur par les dangers qu'ils ont bravés pour la Grèce que par les nombreux bienfaits qu'ils ont répandus sur elle. [52] Les combats qu'ils ont livrés n'ont été ni sans importance, ni rares, ni obscurs; ils ont été multipliés, grands, terribles, soit qu'ils aient eu pour objet la défense de leur pays ou la liberté des autres peuples; car, dans tous les temps, on les a vus faire de leur patrie la protectrice commune et l'appui des opprimés. [53] C'est donc parce que nous sommes dans l'habitude de protéger les faibles que quelques hommes nous accusent de suivre des conseils peu sages, comme si de tels discours ne convenaient pas mieux à ceux qui voudraient nous donner des louanges. Mais nous n'avons pas adopté cette politique par ignorance des avantages que l'alliance des plus forts présente sous le rapport de la sécurité : nous l'avons fait en appréciant au contraire mieux que les autres peuples les conséquences qui pouvaient en résulter, et nous avons préféré donner des secours aux plus faibles, contre notre intérêt, plutôt que de nous unir à l'injustice 165 des plus puissants, à cause de l'utilité que nous en eussions retirée.

 

 [54] Γνοίη δ' ἄν τις καὶ τὸν τρόπον καὶ τὴν ῥώμην τὴν τῆς πόλεως ἐκ τῶν ἱκετειῶν ἃς ἤδη τινὲς ἡμῖν ἐποιήσαντο. Τὰς μὲν οὖν ἢ νεωστὶ γεγενημένας ἢ περὶ μικρῶν ἐλθούσας παραλείψω· πολὺ δὲ πρὸ τῶν Τρωϊκῶν, ἐκεῖθεν γὰρ δίκαιον τὰς πίστεις λαμβάνειν τοὺς ὑπὲρ τῶν πατρίων ἀμφισβητοῦντας, ἦλθον οἵ θ' Ἡρακλέους παῖδες καὶ μικρὸν πρὸ τούτων Ἄδραστος ὁ Ταλαοῦ, βασιλεὺς ὢν Ἄργους, [55] οὗτος μὲν ἐκ τῆς στρατείας τῆς ἐπὶ Θήβας δεδυστυχηκὼς, καὶ τοὺς ὑπὸ τῇ Καδμείᾳ τελευτήσαντας αὐτὸς μὲν οὐ δυνάμενος ἀνελέσθαι, τὴν δὲ πόλιν ἀξιῶν βοηθεῖν ταῖς κοιναῖς τύχαις καὶ μὴ περιορᾶν τοὺς ἐν τοῖς πολέμοις ἀποθνῄσκοντας ἀτάφους γιγνομένους μηδὲ παλαιὸν ἔθος καὶ πάτριον νόμον καταλυόμενον, [56] οἱ δ' Ἡρακλέους παῖδες φεύγοντες τὴν Εὐρυσθέως ἔχθραν, καὶ τὰς μὲν ἄλλας πόλεις ὑπερορῶντες ὡς οὐκ ἂν δυναμένας βοηθῆσαι ταῖς αὑτῶν συμφοραῖς, τὴν δ' ἡμετέραν ἱκανὴν νομίζοντες εἶναι μόνην ἀποδοῦναι χάριν ὑπὲρ ὧν ὁ πατὴρ αὐτῶν ἅπαντας ἀνθρώπους εὐεργέτησεν.  [57] Ἐκ δὴ τούτων ῥᾴδιον κατιδεῖν ὅτι καὶ κατ' ἐκεῖνον τὸν χρόνον ἡ πόλις ἡμῶν ἡγεμονικῶς εἶχεν· τίς γὰρ ἂν ἱκετεύειν τολμήσειεν ἢ τοὺς ἥττους αὑτῶν ἢ τοὺς ὑφ' ἑτέροις ὄντας, παραλιπὼν τοὺς μείζω δύναμιν ἔχοντας, ἄλλως τε καὶ περὶ πραγμάτων οὐκ ἰδίων, ἀλλὰ κοινῶν καὶ περὶ ὧν οὐδένας ἄλλους εἰκὸς ἦν ἐπιμεληθῆναι πλὴν τοὺς προεστάναι τῶν Ἑλλήνων ἀξιοῦντας; [58] Ἔπειτ' οὐδὲ ψευσθέντες φαίνονται τῶν ἐλπίδων δι' ἃς κατέφυγον ἐπὶ τοὺς προγόνους ἡμῶν. Ἀνελόμενοι γὰρ πόλεμον ὑπὲρ μὲν τῶν τελευτησάντων πρὸς Θηβαίους, ὑπὲρ δὲ τῶν παίδων τῶν Ἡρακλέους πρὸς τὴν Εὐρυσθέως δύναμιν, τοὺς μὲν ἐπιστρατεύσαντες ἠνάγκασαν ἀποδοῦναι θάψαι τοὺς νεκροὺς τοῖς προσήκουσιν, Πελοποννησίων δὲ τοὺς μετ' Εὐρυσθέως εἰς τὴν χώραν ἡμῶν εἰσβαλόντας ἐπεξελθόντες ἐνίκησαν μαχόμενοι κἀκεῖνον τῆς ὕβρεως ἔπαυσαν. [59] Θαυμαζόμενοι δὲ καὶ διὰ τὰς ἄλλας πράξεις ἐκ τούτων τῶν ἔργων ἔτι μᾶλλον εὐδοκίμη σαν. Οὐ γὰρ παρὰ μικρὸν ἐποίησαν, ἀλλὰ τοσοῦτον τὰς τύχας ἑκατέρων μετήλλαξαν ὥσθ' ὁ μὲν ἱκετεύειν ἡμᾶς ἀξιώσας βίᾳ τῶν ἐχθρῶν ἅπανθ' ὅσων ἐδεήθη διαπραξάμενος ἀπῆλθεν, Εὐρυσθεὺς δὲ βιάσεσθαι προσδοκήσας αὐτὸς αἰχμάλωτος γενόμενος ἱκέτης ἠναγκάσθη καταστῆναι, [60] καὶ τῷ μὲν ὑπερενεγκόντι τὴν ἀνθρωπίνην φύσιν, ὃς ἐκ Διὸς μὲν γεγονὼς, ἔτι δὲ θνητὸς ὢν θεοῦ ῥώμην ἔσχεν, τούτῳ μὲν ἐπιτάττων καὶ λυμαινόμενος ἅπαντα τὸν χρόνον διετέλεσεν, ἐπειδὴ δ' εἰς ἡμᾶς ἐξήμαρτεν, εἰς τοσαύτην κατέστη μεταβολὴν ὥστ' ἐπὶ τοῖς παισὶ τοῖς ἐκείνου γενόμενος ἐπονειδίστως τὸν βίον ἐτελεύτησεν.
 

15. [54] On peut reconnaître et la générosité et la puissance d'Athènes dans les supplications qui nous furent souvent adressées. Je passerai sous silence celles dont la date est récente ou l'objet peu important; mais longtemps avant la guerre de Troie (car c'est à cette époque que doivent remonter ceux qui veulent établir sur des témoignages certains les droits de leur pays), les enfants d'Hercule, et, peu de temps avant eux, Adraste, fils de Talaüs, roi d'Argos, vinrent implorer notre appui. [55] Adraste, trahi par la fortune dans une expédition contre les Thébains, ne pouvant enlever les corps de ses soldats tombés sous les murs de la Cadmée, supplia notre patrie de le secourir dans un malheur qui devait intéresser tous les peuples, la conjurant de ne pas voir avec indifférence les honneurs de la sépulture refusés à des hommes morts en combattant, et l'usage de nos ancêtres, la loi de la patrie, violés à leur égard. [56] D'un autre côté, les enfants d'Hercule, fuyant la haine d'Eurysthée et dédaignant de s'adresser aux autres villes, qu'ils regardaient comme incapables de les secourir dans leur infortune, jugèrent que nous étions les seuls qui pussent leur payer le prix des bienfaits que leur père avait répandus sur la race humaine. [57] En présence de tels faits, il est facile de reconnaître que déjà, à cette époque, notre ville jouissait de la prépondérance entre les villes de la Grèce. Quel est, en effet, celui qui, négligeant de s'adresser aux peuples les plus puissants, voudrait demander l'appui de peuples plus faibles que lui, ou placés dans une dépendance étrangère, quand surtout il ne s'agit pas d'intérêts particuliers, mais d'intérêts généraux, dont le soin appartient uniquement à ceux qui regardent comme un droit de se placer au premier rang parmi les Grecs? [58] L'histoire, d'ailleurs, nous apprend que ni les 167 uns ni les autres n'ont été trompés dans les espérances qui les avaient jetés dans les bras de nos ancêtres; car ceux-ci ayant entrepris la guerre, d'une part contre les Thébains pour les soldats d'Adraste morts les armes à la main, de l'autre pour les enfants d'Hercule contre le puissant Eurysthée, ils contraignirent les Thébains, en marchant contre leur pays, à remettre les morts à leurs parents, pour leur rendre les devoirs de la sépulture ; et, marchant ensuite contre les Péloponnésiens, qui, sous la conduite d'Eurysthée, avaient envahi l'Attique, ils les vainquirent, et mirent par leur victoire un terme à l'insolence d'Eurysthée. [59] Admirés auparavant pour d'autres faits glorieux, nos ancêtres virent encore leur renommée s'accroître par ces nouveaux exploits. Ils n'avaient pas, en effet, obtenu des résultats de peu d'importance ; ils avaient tellement changé la fortune des uns et des autres, qu'Adraste, qui avait cru devoir implorer notre secours, se retira, après avoir par la force arraché à ses ennemis ce qu'il avait vainement sollicité par ses prières; et qu'Eurysthée, qui s'était flatté de nous vaincre, tombé en notre pouvoir, fut obligé de se faire notre suppliant. [60] Il avait constamment donné des ordres et imposé les plus pénibles travaux à celui qui. par sa nature, était supérieur à l'humanité, qui était fils de Jupiter, et qui, bien que mortel encore, avait la force d'un dieu; mais, dès qu'il nous eut bravés, ii éprouva un tel retour de fortune, que, réduit à obéir aux enfants de ce héros, ii termina sa carrière dans l'humiliation et l'opprobre.

 

[61] Πολλῶν δ' ὑπαρχουσῶν ἡμῖν εὐεργεσιῶν εἰς τὴν πόλιν τὴν Λακεδαιμονίων περὶ ταύτης μόνης μοι συμβέβηκεν εἰπεῖν· ἀφορμὴν γὰρ λαβόντες τὴν δι' ἡμῶν αὐτοῖς γενομένην σωτηρίαν οἱ πρόγονοι μὲν τῶν νῦν ἐν Λακεδαίμονι βασιλευόντων, ἔκγονοι δ' Ἡρακλέους, κατῆλθον μὲν εἰς Πελοπόννησον, κατέσχον δ' Ἄργος καὶ Λακεδαίμονα καὶ Μεσσήνην, οἰκισταὶ δὲ Σπάρτης ἐγένοντο, καὶ τῶν παρόντων ἀγαθῶν αὐτοῖς ἁπάντων ἀρχηγοὶ κατέστησαν. [62] Ὧν ἐχρῆν ἐκείνους μεμνημένους μηδέποτ' εἰς τὴν χώραν ταύτην εἰσβαλεῖν, ἐξ ἧς ὁρμηθέντες τοσαύτην εὐδαιμονίαν κατεκτήσαντο, μηδ' εἰς κινδύνους καθιστάναι τὴν πόλιν τὴν ὑπὲρ τῶν παίδων τῶν Ἡρακλέους προκινδυνεύσασαν, μηδὲ τοῖς μὲν ἀπ' ἐκείνου γεγονόσιν διδόναι τὴν βασιλείαν, τὴν δὲ τῷ γένει τῆς σωτηρίας αἰτίαν οὖσαν δουλεύειν αὑτοῖς ἀξιοῦν. [63] Εἰ δὲ δεῖ τὰς χάριτας καὶ τὰς ἐπιεικείας ἀνελόντας ἐπὶ τὴν ὑπόθεσιν πάλιν ἐπανελθεῖν καὶ τὸν ἀκριβέστατον τῶν λόγων εἰπεῖν, οὐ δή που πάτριόν ἐστιν ἡγεῖσθαι τοὺς ἐπήλυδας τῶν αὐτοχθόνων, οὐδὲ τοὺς εὖ παθόντας τῶν εὖ ποιησάντων, οὐδὲ τοὺς ἱκέτας γενομένους τῶν ὑποδεξαμένων.

[64] Ἔτι δὲ συντομώτερον ἔχω δηλῶσαι περὶ αὐτῶν. Τῶν μὲν γὰρ Ἑλληνίδων πόλεων χωρὶς τῆς ἡμετέρας Ἄργος καὶ Θῆβαι καὶ Λακεδαίμων καὶ τότ' ἦσαν μέγισται καὶ νῦν ἔτι διατελοῦσιν. Φαίνονται δ' ἡμῶν οἱ πρόγονοι τοσοῦτον ἁπάντων διενεγκόντες ὥσθ' ὑπὲρ μὲν Ἀργείων δυστυχησάντων Θηβαίοις, ὅτε μέγιστον ἐφρόνησαν, ἐπιτάττοντες, [65] ὑπὲρ δὲ τῶν παίδων τῶν Ἡρακλέους Ἀργείους καὶ τοὺς ἄλλους Πελοποννησίους μάχῃ κρατήσαντες, ἐκ δὲ τῶν πρὸς Εὐρυσθέα κινδύνων τοὺς οἰκιστὰς καὶ τοὺς ἡγεμόνας τοὺς Λακεδαιμονίων διασώσαντες. Ὥστε περὶ μὲν τῆς ἐν τοῖς Ἕλλησι δυναστείας οὐκ οἶδ' ὅπως ἄν τις σαφέστερον ἐπιδεῖξαι δυνηθείη.

[66] Δοκεῖ δέ μοι καὶ περὶ τῶν πρὸς τοὺς βαρβάρους τῇ πόλει πεπραγμένων προσήκειν εἰπεῖν, ἄλλως τ' ἐπειδὴ καὶ τὸν λόγον κατεστησάμην περὶ τῆς ἡγεμονίας τῆς ἐπ' ἐκείνους. Ἅπαντας μὲν οὖν ἐξαριθμῶν τοὺς κινδύνους λίαν ἂν μακρολογοίην· ἐπὶ δὲ τῶν μεγίστων τὸν αὐτὸν τρόπον ὅνπερ ὀλίγῳ πρότερον πειράσομαι καὶ περὶ τούτων διελθεῖν.

[67] Ἔστιν γὰρ ἀρχικώτατα μὲν τῶν γενῶν καὶ μεγίστας δυναστείας ἔχοντα Σκύθαι καὶ Θρᾷκες καὶ Πέρσαι, τυγχά νουσι δ' οὗτοι μὲν ἅπαντες ἡμῖν ἐπιβουλεύσαντες, ἡ δὲ πόλις πρὸς ἅπαντας τούτους διακινδυνεύσασα. Καίτοι τί λοιπὸν ἔσται τοῖς ἀντιλέγουσιν, ἢν ἐπιδειχθῶσι τῶν μὲν Ἑλλήνων οἱ μὴ δυνάμενοι τυγχάνειν τῶν δικαίων ἡμᾶς ἱκετεύειν ἀξιοῦντες, τῶν δὲ βαρβάρων οἱ βουλόμενοι καταδουλώσασθαι τοὺς Ἕλληνας ἐφ' ἡμᾶς πρώτους ἰόντες;

[68] Ἐπιφανέστατος μὲν οὖν τῶν πολέμων ὁ Περσικὸς γέγονεν, οὐ μὴν ἐλάττω τεκμήρια τὰ παλαιὰ τῶν ἔργων ἐστὶν τοῖς περὶ τῶν πατρίων ἀμφισβητοῦσιν.  Ἔτι γὰρ ταπεινῆς οὔσης τῆς Ἑλλάδος ἦλθον εἰς τὴν χώραν ἡμῶν Θρᾷκες μὲν μετ' Εὐμόλπου τοῦ Ποσειδῶνος, Σκύθαι δὲ μετ' Ἀμαζόνων τῶν Ἄρεως θυγατέρων, οὐ κατὰ τὸν αὐτὸν χρόνον, ἀλλὰ καθ' ὃν ἑκάτεροι τῆς Εὐρώπης ἐπῆρχον, μισοῦντες μὲν ἅπαν τὸ τῶν Ἑλλήνων γένος, ἰδίᾳ δὲ πρὸς ἡμᾶς ἐγκλήματα ποιησάμενοι, νομίζοντες ἐκ τούτου τοῦ τρόπου πρὸς μίαν μὲν πόλιν κινδυνεύσειν, ἁπασῶν δ' ἅμα κρατήσειν. [69] Οὐ μὴν κατώρθωσαν, ἀλλὰ πρὸς μόνους τοὺς προγόνους τοὺς ἡμετέρους συμβαλόντες ὁμοίως διεφθάρησαν ὥσπερ ἂν εἰ πρὸς ἅπαντας ἀνθρώπους ἐπολέμησαν. Δῆλον δὲ τὸ μέγεθος τῶν κακῶν τῶν γενομένων ἐκείνοις· οὐ γὰρ ἄν ποθ' οἱ λόγοι περὶ αὐτῶν τοσοῦτον χρόνον διέμειναν εἰ μὴ καὶ τὰ πραχθέντα πολὺ τῶν ἄλλων διήνεγκεν. [70] Λέγεται δ' οὖν περὶ μὲν Ἀμαζόνων ὡς τῶν μὲν ἐλθουσῶν οὐδεμία πάλιν ἀπῆλθεν, αἱ δ' ὑπολειφθεῖσαι διὰ τὴν ἐνθάδε συμφορὰν ἐκ τῆς ἀρχῆς ἐξεβλήθησαν, περὶ δὲ Θρᾳκῶν ὅτι τὸν ἄλλον χρόνον ὅμοροι προσοικοῦντες ἡμῖν τοσοῦτον διὰ τὴν τότε στρατείαν διέλιπον ὥστ' ἐν τῷ μεταξὺ τῆς χώρας ἔθνη πολλὰ καὶ γένη παντοδαπὰ καὶ πόλεις μεγάλας κατοικισθῆναι.

[71] Καλὰ μὲν οὖν καὶ ταῦτα καὶ πρέποντα τοῖς περὶ τῆς ἡγεμονίας ἀμφισβητοῦσιν, ἀδελφὰ δὲ τῶν εἰρημένων καὶ τοιαῦθ' οἷά περ εἰκὸς τοὺς ἐκ τοιούτων γεγονότας οἱ πρὸς Δαρεῖον καὶ Ξέρξην πολεμήσαντες ἔπραξαν. Μεγίστου γὰρ πολέμου συστάντος ἐκείνου καὶ πλείστων κινδύνων εἰς τὸν αὐτὸν χρόνον συμπεσόντων, καὶ τῶν μὲν πολεμίων ἀνυποστάτων οἰομένων εἶναι διὰ τὸ πλῆθος, τῶν δὲ συμμάχων ἀνυπέρβλητον ἡγουμένων ἔχειν τὴν ἀρετὴν, [72] ἀμφοτέρων κρατήσαντες ὡς ἑκατέρων προσῆκεν, καὶ πρὸς ἅπαντας τοὺς κινδύνους διενεγκόντες, εὐθὺς μὲν τῶν ἀριστείων ἠξιώθησαν, οὐ πολλῷ δ' ὕστερον τὴν ἀρχὴν τῆς θαλάττης ἔλαβον, δόντων μὲν τῶν ἄλλων Ἑλλήνων, οὐκ ἀμφισβητούντων δὲ τῶν νῦν ἡμᾶς ἀφαιρεῖσθαι ζητούντων.

 

16. [61] Nos bienfaits sont nombreux envers Lacédémone, mais celui dont je viens de parler est le seul dont j'aie voulu rappeler le souvenir, parce que c'est en prenant pour point de départ leur salut, qui fut notre ouvrage, que les ancêtres des rois qui règnent à Lacédémone, que les descendants d'Hercule sont rentrés dans le Péloponnèse, se sont rendus maîtres d'Argos, de La-  169  cédémone, de Messène, ont fondé la ville de Sparte et sont devenus pour leur pays les auteurs de tous les biens dont il jouit. [62] Certes, ce sont des services dont les Lacédémoniens devaient garder la mémoire, et jamais ils n'auraient dû envahir la terre d'où leurs ancêtres étaient sortis pour parvenir à une si grande prospérité. Ils ne devaient pas mettre en danger de périr la ville qui s'était exposée aux chances de la guerre pour les enfants d'Hercule ; et, lorsqu'ils remettaient le sceptre aux mains de ses descendants, ils ne devaient pas s'efforcer de réduire en esclavage la ville qui avait sauvé sa race. [63] Enfin si, laissant de côté la justice et la reconnaissance, il faut revenir au point d'où nous sommes partis et nous exprimer avec une entière précision, nous dirons qu'il n'existe chez aucun peuple un usage héréditaire qui autorise les étrangers à commander aux hommes du pays ; ceux qui ont reçu des services, à ceux qui les ont rendus; ceux qui ont imploré des secours, à ceux qui les ont accordés.

17. [64] Mais je puis encore présenter ma pensée sous une forme plus concise. De toutes les villes de la Grèce, la nôtre exceptée, les plus puissantes étaient alors et sont encore aujourd'hui Argos, Thèbes et Lacédémone ; or, nos ancêtres se montrent à cette époque tellement supérieurs à tous les autres peuples, qu'on les voit dicter des lois aux Thébains dont l'orgueil était à son comble, [65] en faveur des Argiens vaincus; vaincre ensuite les Argiens réunis aux autres peuples du Péloponnèse, dans un combat livré pour les enfants d'Hercule; sauver enfin les fondateurs de Sparte et les chefs de Lacédémone des dangers dont les menaçait Eurysthée. J'ignore comment on pourrait produire un témoignage plus évident de prééminence sur la Grèce.

171 18. [66] Je crois devoir rappeler aussi les hauts faits qui ont illustré Athènes dans nos luttes contre les Barbares, alors surtout qu'il s'agit du droit de marcher contre eux à la tête de la Grèce. Je donnerais trop d'étendue à mon discours si je voulais énumérer tous les combats que nous avons livrés; j'essayerai seulement de signaler les principaux, en restant fidèle au système que j'ai suivi jusqu'ici.

[67] Les nations les plus fières, les Etats les plus puissants, sont les Scythes, les Thraces et les Perses; tous nous ont attaqués les premiers, et notre ville a bravé les dangers de la guerre contre eux. Que restera-t-il à nos adversaires lorsqu'il sera démontré que, parmi les Grecs, ceux qui n'étaient pas assez forts pour obtenir justice eux-mêmes imploraient notre assistance, et que, parmi les Barbares, ceux qui prétendaient asservir la Grèce nous attaquaient avant tous les autres Grecs?

19. [68] La guerre des Perses est la plus célèbre de toutes, et cependant il y a dans les faits anciens des témoignages non moins importants pour ceux qui revendiquent les droits de leur patrie. La Grèce était encore faible lorsque les Thraces avec Eumolpus, fils de Neptune, les Scythes avec les Amazones, filles de Mars, envahirent notre territoire, non dans le même temps, mais aux époques où chacun de ces peuples prétendit dominer l'Europe. Ils haïssaient la race entière des Grecs, mais c'était particulièrement contre nous que leurs plaintes étaient dirigées; ils croyaient qu'en s'exposant aux chances de la guerre contre une seule ville, ils vaincraient en elle toutes les autres. [69] Le succès ne répondit point à leur attente; et, bien qu'ils n'eussent à combattre que nos seuls ancêtres, leur dé- 173 faite fut aussi entière que s'ils avaient eu à lutter contre tous les peuples de la terre. La grandeur des désastres qu'ils éprouvèrent ne peut être mise en doute : car, si les événements qui se sont accomplis alors n'avaient pas été beaucoup plus importants que tous les autres, la renommée n'en aurait pas subsisté aussi longtemps. [70] L'histoire, en effet, nous apprend qu'aucune des Amazones venues pour nous attaquer ne retourna dans son pays ; que, par suite de cette catastrophe, celles qui y étaient restées furent dépouillées de leur empire ; et, pour ce qui concerne les Thraces, que cette nation qui, dans les temps antérieurs, touchait à nos frontières, a depuis laissé entre elle et nous une telle distance, que des peuples nombreux et des races diverses se sont établis et ont fondé des villes considérables dans l'intervalle qui nous sépare.

