ANONYME
LA SAGA DE GUNNLAUG, LANGUE DE VIPERE
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
Traduction d’Aurélien Sauvageot.
Il était une fois un homme qui s'appelait Thorstein. Il était le fils d'Egil Skallagrimson, fils de Kveldùlf, qui avait été comte en Norvège. La mère de Thorstein s'appelait Asgerdh. Elle était fille de Bjorn. Thorstein demeurait à Borg dans le Borgarfjorth. Il était riche en biens. C'était un chef considérable, un homme intelligent, modéré, un homme comme il faut à tous les points de vue. Bien qu'il ne se distinguât pas par la taille ni par la force comme Egil son père, il était tout de même un homme très vigoureux et bien vu de tout le peuple. Thorstein était bien de sa personne, il avait des cheveux blonds et les plus beaux yeux qu'on eût vus. Il avait épousé Jofridh la fille de Gunnar, fils de Hlif. Elle avait alors dix-huit ans et était veuve. Elle avait été d'abord mariée à Thorodd le fils de Tunga-Odd, dont elle avait eu une fille Hungerdh qui fut élevée à Borg chez Thorstein. Jofridh était une femme très active. Elle et Thorstein eurent beaucoup d'enfants, mais la plupart d'entr'eux ne concernent pas cette histoire. Leur fils aîné était Skuli, le second Kollsveinn, le troisième Egil.
Un été, dit-on, un navire aborda à l'embouchure de la rivière Guf. Le capitaine de ce navire s'appelait Bergfinn. Il était de famille norvégienne, riche en biens et plutôt âgé. C'était un homme avisé. Thorstein se rendit à cheval au navire, car c'était toujours lui qui décidait lors des foires et il en fut ainsi cette fois. Les Norvégiens trouvèrent à se loger alentour et Thorstein prit chez lui le capitaine, ce dernier l'en ayant prié. Bergfinn était peu bavard d'habitude, mais Thorstein lui montra beaucoup d'amabilité. Le Norvégien prenait beaucoup de plaisir à interpréter les songes. Une fois, au printemps, Thorstein demanda à Bergfinn s'il voulait l'accompagner dans une randonnée à cheval jusqu'au pied du mont Val. C'était là l'endroit où se réunissait alors le thing[1] du Borgfjordhetil venait d'apprendre que des murs de sa cabane[2] s'étaient effondrés. Le Norvégien déclara qu'il irait certes volontiers, et ils partirent le jour même, à trois, avec le valet de Thorstein. Ils chevauchèrent jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés au pied du mont Val, à la ferme qui s'appelle Grenjar, où habitait un pauvre homme appelé Atli. Atli était le métayer de Thorstein. Thorstein demanda à Atli de venir les aider et de prendre avec lui ses outils. C'est ce qu'il fit. Lorsqu'ils furent parvenus à l'emplacement de la cabane, ils se mirent tous au travail et déblayèrent les murs. Le temps était chaud à cause du soleil. Thorstein et le Norvégien en furent incommodés. Quand ils eurent déblayé les murs, ils s'étendirent tous deux sur l'emplacement de la cabane et Thorstein s'endormit. Il eut un sommeil agité. Le Norvégien resta auprès de lui et le laissa rêver sans le déranger, et lorsqu'il se réveilla, il était épuisé. Le Norvégien lui demanda ce qu'il pouvait bien avoir rêvé pour avoir été si agité dans son sommeil. Thorstein répondit : « Les rêves ne veulent rien dire ».
Lorsqu'ils s'en retournèrent le soir, le Norvégien lui demanda de nouveau ce qu'il avait rêvé. Thorstein lui dit : « Si je te le dis, tu me l'expliqueras tel quel ». Le Norvégien déclara qu'il le risquerait. Thorstein lui raconta alors ceci : « J'ai rêvé que j'étais chez moi à Borg, et que je me trouvais dehors devant la grande porte d'entrée et que je voyais sur le faîte de la maison un cygne beau et ravissant. Ce cygne était à moi et j'en étais très content. Ensuite, je vis arriver un grand aigle qui semblait venir des montagnes. Il descendit et vint se percher auprès du cygne et se mit à roucouler. Et cela avait l'air de plaire au cygne. Alors je vis que l'aigle avait des yeux noirs et qu'il portait des griffes de fer. Il me parut imposant. Peu après, je vis un autre oiseau venir du sud. Il descendit sur Borg et vint se percher sur la maison, auprès du cygne, et se mit à lui faire la cour. C'était également un aigle de belle taille. Bientôt, il me sembla voir que l'aigle qui était venu le premier se courrouçait contre le nouvel arrivant, et ils se battirent avec acharnement et longtemps, et je vis que tous deux perdaient le sang, et leur lutte eut pour fin qu'ils s'affaissèrent chacun d'un côté du toit et tombèrent tous deux morts. Et le cygne resta là très abattu et très triste. Et alors je vis arriver un oiseau venant de l'ouest. C'était un faucon. Il vint se percher auprès du cygne et se fit caressant et doux, et ensuite ils s'envolèrent tous les deux de concert dans la même direction. C'est alors que je me réveillai. Ce rêve ne semble rien avoir de bien particulier », ajouta-t-il, « et cela doit sans doute présager qu'il y aura un orage et que les nuages se rencontreront dans les airs, venant des directions dont j'ai cru voir venir les oiseaux ». Le Norvégien dit : « A mon avis, ce n'est pas cela ». Thorstein déclara : « Explique moi donc ce rêve comme bon te semble, je t'écoute ». Le Norvégien dit : « Les oiseaux sont probablement les doubles qui suivent les hommes. Ta femme est enceinte et elle va mettre au monde une fille jolie et bien faite et tu l'aimeras beaucoup. Des prétendants distingués viendront demander ta fille en mariage. Ils viendront des directions d’où tu as vu venir les aigles. Ils auront pour elle une violente passion et ils se disputeront à cause d'elle et ils y laisseront tous deux leur vie. Ensuite viendra un troisième qui demandera sa main. Il viendra de la direction d'où est venu le faucon et c'est avec lui qu'elle se mariera. Voilà, je t'ai expliqué ton rêve et je pense que les choses se passeront ainsi ». Thorstein répondit : « Ce rêve est interprété dans un mauvais sens et de manière peu amicale. Sans doute ne sais-tu pas expliquer ces rêves ». Le Norvégien répartit : « Tu verras bien ce qui arrivera et tu verras si cela ne s'accomplit pas ». Thorstein en voulut au Norvégien, mais celui-ci partit lorsque l'été fut venu et il est désormais hors de notre histoire.
L'été, Thorstein fit ses préparatifs pour se rendre au thing, et il déclara à Jofridh, sa femme, avant de partir : « Il se trouve que tu portes un enfant. Tu exposeras cet enfant si c'est une fille et tu relèveras si c'est un garçon ». C'était en effet la coutume, alors que le pays était encore entièrement païen, que les gens qui étaient pauvres et qui avaient beaucoup d'enfants en bas âge exposassent leurs nouveaux nés, mais on a toujours pensé que c'était mal. Aussi, lorsque Thorstein eut parlé ainsi, Jofridh répondit : « Tu viens de parler d'une façon indigne, toi, un homme de ta condition, et tu ne devrais pas en avoir l'idée, riche comme tu es ». Thorstein répondit : « Si tu connais mon caractère, tu sais qu'il ne fera pas bon désobéir ». Là-dessus il partit pour le thing. Jofridh pendant ce temps donna naissance à une petite fille d'une grande beauté. Les femmes voulaient la lui apporter. Elle leur répondit que ce n'était pas la peine et fit appeler auprès d'elle le berger, qui s'appelait Thorvardhet lui dit : « Tu vas prendre un cheval, tu vas le seller, et tu porteras l'enfant dans l'Ouest, à Hjardarholt, chez Thorgerdh fille d'Egil, et tu lui demanderas de l'élever en cachette, en sorte que Thorstein ne s'aperçoive de rien. J'ai tant d'amour pour cette enfant que je ne puis vraiment pas souffrir de la voir exposée. Voici trois marcs d'argent pour ta peine. Thorgerdh te ménagera le passage par mer et te donnera ce qu'il faut pour le voyage », Thorvardh fit comme elle lui avait dit. Il se rendit à cheval dans l'Ouest à Hjardharholt avec l'enfant et la remit entre les mains de Thorgerdh, qui la fit élever par un de ses métayers, demeurant à Leysingjastadh dans le Hvammsfjordh. Elle fit passer Thorvardh dans le Nord, au Steingrinsfjordh, à Steljavik et lui fournit de quoi s'embarquer. Il quitta l'Islande et désormais il est hors de cette histoire.
