Meyer,
Maurice
Études sur le théâtre latin.
Paris : Dezobry : E. Magdeleine, 1847
IV
LES ESCLAVES.
Je
ne me propose pas de refaire ou de compléter les ouvrages nombreux et
remarquables qui ont été écrits sur l'esclavage ancien. Une telle matière,
outre qu'elle serait au-dessus de mes forces, n'aurait ici ni sa place
véritable, ni le mérite de la nouveauté et romprait certainement l'ensemble
des Études que je viens de réunir. D'ailleurs, après les livres remarquables
de M. de Saint-Paul en France (1), et de M. Blair en
Angleterre (2), les deux traités modernes qui me
paraissent les plus neufs et les plus complets sur cette question, il eût été
téméraire de vouloir les imiter sans les copier, il serait difficile de faire
mieux ou davantage : j'ai dû nécessairement tenter de faire autrement. Le
cadre que je me suis tracé comprenait, non pas la philosophie de la servitude
ancienne, mais sa mise en scène. Au lieu d'étudier l'esclavage dans sa vie
générale, dans son origine, dans ses conséquences, j'ai voulu, j'ai dû
examiner l'esclave au sein de la famille, dans ses rapports de chaque jour avec
ses maîtres, dans ses heures de joie et de malheur, l'esclave en déshabillé,
si je puis dire, l'homme enfin plutôt que le principe. La comédie romaine, où
j'en dois chercher les situations et les exemples divers, m'indiquait tout
naturellement ce chemin de traverse dans cette large voie de la servitude
antique, et je me suis hâté de le choisir comme plus commode pour moi et plus
convenable pour mon sujet.
Moschus, dans une de ses idylles intitulée l'Amour fugitif, a parodié avec
grâce ces annonces par lesquelles on offrait une récompense à qui trouverait
un esclave en fuite. Vénus, travestie en crieur public, y dit :
« Si quelqu'un aperçoit par les carrefours l'Amour errant, c'est mon esclave
fugitif : le dénonciateur recevra une récompense. Le prix sera un baiser de
Cypris; mais si tu le ramènes, ô étranger ! tu n'auras pas seulement le
baiser, tu recevras quelque chose de plus. L'enfant est en tout point
remarquable : tu le distinguerais entre vingt autres. Sa peau n'est pas blanche;
elle ressemble au feu; ses yeux sont terribles et ardents; avec des pensers
méchants, il a le parler doux... Tu verras un très petit arc avec une flèche.
Il a aussi sur le dos un petit carquois d'or fort petit, etc, »
Nous avons là tout le signalement de l'Amour retracé avec une délicatesse
qu'Apulée a cherché à imiter, dans ses Métamorphoses, en racontant la
fuite de Psyché. Mais ce qui manque aux deux copies, c'est l'aspect craintif et
fatigué; c'est le trouble du fugitif, c'est la marque honteuse de ses fers, les
stigmates des verges qui ont sillonné son dos et que Moschus remplace mal ici
par le carquois d'or. Tout cela est bien brillant pour un esclave, ou plutôt ce
n'est plus un esclave. L'idylle a ôté sa vérité au sujet en l'embellissant,
et l'on pourrait dire, comme des pastorales de Florian, qu'il y manque le loup.
En effet, l'esclave n'était pas autre chose qu'une machine à étrivières, une
statue de coups de fouets, verberea statua, comme dit Plaute, qu'un être
dégradé par les supplices ou les vils travaux et qui n'offrait guère de
ressemblance avec les riantes images de tout-à-l'heure. Ce même Apulée qui
nous raconte avec agrément cette charmante allégorie où Mercure s'en va
partout, au nom de Vénus, criant comme un héraut « si quelqu'un peut arrêter
dans sa fuite ou découvrir dans sa cachette une esclave de Vénus, esclave
fugitive, fille d'un roi, nommée Psyché » (3),
Apulée nous a donné le revers du tableau. Nous lui devons le récit de la
réalité à côté de la fiction. Il décrit ailleurs un moulin avec des
couleurs d'une effrayante vivacité (4).
« Ceux qui l'habitent ce sont des hommes, des ombres d'hommes plutôt , dont
toute la peau porte la pâleur livide qui vient des coups; leur dos sillonné
par les plaies est, non pas couvert, mais à peine voilé d'une méchante
guenille déchirée partout... tous sont vêtus de tuniques qui laissent voir
leurs corps à travers leurs lambeaux, ils sont marqués au front, la tête à
demi-rasée, l'anneau au pied. »
Voilà le véritable esclave romain quand il est au moulin, c'est-à-dire au
supplice. Mais ce n'est là qu'un côté de cette face curieuse, c'est le plus
sombre, et il devait déplaire à la muse comique. Les comédies de Plaute et de
Térence citent souvent, sans y insister, cette série de châtiments qu'on
infligeait à l'esclave, mais jamais elles ne nous ont donné le spectacle dont
Apulée a si fortement frappé notre imagination. C'eût été tomber dans la
tragédie d'abord et, de plus, c'était risquer de donner trop d'importance à
ce qui semblait une habitude sociale et non une cruauté. Dans toutes les
comédies qui nous restent, on ne met même jamais en scène l'esclave au moment
où il fuit, à moins qu'il n'en soit question dans ce prologue de l'Heautontimorumenos,
où Térence accuse Luscius Lanuvinus d'avoir montré au théâtre un esclave
qui court à toutes jambes.. Il est plus probable que là, comme ailleurs, il
n'est parlé que d'un serviteur pressé d'apporter quelque nouvelle importante.
J'observe même que, dans le Poenulus de Plaute, l'esclave Syncérastus
citant tous les gens méprisables qui se rencontrent dans l'obscur repaire du
prostitueur Leloup, son maître, compte parmi eux un esclave fugitif (5),
sans ajouter d'autres détails, et je conclus que le répertoire comique des
Romains n'a pas fait de la fuite un des mille épisodes de leur vie scénique,
et a eu soin de ne pas choisir ses principaux personnages dans cette classe
infime.
C'est de l'esclave sur place, attaché toujours au logis, quelquefois aux
intérêts de son maître, que la comédie latine s'est uniquement occupée.
C'est lui qui, dans la vie romaine, était l'auxiliaire le plus habituel, le
plus actif, le plus goguenard ou le plus fripon des passions de ceux qu'il
servait. C'est un personnage pour nous : il doit aider à nous expliquer les
vices de la jeunesse romaine, parce que le plus souvent il les entretient et en
vit. Pour les Romains, c'est une utilité indispensable. Placé, comme le
parasite, entre les pères hargneux et les fils dissipés, auxiliaire des uns et
des autres, associé le plus souvent aux faiblesses des mères pour leurs
enfants, il jette un intérêt piquant, une lumière vive ou réjouissante sur
l'intérieur discret des familles libres. C'est assez dire que le plus
ordinairement il s'agira de l'esclave de la ville, et rarement du campagnard.
Celui-ci est relégué au fond des terres : machine animée, instrumenturn
vocale, plus propre au labour que le boeuf, le cheval et le chien, appelés
par Varron machines demi-muettes, instrumentum semi-mutum, et que la
charrue et le hoyau, machines absolument muettes, instrumentum mutum (6),
il attendra , dans une obscurité misérable et laborieuse, que la vieillesse
arrive avec l'impuissance et les maladies, et que le père de famille, comme le
recommande Caton , le vende avec les vieux boeufs, les animaux chétifs, les
vieux chars et les vieilles ferrures. Pour celui-ci les jours sont à peu près
tous les mêmes, monotones, affligés, rarement égayés par quelques orgies
grossières, par une fête rustique ou un voyage à la ville. Pour l'autre, au
contraire, les heures de joie sont plus nombreuses, la vie est plus variée, il
porte avec je ne sais quel stoïcisme insouciant le fardeau de son sort, et il
se fait goûter à force d'esprit, de courage et de bonne humeur. C'est donc lui
surtout, l'esclave citadin né le plus habituellement dans la maison de ses
maîtres, Verna, que la comédie latine a mis en scène. C'est là que
nous l'allons chercher.
AMPHITRYON
Dans l'Amphitryon, Sosie le peureux, Sosie soumis et désobéissant tout à la fois, rompu aux malheurs de l'esclavage et en murmurant cependant tout bas, Sosie a-t-il un caractère d'esclave bien net et savamment tracé?ASINAIRE
Imitons-le
et passons. Dans l'Asinaire, le tableau est plus franchement tracé.
C'est de la bonne et sincère fourberie d'esclave, c’est la représentation du
plus grand nombre d'entre eux. C'est l'histoire de deux valets fripons qui
s'entendent avec un père et son fils pour voler la maîtresse de la maison au
profit des fredaines paternelles et filiales. Une fois maîtres de la somme
convoitée, ils se jouent de leurs deux complices, et ne la leur livrent qu'en
échange de quelques concessions humiliantes. Cette donnée, qui est si
fréquente dans toute la comédie grecque et latine, est un témoignage de
l'influence des esclaves au sein des familles. Si, dans l'antiquité, la vie
conjugale n'avait pas été faite de deux parts entièrement distinctes, l'une
toute extérieure pour le hommes, l'autre toute claustrale pour les femmes, la
première mêlée, désordonnée, livrée à tous les hasards du dehors, à la
renommée ou au vice, la seconde soustraite aux moindres vicissitudes et vouée
à l'ordre; si enfin l'égalité moderne avait régné entre les époux, le
rôle d'un intermédiaire eût perdu de son importance, et l'esclave serait
retombé au rang subalterne où nous voyons le valet de nos jours. Ce qui lui
donnait de la valeur alors, ce sont les adoucissements dont le coupable du
dehors avait besoin pour se rallier à l'innocente du dedans, c'est une
puissance qui se sert d'un ambassadeur intelligent pour entretenir ses bonnes
relations avec une puissance alliée, c'est l'indulgence qu'un fils cherche, par
cette entremise, à reconquérir auprès de son père c'est aussi, nous le
voyons ici, les ressources que les vicieux de l'Agora ou du forum veulent se
ménager dans le Gynécée pour fournir à leurs débauches et à leurs
caprices.
Dans l'Asinaire, les deux esclaves savent bien ce qu'ils valent et ils
cherchent, comme tous les esclaves, à tirer profit de leur importance. Liban,
qui ouvre la pièce avec son vieux maître Déménète, le traite avec une
arrogance peu ordinaire. Tout en le forçant à des aveux humiliants, il trouve
moyen de se railler du mariage avec une femme dotée et des peines conjugales
subies par son vieux maître. Ce n'est pas tout, il se moque même des tortures
qu'on inflige ordinairement à l'esclavage, prenant philosophiquement le temps
comme il vient et souriant un peu follement de ce qui fait trembler les autres:
LIBAN : Est-ce que tu me conduis en certain endroit où la pierre bat la pierre?
DÉMÉNÈTE : Qu'est-ce que cet endroit-là? En quelle partie du inonde le
trouve-t-on?
LIBAN : Dans les îles Batonniéres et Ferri-Crépantes, où les boeufs
écorchés se ruent sur le dos des hommes vivants.
DÉMÉNÈTE : Quel est ce lieu? où se trouve-t-il ? je ne devine pas.
LIBAN. Oui, ce lieu où gémissent les vauriens qui voudraient manger la
polente.
DÉMÉNÈTE : Ah! je comprends à la fin quel est cet endroit, Liban...
Liban désigne par les Iles Batonnières et Ferri-Crépantes les ergastules où
les esclaves subissaient les peines de la bastonnade, des verges et des fers.
Plaute a un singulier talent pour toutes ces dénominations bouffonnes dont il a
donné d'autres échantillons dans le Fanfaron, le Persan, le Charançon
et ailleurs. Cette espèce de gaîté rendue ingénieuse par la misère, ce
néologisme moqueur est un trait de moeurs qu'on retrouve partout au milieu des
classes méprisées. On aime à y avoir raison des plus cruels tourments, on les
trouve moins durs en les supportant plus longtemps, ou on oppose aux tortures et
à l'abjection une force qui se produit par des facéties de toutes sortes, par
un ricanement qui a souvent sa profondeur, et comme on a bravé les lois
sociales par toutes sortes de méfaits qu'elle n'admet pas ou par des crimes
qu'elle châtie, on s'insurge de même contre sa langue par la création d'un
langage à part qui a son esprit et quelquefois sa poésie. On pourrait trouver
à chaque page, à chaque scène de Plaute, la preuve de cette ironie contre les
maux d'un esclavage sans remède, par exemple dans ces qualifications, ces
apostrophes que les deux valets s'adressent, telles que : gymnase des houssines,
pilier des prisons, conservateur des chaînes, délice des étrivières, et tant
d'autres analogues. Aux yeux de quelques-uns, de Térence, par exemple, ces
folles échappées pouvaient paraître du cynisme ; aux yeux des autres ce n'est
que la bonne humeur de la misère qui se soulage.
Cette comédie montre, il faut le dire, une singulière union entre maîtres et
valets. Tout-à-l'heure le vieux Déménète chargeait Liban de le voler
lui-même, ou sa femme, ou Saurea l'esclave dotal de sa femme, pour trouver
vingt mines à la fin de la journée (15). Cette
fois c'est Léonidas, le camarade de Liban, qui veut faire partager à celui-ci
et à son jeune maître Argyrippe le fruit d'une heureuse capture, en retour de
celles dont ils ont profité en société avec lui :
« Puisqu'ils partagent avec moi les bonnes lippées et les parties fines, il
est juste que je partage avec eux la proie que j'ai trouvée. »
Le latin est plus significatif :
Quando mecum pariter potant, pariter scortari solent,
Hanc quidem, quam nactus praedam, pariter cum illis partiam (16).
Un des secrets de l'insolence des esclaves est là. Un inférieur est bien fort
contre ses maîtres quand il peut s'armer contre eux de si malins souvenirs,
quand entre le supérieur trop sévère et le subalterne trop hardi peut
s'élever, comme un épouvantail contre celui-là et comme un rempart pour
celui-ci, le reproche ou la mémoire d'une complicité de débauches. Cicéron,
écrivant à son frère Quintus, n'oubliera pas plus tard les précautions que
commande l'emploi familier des esclaves. Il ne lui permet d'user de l'un d'eux
dans sa vie privée, dans ses affaires particulières, qu'à la condition
expresse qu'il aura fait preuve d'une fidélité exemplaire. Il lui prescrit de
n'en user jamais dans ses affaires publiques et de s'en préserver
rigoureusement. Il ajoute : (17)
« Un esclave fidèle pourrait s'acquitter avec succès de bien des emplois que
cependant il ne faut pas lui confier, pour s'épargner les observations et le
blâme.»
Déménète et Argyrippe, dans le désordre de leurs moeurs, n'avaient pas été
aussi prévoyants.
Ces familiarités de l'esclave ne se bornent pas au partage des mêmes plaisirs.
De temps à autre, ces éclairs de dignité, d'indépendance, ce sentiment fier
de l'homme qui se redresse sous sa chaîne, se font jour au milieu des plus
joyeuses scènes. Au second acte, par exemple, quand le marchand hésite à
livrer ses vingt mines à l'esclave, lorsque la dispute s'échauffe et prend une
tournure originale produite par le faux emportement de l'esclave Léonidas et
par la sérieuse colère du bonhomme de marchand, il y a des vérités à noter,
il y a la triste réalité qui sort du fond de ces jeux plaisants. Quand le
marchand s'est écrié :
«Comment, un esclave outrager un homme libre ! »
Léonidas répond :
« Tu feras outrage aux autres et on ne te pourra rien dire! Je suis homme comme
toi. »
Tu contumeliam alteri facias, tibi non dicatur ! Tam ego homo sum quam tu.