20. [71] Certes, de tels faits sont glorieux; ils sont dignes d'être invoqués par ceux qui aspirent à l'honneur de commander; ils sont en quelque sorte les frères de ceux que nous avons signalés, et tels qu'on devait les attendre d'hommes qui ont donné le jour à ceux qui ont vaincu les armées de Darius et de Xerxès. Dans cette guerre, la plus grande qui fut jamais et où de nombreux périls nous menaçaient à la fois, les ennemis
étaient convaincus que leur nombre les rendait supérieurs à toute résistance ; nos alliés se croyaient doués d'un courage que personne ne pouvait surpasser ; mais nos ancêtres, [72] et il devait en être ainsi, triomphèrent des uns et des autres, en montrant dans tous les combats une telle supériorité, que le prix de la valeur leur fut à l'instant décerné, et que, peu de temps après, ils reçurent des autres Grecs l'empire de la mer, que ne leur contestaient pas alors ceux qui s'efforcent aujourd'hui de nous l'enlever.

[73] Καὶ μηδεὶς οἰέσθω μ' ἀγνοεῖν ὅτι καὶ Λακεδαιμόνιοι περὶ τοὺς καιροὺς τούτους πολλῶν ἀγαθῶν αἴτιοι τοῖς Ἕλλησιν κατέστησαν· ἀλλὰ διὰ τοῦτο καὶ μᾶλλον ἐπαινεῖν ἔχω τὴν πόλιν, ὅτι τοιούτων ἀνταγωνιστῶν τυχοῦσα τοσοῦτον αὐτῶν διήνεγκεν. Βούλομαι δ' ὀλίγῳ μακρότερα περὶ τοῖν πολέοιν εἰπεῖν καὶ μὴ ταχὺ λίαν παραδραμεῖν, ἵν' ἀμφοτέρων ἡμῖν ὑπομνήματα γένηται, τῆς τε τῶν προγόνων ἀρετῆς καὶ τῆς πρὸς τοὺς βαρβάρους ἔχθρας. [74] Καίτοι μ' οὐ λέληθεν ὅτι χαλεπόν ἐστιν ὕστατον ἐπελθόντα λέγειν περὶ πραγμάτων πάλαι προκατειλημμένων καὶ περὶ ὧν οἱ μάλιστα δυνηθέντες τῶν πολιτῶν εἰπεῖν ἐπὶ τοῖς δημοσίᾳ θαπτομένοις πολλάκις εἰρήκασιν· ἀνάγκη γὰρ τὰ μὲν μέγιστ' αὐτῶν ἤδη κατακεχρῆσθαι, μικρὰ δ' ἔτι παραλελεῖφθαι.  Ὅμως δ' ἐκ τῶν ὑπολοίπων, ἐπειδὴ συμφέρει τοῖς πράγμασιν, οὐκ ὀκνητέον μνησθῆναι περὶ αὐτῶν. 

[75] Πλείστων μὲν οὖν ἀγαθῶν αἰτίους καὶ μεγίστων ἐπαίνων ἀξίους ἡγοῦμαι γεγενῆσθαι τοὺς τοῖς σώμασιν ὑπὲρ τῆς Ἑλλάδος προκινδυνεύσαντας· οὐ μὴν οὐδὲ τῶν πρὸ τοῦ πολέμου τούτου γενομένων καὶ δυναστευσάντων ἐν ἑκατέρᾳ τοῖν πολέοιν δίκαιον ἀμνημονεῖν· ἐκεῖνοι γὰρ ἦσαν οἱ προασκήσαντες τοὺς ἐπιγιγνομένους καὶ τὰ πλήθη προτρέψαντες ἐπ' ἀρετὴν καὶ χαλεποὺς ἀνταγωνιστὰς τοῖς βαρβάροις ποιήσαντες.  [76] Οὐ γὰρ ὠλιγώρουν τῶν κοινῶν, οὐδ' ἀπέλαυον μὲν ὡς ἰδίων, ἠμέλουν δ' ὡς ἀλλοτρίων, ἀλλ' ἐκήδοντο μὲν ὡς οἰκείων, ἀπείχοντο δ' ὥσπερ χρὴ τῶν μηδὲν προσηκόντων· οὐδὲ πρὸς ἀργύριον τὴν εὐδαιμονίαν ἔκρινον, ἀλλ' οὗτος ἐδόκει πλοῦτον ἀσφαλέστατον κεκτῆσθαι καὶ κάλλιστον, ὅστις τοιαῦτα τυγχάνοι πράττων ἐξ ὧν αὐτός τε μέλλοι μάλιστ' εὐδοκιμήσειν καὶ τοῖς παισὶν μεγίστην δόξαν καταλείψειν. [77] Οὐδὲ τὰς θρασύτητας τὰς ἀλλήλων ἐζήλουν, οὐδὲ τὰς τόλμας τὰς αὑτῶν ἤσκουν, ἀλλὰ δεινότερον μὲν ἐνόμιζον εἶναι κακῶς ὑπὸ τῶν πολιτῶν ἀκούειν ἢ καλῶς ὑπὲρ τῆς πόλεως ἀποθνῄσκειν, μᾶλλον δ' ᾐσχύνοντ' ἐπὶ τοῖς κοινοῖς ἁμαρτήμασιν ἢ νῦν ἐπὶ τοῖς ἰδίοις τοῖς σφετέροις αὐτῶν.

[78] Τούτων δ' ἦν αἴτιον, ὅτι τοὺς νόμους ἐσκόπουν ὅπως ἀκριβῶς καὶ καλῶς ἕξουσιν, οὐχ οὕτω τοὺς περὶ τῶν ἰδίων συμβολαίων ὡς τοὺς περὶ τῶν καθ' ἑκάστην τὴν ἡμέραν ἐπιτηδευμάτων· ἠπίσταντο γὰρ ὅτι τοῖς καλοῖς κἀγαθοῖς τῶν ἀνθρώπων οὐδὲν δεήσει πολλῶν γραμμάτων, ἀλλ' ἀπ' ὀλίγων συνθημάτων ῥᾳδίως καὶ περὶ τῶν ἰδίων καὶ περὶ τῶν κοινῶν ὁμονοήσουσιν. [79] Οὕτω δὲ πολιτικῶς εἶχον ὥστε καὶ τὰς στάσεις ἐποιοῦντο πρὸς ἀλλήλους, οὐχ ὁπότεροι τοὺς ἑτέρους ἀπολέσαντες τῶν λοιπῶν ἄρξουσιν, ἀλλ' ὁπότεροι φθήσονται τὴν πόλιν ἀγαθόν τι ποιήσαντες· καὶ τὰς ἑταιρείας συνῆγον οὐχ ὑπὲρ τῶν ἰδίᾳ συμφ<ε>ρόντων, ἀλλ' ἐπὶ τῇ τοῦ πλήθους ὠφελείᾳ. [80] Τὸν αὐτὸν δὲ τρόπον καὶ τὰ τῶν ἄλλων διῴκουν, θεραπεύοντες, ἀλλ' οὐχ ὑβρίζοντες τοὺς Ἕλληνας, καὶ στρατηγεῖν οἰόμενοι δεῖν, ἀλλὰ μὴ τυραννεῖν αὐτῶν, καὶ μᾶλλον ἐπιθυμοῦντες ἡγεμόνες ἢ δεσπόται προσαγορεύεσθαι καὶ σωτῆρες, ἀλλὰ μὴ λυμεῶνες ἀποκαλεῖσθαι, τῷ ποιεῖν εὖ προσαγόμενοι τὰς πόλεις, ἀλλ' οὐ βίᾳ καταστρεφόμενοι, [81] πιστοτέροις μὲν τοῖς λόγοις ἢ νῦν τοῖς ὅρκοις χρώμενοι, ταῖς δὲ συνθήκαις ὥσπερ ἀνάγκαις ἐμμένειν ἀξιοῦντες, οὐχ οὕτως ἐπὶ ταῖς δυναστείαις μέγα φρονοῦντες ὡς ἐπὶ τῷ σωφρόνως ζῆν φιλοτιμούμενοι, τὴν αὐτὴν ἀξιοῦντες γνώμην ἔχειν πρὸς τοὺς ἥττους ἥνπερ τοὺς κρείττους πρὸς σφᾶς αὐτοὺς, ἴδια μὲν ἄστη τὰς αὑτῶν πόλεις ἡγούμενοι, κοινὴν δὲ πατρίδα τὴν Ἑλλάδα νομίζοντες εἶναι.
 

21. [73] Et que personne ne croie que j'ignore les nom- 175 breux services rendus aux Grecs, à cette époque, par les Lacédémoniens ; car ces services sont pour moi un motif d'insister avec plus de force sur les louanges que je donne à ma patrie, puisque, ayant rencontré de tels rivaux, elle a obtenu sur eux de si glorieux avantages. Je veux maintenant parler avec un peu plus d'étendue de ce qui concerne l'une et l'autre ville, et ne pas passer trop rapidement sur cet objet, afin qu'il nous reste un double souvenir et de la vertu de nos ancêtres et de leur haine contre les Barbares. [74] Je ne me suis pas dissimulé combien il était difficile, surtout arrivant le dernier, d'aborder des sujets dont beaucoup d'orateurs se sont emparés depuis longtemps, et que, parmi mes concitoyens, les hommes les plus puissants par la parole ont souvent traités dans les discours prononcés en l'honneur de ceux qui étaient inhumés aux frais de l'Etat. D'où il suit que, les considérations principales étant épuisées, celles qui me restent sont pour ainsi dire secondaires. Quoi qu'il en soit, l'intérêt public l'exige, et je n'hésiterai pas à me servir de ce qui m'a été laissé.

22. [75] Je regarde comme les auteurs de la plupart des biens dont nous jouissons, et comme dignes des plus magnifiques éloges, les hommes qui ont exposé leur vie pour la défense de la Grèce; mais il serait injuste de condamner à l'oubli ceux qui vivaient avant cette mémorable guerre et qui ont gouverné les deux villes. Ce sont eux qui formèrent les hommes destinés à leur succéder; ce sont eux qui dirigèrent l'esprit des peuples vers la vertu et qui ont préparé aux Barbares de si terribles adversaires. [76] Ces hommes n'abandonnaient point au hasard le soin de la fortune publique, et ne s'en attribuaient pas la jouissance comme si elle leur eût appartenu, la négligeant, en même temps, connue une propriété qui leur serait étrangère ; mais ils la soignaient comme on soigne sa propre fortune et s'abstenaient d'y toucher comme 177 à un bien sur lequel on ne possède aucun droit. Ils ne regardaient pas l'opulence comme la mesure du bonheur, et l'on obtenait à leurs yeux la richesse la plus noble et la plus sûre, lorsqu'on savait acquérir par sa conduite une grande considération et transmettre une illustre renommée pour héritage à ses enfants. [77] On ne les voyait point rivaliser d'impudence et se livrer à des violences réciproques. Une réputation flétrie parmi leurs concitoyens leur paraissait plus redoutable que la mort reçue en combattant noblement pour leur patrie, et ils rougissaient plus de participer à une faute publique qu'on n'a honte aujourd'hui d'en commettre une personnelle.

[78] L'origine de ces sentiments se trouvait dans le soin qu'ils apportaient à faire des lois rédigées avec clarté, des lois empreintes d'une noble pensée, et bien moins destinées à régler les transactions particulières qu'à exercer une salutaire influence sur les mœurs et les intérêts publics. Ils savaient que, pour des hommes loyaux et honnêtes, il n'était pas nécessaire de multiplier les écritures, et qu'à l'aide d'un petit nombre de conventions, ils pouvaient aisément s'entendre sur les intérêts publics comme sur les intérêts privés. [79] Ils étaient d'un zèle si sincère pour le bonheur de leur patrie, que, même divisés en factions rivales, ils luttaient, non pour savoir qui s'emparerait de l'autorité après avoir anéanti ses adversaires, mais qui pourrait les devancer pour faire le bien de son pays; enfin, lorsqu'ils formaient entre eux des associations, ce n'était pas dans un but d'utilité personnelle, mais pour l'avantage de l'Etat. [80] Ils suivaient le même principe pour les intérêts étrangers, servant les Grecs et ne les insultant jamais, croyant devoir les guider et non les tyranniser, et préférant être appelés leurs chefs plutôt que leurs maîtres, leurs sauveurs plutôt que les dévasta- 179 teurs de leur pays. Ils attiraient les villes par leurs bienfaits, et ne les contraignaient pas par la violence. [81] Leur parole était plus sûre que les serments ne le sont aujourd'hui, et ils croyaient devoir obéir aux traités qu'ils avaient conclus comme à la nécessité même. Moins orgueilleux de leur grandeur que fiers d'une vie sage et modeste, ils regardaient comme digne de leur caractère de montrer pour les plus faibles les sentiments qu'ils exigeaient des plus puissants; et, considérant leurs propres cités comme des villes particulières, ils voyaient dans la Grèce la patrie commune.

[82] Τοιαύταις διανοίαις χρώμενοι καὶ τοὺς νεωτέρους ἐν τοῖς τοιούτοις ἤθεσιν παιδεύοντες οὕτως ἄνδρας ἀγαθοὺς ἀπέδειξαν τοὺς πολεμήσαντας πρὸς τοὺς ἐκ τῆς Ἀσίας ὥστε μηδένα πώποτε δυνηθῆναι περὶ αὐτῶν μήτε τῶν ποιητῶν μήτε τῶν σοφιστῶν ἀξίως τῶν ἐκείνοις πεπραγμένων εἰπεῖν. Καὶ πολλὴν αὐτοῖς ἔχω συγγνώμην· ὁμοίως γάρ ἐστιν χαλεπὸν ἐπαινεῖν τοὺς ὑπερβεβληκότας τὰς τῶν ἄλλων ἀρετὰς ὥσπερ τοὺς μηδὲν ἀγαθὸν πεποιηκότας· τοῖς μὲν γὰρ οὐχ ὕπεισι πράξεις, περὶ δὲ τοὺς οὐκ εἰσὶν ἁρμόττοντες λόγοι.  [83] Πῶς γὰρ ἂν γένοιντο σύμμετροι τοιούτοις ἀνδράσιν, οἳ τοσοῦτον μὲν τῶν ἐπὶ Τροίαν στρατευσαμένων διήνεγκαν ὅσον οἱ μὲν περὶ μίαν πόλιν στρατεύσαντες ἔτη δέκα διέτριψαν, οἱ δὲ τὴν ἐξ ἁπάσης τῆς Ἀσίας δύναμιν ἐν ὀλίγῳ χρόνῳ κατεπολέμησαν, οὐ μόνον δὲ τὰς αὑτῶν πατρίδας διέσωσαν, ἀλλὰ καὶ τὴν σύμπασαν Ἑλλάδ' ἠλευθέρωσαν; Ποίων δ' ἂν ἔργων ἢ πόνων ἢ κινδύνων ἀπέστησαν ὥστε ζῶντες εὐδοκιμεῖν, οἵτινες ὑπὲρ τῆς δόξης ἧς ἤμελλον τελευτήσαντες ἕξειν οὕτως ἑτοίμως ἤθελον ἀποθνῄσκειν; [84] Οἶμαι δὲ καὶ τὸν πόλεμον θεῶν τινὰ συναγαγεῖν ἀγασθέντα τὴν ἀρετὴν αὐτῶν, ἵνα μὴ τοιοῦτοι γενόμενοι τὴν φύσιν διαλάθοιεν μηδ' ἀκλεῶς τὸν βίον τελευτήσαιεν, ἀλλὰ τῶν αὐτῶν τοῖς ἐκ τῶν θεῶν γεγονόσιν καὶ καλουμένοις ἡμιθέοις ἀξιωθεῖεν· καὶ γὰρ ἐκείνων τὰ μὲν σώματα ταῖς τῆς φύσεως ἀνάγκαις ἀπέδοσαν, τῆς δ' ἀρετῆς ἀθάνατον τὴν μνήμην ἐποίησαν.

[85] Ἀεὶ μὲν οὖν οἵ θ' ἡμέτεροι πρόγονοι καὶ Λακεδαιμόνιοι φιλοτίμως πρὸς ἀλλήλους εἶχον, οὐ μὴν ἀλλὰ περὶ καλλίστων ἐν ἐκείνοις τοῖς χρόνοις ἐφιλονίκησαν, οὐκ ἐχθροὺς, ἀλλ' ἀνταγωνιστὰς σφᾶς αὐτοὺς εἶναι νομίζοντες, οὐδ' ἐπὶ δουλείᾳ τῇ τῶν Ἑλλήνων τὸν βάρβαρον θεραπεύοντες, ἀλλὰ περὶ μὲν τῆς κοινῆς σωτηρίας ὁμονοοῦντες, ὁπότεροι δὲ ταύτης αἴτιοι γενήσονται, περὶ τούτου ποιούμενοι τὴν ἅμιλλαν.  Ἐπεδείξαντο δὲ τὰς αὑτῶν ἀρετὰς πρῶτον μὲν ἐν τοῖς ὑπὸ Δαρείου πεμφθεῖσιν. [86] Ἀποβάντων γὰρ αὐτῶν εἰς τὴν Ἀττικὴν οἱ μὲν οὐ περιέμειναν τοὺς συμμάχους, ἀλλὰ τὸν κοινὸν πόλεμον ἴδιον ποιησάμενοι πρὸς τοὺς ἁπάσης τῆς Ἑλλάδος καταφρονήσαντας ἀπήντων τὴν οἰκείαν δύναμιν ἔχοντες, ὀλίγοι πρὸς πολλὰς μυριάδας, ὥσπερ ἐν ἀλλοτρίαις ψυχαῖς μέλλοντες κινδυνεύσειν, οἱ δ' οὐκ ἔφθασαν πυθόμενοι τὸν περὶ τὴν Ἀττικὴν πόλεμον καὶ πάντων τῶν ἄλλων ἀμελήσαντες ἧκον ἡμῖν ἀμυνοῦντες, τοσαύτην ποιησάμενοι σπουδὴν ὅσην περ ἂν τῆς αὑτῶν χώρας πορθουμένης. [87] Σημεῖον δὲ τοῦ τάχους καὶ τῆς ἁμίλλης· τοὺς μὲν γὰρ ἡμετέρους προγόνους φασὶν τῆς αὐτῆς ἡμέρας πυθέσθαι τε τὴν ἀπόβασιν τὴν τῶν βαρβάρων καὶ βοηθήσαντας ἐπὶ τοὺς ὅρους τῆς χώρας μάχῃ νικήσαντας τρόπαιον στῆσαι τῶν πολεμίων, τοὺς δ' ἐν τρισὶν ἡμέραις καὶ τοσαύταις νυξὶ διακόσια καὶ χίλια στάδια διελθεῖν στρατοπέδῳ πορευομένους· οὕτω σφόδρ' ἠπείχθησαν οἱ μὲν μετασχεῖν τῶν κινδύνων, οἱ δὲ φθῆναι συμβαλόντες πρὶν ἐλθεῖν τοὺς βοηθήσοντας.

[88] Μετὰ δὲ ταῦτα γενομένης τῆς ὕστερον στρατείας, ἣν αὐτὸς Ξέρξης ἤγαγεν, ἐκλιπὼν μὲν τὰ βασίλεια, στρατηγὸς δὲ καταστῆναι τολμήσας, ἅπαντας δὲ τοὺς ἐκ τῆς Ἀσίας συναγείρας· περὶ οὗ τίς οὐχ ὑπερβολὰς προθυμηθεὶς εἰπεῖν ἐλάττω τῶν ὑπαρχόντων εἴρηκεν; [89] Ὃς εἰς τοσοῦτον ἦλθεν ὑπερηφανίας ὥστε μικρὸν μὲν ἡγησάμενος ἔργον εἶναι τὴν Ἑλλάδα χειρώσασθαι, βουληθεὶς δὲ τοιοῦτον μνημεῖον καταλιπεῖν ὃ μὴ τῆς ἀνθρωπίνης φύσεώς ἐστιν, οὐ πρότερον ἐπαύσατο πρὶν ἐξεῦρε καὶ συνηνάγκασεν ὃ πάντες θρυλοῦσιν, ὥστε τῷ στρατοπέδῳ πλεῦσαι μὲν διὰ τῆς ἠπείρου, πεζεῦσαι δὲ διὰ τῆς θαλάττης, τὸν μὲν Ἑλλήσποντον ζεύξας, τὸν δ' Ἄθω διορύξας.  [90] Πρὸς δὴ τὸν οὕτω μέγα φρονήσαντα καὶ τηλικαῦτα διαπραξάμενον καὶ τοσούτων δεσπότην γενόμενον ἀπήντων διελόμενοι τὸν κίνδυνον, Λακεδαιμόνιοι μὲν εἰς Θερμοπύλας πρὸς τὸ πεζὸν, χιλίους αὑτῶν ἐπιλέξαντες καὶ τῶν συμμάχων ὀλίγους παραλαβόντες, ὡς ἐν τοῖς στενοῖς κωλύσοντες αὐτοὺς περαιτέρω προελθεῖν, οἱ δ' ἡμέτεροι πατέρες ἐπ' Ἀρτεμίσιον, ἑξήκοντα τριήρεις πληρώσαντες πρὸς ἅπαν τὸ τῶν πολεμίων ναυτικόν. [91] Ταῦτα δὲ ποιεῖν ἐτόλμων οὐχ οὕτω τῶν πολεμίων καταφρονοῦντες ὡς πρὸς ἀλλήλους ἀγωνιῶντες, Λακεδαιμόνιοι μὲν ζηλοῦντες τὴν πόλιν τῆς Μαραθῶνι μάχης καὶ ζητοῦντες αὑτοὺς ἐξισῶσαι καὶ δεδιότες μὴ δὶς ἐφεξῆς ἡ πόλις ἡμῶν αἰτία γένηται τοῖς Ἕλλησιν τῆς σωτηρίας, οἱ δ' ἡμέτεροι πρόγονοι μάλιστα μὲν βουλόμενοι διαφυλάξαι τὴν παροῦσαν δόξαν καὶ πᾶσι ποιῆσαι φανερὸν ὅτι καὶ τὸ πρότερον δι' ἀρετὴν, ἀλλ' οὐ διὰ τύχην ἐνίκησαν, ἔπειτα καὶ προαγαγέσθαι τοὺς Ἕλληνας ἐπὶ τὸ διαναυμαχεῖν, ἐπιδείξαντες αὐτοῖς ὁμοίως ἐν τοῖς ναυτικοῖς κινδύνοις ὥσπερ ἐν τοῖς πεζοῖς τὴν ἀρετὴν τοῦ πλήθους περιγιγνομένην.


 

23. [82] Animés de ces généreux sentiments, c'était dans ces principes qu'ils élevaient la jeunesse, et c'est ainsi qu'ils ont formé ces hommes courageux qui ont lutté contre toutes les armées de l'Asie avec une telle valeur que jamais aucun poète, aucun orateur n'a dignement célébré leurs exploits. J'éprouve néanmoins pour ceux qui l'ont tenté un profond sentiment d'indulgence, car il est aussi difficile de louer les hommes qui ont dépassé les limites de la vertu que ceux dont la vie n'offre
rien qui soit digne de mémoire. Si les faits manquent pour ceux-ci, il n'existe pas pour les autres d'expressions en harmonie avec leur gloire. [83] Comment d'ailleurs un discours pourrait-il s'élever à la hauteur de ces héros, bien supérieurs à ceux qui ont combattu sous les murs de Troie, puisque ceux-ci ont employé dix années sous les murailles d'une seule ville, tandis que dans un court espace de temps les autres ont vaincu l'Asie entière et ont sauvé non-seulement leur patrie, mais rendu la liberté à toute la Grèce? Quels travaux, quelles fatigues, quels dangers n'auraient pas affrontés pour vivre couverts de gloire ceux qui, pour acquérir une célébrité qu'ils ne devaient posséder 181 qu'après avoir quitté la vie, se dévouaient à la mort avec une si noble ardeur! [84] Quant à moi, je suis convaincu qu'un dieu qui admirait leur vertu a suscité cette guerre pour empêcher que des hommes d'une nature si généreuse, échappant à la renommée, n'accomplissent leur vie sans gloire, et pour qu'ils pussent recueillir les mêmes honneurs que ces héros appelés demi-dieux parce qu'une divinité leur a donné l'existence : car ils ont remis leur corps à la nécessité que la nature impose, et laissé de leur vertu un souvenir qui ne périra jamais.