Lorsque Thorstein revint du thing, Jofridh lui dit que l'enfant avait été exposé comme il l'avait prescrit, et que le berger s'était enfui en emportant son cheval. Thorstein dit qu'elle avait bien fait et il se procura un autre berger. Puis vinrent six années sans que rien ne fût révélé. Thorstein s'était rendu à une fête dans l'Ouest, à Hjardharholt, chez Olaf Pa, son beau-frère, le fils de Hoskuld. Olaf Pa passait pour le chef le plus considéré de l'Ouest. Thorstein y fut très bien reçu, comme on pouvait s'y attendre. On raconte qu'un jour au cours d'un banquet Thorgerdh était en train de parler avec Thorstein, son frère, assis au siège d'honneur, tandis qu'Olaf causait avec d'autres hommes. Sur le banc en face d'eux, se tenaient assises trois fillettes. Thorgerdh dit alors : « Que penses-tu mon frère, de ces trois filles qui sont assises vis-à-vis de nous ? » Il répondit : « Beaucoup de bien, mais il y en a une qui est beaucoup plus belle que les deux autres. Elle a la beauté d'Olaf, mais aussi la blancheur de teint et la finesse de traits de notre race à nous autres gens du Marais ». Thorgerdh répondit : « Certes, ce que tu dis est vrai, mon frère. Elle a bien en effet la blancheur de teint et la finesse de traits des gens du Marais, mais non point la beauté d'Olaf Pa, car elle n'est pas sa fille. — Comment se peut-il » s'écria Thorstein, « puisqu'elle est ta fille » ? Elle répondit : « Pour te dire la vérité, mon frère, elle est ta fille et non la mienne, cette belle enfant ». Et elle lui raconta tout ce qui s'était passé, lui demandant de lui pardonner, à elle et à sa femme, cette désobéissance. Thorstein dit : « Je ne peux pas vous la reprocher. Les choses arrivent comme elles doivent arriver, le plus souvent. Voilà ma faute bien réparée. Cette fillette me plaît tellement que je considère comme une vraie chance d'avoir à moi une aussi belle enfant. Et comment s'appelle-t-elle » ? — « Elle s'appelle Helga », dit Thorgerdh. « Helga la Belle », reprit Thorstein. « Eh bien ! tu vas faire les préparatifs pour qu'elle rentre avec moi ». Thorgerdh fit ainsi. Thorstein fut raccompagné avec de beaux présents. Helga partit avec lui et fut élevée chez lui avec beaucoup de soin et d'amour de la part de son père, de sa mère et de toute la famille.
En ce temps-là vivait à Gilsbakka, sur la Hvitarsidhu, Illugi le noir fils de Hallkell et petit fils de Hrosskel. La mère d'Illugi était Thuridh dylla, fille de Gunnar langue de vipère. Illugi était le chef le plus considérable du Borgarfjordh après Thorstein Egilson. Illugi le noir était un homme fort riche et d'un caractère très dur, mais tout à fait bon pour ses amis. Il avait épousé Ingibjorg, fille d'Asbjorn Hardharson d'Ornolfsdal. La mère d'Ingibjorg était Thorgerdh, la fille de Skuggi de Midhfjordh. Illugi et Ingibjorg eurent beaucoup d'enfants, mais peu d'entre eux concernent cette histoire. Un de leurs fils s'appelait Hermund, un autre Gunnlaug. Tous deux promettaient beaucoup, encore qu'ils ne fussent alors que des adolescents. C'est ainsi qu'on raconte de Gunnlaug qu'il était extrêmement précoce, grand et fort, qu'il avait les cheveux blonds cendrés lui seyant joliment, qu'il avait les yeux noirs, mais un assez vilain nez, et qu'il était agréable de visage. Il était de taille moyenne, large d'épaules, bien pris de sa personne. C'était un homme de caractère extrêmement agité, d'une précoce ambition. Avec tout cela il était tenace et dur, grand skald, surtout satirique, ce pourquoi on l'avait appelé Gunnlaug langue de vipère. Hermund était le plus aimé des deux et avait la prestance d'un vrai chef. Quand Gunnlaug eut quinze hivers, il demanda à son père de quoi partir en voyage, disant qu'il désirait quitter l'Islande pour voir les mœurs des autres hommes. Illugi prit la chose mal. Il lui dit qu'il n'était guère capable de voyager à l'étranger, puisqu'on avait déjà de la peine à le dresser à la maison. Un matin, très peu de temps après, Illugi étant sorti de bon matin vit que la grange était ouverte et que six sacs de provisions étaient sortis et disposés dans la cour, avec leurs courroies de chargement. Ceci l'étonna beaucoup. Et voilà que quelqu'un s'en vint, conduisant quatre chevaux, et ce quelqu'un était Gunnlaug, son fils, lui dit : « Voilà, j'ai sorti ces sacs là ». Illugi lui demanda pourquoi il l'avait fait. Il répondit que c'était là les provisions pour son voyage. Illugi déclara : « Tu n'as pas le droit de me prendre quoique ce soit ni de t'en aller nulle part sans que je le veuille » et il rentra vivement les sacs de provisions. Gunnlaug partit alors à cheval et arriva le soir à Borg. Thorstein le pria de rester et il accepta. Gunnlaug raconta à Thorstein ce qui s'était passé entre lui et son père. Thorstein le pria de rester aussi longtemps qu'il désirerait. Il resta là toute l'année, apprit le droit avec Thorstein et il se fit aimer de tout le monde. Tout le temps, Helga et Gunnlaug jouaient aux dames, et ils eurent tôt fait de se plaire l'un l'autre comme on le vit par la suite. Ils étaient presque du même âge. Helga était si belle que les gens bien informés disent qu'elle a été la plus belle femme de l'Islande. Sa chevelure était si opulente qu'elle pouvait s'en recouvrir toute entière et elle était belle comme de l'or pur. Tout le monde pensait qu'il ne pouvait y avoir meilleur parti que Helga dans tout le Borgarfjordh et même au delà.
Un jour que tous les gens étaient réunis à Borg dans la salle commune, Gunnlaug dit à Thorstein : « Il y a une chose dans le droit que tu ne m'as pas apprise : c'est de me fiancer avec une femme ». Thorstein dit : « Ce n'est pas difficile », et il lui apprit comment il fallait faire. Alors Gunnlaug dit : « Tiens, tu vas voir si j'ai bien compris. Je vais te prendre la main et faire semblant de me fiancer avec Helga, ta fille ». Thorstein dit : « Je ne pense pas que ce soit nécessaire ». Gunnlaug lui saisit alors aussitôt la main et lui dit : « Accorde-moi le donc ». — « Fais comme tu veux, répondit Thorstein, « mais que tous ceux qui sont ici soient témoins qu'il doit en être comme si aucune parole n'avait jamais été prononcée. Il faut qu'il n'y ait rien de caché là-dessous ». Sur quoi, Gunnlaug se choisit des témoins et se fiança avec Helga. Ensuite, il demanda si cela avait été fait de façon valable. Thorstein dit que oui et tous ceux qui étaient présents s'en amusèrent beaucoup.
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Il y avait un homme qui s'appelait Onund et qui habitait près du Mosfell. Il était très riche et il était comte dans le Sud, de l'autre côté du cap. Il était marié et sa femme s'appelait Geirny. Elle était la fille de Gnup, fils de Molda-Gnup qui était venu s'établir lors de la conquête dans le Sud, à Grindavik. Leurs fils étaient Hrafn Thorarin et Eindridh. C'étaient tous des garçons qui promettaient, mais Hrafn était supérieur aux autres à tous les points de vue. C'était un grand garçon, fort et de la plus belle apparence, un grand skald. D'une maturité précoce il vit beaucoup de pays et se distingua beaucoup partout où il passa. A cette époque habitait dans le Sud à Hjalli, dans le pays d'Olfus, Thorodd Eyvindarson et Skapti son fils, alors procureur général d'Islande. La mère de Skapti était Rannveig, la fille de Gnup, fils de Molda Gnup. Skapti et le fils d'Onund étaient donc cousins. A leur parenté s'ajoutait beaucoup d'amitié. A la même époque habitait à Raudhamel Thorfinn Selthorisson qui avait sept fils, tous garçons pleins de promesses. Ils s'appelaient Thorkell et Thorgils, Steinn et Calti, Eyolf et Thororm et Thoin et étaient les meilleurs de l'endroit. Les personnages que l'on vient de nommer vécurent tous en même temps.
C'est alors que se produisirent les plus heureux événements qui se produisirent jamais en Islande. Tout le pays fut baptisé et le peuple entier rejeta ses anciennes superstitions. Gunnlaug langue de vipère, dont on a parlé plus haut, vécut pendant trois ans alternativement à Borg chez Thorstein et chez son père Illugi à Gilsbakki. Il avait alors dix-huit ans et s'entendait fort bien avec son père. Il y avait un homme qui s'appelait Thorkell le noir. Il appartenait aux gens d' Illugi, dont il était proche parent et chez qui il avait été élevé. Il fit un héritage dans le Nord, dans le Vatnsdal à As, et il demanda à Gunnlaug de s'y rendre avec lui. Ainsi fut fait et ils partirent à cheval ensemble, dans le Nord, pour As. Avec l'aide de Gunnlaug, il fit rendre leurs comptes à ceux qui avaient administré le bien en question. En revenant du Nord ils passèrent à Grimstunga chez un riche paysan qui était établi là. Le lendemain matin, le berger prit le cheval de Gunnlaug et le lui rendit tout couvert de sueur. Gunnlaug frappa le berger qui tomba sans connaissance. Le fermier ne voulut pas s'en tenir là et réclama une indemnité. Gunnlaug offrit au fermier de lui payer un marc. Le fermier pensa que c'était par trop peu. Gunnlaug lui récita alors une strophe. Tel fut l'arrangement que Gunnlaug offrit. Ceci fait, ils s'en retournèrent chez eux.