(18)
Ce serait une matière à déclamations dans la tragédie, dans Sénèque, par
exemple. C'est dans Plaute un regard furtif sur l'abîme qui sépare le serf de
l'homme libre; maïs l'oeil se détourne vite sur de plus riants objets. Plaute
n'oublie jamais qu'il faut être comique surtout.
Philémon avait invoqué aussi, à sa manière, cette égalité de l'esclave
avec l'homme libre, dans un fragment précieux d'une comédie perdue pour nous.
Il disait avec un accent plus profond:
« Tout esclave qu'il est, son corps est le même. La nature n'a jamais fait
personne esclave; c'est la fortune qui en a subjugué, abaissé quelques-uns. »
Kn doèlow ¤sti, s‹rka t¯n aét¯n ¦xei
fæsei gŒr oédeÜs doèlow ¤gen®yh pot¡ :
² d' aï tæxh tò sÇma katedoulÅsato. (19)
Ces vers marquent une plus juste appréciation de l'esclavage, et il est peu
probable que l'auteur les eût mis dans la bouche d'un valet. En reconnaissant
l'égalité de la naissance, l'auteur y est frappé en même temps de la
différence des fortunes. Sa pensée respire un sentiment de la fatalité qui se
confirme par d'autres fragments de ses comédies. Il est difficile, quand on
envisage la constitution, les vicissitudes de la servitude antique et cette
rupture presque originelle de l'équilibre entre deux classes de la société,
de n'y pas reconnaître quelque chose de fatal, de ne pas chercher avec avidité
le moment historique où l'on reviendra à l'essai, où l'on rêvera le retour
de ce juste équilibre, jusqu'à ce qu'enfin il soit définitivement rétabli
par les moeurs et la loi nouvelles.
C'est ainsi qu'après Cicéron, qui commence déjà à s'étonner de l'émotion
que lui cause la mort de son lecteur Sosithée, quoiqu'il ne soit qu'un esclave,
Horace profitera de la fête des Saturnales et de la liberté de Décembre,
comme il dit, pour rappeler aux maîtres, par la bouche d'un esclave aussi, que
la servitude s'est déplacée, qu'elle n'est plus dans l'ergastule, mais dans
l'atrium, que, par suite, l'égalité commence entre le maître et le subalterne
et que la supériorité n'appartiendra plus qu'à la vertu (20).
Horace glisse ces vérités à la faveur de la franchise d'exception que le
calendrier romain permettait un seul jour aux esclaves; comme Plaute, il indique
plutôt qu'il ne développe d'importantes vérités, pour ramener à la fin sur
elles le voile complaisant des institutions de son temps. Les esprits ne sont
pas assez mûrs encore pour dire ou faire davantage. Horace lui-même, qui, à
la fin de sa satire, reprend si bien le ton de maître, et de maître arrogant,
n'entrevoit encore que confusément le droit dans toute sa vérité, l'avenir
avec l'égalité complète ; mais il faut déjà lui savoir gré de ces
bienfaisantes lueurs. Il n'a voulu choisir, comme dans la Satire troisième du
même livre, qu'un heureux cadre pour expliquer ou excuser ses travers aux yeux
de ses détracteurs (21), et il s'est à peine
douté de l'importance du tableau.
Dans Pétrone, Trimalcion est déjà plus humain. Là, comme dans le passage de
Philémon, le sentiment de l'égalité éclate, mais avec un degré de plus.
Trimalcion ne se résigne pas, comme le poète grec, à cette séparation que la
fatalité a mise entre les hommes ;il invoque la nature en dépit du destin et
affranchit tous ses esclaves par son testament.
« Mes amis, s'écrie-t-il, les esclaves sont des hommes comme nous. Nous avons
tous bu le même lait, et quoique la mauvaise fortune les ait réduits dans le
malheureux état où ils sont, ils demeurent nos égaux aux yeux de la nature.
»
Amici, inquit, et servi homines sunt et æque unum lactem biberunt, etiam si
illos malus Fatus oppresserit, tamen, me salvo, cito aquam liberam gustabunt (22).
Pourquoi ces généreuses pensées n'apparaissent-elles que par hasard au milieu
de ces institutions tyranniques ; pourquoi, dans Juvénal, par exemple, voit-on
encore une dame romaine, à qui on reprochait sa dureté pour un esclave ,
s'écrier : o demens ! ita servus homo est ! insensé ! l'esclave est-il
un homme ! (23) C'est que l'aristocratie, plus
fière, plus riche, plus débauchée que jamais, n'avait jamais tant pratiqué
cette règle romaine qui lui interdisait les travaux manuels, l'industrie active
et qu'elle avait tout intérêt encore à ne pas regarder comme des hommes ces
instruments complaisants qui, de tous les coins du monde, venaient contribuer au
bien-être, à la fortune de leurs despotiques bienfaiteurs, de leurs maîtres.
Plaute devait donc se borner, lui plus que tout autre, à ces indications
furtives et développer ce qu'il comprenait beaucoup mieux, l'esprit de ruse,
l'audace et les insolences de l'esclave. Ces réponses hardies, adressées par
le valet à ses patrons, justifient assez bien, ce me semble, tout ce que peut
avoir d'étrange la scène où Liban force son jeune maître à le porter sur
son dos. On se croirait presqu'à ce moment des Saturnales choisi par Horace
dans la satire citée. Un subalterne qui ose rappeler à un homme libre qu'il
est homme comme lui, un serviteur, complice des plaisirs de son jeune maître,
nous l'avons montré, et tenant en sa merci ses ressources et presque ses
amours, a bien quelque droit de faire acheter un peu cher ses complaisances, et
de se mettre, dans un moment de belle humeur, à la place de celui qu'il sert.
Cette représentation fort comique d'un patron qui se promène sur la scène,
monté, tenu en bride par son valet, qu'est-ce autre chose, après tout, qu'une
image matérielle de la réalité? Argyrippe, si naïvement humble avec sa
Philénie, si familier, si faible avec son serviteur, c'est le cheval qui subit
la selle, et prête une bouche molle et complaisante au mors. Liban ou
Léonidas, hardis avec Déménète, impérieusement dévoués à Argyrippe, les
amenant l'un et l'autre tout suppliants à leurs genoux, voilà les véritables
cavaliers, ceux qui imposent le frein et qui sont maîtres des mouvements (24).
Un autre motif encore peut justifier cette hardiesse, destinée surtout à
exciter le rire du petit peuple et à rabaisser les maîtres. Léonidas et Liban
sont moins méprisables que ne le feraient croire leurs plaisanteries. Ils sont
insolents, mais ils aiment ceux qu'ils servent. Déménète, en signalant
l'astuce de Liban, rend cette justice à son dévouement (25)
:
« Il n'y a pas d'esclave plus astucieux, plus malin, plus dangereux. Mais si
l'on veut qu'une commission soit bien faite, on n'a qu'à l'en charger, il
mourrait plutôt à la peine que de ne pas tenir ce qu'il a promis.
Moriri sese misere mavolet
Quam non perfectum reddat, quod promiserit.
Liban, quand il se prépare à combiner le grand complot qui doit sauver le
jeune couple amoureux, se montre plein d'ardeur à le servir, et se stimule par
ces paroles encourageantes (26),
« Allons, point de lenteur, secoue la paresse et appelle à ton secours ton
ancien génie d'intrigue. Tu as ton maître à sauver. Ne va pas faire comme le
commun des esclaves qui n'ont d’esprit et de finesse que pour tromper les
leurs. »
Serva herum : cave tu idem faxis alii quod servi solent,
Qui ad heri fraudationem callidum ingenium gerunt.
Léonidas, dans son vif désir de bien faire, n'exprime pas d'autres sentiments
lorsqu'il a trouvé, dans l'arrivée du marchand, la bonne aubaine qu'il épiait
(27).
Voilà comment le dévouement rendait des deux côtés, entre maîtres et
valets, la familiarité acceptable. Voilà par quels correctifs pourraient
s'expliquer, s'il en était besoin, les libertés de l'Asinaire.
À côté de ces détails, on en rencontre d'autres qui nous apprennent quelques
habitudes de la servitude. Les esclaves pouvaient distribuer leurs économies ou
pécule; Liban le dit plaisamment en voyant venir son camarade (28).
Ces ressources, lentement amassées sur leur industrie de tous les jours, sur
leur nourriture, n'étaient, entre leurs mains, qu'une sorte d'usufruit, ou
plutôt une possession fictive, dont le patron était, au fond, le maître
véritable.
C'était, comme les libertés dont nous avons parlé plus haut, une apparence de
propriété ou de droit, qu'on laissait entre leurs mains, un hochet pour leur
vanité, qu'on leur retirait à la première occasion. Ce pécule leur servait
souvent à acheter des suppléants, liberté encouragée par les chefs de
maison, parce qu'elle laissait à l'esclave, maître d'un pécule, plus de
loisir pour l'augmenter. Nous en avons un exemple ici. Léonidas, à la fin du
second acte, parle avec éloge de Stichus, son suppléant (29).
Nous en avons d'autres ailleurs. Verrès, lorsqu'il se vit obligé de restituer
à la mère du jeune Malléolus, son pupille, une partie des sommes qu'il lui
avait retenues, lui rendit, avec elles, les esclaves, leur pécule et leurs
suppléants, Vicarii (30). Horace, dans
cette satire citée déjà, où il permet un si libre langage à l'esclave, ne
manque pas de rappeler cette humiliante comparaison, qui est aussi une leçon
d'égalité :
« Si l'esclave qui obéit à un autre esclave est, comme le veulent vos usages,
son remplaçant ou son compagnon, que suis-je, moi, à votre égard? Vous me
commandez, il est vrai ; mais vous obéissez honteusement à d'autres maîtres,
et vous vous laissez conduire comme le bois mobile que dirigent des ressorts
étrangers. »
Sive vicarius est qui servo paret uti mos
Vester ait, seu conversus, tibi quid sum ego? nempe
Tu mihi qui imperitas, aliis servis miser atque
Duceris ut nervis alienis mobile lignum (31).
AULULAIRE
La
comédie de l'Aululaire met trop en évidence l'avarice du maître pour
laisser beaucoup de place aux caractères des esclaves. La scène qui s'ouvre
par des reproches qu'Euclion adresse à la vieille esclave Staphyla, témoigne
de la misérable condition, de l'abjection où étaient laissés même les plus
vieux serviteurs. Staphyla est battue par son maître, et les malédictions
suivent les mauvais traitements. « Il faut, lui dit Euclion, qu'une misérable.
de ton espèce ait ce qu'elle mérite, un sort misérable. » Il est vrai que,
comme Harpagon, le maître ici n'est si terrible que parce qu'il tremble pour
son trésor, et que sa dureté vient en grande partie de sa terreur d'avare ;
cependant, nous savons par trop d'exemples que les rigueurs envers les plus
anciens valets n'avaient pas toujours besoin de ce motif pour s'exercer.
D'ailleurs, à la fin de cette scène, Staphyla parle de se suicider par
strangulation ; c'est assez dire à quels tourments elle est en butte (32).
Dans cette pièce, le véritable rôle des inférieurs, c'était de faire
ressortir, par leur conduite ou par leurs récits, la mesquine parcimonie du
chef. Plaute n'y a pas manqué. Cuisiniers, prétendants amoureux, serviteurs ,
chacun souffre ou se plaint d'Euclion. Ce qui tranche sur ce fond rapace et
médisant, c'est la conduite de l'esclave de Lyconide, l'amant de la fille de
l'avare. Strobile, c'est son nom, est ici le représentant, l'expression de la
servitude honnête. Il arrête son jeune maître quand il va faire une faute ;
il se néglige pour le mieux servir; il dort moins pour mieux veiller sur lui;
il devine ses moindres pensées ; un ordre est à peine donné que déjà il est
rempli. Au lieu d'exciter son amour pour en profiter davantage, il le retient
sur la limite de l'excès, et le calme avec prudence, avec désintéressement (33).
Cet attachement à un jeune maître amoureux n'est pas nouveau pour nous. Nous
l'avons déjà vu dans les deux pièces précédentes. Les amants ont du bon,
ils sont généreux, ils partagent volontiers avec ceux qui les servent ; au
lieu d'arrogance, ils montrent de l'aménité; souvent même une bonhomie qui
intervertit les rôles, et fait, nous l'avons observé, un maître du
subalterne. Et puis avec eux les profits sont plus grands ; car, en amour, on
compte peu. Voilà quelle a été de tout temps la règle de ceux qui aiment, et
la cause de la sympathie, de la fidélité, qu'ils ont trouvée dans leurs
valets. Celui de Lyconide pousse sa tendresse fort loin, car il dérobe; en
faveur de son maître, la fameuse marmite qui contient le trésor d'Euclion.
Remarquons ce trait de naturel par lequel il signale son larcin :
« O Bonne Foi ! s'écrie-t-il, si je découvre cet or, je t'offrirai une cruche
de vin d'un, conge entier : oui, je n'y manquerai pas; mais je boirai ensuite
l'offrande (34).
LES BACCHIS
Les
Bacchis nous offrent deux figures d'esclaves plus fortement accusées,
Chrysale, serviteur de l'amoureux Mnésiloque, et Lydus, pédagogue de
Pystoclère, l'autre amoureux. Ici, l'étude de l'esclavage en famille, ou
plutôt de la condition intérieure des esclaves s'éclaire par un vif contraste
et nous révèle quelles profondes différences séparaient certaines classes
d'esclaves les unes des autres. L'éducation des enfants était confiée, comme
un meuble sans valeur, à la portion la moins estimée de la société, à un
esclave nommé Pédagogue. C'était l'instituteur de la maison, le pédant de la
famille, se substituant au père pour tout ce qui concernait l'enseignement et
les bons préceptes. C'était une fonction différente de celle du praeceptor,
qui était le maître d'école, ayant classe ouverte en ville, comme nous
l'apprenons par Pline (35). On peut, de nos jours,
trouver au moins étrange ce fatal partage qui laissait aux mains d'un
subordonné, de condition vile, la meilleure, la plus difficile et la plus noble
tâche, l'éducation du fils de famille. En condamnant cet usage, nous jugeons
avec des considérations modernes, nourries de christianisme; la philosophie
domine notre critique et nous ne séparons plus la morale de l'instruction qu'on
doit à l'enfant. Mais il faut dépouiller ces vues en face de l'antiquité, et
l'excuser, la justifier même en reconnaissant que ses motifs étaient bien
différents. L'instruction se bornait alors à la science du droit, de la
chicane plutôt, du calcul et à la connaissance des XII Tables. Le peu de
philosophie qui, de la Grèce, avait insensiblement pénétré dans quelques
rares maisons, se composait de dialectique et d'habiles sophismes, mais ne
s'occupait guère de morale proprement dite. L'obéissance passive du fils
envers le père, qui était la règle morale souveraine imposée aux enfants,
s'effaçait chaque jour davantage par le rapprochement que la communauté de
débauche amenait entre le pater familias et son fils. On n'obéit guère à
ceux qu'on peut condamner, et l'on perd le respect pour qui se dégrade à
plaisir. Il fallait donc, à côté des pères débauchés, une sorte de
substitut qui les représentât auprès de leurs fils, mais avec le caractère
sérieux que la loi conférait à la paternité, avec la gravité des moeurs et
du ton, la sagesse des maximes, l'austérité du devoir partout. C'était le
pédagogue qui était chargé de cette sorte de paternité intellectuelle et
morale. Mais comme un homme libre n'eût pas accepté volontiers cette situation
secondaire destinée à maintenir le lien fort relâché déjà de la discipline
des fils de familles et à représenter, après tout, un autre que lui-même,
comme d'ailleurs il eût été dangereux pour un père de voir cet auxiliaire de
sa souveraineté le supplanter au lieu de le soutenir, le rabaisser au lieu de
le faire valoir, et rompre au lieu de raffermir le frein qui retenait, encore
quelque peu la soumission filiale, il fallait de toute nécessité choisir ce
représentant parmi les esclaves. On était sûr d'être servi et non effacé,
et avec plus de chances de n'être pas trahi, on avait le droit de punir, quand
on l'était.