24. [85] Dans tous les temps, nos ancêtres et les Lacédémoniens ont rivalisé de gloire, mais leur émulation à cette époque se fondait sur les plus nobles motifs. Rivaux, et non pas ennemis, ils ne flattaient pas le Barbare afin d'asservir les Grecs ; ils n'avaient qu'une seule pensée, celle du salut commun, et en devenir la cause était l'unique objet de leur ambition. La première circonstance où leur vertu se manifesta, fut l'invasion de l'armée envoyée par Darius. [86] Cette armée était descendue sur les rivages de l'Attique; les Athéniens, sans attendre leurs alliés, appelant sur eux seuls les dangers de la guerre commune, marchèrent avec les forces de leur pays contre ces masses innombrables qui regardaient avec mépris la Grèce entière, opposant ainsi un petit nombre d'hommes à des myriades de soldats, comme si chacun d'eux eût exposé une autre vie que la sienne. Et, d'un autre côté, les Lacédémoniens n'eurent pas plutôt appris que la guerre avait envahi l'Attique, que, négligeant tout autre soin, ils volèrent à notre secours, transportés de la même ardeur que si leur propre pays eut été ravagé par l'ennemi. [87] C'est ici que l'on peut juger le noble élan et l'ardente émulation des deux peuples. Dans un même 183 jour, selon le témoignage de l'histoire, nos ancêtres furent avertis de la descente des Barbares, se portèrent à la limite du territoire athénien, vainquirent l'ennemi, élevèrent un trophée ; et les Lacédémoniens, qui marchaient en corps d'armée, franchirent en trois jours et trois nuits un intervalle de 1200 stades (b); tant était grande l'ardeur qui enflammait les deux nations, les Lacédémoniens, pour prendre part au combat, nos ancêtres, afin de livrer bataille avant l'arrivée de ceux qui venaient les secourir.

25. [88] Ce fut après ces grands événements qu'eut lieu la seconde invasion. Xerxès la dirigeait en personne ; il avait quitté son palais ; il s'était mis audacieusement à la tête de son armée ; il avait réuni autour de lui les forces de toute l'Asie. Mais quel orateur n'est pas resté au-dessous de la vérité, en employant les plus pompeuses hyperboles, pour parler de ce roi [89] qui, dans l'excès de son orgueil, regardant comme un faible exploit de subjuguer la Grèce entière, et voulant laisser de sa puissance un monument supérieur à la nature humaine, n'eut pas un instant de repos qu'il n'eût conçu et exécuté ce que la renommée répète dans tout l'univers, qu'il n'eût navigué à travers le continent et marché avec son armée sur la mer, en unissant les deux rives de l'Hellespont et en perçant le mont Athos? [90] C'est donc contre ce roi si orgueilleux, contre ce roi qui avait fait de si grandes choses et qui tenait sous sa domination un si grand nombre de peuples, que nos ancêtres et les Lacédémoniens s'avancèrent en se partageant le péril. Mille Lacédémoniens choisis parmi les plus braves, et un petit nombre d'alliés, coururent aux Thermopyles pour empêcher l'armée ennemie de franchir les défilés ; et, de leur côté, nos pères, ayant armé soixante galères, firent voile vers Artémisium, pour s'opposer à toute la flotte 185 des Perses. [91] Voilà ce que les uns et les autres ont osé entreprendre, bien moins par mépris pour leurs ennemis que par l'effet de la noble rivalité dont ils étaient animés. Les Lacédémoniens, jaloux de la gloire de Marathon, et cherchant à nous égaler, craignaient que deux fois notre ville ne sauvât seule toute la Grèce ; nos ancêtres, déterminés avant tout à conserver la gloire qu'ils avaient acquise, et à rendre évident à tous les yeux qu'ils avaient vaincu la première fois par leur courage et non par une faveur de la fortune, voulaient amener les Grecs à tenter les chances d'un combat naval en leur montrant que, sur mer comme sur terre, la valeur triomphe du nombre.

[92] Ἴσας δὲ τὰς τόλμας παρασχόντες οὐχ ὁμοίαις ἐχρήσαντο ταῖς τύχαις, ἀλλ' οἱ μὲν διεφθάρησαν καὶ ταῖς ψυχαῖς νικῶντες τοῖς σώμασιν ἀπεῖπον, οὐ γὰρ δὴ τοῦτό γε θέμις εἰπεῖν ὡς ἡττήθησαν· οὐδεὶς γὰρ αὐτῶν φυγεῖν ἠξίωσεν· οἱ δ' ἡμέτεροι τὰς μὲν πρόπλους ἐνίκησαν, ἐπειδὴ δ' ἤκουσαν τῆς παρόδου τοὺς πολεμίους κρατοῦντας, οἴκαδε καταπλεύσαντες καὶ κατασκευάσαντες τὰ περὶ τὴν πόλιν οὕτως ἐβουλεύσαντο περὶ τῶν λοιπῶν ὥστε πολλῶν καὶ καλῶν αὐτοῖς προειργασμένων ἐν τοῖς τελευταίοις τῶν κινδύνων ἔτι πλέον διήνεγκαν.  [93] Ἀθύμως γὰρ ἁπάντων τῶν συμμάχων διακειμένων, καὶ Πελοποννησίων μὲν διατειχιζόντων τὸν Ἰσθμὸν καὶ ζητούντων ἰδίαν αὑτοῖς σωτηρίαν, τῶν δ' ἄλλων πόλεων ὑπὸ τοῖς βαρβάροις γεγενημένων καὶ συστρατευομένων ἐκείνοις πλὴν εἴ τις διὰ μικρότητα παρημελήθη, προσπλεουσῶν δὲ τριήρων διακοσίων καὶ χιλίων καὶ πεζῆς στρατιᾶς ἀναριθμήτου μελλούσης εἰς τὴν Ἀττικὴν εἰσβάλλειν, οὐδεμιᾶς σωτηρίας αὐτοῖς ὑποφαινομένης, ἀλλ' ἔρημοι συμμάχων γεγενημένοι καὶ τῶν ἐλπίδων ἁπασῶν διημαρτηκότες, [94] ἐξὸν αὐτοῖς μὴ μόνον τοὺς παρόντας κινδύνους διαφυγεῖν, ἀλλὰ καὶ τιμὰς ἐξαιρέτους λαβεῖν ἃς αὐτοῖς ἐδίδου βασιλεὺς ἡγούμενος, εἰ τὸ τῆς πόλεως προσλάβοι ναυτικὸν, παραχρῆμα καὶ Πελοποννήσου κρατήσειν, οὐχ ὑπέμειναν τὰς παρ' ἐκείνου δωρεὰς οὐδ', ὀργισθέντες τοῖς Ἕλλησιν ὅτι προυδόθησαν, ἀσμένως ἐπὶ τὰς διαλλαγὰς τὰς πρὸς τοὺς βαρβάρους ὥρμησαν, [95] ἀλλ' αὐτοὶ μὲν ὑπὲρ τῆς ἐλευθερίας πολεμεῖν παρεσκευάζοντο, τοῖς δ' ἄλλοις τὴν δουλείαν αἱρουμένοις συγγνώμην εἶχον. Ἡγοῦντο γὰρ ταῖς μὲν ταπειναῖς τῶν πόλεων προσήκειν ἐκ παντὸς τρόπου ζητεῖν τὴν σωτηρίαν, ταῖς δὲ προεστάναι τῆς Ἑλλάδος ἀξιούσαις οὐχ οἷόν τ' εἶναι διαφεύγειν τοὺς κινδύνους, ἀλλ' ὥσπερ τῶν ἀνδρῶν τοῖς καλοῖς κἀγαθοῖς αἱρετώτερόν ἐστιν καλῶς ἀποθανεῖν ἢ ζῆν αἰσχρῶς, οὕτω καὶ τῶν πόλεων ταῖς ὑπερεχούσαις λυσιτελεῖν ἐξ ἀνθρώπων ἀφανισθῆναι μᾶλλον ἢ δούλαις ὀφθῆναι γενομέναις. [96] Δῆλον δ' ὅτι ταῦτα διενοήθησαν· ἐπειδὴ γὰρ οὐχ οἷοί τ' ἦσαν πρὸς ἀμφοτέρας ἅμα παρατάξασθαι τὰς δυνάμεις, παραλαβόντες ἅπαντα τὸν ὄχλον τὸν ἐκ τῆς πόλεως, εἰς τὴν ἐχομένην νῆσον ἐξέπλευσαν ἵν' ἐν μέρει πρὸς ἑκατέραν κινδυνεύσωσιν.

Καίτοι πῶς ἂν ἐκείνων ἄνδρες ἀμείνους ἢ μᾶλλον φιλέλληνες ὄντες ἐπιδειχθεῖεν οἵτινες ἔτλησαν ἐπιδεῖν, ὥστε μὴ τοῖς λοιποῖς αἴτιοι γενέσθαι τῆς δουλείας, ἐρήμην μὲν τὴν πόλιν γενομένην, τὴν δὲ χώραν πορθουμένην, ἱερὰ δὲ συλώμενα καὶ νεὼς ἐμπιπραμένους, ἅπαντα δὲ τὸν πόλεμον περὶ τὴν πατρίδα τὴν αὑτῶν γιγνόμενον; [97] Καὶ οὐδὲ ταῦτ' ἀπέχρησεν αὐτοῖς, ἀλλὰ πρὸς χιλίας καὶ διακοσίας τριήρεις μόνοι διαναυμαχεῖν ἐμέλλησαν. Οὐ μὴν εἰάθησαν· καταισχυνθέντες γὰρ Πελοποννήσιοι τὴν ἀρετὴν αὐτῶν, καὶ νομίσαντες προδιαφθαρέντων μὲν τῶν ἡμετέρων οὐδ' αὐτοὶ σωθήσεσθαι, κατορθωσάντων δ' εἰς ἀτιμίαν τὰς αὑτῶν πόλεις καταστήσειν, ἠναγκάσθησαν μετασχεῖν τῶν κινδύνων.  Καὶ τοὺς μὲν θορύβους τοὺς ἐν τῷ πράγματι γενομένους καὶ τὰς κραυγὰς καὶ τὰς παρακελεύσεις, ἃ κοινὰ πάντων ἐστὶ τῶν ναυμαχούντων, οὐκ οἶδ' ὅ τι δεῖ λέγοντα διατρίβειν· [98] ἃ δ' ἐστὶν ἴδια καὶ τῆς ἡγεμονίας ἄξια καὶ τοῖς προειρημένοις ὁμολογούμενα, ταῦτα δ' ἐμὸν ἔργον ἐστὶν εἰπεῖν. Τοσοῦτον γὰρ ἡ πόλις ἡμῶν διέφερεν, ὅτ' ἦν ἀκέραιος, ὥστ' ἀνάστατος γενομένη πλείους μὲν συνεβάλετο τριήρεις εἰς τὸν κίνδυνον τὸν ὑπὲρ τῆς Ἑλλάδος ἢ σύμπαντες οἱ ναυμαχήσαντες, οὐδεὶς δὲ πρὸς ἡμᾶς οὕτως ἔχει δυσμενῶς ὅστις οὐκ ἂν ὁμολογήσειεν διὰ μὲν τὴν ναυμαχίαν ἡμᾶς τῷ πολέμῳ κρατῆσαι, ταύτης δὲ τὴν πόλιν αἰτίαν γενέσθαι. 

 

26. [92] En déployant toutefois le même courage, ils n'obtinrent pas le même succès ; les uns succombèrent, ou plutôt, vainqueurs par l'énergie de leurs âmes, ils sentirent leurs corps défaillir au sein même de la victoire. Dire qu'ils ont été vaincus serait offenser la justice, puisque aucun d'eux n'a pensé à fuir. Et pour ce qui touche à nos ancêtres, déjà ils avaient vaincu l'avant-garde de la flotte ennemie, lorsque, apprenant que les Barbares étaient maîtres du défilé, ils firent immédiatement voile vers leur patrie, et prirent de telles dispositions pour la suite de la guerre que, bien qu'ils se fussent signalés dans les temps antérieurs par un grand nombre de grandes actions, ils ont tout surpassé par leurs derniers exploits. [93] Leurs alliés avaient entièrement perdu courage ; les Péloponnésiens fortifiaient l'Isthme et s'occupaient de pourvoir séparément à leur salut; les autres peuples s'étaient soumis aux Barbares et marchaient avec eux, à l'exception de ceux que leur faiblesse avait fait négliger ;  187 douze cents bâtiments de guerre faisaient voile vers l'Attique, et une armée innombrable se disposait à envahir le pays. Abandonnés de leurs alliés et trompés dans toutes leurs espérances, aucune chance de salut ne semblait s'offrir à eux ; [94] et cependant il était en leur pouvoir, non-seulement de se soustraire au danger qui les menaçait, mais de s'assurer les plus magnifiques avantages; le Roi les leur garantissait, convaincu que, s'il pouvait ajouter notre flotte à ses vaisseaux, il se rendrait à l'instant maître du Péloponnèse ; mais ils rejetèrent ses offres, et l'indignation qu'ils éprouvaient contre les Grecs qui les avaient trahis ne put les porter à accepter avec empressement la paix que leur présentaient les Barbares ; [95] ils se préparèrent à combattre seuls pour la cause de la liberté, et pardonnèrent aux autres peuples d'avoir préféré l'esclavage. Ils pensaient que, s'il était permis à de faibles villes de pourvoir à leur salut par des moyens de toute nature, il n'était pas possible à celles qui avaient la noble ambition de se placer à la
tète de la Grèce de se dérober aux dangers ; et que, semblables à ces hommes généreux qui préfèrent une mort glorieuse à une vie chargée d'opprobre, les villes supérieures par leur puissance devaient consentir à disparaître de la surface de la terre plutôt que de subir le joug de la servitude. [96] Il est certain que telle était leur pensée ; car, ne pouvant à la fois faire face aux deux attaques, ils prirent avec eux le peuple entier et le transportèrent dans l'île qui touche au rivage de l'Attique, afin de tenter séparément la fortune des combats contre l'une et l'autre armée.

27. Comment serait-il possible de présenter à l'admiration universelle des hommes plus généreux, plus amis des Grecs que ceux qui, pour ne pas livrer les autres 189 peuples au joug de la servitude, n'ont pas craint de voir leur ville saccagée et déserte, leur pays dévasté, leurs autels dépouillés, leurs temples incendiés, et tout le poids de là guerre supporté par leur patrie ? [97] Et, comme si ce n'était pas assez de tant de sacrifices, ils se disposaient à lutter seuls sur la mer contre douze cents vaisseaux; mais il ne leur fut pas permis de le faire, parce que les Péloponnésiens, honteux à l'aspect de tant de vertu, et comprenant, d'une part, que, si nous devions succomber, ils ne pourraient se sauver eux-mêmes; de l'autre, que, si nous étions vainqueurs, leurs villes seraient déshonorées, se virent obligés de partager nos périls. Que servirait de nous arrêter pour peindre le tumulte de l'action, les cris des soldats et des matelots, les exhortations des chefs? Ce sont des circonstances qui appartiennent à tous les combats sur mer; [98] mon devoir est uniquement d'exposer les faits qui peuvent nous donner des droits à la suprématie de la Grèce, et qui sont conformes à ceux que j'ai déjà signalés. Notre ville, à l'époque où elle possédait l'intégralité de ses forces, était tellement supérieure à toutes les autres villes, que, même après avoir été détruite de fond en comble, elle engageait plus de vaisseaux dans le combat livré pour le salut des Grecs que tous les peuples qui, avec elle, ont pris part à cette immortelle journée, et il n'existe pas un homme animé à notre égard de sentiments assez hostiles pour ne pas reconnaître que le combat naval livré alors non-seulement a décidé du succès de toute la guerre, mais que c'est à notre ville que l'honneur en appartient.
 

[99] Καίτοι μελλούσης στρατείας ἐπὶ τοὺς βαρβάρους ἔσεσθαι τίνας χρὴ τὴν ἡγεμονίαν ἔχειν; Οὐ τοὺς ἐν τῷ προτέρῳ πολέμῳ μάλιστ' εὐδοκιμήσαντας καὶ πολλάκις μὲν ἰδίᾳ προκινδυνεύσαντας, ἐν δὲ τοῖς κοινοῖς τῶν ἀγώνων ἀριστείων ἀξιωθέντας; Οὐ τοὺς τὴν αὑτῶν ἐκλιπόντας ὑπὲρ τῆς τῶν ἄλλων σωτηρίας καὶ τό τε παλαιὸν οἰκιστὰς τῶν πλείστων πόλεων γενομένους καὶ πάλιν αὐτὰς ἐκ τῶν μεγίστων συμφορῶν διασώσαντας; Πῶς δ' οὐκ ἂν δεινὰ πάθοιμεν, εἰ τῶν κακῶν πλεῖστον μέρος μετασχόντες, ἐν ταῖς τιμαῖς ἔλαττον ἔχειν ἀξιωθεῖμεν καὶ τότε προταχθέντες ὑπὲρ ἁπάντων νῦν ἑτέροις ἀκολουθεῖν ἀναγκασθεῖμεν;

[100] Μέχρι μὲν οὖν τούτων οἶδ' ὅτι πάντες ἂν ὁμολογήσειαν πλείστων ἀγαθῶν τὴν πόλιν τὴν ἡμετέραν αἰτίαν γεγενῆσθαι καὶ δικαίως ἂν αὐτῆς τὴν ἡγεμονίαν εἶναι μετὰ δὲ ταῦτ' ἤδη τινὲς ἡμῶν κατηγοροῦσιν ὡς, ἐπειδὴ τὴν ἀρχὴν τῆς θαλάττης παρελάβομεν, πολλῶν κακῶν αἴτιοι τοῖς Ἕλλησιν κατέστημεν, καὶ τόν τε Μηλίων ἀνδραποδισμὸν καὶ τὸν Σκιωναίων ὄλεθρον ἐν τούτοις τοῖς λόγοις ἡμῖν προφέρουσιν.  [101] Ἐγὼ δ' ἡγοῦμαι πρῶτον μὲν οὐδὲν εἶναι τοῦτο σημεῖον ὡς κακῶς ἤρχομεν, εἴ τινες τῶν πολεμησάντων ἡμῖν σφόδρα φαίνονται κολασθέντες, ἀλλὰ πολὺ τόδε μεῖζον τεκμήριον ὡς καλῶς διῳκοῦμεν τὰ τῶν συμμάχων, ὅτι τῶν πόλεων τῶν ὑφ' ἡμῖν οὐσῶν οὐδεμία ταύταις ταῖς συμφοραῖς περιέπεσεν. [102] Ἔπειτ' εἰ μὲν ἄλλοι τινὲς τῶν αὐτῶν πραγμάτων πραότερον ἐπεμελήθησαν, εἰκότως ἂν ἡμῖν ἐπιτιμῷεν· εἰ δὲ μήτε τοῦτο γέγονεν μήθ' οἷόν τ' ἐστὶν τοσούτων πόλεων τὸ πλῆθος κρατεῖν, ἢν μή τις κολάζῃ τοὺς ἐξαμαρτάνοντας, πῶς οὐκ ἤδη δίκαιόν ἐστιν ἡμᾶς ἐπαινεῖν, οἵτινες ἐλαχίστοις χαλεπήναντες πλεῖστον χρόνον τὴν ἀρχὴν κατασχεῖν ἠδυνήθημεν;

[103] Οἶμαι δὲ πᾶσιν δοκεῖν τούτους κρατίστους προστάτας γενήσεσθαι τῶν Ἑλλήνων, ἐφ' ὧν οἱ πειθαρχήσαντες ἄριστα τυγχάνουσι πράξαντες. Ἐπὶ τοίνυν τῆς ἡμετέρας ἡγεμονίας εὑρήσομεν καὶ τοὺς οἴκους τοὺς ἰδίους πρὸς εὐδαιμονίαν πλεῖστον ἐπιδόντας καὶ τὰς πόλεις μεγίστας γενομένας. [104] Οὐ γὰρ ἐφθονοῦμεν ταῖς αὐξανομέναις αὐτῶν, οὐδὲ ταραχὰς ἐνεποιοῦμεν πολιτείας ἐναντίας παρακαθιστάντες ἵν' ἀλλήλοις μὲν στασιάζοιεν, ἡμᾶς δ' ἀμφότεροι θεραπεύοιεν, ἀλλὰ τὴν τῶν συμμάχων ὁμόνοιαν κοινὴν ὠφέλειαν νομίζοντες τοῖς αὐτοῖς νόμοις ἁπάσας τὰς πόλεις διῳκοῦμεν, συμμαχικῶς, ἀλλ' οὐ δεσποτικῶς βουλευόμενοι περὶ αὐτῶν, ὅλων μὲν τῶν πραγμάτων ἐπιστατοῦντες, [105] ἰδίᾳ δ' ἑκάστους ἐλευθέρους ἐῶντες εἶναι, καὶ τῷ μὲν πλήθει βοηθοῦντες, ταῖς δὲ δυναστείαις πολεμοῦντες, δεινὸν οἰόμενοι τοὺς πολλοὺς ὑπὸ τοῖς ὀλίγοις εἶναι καὶ τοὺς ταῖς οὐσίαις ἐνδεεστέρους, τὰ δ' ἄλλα μηδὲν χείρους ὄντας, ἀπελαύνεσθαι τῶν ἀρχῶν, ἔτι δὲ κοινῆς τῆς πατρίδος οὔσης τοὺς μὲν τυραννεῖν, τοὺς δὲ μετοικεῖν καὶ φύσει πολίτας ὄντας νόμῳ τῆς πολιτείας ἀποστερεῖσθαι.  [106] Τοιαῦτ' ἔχοντες ταῖς ὀλιγαρχίαις ἐπιτιμᾶν καὶ πλείω τούτων τὴν αὐτὴν πολιτείαν ἥνπερ παρ' ἡμῖν αὐτοῖς καὶ παρὰ τοῖς ἄλλοις κατεστήσαμεν, ἣν οὐκ οἶδ' ὅ τι δεῖ διὰ μακροτέρων ἐπαινεῖν, ἄλλως τε καὶ συντόμως ἔχοντα δηλῶσαι περὶ αὐτῆς. Μετὰ γὰρ ταύτης οἰκοῦντες ἑβδομήκοντ' ἔτη διετελέσαμεν ἄπειροι μὲν τυραννίδων, ἐλεύθεροι δὲ πρὸς τοὺς βαρβάρους, ἀστασίαστοι δὲ πρὸς σφᾶς αὐτοὺς, εἰρήνην δ' ἄγοντες πρὸς πάντας ἀνθρώπους.

28. [99] En résumé, lorsqu'il s'agit d'une expédition contre les Barbares, à qui doit être réservé l'honneur de la diriger? N'est-ce pas à ceux qui, lors de la première guerre, ont mérité la plus haute renommée ; qui se sont souvent exposés seuls pour la défense de la Grèce, et qui, dans les dangers communs, ont obtenu 191 le prix de la valeur? N'est-ce pas à ceux qui ont abandonné leur patrie pour le salut des autres peuples, et qui, après avoir été jadis les fondateurs de la plupart des villes, les ont ensuite arrachées aux plus grandes calamités ? Comment ne subirions-nous pas une cruelle injustice, si, après avoir eu la plus grande part dans les maux de la guerre, nous avions la plus faible dans les honneurs; si, après avoir, dans l'intérêt de tous, marché alors à la tète des Grecs, nous étions forcés aujourd'hui de suivre ceux auxquels nous avons montré le chemin?

29. [100] Jusqu'ici, je le sais, tout le monde avouera que notre ville a été l'auteur de la plupart des prospérités de la Grèce, et que la suprématie lui serait justement acquise. Mais il y a des hommes qui nous accusent d'être devenus pour les Grecs, immédiatement après avoir obtenu l'empire de la mer, les auteurs de nombreuses calamités, et qui nous reprochent, à cette occasion, l'esclavage des Méliens et la destruction des Scionéens. [101] Pour moi, je pense qu'en supposant même que quelques-uns de ceux qui nous ont fait la guerre paraissent avoir été punis avec un excès de sévérité, cela ne prouverait pas que nous eussions fait un mauvais usage du commandement; tandis qu'un témoignage beaucoup plus fort de la générosité avec laquelle nous avons administré les affaires de nos alliés ressort de ce qu'aucune des villes restées soumises à notre autorité n'a éprouvé de semblables malheurs. [102] Si d'autres peuples, placés dans les mêmes circonstances, avaient agi avec plus de douceur, on aurait le droit de nous blâmer ; mais, si ce fait ne s'est jamais produit, et s'il est impossible de contenir à la fois tant de villes dans le devoir sans punir celles qui fout des fautes, comment ne serait-il pas juste de nous donner des louanges, à nous qui avons sévi moins souvent que les autres, tout en conservant le plus longtemps le commandement.