Peu de temps après Gunnlaug demanda à son père pour la deuxième fois de lui donner de cjuoi partir en voyage. Illugi lui dit : « Il en sera donc comme tu veux. Tu t'es plutôt assagi, étant donné ce que tu étais autrefois ». Illugi partit aussitôt à cheval et acheta la moitié d'un navire pour Gunnlaug. Ce navire mouillait à l'embouchure de la rivière Guf et appartenait à Audhun Festargram. Lorsque Illugi revint chez lui, Gunnlaug le remercia beaucoup. Thorkell le noir se prépara à partir avec Gunnlaug et leurs bagages furent transportés sur le navire. Mais Gunnlaug s'en fut à Borg, tandis que l'on mettait le navire en état, et aima mieux s'entretenir avec Helga que de se donner de la., peine de concert avec les marchands. Un jour Thorstein demanda à Gunnlaug s'il voudrait aller voir ses chevaux avec lui et monter dans le Langavatnsdal. Gunnlaug déclara qu'il voulait bien. Les voilà qui partent, et qui chevauchent ensemble jusqu'à ce qu'ils arrivent à la cabane de Thorstein, appelée Thorgilsstadh. Là se trouvaient les chevaux que possédait Thorstein et qui étaient au nombre de quatre. Ils avaient la robe rouge. L'étalon était des plus beaux et presque sauvage, Thorstein demanda à Gunnlaug la permission de lui offrir cet étalon. Gunnlaug répondit qu'il n'avait pas besoin de cheval, car il était sur le point de quitter le pays. Ils poursuivirent leur chemin, et arrivèrent à un autre haras où il y avait un étalon gris avec quatre juments. Cet étalon était le meilleur du Borgarfjordh. Thorstein l'offrit en cadeau à Gunnlaug. Il répondit : « Je ne veux pas de celui-ci plus que de l'autre, mais pourquoi ne m'offres tu pas ce que je ne manquerais pas d'accepter ? — Qu'est-ce donc » ? demanda Thorstein ? Gunnlaug dit : « Helga la belle, ta fille ». Thorstein répondit « Tout doux, c'est chose à ne pas décider si vite » et il détourna la conversation. Ils revinrent en descendant le long de la rivière Lang. Gunnlaug dit alors : « Je voudrais savoir comment tu vas répondre à ma demande en mariage ». Thorstein répondit : « Je ne songe pas faire attention aux bêtises qui te passent par la tête ». Gunnlaug lui dit : « Cela est très sérieux, et non point des bêtises », Thorstein répartit : « Il faudrait d'abord savoir ce que tu veux. N'es-tu pas sur le point de partir pour l'étranger, et cependant tu fais semblant de vouloir te marier ? Tu n'es pas le parti qui convient à Helga, puisque tu sais si peu ce que tu veux. Aussi ne sera-t-il tenu aucun compte de ta demande ». Gunnlaug dit : « A quel parti destines-tu donc ta fille, si tu ne veux pas la marier au fils d'Illugi le Noir ! Ou bien y en a-t-il dans le Borgarfjordh qui soient plus considérés que lui ? » Thorstein répondit : « Je ne me laisserai pas aller à des comparaisons, mais si tu étais un homme comme lui, tu n'aurais pas essuyé de refus », Gunnlaug dit : « A qui donneras-tu donc ta fille plus volontiers qu'à moi » ? Thorstein répondit : « Il n'y a ici que l'embarras du choix. Thorfinn de Randhamel a sept fils qui tous sont comme il faut ». Gunnlaug répondit : « Aucun d'eux, ni Onund, ni Thorfin, ne peuvent se comparer à mon père, et toi-même tu ne le vaux pas. Qu'as-tu donc à opposer à son combat seul contre Thorgrim Kjallakson et son fils lors du thing de Thornes ? » Thorstein répondit : « J'ai mis en fuite Steinari, le fils de Omund Sjon et cela a passé pour un grand exploit ». Gunnlaug répondit : « Egill son père t'a été utile cette fois-là. Quoi qu'il en soit, il y a peu de propriétaires qui puissent impunément me refuser comme gendre. — Tu peux aller proférer tes menaces chez toi dans la Montagne » dit Thorstein ; « ici dans le IMarais, elles ne sont pas de mise ». Ils rentrèrent dans la soirée. Le lendemain matin, Gunnlaug remonta à cheval à Gilsbakki et pria son père de venir avec lui à Borg faire la demande en mariage. Illugi répondit : « Tu es un homme qui ne sait ce qu'il veut. Alors que tu es décidé à partir à l'étranger, voilà que tu te mets en quatre pour te marier, et je sais que ceci ne sera pas du goût de Thorstein ». Gunnlaug répartit : « J'ai tout de même l'intention départir, mais je n'aurai de cesse que tu ne me secondes en ceci ». Alors Illugi partit de chez lui à cheval avec douze hommes et descendit jusqu'à Borg où Thorstein le reçut fort bien. Le lendemain de bonne heure, Illugi dit à Thorstein au cours de la conversation : « J'aurais à te parler à toi seul ». Thorstein répondit : « Montons sur la colline et nous pourrons y parler ». C'est ce qu'ils firent. Gunnlaug les suivit. Thorstein dit alors : « Gunnlaug, mon fils, m'a raconté qu'il était venu te demander ta fille Helga en mariage. Je voudrais savoir quel résultat aura cette démarche. Sa famille t'est connue ainsi que notre fortune. On n'épargnera ni les biens ni les honneurs, si cela est nécessaire ». Thorstein répondit : « Il y a une chose que je trouve à reprendre chez Gunnlaug, c'est qu'il me semble ne savoir ce qu'il veut. S'il te ressemblait de caractère, alors je ne serais pas long à me décider ». Illugi répondit : « Cela ne manquera pas de mettre fin à notre amitié à tous deux, si tu nous refuses, à mon fils et à moi, ton consentement, alors que les deux partis se valent. — A cause de ta démarche et de notre amitié », dit Thorstein, « Helga sera promise à Gunnlaug, mais non fiancée officiellement, et elle attendra trois ans. Gunnlaug va quitter l'Islande et s'instruire par l'exemple des hommes de valeur, mais je serai quitte de tout engagement- » 'il ne revient pas à cette époque là ou si ses manières ne me plaisent pas ». Sur ce ils se séparèrent. Illugi retourna chez lui et Gunnlaug se rendit au navire. Dès qu'ils eurent du vent, ils prirent le large et parvinrent avec leur navire au nord de la Norvège. Ils pénétrèrent dans le fjordh du pays de Thrandheim jusqu'à Nidaros,[3] y amarrèrent et débarquèrent.
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En ce temps-là régnaient en Norvège Eirik Jarl,[4] fils de Hakon, et son frère Svein. Eirik Jarl avait alors sa résidence à Hladhir, dans son domaine paternel. C'était un chef puissant. Skuli Thorsteinsson était alors avec le jarl, il était de sa garde et bien considéré. On raconte que Gunnlaug et Audhun Festargram se rendirent avec leurs hommes, en tout six personnes, à Hladhir. Gunnlaug était habillé d'un pourpoint gris et de chausses blanches. Il avait un furoncle au-dessous de la cheville d'où sortait du sang et du pus quand il marchait. Dans cet appareil, il se présenta devant le jarl avec Audhun et ils le saluèrent comme il faut. Le jarl connaissait Audhun et lui-demanda des nouvelles d'Islande. Audhun dit ce qui était. Le jarl demanda à Gunnlaug qui il était. Celui-ci dit son nom et sa famille. Le jarl dit alors : « Skuli Thorsteinsson, qui est cet homme en Islande ? — Sire, » répondit celui-ci « recevez-le bien, il est le fils d'un des meilleurs hommes d'Islande, Illugi le noir de Gilsbakki, qui est mon frère adoptif ». Le jarl lui dit : » Qu'as-tu à ton pied. Islandais ? — Un furoncle, sire. — Et cependant tu marches sans boiter » dit le jarl. Gunnlaug répondit : « On ne doit pas boiter tant qu'on a les deux jambes de même longueur ». Alors l'un des gardes du jarl, qui s'appelait Thorir, s'écria : « Il a l'air de faire bien le malin, cet Islandais. Il serait bon qu'on le mît quelque peu à l'épreuve ». Gunnlaug le toisa et dit :
Des gardes il en est un
Qui n’est qu'un vilain.
Défiez-vous en.
Il est jaloux et méchant.
Thorir allait se saisir de sa hache. « Reste tranquille », dit le jarl « des hommes dignes de ce nom ne doivent pas faire attention à ce genre de choses. Quel âge as-tu donc. Islandais ? » Gunnlaug répondit « Je viens d'avoir dix-huit hivers. — Je me permettrai de dire », fit le jarl, « que tu ne vivras pas dix-huit autres hivers ». Gunnlaug dit, et cela plutôt bas : « Ne fais pas de vœux pour moi, fais en plutôt pour toi ». Le jarl dit : « Que viens tu de dire, Islandais ? » Gunnlaug répondit : « Ce qui me semblait s'imposer, à savoir que tu ne fisses pas de vœux pour moi m.ais plutôt pour toi-même qui en as bien besoin. — Et pourquoi donc ? » dit le jarl — « Pour que tu n'aies pas la même mort que ton père le jarl Hakon ». Le jarl devint rouge comme sang et demanda qu'on s'emparât sur le champ du malotru. Alors Skuli s'avança devant le jarl et lui dit : « Ecoute mes paroles, sire, et fais grâce à cet homme, qu'il s'en aille sur le champ ». Le jarl s'écria : « Qu'il disparaisse sur le champ, s'il veut être épargné, et qu'il ne revienne jamais plus tard dans mes Etats ». Alors Skuli descendit avec Gunnlaug au port. Il y avait là le bateau pour l'Angleterre qui était prêt à partir et Skuli prit passage pour Gunnlaug et Thorkell son parent. Gunnlaug confia en dépôt à Audhun son navire et tout ce qu'il ne pouvait pas emporter avec lui. Là-dessus Gunnlaug et son parent firent voile sur la mer du Nord et arrivèrent en automne au sud, à Londonbridge, où ils tirèrent leur navire à terre.
Le roi Adalradh, fils de Jatgeir, régnait en ce temps-là en Angleterre. C'était un bon souverain. Il résidait cet hiver-là dans le château de Londres. Gunnlaug se rendit aussitôt auprès du roi et le salua avec respect. Le roi demanda de quel pays il était. Gunnlaug le lui dit : « Et si je suis venu vous trouver, sire » ajouta-t-il, « c'est que j'ai fait sur vous un poème, et je voudrais que vous l'entendiez ». Le roi accepta. Gunnlaug récita le poème bien et avec aisance. Le roi l'en remercia et lui fit cadeau d'un manteau d'écarlate, doublé de la meilleure fourrure. Gunnlaug resta l'hiver auprès du roi et fut traité avec distinction.