Les inconvénients de ce choix sont palpables : ils ont été montrés partout.
La bassesse de la condition entraîne ordinairement celle des sentiments, et on
ne devait rien apprendre de bon d'un homme qu'on méprisait le plus
ordinairement. (36) Mais la science et la bonne
conduite sont de puissants correctifs : Livius Andronicus, Térence, nous
montrent où le savoir et le talent mènent l'homme le plus obscur, et
témoignent des affections qui peuvent être la rançon de son humilité
première. Les esclaves savants, qui étaient estimés et achetés à si haut
prix dans la suite, devaient nécessairement paraître insupportables à la
plupart de leurs jeunes maîtres insouciants et inexpérimentés; et lorsqu'au
savoir ils ajoutaient, ce qui était le plus commun, le pédantisme et le ton
grondeur, ils devenaient d'excellentes figures de comédie. Plaute qui, nous le
savons, ne glisse jamais la morale que sous le couvert de la gaîté, ne devait
pas manquer de représenter le pédagogue avec son rôle. d'intérieur,
tout-à-la fois grave et ridicule. C'est un personnage curieux pour nous, c'est
presque de l'histoire, parce qu'il nous indique le point juste où était
arrivée l'éducation d'alors; ce qu'elle était (37),
et combien elle s'éloignait déjà de celle d'autrefois.
Il y a dans Aristophane une comédie qui traite aussi de l'éducation. Les Nuées
qui sont une satire du sophisme et dont le but est de substituer l'idéal du
passé aux fausses doctrines du moment, nous offrent une sorte de parallèle
entre la nouvelle et la vieille discipline, que Plaute semble avoir mis à
profit. Aristophane introduit sur la scène les deux doctrines dans la
personnification du Juste et de l'Injuste. Il est assez facile de comprendre que
le premier représente le passé. Voici ses paroles : « Je vais dire quelle
était l'ancienne éducation aux jours florissants où j'enseignais la justice
et où la modestie régnait dans les moeurs. D'abord il n'eût pas fallu qu'un
enfant fît entendre sa voix. Les jeunes gens d'un même quartier, allant chez
le maître de musique, marchaient ensemble dans les rues, nus et en bon ordre,
la neige tombât-elle comme la farine d'un tamis. Là ils s'asseyaient en
silence et on leur apprenait à chanter des hymnes; ils conservaient la grave
harmonie des airs transmis par leurs aïeux. Si quelqu'un d'eux s'avisait de
chanter d'une manière bouffonne ou avec les inflexions molles et recherchées
introduites par Phrynis, il était frappé et châtié comme ennemi des muses.
Au gymnase chacun, en se levant, devait balayer l'arène à sa place. - C'est
cette éducation qui forma les guerriers de Marathon. - En me suivant pour
guide, tu apprendras à haïr les procès, à ne pas fréquenter les bains, à
rougir des choses déshonnêtes, à t'indigner si l'on rit de ta pudeur, à te
lever devant les vieillards, à ne donner aucun chagrin à tes parents, à ne
faire rien de honteux, car tu dois être l'image de la pudeur. Tu ne contrediras
pas ton père ; tu ne riras pas de son grand âge; tu oublieras les défauts de
celui qui t'a élevé. Tu iras à l'académie te promener, sous l'ombrage des
oliviers sacrés, une couronne de joncs en fleur sur la tête, avec un sage ami
de ton âge (38). »
Plaute, moins rempli de ces riantes images, de ces leçons respectueuses et
nobles inspirées par Homère et par le ciel transparent et poétique de
l'Attique, a rappelé comme Aristophane, et, mieux que lui, a fait vivre sur le
théâtre cet oubli du respect filial, ses causes, ses effets avec une vérité
profonde, mais plus brutale, plus romaine, si je puis dire. Lydus, quand il
reproche à son élève et au père de son élève leur coupable relâchement,
parle surtout de la sévérité des châtiments qu'encourait autrefois la
moindre infraction à la discipline du labeur. L'hippodrome, la palestre, le
gymnase, la tunique du travail, et à la première faute, la peau tachetée
comme le manteau d'une nourrice, voilà quelles étaient à Rome la règle et la
rigueur primitives. Orbilius, le sévère maître d'Horace, dont Lydus semble,
être un précurseur, avait sans doute fait revivre plus tard cette bienheureuse
méthode, seulement il l'appliquait plus vigoureusement. Les reproches adressés
ici à Philoxène, père de Pistoclère, prouvent bien que le goût de la
science, le sentiment élevé de leur mission échappaient le plus ordinairement
aux chefs de famille. Philoxène, je le sais bien, essaie de guérir le
précepteur de ces excès de sévérité qui sont le travers des pédagogues, et
qui manquent leur effet, parce qu'on ne corrige les hommes que par la
modération. Ce contraste entre un père indulgent avec mesure à son fils et un
maître impitoyable ne manquerait pas d'intérêt s'il eût été développé.
Mais Plaute passe bien vite à la vraie, cause de cette mansuétude et nous fait
toucher la réalité. Les pères aiment dans leurs fils les vices qu'ils ont
aimés eux-mêmes. Dans la révolte de l'écolier contre son gouverneur, au lieu
d'une faute, ils reconnaissent une marque de courage, et c'est le maître qui
paie pour les insolences du disciple (39).
Au sein du sensualisme, organisé qui les entourait, les citoyens préféraient
s'occuper des ressources matérielles à tirer de la servitude plutôt que des
devoirs moraux qu'ils s'étaient imposés envers quelques-uns de leurs esclaves.
Varron, dans ses Satires, disait encore de son temps :
« Le soin que tu as pris pour que ton esclave boulanger sût faire du bon pain,
si tu en avais donné la douzième partie à l'étude de la philosophie, tu
serais depuis longtemps bon toi-même. Maintenant ceux qui connaissent cet
esclave veulent l'acheter pour cent mille sesterces. Mais personne, qui te
connaît, ne t'achèterait au prix d'un liard. (40)
»
On comprend maintenant pourquoi les esclaves pédagogues eurent, en général,
une autorité sitôt méconnue. Quand on cherchait à faire valoir ses
serviteurs comme des terres productives, à la manière de Caton et de Crassus ;
quand on tirait bénefice même de la barbe qu'on leur faisait couper
solennellement (41), on ne devait guère se
préoccuper à la longue de ceux qui n'avaient qu'un emploi intellectuel et à
peu près stérile. Cet usage, nous le savons, n'offrait que de rares exceptions
alors. C'est lorsque la littérature fut quelque choie dans l'État, quand, par
goût des lettres grecques ou par vanité, on voulut s'attacher des serviteurs
savants ; c'est alors seulement que ce qui était l'exception devint ta règle.
Otez à Lydus son pédantisme gourmé, vous aurez un esclave complaisant et
familier, vous aurez Chrysale. C'est le même dévouement, mais compris et
pratiqué d'une autre manière. Chrysale est aussi aimé que Lydus est importun,
parce que les vicieux aiment mieux les services que les leçons, et que la bonne
humeur est déjà à elle seule une marque d'indulgence dont ils ont besoin.
Mascarille de l’Etourdi, Scapin des Fourberies de Scapin, La
Branche de Crispin rival de son maître, sont des copies de Chrysale et de
quelques autres valets de la même famille qui figurent dans les comédies de
Plaute. Mais j'ai moins de confiance dans l'imitation que dans le modèle, parce
que l'esclavage n'est pas de notre temps. On est pauvre et on loue ses services
et sa personne : on est riche et l'on paie un peu de soumission d'un prix trop
faible encore , mais le contrat ne lie le pauvre au riche que pour un temps
limité et volontaire. Voilà la servitude moderne ; elle a ses vicissitudes,
ses ruses et ses grandeurs comme l'esclavage antique ; mais elle ne lui
ressemble pas assez cependant pour que je loue Molière et Regnard d'avoir
calqué servilement leurs valets chrétiens sur les esclaves du paganisme.
Chrysale, comme tous les esclaves dévoués à leurs jeunes maîtres, obtient du
sien, en retour de ses services, un peu de cet attachement que les grands
seigneurs du dix-septième siècle n'auraient jamais songé à accorder à leurs
laquais, de peur de déroger. Un Rohan, par exemple, n'aurait jamais dit comme
l'amoureux Mnésiloque :
« J'obtiendrai comme une grâce de mon père qu'il ne fasse point de mal à
Chrysale et ne lui garde pas rancune d'avoir été dupé à cause de moi... Il
est juste aussi que je défende ce pauvre garçon qui n'a menti que pour m'être
utile. » (42)
Cette bienveillance reconnaissante s'explique par des motifs que nous
connaissons et par d'autres que Chrysale nous apprend. Sa morale diffère déjà
de celle de Strobile. Il est dévoué, lui aussi, mais avec calcul. Il veut la
réciprocité partout; il est partisan du talion, le bien pour le bien, le mal
pour le mal. Il prend le temps comme il vient, et se contente de toute chose.
Son programme est une curieuse profession de foi :
« Qu'on ne me parle pas des Parmenons, des Syrus, qui procurent à leurs
maîtres deux ou trois mines ! Rien de plus misérable qu'un esclave qui n'a
point de cela (se frappant le front). Il lui faut un esprit fertile qui
fournisse à tout besoin des ressources. Un homme n'a de valeur qu'autant qu'il
sait faire le bien ou le mal : fourbe avec les fourbes, voleur avec les voleurs,
qu'il rapine alors tant qu'il pourra. Il faut savoir prendre toutes sortes de
faces, pour peu qu'on ait de sens et d'esprit; bien agir avec les bons, mal avec
les méchants, s'accommoder aux circonstances. »
Ce rappel dédaigneux des esclaves d'origine grecque, comme les Parmenons et les
Syrus, serait à lui seul une preuve que Plaute n'a pas voulu emprunter ces
caractères au théâtre grec, et que là, comme ailleurs, il a été Romain (43).
Térence, qui nous a donné un Syrus et un Parmenon, sera moins scrupuleux,
moins original dans le choix de ses esclaves. La théorie de Chrysale, fort
nouvelle pour nous, a quelques rapports avec celle des valets de notre théâtre
: elle rappelle la bonne humeur, l'esprit et l'insouciance de Figaro.
S'accommoder aux circonstances, ce sera la philosophie des maîtres sous les
empereurs, de Pollion, d'Horace sous Auguste ; au sixième siècle, c'est celle
de certains es-claves seulement, comme Chrysale.
Là aussi le jeune maître est plein de compassion pour le serviteur, je l'ai
dit : mais n'y mêle-t-il pas souvent un peu d'intérêt personnel? Que
deviendraient Mnésiloque et Pistoclère sans les ressources d'esprit de
Chrysale! Il est aussi aimé que les Frontin, les Lafleur, les Mascarille, les
Scapin le seront, dans la comédie moderne, par de jeunes écervelés dont la
familiarité avec leurs valets est composée de bonhomie, de faiblesse et
d'égoïsme et qui, une fois satisfaits, rejetteront sans doute dans
l'obscurité l'instrument qui leur avait été utile. Cette bonté intéressée
est parfaitement évidente.
« Point du tout, dit Mnésiloque, mon père ne te fera pas de mal. J'ai eu de
la peine à le vaincre. A présent il faut que tu me rendes un service,
Chrysale. (44) »
Mnésiloque n'y met pas de dissimulation comme on voit. Il demande de suite et
sans détour le salaire de sa commisération. C'est un de ces traits de
caractère comme Plaute en a tracé beaucoup, avec une vérité rapide et un peu
brutale.
L'esclave, qui est un fin matois, emploie, pour rendre ce nouveau service à son
maître, ses ressources accoutumées de supercheries et de mensonges, comme le
Mascarille de l'Étourdi. Je remarque ici encore, un de ces traits d'observation
qui sont si habituels aux esclaves de Plaute. Chrysale parle de sa discrétion,
ou moment où il l'oublie:
« Je sais, dit-il, que je suis esclave : je dois ignorer même ce que je sais.
»
Scio me esse servum; nescio etiam id quod scio (45).
On ne dit pas avec plus de franchise maligne qu'on viole son devoir et qu'on le
connaît.
LES CAPTIFS
Les
Captifs sont la pièce où Plaute a
montré l'esclave sous le jour le plus favorable. C'est, comme on l'a dit, une
exception dans tout le répertoire comique des Grecs et des Latins. C'est
l'idéal de l'esclave: il faut être doué d'un dévouement peu ordinaire, comme
cet écuyer de Flaminius, qui se fit tuer au lac Trasimène pour son maître,
ou, comme ce jeune esclave qui subit, nous dit Val. Maxime, les plus cruelles
tortures plutôt que de dénoncer l'orateur Antoine; il faut porter dans la
servitude ces nobles sentiments de l'homme libre que Plaute déploya peut-être
dans la sienne, pour imaginer de faire, comme il l'a tenté ici, de l'exception
qui est l'élément de la tragédie, une vérité presque générale qui est
l'essence de la comédie, et d'un remarquable accident une pièce touchante.
Aristote, qui a écrit quelque part « le boeuf tient lieu d'esclave au pauvre (46) » a dit dans sa Poétique que les esclaves ont toujours l'âme vile
(47). Mais il ajoute qu'il faut toujours, malgré ce défaut de leur état, «
les représenter en beau. » On dirait que quelque auteur grec que Plaute n'a
pas nommé a voulu mettre le précepte en oeuvre, ou plutôt je crois que là,
comme ailleurs, le poète latin est resté indigène et a tenté de nous donner
l'histoire plus développée d'un sentiment qu'il a maintes fois indiqué
ailleurs, la peinture du dévouement dans l'oppression. Jusqu'ici nous avions
déjà vu ce que pouvait l'attachement du serf pour le patron. Ailleurs, dans
les Ménechmes par exemple, l'esclave Messénion, qui pratique par calcul
cette vertu que plus tard le Digeste érigera en obligation pour l'esclave ,
Messénion, en se voyant enlever son maître s'écrie : « Non; je ne te
laisserai pas périr, il est juste que je périsse plutôt moi-même. » Les
Captifs sont le développement dramatique de cette généreuse pensée.