30. [103] Personne ne contestera, je pense, que les chefs les meilleurs pour les Grecs aient été ceux sous l'empire desquels les peuples qui leur obéissaient ont joui d'une plus grande prospérité. Or, nous trouvons que, pendant notre suprématie, les fortunes particulières sont parvenues au plus haut degré d'opulence, et que les villes ont atteint leur plus grand développement. [104] A la vérité, nous ne portions pas envie à celles qui prospéraient; on ne nous voyait pas y semer la discorde en introduisant des formes de gouvernement contradictoires, afin que les citoyens se partageant en factions rivales, notre protection fût recherchée par les uns et par les autres ; mais, considérant la concorde chez nos alliés comme un avantage commun, nous dirigions, d'après les mêmes lois, l'administration de toutes les villes, et nous agissions envers elles comme des alliés, non comme des maîtres ; nous réservions pour nous la direction générale des affaires, [105] nous laissions les villes entièrement libres quant à leurs intérêts particuliers; et, soutenant les droits du peuple, nous combattions les oligarchies, parce que nous considérions comme un malheur que le plus grand nombre fut soumis au plus petit, que ceux qui se trouvaient privés des avantages de la fortune, sans être néanmoins inférieurs à leurs concitoyens, fussent exclus des emplois publics, et qu'enfin, la patrie étant commune à tous, les uns fussent investis d'une autorité tyrannique, les autres réduits à l'état de simples habitants, et, citoyens par la nature, se vissent privés par la loi de tous les droits politiques. [106] Ayant, dis-je, ces reproches à faire aux oligarchies, et de plus nombreux encore, nous établissions chez les autres peuples le même système politique qui existait parmi nous; et je ne crois pas devoir m'étendre sur les éloges qu'il mérite, lorsque surtout je puis le louer en peu de mots. Pendant les soixante-dix ans que nos alliés ont continué à vivre sous ce régime, ils ont été préservés de 195 toute tyrannie; ils ont maintenu leur indépendance contre les Barbares ; et, affranchis de divisions intestines, ils sont restés en paix avec toute la terre.

[107] Ὑπὲρ ὧν προσήκει τοὺς εὖ φρονοῦντας μεγάλην χάριν ἔχειν πολὺ μᾶλλον ἢ τὰς κληρουχίας ἡμῖν ὀνειδίζειν, ἃς ἡμεῖς εἰς τὰς ἐρημουμένας τῶν πόλεων φυλακῆς ἕνεκα τῶν χωρίων, ἀλλ' οὐ διὰ πλεονεξίαν ἐξεπέμπομεν. Σημεῖον δὲ τούτων· ἔχοντες γὰρ χώραν μὲν ὡς πρὸς τὸ πλῆθος τῶν πολιτῶν ἐλαχίστην, ἀρχὴν δὲ μεγίστην, καὶ κεκτημένοι τριήρεις διπλασίας μὲν ἢ σύμπαντες, δυναμένας δὲ πρὸς δὶς τοσαύτας κινδυνεύειν, ὑποκειμένης τῆς Εὐβοίας ὑπὸ τὴν Ἀττικὴν, [108] ἣ καὶ πρὸς τὴν ἀρχὴν τὴν τῆς θαλάττης εὐφυῶς εἶχεν καὶ τὴν ἄλλην ἀρετὴν ἁπασῶν τῶν νήσων διέφερεν, κρατοῦντες αὐτῆς μᾶλλον ἢ τῆς ἡμετέρας αὐτῶν, καὶ πρὸς τούτοις εἰδότες καὶ τῶν Ἑλλήνων καὶ τῶν βαρβάρων τούτους μάλιστ' εὐδοκιμοῦντας ὅσοι τοὺς ὁμόρους ἀναστάτους ποιήσαντες ἄφθονον καὶ ῥᾴθυμον αὑτοῖς κατεστήσαντο τὸν βίον, ὅμως οὐδὲν τούτων ἡμᾶς ἐπῆρεν περὶ τοὺς ἔχοντας τὴν νῆσον ἐξαμαρτεῖν, [109] ἀλλὰ μόνοι δὴ τῶν μεγάλην δύναμιν λαβόντων περιείδομεν ἡμᾶς αὐτοὺς ἀπορωτέρως ζῶντας τῶν δουλεύειν αἰτίαν ἐχόντων. Καίτοι βουλόμενοι πλεονεκτεῖν οὐκ ἂν δή που τῆς μὲν Σκιωναίων γῆς ἐπεθυμήσαμεν, ἣν Πλαταιέων τοῖς ὡς ἡμᾶς καταφυγοῦσι φαινόμεθα παραδόντες, τοσαύτην δὲ χώραν παρελίπομεν ἣ πάντας ἂν ἡμᾶς εὐπορωτέρους ἐποίησεν.

[110] Τοιούτων τοίνυν ἡμῶν γεγενημένων καὶ τοσαύτην πίστιν δεδωκότων ὑπὲρ τοῦ μὴ τῶν ἀλλοτρίων ἐπιθυμεῖν τολμῶσι κατηγορεῖν οἱ τῶν δεκαρχιῶν κοινωνήσαντες καὶ τὰς αὑτῶν πατρίδας διαλυμηνάμενοι καὶ μικρὰς μὲν ποιήσαντες δοκεῖν εἶναι τὰς τῶν προγεγενημένων ἀδικίας, οὐδεμίαν δὲ λιπόντες ὑπερβολὴν τοῖς αὖθις βουλομένοις γενέσθαι πονηροῖς, ἀλλὰ φάσκοντες μὲν λακωνίζειν, τἀναντία δ' ἐκείνοις ἐπιτηδεύοντες, καὶ τὰς μὲν Μηλίων ὀδυρόμενοι συμφορὰς, περὶ δὲ τοὺς αὑτῶν πολίτας ἀνήκεστα τολμήσαντες ἐξαμαρτεῖν. Ποῖον γὰρ αὐτοὺς ἀδίκημα διέφυγεν; [111] Ἢ τί τῶν αἰσχρῶν ἢ δεινῶν οὐ διεξῆλθον; Οἳ τοὺς μὲν ἀνομωτάτους πιστοτάτους ἐνόμιζον, τοὺς δὲ προδότας ὥσπερ εὐεργέτας ἐθεράπευον, ᾑροῦντο δὲ τῶν Εἱλώτων ἑνὶ δουλεύειν ὥστ' εἰς τὰς αὑτῶν πατρίδας ὑβρίζειν, μᾶλλον δ' ἐτίμων τοὺς αὐτόχειρας καὶ φονέας τῶν πολιτῶν ἢ τοὺς γονέας τοὺς αὑτῶν, [112] εἰς τοῦτο δ' ὠμότητος ἅπαντας ἡμᾶς κατέστησαν ὥστε πρὸ τοῦ μὲν διὰ τὴν παροῦσαν εὐδαιμονίαν καὶ ταῖς μικραῖς ἀτυχίαις πολλοὺς ἕκαστον ἡμῶν ἔχειν τοὺς συμπενθήσοντας, ἐπὶ δὲ τῆς τούτων ἀρχῆς διὰ τὸ πλῆθος τῶν οἰκείων κακῶν ἐπαυσάμεθ' ἀλλήλους ἐλεοῦντες· οὐδενὶ γὰρ τοσαύτην σχολὴν παρέλιπον ὥσθ' ἑτέρῳ συναχθεσθῆναι. [113] Τίνος γὰρ οὐκ ἐφίκοντο; Ἢ τίς οὕτω πόρρω τῶν πολιτικῶν ἦν πραγμάτων, ὅστις οὐκ ἐγγὺς ἠναγκάσθη γενέσθαι τῶν συμφορῶν, εἰς ἃς αἱ τοιαῦται φύσεις ἡμᾶς κατέστησαν; Εἶτ' οὐκ αἰσχύνονται τὰς αὑτῶν πόλεις οὕτως ἀνόμως διαθέντες καὶ τῆς ἡμετέρας ἀδίκως κατηγοροῦντες, ἀλλὰ πρὸς τοῖς ἄλλοις καὶ περὶ τῶν δικῶν καὶ τῶν γραφῶν τῶν ποτε παρ' ἡμῖν γενομένων λέγειν τολμῶσιν, αὐτοὶ πλείους ἐν τρισὶ μησὶν ἀκρίτους ἀποκτείναντες ὧν ἡ πόλις ἐπὶ τῆς ἀρχῆς ἁπάσης ἔκρινεν. [114] Φυγὰς δὲ καὶ στάσεις καὶ νόμων συγχύσεις καὶ πολιτειῶν μεταβολὰς, ἔτι δὲ παίδων ὕβρεις καὶ γυναικῶν αἰσχύνας καὶ χρημάτων ἁρπαγὰς τίς ἂν δύναιτο διεξελθεῖν; Πλὴν τοσοῦτον εἰπεῖν ἔχω καθ' ἁπάντων, ὅτι τὰ μὲν ἐφ' ἡμῶν δεινὰ ῥᾳδίως ἄν τις ἑνὶ ψηφίσματι διέλυσεν, τὰς δὲ σφαγὰς καὶ τὰς ἀνομίας τὰς ἐπὶ τούτων γενομένας οὐδεὶς ἂν ἰάσασθαι δύναιτο.

[115] Καὶ μὴν οὐδὲ τὴν παροῦσαν εἰρήνην, οὐδὲ τὴν αὐτονομίαν τὴν ἐν ταῖς πολιτείαις μὲν οὐκ ἐνοῦσαν, ἐν δὲ ταῖς συνθήκαις ἀναγεγραμμένην, ἄξιον ἑλέσθαι μᾶλλον ἢ τὴν ἀρχὴν τὴν ἡμετέραν. Τίς γὰρ ἂν τοιαύτης καταστάσεως ἐπιθυμήσειεν, ἐν ᾗ καταποντισταὶ μὲν τὴν θάλατταν κατέχουσιν, πελτασταὶ δὲ τὰς πόλεις καταλαμβάνουσιν, [116] ἀντὶ δὲ τοῦ πρὸς ἑτέρους περὶ τῆς χώρας πολεμεῖν ἐντὸς τείχους οἱ πολῖται πρὸς ἀλλήλους μάχονται, πλείους δὲ πόλεις αἰχμάλωτοι γεγόνασιν ἢ πρὶν τὴν εἰρήνην ἡμᾶς ποιήσασθαι, διὰ δὲ τὴν πυκνότητα τῶν μεταβολῶν ἀθυμοτέρως διάγουσιν οἱ τὰς πόλεις οἰκοῦντες τῶν ταῖς φυγαῖς ἐζημιωμένων· οἱ μὲν γὰρ τὸ μέλλον δεδίασιν, οἱ δ' ἀεὶ κατιέναι προσδοκῶσιν. [117] Τοσοῦτον δ' ἀπέχουσιν τῆς ἐλευθερίας καὶ τῆς αὐτονομίας, ὥσθ' αἱ μὲν ὑπὸ τυράννοις εἰσὶν, τὰς δ' ἁρμοσταὶ κατέχουσιν, ἔνιαι δ' ἀνάστατοι γεγόνασιν, τῶν δ' οἱ βάρβαροι δεσπόται καθεστήκασιν· οὓς ἡμεῖς διαβῆναι τολμήσαντας εἰς τὴν Εὐρώπην καὶ μεῖζον ἢ προσῆκεν αὐτοῖς φρονήσαντας οὕτω διέθεμεν [118] ὥστε μὴ μόνον παύσασθαι στρατείας ἐφ' ἡμᾶς ποιουμένους, ἀλλὰ καὶ τὴν αὑτῶν χώραν ἀνέχεσθαι πορθουμένην, καὶ διακοσίαις καὶ χιλίαις ναυσὶν περιπλέοντας εἰς τοσαύτην ταπεινότητα κατεστήσαμεν ὥστε μακρὸν πλοῖον ἐπὶ τάδε Φασήλιδος μὴ καθέλκειν, ἀλλ' ἡσυχίαν ἄγειν, καὶ τοὺς καιροὺς περιμένειν, ἀλλὰ μὴ τῇ παρούσῃ δυνάμει πιστεύειν.  [119] Καὶ ταῦθ' ὅτι διὰ τὴν τῶν προγόνων τῶν ἡμετέρων ἀρετὴν οὕτως εἶχεν, αἱ τῆς πόλεως συμφοραὶ σαφῶς ἐπέδειξαν· ἅμα γὰρ ἡμεῖς τε τῆς ἀρχῆς ἀπεστερούμεθα καὶ τοῖς Ἕλλησιν ἀρχὴ τῶν κακῶν ἐγίγνετο. Μετὰ γὰρ τὴν ἐν Ἑλλησπόντῳ γενομένην ἀτυχίαν ἑτέρων ἡγεμόνων καταστάντων ἐνίκησαν μὲν οἱ βάρβαροι ναυμαχοῦντες, ἦρξαν δὲ τῆς θαλάττης, κατέσχον δὲ τὰς πλείστας τῶν νήσων, ἀπέβησαν δ' εἰς τὴν Λακωνικὴν, Κύθηρα δὲ κατὰ κράτος εἷλον, ἅπασαν δὲ τὴν Πελοπόννησον κακῶς ποιοῦντες περιέπλευσαν.

31. [107] Ces résultats sont d'une telle nature que des hommes sages devraient en éprouver une grande reconnaissance plutôt que de nous reprocher des distributions de terres, faites par la voie du sort, à des colons envoyés sans motifs d'ambition pour la garde du pays, dans des villes abandonnées par les habitants. En voici la preuve. Nous avions un territoire trop resserré pour le nombre de nos citoyens ; notre puissance était supérieure à celle de toutes les autres villes; nous possédions deux fois autant de vaisseaux que tous les Grecs réunis, et ces vaisseaux pouvaient combattre contre des forces doubles ; l'Eubée était placée sous l'Attique, [108] dans la situation la plus favorable pour nous assurer l'empire de la mer ; elle nous offrait, en tout genre, plus d'avantages qu'aucune des autres îles ; nous en étions plus maîtres que de notre propre territoire, et nous savions en outre que, parmi les Grecs, comme parmi les Barbares, on estime particulièrement ceux qui, repoussant au loin les peuples qui les entourent, se procurent des moyens d'existence abondants et faciles : aucune de ces considérations, cependant, ne nous a déterminés à commettre une injustice envers les habitants de l'Eubée ; [109] et, seuls entre tous les peuples investis d'une grande puissance, nous nous sommes résignés à vivre dans des conditions plus restreintes que ceux auxquels on reproche d'être soumis à la servitude. Si d'ailleurs nous eussions ambitionné la richesse, nous n'eussions pas songé au territoire de Scioné, que l'on nous a vus donner aux Platéens réfugiés parmi nous, tandis que nous négligions la conquête d'un pays qui pouvait
nous enrichir tous.

32. [110] C'est donc lorsque nous avons été si généreux, et lorsque nous avons donné un gage si éclatant de notre 197 respect pour les propriétés étrangères, que les fauteurs des décarchies osent nous accuser, eux qui ont accablé de maux leurs patries, qui ont fait paraître légères les injustices de ceux qui étaient venus avant eux, et qui ne laissent désormais à ceux qui voudront s'abandonner au crime aucun moyen de les surpasser ; qui prétendent imiter les Spartiates et marchent dans une voie entièrement opposée ; qui déplorent les malheurs des Méliens, et qui n'ont pas craint de faire éprouver à leurs propres concitoyens des calamités irrémédiables. Devant quelle iniquité ont-ils reculé ? [111] De quelle infamie, de quelle cruauté se sont-ils abstenus ? Ils considéraient les hommes les plus ennemis des lois comme leurs auxiliaires les plus fidèles; ils avaient pour les traîtres les mêmes égards que pour leurs bienfaiteurs, et ils ne dédaignaient pas de se soumettre à de vils ilotes, afin d'outrager leurs patries ; ils honoraient les meurtriers, les hommes couverts du sang de leurs concitoyens, plus que les auteurs de leurs jours; [112] enfin, ils nous ont tous amenés à un tel degré d'insensibilité que, tandis qu'autrefois, à cause du bonheur dont nous jouissions, chacun de nous trouvait des cœurs compatissants, même pour de légères infortunes, aujourd'hui, sous leur domination, nous avons, à cause des maux qui nous accablent chacun en particulier, cessé d'avoir pitié les uns des autres, car ils n'ont laissé à personne le loisir de prendre part à des malheurs étrangers. [113] Quel est celui que leur violence n'a pas atteint, ou qui a vécu assez loin des complications politiques pour n'être pas entraîné dans les calamités où les hommes de cette nature nous ont plongés? Et maintenant ils ne rougissent pas, après avoir agi avec tant d'indignité envers leurs propres villes, d'accuser injustement la nôtre ! Ils osent, indépendamment de tout le reste, rappeler les jugements et les accusations qui ont eu lieu parmi nous à d'autres époques, lorsque, eux-mêmes, ils ont immolé en trois mois, sans jugement 199  plus de citoyens que notre ville n'en a jugé dans tout le cours de sa suprématie politique ! [114] Qui pourrait énumérer les exils, les séditions, les bouleversements de lois, les changements d'institutions dont ils se sont rendus coupables, les enfants qu'ils ont outragés, les femmes qu'ils ont déshonorées, les trésors qu'ils ont pillés? Du moins nous est-il permis de dire, quant aux rigueurs qui ont pu être exercées sous notre gouvernement, qu'un décret aurait suffi pour en effacer la trace, tandis qu'il ne serait au pouvoir de personne de réparer les meurtres et les iniquités qui ont signalé leur domination.

33. [115] Non, la paix, la paix comme elle existe aujourd'hui, et cette indépendance inscrite dans les traités, mais sans réalité dans les institutions, ne peuvent être préférables à notre suprématie. Qui pourrait désirer une situation où les pirates sont les maîtres de la mer ; où des soldats mercenaires s'emparent des villes, [116] où les citoyens, au lieu de combattre contre les étrangers pour la défense de leur patrie, combattent entre eux dans l'enceinte de leurs murailles; où plus de villes sont réduites en esclavage qu'avant l'établissement de la paix ; où, par suite de la rapidité avec laquelle les révolutions se succèdent, ceux qui habitent leurs villes sont plus découragés que les citoyens qui sont condamnés à l'exil, parce que les premiers redoutent l'avenir, tandis que les exilés ont la constante espérance de rentrer dans leurs foyers; [117] où les villes sont si loin de jouir de la liberté et du droit de se gouverner elles-mêmes, que les unes sont soumises à des tyrans, tandis que d'autres gémissent sous le joug des harmostes de Lacédémone ; que plusieurs ont été détruites et que d'autres sont opprimées par les Barbares? A l'époque où ces Barbares eurent l'audace de passer en Europe et de concevoir des pensées plus hautes qu'il 201 ne leur appartenait, nous avions réprimé leur insolence avec une telle énergie, [118] que non-seulement ils avaient cessé d'envoyer des expéditions contre nous, mais qu'ils avaient dû supporter le ravage de leur pays ; qu'après avoir parcouru les mers avec douze cents vaisseaux, nous les avions réduits à un tel excès de faiblesse, qu'ils n'osaient pas mettre à la mer un seul navire de guerre en deçà de Phasélis, qu'ils se défiaient de leur puissance, et que, restant dans l'inaction, ils attendaient des temps meilleurs. [119] Les malheurs de notre république ont prouvé que ces glorieux résultats étaient dus à la vertu de nos ancêtres ; car, à peine avons-nous été dépouillés de notre suprématie, que les désastres de la Grèce ont commencé à se produire. A la suite de l'échec que nous avons éprouve dans les parages de l'Hellespont, d'autres que nous ayant été investis du commandement, les Barbares, vainqueurs sur la mer, en sont devenus les maîtres, ont conquis la plupart des îles, ont fait une descente dans la Laconie, ont pris Cythère de vive force, et, naviguant autour du Péloponnèse, l'ont infesté tout entier.

[120] Μάλιστα δ' ἄν τις συνίδοι τὸ μέγεθος τῆς μεταβολῆς εἰ παραναγνοίη τὰς συνθήκας τάς τ' ἐφ' ἡμῶν γενομένας καὶ τὰς νῦν ἀναγεγραμμένας. Τότε μὲν γὰρ ἡμεῖς φανησόμεθα τὴν ἀρχὴν τὴν βασιλέως ὁρίζοντες καὶ τῶν φόρων ἐνίους τάττοντες καὶ κωλύοντες αὐτὸν τῇ θαλάττῃ χρῆσθαι· νῦν δ' ἐκεῖνός ἐστιν ὁ διοικῶν τὰ τῶν Ἑλλήνων καὶ προστάττων ἃ χρὴ ποιεῖν ἑκάστους καὶ μόνον οὐκ ἐπιστάθμους ἐν ταῖς πόλεσιν καθιστάς. [121] Πλὴν γὰρ τούτου τί τῶν ἄλλων ὑπόλοιπόν ἐστιν; Οὐ καὶ τοῦ πολέμου κύριος ἐγένετο καὶ τὴν εἰρήνην ἐπρυτάνευσεν καὶ τῶν παρόντων πραγμάτων ἐπιστάτης καθέστηκεν; Οὐχ ὡς ἐκεῖνον πλέομεν ὥσπερ πρὸς δεσπότην ἀλλήλων κατηγορήσοντες; Οὐ βασιλέα τὸν μέγαν αὐτὸν προσαγορεύομεν ὥσπερ αἰχμάλωτοι γεγονότες; Οὐκ ἐν τοῖς πολέμοις τοῖς πρὸς ἀλλήλους ἐν ἐκείνῳ τὰς ἐλπίδας ἔχομεν τῆς σωτηρίας, ὃς ἀμφοτέρους ἡμᾶς ἡδέως ἂν ἀπολέσειεν;  [122] Ὧν ἄξιον ἐνθυμηθέντας ἀγανακτῆσαι μὲν ἐπὶ τοῖς παροῦσιν, ποθέσαι δὲ τὴν ἡγεμονίαν τὴν ἡμετέραν, μέμψασθαι δὲ Λακεδαιμονίους ὅτι τὴν μὲν ἀρχὴν εἰς τὸν πόλεμον κατέστησαν ὡς ἐλευθερώσοντες τοὺς Ἕλληνας, ἐπὶ δὲ τελευτῆς οὕτω πολλοὺς αὐτῶν ἐκδότους τοῖς βαρβάροις ἐποίησαν, καὶ τῆς μὲν ἡμετέρας πόλεως τοὺς Ἴωνας ἀπέστησαν ἐξ ἧς ἀπῴκησαν καὶ δι' ἣν πολλάκις ἐσώθησαν, τοῖς δὲ βαρβάροις αὐτοὺς ἐξέδοσαν ὧν ἀκόντων τὴν χώραν ἔχουσιν καὶ πρὸς οὓς οὐδὲ πώποτ' ἐπαύσαντο πολεμοῦντες. [123] Καὶ τότε μὲν ἠγανάκτουν, ὅθ' ἡμεῖς νομίμως ἐπάρχειν τινῶν ἠξιοῦμεν· νῦν δ' εἰς τοιαύτην δουλείαν καθεστώτων οὐδὲν φροντίζουσιν αὐτῶν, οἷς οὐκ ἐξαρκεῖ δασμολογεῖσθαι καὶ τὰς ἀκροπόλεις ὁρᾶν ὑπὸ τῶν ἐχθρῶν κατεχομένας, ἀλλὰ πρὸς ταῖς κοιναῖς συμφοραῖς καὶ τοῖς σώμασιν δεινότερα πάσχουσιν τῶν παρ' ἡμῖν ἀργυρωνήτων· οὐδεὶς γὰρ ἡμῶν οὕτως αἰκίζεται τοὺς οἰκέτας ὡς ἐκεῖνοι τοὺς ἐλευθέρους κολάζουσιν. [124] Μέγιστον δὲ τῶν κακῶν, ὅταν ὑπὲρ αὐτῆς τῆς δουλείας ἀναγκάζωνται συστρατεύεσθαι, καὶ πολεμεῖν τοῖς ἐλευθέροις ἀξιοῦσιν εἶναι, καὶ τοιούτους κινδύνους ὑπομένειν ἐν οἷς ἡττηθέντες μὲν παραχρῆμα διαφθαρήσονται, κατορθώσαντες δὲ μᾶλλον εἰς τὸν λοιπὸν χρόνον δουλεύσουσιν.