Une fois, le matin de bonne heure, Gunnlaug rencontra trois hommes dans une rue. Celui qui commandait s'appelait Thororm. Il était grand et fort, mauvais coucheur s'il en fut : « Northman », dit-il, « prête-moi un peu d'argent ». Gunnlaug répondit : « Il n'est guère indiqué de prêter de son argent à des inconnus ». L'autre répondit : « Je te le rendrai au jour dit ». « Risquons-le », dit Gunnlaug. Sur ce il lui prêta de l'argent. Peu de temps après, Gunnlaug rencontra le roi et lui raconta qu'il avait prêté de l'argent. Le roi répondit : « Tu n'as vraiment pas eu de chance, c'est le plus grand brigand et vilain qui soit. N'aie pas maille à partir avec lui, je te ferai verser une somme égale ». Gunnlaug répondit : « Vraiment, nous ferions piètre figure, nous autres gardes du corps, si nous ne nous en prenions qu'aux inoffensifs et si nous laissions des brigands pareils avoir barre sur nous. Non, cela ne sera pas ». Peu de temps après il retrouva Thororm et lui réclama l'argent. Celui-ci déclara qu'il ne le rendrait pas. Gunnlaug récita alors cette strophe :
Gare à toi guerrier, fils de Thor, et du fracas des armes,
tu as tort de me garder mon bien ;
tu as rusé avec moi avec le guerrier rougisseur de sabres,
sache-le, je m'appelle langue de vipère et non sans raison,
et je vois ici l’occasion d ? justifier le nom que je reçus tout jeune.
« Je vais te proposer une solution », dit Gunnlaug, « tu me rendras mon argent ou bien tu te battras en combat singulier avec moi d'ici trois jours ». Le vilain se mit à rire et dit : « Jusqu'ici personne d'autre que toi n'a osé me provoquer en combat singulier, car beaucoup s'en sont mal tirés, d'avoir eu affaire à moi, mais à cela je suis tout prêt ». Sur ce, Gunnlaug et lui se séparèrent pour cette fois. Gunnlaug dit au roi ce qui en était. Celui-ci répondit : « Te voilà engagé dans une bien mauvaise affaire. Cet homme sait rendre toute arme inoffensive. Aussi vas-tu suivre mon conseil. Voici une épée que je vais te donner. C'est avec elle que tu combattras, mais tu lui en montreras une autre ». Gunnlaug remercia beaucoup le roi. Lorsqu'ils furent prêts pour le combat, Thororm lui demanda quelle sorte d'épée il avait. Gunnlaug la lui montra et dégaina, mais il avait une boucle enserrant la poignée de l'épée qui lui avait été donnée par le roi et il avait fixé cette boucle à son bras. Le berserk,[5] voyant l'autre épée dit : « Je n'ai pas peur de cette épée là », et il porta un coup de taille à Gunnlaug, lui arrachant presque tout son bouclier. Gunnlaug aussitôt riposta avec l'épée du roi mais le berserk resta immobile sans parer, pensant que c'était là la même arme que celle qui lui avait été montrée, et Gunnlaug le toucha mortellement du coup. Le roi le remercia de son exploit qui lui valut une grande célébrité en Angleterre et loin alentour. Au printemps, lorsque la navigation reprit, Gunnlaug demanda congé au roi Adhalradh afin de naviguer un peu. Le roi lui demanda quelles étaient ses intentions. Gunnlaug répondit : « Je veux atteindre ce que je me suis proposé et promis. — Qu'il en soit ainsi, skald », répondit le roi et il lui donna un anneau d'or qui pesait six onces. « Mais tu vas me promettre », ajouta le roi, « de revenir auprès de moi l'automne prochain, parce que je ne veux pas te perdre, à cause de tes talents ».
Là-dessus Gunnlaug quitta l'Angleterre et fit voile vers le Nord avec des marchands, sur Dublin. Le roi Sigtrygg à la barbe d'argent régnait alors sur l'Irlande. Il était le fils du roi Olaf Kvaran et de la reine Kormlodh. Il ne régnait que depuis peu de temps. Gunnlaug se rendit auprès du roi et le salua dignement. Le roi le reçut comme il sied. Gunnlaug lui dit : « J'ai fait un poème sur vous et je voudrais bien que vous l'entendiez » Le roi répondit : « Personne n'a encore demandé de me réciter un poème, aussi ne manquerai-je certainement pas de l'écouter ». Gunnlaug lui récita alors une drapa.[6] Le roi le remercia et appela auprès de lui son trésorier. Il lui dit : « Comment dois-je le récompenser pour son poème ? » L'autre répondit : « Comment veux-tu donc le récompenser, sire ? » — « Est-ce bien récompensé » dit le roi, « si je lui donne deux vaisseaux de commerce ? ». Le trésorier répondit : « C'est beaucoup trop, sire. Les autres rois ne donnent aux poètes que quelque objet précieux, une épée de prix ou un anneau d'or de prix ». Le roi donna à Gunnlaug de sa propre garde-robe un habit d'écarlate tout neuf, un pourpoint avec des parements dorés, un manteau de fourrure magnifique et un anneau d'or qui pesait une once. Gunnlaug le remercia beaucoup et resta là quelque temps, puis il se rendit aux îles Orkneys.
Le jarl Sigurdh Hlodhvisson régnait alors sur les Orkneys. Il était bienveillant pour les Islandais. Gunnlaug salua le jarl comme il convenait et lui dit qu'il avait un poème à lui réciter. Le jarl déclara qu'il écouterait volontiers le poème d'un homme aussi considérable en Islande. Gunnlaug récita son poème, qui était un flokk[7] et bien composé. Le jarl lui donna une hache au manche incrusté d'argent en récompense de son poème et il l’invita à rester auprès de lui. Gunnlaug le remercia de son cadeau et de son invitation, mais déclara qu'il devait se rendre à l'Est, en Suède, et il partit là-dessus avec des marchands dont le vaisseau faisait voile pour la Norvège. Ils arrivèrent en automne à Konungahella.[8] Thorkell son parent l'accompagnait toujours. De Konungahella ils se procurèrent des guides pour monter en Vestergötland où ils arrivèrent dans la ville de Skara. Là régnait alors un jarl appelé Sigurdh et qui était déjà âgé. Gunnlang se rendit auprès de lui, le salua comme il convient et lui déclara qu'il avait composé un poème sur lui. Le jarl se déclara prêt à l'écouter avec beaucoup de bonne grâce et Gunnlaug le lui récita. C'était un flokk. Le jarl le remercia beaucoup, le récompensa amplement et lui offrit de rester l'hiver auprès de lui. Le jarl Sigurdh organisait une grande fête à la Noël. La veille de Noël des envoyés du jarl Eirik de Norvège arrivèrent au nombre de douze. Ils apportaient des présents pour le jarl Sigurdh. Le jarl les accueillit fort bien et les installa avec Gunnlaug. On s'amusa beaucoup autour de la bière. Les Gots déclaraient qu'il n'y, avait pas jarl plus grand ni plus célèbre que Sigurdh. Aux yeux des Norvégiens, le jarl Eirik semblait avoir de beaucoup l'avantage. Sur ce point l'on se disputa et l'on prit Gunnlaug pour arbitre. Gunnlaug dit alors cette strophe :
Vous dites de votre jarl :
il est le soutien de la valkyrie, la vierge à la lame d'épée.
N'a-t-il pas vu la crête des vagues de tempête,
et ses cheveux ne sont-ils pas blancs ?
Mais Eirik, cet arbre de la victoire,
a vu lui-même encore davantage de flots bleus
déferler en houle, dans l’est, contre son navire,
ce coursier des vagues.
Les uns et les autres se déclarèrent satisfaits de cette sentence, mais davantage les Norvégiens. Les envoyés s'en allèrent après la Noël avec les présents que le jarl Sigurdh envoyait au jarl Eirik. Ils racontèrent alors à Eirik comment Gunnlaug s'était prononcé. Le jarl considéra que Gunnlaug lui avait montré d'abord hardiesse et ensuite amitié et il fit proclamer que Gunnlaug aurait toute liberté de séjour et de passage dans l'étendue de son territoire. Gunnlaug apprit par la suite ce que le jarl avait proclamé. Sigurdh procura à Gunnlaug des guides pour le conduire à l'Est, en Tiundaland, en Suède, comme il l'en avait prié.
En ce temps-là régnait en Suède le roi Olaf le suédois, fils du roi Eirik le victorieux et de Sigridh la grande, fille de Skoglar-Tostki. C'était un roi puissant et célèbre, et très orgueilleux. Gunnlaug arriva à Upsal au moment du thing de printemps et ayant obtenu une audience, il alla saluer le roi. Celui-ci le reçut fort bien et lui demanda qui il était. Gunnlaug dit qu'il était d'Islande. Le roi s'écria alors : « Hrafn, qui est cet homme en Islande ? » Un hom.nie se leva des bancs de côté, grand et imposant ; il s'avança vers le roi et dit : « Sire, il est d'une des meilleures familles et lui-même un homme de la meilleure trempe. — Qu'il aille alors s'asseoir auprès de toi » dit le roi. Gunnlang dit : « J'ai un poème à vous réciter et je voudrais bien que vous daigniez y prêter l'oreille. — Va d'abord t'asseoir », répondit le roi, « je n'ai pas maintenant le loisir de m'occuper de poésie ». Ainsi fut fait.