Il s'agit d'un de ces fils de famille qui, enlevé dans son bas âge par un
esclave fugitif, la pire espèce des esclaves, revient à son insu dans la
maison de son père, et là, montrant sous sa livrée servile les sentiments
généreux de sa primitive condition, se dévoue pour sauver les jours et
faciliter la fuite de Philocrate, son maître. Il y a donc, plus qu'on ne l'a
dit, une vraisemblance habilement ménagée dans cette fable. Tyndare qui, comme
Plaute lui-même, est tombé par un accident inattendu de la liberté dans la
servitude, ressemble tout-à-fait à ces femmes d'origine libre que la
captivité et les malheurs ont faites courtisanes, sans leur ôter cette pureté
native et cette noblesse du sang qui, chez les Romains, ne pouvait jamais
mentir. Ainsi, à cet égard, la donnée n'est pas sans précédents dans ce
théâtre. Tyndare n'est pas dans le passé un captif de guerre, ni un serviteur
né dans la famille, verna; c'est un enfant enlevé, ses vertus
s'expliquent mieux par là. Plaute n'a pas manqué de faire contraster cette
figure avec celle de l'esclave vil. Stalagme, qui a ravi autrefois Tyndare à
ses parents, revient à la fin de la pièce, comme l'étranger dans l'Oedipe de
Sophocle, pour reconnaître la faute et comme pour marquer mieux, par sa
fourberie, la distance qui sépare l'esclave d'origine de l'esclave né libre.
Une autre objection a été faite et elle a son importance. Tyndare complote
longuement avec Philocrate son jeune maître, captif comme lui, pour seconder,
au moyen d'un changement de nom, son retour en Élide. On s'est demandé
pourquoi ces longs détours pour tromper un homme d'un aussi bon naturel que le
vieil Hégion, le possesseur des deux esclaves. Mais on n'a pas assez remarqué
que ce bon naturel se montre surtout dans l'extrême tendresse qu'Hégion garde
au fils qu'il a perdu, mais qu'il ne va pas jusqu'à permettre que les deux
esclaves qu'il a en sa possession le quittent avant le retour de cet enfant
chéri. Voici les paroles d'Hégion qui ont pu tromper certains critiques :
Filius meus illeic apud vos servit captus Alide :
Ejum si reddis mihi, praeter ea unum numum ne duis;
Et te et hunc amitam hinc : alio pacto abire non potes (48).
Oui, Hégion les renverra tous deux, mais non pas avant qu'on lui ait rendu
son Philopolème, et c'est pour arriver à un échange sûr, sans bourse
délier, sans laisser plus longtemps Philocrate loin de son pays et sans exciter
les défiances du bon Hégion, que Tyndare l'esclave se dévoue.
Le poète, qui n'oublie jamais de faire ressortir une vérité par son
contraire, a soin de semer ici les contrastes. Le correcteur parle aux deux
captifs de fuir, il se montre compatissant pour eux. (49) Il dit ailleurs « Par
ma foi ! tous les hommes préfèrent la liberté à la servitude; » (50)
paroles hardies, sympathiques, dignes d'émouvoir la Cavea et bien faites
pour donner plus de prix à l'abnégation de Tyndare. Il est regrettable que
celui-ci dans sa générosité s'érige, comme la plupart des personnages de
Plaute, en appréciateur de sa propre conduite et la fasse valoir auprès de
celui qu'il sert et qu'il juge aussi tout à le fois :
« Tu vois, dit-il, que pour sauver ta chère personne j'expose ma personne
qui m'est chère aussi et que j'en fais bon marché. La plupart des hommes sont
ainsi faits ; tant qu'ils veulent obtenir, ils sont excellents; une fois leurs
souhaits accomplis, leur vertu se changé en perfidie, en déloyauté, etc. »
Cette franchise un peu égoïste est bien romaine cette fois encore. Elle ne
connaît pas les ménagements, les allusions de la politesse moderne et même de
celle qui va venir, qui existe déjà, de la politesse de Térence et des
Scipions; elle va droit au but, elle n'exagère pas sa valeur, ne se fait ni
plus grande, ni plus humble qu'elle n'est. Le dévouement de l'esclave ici ne
s'augmente pas de celui de sa réserve ; il attend fièrement qu'on lui tienne
compte de ce qu'il est ; cela peut paraître hardi, incorrect pour nous, mais
c'est plus naturel. D'ailleurs, nous le savons, Plaute aime à entrer en
conversation avec son auditoire, à lui faire juger d'avance, plutôt que lui
laisser éprouver lentement la conduite de ses personnages. Dans son dégoût
pour l'illusion, il touche à chaque instant à la réalité, et il se complaît
à la découvrir aux autres (51). Il dit au début :
Hæc res agetur nobis, vobis fabula,
pour rappeler à la Cavea que cette fiction a un fond sérieux.
Tyndare est donc touchant malgré ces échappées hors de son rôle; ou plutôt
il y a là encore une vérité de caractère qui mérite d'être louée. Ainsi,
lorsque Hégion l'a fait garrotter pour l'avoir trompé, et le réprimande en
lui disant : « bon semeur ! bon sarcleur! » Tyndare répond insolemment : «
Pourquoi n'as-tu pas dit d'abord bon herseur? la herse précède toujours le
sarcloir dans le labourage. (52) »
Cela peut paraître d'abord une de ces facéties bouffonnes si familières à
Plaute. Quand on y réfléchit, c'est une réponse juste et parfaitement
vraisemblable. Tyndare a été esclave, il a conservé quelque chose de ce
cynisme servile qui brave, en riant, le mépris ou la douleur. Dans cet instant
éclate le sentiment de son dévouement méconnu et en même temps, à son insu,
la révolte d'un sang libre contre, un châtiment immérité : « La hardiesse,
ajoute-t-il, sied bien à un esclave innocent et sans reproche, surtout devant
son maître. »
Toute cette scène cinquième du troisième acte est d'une beauté peu
commune. L'esclave qui, sous le coup des tortures les plus cruelles, sous la
menace de la mort, se fortifie par la pensée que du moins son maître son
maître qu'il aime, est sauf, et qui s'écrie dans un moment de généreuse
exaltation :
« Qui périt pour la vertu ne meurt pas! » le serviteur qui s'enorgueillit
du mensonge , parce que ce mensonge a délivré son jeune patron Philocrate,
auprès de qui il remplaçait presque son père; qui, pour résister à Hégion,
se fait un point d'appui de son attachement consacré, fortifié par un long
commerce, et qui enfin, dans ce moment ému où la vérité des sentiments se
révèle dans toute sa force, ne doute pas de la réciprocité d'affection que
lui a vouée Philocrate, ce serviteur-là était pour les Romains, pour les
esclaves qui pouvaient se glisser par surprise dans quelque coin de
l'amphithéâtre (53), un séduisant exemple et un encouragement.
D'autre part, la conduite du jeune maître envers Tyndare est une leçon non
moins belle. Philocrate témoigne pour l'esclave qui dans son enfance lui a
été donné en pécule (54) et qui va le sauver, une reconnaissance bien
autrement élevée que celle du Mnésiloque des Bacchis et dont les
spectateurs devaient être surpris et sans doute charmés. C'était chose
nouvelle pour la plupart d'entendre un patron dire à son serviteur : « Je
t'appellerais mon père si je l'osais. Car, après mon père, tu es mon père le
plus proche (55). » Caton, malgré sa familiarité avec ses esclaves, n'avait
pas accoutumé ses contemporains à voir dans un serviteur autre chose qu'un
instrument méprisable. Caton avait enseigné lui-même les lettre,
l'équitation, le droit à son fils, ne voulant pas des soins de l'esclave
Chilon, quoiqu'il fût honnête et savant, et « ne pouvant souffrir que son
fils dût à un esclave l'insigne faveur de l'avoir élevé (56). »
Le langage de Philocrate .devait donc frapper l'auditoire. Plaute ne s'était
pas borné là; il voulait à tout prix corriger, améliorer les spectateurs, il
voulait tirer de sa comédie tout le fruit qu'il s'en promettait lorsqu'il
annonçait, en terminant, que les bons y apprenaient à devenir meilleurs, ubi
boni meliores fiunt. C'était sans doute pour cela qu'il faisait dire à
Hégion :
« Quand on fait du bien aux bons, le bienfait est fécond pour le
bienfaiteur. »
Quod bonis benefit beneficium, gratia ea gravida'st bonis (57).
et qu'il avertissait, qu'il inquiétait les mauvais patrons par cette haute
et sévère pensée qu'on n'eût point attendue de Plaute, où domine le
sentiment divin qu'on retrouvera encore dans le Rudens :Il y a un Dieu
qui voit: et entend toutes nos actions : selon que tu me traiteras ici, ce Dieu veillera sur lui dans l'Élide. Le bienfait
aura sa récompense et le mal suivra le mal. (58)
Ce langage élevé, cette philosophie inattendue seraient presque dignes des
Pères de l'Église si, là encore, l'idée du talion païen ne prédominait pas
(59). La charité est un sentiment que Plaute et ses contemporains ne
connaissaient point.
Ce qui devait toucher principalement les spectateurs et ce qui jetait sur le
généreux Tyndare un intérêt plus voisin de la tragédie que de la comédie,
c'est le récit des tourments qu'on lui inflige pour avoir trompé Hégion. Il
est conduit à une carrière, il lui faut traîner péniblement des pierres
chaque jour. La nuit on l'enchaîne. Le jour il est occupé dans des demeures
souterraines, à fendre le roc, avec un pic pour toute arme, sous les ordres
d'un affranchi. Tyndare ou plutôt le poète, quand il fait le récit de ces
travaux, n'insiste pas longuement et il a bien soin, quand il sent monter
l'émotion, de faire diversion par un détail joyeux :« A peine fus-je arrivé
dans la carrière, on me traita comme les enfants des patriciens auxquels on
donne, pour jouer, des merles, des cannetons ou des cailles; on me mit en main
ce pic pour m'amuser (60). »
Mais comme je l'ai dit déjà, les comiques latins n'insistaient pas trop sur
cette partie de la vie servile, c'était sans importance ou pouvait exciter les
larmes.
Cette pièce, s'il faut en croire la remarque de Lessing, (61) réalise, le
but de la meilleure comédie, qui est de corriger les moeurs du spectateur, de
rendre le vice odieux et la vertu aimable. Mais .comme les moeurs, ajoute-t-il,
sont trop corrompues pour employer ce moyen direct, elle peut arriver à son but
par d'autres voies, en rendant la vertu heureuse et le vice malheureux.
L'esclave honnête Tyndare, Hégion, Philocrate retrouvant tous une patrie, une
famille, une récompense, représentent la vertu heureuse. Stalagme, l'esclave
fourbe et sans pudeur, puni définitivement de son crime, personnifie le vice
malheureux. Ce but qu'on ne peut méconnaître ici-peut être la fin dernière
de quelques comédies d'exception écrites pour une société naissante ou
entièrement pervertie. Mais, il faut l'avouer à notre honte, si toutes les
comédies n'avaient pas d'autre objet, ou si elles ne tendaient à le réaliser
que par des moyens analogues, elles risqueraient de ne pas nous intéresser
longtemps ou de nous faire courir de préférence, aux jeux d'un bateleur ou
d'un ours. Plaute l'avait bien senti lui-même dans cet essai, qu'il ne fit
qu'une fois, de la comédie vertueuse. À un auditoire blasé comme le sien il
fallait autre chose encore que de la morale, et bien que, de son propre aveu, il
n'ait montré ici à, dessein ni prostitueur, ni courtisane, ni amour perfide,
il n'a pu s'empêcher de corriger la monotonie des sentiments honnêtes de sa
comédie par les saillies d'un parasite, et les nobles pensées de Tyndare
l'esclave, par les révélations du captif Aristophonte ou les effronteries de
l'esclave Stalag me. Quoiqu'en dise Lessing, ce qui plaisait dans le rôle de
celui-ci, c'était moins son châtiment que son imperturbable bonne humeur; et
la plèbe corrompue qui l'écoutait devait mieux goûter le récit insolent de
ses friponneries que s'inquiéter s'il devait aller ou non à la potence, ou
s'il la méritait. La curiosité maligne est le plus vif sentiment que le
spectateur apporte au théâtre. C'est elle que le poète habile cherche à
surprendre, à intéresser avant la morale.
CASINE
Les
hasards de l'ordre alphabétique ont mis à la suite de la comédie des Captifs
l'épisode cynique de la Casine. Un père qui veut faire épouser une
esclave par son fermier, afin d'en jouir lui-même, un fils qui la lui dispute
au moyen d'un de ses serviteurs qui la recherche en mariage pour la livrer à
son jeune maître, voilà des moeurs qui ne ressemblent en rien à celles des Captifs,
et qui par là même, il faut bien le dire, sont plus près de la réalité ou
de la vérité générale.
Dans un prologue, qui a été écrit bien longtemps après la première
représentation de la pièce, l'objection d'un mariage entre esclaves a été
prévue et combattue par des plaisanteries. C'est qu'il n'y avait pas de mariage
entre esclaves. Le Contrubernium et non le Connubium était le
seul lien qui les unissait. Ils vivaient dans une case commune, homme et femme,
donnant le jour à des enfants qui devenaient à leur tour les esclaves du même
maître (62). Ces sortes d'unions n'imposaient
guère une rigoureuse fidélité, et bien que Caton n'eût permis ces relations
à chacun de ses esclaves qu'avec la même femme, pour en tirer un profit
pécuniaire et par des motifs d'activité et d'ordre (63),
cette mesure même suffirait à prouver que d'ordinaire ce genre d'unions
n'excluait pas une sorte de polygamie. La scène qui s'ouvre par une dispute
entre les deux poursuivants de la main de Casine, entre Chalinus l'esclave du
jeune homme, et Olympion le fermier du vieux Stalinon, nous fait habilement
connaître le sujet. Olympion, parmi les invectives qu'il lance à son rival, le
menace de l'humilier en lui faisant porter le flambeau de noce devant la
nouvelle mariée (64). Cette fonction, qui en toute
autre occasion était un honneur, n'est regardée comme un affront ici que parce
que ce rôle de porte-flambeau des noces d'un rival devait être blessant pour
celui qui avait aspiré à être le marié (65).
Chalinus, l'écuyer du fils de Stalinon, quand il se trouve en lace du
vieillard, se souvient, mais un instant seulement, de la règle qu'Horace
recommandera si souvent à ses amis qui veulent se pousser à la cour « c'est
folie de faire le fâcheux avec un plus puissant que soi » (66).
Mais devant les prétentions amoureuses de Stalinon, la retenue lui échappe et
il brave le vieux maître. Ses préférences et ses respects sont pour d'autres.
Olympion, de son côté, qui s'est fait le champion de ces amours surannées,
n'est pas beaucoup plus respectueux pour celui qu'il défend. Il protège
Stalinon en se raillant de sa vieillesse, en tremblant qu'elle ne lui fasse
défaut au moment décisif. Caractère d'esclave, sceptique et goguenard; il ne
se fie pas trop en ceux qu'il soutient, il se moque de la matrone et il ne croit
guère aux dieux (67). Il ne faut pas oublier qu'il
est fermier, habitué à vivre loin de ses maîtres, et qu'il doute comme tous
les ignorants. C'est par ce ton narquois qu'il diffère de Chalinus, l'esclave
de la ville qui, attaché aux intérêts les plus touchants, ceux de la mère et
de son jeune fils, se montre pour eux plus sincèrement dévoué. La scène des
sorts, qu'on doit tirer pour savoir à qui appartiendra définitivement Casine,
met en présence avec une vérité piquante ces deux caractères d'esclaves et,
avec eux, les deux époux si diversement curieux pour nous. C'est une parodie
des comices où se tiraient au sort plusieurs fonctions publiques et les
provinces qu'on allait gouverner, et je ne doute pas qu'avec les détails qu'il
y a mêlés Plaute n'ait fait rire tous ses auditeurs. Il n'a pas manqué de
livrer là, comme ailleurs, à leur risée le nom d'esclave fugitif, d'y ajouter
même le stigmate de sa faute que le fuyard portait sur le front (68),
et de tourner en ridicule les personnages peu révérés désormais de Jupiter
et de Junon (69).