[125] Ὧν τίνας ἄλλους αἰτίους χρὴ νομίζειν ἢ Λακεδαιμονίους, οἳ τοσαύτην ἰσχὺν ἔχοντες περιορῶσι τοὺς μὲν αὑτῶν συμμάχους γενομένους οὕτω δεινὰ πάσχοντας, τὸν δὲ βάρβαρον τῇ τῶν Ἑλλήνων ῥώμῃ τὴν ἀρχὴν τὴν αὑτοῦ κατασκευαζόμενον; Καὶ πρότερον μὲν τοὺς μὲν τυράννους ἐξέβαλλον, τῷ δὲ πλήθει τὰς βοηθείας ἐποιοῦντο, νῦν δὲ εἰς τοσοῦτον μεταβεβλήκασιν ὥστε ταῖς μὲν πολιτείαις πολεμοῦσιν, τὰς δὲ μοναρχίας συγκαθιστᾶσιν. [126] Τὴν μέν γε Μαντινέων πόλιν εἰρήνης ἤδη γεγενημένης ἀνάστατον ἐποίησαν, καὶ τὴν Θηβαίων Καδμείαν κατέλαβον, καὶ νῦν Ὀλυνθίους καὶ Φλειασίους πολιορκοῦσιν, Ἀμύντᾳ δὲ τῷ Μακεδόνων βασιλεῖ καὶ Διονυσίῳ τῷ Σικελίας τυράννῳ καὶ τῷ βαρβάρῳ τῷ τῆς Ἀσίας κρατοῦντι συμπράττουσιν, ὅπως ὡς μεγίστην ἀρχὴν ἕξουσιν. [127] Καίτοι πῶς οὐκ ἄτοπον τοὺς προεστῶτας τῶν Ἑλλήνων ἕνα μὲν ἄνδρα τοσούτων ἀνθρώπων καθιστάναι δεσπότην ὧν οὐδὲ τὸν ἀριθμὸν ἐξευρεῖν ῥᾴδιόν ἐστιν, τὰς δὲ μεγίστας τῶν πόλεων μηδ' αὐτὰς αὑτῶν ἐᾶν εἶναι κυρίας, ἀλλ' ἀναγκάζειν δουλεύειν ἢ ταῖς μεγίσταις συμφοραῖς περιβάλλειν; [128] Ὃ δὲ πάντων δεινότατον, ὅταν τις ἴδῃ τοὺς τὴν ἡγεμονίαν ἔχειν ἀξιοῦντας ἐπὶ μὲν τοὺς Ἕλληνας καθ' ἑκάστην ἡμέραν στρατευομένους, πρὸς δὲ τοὺς βαρβάρους εἰς ἅπαντα τὸν χρόνον συμμαχίαν πεποιημένους.

[129] Καὶ μηδεὶς ὑπολάβῃ με δυσκόλως ἔχειν, ὅτι τραχύτερον τούτων ἐμνήσθην, προειπὼν ὡς περὶ διαλλαγῶν ποιήσομαι τοὺς λόγους· οὐ γὰρ ἵνα πρὸς τοὺς ἄλλους διαβάλω τὴν πόλιν τὴν Λακεδαιμονίων οὕτως εἴρηκα περὶ αὐτῶν, ἀλλ' ἵν' αὐτοὺς ἐκείνους παύσω, καθ' ὅσον ὁ λόγος δύναται, τοιαύτην ἔχοντας τὴν γνώμην. [130] Ἔστιν δ' οὐχ οἷόν τ' ἀποτρέπειν τῶν ἁμαρτημάτων, οὐδ' ἑτέρων πράξεων πείθειν ἐπιθυμεῖν, ἢν μή τις ἐρρωμένως ἐπιτιμήσῃ τοῖς παροῦσιν· χρὴ δὲ κατηγορεῖν μὲν ἡγεῖσθαι τοὺς ἐπὶ βλάβῃ τοιαῦτα λέγοντας, νουθετεῖν δὲ τοὺς ἐπ' ὠφελείᾳ λοιδοροῦντας. Τὸν γὰρ αὐτὸν λόγον οὐχ ὁμοίως ὑπο λαμβάνειν δεῖ, μὴ μετὰ τῆς αὐτῆς διανοίας λεγόμενον.  [131] Ἐπεὶ καὶ τοῦτ' ἔχομεν αὐτοῖς ἐπιτιμᾶν ὅτι τῇ μὲν αὑτῶν πόλει τοὺς ὁμόρους εἱλωτεύειν ἀναγκάζουσιν, τῷ δὲ κοινῷ τῷ τῶν συμμάχων οὐδὲν τοιοῦτον κατασκευάζουσιν, ἐξὸν αὐτοῖς τὰ πρὸς ἡμᾶς διαλυσαμένοις ἅπαντας τοὺς βαρβάρους περιοίκους ὅλης τῆς Ἑλλάδος καταστῆσαι. [132] Καίτοι χρὴ τοὺς φύσει καὶ μὴ διὰ τύχην μέγα φρονοῦντας τοιούτοις ἔργοις ἐπιχειρεῖν πολὺ μᾶλλον ἢ τοὺς νησιώτας δασμολογεῖν, οὓς ἄξιόν ἐστιν ἐλεεῖν, ὁρῶντας τούτους μὲν διὰ σπανιότητα τῆς γῆς ὄρη γεωργεῖν ἀναγκαζομένους, τοὺς δ' ἠπειρώτας δι' ἀφθονίαν τῆς χώρας τὴν μὲν πλείστην αὐτῆς ἀργὸν περιορῶντας, ἐξ ἧς δὲ καρποῦνται τοσοῦτον πλοῦτον κεκτημένους.
 

34. [120] On reconnaîtrait surtout la grandeur du changement qui s'est opéré parmi nous, si l'on comparait les traités conclus lorsque la Grèce était placée sous notre suprématie, avec ceux d'aujourd'hui. On nous verrait alors assigner des limites à l'empire du grand Roi, lui imposer des tributs, lui interdire jusqu'à l'usage de la mer, tandis qu'on le voit maintenant régler les intérêts des Grecs, prescrire à chacun ce qu'il doit faire, et placer, pour ainsi dire, des satrapes dans nos villes. [121] Car, ce seul point excepté, que manque-t-il à sa puissance? N'est-il pas devenu l'arbitre de la guerre, le modérateur de la paix, le régulateur suprême de tous 203 nos intérêts? Ne faisons-nous pas voile vers lui, comme vers notre maître, pour nous accuser mutuellement? Ne le saluons-nous pas du titre de grand Roi, comme si la guerre nous avait rendus ses esclaves ? Et n'est-ce pas en lui que nous plaçons l'espoir de notre salut, dans les guerres qui nous déchirent, en lui, qui s'estimerait heureux s'il pouvait nous perdre tous? [122] Ces réflexions ne doivent-elles pas nous pénétrer d'indignation contre la situation présente et faire désirer le retour de notre prépondérance? Comment ne pas s'irriter contre les Lacédémoniens, qui ont commencé la guerre en apparence pour rendre la liberté à la Grèce, et qui, après l'avoir terminée, ont livré un si grand nombre de Grecs à la merci des Barbares; qui ont séparé de nous les Ioniens, colons de notre ville, plusieurs fois sauvés par elle, et les ont abandonnés à ces mêmes Barbares, qui occupent leur pays malgré eux, et contre lesquels ils n'ont jamais cessé de combattre ? [123] Ils s'indignaient autrefois lorsque nous prétendions exercer à l'égard de quelques populations une autorité légitime, et, maintenant que ces populations sont courbées sous une si cruelle servitude, ils n'en tiennent aucun compte. Et, comme si ce n'était pas assez pour les malheureux Ioniens de payer des tributs et de voir leurs citadelles occupées par l'ennemi, il faut encore qu'indépendamment des calamités communes, ils souffrent dans leurs personnes des outrages auxquels, chez nous, ne sont pas même exposés les esclaves achetés à prix d'argent. [124] Non, personne parmi nous ne sévit à l'égard de ses esclaves avec autant de cruauté que les Barbares à l'égard des hommes libres. Mais, ce qui est pour les Ioniens le comble de l'infortune, c'est l'obligation de marcher avec leurs oppresseurs, pour le maintien de leur propre servitude ; de combattre ceux qui veulent leur rendre la liberté, et de s'exposer à des dangers dont le résultat, s'ils sont vaincus, est une mort immédiate, 205 et, si la fortune les seconde, une aggravation sans terme du poids de leur esclavage.

35. [125] A qui doivent être imputés de si grands maux, si ce n'est aux Lacédémoniens, qui, possesseurs d'une aussi formidable puissance, voient sans en être émus des peuples qui ont été leurs alliés en proie à de telles souffrances, et le Barbare affermissant son empire avec les forces de la Grèce ? Jadis ils chassaient les tyrans et défendaient les droits des peuples; aujourd'hui leur politique a tellement changé de nature, qu'ils font la guerre aux républiques et concourent à rétablissement des monarchies. [126] Ils ont renversé Mantinée en pleine paix ; ils ont surpris la Cadmée, la citadelle de Thèbes, et, en ce moment, ils assiègent les Olynthiens et les Phliasiens, tandis que, d'un autre côté, ils aident Amyntas, roi de Macédoine, Denys, tyran de Syracuse, et le Barbare, dominateur de l'Asie, à donner à leur puissance le plus grand développement. [127] N'est-ce donc pas un spectacle qui révolte la raison, de voir les chefs de la Grèce constituer un seul homme maître de tant d'autres hommes qu'il serait difficile d'en déterminer le nombre ? de les voir refuser aux plus grands États la faculté de se gouverner par leurs lois, en les contraignant d'obéir ou de souffrir les plus affreuses calamités ? [128] Mais la chose la plus odieuse de toutes, c'est que des hommes qui revendiquent l'honneur de commander à la Grèce font pour ainsi dire chaque jour la guerre aux Grecs, après avoir conclu avec les Barbares un traité d'alliance éternelle.

36. [129] Et que personne ne suppose que je cède à la malveillance parce que j'ai rappelé ces faits avec quelque sévérité, après avoir promis de parler dans un esprit de 207 conciliation et de paix. Ce n'est pas pour accuser la ville de Lacédémone devant les autres Grecs que j'ai tenu ce langage, c'est afin d'amener les Lacédémoniens, autant que cela est possible dans un discours, à répudier une politique funeste. [130] On ne peut retirer les hommes de leurs erreurs, ni leur inspirer le désir de suivre une autre conduite, sans reprendre fortement ceux qui s'égarent ; et l'on doit considérer comme des accusateurs ceux qui parlent avec l'intention de nuire ; mais ceux qui adressent des reproches, même injurieux, avec l'intention d'être utiles, sont des conseillers qui avertissent. Il ne faut pas entendre de la même manière le même discours, quand il n'est pas prononcé avec la même intention. [131] Nous pouvons encore reprocher aux Lacédémoniens de contraindre leurs voisins à exister relativement à leur ville comme des ilotes, et de ne rien faire de semblable dans l'intérêt commun de leurs alliés, lorsqu'ils pourraient, en terminant leurs différends avec nous, placer tous les Barbares dans une situation d'assujettissement à l'égard de la Grèce entière. [132] Voilà cependant les œuvres auxquelles devraient se livrer ceux que la supériorité de leur nature, et non la faveur de la fortune, a rendus justement fiers d'eux-mêmes, plutôt que d'accabler sous le poids des tributs les malheureux insulaires si dignes de compassion, quand on les voit obligés de labourer le sommet de leurs montagnes à cause de la rareté du sol, tandis que les peuples du continent possèdent une telle étendue de terre, qu'ils en négligent la plus grande partie, et retirent de celles qu'ils cultivent de si abondantes richesses.

[133] Ἡγοῦμαι δ' εἴ τινες ἄλλοθεν ἐπελθόντες θεαταὶ γένοιντο τῶν παρόντων πραγμάτων, πολλὴν ἂν αὐτοὺς καταγνῶναι μανίαν ἀμφοτέρων ἡμῶν, οἵτινες οὕτω περὶ μικρῶν κινδυνεύομεν, ἐξὸν ἀδεῶς πολλὰ κεκτῆσθαι, καὶ τὴν ἡμετέραν αὐτῶν χώραν διαφθείρομεν, ἀμελήσαντες τὴν Ἀσίαν καρποῦσθαι. [134] Καὶ τῷ μὲν οὐδὲν προὐργιαίτερόν ἐστιν ἢ σκοπεῖν ἐξ ὧν μηδέποτε παυσόμεθα πρὸς ἀλλήλους πολεμοῦντες· ἡμεῖς δὲ τοσούτου δέομεν συγκρούειν τι τῶν ἐκείνου πραγμάτων ἢ ποιεῖν στασιάζειν ὥστε καὶ τὰς διὰ τύχην αὐτῷ γεγενημένας ταραχὰς συνδιαλύειν ἐπιχειροῦμεν, οἵτινες καὶ τοῖν στρατοπέδοιν τοῖν περὶ Κύπρον ἐῶμεν αὐτὸν τῷ μὲν χρῆσθαι, τὸ δὲ πολιορκεῖν, ἀμφοτέροιν αὐτοῖν τῆς Ἑλλάδος ὄντοιν. [135] Οἵ τε γὰρ ἀφεστῶτες πρὸς ἡμᾶς τ' οἰκείως ἔχουσιν καὶ Λακεδαιμονίοις σφᾶς αὐτοὺς ἐνδιδόασιν, τῶν τε μετὰ Τειριβάζου στρατευομένων καὶ τοῦ πεζοῦ τὸ χρησιμώτατον ἐκ τῶνδε τῶν τόπων ἤθροισται, καὶ τοῦ ναυτικοῦ τὸ πλεῖστον ἀπ' Ἰωνίας συμπέπλευκεν, οἳ πολὺ ἂν ἥδιον κοινῇ τὴν Ἀσίαν ἐπόρθουν ἢ πρὸς ἀλλήλους ἕνεκα μικρῶν ἐκινδύνευον. [136] Ὧν ἡμεῖς οὐδεμίαν ποιούμεθα πρόνοιαν, ἀλλὰ περὶ μὲν τῶν Κυκλάδων νήσων ἀμφισβητοῦμεν, τοσαύτας δὲ τὸ πλῆθος πόλεις καὶ τηλικαύτας τὸ μέγεθος δυνάμεις οὕτως εἰκῇ τῷ βαρβάρῳ παραδεδώκαμεν. Τοιγαροῦν τὰ μὲν ἔχει, τὰ δὲ μέλλει, τοῖς δ' ἐπιβουλεύει, δικαίως ἁπάντων ἡμῶν καταπεφρονηκώς. [137] Διαπέπρακται γὰρ ὃ τῶν ἐκείνου προγόνων οὐδεὶς πώποτε· τήν τε γὰρ Ἀσίαν διωμολόγηται καὶ παρ' ἡμῶν καὶ παρὰ Λακεδαιμονίων βασιλέως εἶναι, τάς τε πόλεις τὰς Ἑλληνίδας οὕτω κυρίως παρείληφεν ὥστε τὰς μὲν αὐτῶν κατασκάπτειν, ἐν δὲ ταῖς ἀκροπόλεις ἐντειχίζειν. Καὶ ταῦτα πάντα γέγονεν διὰ τὴν ἡμετέραν ἄνοιαν, ἀλλ' οὐ διὰ τὴν ἐκείνου δύναμιν.

[138] Καίτοι τινὲς θαυμάζουσιν τὸ μέγεθος τῶν βασιλέως πραγμάτων καὶ φασὶν αὐτὸν εἶναι δυσπολέμητον, διεξιόντες ὡς πολλὰς τὰς μεταβολὰς τοῖς Ἕλλησιν πεποίηκεν. Ἐγὼ δ' ἡγοῦμαι μὲν τοὺς ταῦτα λέγοντας οὐκ ἀποτρέπειν, ἀλλ' ἐπισπεύδειν τὴν στρατείαν· εἰ γὰρ ἡμῶν ὁμονοησάντων αὐτὸς ἐν ταραχαῖς ὢν χαλεπὸς ἔσται προσπολεμεῖν, ἦ που σφόδρα χρὴ δεδιέναι τὸν καιρὸν ἐκεῖνον ὅταν τὰ μὲν τῶν βαρβάρων καταστῇ καὶ διὰ μιᾶς γένηται γνώμης, ἡμεῖς δὲ πρὸς ἀλλήλους ὥσπερ νῦν πολεμικῶς ἔχωμεν. [139] Οὐ μὴν οὐδ' εἰ συναγορεύουσιν τοῖς ὑπ' ἐμοῦ λεγομένοις οὐδ' ὣς ὀρθῶς περὶ τῆς ἐκείνου δυνάμεως γιγνώσκουσιν.  Εἰ μὲν γὰρ ἀπέφαινον αὐτὸν ἅμα τοῖν πολέοιν ἀμφοτέροιν πρότερόν ποτε περιγεγενημένον, εἰκό τως ἂν ἡμᾶς καὶ νῦν ἐκφοβεῖν ἐπεχείρουν· εἰ δὲ τοῦτο μὲν μὴ γέγονεν, ἀντιπάλων δ' ὄντων ἡμῶν καὶ Λακεδαιμονίων προσθέμενος τοῖς ἑτέροις ἐπικυδέστερα τὰ πράγματα θάτερ' ἐποίησεν, οὐδέν ἐστι τοῦτο σημεῖον τῆς ἐκείνου ῥώμης. Ἐν γὰρ τοῖς τοιούτοις καιροῖς πολλάκις μικραὶ δυνάμεις μεγάλας τὰς ῥοπὰς ἐποίησαν, ἐπεὶ καὶ περὶ Χίων ἔχοιμ' ἂν τοῦτον τὸν λόγον εἰπεῖν, ὡς ὁποτέροις ἐκεῖνοι προσθέσθαι βουληθεῖεν, οὗτοι κατὰ θάλατταν κρείττους ἦσαν.

 

37. [133] Je crois que, si des hommes arrivant de quelque pays étranger devenaient spectateurs des faits qui s'accomplissent parmi nous, ils nous déclareraient les uns et les autres atteints d'une égale folie ; nous qui pour de si faibles intérêts nous exposons aux chances de la guerre, quand nous pourrions, sans courir aucun dan-  209 ger, faire de si grandes conquêtes; nous qui ravageons notre pays de nos propres mains, en même temps que nous dédaignons de profiter des ressources que nous offre l'Asie. [134] Le Roi n'a pas de désir à l'accomplissement duquel il attache plus de prix que de voir se perpétuer les guerres intestines qui nous déchirent, tandis que nous sommes si loin de porter le désordre dans ses affaires, ou de semer la discorde dans ses Etats, que nous nous efforçons même d'apaiser les troubles que le hasard y fait naître, et que, deux armées étant dans les parages de Cypre, toutes les deux levées dans la Grèce, nous le laissons se servir de l'une et assiéger
l'autre. [135] Les peuples qui se séparent de son obéissance sont favorablement disposés pour nous et se remettent d'eux-mêmes entre les mains des Lacédémoniens ; les soldats de Tiribaze et la fleur de l'infanterie des Perses proviennent de nos contrées ; la plus grande partie de la flotte est sortie des ports d'Ionie; et il est certain que tous ces hommes seraient plus satisfaits de ravager l'Asie ensemble, que de combattre les uns contre les autres pour des intérêts de peu de valeur.  [136] Mais nous ne tenons aucun compte de ces avantages, et nous nous disputons pour les Cyclades, tandis que notre imprudence livre au Barbare un si grand nombre de villes et des forces si considérables. Aussi est-il déjà le maître sur un point; il va l'être sur un autre, il dresse des embûches ailleurs ; enfin, c'est avec raison qu'il nous méprise tous, [137] car il a réalisé ce qu'aucun de ses ancêtres n'avait encore pu accomplir, en faisant reconnaître par nous et par les Lacédémoniens que l'Asie lui appartient ; quant aux villes grecques, il agit tellement en maître qu'il détruit les unes, construit des citadelles dans les autres; et ces tristes résultats sont 211 le fruit de notre égarement plus que l'oeuvre de sa
puissance !

38. [138] Quelques hommes cependant, pleins d'admiration pour la grande puissance du Roi, disent qu'il est difficile de le vaincre, et font alors le tableau des révolutions nombreuses qu'il a causées parmi les Grecs. Pour moi, je pense que ceux qui tiennent un tel langage, loin de nous détourner de l'expédition d'Asie, nous présentent des motifs pour l'accélérer ; car, s'il est difficile de faire avec succès la guerre au Roi, lorsque nous sommes unis, et lorsque des troubles agitent son empire, combien ne devons-nous pas redouter le temps où, les divisions étant apaisées chez les Barbares, ils seraient animés d'un même esprit, tandis que nous serions au contraire, comme nous le sommes aujourd'hui, dans
des dispositions hostiles les uns à l'égard des autres? [139] Au reste, mes adversaires, encore qu'ils appuient en réalité ce que j'ai dit, n'estiment pas avec plus d'exactitude la puissance du Roi ; s'ils nous montraient qu'à une époque quelconque il a vaincu les deux villes réunies, ils pourraient avec raison essayer de nous intimider ; mais si ce fait ne s'est jamais présenté, si seulement lorsque nous étions en guerre avec les Lacédémoniens, en s'unissant à l'un des deux partis, le Roi a rendu la situation de ce parti plus florissante, il ne montre en cela aucun signe réel de sa puissance. Dans de semblables circonstances, de petits Etats ont souvent pesé d'un grand poids dans la balance des événements, et je pourrais, par exemple, me servir de cet argument en parlant des habitants de Chio, qui assureraient à ceux auxquels ils voudraient s'unir la suprématie sur la mer.

[140] Ἀλλὰ γὰρ οὐκ ἐκ τούτων δίκαιόν ἐστι σκοπεῖν τὴν βασιλέως δύναμιν, ἐξ ὧν μεθ' ἑκατέρων γέγονεν, ἀλλ' ἐξ ὧν αὐτὸς ὑπὲρ αὑτοῦ πεπολέμηκεν. Καὶ πρῶτον μὲν ἀποστάσης Αἰγύπτου τί διαπέπρακται πρὸς τοὺς ἔχοντας αὐτήν; Οὐκ ἐκεῖνος μὲν ἐπὶ τὸν πόλεμον τοῦτον κατέπεμψεν τοὺς εὐδοκιμωτάτους Περσῶν, Ἀβροκόμαν καὶ Τιθραύστην καὶ Φαρνάβαζον, οὗτοι δὲ τρί' ἔτη μείναντες καὶ πλείω κακὰ παθόντες ἢ ποιήσαντες, τελευτῶντες οὕτως ἀπηλλάγησαν ὥστε τοὺς ἀφεστῶτας μηκέτι τὴν ἐλευθερίαν ἀγαπᾶν, ἀλλ' ἤδη καὶ τῶν ὁμόρων ζητεῖν ἐπάρχειν; [141] Μετὰ δὲ ταῦτ' ἐπ' Εὐαγόραν στρατεύσας, ὃς ἄρχει μὲν μιᾶς πόλεως τῶν ἐν Κύπρῳ, ἐν δὲ ταῖς συνθήκαις ἔκδοτός ἐστιν, οἰκῶν δὲ νῆσον κατὰ μὲν θάλατταν προδεδυστύχηκεν, ὑπὲρ δὲ τῆς χώρας τρισχιλίους ἔχει μόνον πελταστὰς, ἀλλ' ὅμως οὕτω ταπεινῆς δυνάμεως οὐ δύναται περιγενέσθαι βασιλεὺς πολεμῶν, ἀλλ' ἤδη μὲν ἓξ ἔτη διατέτριφεν, εἰ δὲ δεῖ τὰ μέλλοντα τοῖς γεγενημένοις τεκμαίρεσθαι, πολὺ πλείων ἐλπίς ἐστιν ἕτερον ἀποστῆναι πρὶν ἐκεῖνον ἐκπολιορκηθῆναι· τοιαῦται βραδυτῆτες ἐν ταῖς πράξεσιν ταῖς βασιλέως ἔνεισιν. [142] Ἐν δὲ τῷ πολέμῳ τῷ περὶ Ῥόδον ἔχων μὲν τοὺς Λακεδαιμονίων συμμάχους εὔνους διὰ τὴν χαλεπότητα τῶν πολιτειῶν, χρώμενος δὲ ταῖς ὑπηρεσίαις ταῖς παρ' ἡμῶν, στρατηγοῦντος δ' αὐτῷ Κόνωνος, ὃς ἦν ἐπιμελέστατος μὲν τῶν στρατηγῶν, πιστότατος δὲ τοῖς Ἕλλησιν, ἐμπειρότατος δὲ τῶν πρὸς τὸν πόλεμον κινδύνων, τοιοῦτον λαβὼν συναγωνιστὴν τρία μὲν ἔτη περιεῖδε τὸ ναυτικὸν τὸ προκινδυνεῦον ὑπὲρ τῆς Ἀσίας ὑπὸ τριήρων ἑκατὸν μόνων πολιορκούμενον, πεντεκαίδεκα δὲ μηνῶν τοὺς στρατιώτας τὸν μισθὸν ἀπεστέρησεν, ὥστε τὸ μὲν ἐπ' ἐκείνῳ πολλάκις ἂν διελύθησαν, διὰ δὲ τὸν ἐφεστῶτα κίνδυνον καὶ τὴν συμμαχίαν τὴν περὶ Κόρινθον συστᾶσαν μόλις ναυμαχοῦντες ἐνίκησαν. [143] Καὶ ταῦτ' ἐστὶ τὰ βασιλικώτατα καὶ σεμνότατα τῶν ἐκείνῳ πεπραγμένων, καὶ περὶ ὧν οὐδέποτε παύονται λέγοντες οἱ βουλόμενοι τὰ τῶν βαρβάρων μεγάλα ποιεῖν.