Ils se mirent tous deux à causer. Gunnlaug et Hrafn. Chacun conta à l'autre ses randonnées. Hrafn dit que l'été précédent, il était passé de l'Islande en Norvège et au début de l'hiver en Suède. Ils furent bientôt très bien ensemble. Un jour, le thing une fois passé, ils se présentèrent tous deux devant le roi. Gunnlaug dit alors : « Sire je désirerais bien maintenant que vous entendiez ce poème. — Cela se peut maintenant », répondit le roi. « Je m'en vais réciter mon poème, sire » dit Hrafn. « Fort bien » répondit le roi. « Je voudrais réciter d'abord le mien, sire, si vous le voulez bien « reprit Gunnlaug. « C'est à moi de réciter le premier » dit Hrafn, « puisque je suis venu le premier chez vous. — Où nos pères se sont-ils jamais rencontrés en sorte que le mien ait été à la remorque du tien ? » dit Gunnlaug. « Nulle part n'est-ce pas ? Eh bien, il en sera de même pour nous deux ». — Hrafn répondit : « Soyons donc assez courtois pour ne pas nous engager là-dessus dans une dispute et laissons le roi décider ». Le roi déclara alors : « Gunnlaug récitera le premier, car il se fâchera, s'il ne fait pas ce qu'il veut ». Alors, Gunnlaug récita la drapa qu'il avait composée sur le roi Olaf et quand il eut achevé, le roi s'écria : « Hrafn, comment ce poème est-il fait ? » — « Fort bien, sire », dit Hrafn, « c'est un poème grandiloquent, informe et rude comme le caractère même de Gunnlaug. — Maintenant récite ton poème, Hrafn », dit le roi. Il le fit. Lorsqu'il eut achevé, le roi dit : « Gunnlaug, comment ce poème est-il fait ? ». Gunnlaug répondit : « Fort bien, sire, c'est là un beau poème, beau comme Hrafn lui-même et insignifiant, mais », ajouta-t-il, « pourquoi as-tu composé sur le roi un flokk ? Ne le trouvais-tu donc pas digne d'une drapa ? » Hrafn riposta : « Ne parlons plus de cela, mais ça se rattrapera au tournant, quand bien même ce ne serait qu'un peu plus tard », et ils se séparèrent sur ces mots. Peu de temps après Hrafn devint garde du roi Olaf et lui demanda congé afin de partir. Le roi le lui accorda. Lorsque Hrafn fut prêt pour son départ, il dit à Gunnlaug : « Désormais, notre amitié est finie, car tu vas me calomnier ici auprès du roi. Mais je t'infligerai bien un jour un affront qui ne sera pas moindre que celui que tu veux m'infliger ici ». Gunnlaug répondit : « Je n'ai cure de tes menaces. Jamais nous ne nous trouverons dans telle situation que je sois moins estimé que toi ». Le roi Olaf donna à Hrafn de précieux cadeaux, lors de son départ, et là-dessus il se mit en route,
Hrafn ayant quitté l'Est au printemps arriva dans le Thrandheim et arma son navire. Il partit durant l'été pour l'Islande et vint avec son navire dans la baie de Leiruvag, au pied de Heidh, Ses parents et ses amis furent heureux de le revoir. Il resta cet hiver là chez lui avec son père. L'été, à Valthing,[9] ils rencontrèrent leurs parents Skapti le procureur et Hrafn le skald. Hrafn leur dit alors : « Je désirerais votre appui pour aller demander à Thorstein Egilsson sa fille Helga en mariage. » Skapti répondit : «N'est-elle pas déjà fiancée à Gunnlaug langue de vipère ? » Hrafn reprit : « Mais le délai dont ils avaient convenu n'est-il pas passé ? Du reste, son orgueil est beaucoup trop grand pour qu'il aille s'en soucier », Skapti répondit : « Bon, faisons comme il te plaît », Là-dessus, ils se rendirent avec une nombreuse suite à la cabane de Thorstein Egilsson, qui les reçut fort bien. Skapti dit : « Hrafn, mon parent, désire demander ta fille Helga en mariage. Sa famille t'est connue ainsi que sa fortune et que sa valeur, le grand nombre de ses parents et des ses amis ». Thorstein répondit : « Elle est déjà fiancée à Gunnlaug et je tiendrai tous les engagements que j'ai conclus avec lui. » Skapti reprit : « Mais est-ce que les trois hivers ne sont pas passés, qui avaient été spécifiés entre vous ? » « Si », dit Thorstein, « mais l'été n'est pas encore passé et il peut encore revenir cet été ». Skapti répondit : « Et s'il ne vient pas de tout l'été, sur quoi pouvons-nous alors compter ? » Thorstein répondit : « Nous nous retrouverons alors l'été suivant et nous verrons ce qu'il peut y avoir à faire de mieux, mais rien ne sert d'en parler davantage cette fois-ci ». Sur ce ils se séparèrent et l'on quitta le thing pour rentrer chez soi. Ce ne fut point un secret que Hrafn avait demandé Helga en mariage. L'été qui suivit, Skapti et les siens insistèrent vivement dans leur démarche et déclarèrent que Thorstein était quitte de tout engagement avec Gunnlaug. Thorstein répondit : « Je n'ai pas beaucoup de filles dont il me faille prendre soin. Aussi désirerais-je assez qu'elles ne causent le malheur de personne. Je vais donc aller d'abord trouver Illugi le noir ». C'est ce qu'il fit. Lorsqu'il eut été le trouver, Thorstein lui dit : « Ne penses-tu pas que je sois quitte de tout engagement avec ton fils Gunnlaug ? » Illugi répondit : « Certes, il en est bien ainsi si tu le veux. Je ne puis guère ajouter grand chose ici, car je ne sais pas exactement de quoi il retourne avec Gunnlaug, mon fils ». Thorstein se rendit alors auprès de Skapti, et ils convinrent que le mariage aurait lieu à Borg lors du solstice d'hiver, si toutefois Gunnlaug ne revenait pas en Islande cet été-là, et que Thorstein serait quitte de tout engagement avec Hrafn si Gunnlaug revenait disposé à remplir ses engagements. Là-dessus on quitta le thing et revint chez soi. Gunnlaug cependant faisait toujours attendre son retour et Helga s'affligeait.
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* *
Il faut maintenant dire de Gunnlaug qu'il quitta la Suède l'été où Hrafn se mit en route pour l'Islande et qu'il reçut de beaux présents du roi Olaf le suédois lors de son départ. Le roi Adhalradh reçut Gunnlaug fort bien et il resta chez lui tout l'hiver et fut tenu en grand honneur.
En ce temps-là régnait en Danemark le roi Knudh le puissant, fils de Svein. Il venait d'entrer en possession de l'héritage de son père et menaçait continuellement de venir ravager l'Angleterre, car le roi Svein son père avait conquis un grand territoire en Angleterre avant d'y mourir. A ce moment même, une grande armée danoise s'y tenait. Elle avait pour chef Heming, fils du jarl Strut-Harald frère du jarl Sigurdh, et elle occupait pour Kundh le territoire que le roi Svein avait autrefois conquis. Au printemps, Gunnlaug demanda au roi la permission de partir. Celui-ci répondit : « Il ne te sied guère de t'éloigner de moi, quand une telle lutte se prépare en Angleterre et alors que tu es dans ma garde. — Tu en disposeras comme tu voudras », répondit Gunnlaug, « mais permets-moi de partir cet été, si les Danois ne viennent point. — Nous verrons alors », dit le roi. Or l'été se passa, ainsi que le printemps d'après et les Danois ne vinrent pas. A la mi-été le roi donna à Gunnlaug congé pour partir. Il partit alors vers l'Est, pour la Norvège, et rencontra le jarl Eirik à Hladhir dans le Thrandheim. Le jarl l'accueillit fort bien et lui offrit de rester chez lui. Gunnlaug le remercia de cette invitation, mais dit qu'il voulait cependant rentrer d'abord en Islande pour épouser sa fiancée. Le jarl dit : « Tous les navires armés pour l'Islande sont déjà partis à présent ». Alors un de ses gardes dit : « Il y avait Hallfredh Vandradha skald qui mouillait encore hier à Agdhanes ». Le jarl répondit : « Cela se peut, il y a cinq jours qu'il a pris la mer ». Le jarl Eirik fit alors conduire Gunnlang auprès de Hallfredh qui le reçut avec joie. Ils eurent vent favorable presque aussitôt après, et ils en furent bien aise. Or ceci se passait vers la fin de l'été. Hallfredh dit à Gunnlaug : « As-tu appris que Hrafn fils d'Onund a demandé la main de Helga, la belle ? » Gunnlaug répondit qu'il l'avait appris par ouï dire. Hallfredh lui dit ce qu'il savait et il ajouta que bien des gens pensaient que Hrafn n'était point inférieur à Gunnlaug. Gunnlaug récita alors une strophe : » Tu aurais bien besoin, camarade », dit Hallfredh, de te débrouiller avec Hrafn mieux que je ne le fis moi-même il y a cinq ans. J'arrivais avec mon navire dans la baie de Leirvag. au bas de Heidh. Je devais à l'un des métayers de Hrafn un demi marc d'argent et je le lui retenais. Mais Hrafn s'en vint à nous avec soixante cavaliers, coupa nos amarres, et le navire partit en dérive et alla donner sur les bas-fonds, de telle sorte que nous faillîmes faire naufrage. Je dus alors me rendre à la merci de Hrafn et verser un marc. Voilà ce que j'ai à raconter sur lui ». Ils se mirent alors à parler de Helga et Hallfredh loua beaucoup sa beauté. Gunnlaug récita alors cette strophe :
Il ne sera pas facile
au farouche héros qui brandit l'épée.
cette foudre de Thund,
de gagner la femme, cette déesse
aux habits de lin.