D'autres traits risibles ou ignominieux sont encore désignés ailleurs. Dans la
scène qui suit celle du désespoir de Chalinus vaincu, Olympion promet de lui
faire porter au cou la fourche des esclaves coupables. On sait que c'était là
une marque honteuse un châtiment d'esclave, c'est tout dire (70).
Olympion lui-même oubliait qu'il prêtait à rire; comme son camarade, en se
montrant sur le théâtre avec sa robe blanche. « Le voilà tout vêtu de
blanc, ce maraud, ce trésor d'étrivières » s'écrie Chalinus (71)
signalant ainsi à la foule un esclave qui prend des airs d'homme libre et se
couvre des insignes d'un mariage qu'il n'a pu contracter. Toute cette scène
huitième du second acte est une plaisanterie divertissante. Le maître
lui-même va jusqu'à embrasser son fermier, et Chalinus prétend qu'un beau
jour, lui aussi, il a été l'objet des faveurs de son vieux patron (72).
Il y a là des réminiscences licencieuses de la'comédie d'Aristophane.
C'est une débauche d'esprit dont l'intention de ridiculiser la vieillesse
amoureuse est tout ensemble le fond et l'excuse (73).
Les serviteurs de la maison ne sont pas les seuls que l'auteur a mis en regard
du vieillard pour le railler; les servantes sont aussi de la partie. Pardalisque
simule un désespoir affreux causé, dit-elle, par la folie furieuse de Casine ;
elle feint avec esprit la terreur, pour mieux jouer le benin Stalinon, et elle
va jusqu'à se faire promettre par lui des mules à la place de ses gros
souliers, et un allouait d'or au lieu de son anneau de fer pour apaiser ce
délire de Casine, qui n'existe pas (74). Il y a,
comme on l'a dit, une certaine analogie entre ce rôle d'une suivante, qui se
rit d'un vieillard par toutes sortes de mensonges, et le personnage de Lisette
dans les Folies amoureuses de Regnard. Lisette parle d'Agathe à son
vieux tuteur, comme Pardalisque de Casine à l'amoureux Stalinon. J'y remarque
cependant ces légères nuances qui viennent des moeurs de deux sociétés
différentes et qui distinguent les deux scènes. Agathe, dans sa folie, mêle
avec désordre les goûts d'un monde policé :
Elle court, elle grimpe, elle chante, elle danse;
Elle prend un habit, puis le change soudain
Avec ce qu'elle peut rencontrer sous sa main ;
Tout-à-l'heure elle a mis dans votre garde-robe
Votre large culotte et votre grande robe ;
Puis, prenant sa guitare, elle a de sa façon
Chanté différents airs en différent jargon. (75)
Son plus grand effort de furie, c'est de battre les murs avec sa tête. Elle
reste femme et française jusque dans son égarement. Casine, au dire de
Pardalisque, est moins douce, elle poursuit tout le monde une épée, deux
épées à la main, elle veut tuer son nouvel époux, le fermier, le vieux
Stalinon, et s'égorger ensuite. C'est un foudre de guerre, ou plutôt c'est une
esclave, c'est une Romaine du vie siècle qui parle.
Le caractère et la condition des femmes esclaves sont indiqués ailleurs encore
dans cette comédie. Il ne faut pas oublier que c'étaient leurs maîtresses qui
avaient seules à s'en occuper. Cléostrate a soin de le rappeler à son vieux
mari lorsqu'il se préoccupe du sort de l'esclave Casine :« Je m'étonne, par
Castor, qu'à ton âge tu ignores ce qui est du devoir. Si tu avais égard à la
justice, aux bienséances, tu me laisserais pourvoir au sort de mes esclaves. (ancillas)
; c'est mon affaire. » (76)
On trouve dans la Correspondance des femmes grecques quelques préceptes
de conduite à suivre avec les femmes esclaves. Avant d'être mariée, la fille
de condition libre n'avait pas le droit de leur commander. Après le mariage,
elle avait plus particulièrement à veiller sur elles. De la douceur, une
sévérité modérée asseyaient mieux l'autorité des matrones qu'une rigueur
sans relâche (77). La femme du vieux Caton
nourrissait de son lait les enfants de ses esclaves afin de leur inoculer de
l'affection pour son jeune fils qu'elle nourrissait en même temps. (78).
Tous ces soins ne trouvaient pas toujours des esclaves reconnaissantes, et les
maîtresses faisaient souvent des ingrates. Voyez comme Pardalisque se laisse
aller à ce goût de la médisance si dominant surtout dans la classe servile,
quand elle veut caractériser les menées de sa matrone. À l'en croire, sa
maîtresse n'est qu'une gourmande qui aime, les régals et qui veut éconduire
son mari pour mieux festoyer (79). Je remarque là
un témoignage de grande familiarité entre les matrones et leurs valets.
« Cléostrate, dit-elle, enfermée avec son mari dans son appartement, habille
l'écuyer en nouvelle mariée pour le donner à Olympion en place de Casine :
Illae autem in cubiculo armigerum ornant
Quem dent pro Casina nubtum nostro (villico).
Assurément Chalinus est un esclave né dans la maison, verna, et il faut
qu'il ait pris bien vivement à coeur les intérêts de la matrone pour mériter
et justifier ces privautés.
Tout d'ailleurs ici conspire pour donner à la femme la supériorité sur son
époux. Les conseils des esclaves à la fausse Casine au moment où elle marche
à la cérémonie nuptiale, afin qu'elle domine dans le gynécée, les humbles
permissions que le vieux Stalinon demande à Cléostrate dans tout le cours de
la pièce, la hardiesse des questions que fait l'épouse au fermier, dans cette
scène licencieuse où celui-ci raconte tout haut ses mécomptes de mari des la
première nuit des noces, le désappointement piteux du vieux patron quand il
revient, lui aussi, de cette nuit bouffonne, et tombe au milieu des railleries
de sa servante, de sa femme, de sa voisine, tout est destiné à nous donner ici
un double échantillon de la débauche coupable des époux et de l'audace
croissante de leurs femmes. Il ne faut donc pas trop nous étonner que Cecilius,
dans son Plocium, nous ait montré un vieillard se plaignant de ses
chagrins d'intérieur et de la tyrannie intolérable de sa femme qui a chassé
de la maison une esclave sur le seul soupçon qu'elle paraissait plaire à son
mari. Les impudicités des maîtres et les droits de la femme dotée donnaient
plus que jamais à celle-ci l'insolence du premier rang et tendaient peu à peu
lui en inspirer les penchants. Quant à la pièce de Casine, c'est une
spirituelle folie dont la donnée quoiqu'invraisemblable, puisque le Connubium
n'était pas permis aux esclaves, fait, au moyen de ceux-ci, saisir au vif les
travers des vieux maris et l'audace, légitime encore, de leurs vertueuses
matrones.
CISTELLARIA
Le
rôle d'esclave tient une fort petite place dans la Cistellaria.
Lampadion, le serviteur de la famille (80) n'a pas
osé faire mourir autrefois le fils que sa maîtresse l'avait chargé de tuer.
Il l'a exposé , et l'a vu enlever par une courtisane. C'est à retrouver cet
enfant, par tous les moyens, par toutes les recherches imaginables, qu'il
s'évertue en bon et dévoué serviteur. Il y parvient après de courageux
efforts. Nous avons déjà rencontré ce personnage d'esclave. Les intérêts de
sa maîtresse sont les siens. Il n'a pas besoin d'être stimulé ; le toit sous
lequel il vit c'est son toit, l'enfant qu'il veut retrouver, c'est comme un
parent pour lui. Halisca, l'esclave de la courtisane, celle qui recherche la
cassette qui doit faire reconnaître Silenie, Halisca n'occupe la scène qu'un
instant ; elle ne se fait remarquer que par cette pensée :
« Il faut qu'un secret confié de bonne foi soit gardé de même, pour qu'à
l'auteur d'un bon office ne tourne pas à mal sou en-vie de bien faire. » (81)
Les esclaves de Caton le Censeur connaissaient bien cette maxime, lorsqu'ils
répondaient sans cesse : « Je ne sais pas » à ceux qui voulaient savoir
d'eux ce que faisait leur maître (82).
CHARANÇON
Il
n'y a rien de sérieux dans la plus grande partie du rôle de l'esclave Palinure
de Charançon. L'importance du rôle secondaire est laissée ici au
Parasite qui donne son nom à la pièce et qui est allé chercher en pays
étranger la somme nécessaire aux amours de Phédrome. Cependant quelques-unes
des libertés, des facéties de Palinure méritent d'être remarquées. Aux
confidences de son maître sur ses amours, l'esclave se récrie tout d'abord, et
craint que Phédrome ne se permette quelque fredaine indigne de lui ou de sa
famille ; il tremble qu'il n'envahisse le gynécée de quelque matrone honnête
« ou qui doit l'être (83). » A part cette
épigramme, qui est tout-à-fait dans le goût de Plaute, on croirait que c'est
un serviteur de Térence qui parle. Térence ne fera qu'étendre, par
l'entremise de ses esclaves, ces belles maximes de respect pour les matrones que
Caton, nous dit Horace, prêchait à la jeunesse de son temps. Dans Plaute, ce
n'est qu'un éclair de cette morale, qu'on peut appeler judiciaire. Il ne veut
pas qu'un homme libre soit exposé, par un adultère, à être frappé
d'incapacité au premier chef : mais c'est tout. La plaisanterie viendra bien
vite se jouer à la suite de ces leçons sérieuses. Palinure se raille, avec
une audace qu'il est bon de noter, des airs épris, de toutes les banalités
sentimentales de son patron, et cela en sa présence même. Quand il mêle à
ses plaintes ces proverbes habituels à la vie Romaine : « Qui veut manger la
noix, commence par casser la coquille, » ou celui-ci : « Prends-y garde : la
flamme suit de près la fumée (84) » qu'Horace,
dans sa Lettre aux Pisons, se rappellera aussi en définissant le
procédé d'Homère, il semblé entendre Sancho Pança sermonnant Don Quichotte
et appuyant chacun de ses arguments de force sentences et adages. Ce n'est pas
tout : Palinure qui aime le vin et qui envie à la vieille servante de
l'amoureuse celui qu'elle reçoit, ne se gêne pas pour insulter l'amante de son
jeune patron:
« Vraiment effrontée avec tes yeux de chouette, il te va bien de dire que je
suis ennuyeux ! Le beau masque aviné ! sotte ! »
Quid ais? propudium ?
Tun' etiam cum nocturnis oculis, me vocas
Ebriola persolla ! nugae ! (85).
Tant de libertés reçoivent enfin leur digne prix. Phédrome, en voyant
insulter celle qu'il aime, rappelle l'esclave au sentiment de sa condition
subalterne : « Un esclave, régal des etriviéres, prendre la parole devant son
maître ! » Voilà l'équilibre romain rétabli. Mnesiloque des Bacchis
ne disait pas autrement au pédant Lydus, son précepteur. Le badinage a cessé
pour faire place à la réalité; l'esclave est battu sur la scène par celui
qu'il traitait d'égal tout-à-l'heure.
Cette comédie nous apprend encore, mais en passant et comme par hasard,
certains usages habituels aux esclaves, tels que la divination ou plutôt
l'interprétation des songes. Il est aisé de comprendre que beaucoup d'entre
eux, victimes de la guerre, du commerce ou de cette piraterie exercée sur eux,
dans les parages de la Cilicie, dans la Thrace, le Pont, ou l'Asie Mineure,
aient essayé quelquefois de se faire un pécule ou d'imposer à leurs maîtres
par l'usage de certaines prédictions auxquelles on croyait encore
généralement. Comment, d'ailleurs, dans un temps où le Télamon
d'Ennius faisait entendre sur la scène des sentences hardies sur
l'indifférence des dieux, quand certains êtres naissaient dans une
dégradation héréditaire, à côté d'autres involontairement privilégiés et
libres ; comment le sentiment de la fatalité n'eût-il pas été une croyance
chez la plupart, et, pour les plus malheureux, l'objet d'une science ou d'une
industrie? Ne soyons donc pas surpris de voir Palinure répondre, en riant, au
prostitueur qui le consulte : « Tu vois en moi un devin unique, un inspiré!
Les autres interprètes des songes viennent me consulter : mes réponses sont
pour eux des oracles. » Chez Plaute c'était la mention d'un usage et en même
temps peut-être une épigramme détournée contre ces divinateurs de profession
dont la scène s'est souvent moquée (86), ou
contre ces songes pompeux de là tragédie qui ont été parodiés aussi dans le
Fanfaron et le Marchand. Il y a une Atellane de Pomponius qui
porte le nom d'Augur et une autre celui d'Aruspex (87).
Nous savons que Dossennus faisait métier de tireur d'horoscopes, ou plutôt de
philosophe, comme il disait dans son langage prétentieux, et qu'il ne rendait
pas ses oracles gratuitement (88). Avant cette
époque , le poète Noevius avait choisi le moment de sa captivité pour écrire
une comédie, intitulée Hariolus (89), où
cette classe curieuse avait sa place, et Ennius protestait déjà dans, ses vers
expressifs contre le charlatanisme de ces savants de carrefours :
Non habeo denique nauci Marsum augurem,
Non vicanos aruspices, non de circo astrologos,
Non Iliacos conjectores, non interpretes somnium;
Non enim sunt ii arte divini, aut scientia,
Sed superstitiosi vates, impudentesque harioli,
Aut inertes, aut insani, aut quibus egestas imperat;
Qui sibi semitam non sapiunt alteri monstrant viam.
Quibu' divitias pollicentur, ab iis drachmam ipsi petunt.
De bis divitiis sibi deducant drachmam, reddant cætera. (90)
Il était donc permis aux esclaves de Plaute de les imiter ou d'en rire.
Ailleurs, le parasite, au retour de son voyage en Carie, en parlant de ceux qui
peuvent faire obstacle à sa course empressée, cite parmi ceux qui obstruent
les rues ces Grecs qui se promènent en longs manteaux, esclaves vagabonds, drapetae,
qu'on rencontre partout, et ces valets des bouffons, servi scurrarum, qui
jouent à la balle dans les carrefours (91). Je
crois qu'il faut entendre ici, par scurrae, les plaisants de profession
qui avaient, comme beaucoup d'autres, un nombreux domestique, et qu'il ne s'agit
pas, comme on l'a pensé, des habitants de la ville (92),
en opposition avec les citoyens des tribus urbaines. Le chanteur Tigellius, cet
homme si aimé des musiciennes, des mendiants, des charlatans, des parasites,
des comédiens, n'était-il pas le plus somptueux et le plus frugal des
maîtres, n'avait-il pas-à son service tantôt deux cents esclaves, tantôt dix
(93) ? C'est de ces maîtres destinés par état à
amuser les autres que Plaute a décrit ici les esclaves. Ils étaient, ils
devaient être aussi paresseux et aussi joueurs que leurs patrons.
EPIDIQUE
Mais cette fois, voici un esclave, de la famille de Chrysale, qui doit donner
son nom à la pièce, et y figurer avec la plupart des attributs ordinaires aux
serviteurs fripons. Epidique est chargé, dans la comédie de ce nom, de sauver
deux fois les folies de son jeune maître Stratippoclès , et de lui procurer de
l'argent. La donnée n'est pas neuve ; c'est un rôle de plus d'esclave attaché
à un jeune amoureux; le génie du serviteur et de l'auteur ne doit briller que
par la variété des moyens et la différence des tours.