Ὥστ' οὐδεὶς ἂν ἔχοι τοῦτ' εἰπεῖν ὡς οὐ δικαίως χρῶμαι τοῖς παραδείγμασιν, οὐδ' ὡς ἐπὶ μικροῖς διατρίβω τὰς μεγίστας τῶν πράξεων παραλείπων· [144] φεύγων γὰρ ταύτην τὴν αἰτίαν τὰ κάλλιστα τῶν ἔργων διῆλθον, οὐκ ἀμνημονῶν οὐδ' ἐκείνων, ὅτι Δερκυλίδας μὲν χιλίους ἔχων ὁπλίτας τῆς Αἰολίδος ἐπῆρχεν, Δράκων δ' Ἀταρνέα καταλαβὼν καὶ τρισχιλίους πελταστὰς συλλέξας τὸ Μύσιον πεδίον ἀνάστατον ἐποίησεν, Θίβρων δ' ὀλίγῳ πλείους τούτων διαβιβάσας τὴν Λυδίαν ἅπασαν ἐπόρθησεν, Ἀγησίλαος δὲ τῷ Κυρείῳ στρατεύματι χρώμενος μικροῦ δεῖν τῆς ἐντὸς Ἅλυος χώρας ἐκράτησεν. [145] Καὶ μὴν οὐδὲ τὴν στρατιὰν τὴν μετὰ τοῦ βασιλέως περιπολοῦσαν, οὐδὲ τὴν Περσῶν ἀνδρείαν ἄξιον φοβηθῆναι· καὶ γὰρ ἐκεῖνοι φανερῶς ἐπεδείχθησαν ὑπὸ τῶν Κύρῳ συναναβάντων οὐδὲν βελτίους ὄντες τῶν ἐπὶ θαλάττῃ. Τὰς μὲν γὰρ ἄλλας μάχας ὅσας ἡττήθησαν ἐῶ, καὶ τίθημι στασιάζειν αὐτοὺς καὶ μὴ βούλεσθαι προθύμως πρὸς τὸν ἀδελφὸν τὸν βασιλέως διακινδυνεύειν. [146] Ἀλλ' ἐπειδὴ Κύρου τελευτήσαντος συνῆλθον ἅπαντες οἱ τὴν Ἀσίαν κατοικοῦντες, ἐν τούτοις τοῖς καιροῖς οὕτως αἰσχρῶς ἐπολέμησαν ὥστε μηδένα λόγον ὑπολιπεῖν τοῖς εἰθισμένοις τὴν Περσῶν ἀνδρείαν ἐπαινεῖν. Λαβόντες γὰρ ἑξακισχιλίους τῶν Ἑλλήνων οὐκ ἀριστίνδην ἐπειλεγμένους, ἀλλ' οἳ διὰ φαυλότητ' ἐν ταῖς αὑτῶν πόλεσιν οὐχ οἷοί τ' ἦσαν ζῆν, ἀπείρους μὲν τῆς χώρας ὄντας, ἐρήμους δὲ συμμάχων γεγενημένους, προδεδομένους δ' ὑπὸ τῶν συναναβάντων, ἀπεστερημένους δὲ τοῦ στρατηγοῦ μεθ' οὗ συνηκολούθησαν, [147] τοσοῦτον αὐτῶν ἥττους ἦσαν ὥσθ' ὁ βασιλεὺς ἀπορήσας τοῖς παροῦσι πράγμασιν καὶ καταφρονήσας τῆς περὶ αὑτὸν δυνάμεως τοὺς ἄρχοντας τοὺς τῶν ἐπικούρων ὑποσπόνδους συλλαβεῖν ἐτόλμησεν, ὡς εἰ τοῦτο παρανομήσειεν συνταράξων τὸ στρατόπεδον, καὶ μᾶλλον εἵλετο περὶ τοὺς θεοὺς ἐξαμαρτεῖν ἢ πρὸς ἐκείνους ἐκ τοῦ φανεροῦ διαγωνίσασθαι. [148] Διαμαρτὼν δὲ τῆς ἐπιβουλῆς καὶ τῶν στρατιωτῶν συμμεινάντων καὶ καλῶς ἐνεγκόντων τὴν συμφορὰν, ἀπιοῦσιν αὐτοῖς Τισσαφέρνην καὶ τοὺς ἱππέας συνέπεμψεν, ὑφ' ὧν ἐκεῖνοι παρὰ πᾶσαν ἐπιβουλευόμενοι τὴν ὁδὸν ὁμοίως διεπορεύθησαν ὡσπερανεὶ προπεμπόμενοι, μάλιστα μὲν φοβούμενοι τὴν ἀοίκητον τῆς χώρας, μέγιστον δὲ τῶν ἀγαθῶν νομίζοντες, εἰ τῶν πολεμίων ὡς πλείστοις ἐντύ χοιεν. [149] Κεφάλαιον δὲ τῶν εἰρημένων· ἐκεῖνοι γὰρ οὐκ ἐπὶ λείαν ἐλθόντες, οὐδὲ κώμην καταλαβόντες, ἀλλ' ἐπ' αὐτὸν τὸν βασιλέα στρατεύσαντες, ἀσφαλέστερον κατέβησαν τῶν περὶ φιλίας ὡς αὐτὸν πρεσβευόντων. Ὥστε μοι δοκοῦσιν ἐν ἅπασι τοῖς τόποις σαφῶς ἐπιδεδεῖχθαι τὴν αὑτῶν μαλακίαν· καὶ γὰρ ἐν τῇ παραλίᾳ τῆς Ἀσίας πολλὰς μάχας ἥττηνται, καὶ διαβάντες εἰς τὴν Εὐρώπην δίκην ἔδοσαν, οἱ μὲν γὰρ αὐτῶν κακῶς ἀπώλονθ', οἱ δ' αἰσχρῶς ἐσώθησαν, καὶ τελευτῶντες ὑπ' αὐτοῖς τοῖς βασιλείοις καταγέλαστοι γεγόνασιν.

[150] Καὶ τούτων οὐδὲν ἀλόγως γέγονεν, ἀλλὰ πάντ' εἰκότως ἀποβέβηκεν· οὐ γὰρ οἷόν τε τοὺς οὕτω τρεφομένους καὶ πολιτευομένους οὔτε τῆς ἄλλης ἀρετῆς μετέχειν οὔτ' ἐν ταῖς μάχαις τρόπαιον ἱστάναι τῶν πολεμίων. Πῶς γὰρ ἐν τοῖς ἐκείνων ἐπιτηδεύμασιν ἐγγενέσθαι δύναιτ' ἂν ἢ στρατηγὸς δεινὸς ἢ στρατιώτης ἀγαθὸς, ὧν τὸ μὲν πλεῖστόν ἐστιν ὄχλος ἄτακτος καὶ κινδύνων ἄπειρος, πρὸς μὲν τὸν πόλεμον ἐκλελυμένος, πρὸς δὲ τὴν δουλείαν ἄμεινον τῶν παρ' ἡμῖν οἰκετῶν πεπαιδευμένος; [151] Οἱ δ' ἐν ταῖς μεγίσταις δόξαις ὄντες αὐτῶν ὁμαλῶς μὲν οὐδὲ κοινῶς οὐδὲ πολιτικῶς οὐδεπώποτ' ἐβίωσαν, ἅπαντα δὲ τὸν χρόνον διάγουσιν εἰς μὲν τοὺς ὑβρίζοντες, τοῖς δὲ δουλεύοντες, ὡς ἂν ἄνθρωποι μάλιστα τὰς φύσεις διαφθαρεῖεν, καὶ τὰ μὲν σώματα διὰ τοὺς πλούτους τρυφῶντες, τὰς δὲ ψυχὰς διὰ τὰς μοναρχίας ταπεινὰς καὶ περιδεεῖς ἔχοντες, ἐξεταζόμενοι πρὸς αὐτοῖς τοῖς βασιλείοις καὶ προκαλινδούμενοι καὶ πάντα τρόπον μικρὸν φρονεῖν μελετῶντες, θνητὸν μὲν ἄνδρα προσκυνοῦντες καὶ δαίμονα προσαγορεύοντες, τῶν δὲ θεῶν μᾶλλον ἢ τῶν ἀνθρώπων ὀλιγωροῦντες.  [152] Τοιγαροῦν οἱ καταβαίνοντες αὐτῶν ἐπὶ θάλατταν, οὓς καλοῦσιν σατράπας, οὐ καταισχύνουσιν τὴν ἐκεῖ παίδευσιν, ἀλλ' ἐν τοῖς ἤθεσι τοῖς αὐτοῖς διαμένουσιν, πρὸς μὲν τοὺς φίλους ἀπίστως, πρὸς δὲ τοὺς ἐχθροὺς ἀνάνδρως ἔχοντες, καὶ τὰ μὲν ταπεινῶς, τὰ δ' ὑπερηφάνως ζῶντες, τῶν μὲν συμμάχων καταφρονοῦντες, τοὺς δὲ πολεμίους θεραπεύοντες. [153] Τὴν μέν γε μετ' Ἀγησιλάου στρατιὰν ὀκτὼ μῆνας ταῖς αὑτῶν δαπάναις διέθρεψαν, τοὺς δ' ὑπὲρ αὑτῶν κινδυνεύοντας ἑτέρου τοσούτου χρόνου τὸν μισθὸν ἀπεστέρησαν· καὶ τοῖς μὲν Κισθήνην καταλαβοῦσιν ἑκατὸν τάλαντα διένειμαν, τοὺς δὲ μεθ' αὑτῶν εἰς Κύπρον στρατευσαμένους μᾶλλον ἢ τοὺς αἰχμαλώτους ὕβριζον. [154] Ὡς δ' ἁπλῶς εἰπεῖν καὶ μὴ καθ' ἓν ἕκαστον, ἀλλ' ὡς ἐπὶ τὸ πολὺ, τίς ἢ τῶν πολεμησάντων αὐτοῖς οὐκ εὐδαιμονήσας ἀπῆλθεν, ἢ τῶν ὑπ' ἐκείνοις γενομένων οὐκ αἰκισθεὶς τὸν βίον ἐτελεύτησεν; Οὐ Κόνωνα μὲν ὃς ὑπὲρ τῆς Ἀσίας στρατηγήσας τὴν ἀρχὴν τὴν Λακεδαιμονίων κατέλυσεν, ἐπὶ θανάτῳ συλλαβεῖν ἐτόλμησαν, Θεμιστοκλέα δ' ὃς ὑπὲρ τῆς Ἑλλάδος. αὐτοὺς κατεναυμάχησε, τῶν μεγίστων δωρεῶν ἠξίωσαν; [155] Καίτοι πῶς χρὴ τὴν τούτων φιλίαν ἀγαπᾶν, οἳ τοὺς μὲν εὐεργέτας τιμωροῦνται, τοὺς δὲ κακῶς ποιοῦντας οὕτως ἐπιφανῶς κολακεύουσιν;  Περὶ τίνας δ' ἡμῶν οὐκ ἐξημαρτήκασιν; Ποῖον δὲ χρόνον διαλελοίπασιν ἐπιβουλεύοντες τοῖς Ἕλλησιν; Τί δ' οὐκ ἐχθρὸν αὐτοῖς ἐστὶν τῶν παρ' ἡμῖν, οἳ καὶ τὰ τῶν θεῶν ἕδη καὶ τοὺς νεὼς συλᾶν ἐν τῷ προτέρῳ πολέμῳ καὶ κατακάειν ἐτόλμησαν; Διὸ καὶ τοὺς Ἴωνας ἄξιον ἐπαινεῖν [156] ὅτι τῶν ἐμπρησθέντων ἱερῶν ἐπηράσαντ' εἴ τινες κινήσειαν ἢ πάλιν εἰς τἀρχαῖα καταστῆσαι βουληθεῖεν, οὐκ ἀποροῦντες πόθεν ἐπισκευάσωσιν, ἀλλ' ἵν' ὑπόμνημα τοῖς ἐπιγιγνομένοις ᾖ τῆς τῶν βαρβάρων ἀσεβείας, καὶ μηδεὶς πιστεύῃ τοῖς τοιαῦτ' εἰς τὰ τῶν θεῶν ἕδη ἐξαμαρτεῖν τολμῶσιν, ἀλλὰ καὶ φυλάττωνται καὶ δεδίωσιν, ὁρῶντες αὐτοὺς οὐ μόνον τοῖς σώμασιν ἡμῶν, ἀλλὰ καὶ τοῖς ἀναθήμασιν πολεμήσαντας.

 

39. [140] Mais ce n'est pas ainsi qu'il convient d'estimer la puissance du Roi, ce n'est pas d'après ce qu'il a fait durant ses alliances avec l'une ou l'autre ville, c'est d'après ce qu'il a exécuté quand il faisait la guerre 213 avec ses propres forces. Et d'abord, lorsque l'Égypte s'est soustraite à son obéissaace, qu'a-t-il fait contre ceux qui en étaient les maîtres? N'a-t-il pas remis la conduite de cette guerre aux plus illustres généraux parmi les Perses : Abrocomas, Tithraustes, Pharnabaze? Et après trois ans d'une lutte dans laquelle ils ont souffert plus de maux qu'ils n'en avaient fait éprouver à leurs ennemis, n'ont-ils pas fini par se retirer si honteusement, que les révoltés, non contents d'avoir conquis leur indépendance, ont cherché à établir leur domination sur les pays qui touchaient à leurs frontières? [141] En second lieu, le Roi a fait la gueire à Evagoras, dont le pouvoir ne s'étend que sur une seule ville de l'île de Cypre; Evagoras lui est livré par les traités; Evagoras, renfermé dans une île, a d'abord éprouvé sur la mer les rigueurs de la fortune ; il n'a pour défendre le pays que trois mille hommes légèrement armés, et cependant, quelque faible que soit une telle puissance, il est impossible au Roi d'en triompher par la guerre : déjà il a employé six années à le combattre, et si l'on doit chercher dans le passé les présages de l'avenir, il est permis d'espérer qu'un autre soulèvement aura éclaté dans ses États avant qu'Evagoras ait été forcé de se soumettre, tant sont grandes les lenteurs inhérentes aux opérations du Roi. ! [142] Enfin, dans la guerre de Rhodes, les alliés de Lacédémone étaient favorablement disposés pour lui, à cause de la dureté des gouvernements auxquels ils obéissaient ; le Roi se servait de rameurs athéniens ; Conon commandait ses armées; Conon, le plus actif des généraux, le plus fidèle aux Grecs, le plus éprouvé dans les dangers de la guerre, et, avec un tel auxiliaire, il a laissé assiéger pendant trois ans, par cent galères seulement, la flotte chargée de la défense de l'Asie; ses troupes, pendant quinze mois, ont été privées de solde, de sorte que plusieurs fois, en ce qui le concernait, elles se seraient  215 débandées, si l'imminence du péril et l'alliance conclue avec Coiinthe ne leur eussent donné sur mer une victoire difficilement obtenue. [143] Voilà pourtant les plus royales, les plus magnifiques actions du Roi. voilà les faits glorieux que ne cessent de vanter les hommes qui veulent exalter la puissance des Barbares.

40. Personne cependant ne pourra dire que je ne fais pas une juste application des exemples que je cite, ni que j'insiste sur des choses de peu de valeur, en laissant de côté les faits les plus importants ; [144] car, pour éviter ce reproche, j'ai rappelé les plus brillantes actions du Roi, et pourtant je n'oublie pas que Dercyllidas, avec mille hoplites, s'est rendu maître de l'Eolide ; que Dracon, après s'être emparé d'Atarnée, prenant avec lui trois mille hommes légèrement armés, a ravagé la plaine de Mysie ; que Thinibron, après avoir passé la mer avec des forces peu supérieures à celles que nous venons d'indiquer, a saccagé la Lydie tout entière ; qu'Agésilas, enfin, avec les Grecs qui avaient fait partie de l'armée de Cyrus, a subjugué presque tout le pays en deçà du fleuve Halys. [145] Et d'un autre côté ce ne sont pas les troupes qui gardent le Roi, ni le courage des Perses, qui doivent inspirer de la crainte, car on a vu clairement par ceux qui ont accompagné Cyrus, que ces Barbares n'étaient pas plus redoutables que ceux qui habitent les bords de la mer. Je passerai sous silence les autres batailles qu'ils ont perdues ; j'admets que, divisés d'opinion, ils n'aient pas voulu déployer la grandeur de leur courage contre le frère de leur roi ; [146] mais lorsque, Cyrus étant mort, les forces de toute l'Asie se trouvèrent réunies, ils firent une guerre si honteuse, que ceux qui ont pour habitude de vanter la valeur des Perses n'ont plus un mot à dire en leur faveur. Qu'arrive-t-il en effet? Ils se trouvent en présence de 217 six mille Grecs qui ne sont pas même des hommes d'élite, mais des hommes auxquels leur perversité ne permettait pas de vivre dans leur patrie; qui n'avaient aucune connaissance du pays ; qui étaient dépourvus d'alliés, trahis par ceux qui avaient fait l'expédition avec eux, privés du chef à la fortune duquel ils s'étaient attachés ; [147] et cependant les Perses leur sont tellement inférieurs, que le Roi, plein d'anxiété sur le parti qu'il doit prendre, et dédaignant les forces dont il est entouré, ne craint pas, au mépris de la foi jurée, d'employer de perfides négociations pour se saisir des chefs qui les commandaient; il espère, par cet acte de déloyauté, jeter le désordre parmi les soldats, et il préfère être impie envers les dieux, plutôt que de combattre à découvert contre de tels adversaires. [148] Ayant manqué cependant le but qu'il voulait atteindre, et les Grecs, sans se débander, supportant noblement leur infortune, il envoie contre eux, dès qu'ils se mettent en marche, Tissapherne, à la tête de sa cavalerie ; mais les Grecs, bien qu'entourés d'embûches pendant toute la durée de leur retraite, conservent, en se retirant, la même tranquillité que si les Perses les eussent accompagnés pour leur faire honneur ; ils évitent par-dessus tout les contrées inhabitées, et, à leurs yeux, la plus grande faveur de la fortune serait de rencontrer le plus grand nombre possible d'ennemis. [149] En résumé, ces hommes ne sont pas venus pour s'enrichir par le pillage, ils ne se sont pas emparés d'un seul village ; ils ont fait la guerre au Roi lui-même, et ils reviennent avec plus de sécurité que des ambassadeurs envoyés pour solliciter son amitié. Les Perses me semblent donc avoir montré partout leur lâcheté : sur le littoral de l'Asie, ils ont été vaincus dans un grand nombre de combats; lorsqu'ils ont voulu envahir l'Europe, ils ont été châtiés ; les uns ont succombé sans gloire, les autres n'ont échappé à la mort 219 qu'en se couvrant de honte; et, pour comble d'humiliation, ils sont devenus un objet de dérision sous les murs mêmes des palais habités par leur roi.

41. [150] Aucun de ces événements n'a été l'oeuvre du hasard, mais tout s'est accompli d'une manière conforme à la raison et à la justice, parce qu'il est impossible que des hommes élevés et gouvernés comme le sont les Perses puissent participer à une seule vertu, ni élever, à la suite d'une bataille, un trophée sur leurs ennemis. Comment leurs institutions pourraient-elles produire un général redoutable ou un soldat courageux? La plus grande partie de leur nation est une masse confuse, sans expérience des dangers, sans énergie pour la guerre et façonnée à la servitude plus que ne le sont nos esclaves. [151] Ceux qui sont investis des hautes dignités n'ont jamais vécu sous la loi de l'égalité, de l'intérêt commun ou des devoirs politiques; être insolents envers les uns, rampants à l'égard, des autres, ce qui constitue chez les hommes le dernier degré d'avilissement, voilà toute leur existence. Favorisés par l'opulence, ils livrent à la mollesse leurs corps efféminés, tandis que leurs âmes basses et timides tremblent sous le poids du despotisme. Rangés comme pour une revue devant les palais de leur roi, ils se prosternent dans la poussière; et, mettant tous leurs soins, toute leur étude à n'avoir que des sentiments abjects, ils adorent un homme mortel; ils le saluent du nom de la divinité, et montrent ainsi pour les dieux plus de mépris que poui les hommes. [152] Quant aux gouverneurs des provinces maritimes, auxquels ils donnent le nom de satrapes, leur éducation ne fait pas honte à celle des autres Perses, et ils sont fidèles aux mêmes moeurs : perfides envers leurs amis, lâches envers leurs ennemis, leur vie est un mélange de bassesse et d'orgueil ; ils méprisent leurs alliés et s'inclinent devant 221 ceux qui leur font la guerre. Ils oui entretenu à leurs dépens, [153] pendant huit mois l'armée d'Agésilas, et, pendant le double de ce temps, ils ont privé de leur solde les troupes qui combattaient pour eux. Ils ont distribué cent talents à ceux qui se sont emparés de Cistliène, et ils ont traité avec plus d'insolence que des prisonniers de guerre les soldats qui avaient combattu avec eux contre Cypre. [154] Enfin, sans m'arrêter aux détails et pour m'exprimer d'une manière générale, qui a fait la guerre contre eux, sans revenir chargé de richesses? et quel homme s'est placé dans leur dépendance sans terminer ses jours au milieu des outrages? N'ont-ils pas poussé l'indignité jusqu'à faire arrêter, pour le mettre à mort, Conon, qui, en combattant pour la défense de l'Asie, avait abattu la puissance des Lacédémoniens ? et n'ont-ils pas comblé des plus riches présents Thémistocle qui les avait vaincus sur mer en combattant pour la Grèce? [155] Quel prix pourrait- on attacher à l'amitié de ceux qui sévissent contre leurs bienfaiteurs, et qui flattent aussi ouvertement les auteurs de leurs maux? Quels sont ceux d'entre nous qu'ils n'ont pas outragés? Quel temps ont -ils laissé écouler sans dresser des embûches aux Grecs, et que peut-on trouver parmi nous qui ne soit en butte à leur haine quand, lors de la première guerre, ils ont eu l'audace de porter la main sur les images des dieux, de saccager et brûler leurs temples ? [156] Il est donc juste de louer les peuples de l'Ionie pour avoir dévoué aux divinités infernales quiconque oserait toucher aux ruines des temples incendiés par les Perses, ou voudrait entreprendre de les reconstruire : car les Ioniens n'ont pas pris cette détermination parce qu'ils étaient privés des moyens de les relever, mais parce qu'ils voulaient que ces ruines devinssent, pour les races futures, un monument de l'impiété des Barbares ; que personne ne donnât sa confiance à des peuples qui avaient poussé l'insolence jusqu'à insulter les statues 223 des dieux; et que l'univers entier se tînt en garde et frémît en voyant que les Perses n'avaient pas seulement fait la guerre aux hommes, mais qu'ils l'avaient faite aux objets consacrés à la divinité.