Car cette île de l'or,
cette femme et moi, nous jouâmes,
lorsque nous étions jeunes,
dans les bras l’un de l’autre.
« Voilà qui est joliment dit, » déclara Hallfredh. Ils prirent terre au Nord, près de Melrakkaslétta, à Hraunhofn.
Il était un homme qui s'appelait Thordh, et qui était fils d'un propriétaire de Slètta. Il venait se battre à la lutte avec les marchands et mal leur en prenait. La même chose se produisit avec Gunnlaug. La nuit qui précéda, Thordh pria Thor de lui donner la victoire, et le jour venu, lorsqu'ils se rencontrèrent, ils se mirent à lutter. Gunnlaug fit perdre pied à Thordh et celui-ci tomba de toute sa masse, mais le pied de Gunnlaug se démit et il tomba lui aussi avec Thordh. Alors Thordh lui dit : « Il se peut qu'en autre chose aussi cela n'aille pas mieux pour toi. — Quoi donc ? » demanda Gunnlaug. — « Dans ton affaire avec Hrafn, s'il obtient Helga la belle, lors du solstice. C'est que j'y étais moi, à Valthing, quand ce fut décidé. » Gunnlaug ne répondit rien. On lui pansa le pied, après l'avoir remboîté, mais il enfla beaucoup. Lui et Hallfredh se mirent en route, douze hommes en tout, et arrivèrent à cheval à Gilsbakki dans le Borgarfjordh le samedi soir même où le mariage était célébré à Borg. Illugi fut heureux de revoir Gunnlaug, son fils, ainsi que ceux qui l'accompagnaient. Gunnlaug déclara vouloir aussitôt descendre jusqu'à Borg. Illugi le lui déconseilla et tous furent du même avis, à l'exception de Gunnlaug. Mais Gunnlaug était immobilisé à cause de son pied, bien qu'il n'en laissât rien paraître et ainsi l'expédition n'eut pas lieu. Hallfredh s'en retourna à cheval chez lui à Hredhuvatn dans le Nordhardal où son frère Galti. un homme valeureux, administrait leurs biens.
*
* *
Il faut maintenant dire en ce qui concerne Hrafn qu'il était à son mariage à Borg et plus d'un a raconté que la jeune mariés était plutôt mélancolique. On dit avec raison qu'amour de jeunesse entête longtemps. Et c'est ce qui se réalisa pour Helga. L'événement inattendu qui se produisit à cette noce fut que Hungerdh, la fille de Thorodd et de Jofridh, fut demandée en mariage par Sverting, le fils de Hafr-Björn, fils de Molda-Gnup. Il fut décidé que la noce aurait lieu en hiver, après la Noël, à Skaney où habitait Thorkell, un parent de Hungerdh, fils de Thorfi Valbrandsson. La mère de Thorfi était Thorodda, sœur de Tungu Odd.
Hrafn retourna chez lui avec Helga sa femme, et ils y étaient depuis peu de temps, lorsqu'un matin, à l'heure du lever, Helga s'éveilla tandis que Hrafn dormait. Il avait l'air agité dans son sommeil. Lorsqu'il s'éveilla à son tour, Helga lui demanda ce qu'il avait rêvé. Hrafn récita alors cette strophe :
Je me suis vu tout meurtri dans les bras,
ô femme semblable à une île d'or,
el la couche, ô mon épouse,
était rougie de mon sang ;
el toi, coupe divine de Njörun,
tu étais impuissante à panser mes blessures.
Et ceci n'est pas pour consoler Hrafn,
ô fille douce comme la feuille du tilleul.
Helga déclara : « Cela, je n'en pleurerais jamais, car vous m'avez trompée d'une manière infâme et Gunnlaug est peut être revenu en Islande ». Et Helga se mit à pleurer beaucoup. Peu après, le bruit se répandit de l'arrivée de Gunnlaug. Helga se fit alors si rebelle à Hrafn, qu'il ne put la garder chez lui et qu'ils durent s'en retourner à Borg, où Hrafn ne put guère jouir beaucoup de leur vie commune.
C'est alors que tout le monde se prépara pour les fêtes de l'hiver. Thorkell de Skaney invita Illugi le noir et son fils. Tandis qu' Illugi se préparait à partir, Gunnlaug restait assis dans la salle sans se préparer. Illugi alla à lui et lui dit : « Pourquoi ne te prépares-tu pas à partir, mon fils ? » — Gunnlaug répondit : « Je n'ai pas l'intention d'y aller ». Illugi dit alors : « Si, mon fils, tu iras certainement, ne te laisse pas accabler comme cela, et ne languis point après une femme ; fais comme si de lien n'était et sans doute jamais les femmes ne te manqueront ». Gunnlaug fit comme son père lui avait dit et ils arrivèrent à la noce. Illugi et son fils furent installés à l'une des places d'honneur et en face d'eux à l'autre place d'honneur Thorstein Egilsson, son gendre Hrafn et les parents du marié. Les femmes étaient placées sur le pall,[10] et Helga la Belle était assise la première à côté de la mariée. Elle fixait souvent les yeux sur Gunnlaug, et l'on vit se réaliser ce dicton que chez la femme les yeux ne peuvent dissimuler si elle est éprise d'un homme. Gunnlaug était bien habillé en la circonstance, il avait revêtu le bel habit que le roi Sigtrygg lui avait donné, et il semblait l'emporter de beaucoup sur les autres hommes, à la fois par sa force, sa beauté et sa taille. La joie ne fut pas bien grande à cette noce. Le jour du départ, les femmes se mirent à aller et venir pour préparer le retour. Gunnlaug alla parler à Helga et ils parlèrent longtemps. C'est alors que Gunnlaug récita cette strophe :
La langue de vipère n'a plus connu
un seul jour de joie nous le ciel,
depuis qu' Helga la belle a pris le nom de Hrafn.
Ton père, ce blond héros tempétueux.
n'a guère eu garde de ma langue.
et il a marié, pour de l’argent,
sa jeune fille, pareille a la divine Eir.
Et il récita encore ensuite celle-ci :
Enivrante beauté de Freya, hélas !
c'est à ton père qu'il me faut en vouloir surtout.
ainsi qu'à ta mère, ô femme qui ravis au poète sa joie,
pour avoir tous deux créé en toi une image
aussi belle qu'une broderie de la déesse Bil.
Tiens, prends ce cadeau que voici, chef-d'œuvre de l'homme et de la femme.
Et Gunnlaug remit à Helga le manteau qu'il avait reçu en présent du roi Adhalradh et qui était un cadeau des plus précieux. Gunnlaug sortit ensuite et les chevaux furent amenés et sellés, dont beaucoup étaient très beaux et harnachés d'or. Gunnlaug sauta sur le dos d'un de ces chevaux et se mit à galoper dans la cour vers l'endroit où se tenait Hrafn et Hrafn dut reculer pour l'éviter.
Gunnlaug dit : « Ce n'est pas la peine de te reculer, Hratn, car tu n'as rien à craindre de moi cette fois-ci, mais ta conscience te dit donc ce que tu as mérité ». Hrafn répondit par cette strophe :
Guerrier pareil au glaive d'Ull,
brave qui fais la gloire de Saga, la déesse des armées,
il ne nous sied ni à l’un ni à l’autre
de rompre entre nous pour une femme.
Il y a, farouche guerrier, tant d'autres femmes
nobles, au sud de cette mer.
Je te le dis moi, en homme bien renseigné,
et qui a dirigé un navire sur les mers.
Gunnlaug répondit : « Il se peut qu'il y en ait beaucoup, mais il ne me semble pas à moi ». A ce moment Illugi et Thorstein se précipitèrent et empêchèrent qu'ils en vinssent aux mains. Gunnlaug dit alors cette strophe :
On l’a donnée, celle femme au teint éblouissant
comme l’or sur le bras de la déesse Eir,
on l’a donnée, pour de l’argent, à Hrafn, dont on dit qu'il est mon égal et en rien inférieur à moi,
tandis que le très brave Adhalradh, me gardant pour le vacarme des armes,
retardait mon retour.
Aussi suis-je moins avide de parler ».
Sur ce, chacun partit de son côté et l'hiver fut calme et sans incident. Hrafn ne retirait plus aucune joie de la vie commune avec Helga, depuis qu'elle et Gunnlaug s'étaient rencontrés.
Au cours de l'été, les gens se rendirent au thing avec leurs suites : Illugi le noir et ses fils, Gunnlaug et Hermund, Thorstein Egilsson et Kollsvein, son fils, Onund de Mosfell et tous ses fils, Sverting Bjarnasson. Skapti avait encore en ce temps Hi le poste de juge. Un jour au thing, différentes personnes s'étant rendues avec leurs suites au Mont de Justice, une fois que l'on eut fini de régler les litiges, Gunnlaug demanda la parole et dit : « Hrafn Onundarson est-il ici ? » Celui-ci répondit : « Présent ». Gunnlaug langue de vipère dit alors : « Tu sais bien que tu m'as pris ma fiancée et que tu m'as montré de l'inimitié.C'estpourquoi je t'offrirai ici même, à l'occasion du thing, un combat singulier dans trois jours, dans l'île de l'Oxara ». Hrafn répondit : « Voilà une offre à laquelle je pouvais m'attendre de ta part, mais j'y suis tout disposé et aussitôt que tu voudras ». Ce projet déplut beaucoup aux familles de part et d'autre, mais en ce temps-là la loi permettait de provoquer en combat singulier quiconque vous avait fait du tort. Lorsque trois nuits se furent écoulées, on se prépara pour le combat Illugi le noir suivit son fils jusque dans l'île avec beaucoup d'hommes de sa suite et Skapti le juge suivit Hrafn ainsi que son père et ses autres parents. Avant de commencer le combat. Gunnlaug dit cette strophe :
Me voici prêt à entrer dans le champ clos.
le glaive nu à la main,
Dieu donne de la chance au poète
et fasse que je fende la tête bouclée
de l’amant d'Helga,
et qu'avec mon épée scintillante
je détache du corps la fêle du misérable !