L'exposition de la pièce est faite par l'écuyer de Stratippoclès et
Epidique, contrairement à ce qui se pratiquait pour les autres comédies, où
le prologue nous annonce le sujet. Cet écuyer, armiger, nommé
Thesprion, qui disparaît après cette première scène, était aussi un
esclave, comme Epidique. Seulement l'armiger était un esclave du dehors,
employé aux expéditions lointaines, comme Automédon, l'écuyer d'Achille ou
comme ce Spendophorus, l'écuyer de Domitien, dont Martial vante les exploits
amoureux (94). C'était ordinairement l'auxiliaire du guerrier plutôt que du
citadin. Pline nous a dit à peu près quel prix on les achetait à l'origine.
« Ainsi donc, dit-il des rossignols, on vend ces oiseaux le prix d'un
esclave et même plus cher que ne coûtait jadis un écuyer; je sais qu'un
rossignol blanc s'est vendu 6,000 sesterces (environ 1,500, francs) (95).»
Mais je doute que Stratippoclès ait acheté cet écuyer. S'il avait eu de
l'argent il l'eût gardé pour ses maîtresses plutôt que pour ses esclaves.
Thesprion est sans doute né dans la maison de son jeune maître, et ce n'est
pas un bien grand guerrier que Stratippoclès.
Les vérités qui échappent aux deux esclaves dans ce premier et piquant
dialogue sont précieuses à recueillir. Epidique promet à l'écuyer qui arrive
qu'on lui donnera le souper d'usage. C'était en effet une coutume consacrée,
et, dans le Stichus, le parasite Gelasime lui-même invitera son patron
à souper chez lui à l'occasion de son heureuse arrivée. (96) Les deux
camarades s'avouent tout haut qu'ils volent. Thesprion vante à ce sujet sa main
gauche, celle qui, chez les anciens, passait pour servir à dérober (97).
Cependant, au milieu des insultes qu'ils se prodiguent mutuellement, comme c'est
l'usage entre valets fripons, Epidique n'oublie pas que la discrétion est le
premier devoir d'un esclave. (98) Ce n'est pas la première fois que nous
surprenons cette réserve chez les esclaves babillards de Plaute.
Epidique, qui est en correspondance épistolaire avec son maître et qui l'a
chargé de lui amener quelque esclave appétissante (99), se laisse toucher de
compassion en le voyant menacer de se tuer si son valet ne lui trouve 40 mines.
Évidemment la vérité dramatique a été outrée en cet endroit, pour amuser
les spectateurs ; mais ici, comme ailleurs, l'exagération même du vrai ne sert
qu'à le mieux confirmer. Un maître qui se met ainsi à la merci d'un
serviteur, et qui provoque sa sensibilité, ne pouvant rien obtenir de sa
soumission, cela n'est pas tout-à-fait nouveau pour nous ; l'Asinaire
nous l'a déjà appris. Nous pouvons entrevoir déjà les progrès de
l'ascendant que les esclaves prendront, leur indépendance hautaine. Leur tour
ne peut manquer de venir : commerçants, ils feront un jour concurrence à leurs
patrons; patrons parvenus, ils auront leurs maîtres pour courtisans ou pour
égaux. Le temps où la République sera menacée d'être livrée aux serfs
n'est pas loin, et l'on verra plus tard les fils de patriciens servir de
cortège à un esclave enrichi (100). Epidique, chargé d'extorquer 40 mines au
vieux Périphane, se met en frais de ruses, et celle qu'il ourdit est assez
ingénieuse. L'esclave aimée et ramenée par Stratippoclès sera rachetée par
son vieux père pour que Stratippoclès ne l'affranchisse pas et n'aille pas
l'épouser, comme le bruit en court. Epidique, en fin matois, quand il donne cet
avis au vieillard, prend le ton radouci d'un esclave timide :« Si je pouvais me
permettre d'avoir plus d'esprit que vous, j'ouvrirais un avis des meilleurs. »
Si æquom siet me plus sapere quam vos, etc.
Et plus loin :
« Ce n'est pas pour mon compte ici qu'on sème et qu'on moissonne : Je ne
désire que ta satisfaction. » (101)
C'était tout à la fois habile et vrai : l'esclave devait nécessairement,
dans la constitution romaine, avoir moins d'esprit que son maître et ne
travaillait que pour le compte d'autrui.
Mais Epidique est ici plus fin que tous les autres, car il fait acheter à
Périphane deux joueuses de lyre au lieu d'une, lui soutire tout l'argent qu'il
veut, en un mot, il se joue du vieillard au point de l'amener à dire : « C'est
bien toi d'avoir mouché le nez d'un vieux roupilleur, d'un imbécile comme moi.
» (102) Enfin il donne encore un curieux échantillon de sa fourberie
audacieuse dans la scène dernière où il enjoint au vieux père de le
garrotter et de lui obéir. Un instant la peur d'un cruel châtiment lui avait
inspiré la pensée de fuir et il avait prié Stratippoclés de lui fournir
l'équipement nécessaire à cet effet (103). Mais, quand il a découvert que la
captive aimée par son jeune maître n'est autre que la fille de la maison,
celle à qui Epidique avait apporté autrefois un croissant d'or et un anneau
d'or, pour l'anniversaire de sa naissance, et qui, par son retour, va combler de
joie sa famille (104), il se décide à rester et à narguer ceux qu'il
redoutait tout-à-l'heure. Il faut le reconnaître, Plaute a donné ici, comme
ailleurs, une faiblesse, une bonhomie ridicule à la vieillesse qu'il n'aimait
guère ; il fallait toute la bénignité du rôle de Periphane pour faire
accepter l'audace de celui d'Epidique, de même que dans les Fourberies de
Scapin, où Molière s'est quelquefois souvenu d'Epidique, Scapin serait
trop effronté si Géronte n'était si ridicule.
MENECHMES
Messénion,
l'esclave de l'un des Ménechmes, remplit dans cette pièce un personnage d'une
importance différente. Ce n'est pas qu'il ne soit un esclave de distinction. On
dirait au contraire ou qu'il est lettré, ou qu'il l'est devenu à la suite de
ses nombreux voyages dans les pays qu'il a parcourus avec son maître. Il parle,
en riant, d'écrire l'histoire, pour justifier, à la manière des historiens
antiques, ses longues pérégrinations (105).
Mais un autre désir le sollicite davantage : il veut retourner dans la terre
natale et rentrer au logis commun, comme un serviteur rangé et sédentaire (106).
Son rôle offre au premier abord quelqu'analogie avec celui du pédagogue Lydus
des Bacchis. C'est Messénion qui est chargé de garder la bourse de son
maître et de pourvoir aux dépenses, c'est lui qui l'avertit des dangers qu'il
court dans une ville nouvelle, lui enfin qui, en homme expérimenté, s'évertue
à le tenir en éveil contre les manèges et l'astuce des courtisanes. Vain
effort ! comme Lydus, il est rappelé sans cessé par celui qu'il sermonne au
souvenir de sa misère et de sa condition servile. Il n'est pas écouté et sa
morale reçoit maint affront, comme toute morale qui vient de trop bas:
Messénion le constate lui-même :
« Mais tu es un impertinent, se dit-il, de prétendre régler la conduite de
ton maître. Il t'a acheté pour lui obéir et non pourlui commander. » (107)
Une fois rentré dans la vérité de sa situation, il n'a plus d'autre règle
qu'une conduite soumise, exemplaire. Dans un monologue remarquable, parce qu'il
exalte l'instinct de la conservation personnelle et fait du dévouement un moyen
intéressé plutôt qu'un devoir ou un attrait, Messénion nous donne le
programme de beaucoup de bons serviteurs romains. Penser à son dos plutôt
qu'à sa bouche, comme il dit; être un instrument passif et docile, instrumentum
vocale, comme eût dit Varron ; craindre le châtiment si l'on s'enhardit,
espérer l'affranchissement si l'on obéit ! morale de la misère et par
conséquent de l'égoïsme, morale bien digne des maîtres romains, et la seule
possible polir se mettre à l'abri de leurs rigueurs au sein des envahissements
de l'épicurisme et de l'abâtardissement des classes inférieures! Que
nous-sommes loin déjà de l'Epidique! Ce n'est pas Méssenion qui lèverait un
front insolent contre celui qui lui commande ; s'il n'y avait que des
Messénions parmi les esclaves, l'émancipation ne serait pas si prochaine.
Tyndare, dans les Captifs, était une exception unique ; c'était
l'idéal de l'esclave, mais ce qui le rendait vraisemblable c'est qu'il servait
un maître excellent. Messénion, c'est une exception aussi, mais plus commune
parce qu'elle est en regard d'un patron indifférent. Il courbe trop sa tête
pour la pouvoir relever jamais : il s'accommode trop facilement de sa chaîne
pour l'oser rompre un jour. Si Ménechme, son maître, ne la brise pas,
Méssénion la gardera paisiblement jusqu'à sa mort. Epidique au contraire,
comme Liban, comme Stalagme et Léonidas, c'est la vérité courante, c'est
l'emblème de la servitude en général; c'est de là, c'est de leur ergastule
qu'un jour sortira la liberté.
Une fois cette théorie de Messénion acceptée, on est moins touché de la
vivacité qu'il met à empêcher l'enlèvement de Mènechme au cinquième acte.
Il a beau crier : « Je ne t'abandonnerai pas, je te défendrai, je te secourrai
fidèlement, je ne souffrirai pas que tu périsses. Plutôt périr moi-même! je
le dois » ; on reconnaît dans ce défenseur l'homme qui défend son propre dos
et qui songe à son affranchissement. En effet, à peine le service est-il
rendu, Messénion demande sa libération. Il est puni tout d'abord de sa
réclamation trop hâtive par son véritable maître qui n'est pas le Ménechme
qu'a délivré l'esclave. Il devait y avoir là, au moment de ce
désappointement inattendu , un rire général dans l'auditoire. On n'est pas
fâché que le mécompte soit le prix d'une générosité si égoïste. Mais sa
bonne conduite devait finir par l'emporter, parce que ceux qui commandent
récompensent la docilité de leurs subordonnés, sans s'inquiéter des motifs ;
la pièce finit par la reconnaissance des deux frères et par l'affranchissement
de Messénion (108).
MERCATOR
Rien
de particulier dans les rôles serviles du Mercator. La belle Pasicompsa,
la seule esclave intéressante de la pièce, n'y a qu'une scène : elle n'y
montre que de l'ingénuité et de l'amour. Charin, le fils de famille, a ramené
d'un long voyage cette captive, qui lui est disputée par son père Démniphon
au moyen d'un stratagème qui fait le fond de la comédie. Les amours de Charin
l'emportent, grâce au zèle d'un ami et de l'esclave Acanthion qui lui est
dévoué.
Là encore il y a des souvenirs de pédagogie dans le rôle de l'esclave.
Acanthion avait commencé par être le gouverneur de son jeune maître et fini
par être chargé de le garder et de l'accompagner :
Servum una mittit, qui olim a puero parvolo
Mihi paedagogus fuerat, quasi uti mihi foret Custos. (109)
Une seule fois, dans tout le cours de la pièce, Acanthion semble rappeler sa
condition première, lorsqu'il parle des maux et des biens de cette vie à son
jeune maître qui lui répond qu'il n'entend rien à la philosophie. (110)
Partout ailleurs il rentre dans la catégorie des esclaves dévoués à la
jeunesse, et ses plaisanteries ressemblent à toutes les plaisanteries
d'esclave.
Il n'en est pas de même de la belle Pasicompsa. Le vieux Démiphon qui l'a vue
la trouve, dit-il, trop belle pour être, comme l'avait annoncé Acanthion, la
suivante d'une matrone. Ce qu'il fallait à une servante c'était savoir tirer
la navette, moudre, fendre du bois, filer sa toile, balayer la maison, faire la
cuisine pour tous et supporter les coups (111).
Les servantes grecques d'Andromaque et de Pénélope, les esclaves des
tragédies d'Euripide n'avaient pas d'autre tâche. Est-ce à une esclave de
cette sorte que Lucilius parlait d'appliquer mille coups de fouets en un jour? (112)
Je n'ose le croire. Mais Titinius, dans sa Gemina, semble s'adresser à
ses pareilles quand il leur prescrit de balayer la maison et d'enlever les
toiles d'araignées (113). Selon Démiphon,
Pasicompsa est trop belle pour ces rudes fonctions : dans la rue, lorsqu'elle
accompagnera sa maîtresse, elle attirera les oeillades des passants, leurs
tendres déclarations; le dur métier de servante ne convient qu'à quelque
Syrienne grossière et laide qui ne peut compromettre personne. L'enchère qui
termine la troisième scène de ce second acte est un tableau animé des luttes
suscitées par la mise à l'encan des esclaves et en même temps un témoignage
des atteintes que recevait l'autorité du pater familias quand il devenait le
rival amoureux de son fils. Nous savons par le Charançon que le prix moyen
d'une esclave de cette sorte était de trente mines (114).
Ici par galanterie pour Pasicompsa et par l'acharnement réciproque de Démiphon
et de Charin, l'enchère s'élève jusqu'à trente-sept mines. Dans l'Epidique
nous avons vu payer jusqu'à cinquante et soixante mines pour une belle esclave
(115); mais c'est l'exception.
La vieille Syra, la servante de Dorippe, est une de ces esclaves accoutumées à
la grosse besogne du logis. Elle se plaint de ses fatigues et de son grand âge
épuisé par la servitude. Mais elle n'en est pas moins restée fidèle à sa
maîtresse. Elle s'émeut pour elle des infidélités de son vieux mari (116).
Elle fait à ce sujet un retour sévère sur les rigueurs de la loi envers les
femmes, sur la sujétion que leur ont imposée les maris :
« Qu'un mari entretienne secrètement une courtisane, si sa femme vient à
l'apprendre , l'impunité lui est assurée. Qu'une femme sorte de la maison,
aille en ville secrètement, le mari lui fait son procès, elle est répudiée.
» (117)
Nous avons vu ailleurs jusqu'où pouvaient aller cette liberté du mari et sa
sévérité envers sa femme (118). La condition
subalterne des femmes a été l'objet de plaintes qui se sont perpétuées
jusqu'à nos jours. Dans le Mariage de Figaro on est frappé d'entendre
Marceline s'écrier, au moment où elle reconnaît son fils :
« Hommes plus qu'ingrats, qui flétrissez par le mépris les jouets de vos
passions, vos victimes, c'est vous qu'il faut punir des erreurs de notre
jeunesse... Dans les rangs même les plus élevés les femmes n'obtiennent de
vous qu'une considération dérisoire. Leurrées de respects apparents, dans une
servitude réelle; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour
nos fautes ! ah ! sous tous les aspects, votre conduite avec nous fait horreur
ou pitié ! » (119)
Ici du moins la plainte directe était permise. C'était d'ailleurs de la
condition des femmes en général, épouses ou filles, que Marceline, la mère
non mariée de Figaro, parlait; elle remontait jusqu'au législateur lui-même
pour lui reprocher sa rigueur et ses préférences ; la loi elle-même était
mise en cause. C'est de la liberté telle qu'on la pratiquait au XVIIIe siècle.
Après avoir violé la règle, on osait la discuter. Il n'en était pas de même
au VIe siècle de Rome. La femme, à moins d'être dotée, accepte son
infériorité. Dans une pièce d'Afranius, l'une d'elles dit hautement qu'elle
se soumet à la loi qui ne lui permet qu'un seul mari (120).