 [157] Ἔχω δὲ καὶ περὶ τῶν πολιτῶν τῶν ἡμετέρων τοιαῦτα διελθεῖν. Καὶ γὰρ οὗτοι πρὸς μὲν τοὺς ἄλλους ὅσοις πεπολεμήκασιν, ἅμα διαλλάττονται καὶ τῆς ἔχθρας τῆς γεγενημένης ἐπιλανθάνονται, τοῖς δ' ἠπειρώταις οὐδ' ὅταν εὖ πάσχωσιν χάριν ἴσασιν· οὕτως ἀείμνηστον τὴν ὀργὴν πρὸς αὐτοὺς ἔχουσιν. Καὶ πολλῶν μὲν οἱ πατέρες ἡμῶν μηδισμοῦ θάνατον κατέγνωσαν, ἐν δὲ τοῖς συλλόγοις ἔτι καὶ νῦν ἀρὰς ποιοῦνται, πρὶν ἄλλο τι χρηματίζειν, εἴ τις ἐπικηρυκεύεται Πέρσαις τῶν πολιτῶν· Εὐμολπίδαι δὲ καὶ Κήρυκες ἐν τῇ τελετῇ τῶν μυστηρίων διὰ τὸ τούτων μῖσος καὶ τοῖς ἄλλοις βαρβάροις εἴργεσθαι τῶν ἱερῶν ὥσπερ τοῖς ἀνδροφόνοις προαγορεύουσιν.
[158] Οὕτω δὲ φύσει πολεμικῶς πρὸς αὐτοὺς ἔχομεν ὥστε καὶ τῶν μύθων ἥδιστα συνδιατρίβομεν τοῖς Τρωϊκοῖς καὶ Περσικοῖς, καὶ δι' ὧν ἔστι πυνθάνεσθαι τὰς ἐκείνων συμφοράς. Εὕροι δ' ἄν τις ἐκ μὲν τοῦ πολέμου τοῦ πρὸς τοὺς βαρβάρους ὕμνους πεποιημένους, ἐκ δὲ τοῦ πρὸς τοὺς Ἕλληνας θρήνους ἡμῖν γεγενημένους, καὶ τοὺς μὲν ἐν ταῖς ἑορταῖς ᾀδομένους, τοὺς δ' ἐπὶ ταῖς συμφοραῖς ἡμᾶς μεμνημένους. [159] Οἶμαι δὲ καὶ τὴν Ὁμήρου ποίησιν μείζω λαβεῖν δόξαν ὅτι καλῶς τοὺς πολεμήσαντας τοῖς βαρβάροις ἐνεκωμίασεν καὶ διὰ τοῦτο βουληθῆναι τοὺς προγόνους ἡμῶν ἔντιμον αὐτοῦ ποιῆσαι τὴν τέχνην ἔν τε τοῖς τῆς μουσικῆς ἄθλοις καὶ τῇ παιδεύσει τῶν νεωτέρων, ἵνα πολλάκις ἀκούοντες τῶν ἐπῶν ἐκμανθάνωμεν τὴν ἔχθραν τὴν ὑπάρχουσαν πρὸς αὐτοὺς καὶ ζηλοῦντες τὰς ἀρετὰς τῶν στρατευσαμένων τῶν αὐτῶν ἔργων ἐκείνοις ἐπιθυμῶμεν.

[160] Ὥστε μοι δοκεῖ πολλὰ λίαν εἶναι τὰ παρακελευόμενα πολεμεῖν αὐτοῖς, μάλιστα δ' ὁ παρὼν καιρὸς, οὗ σαφέστερον οὐδέν. Ὃν οὐκ ἀφετέον· καὶ γὰρ αἰσχρὸν παρόντι μὲν μὴ χρῆσθαι, παρελθόντος δ' αὐτοῦ μεμνῆσθαι. Τί γὰρ ἂν καὶ βουληθεῖμεν ἡμῖν προσγενέσθαι, μέλλοντες βασιλεῖ πολεμεῖν, ἔξω τῶν νῦν ὑπαρχόντων; [161] Οὐκ Αἴγυπτος μὲν αὐτοῦ καὶ Κύπρος ἀφέστηκεν, Φοινίκη δὲ καὶ Συρία διὰ τὸν πόλεμον ἀνάστατοι γεγόνασιν, Τύρος δ' ἐφ' ᾗ μέγ' ἐφρόνησεν, ὑπὸ τῶν ἐχθρῶν τῶν ἐκείνου κατείληπται; Τῶν δ' ἐν Κιλικίᾳ πόλεων τὰς μὲν πλείστας οἱ μεθ' ἡμῶν ὄντες ἔχουσιν, τὰς δ' οὐ χαλεπόν ἐστιν κτήσασθαι. Λυκίας δ' οὐδ' εἷς πώποτε Περσῶν ἐκράτησεν. [162] Ἑκατόμνως δ' ὁ Καρίας ἐπίσταθμος τῇ μὲν ἀληθείᾳ πολὺν ἤδη χρόνον ἀφέστηκεν, ὁμολογήσει δ' ὅταν ἡμεῖς βουληθῶμεν. Ἀπὸ δὲ Κνίδου μέχρι Σινώπης Ἕλληνες τὴν Ἀσίαν παροικοῦσιν, οὓς οὐ δεῖ πείθειν, ἀλλὰ μὴ κωλύειν πολεμεῖν. Καίτοι τοιούτων ὁρμητηρίων ὑπαρξάντων καὶ τοσούτου πολέμου τὴν Ἀσίαν περιστάντος τί δεῖ τὰ συμβησόμενα λίαν ἀκριβῶς ἐξετάζειν; Ὅπου γὰρ μικρῶν μερῶν ἥττους εἰσὶν, οὐκ ἄδηλον, ὡς ἂν διατεθεῖεν εἰ πᾶσιν ἡμῖν πολεμεῖν ἀναγκασθεῖεν. [163] Ἔχει δ' οὕτως. Ἂν μὲν ὁ βάρβαρος ἐρρωμενεστέρως κατάσχῃ τὰς πόλεις τὰς ἐπὶ θαλάττῃ, φρουρὰς μείζους ἐν αὐταῖς ἢ νῦν ἐγκαταστήσας, τάχ' ἂν καὶ τῶν νήσων αἱ περὶ τὴν ἤπειρον, οἷον Ῥόδος καὶ Σάμος καὶ Χίος, ἐπὶ τὰς ἐκείνου τύχας ἀποκλίνειαν· ἢν δ' ἡμεῖς αὐτὰς πρότεροι καταλάβωμεν, εἰκὸς τοὺς τὴν Λυδίαν καὶ Φρυγίαν καὶ τὴν ἄλλην τὴν ὑπερκειμένην χώραν οἰκοῦντας ἐπὶ τοῖς ἐντεῦθεν ὁρμωμένοις εἶναι.  [164] Διὸ δεῖ σπεύδειν καὶ μηδεμίαν ποιεῖσθαι διατριβὴν, ἵνα μὴ πάθωμεν ὅπερ οἱ πατέρες ἡμῶν. Ἐκεῖνοι γὰρ ὑστερίσαντες τῶν βαρβάρων καὶ προέμενοί τινας τῶν συμμάχων ἠναγκάσθησαν ὀλίγοι πρὸς πολλοὺς κινδυνεύειν, ἐξὸν αὐτοῖς προτέροις διαβᾶσιν εἰς τὴν ἤπειρον μετὰ πάσης τῆς τῶν Ἑλλήνων δυνάμεως ἐν μέρει τῶν ἐθνῶν ἕκαστον χειροῦσθαι. [165] Δέδεικται γὰρ, ὅταν τις πολεμῇ πρὸς ἀνθρώπους ἐκ πολλῶν τόπων συλλεγομένους, ὅτι δεῖ μὴ περιμένειν ἕως ἂν ἐπιστῶσιν, ἀλλ' ἔτι διεσπαρμένοις αὐτοῖς ἐπιχειρεῖν. Ἐκεῖνοι μὲν οὖν προεξαμαρτόντες ἅπαντα ταῦτ' ἐπηνωρθώσαντο καταστάντες εἰς τοὺς μεγίστους ἀγῶνας· ἡμεῖς δ' ἂν σωφρονῶμεν, ἐξ ἀρχῆς φυλαξόμεθα καὶ πειρασόμεθα φθῆναι περὶ τὴν Λυδίαν καὶ τὴν Ἰωνίαν στρατόπεδον ἐγκαταστήσαντες [166] εἰδότες ὅτι καὶ βασιλεὺς οὐχ ἑκόντων ἄρχει τῶν ἠπειρωτῶν, ἀλλὰ μείζω δύναμιν περὶ αὑτὸν ἑκάστων αὐτῶν ποιησάμενος· ἧς ἡμεῖς ὅταν κρείττω διαβιβάσωμεν, ὃ βουληθέντες ῥᾳδίως ἂν ποιήσαιμεν, ἀσφαλῶς ἅπασαν τὴν Ἀσίαν καρπωσόμεθα. Πολὺ δὲ κάλλιον ἐκείνῳ περὶ τῆς βασιλείας πολεμεῖν ἢ πρὸς ἡμᾶς αὐτοὺς περὶ τῆς ἡγεμονίας ἀμφισβητεῖν.

 

42. [157] Je puis dire des choses semblables en ce qui concerne nos concitoyens. Lorsqu'ils ont fait la guerre à d'autres peuples, à peine ont-ils conclu la paix, qu'ils déposent la haine qui les animait contre eux; mais, lorsqu'il s'agit des peuples de l'Asie, ils ne tiennent même pas compte des bienfaits qu'ils en ont reçus, tant leur mémoire est fidèle à conserver les sentiments de colère qui les dominent. Nos pères ont prononcé un grand nombre de condamnations à mort pour cause d'attachement au parti des Mèdes : et encore aujourd'hui, dans nos conseils publics, avant de traiter aucune affaire, on prononce des imprécations contre tout Athénien qui rechercherait l'amitié des Perses. C'est par suite de celte haine que les Eumolpides et les Céryces, dans la célébration des mystères, proclament l'interdiction des choses saintes contre eux et contre les autres Barbares, de même que contre les assassins.[158]  Il est tellement dans notre nature d'éprouver à leur égard des sentiments ennemis, que de toutes les histoires fabuleuses, il n'en est pas sur lesquelles notre attention se fixe avec plus de complaisance que sur celles qui nous retracent les désastres des Troyens ou des Perses. Nous célébrons par des hymnes d'allégresse les guerres que nous avons faites contre les Barbares, tandis que nous n'employons que des chants de deuil pour rappeler celles où nous avons combattu contre les Grecs ; les premières retentissent dans nos fêtes ; nous réservons les autres pour les jours de calamités. [159] Je crois que si les poésies d'Homère ont acquis un charme supérieur à celui de toutes les autres, c'est surtout parce qu'il a loué dignement ceux qui ont employé leurs armes contre les Barbares: aussi nos ancêtres ont-ils voulu 225 que son art tint une place honorable dans les luttes que président les muses et dans l'éducation de la jeunesse, afin que, ses vers harmonieux retentissant souvent à nos oreilles, nous apprissions à connaître la haine que les Barbares doivent toujours nous inspirer, et qu'une noble émulation pour les vertus des héros qui ont combattu sous les murs de Troie, nous inspirât le désir de
rivaliser avec eux.

43. [160] Beaucoup de motifs me semblent donc se réunir pour nous exciter à entreprendre la guerre contre les Perses, et surtout l'occasion présente, qu'évidemment il faut saisir, car il serait honteux de la laisser échapper quand elle s'offre d'elle-même, pour la regretter ensuite lorsqu'elle serait passée. Quelles circonstances plus favorables pourrions-nous désirer que celles qui existent aujourd'hui pour faire la guerre au Roi? [161] L'Egypte et Cypre ne se sont-elles pas soustraites à son obéissance? La Phénicie et la Syrie n'ont-elles pas été ravagées par la guerre ? Tyr, dont la possession le rendait si fier, n'est-elle pas tombée au pouvoir de ses ennemis ? La plupart des villes de la Cilicie ont des chefs qui nous sont dévoués, et il n'est pas difficile de gagner l'affection des autres. [162] Jamais un Perse n*a été maître de la Lycie. Hécatomnus, le préfet de Carie, depuis longtemps dans un état de véritable révolte, se déclarera aussitôt que nous le voudrons. L'Asie enfin, depuis Cnide jusqu'à Sinope, est habitée par des Grecs qu'il n'est pas même nécessaire d'exhorter à prendre les armes, car il suffit de ne pas les en empêcher. Qu'est-il besoin, en présence de ces faits si propres à nous encourager, et lorsque autour de l'Asie tout est en armes, d'exposer avec détail ce qui doit en résulter? Si les Perses sont vaincus quand ils luttent contre de faibles parties de notre puissance, peut-on douter du sort qui les attend lorsqu'ils seront forcés de combattre contre nos forces réunies? [163] Telle 297 est la position des choses. Si le Barbare s'établit plus fortement dans les villes qui bordent le littoral, en y plaçant des garnisons plus nombreuses, il est possible que les îles qui sont près du continent, comme Rhodes, Samos et Chio, s'attachent à sa fortune ; si, au contraire
, nous les occupons les premiers, il est permis d'espérer que les peuples de la Lydie, de la Phrygie et des pays qui dominent ces contrées, tomberont sous la puissance de ceux qui porteront d'ici la guerre dans leur pays. [164] C'est pourquoi il faut se hâter et n'admettre aucun délai, de crainte que nous n'éprouvions ce qu'ont éprouvé nos pères. Ils se sont laissé prévenir par les Barbares, et, ayant ainsi perdu une partie de leurs alliés, ils ont été obligés de combattre avec des forces inférieures contre une multitude d'ennemis; tandis que si, les premiers, ils eussent porté la guerre sur le continent d'Asie, avec toutes les forces de la Grèce, ils pouvaient soumettre successivement chacune des nations qui l'habitent. [165] Il est de toute évidence que, lorsqu'on doit combattre contre des hommes qui se rassemblent d'un grand nombre de contrées diverses, il ne faut jamais attendre qu'ils soient réunis, mais qu'il faut les attaquer quand ils sont encore séparés les uns des autres. Nos pères, ayant méconnu ce principe, réparèrent glorieusement leur faute en livrant les combats les plus périlleux ; quant à nous, si nous sommes sages, nous ferons nos dispositions d'avance, et nous nous efforcerons de prévenir les Barbares, en établissant notre armée dans les contrées voisines de rionie et de la Lydie, [166] assurés que le Roi gouverne les peuples du continent contre leur volonté et parce qu'il a autour de lui plus de forces que n'en possède chacun d'eux ; si donc nous transportons au delà des mers une force supérieure, ce qui nous sera facile dès que nous en aurons la volonté, nous disposerons en toute sécurité des ressources de l'Asie. Il nous sera plus glo- 229 rieux de combattre contre le Roi pour lui arracher l'empire, que de lutter entre nous pour le droit de commander.

[167] Ἄξιον δ' ἐπὶ τῆς νῦν ἡλικίας ποιήσασθαι τὴν στρατείαν, ἵν' οἱ τῶν συμφορῶν κοινωνήσαντες οὗτοι καὶ τῶν ἀγαθῶν ἀπολαύσωσιν καὶ μὴ πάντα τὸν χρόνον δυστυχοῦντες διαγάγωσιν. Ἱκανὸς γὰρ ὁ παρεληλυθὼς, ἐν ᾧ τί τῶν δεινῶν οὐ γέγονεν; Πολλῶν γὰρ κακῶν τῇ φύσει τῇ τῶν ἀνθρώπων ὑπαρχόντων αὐτοὶ πλείω τῶν ἀναγκαίων προσεξευρήκαμεν, πολέμους καὶ στάσεις ἡμῖν αὐτοῖς ἐμποιήσαντες, [168] ὥστε τοὺς μὲν ἐν ταῖς αὑτῶν ἀνόμως ἀπόλλυσθαι, τοὺς δ' ἐπὶ ξένης μετὰ παίδων καὶ γυναικῶν ἀλᾶσθαι, πολλοὺς δὲ δι' ἔνδειαν τῶν καθ' ἡμέραν ἐπικουρεῖν ἀναγκαζομένους ὑπὲρ τῶν ἐχθρῶν τοῖς φίλοις μαχομένους ἀποθνῄσκειν. Ὑπὲρ ὧν οὐδεὶς πώποτ' ἠγανάκτησεν, ἀλλ' ἐπὶ μὲν ταῖς συμφοραῖς ταῖς ὑπὸ τῶν ποιητῶν συγκειμέναις δακρύειν ἀξιοῦσιν, ἀληθινὰ δὲ πάθη πολλὰ καὶ δεινὰ γιγνόμενα διὰ τὸν πόλεμον ἐφορῶντες τοσούτου δέουσιν ἐλεεῖν ὥστε καὶ μᾶλλον χαίρουσιν ἐπὶ τοῖς ἀλλήλων κακοῖς ἢ τοῖς αὑτῶν ἰδίοις ἀγαθοῖς. [169] Ἴσως δ' ἂν καὶ τῆς ἐμῆς εὐηθείας πολλοὶ καταγελάσειαν, εἰ δυστυχίας ἀνδρῶν ὀδυροίμην ἐν τοῖς τοιούτοις καιροῖς, ἐν οἷς Ἰταλία μὲν ἀνάστατος γέγονεν, Σικελία δὲ καταδεδούλωται, τοσαῦται δὲ πόλεις τοῖς βαρβάροις ἐκδέδονται, τὰ δὲ λοιπὰ μέρη τῶν Ἑλλήνων ἐν τοῖς μεγίστοις κινδύνοις ἐστίν.

[170] Θαυμάζω δὲ τῶν δυναστευόντων ἐν ταῖς πόλεσιν, εἰ προσήκειν αὑτοῖς ἡγοῦνται μέγα φρονεῖν, μηδὲν πώποθ' ὑπὲρ τηλικούτων πραγμάτων μήτ' εἰπεῖν μήτ' ἐνθυμηθῆναι δυνηθέντες. Ἐχρῆν γὰρ αὐτοὺς, εἴπερ ἦσαν ἄξιοι τῆς παρούσης δόξης, ἁπάντων ἀφεμένους τῶν ἄλλων περὶ τοῦ πολέμου τοῦ πρὸς τοὺς βαρβάρους εἰσηγεῖσθαι καὶ συμβουλεύειν. [171] Τυχὸν μὲν γὰρ ἄν τι συνεπέραναν· εἰ δὲ καὶ προαπεῖπον, ἀλλ' οὖν τούς γε λόγους ὥσπερ χρησμοὺς εἰς τὸν ἐπιόντα χρόνον ἂν κατέλιπον. Νῦν δ' οἱ μὲν ἐν ταῖς μεγίσταις δόξαις ὄντες ἐπὶ μικροῖς σπουδάζουσιν, ἡμῖν δὲ τοῖς τῶν πολιτικῶν ἐξεστηκόσιν περὶ τηλικούτων πραγμάτων συμβουλεύειν παραλελοίπασιν.

[172] Οὐ μὴν ἀλλ' ὅσῳ μικροψυχότεροι τυγχάνουσιν ὄντες οἱ προεστῶτες ἡμῶν, τοσούτῳ τοὺς ἄλλους ἐρρωμενεστέρως δεῖ σκοπεῖν, ὅπως ἀπαλλαγησόμεθα τῆς παρούσης ἔχθρας. Νῦν μὲν γὰρ μάτην ποιούμεθα τὰς περὶ τῆς εἰρήνης συνθήκας· οὐ γὰρ διαλυόμεθα τοὺς πολέμους, ἀλλ' ἀναβαλλόμεθα καὶ περιμένομεν τοὺς καιροὺς ἐν οἷς ἀνήκεστόν τι κακὸν ἀλλήλους ἐργάσασθαι δυνησόμεθα. [173] Δεῖ δὲ ταύτας τὰς ἐπιβουλὰς ἐκποδὼν ποιησαμένους ἐκείνοις τοῖς ἔργοις ἐπιχειρεῖν ἐξ ὧν τάς τε πόλεις ἀσφαλέστερον οἰκήσομεν καὶ πιστότερον διακεισόμεθα πρὸς ἡμᾶς αὐτούς. Ἔστι δ' ἁπλοῦς καὶ ῥᾴδιος ὁ λόγος ὁ περὶ τούτων· οὔτε γὰρ εἰρήνην οἷόν τε βεβαίαν ἀγαγεῖν ἢν μὴ κοινῇ τοῖς βαρβάροις πολεμήσωμεν, οὔθ' ὁμονοῆσαι τοὺς Ἕλληνας πρὶν ἂν καὶ τὰς ὠφελείας ἐκ τῶν αὐτῶν καὶ τοὺς κινδύνους πρὸς τοὺς αὐτοὺς ποιησώμεθα. [174] Τούτων δὲ γενομένων καὶ τῆς ἀπορίας τῆς περὶ τὸν βίον ἡμῶν ἀφαιρεθείσης, ἣ καὶ τὰς ἑταιρίας διαλύει καὶ τὰς συγγενείας εἰς ἔχθραν προάγει καὶ πάντας ἀνθρώπους εἰς πολέμους καὶ στάσεις καθίστησιν, οὐκ ἔστιν ὅπως οὐχ ὁμονοήσομεν καὶ τὰς εὐνοίας ἀληθινὰς πρὸς ἡμᾶς αὐτοὺς ἕξομεν. Ὧν ἕνεκα περὶ παντὸς ποιητέον ὅπως ὡς τάχιστα τὸν ἐνθένδε πόλεμον εἰς τὴν ἤπειρον διοριοῦμεν, ὡς μόνον ἂν τοῦτ' ἀγαθὸν ἀπολαύσαιμεν τῶν κινδύνων τῶν πρὸς ἡμᾶς αὐτοὺς, εἰ ταῖς ἐμπειρίαις ταῖς ἐκ τούτων γεγενημέναις πρὸς τὸν βάρβαρον καταχρήσασθαι δόξειεν ἡμῖν.
 

44. [167] Un sentiment de justice doit aussi nous déterminer à choisir l'époque actuelle pour l'expédition d'Asie, afin que ceux qui ont eu part aux malheurs puissent aussi jouir des prospérités, et ne pas accomplir leur vie au sein des mêmes misères. N'est-ce pas assez du temps qui s'est écoulé, et dans ce temps quel genre d'infortunes nous a manqué ? L'homme est condamné par sa nature à une foule de calamités ; mais nous avons trouvé le moyen d'ajouter encore à celles que la nécessité nous imposait, par nos guerres et nos divisions intestines, [168] d'où il résulte que les uns meurent victimes de la violation des lois, au sein même de leur patrie, que d'autres sont errants sur la terre étrangère avec leurs enfants et leurs femmes, et qu'un grand nombre, forcés par la misère de chaque jour à vendre leurs services, donnent leur vie pour leurs ennemis en combattant contre leurs amis. Personne, cependant, ne s'indigne à la vue de tant de souffrances ; et, tandis que nous répandons des torrents de larmes au récit des infortunes créées par l'imagination des poëtes, nous sommes si loin d'éprouver de la pitié à l'aspect des désordres réels, nombreux, terribles, enfantés par la guerre, que nous ressentons plus de joie des maux que nous nous faisons réciproquement que des biens qui nous arrivent. [169] Peut-être beaucoup d'hommes jetteront-ils un sourira de dérision en me voyant déplorer des calamités individuelles au milieu de circonstances aussi graves, lorsque l'Italie est dévastée, que la Sicile est réduite éri esclavage, qu'un si grand nombre de villes ont été liviées aux Barbares, et que les autres parties de la Grèce sont exposées aux plus grands dangers.

45. [170] Quant à moi, je m'étonne de voir les  chefs des Etats populaires se croire le droit de s'enorgueillir  231 lorsqu'ils n'ont rien pu dire, qu'ils n'ont rien pu penser sur des intérêts d'une si haute importance. C'était à eux, puisqu'ils avaient été jugés dignes des honneurs dont ils étaient revêtus, qu'il appartenait, abandonnant tout autre soin, de conseiller la guerre contre les Barbares et d'en donner l'exemple. [171] Peut-être eussent-ils réussi ; ou, si la mort les eût prévenus, ils auraient laissé leurs discours comme autant d'oracles pour les temps à venir. Aujourd'hui ceux qui occupent les plus hautes dignités portent leurs efforts vers des objets sans importance, et ils nous laissent, à nous, qui sommes en dehors des affaires politiques, le soin de donner des conseils sur de si grands intérêts.