Hrafn répondit en récitant ceci :
Poète, tu ne sais qui de nous deux
se réjouira de la victoire.
Les épées qui impriment les blessures sont tirées,
la lame est prèle à entailler les membres.
Veuve et solitaire, la jeune femme,
parure des parures,
même si je suis blessé à mort,
entendra louer l’intrépidité du héros.
Hermund tint le bouclier de Gunnlaug son frère, et Sverting Hati-Bjarnarson celui de Hrafn. C'était avec trois marcs d'argent que devait se racheter du combat celui qui se trouverait blessé. Hrafn avait à frapper le premier, puisqu'il avait été provoqué, et il frappa, atteignant le bouclier de Gunnlaug à sa partie supérieure. Son épée se brisa aussitôt sous la poignée, car le coup avait été porté avec beaucoup de force. La lame se redressa, fichée qu'elle était dans le bouclier et vint porter sur la joue de Gunnlaug, qui en reçut une blessure, mais moins que rien. Les pères s'élancèrent aussitôt pour les séparer ainsi que beaucoup d'autres personnes. Gunnlaug dit alors : « Je déclare que Hrafn est vaincu, puisqu'il est sans arme. — Et moi je déclare que tu es vaincu », dit Hrafn, « puisque tu as été blessé » Gunnlaug devint alors furieux et s'emporta, disant que ceci n'était pas prouvé. lUugi son père dit alors qu'ils ne le prouveraient pas davantage cette fois. Gunnlaug répondit : « Je voudrais que nous deux Hrafn, nous nous rencontrions une autre fois, et que tu fusses trop loin, mon père, pour nous séparer », Sur ce, on se sépara pour cette fois, et chacun retourna à sa cabane. Le lendemain, il fut mis dans la loi que désormais personne n'aurait le droit de se battre en combat singulier et ceci fut fait sur le conseil des hommes les plus sages qui se trouvaient présents. Et ceux-ci étaient les hommes les plus sages de tout le pays. C'est ainsi que le dernier combat singulier, qui eut lieu en Islande fut celui où Hrafn et Gunnlaug furent aux prises.
Un matin, alors que les deux frères Hermund et Gunnlaug allaient à la rivière Oxara tout seuls, sur l'autre rive s'avancèrent plusieurs femmes, et Helga la Belle était dans leur troupe. Hermund dit alors : « Vois-tu Helga, ton amie, que voilà de l'autre côté de l'eau ? » Gunnlaug répondit : « Certes je la vois », et il récita, la strophe que voici :
Elle est née cette femme
pour mettre la discorde entre les hommes.
Le farouche héros Hrafn en a été cause,
car moi aussi je désirais ardemment posséder Helga,
cet arbre de la richesse.
Peu me sert maintenant de jeter le regard
sur cette déesse resplendissante comme le cygne,
car cela brûle mes yeux noirs.
Ensuite, ils traversèrent la rivière et Gunnlaug parla avec Helga un instant. Lorsqu'ils repassèrent la rivière, Helga resta là à suivre longtemps Gunnlaug du regard. Gunnlaug, regardant alors derrière lui, de l'autre côté de la rivière, récita cette strophe :
Semblable à la lune sous ses sourcils,
l'œil de la femme parée de lin
comme la déesse Hrisl,
cet œil perçant comme celui du sacre,
m'a regardé du haut de son front lumineux comme le ciel.
Mais l'éclat des paupières de cette Fridh parée d'or,
au travers desquelles on croirait voir briller le clair de lune,
ne fera que provoquer notre malheur à moi et à elle,
qui est pareille à Hlin, la déesse aux anneaux.
Tout ceci s'étant passé, on s'en retourna du thing chacun chez soi, et Gunnlaug resta chez lui à Gilsbakki. Un matin, il se réveilla lorsque tout le monde était déjà levé, sauf lui. Il restait à reposer dans l'alcôve, quand douze hommes entrèrent dans la chambre, armés de pied en cap. C'était Hrafn Onundarson. Gunnlaug s'élança aussitôt et sauta sur ses armes. Hrafn lui dit alors : « Tu n'as rien à craindre. L'affaire qui m'amène, la voici. Ecoute, tu m'as provoqué en combat singulier cet été au thing, et tu penses que ce combat n'a rien prouvé. Eh bien je vais te proposer que nous partions tous deux d'Islande, que nous passions en Norvège cet été et que nous nous y battions. Là-bas, il n'y aura pas de parents pour nous arrêter. — Voilà qui est parlé en brave » répondit Gunnlaug. « Ces conditions-là, je les accepterai volontiers, et si tu veux rester ici, Hrafn, tu auras tout ce que tu désireras ». Hrafn répondit : « Merci pour cette bonne invitation, mais nous voulons repartir sur le champ ». Sur ce ils se séparèrent. Ce projet parut des plus mauvais aux familles de part et d'autre et cependant elles ne firent rien elles-mêmes pour éviter ce malheur. Aussi les choses se passèrent comme elles devaient se passer.
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Il faut maintenant dire de Hrafn qu'il arma son navire dans la baie de Leiruvag. On rapporte que deux personnes partirent avec Hrafn, les neveux d'Onund son père. L'un s'appelait Grim, l'autre Olaf et ils étaient tous deux des hommes de valeur. Toute la famille de Hrafn fut fort affligée de le voir partir mais il déclara que s'il avait provoqué Gunnlaug en combat singulier, c'est qu'il n'avait aucun plaisir à avoir Helga. « Il faut, » ajouta-t-il, « que l'un des deux tombe sous les coups de l'autre ». Ensuite Hrafn fit voile dès qu'ils eurent du vent et arriva avec son navire dans le fjord du Thrandheim et y resta l'hiver. Il fut sans nouvelles de Gunnlaug cet hiver là et l'attendit l'été, puis resta un second hiver dans le pays de Thrandheim, à l'endroit qui s'appelle Lifang.[11]
Gunnlaug langue de vipère prit le parti de s'embarquer avec Hallfredh Vandrœdhaskald qui demeurait dans le Nord à Slétta. Ils furent très longs à être prêts. Ils prirent ensuite la mer, dès qu'ils eurent du vent, et arrivèrent aux îles Orkneys peu avant l'hiver. Le jarl Sigurdh Hlodhvisson régnait alors sur les îles, et Gunnlaug se rendit auprès de lui. Il y resta l'hiver et fut bien traité par le jarl. Au printemps le jarl fit ses préparatifs pour partir en expédition guerrière. Gunnlaug partit avec lui. Ils ravagèrent en été les îles Sudli et les fjordhs d'Ecosse au loin à la ronde et soutinrent maints combats. Gunnlaug se révéla, partout où ils allèrent, le garçon le plus brave, le plus audacieux et le guerrier le plus éprouvé. Le jarl Sigurdh s'en revint chez lui, au début de l'été, et Gunnlaug s'embarqua sur un navire de marchands qui faisaient voile vers la Norvège. Il quitta le jarl dans la plus grande amitié, Gunnlaug se rendit au Sud dans le pays de Thrandheim pour y trouver le jarl Eirik à Hladhir, et il y fut au début de l'hiver. Le jarl le reçut fort bien et l'invita à rester chez lui, ce qu'il accepta. Le jarl avait appris auparavant de quoi il retournait, et il dit à Gunnlaug qu'il lui interdisait de se battre sur son territoire. Gunnlaug déclara qu'il avait en effet le droit d'en décider ainsi. Gunnlaug resta là tout l'hiver et il fut tout le temps taciturne. Au printemps, Gunnlaug se promenait dehors, un jour, avec son parent Thorkell. Ils s'écartèrent de la ferme et trouvèrent sur le pré devant eux un cercle d'hommes rassemblés et à l'intérieur de ce cercle, il y avait deux hommes en armes qui faisaient semblant de se battre. L'un se disait Hrafn, l'autre Gunnlaug. Ceux qui regardaient disaient que les Islandais ne frappaient pas très fort et n'étaient pas pressés de se rappeler leurs engagements. Gunnlaug trouva que tout cela contenait beaucoup de moquerie et qu'il s'était attiré là pas mal de sarcasmes, et il s'éloigna sans rien dire. Peu de temps après, Gunnlaug dit au jarl qu'il n'avait pas envie de supporter plus longtemps les sarcasmes et les moqueries des hommes de sa garde au sujet de son différend avec Hrafn et il lui demanda de le faire conduire jusqu'à Lifang. Or on avait auparavant rapporté au jarl que Hrafn venait de quitter Lifang et était parti pour la Suède. C'est pourquoi il permit à Gunnlaug de partir et lui fournit deux guides pour le voyage.