Le moment de l'enfreindre ouvertement n'est pas venu encore.
Syra, qui avait eu quelque droit de parler comme Marceline, mais pour réclamer
contre sa servitude, l'honore au contraire, comme on voit, par son attachement
pour sa maîtresse. Cette affection s'étend jusque sur le fils de la maison,
qu'elle a nourri (121), et qu'elle veut éclairer
sur les déportements apparents de son père. Son rôle se borne là : il n'est
qu'indiqué et n'offre rien de complet.
MILES GLORIOSUS
Palestrion,
du Miles Gloriosus, a toutes les qualités des serviteurs d'amoureux. Il
est tout entier voué à la fortune du jeune Pleuside et, quoiqu'il soit passé
au service du Fanfaron, c'est Pleuside, son premier maître, qu'il aime et veut
faire réussir.
Il a cependant, comme tout le monde excepté l'amant, une fort mauvaise
opinion de la maîtresse de son premier patron. « Elle est en fonds de
mensonges, de faux serments, d'impostures, en fonds de ruses, de prestiges et de
tromperies (122). » Il ne pense pas mieux des femmes en général
(123).
Qu'importe ! Pleuside l'aime, elle est au pouvoir du Fanfaron, Pleuside l'aura.
Un camarade de Palestrion a malheureusement découvert un tête-à-tête entre
les deux amants : c'en est fait de leurs amours si le Fanfaron l'apprend. C'est
ici que Palestrion doit montrer son habileté, ici que son rôle commence
véritablement.
Peut-être sa jalousie contre. son compagnon, qui a vu les amoureux,
n'est-elle pas complètement étrangère à ses calculs (124). Il y a
d'ordinaire, entre camarades .de cette sorte, plus d'envie que de bon-vouloir.
C'est là, pendant qu'il songe à quelque tour nouveau, qu'il est comparé par
Plaute au poète Naevius, captif comme lui (125). J'ait dit ailleurs. combien
cette comparaison me paraît blâmable et combien l'écrivain s'était avili en
prenant parti contre le poète. Mais, si l'on ne veut voir ici que la similitude
de situations, il y avait en effet quelque analogie entre Palestrion, forcé
d'inventer sous le regard d'un esclave malveillant et d'un maître exigeant, et
l'écrivain qui, ayant deux gardiens à ses côtés, médite péniblement sur
son châtiment et sur deux comédies nouvelles. Cette scène où
Périplectomène, l'hôte de Pleuside, a recours aux talents de Palestrion et
l'oblige à trouver quelque expédient inattendu, est animée et pittoresque par
les détails. Il y a une description des différentes attitudes de l'esclave en
méditation qui a toute la vivacité du récit de l'esclave qui, dans les
premières scènes du Rudens, décrit l'arrivée et le naufrage de deux
jeunes filles (126). Il semble qu'on assiste à toutes les anxiétés de
Palestrion, et qu'on doive partager avec lui les tourments de l'invention. Le
tableau n'est pas moins vif quand Périplectomène excite l'inventeur et cherche
par tous les moyens, par la peur des houssines, par l'imminence du péril, par
l'attrait du renom, à provoquer, à échauffer, à aiguillonner son imagination
(127). Palestrion, il faut bien le dire, a encore un autre motif de réussir par
une combinaison nouvelle, c'est son intérêt propre. Car il est l'esclave
favori, Scéledrus son camarade en fait l'aveu dans un moment de jalousie. C'est
Palestrion « qu'on appelle le premier à la pitance ; c'est à lui qu'on donne
les meilleurs morceaux. Il y a tout au plus trois ans qu'il est dans la maison
et il n'y a pas de serviteur qui y ait un service plus doux (128). » Est-il
besoin d'ajouter que Pleuside, comme le Philocrate des Captifs, se
montrera reconnaissant envers son esclave de prédilection (129) ?Toutes ses
batteries sont habilement dressées contre Scéledrus, l'esclave trop
clairvoyant qui se laisse tromper par le jeu d'une porte dérobée ou effrayer
par les menaces de l'hôte de Pleuside, et contre le Fanfaron, sot et ridicule
personnage; qui se laisse enlever sa maîtresse dans l'espoir d'être l'amant
heureux d'une femme mariée. Palestrion occupe toujours la scène et fait
mouvoir tous ces fils avec une activité sans égale. Il imagine de soudoyer une
courtisane et sa suivante, afin de les faire passer pour la femme et l'esclave
d'un homme libre et de captiver le Fanfaron jusqu'à ce qu'il se soit attiré
les mécomptes de l'adultère. En outre, Palestrion fait déguiser son jeune
maître en marin pour venir enlever celle qu'il aime au Fanfaron et dénouer la
pièce par la satisfaction des deux amants et par la punition du ridicule. Mais
ce, n'est pas là tout ce qu'il déguise. Ses ruses redoublées ne sont que la
répétition variée de celles que d'autres esclaves nous ont déjà apprises.
Elles n'en diffèrent que par le nombre et l'objet. Ce qui fait l'originalité
du rôle de Palestrion, c'est qu'il feint avec complaisance les sentiments qu'il
n'a pas et nous donne ainsi des mensonges intéressés de la servitude un
échantillon que nous n'avions pas trouvé jusqu'ici.
Écoutez-le, dans son ardeur de connaître ce qu'a vu et ce que dira le
camarade dont il est jaloux, il compte beaucoup sur l'indiscrétion de celui-ci
: «Je sais par moi-même, ajoute-t-il, ce qui en est; est-ce que je peux me
taire quand j'ai seul un secret?»
Gnovi morem egomet; tacere nequeo quæ solus scio (130);
et ailleurs, s'il se trouve avec ce compagnon de servitude, il lui
recommandera, en esclave discret, de ne pas tout dire :
Mussitabis.
Plus oportet scire servum quam loqui (131).
Apprend-il qu'il a été fait don de sa personne à la maîtresse de
Pleuside, il feint un vif chagrin de quitter le Fanfaron. Il pousse des
sanglots, il verse des pleurs ; il va, dans sa fausse douleur, jusqu'à exhorter
les esclaves, ses camarades, à vivre en paix, en concorde et à ne plus
médire, même de lui (132). Ce seraient une tendresse et une morale touchantes
si nous n'étions édifiés sur le goût de Palestrion pour ses égaux; ce
seraient des lamentations à fendre le coeur, si elles ne devaient plutôt faire
éclater un fou rire. C'est par là que cet esclave diffère des autres. Plaute
a changé ici de procédé. Ce n'est plus par quelque vérité insolente, qu'il
contredit la convention scénique et montre l'homme sous le masque; c'est par
l'exagération même de cette convention poussée jusqu'à l'hyperbole qu'il
atteint au comique. Dans d'autres pièces, les vieillards, les sots étaient
attaqués en face par des vérités cruelles et blessantes, par le cynisme du
mépris. Ici le Fanfaron est combattu par des voies moins ouvertes. C'est en
exaltant ses faiblesses que Palestrion ajoute à leur ridicule, c'est en
paraissant leur céder qu'il les châtie. Son dévouement pour Pleuside justifie
tout.
Il est à peine besoin de mentionner le personnage de Scéledrus, son
camarade. Celui-ci, c'est l'esclave méchant et poltron tout ensemble. Il doit
finir par la croix, il le sait; son père, son aïeul, son bisaïeul, son
trisaïeul, ne sont pas morts autrement (133.). Il a de qui tenir, et les vices
n'ont rien qui l'effraye. C'est lui qui du haut de l'impluvium a épié, a vu
dans la maison voisine la maîtresse du Fanfaron donner des baisers à un autre,
c'est lui qui se plaint des préférences accordées à Palestrion, lui qui
tremble quand Périplectomène menace (134), et qui, comme. Sosie et Scapin, se
gorge de vin qu'il dérobe, avec d'autres, dans la cave dont il est
malheureusement le cellérier (135). On le voit, Scéledrus ne vaut pas
Palestrion, son confrère; il est placé à côté de lui pour le mieux faire
valoir. Il n'a ni esprit ni dévouement. Il a les défauts de Palestrion sans
avoir ses qualités.
MOSTELLARIA
Le
rôle du fermier dans les pièces latines offre une particularité curieuse. Le
fermier est toujours du côté des intérêts du vieux maître, tandis que
l'esclave de la ville, urbanus, leur est le plus ordinairement hostile.
Dans Casine, celui qui doit épouser la servante pour la livrer au vieux
Stalinon, c'est Olympion, le fermier; celui qui rivalise avec lui en faveur du
fils de famille, c'est Chalinus, l'esclave de la maison. Cette préférence du
fermier s'explique par son intérêt : celui qui le paie, qu'il connaît plus
familièrement , qu'il représente aux champs (136),
c'est le Paterfamilias. Le fermier ne doit soutenir que lui. Le prologue de Casine
nous a dépeint avec vivacité les luttes et la haine qui divisaient le valet de
ville et le campagnard. C'est qu'ils n'étaient pas choisis dans la même
classe. Columelle, dans ses prescriptions agricoles, a bien soin de défendre
qu'on choisisse le villicus parmi les serviteurs citadins. Ils sont trop
joueurs, trop paresseux, trop ivrognes, trop amis du cirque et du Champ-de-Mars
pour être de bons fermiers (137). Caton avait
bien soin de ne pas prendre pour les soins des champs des serfs délicats et
efféminés, mais des hommes robustes et sobres (138).
Il n'eût point choisi, comme Horace, un de ces esclaves du dernier rang, mediastini
(139), sans emploi déterminé, habitué aux
plaisirs de la ville et dégoûté trop facilement des travaux champêtres (140).
Il ne faut donc pas s'étonner des épigrammes nombreuses que se renvoient
tour-à-tour dans plusieurs comédies les métayers et les serviteurs de ville.
Leurs intérêts et leurs situations différaient comme leurs moeurs (141).
La première scène de la Mostellaria met en présence le verna et le
villicus et reproduit les récriminations et les animosités dont il s'agit. Ici
le fermier n'est qu'un personnage protatique, c'est-à-dire qu'il est destiné
à ouvrir la pièce et à en faire l'exposition pour disparaître ensuite (142).
Il nous apprend à combien de méfaits l'esclave Tranion a entraîné son jeune
maître, et il se promet bien d'ouvrir les yeux au vieux Theuropide, son père.
« Passez, lui dit-il, passez les nuits et les jours à boire, menez la vie des
Grecs, achetez des filles pour les affranchir, nourrissez des parasites;
épuisez le marché par vos festins ! (143) »
Mais Tranion ne s'émeut pas pour si peu. Que lui font à lui ces reproches d'un
mangeur d'ail, comme il appelle le villicus? Tranion n'est-il pas placé au haut
bout de la table, n'est-il pas couvert de parfums, nourri des plus friands
morceaux (144) de pigeons, de gibier, de poissons
qu'il va acheter lui-même, comme font les maîtres (145)?
Cependant cet air trop hautain change un moment quand, au milieu des orgies et
de l'insouciance, il voit arriver le vieux Theuropide, le père de notre jeune
libertin : c'est la donnée ordinaire de toutes les comédies. L'arrivée de la
vieillesse, c'est-à-dire de la sévérité, met dans un émoi inattendu la
jeunesse, c'est-à-dire les dissipateurs et leurs esclaves; comme si ce moment
n'avait pas dû être prévu par les calculs de l'un ou de l'autre. Acanthion du
Mercator, nous l'avons vu, ne fait pas autrement quand survient. le père
de Charin. Cette imprévoyance n'a. pour but que de donner plus de prix encore
aux talents de l'esclave. On se préserve mieux du péril qu'on attendait que de
celui qui nous surprend; et l'esprit qui improvise le salut vaut mieux que celui
qui le prépare. Tranion en est donc aux expédients pour sauver les apparences
de la conduite de Philolachés aux yeux de Theuropide. Dans les premiers moments
de son anxiété, il voudrait trouver à se faire remplacer au gibet par un de
ces soldats romains qui courent à l'assaut pour trois as ; mais il se ravise et
va taire face au danger avec un sang froid remarquable. Cette présence
d'esprit, ce talent d'invention qui le rendent maître de la place et
subordonnent à l'esclave tous ceux qui l'entourent, il en est tout de suite
fier, si fier même, qu'il prend en pitié les petites gens, les faibles
auxquels il commande (146). Chrysale aussi, dans
les Bacchis, s'était rengorgé à l'occasion de ses mérites.
« Qu'on ne me parle pas, s'était-il écrié, des Parmenons, des Syrus, qui
procurent à leurs maîtres deux ou trois mines ! Rien de plus misérable qu'un
esclave qui n'a point de cela, ajoutait-il. en se frappant le front ; il lui
faut un esprit fertile qui fournisse, à tout besoin des ressources (147).
» prenant en pitié ses confrères au lieu de ses maîtres, et se targuant,
comme ici, de la fécondité de son génie.
On sait ce que Tranion invente pour tromper le vieillard. Regnard, dans le
Retour Imprévu, a imité cette fable. Merlin imagine d'arrêter Géronte à
sa porte en lui faisant peur des lutins. Tranion, le modèle de Merlin, fait
croire au vieux Theuropide que la maison a été possédée par un propriétaire
qui a tué son hôte. Celui-ci, n'ayant pas été enseveli, se plaint toutes les
nuits, et épouvante les habitants : c'est une maison maudite qu'il faut fuir.
Ce premier mensonge est suivi d'un autre. Quand 'l'usurier qui a fourni aux
prodigalités de Philolachès vient, devant le vieillard, réclamer ses avances,
Tranion lui fait croire qu'ils ont emprunté sur nantissement pour acheter une
maison. Quand Theuropide a fini par reconnaître qu'il a été leurré et
trompé, il se fâche tout d'abord; mais il ne tarde pas à s'apaiser, comme la
plupart des pères trop benins de, Plaute. Cécilius, son contemporain,
entendait par ce mot de sots vieillards de comédie les vieillards crédules,
oublieux et inconséquents ; « défauts, ajoute Cicéron, moins propres à la
vieillesse qu'aux vieillards, dont la vie n'est plus qu'engourdissement et
sommeil (148). » C'est ce genre de vieillards
qu'on retrouve le plus souvent chez Plaute Theuropide est de leur famille.
Il n'y a pas de trait particulier qui mérite d'être cité dans le rôle de
Tranion. Epidique et Chrysale me paraissent supérieurs en ressources, et bien
que cette idée de fantôme soit ingénieuse, et ait dû amuser, inquiéter,
surprendre les spectateurs, elle n'est pas sans analogie avec cette soudaine
invention de Tyndare dans les Captifs, lorsqu'il fait croire au bonhomme
Région qu'Aristophonte, son dénonciateur, est frappé du ciel, qu'il est fou,
et qu'il faut s'en préserver. Ce qui devait faire rire les auditeurs, c'était
le cynisme et l'insolence que montrait l'esclave, à l'égard du vieillard, en
lui faisant remarquer au plafond une peinture représentant une corneille qui se
joue de deux buses (149), et en le ridiculisant
pendant toute la première scène du cinquième acte.
Quelquefois, au milieu de toutes ces hardiesses, le sentiment de sa mauvaise
conscience vient le tourmenter; mais ce n'est qu'un nuage, que l'effronterie et
la ruse ont bientôt chassé. « Il n'y a rien de plus peureux qu'un homme dont
la conscience n'est pas plus tranquille que la mienne; mais, quoiqu'il en soit,
je n'en continuerai pas moins à tout brouiller (150).