46. [172] Mais plus les hommes qui nous gouvernent se montrent pusillanimes, plus nous devons employer d'énergie pour mettre un terme à nos inimitiés présentes ; car c'est en vain que nous concluotis des traités de paix, puisque nous ne terminons pas les guerres qui nous divisent et que nous les ajournons pour attendre le moment de nous faire réciproquement des maux irréparables. [173] Il faut donc, repoussant de perfides conseils, mettre la main à des actes qui auront pour effet de nous donner plus de sécurité au sein de nos villes, et de nous faire vivre avec plus de confiance les uns à l'égard des autres. Ce que j'ai à dire sur ce sujet est simple et facile à saisir. Nous ne pourrons jamais jouir d'une paix durable, si, d'un accord unanime, nous ne faisons pas la guerre aux Barbares; et les Grecs ne peuvent être unis de sentiments tant qu'ils ne réclameront pas l'appui des mêmes amis contre les mêmes ennemis. [174] Ces points une fois obtenus, et lorsque nous nous serons affranchis de la difficulté de pourvoir à notre existence (difficulté qui dissout les associations 233 fait naître les haines entre les parents, excite les hommes
aux séditions et aux guerres), il est impossible que nous ne soyons pas d'accord, et que nous n'éprouvions pas les uns pour les autres une véritable bienveillance. C'est pour de si nobles motifs que nous devons faire en sorte de transporter le plus promptement possible sur le continent d'Asie la guerre qui nous déchire, afin de retirer de nos luttes intestines le seul avantage qu'elles puissent nous procurer, celui d'employer contre
le Barbare l'expérience qu'elles nous ont fait acquérir.
 

[175] Ἀλλὰ γὰρ ἴσως διὰ τὰς συνθήκας ἄξιον ἐπισχεῖν, ἀλλ' οὐκ ἐπειχθῆναι καὶ θᾶττον ποιήσασθαι τὴν στρατείαν. Δι' ἃς αἱ μὲν ἠλευθερωμέναι τῶν πόλεων βασιλεῖ χάριν ἴσασιν, ὡς δι' ἐκεῖνον τυχοῦσαι τῆς αὐτονομίας ταύτης, αἱ δ' ἐκδεδομέναι τοῖς βαρβάροις μάλιστα μὲν Λακεδαιμονίοις ἐπικαλοῦσιν, ἔπειτα δὲ καὶ τοῖς ἄλλοις τοῖς μετασχοῦσιν τῆς εἰρήνης, ὡς ὑπὸ τούτων δουλεύειν ἠναγκασμέναι. Καίτοι πῶς οὐ χρὴ διαλύειν ταύτας τὰς ὁμολογίας, ἐξ ὧν τοιαύτη δόξα γέγονεν, ὡς ὁ μὲν βάρβαρος κήδεται τῆς Ἑλλάδος καὶ φύλαξ τῆς εἰρήνης ἐστὶν, ἡμῶν δέ τινές εἰσιν οἱ λυμαινόμενοι καὶ κακῶς ποιοῦντες αὐτήν; [176] Ὃ δὲ πάντων καταγελαστότατον, ὅτι τῶν γεγραμμένων ἐν ταῖς ὁμολογίαις τὰ χείριστα τυγχάνομεν διαφυλάττοντες. Ἃ μὲν γὰρ αὐτονόμους ἀφίησιν τάς τε νήσους καὶ τὰς πόλεις τὰς ἐπὶ τῆς Εὐρώπης, πάλαι λέλυται καὶ μάτην ἐν ταῖς στήλαις ἐστίν· ἃ δ' αἰσχύνην ἡμῖν φέρει καὶ πολλοὺς τῶν συμμάχων ἐκδέδωκεν, ταῦτα δὲ κατὰ χώραν μένει καὶ πάντες αὐτὰ κύρια ποιοῦμεν, ἃ χρῆν ἀναιρεῖν καὶ μηδὲ μίαν ἐᾶν ἡμέραν, νομίζοντας προστάγματα καὶ μὴ συνθήκας εἶναι. Τίς γὰρ οὐκ οἶδεν, ὅτι συνθῆκαι μέν εἰσιν, αἵτινες ἂν ἴσως καὶ κοινῶς ἀμφοτέροις ἔχωσιν, προστάγματα δὲ τὰ τοὺς ἑτέρους ἐλαττοῦντα παρὰ τὸ δίκαιον; [177] Διὸ καὶ τῶν πρεσβευσάντων ταύτην τὴν εἰρήνην δικαίως ἂν κατηγοροῖμεν, ὅτι πεμφθέντες ὑπὸ τῶν Ἑλλήνων ὑπὲρ τῶν βαρβάρων ἐποιήσαντο τὰς συνθήκας.
Ἐχρῆν γὰρ αὐτοὺς, εἴτ' ἐδόκει τὴν αὑτῶν ἔχειν ἑκάστους, εἴτε καὶ τῶν δοριαλώτων ἐπάρχειν, εἴτε τούτων κρατεῖν ὧν ὑπὸ τὴν εἰρήνην ἐτυγχάνομεν ἔχοντες, ἕν τι τούτων ὁρισαμένους καὶ κοινὸν τὸ δίκαιον ποιησαμένους, οὕτω συγγράφεσθαι περὶ αὐτῶν.  [178] Νῦν δὲ τῇ μὲν ἡμετέρᾳ πόλει καὶ τῇ Λακεδαιμονίων οὐδεμίαν τιμὴν ἀπένειμαν, τὸν δὲ βάρβαρον ἁπάσης τῆς Ἀσίας δεσπότην κατέστησαν, ὥσπερ ὑπὲρ ἐκείνου πολεμησάντων ἡμῶν ἢ τῆς μὲν Περσῶν ἀρχῆς πάλαι καθεστηκυίας, ἡμῶν δ' ἄρτι τὰς πόλεις κατοικούντων, ἀλλ' οὐκ ἐκείνων μὲν νεωστὶ ταύτην τὴν τιμὴν ἐχόντων, ἡμῶν δὲ τὸν ἅπαντα χρόνον ἐν τοῖς Ἕλλησιν δυναστευόντων.

[179] Οἶμαι δ' ἐκείνως εἰπὼν μᾶλλον δηλώσειν τήν τε περὶ ἡμᾶς ἀτιμίαν γεγενημένην καὶ τὴν τοῦ βασιλέως πλεονεξίαν. Τῆς γὰρ γῆς ἁπάσης τῆς ὑπὸ τῷ κόσμῳ κειμένης δίχα τετμημένης, καὶ τῆς μὲν Ἀσίας, τῆς δ' Εὐρώπης καλουμένης, τὴν ἡμίσειαν ἐκ τῶν συνθηκῶν εἴληφεν, ὥσπερ πρὸς τὸν Δία τὴν χώραν νεμόμενος, ἀλλ' οὐ πρὸς ἀνθρώπους τὰς συνθήκας ποιούμενος. [180] Καὶ ταύτας ἡμᾶς ἠνάγκασεν ἐν στήλαις λιθίναις ἀναγράψαντας ἐν τοῖς κοινοῖς τῶν ἱερῶν καταθεῖναι, πολὺ κάλλιον τρόπαιον τῶν ἐν ταῖς μάχαις γιγνομένων· τὰ μὲν γὰρ ὑπὲρ μικρῶν ἔργων καὶ μιᾶς τύχης ἐστὶν, αὗται δ' ὑπὲρ ἅπαντος τοῦ πολέμου καὶ καθ' ὅλης τῆς Ἑλλάδος ἑστήκασιν.  [181] Ὑπὲρ ὧν ἄξιον ὀργίζεσθαι καὶ σκοπεῖν ὅπως τῶν τε γεγενημένων δίκην ληψόμεθα καὶ τὰ μέλλοντα διορθωσόμεθα. Καὶ γὰρ αἰσχρὸν ἰδίᾳ μὲν τοῖς βαρβάροις οἰκέταις ἀξιοῦν χρῆσθαι, δημοσίᾳ δὲ τοσούτους τῶν συμμάχων περιορᾶν αὐτοῖς δουλεύοντας, καὶ τοὺς μὲν περὶ τὰ Τρωϊκὰ γενομένους μιᾶς γυναικὸς ἁρπασθείσης οὕτως ἅπαντας συνοργισθῆναι τοῖς ἀδικηθεῖσιν ὥστε μὴ πρότερον παύσασθαι πολεμοῦντας, πρὶν τὴν πόλιν ἀνάστατον ἐποίησαν τοῦ τολμήσαντος ἐξαμαρτεῖν, [182] ἡμᾶς δ' ὅλης τῆς Ἑλλάδος ὑβριζομένης μηδεμίαν ποιήσασθαι κοινὴν τιμωρίαν, ἐξὸν ἡμῖν εὐχῆς ἄξια διαπράξασθαι.
Μόνος γὰρ οὗτος ὁ πόλεμος εἰρήνης κρείττων ἐστὶν, θεωρίᾳ μὲν μᾶλλον ἢ στρατείᾳ προσεοικὼς, ἀμφοτέροις δὲ συμφέρων καὶ τοῖς ἡσυχίαν ἄγειν καὶ τοῖς πολεμεῖν ἐπιθυμοῦσιν. Ἐξείη γὰρ ἂν τοῖς μὲν ἀδεῶς τὰ σφέτερ' αὐτῶν καρποῦσθαι, τοῖς δ' ἐκ τῶν ἀλλοτρίων μεγάλους πλούτους κατακτήσασθαι.

 

47. [175] Peut-être aussi faudrait- il, à cause des traités, s'arrêter, ne rien précipiter, ne pas se hâter d'entreprendre cette grande expédition, parce que les villes qui ont obtenu leur affranchissement en reportent la reconnaissance au Roi, comme à celui dont elles ont reçu le droit de se gouverner elles-mêmes; et que, d'un autre côté, les villes qui ont été livrées aux Barbares accusent ceux qui ont pris part à la conclusion de la paix, et surtout les Lacédémoniens, de les avoir obligées à se courber sous le poids de la servitude. Mais comment ne faudrait- il pas annuler des traités qui ont fait naître l'opinion que le Barbare prenait soin des intérêts de la Grèce, qu'il était le gardien de la paix, et que parmi nous se trouvaient les dévastateurs et les tyrans ? [176] Voici au reste le comble de la dérision : entre les stipulations inscrites dans ces traités, nous observons religieusement les plus funestes; et, tandis que celles qui donnent aux îles et aux villes de l'Europe la liberté de se gouverner selon leurs lois, anéanties depuis longtemps, demeurent vainement gravées sur les colonnes destinées à cet usage, les stipulations qui font notre honte, celles qui ont livré aux Barbares un grand nombre de nos alliés, celles-là seules subsistent, sont en vigueur, et  235 sont maintenues par nous dans leur intégrité. C'étaient là les stipulations qu'il fallait faire disparaître, c'étaient elles qu il ne fallait pas laisser subsister même un jour; parce que nous devions y voir des ordres et non des stipulations. Qui ne sait que des stipulations sont des conditions réglées entre deux parties conformément à l'égalité et à la justice, tandis que les ordres sont des injonctions données au détriment de l'une d'elles, sans égard pour l'équité? [177] C'est pourquoi nous accuserions avec justice les ambassadeurs qui ont conclu cette paix, parce que, envoyés par les Grecs, ils ont fait un traité dans l'intérêt des Barbares. Il fallait, soit qu'ils jugeassent que chacun devait garder ce qui lui appartenait anciennement, soit que l'on dût rester maître de ce qui avait été conquis, soit que l'on dût conserver seulement ce que l'on possédait immédiatement avant la paix, il fallait, réglant les limites sur l'une de ces bases et faisant de la justice le droit commun, rédiger les traités en conséquence. [178] Mais, au lieu d'agir ainsi, sans rien stipuler d'honorable pour notre ville ni pour celle de Lacédémone, ils ont constitué le Barbare maître de toute l'Asie, comme si nous avions combattu pour sa cause ; ou comme si l'empire des Perses eût été établi de toute antiquité, que nous eussions fondé nos villes à une époque récente, que la domination des Barbares ne fût pas un fait nouveau, et que nous n'eussions pas été dans tous les temps placés au premier rang parmi les Grecs.

48. [179] Je crois, en m' exprimant comme je vais le faire, pouvoir présenter avec plus d'évidence encore la honte que nous avons subie et les avantages obtenus par l'ambition du Roi. Deux parts ayant été faites de cette terre que couvre la voûte des cieux, l'une appelée Asie, l'autre Europe, le Barbare a reçu par le fait de la paix l'une des deux moitiés, comme s'il eût partagé le monde avec Jupiter, au lieu de traiter avec des hommes. [180] C'est là ce que les stipulations du traité nous ont 237 obligés de graver sur la pierre, et de consacrer dans les temples communs à tous les Grecs, trophée beaucoup plus beau que ceux que l'on élève après le gain des batailles! Ceux-ci, la plupart du temps, sont érigés pour des actions de peu d'importance, et pour une seule faveur de la fortune, tandis que les stipulations de ce traité ont été réglées pour toute la guerre et contre toute la Grèce. [181] Nous devons donc, pleins d'une juste colère, avoir pour objet de venger le passé et de relever l'avenir. C'est une ignominie pour nous, quand nous avons dans nos demeures des Barbares pour esclaves, de voir avec indifférence qu'un si grand nombre de nos alliés soient, comme corps de nation, esclaves de ces mêmes Barbares, et, lorsqu'aux temps de la guerre de Troie, pour une femme enlevée, nos ancêtres se sont unis dans une indignation commune avec ceux que le crime avait blessés, lorsqu'ils n'ont cessé de combattre qu'après avoir anéanti la patrie de l'audacieux ravisseur, [182] c'est une honte pour nous de laisser outrager la Grèce entière sans poursuivre une commune vengeance, quand il est en notre pouvoir de l'égaler à nos voeux! Seule, d'ailleurs, cette guerre a le privilège d'être préférable à la paix ; car, semblable à une pompe sacrée plus qu'à une expédition militaire, elle aura le double résultat d'être également utile à ceux qui souhaitent une vie paisible, et à ceux qui sont dominés par la passion des combats. Les uns pourront jouir sans crainte de ce qu'ils possèdent, les autres acquerront d'incalculables richesses aux dépens de l'étranger.

[183] Πολλαχῇ δ' ἄν τις λογιζόμενος εὕροι ταύτας τὰς πράξεις μάλιστα λυσιτελούσας ἡμῖν. Φέρε γὰρ, πρὸς τίνας χρὴ πολεμεῖν τοὺς μηδεμιᾶς πλεονεξίας ἐπιθυμοῦντας, ἀλλ' αὐτὸ τὸ δίκαιον σκοποῦντας; Οὐ πρὸς τοὺς καὶ πρότερον κακῶς τὴν Ἑλλάδα ποιήσαντας καὶ νῦν ἐπιβουλεύοντας καὶ πάντα τὸν χρόνον οὕτω πρὸς ἡμᾶς διακειμένους; [184] Τίσιν δὲ φθονεῖν εἰκός ἐστιν τοὺς μὴ παντάπασιν ἀνάνδρως διακειμένους, ἀλλὰ μετρίως τούτῳ τῷ πράγματι χρωμένους; Οὐ τοῖς μείζους μὲν τὰς δυναστείας ἢ κατ' ἀνθρώπους περιβεβλημένοις, ἐλάττονος δ' ἀξίοις τῶν παρ' ἡμῖν δυστυχούντων; Ἐπὶ τίνας δὲ στρατεύειν μᾶλλον προσήκει τοὺς ἅμα μὲν εὐσεβεῖν βουλομένους, ἅμα δὲ τοῦ συμφέροντος ἐνθυμουμένους; Οὐκ ἐπὶ τοὺς καὶ φύσει πολεμίους καὶ πατρικοὺς ἐχθροὺς, καὶ πλεῖστα μὲν ἀγαθὰ κεκτημένους, ἥκιστα δ' ὑπὲρ αὐτῶν ἀμύνεσθαι δυναμένους; Οὐκοῦν ἐκεῖνοι πᾶσι τούτοις ἔνοχοι τυγχάνουσιν ὄντες.

[185] Καὶ μὴν οὐδὲ τὰς πόλεις λυπήσομεν στρατιώτας ἐξ αὐτῶν καταλέγοντες, ὃ νῦν ἐν τῷ πολέμῳ τῷ πρὸς ἀλλήλους ὀχληρότατόν ἐστιν αὐταῖς· πολὺ γὰρ οἶμαι σπανιωτέρους ἔσεσθαι τοὺς μένειν ἐθελήσοντας τῶν συνακολουθεῖν ἐπιθυμησόντων. Τίς γὰρ οὕτως ἢ νέος ἢ παλαιὸς ῥᾴθυμός ἐστιν, ὅστις οὐ μετασχεῖν βουλήσεται ταύτης τῆς στρατιᾶς τῆς ὑπ' Ἀθηναίων μὲν καὶ Λακεδαιμονίων στρατηγουμένης, ὑπὲρ δὲ τῆς τῶν συμμάχων ἐλευθερίας ἁθροιζομένης, ὑπὸ δὲ τῆς Ἑλλάδος ἁπάσης ἐκπεμπομένης, ἐπὶ δὲ τὴν τῶν βαρβάρων τιμωρίαν πορευομένης; [186] Φήμην δὲ καὶ μνήμην καὶ δόξαν πόσην τινὰ χρὴ νομίζειν ἢ ζῶντας ἕξειν ἢ τελευτήσαντας καταλείψειν τοὺς ἐν τοῖς τοιούτοις ἔργοις ἀριστεύσαντας; Ὅπου γὰρ οἱ πρὸς Ἀλέξανδρον πολεμήσαντες καὶ μίαν πόλιν ἑλόντες τοιούτων ἐπαίνων ἠξιώθησαν, ποίων τινῶν χρὴ προσδοκᾶν ἐγκωμίων τεύξεσθαι τοὺς ὅλης τῆς Ἀσίας κρατήσαντας; Τίς γὰρ ἢ τῶν ποιεῖν δυναμένων ἢ τῶν λέγειν ἐπισταμένων οὐ πονήσει καὶ φιλοσοφήσει βουλόμενος ἅμα τῆς θ' αὑτοῦ διανοίας καὶ τῆς ἐκείνων ἀρετῆς μνημεῖον εἰς ἅπαντα τὸν χρόνον καταλιπεῖν;

[187] Οὐ τὴν αὐτὴν δὲ τυγχάνω γνώμην ἔχων ἔν τε τῷ παρόντι καὶ περὶ τὰς ἀρχὰς τοῦ λόγου. Τότε μὲν γὰρ ᾤμην ἀξίως δυνήσεσθαι τῶν πραγμάτων εἰπεῖν· νῦν δ' οὐκ ἐφικνοῦμαι τοῦ μεγέθους αὐτῶν, ἀλλὰ πολλά με διαπέφευγεν ὧν διενοήθην. Αὐτοὺς οὖν χρὴ συνδιορᾶν, ὅσης ἂν εὐδαιμονίας τύχοιμεν εἰ τὸν μὲν πόλεμον τὸν νῦν ὄντα περὶ ἡμᾶς πρὸς τοὺς ἠπειρώτας ποιησαίμεθα, τὴν δ' εὐδαιμονίαν τὴν ἐκ τῆς Ἀσίας εἰς τὴν Εὐρώπην διακομίσαιμεν, καὶ μὴ μόνον ἀκροατὰς γενομένους ἀπελθεῖν, [188] ἀλλὰ τοὺς μὲν πράττειν δυναμένους παρακαλοῦντας ἀλλήλους πειρᾶσθαι διαλλάττειν τήν τε πόλιν τὴν ἡμετέραν καὶ τὴν Λακεδαιμονίων, τοὺς δὲ τῶν λόγων ἀμφισβητοῦντας πρὸς μὲν τὴν παρακαταθήκην καὶ περὶ τῶν ἄλλων ὧν νῦν φλυαροῦσιν παύεσθαι γράφοντας, πρὸς δὲ τοῦτον τὸν λόγον ποιεῖσθαι τὴν ἅμιλλαν καὶ σκοπεῖν ὅπως ἄμεινον ἐμοῦ περὶ τῶν αὐτῶν πραγμάτων ἐροῦσιν, [189] ἐνθυμουμένους ὅτι τοῖς μεγάλ' ὑπισχνουμένοις οὐ πρέπει περὶ μικρὰ διατρίβειν, οὐδὲ τοιαῦτα λέγειν ἐξ ὧν ὁ βίος μηδὲν ἐπιδώσει τῶν πεισθέντων, ἀλλ' ὧν ἐπιτελεσθέντων αὐτοί τ' ἀπαλλαγήσονται τῆς παρούσης ἀπορίας καὶ τοῖς ἄλλοις μεγάλων ἀγαθῶν αἴτιοι δόξουσιν εἶναι.
 

49.  [183] Plus on examine la question sous ses différents points de vue, et plus on reconnaît que cette entreprise présente pour nous les plus grands avantages. Contre qui doivent faire la guerre ceux qui, n'étant animés d'aucun désir ambitieux, n'ont en vue que la justice? N'est-ce pas contre des peuples qui, à d'autres époques, ont ravagé la Grèce, qui maintenant encore méditent 239 notre ruine, et qui ont toujours été à notre égard dans des dispositions ennemies? [184] Contre qui doivent éprouver de l'envie les hommes qui n'ont pas dépouillé tout sentiment généreux, et dont l'âme conserve quelque énergie? N'est-ce pas contre ceux qui, étant investis d'une puissance plus grande qu'il ne convient à des mortels, sont dignes de moins d'estime que les plus misérables parmi nous? Contre qui doivent s'armer ceux qui veulent à la fois être pieux envers les dieux, et pourvoir à leur propre utilité? N'est-ce pas contre des peuples qui sont nos ennemis naturels, nos ennemis héréditaires, qui possèdent les plus grandes richesses, et qui sont moins que tous les autres en état de les défendre? Or les Perses sont dans toutes ces conditions.

50. [185] J'ajoute que nous ne fatiguerons pas les villes par des levées de soldats, qui, dans nos guerres intestines, sont pour elles la plus irritante oppression ; car il est permis de croire que ceux qui préféreront demeurer dans leurs foyers seront beaucoup moins nombreux que ceux qui désireront participer à cette noble entreprise. Quel homme, dans la fleur de l'âge ou courbé sous le poids des ans, aurait l'âme assez timide pour ne pas vouloir prendre part à une expédition dirigée par les Athéniens et les Lacédémoniens, à une expédition réunie pour rendre la liberté à nos alliés, envoyée par la Grèce entière, et marchant pour châtier les Barbares? [186] Quelle renommée, quels souvenirs, quelle gloire ne doivent pas espérer de recueillir, s'ils vivent, de laisser après eux, s'ils succombent, ceux qui se seront  signalés dans celte lutte mémorable ! Si les héros qui, ont combattu contre Pâris, et qui n'ont pris qu'une seule ville, ont obtenu de si nobles louanges, à quels éloges ne peuvent pas prétendre ceux qui auront con-  241 quis l'Asie entière? Quel poëte, quel orateur, ne consacrera pas son labeur et ses veilles à l'espoir de laisser, pour les temps à venir, un monument éternel de son génie et de leur vertu?

51. [187] J'éprouve, dans ce moment, un sentiment bien différent de celui qui m'animait en commençant ce discours ; j'avais alors l'espoir que mes paroles seraient dignes de mon sujet ; maintenant je reconnais qu'il ne m'était pas donné d'en atteindre la hauteur, et une partie de mes pensées semble avoir fui loin de moi. C'est à vous qu'il appartient d'apprécier désormais le degré de bonheur auquel nous pouvons parvenir, si, détournant vers les peuples du continent la guerre qui dévore nos contrées, nous transportons à l'Europe les prospérités de l'Asie. Et ne vous retirez pas, comme si vous n'eussiez été pour moi que de simples auditeurs; [188] mais que les hommes capables d'agir s'encouragent mutuellement , qu'ils s'efforcent de réconcilier notre ville et Lacédémone, et que ceux qui prétendent à la gloire de l'éloquence cessent d'écrire sur le Dépôt ou sur d'autres futilités dont ils s'occupent aujourd'hui, qu'ils s'étudient à rivaliser avec ce discours; qu'ils essayent de parler sur le même sujet mieux que je n'ai pu le faire, [189] et qu'ils demeurent convaincus que les hommes qui font de grandes promesses ne doivent pas s'occuper d'objets sans importance, ni composer des discours inutiles au bonheur de ceux qui les croient, mais des pensées qui, converties en actions, les délivreront des anxiétés de la misère, et les feront considérer comme ayant été pour la Grèce les auteurs des plus nobles prospérités.

(a) 10 ou 15, selon Plutarque.

(b) Le stade vaut 185m,015.