Gunnlaug partit alors avec six hommes de Hladhir à Lifang. Le jour même où il y parvenait vers le soir, Hrafn en était parti le matin. Gunnlaug. partit aussitôt pour le Veradal et arriva le soir encore à l'endroit où Hrafn venait de passer la nuit. Gunnlaug poursuivit sa route jusqu'à ce qu'il fût parvenu à la ferme le plus haut située du Veradal et qui s'appelait Sul. Hrafn avait quitté Sul le matin même. Gunnlaug ne s'arrêta pas. Il continua aussitôt sa marche durant la nuit et le lendemain, au lever du soleil, ils s'aperçurent l'un l'autre. Hrafn était parvenu à un endroit où il y a deux étangs et entre les étangs s'étalent des prairies qui s'appellent les prairies de Gleipnes. Dans les eaux de l'un de ces étangs s'avance un promontoire qui s'appelle Dinganes. C'est sur ce promontoire que Hrafn et ses hommes s'étaient installés pour se reposer. Ils étaient cinq en tout et parmi eux se trouvaient Grim et Olaf, parents de Hrafn. Lorsqu'ils se rencontrèrent, Gunnlaug dit : « Il est bon que nous nous soyons retrouvés ». Hrafn répliqua qu'il n'y voyait rien à redire et il ajouta : « Maintenant, choisis les conditions que tu voudras, à savoir si nous devons nous battre tous ensemble, autant que nous sommes, en nombre égal de part et d'autre, ou seulement nous deux ». Gunnlaug répondit que cela lui était égal. Alors Grim et Olaf déclarèrent qu'ils ne voulaient pas rester à regarder tandis qu'eux se battraient. Thorkell le noir, le parent de Gunnlaug dit la même chose. Alors Gunnlaug dit aux hommes que le jarl lui avait donnés pour l'accompagner : « Vous resterez à nous regarder, afin de pouvoir raconter quelle fut notre rencontre ». C'est ce qu'ils firent.
Ensuite, ils en vinrent aux prises et tous se battirent avec acharnement. Grim et Olaf s'attaquèrent à Gunnlaug seul, mais le résultat fut qu'il les tua tous deux et ne reçut pas une blessure. C'est ce qu'affirme Thordh Kolbeinsson dans un poème qu'il a composé sur Gunnlaug langue de vipère.
Pendant ce temps Hrafn et Thorkell le noir étaient aux prises. Thorkell tomba et perdit la vie. De la même façon finirent également les autres compagnons de Gunnlaug et de Hrafn. La lutte commença alors entre eux deux et ce fut un combat ardent, où ils s'attaquèrent avec acharnement, à grand renfort de coups et par de continuels assauts l'un contre l'autre. Gunnlaug avait l'épée que le roi Adhalradh lui avait donnée et qui était une arme excellente. A la fin, Gunnlaug porta à Hrafn un grand coup de taille et lui trancha un pied. Hrafn ne tomba point cependant et alla s'appuyer à une souche et s'y soutint. Gunnlaug lui dit alors : « Tu es désormais hors de combat, et je ne veux plus me battre avec un homme mutilé. — Oui, » dit Hrafn, « le destin m'a durement frappé, et pourtant, je pourrais tenir encore, si je pouvais avoir de quoi boire. » Gunnlaug lui dit : « Ne me prends pas par traîtrise, si je t'apporte de l'eau dans mon casque ». Hrafn répondit : « Non, je ne te prendrai pas par traîtrise ». Gunnlaug se rendit alors jusqu'à un ruisseau, y puisa de l'eau dans son casque et l'apporta à Hrafn. Celui-ci prit le casque de la main gauche, mais de la droite il frappa Gunnlaug à la tête et lui fit une énorme blessure. Gunnlaug dit alors : « Tu m'as bien vilement pris en traître et tu as agi là malhonnêtement, alors que moi, j'avais confiance en toi », Hrafn répondit : « Oui, c'est vrai, mais c'a été plus fort que moi, je n'ai pu supporter que tu prennes Helga la Belle dans ton étreinte ». Et ils se précipitèrent à nouveau l'un sur l'autre avec acharnement. Finalement Gunnlaug l'emporta sur Hrafn et Hrafn y perdit la vie. Alors les guides prêtés par le jarl s'avancèrent et pansèrent la blessure que Gunnlaug portait à la tête. Pendant ce temps-là, restant assis, il récita cette strophe :
Hrafn, cet excellent guerrier,
cet aquilon de l’épée,
s'est dressé toujours contre nous
dans le tumulte des armes.
Guerriers aux bras chargés d'anneaux,
vous fûtes témoins de la pluie de fer
qui fit rage ce malin autour de Gunnlaug
sur l’âpre promontoire de Dinga.
Ensuite ils prirent soin des morts et emportèrent Gunnlaug sur son cheval et parvinrent avec lui jusqu'à Lifang. Il y passa trois nuits, reçut tous les soins d'un prêtre, rendit le dernier soupir et fut enterré près de l'église. Tout le monde pensa que c'était grand dommage pour l'un comme pour l'autre, quand on apprit les circonstances de leur mort.
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L'été, avant que la nouvelle de l'événement fût parvenue jusqu'ici en Islande, Illugi le noir eut un rêve. Il était chez lui, à Gilsbakki. Il lui semblait voir Gunnlaug s'approcher de lui dans son sommeil et il était tout sanglant. Il lui récita une strophe qu' Illugi se rappela à son réveil et qu'il récita ensuite à d'autres.
Il arriva la même nuit à Mosfell qu'Onund rêva, Hrafn venait à lui tout couvert de sang et lui récitait cette strophe :
L’épée était rouge et le guerrier
pareil au dieu Rognir me blessa durement de l’épée.
L’épée destructrice de boucliers
fut éprouvée contre les boucliers.
Des corbeaux sanglants, je crois,
planaient au-dessus de ma tête.
Il fut donné aux avides rapaces
de patauger dans les flots de mon sang.
L'été qui suivit, au thing, Illugi le noir dit à Onund sur le Mont de Justice : « Quelle indemnité veux-tu me payer pour mon fils que ton fils Hrafn a tué par traîtrise ? » Onund répondit : « Il me semble que je devrais être le dernier à payer une indemnité pour lui, car j'ai eu assez à souffrir de leur rencontre. Aussi ne t'offrirai-je aucune indemnité à cause de mon fils ». Illugi reprit : « On te rattrapera au tournant, sur un de ta famille ou de tes clients ». Après le thing d'été, Illugi fut tout le temps très triste.
On apprit en automne qu' Illugi était parti à cheval de Gilsbakki avec trente hommes et qu'il était arrivé le matin de bonne heure à Mosfell. Onund s'était rendu à l'église avec ses fils, mais Illugi s'empara de deux de ses parents, qui s'appelaient l'un Bjôrn et l'autre Thorgrim. Il fit égorger Björn et fit trancher les pieds à Thorgrim. Cela fait, il s'en retourna chez lui et aucune réclamation n'eut lieu de la part d'Onund.
Hermund fils d' Illugi fut fort affligé de la mort de son frère Gunnlaug. Il ne voulait pas croire qu'on l'eût vengé, bien que cela eût été fait. Il y avait un homme qui s'appelait Hrafn et était le neveu d'Onund de Mosfell. C'était un marchand important qui possédait un navire dans le Hrutafjordh. Au printemps donc Hermund Illugason partit à cheval de chez lui, tout seul, par la lande qui s'appelle Holtavörduheidh et poursuivit son chemin vers le Nord jusqu'au Hrutafjordh et jusqu'à Bordheyr où était le navire du marchand en question. Beaucoup de marchands s'y trouvaient alors installés. Hrafn le capitaine était à terre et beaucoup de gens étaient chez lui. Hermund se rendit chez lui, le transperça de son javelot et repartit aussitôt à cheval. Les compagnons de Hrafn en furent tous si stupéfaits qu'ils ne pensèrent pas à courir sus à Hermund. Aucune indemnité ne fut versée pour ce meurtre. Avec lui se termina le litige entre Illugi le noir et Onund de Mosfell.
Thorstein, fils d'Egil, maria Helga, sa fille, quelque temps après, avec un homme qui s'appelait Thorkell et était fils de Hallkell. Il habitait là-bas dans le Hraundal et Helga alla habiter avec lui, mais lui n'en retira que peu de joie, car jamais elle ne put oublier Gunnlaug, bien qu'il fût mort. Cependant Thorkell était un homme fort valeureux, riche en biens et bon skald. Ils eurent des enfants qui furent même assez nombreux. Ils eurent des fils qui s'appelèrent Thorarm et Thorstein et plusieurs autres enfants. La seule joie de Helga consistait à déplier le manteau qu'elle avait reçu en cadeau de Gunnlaug et qu'elle restait longtemps à contempler. Une fois, une grande épidémie vint frapper la ferme de Thorkell et de Helga. Beaucoup en souffrirent et pendant longtemps. Helga l'attrapa, elle aussi, mais malgré cela, elle ne s'alita pas. Un samedi soir qu'elle était assise auprès du feu, la tête sur les genoux de Thorkell, son mari, elle envoya chercher le manteau de Gunnlaug. Lorsqu'on le lui eut apporté, elle se redressa, le déploya devant elle et le contempla un instant. Ensuite, elle retomba sur les genoux de son mari et expira.
Helga fut transportée à l'église et Thorkell resta seul. Tout le monde pensa, comme il fallait s'y attendre, que la mort de Helga était une grande perte. Là se termine aussi cette histoire.
[1] Assemblée des hommes libres d'un canton.
[2] Chaque homme libre avait une petite cabane près de l'endroit où se tenait l'assemblée.
[3] La Throndhjem actuelle.
[4] Le titre de jarl correspondait au titre de comte chez nous sous le régime mérovingien. Ce titre sera familier aux lecteurs de Gobineau.
[5] On appelait berserk les pirates sanguinaires, qui aimaient se livrer à des boucheries.
[6] Poème solennel, d'un mètre fort compliqué.
[7] Poème moins solennel et d'une composition moins difficile que la drapa.
[8] Aujourd'hui, Kungalv sur la rive occidentale du Gôtaalv (Suède).
[9] Assemblée générale.
[10] Le pall était un banc qui courait le long du mur et était réservé aux femmes.
[11] Aujourd'hui : Levanger.