» A D'autres détails nous parlent d'esclaves qu'un maître livrait au moment
d'une enquête, et qui n'évitaient les tortures qu'en se réfugiant dans un
temple ou vers un autel (151) ; asiles qui, dans
tous les temps, ont protégé le malheur, et où Pausanias, l'homme libre,
s'abrita en vain contre la mort, comme Syrus, l'esclave de l'Heautontimerumenos,
l'essayera contre la colère de Chremès. Voilà, avec le passage où il est dit
que les esclaves fabriquaient aussi des monnaies de plomb, les seuls
renseignements nouveaux que nous trouvons ici (152).
Fidèle, cette fois comme ailleurs, à la loi des contrastes, Plaute a eu soin
de placer, à côté de Tranion qui brave les supplices, le personnage de
l'esclave Phaniscus, qui se conduit bien par crainte des étrivières. C'est un
caractère que nous avons déjà rencontré. Seulement, contrairement au
Messénion des Ménechmes, Phaniscus n'a qu'un rôle épisodique et ne
paraît qu'à la fin de cette pièce (153). Elle
se termine par une leçon donnée à la vieillesse, celle contre qui la comédie
semble plus particulièrement dirigée:
« THEUROPIDÉ : Tout le reste est peu de chose en comparaison de l'effronterie
avec laquelle Tranion s'est joué de moi.
TRANION : C'est bien fait, par Hercule, et je m'applaudis de l'avoir fait. On
doit être avisé à cet âge, avec une tête blanche. » (154)
STICHUS
Le
Stichus est une comédie qui porte encore le nom d'un esclave. Cependant
le rôle important de la pièce n'est pas pour lui. Les deux femmes, Panegyris
et Pinacie, je l'ai dit ailleurs, qui attendent le retour de leurs maris plutôt
que d'en prendre de nouveaux, sont les personnages principaux ici. L'auteur a
peut-être voulu détourner, par ce titre, l'attention loin des deux femmes
libres qu'il se proposait de peindre avec ce mélange de facéties bouffonnes
qui sont le condiment habituel de sa morale; de même que dans l'orgie de la
scène finale il semble avoir voulu noyer les pensées sérieuses des scènes
précédentes. Au reste, nous verrons ailleurs, dans le Trinumus, par
exemple, que Plaute emprunte quelquefois son titre au personnage ou à
l'incident le plus futile de la pièce, pour mieux dissimuler son but, ou piquer
davantage la curiosité.
Antiphon, le père de Panégyris et de Pinacie, se plaint de la négligence de
ses serviteurs, qui ne nettoient, ne rangent rien dans la maison, et ne sont
exacts qu'à venir demander leur ration périodique (155).
Cette ration, qu'ils recevaient le plus ordinairement en blé gâté, en orge,
en lupins, était donnée, comme ici, à une époque fixe, aux calendes par
exemple (156), et s'appelait demensum (157),
ou chaque jour, et s'appelait diarium (158).
Mais ce n'est pas de Stichus qu'Antiphon veut parler ici. Celui-ci ne paraît
qu'au troisième acte, au retour de son jeune maître Epignome, qui a ramené
plusieurs captives avec lui, joueuses de flûte et de lyre, qui seront données
plus tard à son beau-père. La première demande de Stichus à Epignome, c'est
de lui permettre de se livrer à la joie pendant tout un jour, et de fêter les
Eleuthéries. Stichus a une maîtresse, c'est l'esclave du frère d'Epignome ;
il en partage la possession avec son camarade de servitude, Sagarinus. C'est
avec elle et avec lui qu'il va se livrer à une orgie sur la scène.
« Ne vous étonnez pas, dit-il aux spectateurs, de ce que de pauvres esclaves
s'amusent à boire, font l'amour et s'invitent à souper. »
C'était chose inusitée que tout cet attirail des voluptés de la servitude
étalées sur le théâtre, et il fallait les justifier auprès du spectateur.
Cette possession à deux de la même esclave était en usage chez les maîtres
eux-mêmes. Agyrippe de l'Asinaire cède son amie pendant un jour à son
père, et nous trouverons, dans l'Eunuque de Térence, Thaïs partagée
définitivement entre Phedria son amant, et Thrason son soupirant. Stichus
demande pardon aux spectateurs de faire comme les maîtres; patrons et
serviteurs se permettaient ce genre de débauches; mais le théâtre ne rendait
publiques que celles des maîtres. Singulier privilège!
C'est aussi à l'imitation de leurs maîtres qu'ils inaugurent le festin
d'esclave qui termine la comédie. Ils se distribuent les rôles de caenae
pater ou strategus convivii (159) et
de servant ; ils boivent dans les vases Samiens, les plus grossiers de tous, le
vin que le maître a donné à Stichus; ils dansent avec leur commune maîtresse
; ils amusent l'auditoire en offrant à boire au joueur de flûte ; ils se
placent, non pas sur des sièges à la manière des cyniques, mais sur des lits
à la façon des chefs de la maison, et ils entonnent de gaies chansons à
boire.
Je n'ai point parlé de Dinacion, petit esclave aux ordres des filles
d'Antiphon, et curieux par son babil et son attachement pour celles qu'il sert (160)
; c'est un verna sans doute employé, comme Pegnion du Persan, à des travaux
accessoires. On en rencontrait beaucoup dans les maisons romaines, et on leur
apprenait, en les élevant, à être moqueurs, hardis et insolents. Suètone, en
nous racontant les premières années d'Auguste, dit que, quand il voulait
donner quelque relâche à son esprit, il jouait avec de petits esclaves, dont
la figure et le babil lui plaisaient, et qu'on lui cherchait de tous côtés :
c'étaient surtout des Maures et des Syriens (161).
Dinacion appartenait sans doute à cette classe.
Toxile, l'esclave de la pièce du Persan, a quelqu'analogie avec Stichus
: il termine comme lui par une orgie. Il vise à imiter son maître; il a un
valet, un parasite, une amante : il ne lui manque, pour être maître à son
tour, que d'être né libre. Seulement, ce qui était dans la précédente
pièce une débauche inutile à la fin, devient ici un dénouement presque
nécessaire, et l'amour, qui était l'accessoire de Stichus, forme l'élément
principal du Persan. Mais des amours d'esclave, cela s'était-il vu
jamais, au théâtre du moins? Sagaristion, l'esclave ami de Toxile, fait
l'objection, et son camarade y répond comme il peut (162).
Les maîtres sont en voyage, et les libertés de la servitude, si elles se
donnent ici plus de carrière que dans le Stichus, se justifient mieux
par cette absence. C'est la fable des souris et du chat.
Toxile aime une esclave comme lui, qui est au pouvoir de Dordalus le
prostitueur. Il pousse celui-ci à acheter, en échange de sa captive, la fille,
du parasite Saturion, qu'il fait passer pour une étrangère. Une fois Dordalus
mystifié, et Toxile en possession de celle qu'il aime, la pièce se termine par
les fêtes joyeuses qu'il donne à sa maîtresse, et par les désappointements
du prostitueur. Pour arriver à arracher à Dordalus la belle Lemnisélène
qu'il possède, l'argent a été nécessaire. Chose remarquable ! les esclaves,
du moins ceux-ci, trouvaient à emprunter (163) ;
mais ce ne devait être qu'à un autre esclave de leur espèce (164).
Sagaristion, qui s'est mis en quête d'argent, détourne une somme ronde que son
maître vient de lui confier pour acheter des boeufs ; elle servira tout à la
fois à affranchir les amours de Toxile et à jouer un bon tour à « ces vieux
ladres de maîtres, avides et livides, qui tiennent le sel sous le scellé dans
la salière, de peur qu'un esclave n'y touche (165).
» Le temps des serviteurs réservés et des maîtres confiants était déjà
bien loin, et ceux-ci'pourront bientôt répondre, pour leur justification, par
ces vérités dont nous avons montré la preuve partout :
« Maintenant on est obligé de sceller les aliments et la boisson pour les
soustraire aux rapines domestiques. C'est à quoi nous ont réduits ces légions
de serviteurs, cette foule d'étrangers qui peuplent nos maisons, et nous
forcent d'employer un nomenclateur, même pour nos esclaves. Il en était
autrement chez les vieux Romains. Un Marcipor et un Lucipor, compatriotes de
leurs maîtres, mangeaient à leurs tables, avaient tous les vivres à leur
disposition, et le père de famille n'avait pas besoin de se garder contre ses
domestiques (166). ». Une fois que Toxile a
recouvré le prix de la rançon de Lemnisélène, et qu'ainsi il a affranchi son
amante sans dépenser rien, il reprend plus que jamais cette importance de
maître, si habituelle aux valets quand leurs patrons sont absents. Il régale
ses bons compagnons de servitude. Il fait dresser des lits devant le logis et y
fait placer tous ceux qui l'ont servi. Lui-même y prend place à côté de sa
Lemniséléne. qui est nommée la reine du festin, dictatrix (167).
Tous les coups, toutes les insultes sont pour Dordalus, le prostitueur
mystifié; les injures pleuvent sur lui de toutes parts. Un seul personnage
cependant essaie de ne pas prendre part à cette distribution de mauvais
traitements. Lemnisélène se souvient qu'elle a appartenu à Dordalus, et n'ose
le frapper; mais Toxile lui rappelle que c'est lui, Toxile, qui l'a affranchie,
et qu'elle lui doit tout, même l'obéissance. Il faut donc qu'elle insulte son
ancien maître comme le font les autres.
Les ré-flexions de Toxile sur ce goût d'indépendance que veulent prendre les
affranchis suffiraient pour nous montrer dans quel asservissement restaient
encore ceux qui croyaient avoir échappé à toute servitude par
l'affranchissement (168). Les amantes d'esclaves
sont, par leur rang, au-dessus des prostituées. C'est ce que Stichus disait
déjà en embrassant sa Stéphanie (169). Toxile
de même déclare que Lemnisélène serait devenue une prostituée de Dordalus
si elle n'avait été délivrée par son ami l'esclave. Une dernière analogie
peut faire rapprocher cette pièce du Stichus. C'est le rôle de Pegnion,
le petit esclave. Lui aussi, comme Dinacion, et plus que lui, se distingue par
ses malices et ses réparties. Plus que personne, il accable à la fin de la
pièce, le pauvre Dordalus de railleries, de horions et de mépris. C'est lui
aussi, qui tout entier aux ordres de Toxile, verse le vin au milieu du repas
joyeux (170), lorsque d'autres esclaves ont lavé
les mains aux convives (171), et que Toxile a
couronné de fleurs la reine du festin (172).
Tout son rôle peut se résumer par cette pensée qu'il exprime : « Dans ma
carrière, dit-il , c'est la hardiesse qui fait le succès (173).
»
Les hardiesses de toutes sortes sont le fond de cette comédie : Un prostitueur
battu en plein théâtre, une fille de condition libre se déguisant pour servir
les intérêts d'un esclave, un parasite aux ordres d'un valet, une orgie
d'esclaves sur la scène ; tout cela est plein de toutes les hardiesses. Il en
est une cependant que Plaute n'a point osée, parce qu'il aurait dépassé les
bornes d'une licence vraisemblable, c'était de mettre au nombre des convives de
Toxile l'homme libre qui l'avait servi, le parasite Saturion.
L'esclave dans l'amphithéâtre, c'est-à-dire en un lieu où il ne devait pas
être, figure un instant dans le prologue du Poenulus. « Arrivent les esclaves
qui envahissent les gradins! qu'ils laissent la place aux hommes libres ou
qu'ils paient pour devenir citoyens (174). » On
ne dit pas plus brutalement à des intrus de quitter la place. Nous savons par
là que les esclaves se permettaient, à cette époque déjà, d'envahir, contre
leur droit, les places des hommes libres au théâtre. Dans la comédie grecque,
les esclaves de la scène jetaient aux spectateurs des noix de leurs corbeilles
pour allécher leur appétit en même temps que leur gaîté. Xanthias dans les
Guêpes d'Aristophane, Trygée dans la Paix et Plutus dans la pièce
de ce nom (175) blâment ou mentionnent cette
coutume des poètes comiques de la Grèce ; mais il n'y a qu'à Rome que les
esclaves se montrent aussi envahissants, non plus sur la scène, mais dans
l'amphithéâtre. Au VIIe siècle nous en avons un frappant témoignage dans le
discours sur la Réponse des aruspices que Cicéron opposa aux menées de
Clodius: « Une troupe innombrable d'esclaves ramassés dans toutes les rues,
déchaînés à un signal donné, se précipita tout-à-coup dans le théâtre
par toutes les voûtes et toutes les portes. » C'était aux fêtes de Cybèle.
Nul Romain n'avait osé y assister, à cause des excès et de la multitude des
esclaves (176). Pendant la représentation,
quelques-uns, les pedisequi, ceux que nous appellerions aujourd'hui
valets de pied, couraient au cabaret et se gorgeaient de tartes et de vin (177).
Ce n'est pas contre ceux-ci que Plaute, dans son prologue, prémunit les
maîtres; ce n'est pas eux sans doute que Clodius avait lancés au théâtre
pendant la célébration des fêtes Mégalésiennes.
POENULUS
Milphio,
l'esclave de Poenulus, s'est chargé là, comme dans les autres pièces que nous
savons parcourues, de faire triompher les amours du jeune Agorastoclès. Ce
n'est pas cette fois l'argent qui manque pour gagner le prostitueur, maître de
la belle convoitée, c'est l'esprit nécessaire pour la lui enlever et, avec
elle, sa rançon. L'esclave propose un moyen judiciaire, une querelle de citoyen
à receleur, qu'on soulèvera entre l'amoureux et le prostitueur qui garde son
amie. Le fermier Collybiscus ira chercher, sous le costume d'un étranger, une
femme et du plaisir dans le repaire du prostitueur. Des témoins achetés
d'avance par Agorastoclès l'y amèneront. Plus tard Agorastoclès viendra
réclamer le fermier son esclave et l'or que le prostitueur en aura reçu.
Celui-ci niera qu'il ait l'un ou l'autre en ses mains ; les témoins attesteront
le contraire et, la loi condamnant à l'amende du double le receleur d'un
esclave et de son or, le prostitueur sera obligé de livrer toute sa maison pour
libérer sa dette. On le voit, c'est sur une chicane juridique que repose
l'originalité de cette intrigue que Plaute a cherché à relever par
l'étrangeté du costume, du langage et des esclaves carthaginois, introduits
dans la pièce. Malgré cet ornement accessoire, le Poenulus n'est pas
moins une ébauche où l'auteur n'a rien suivi et complété, pas même son plan
primitif de contestation judiciaire, car il ne tarde pas à substituer à la
revendication d'un esclave et de son or, celle de la liberté pour les deux
captives qui sont au pouvoir du prostitueur. Celui-ci les livre à la fin sans
combat, sans même chercher à reconnaître la sincérité du parent qui les
réclame, et la pièce se termine par deux dénouements différents, comme pour
attester que l'auteur ou ses successeurs n'étaient pas satisfaits de la
conclusion de cette fable.
Le génie de Milphion n'a pas l'occasion de s'exercer largement, puisque
c'est l'arrivée inattendue du Carthaginois Hannon qui sert à dénouer la
pièce, sans le secours de l'esclave. Il se rejettera sur des saillies sans
valeur, sur quelques réponses équivoques ou insolentes pour justifier son
rôle de rusé serviteur (178) et, comme tous les esclaves, il rougirait de
donner à son maître des préceptes d'amour platonique (179). La beauté
pudique n'a pas d'attrait pour lui : à l'imitation de ses égaux, il ne croit
qu'au vice chez les femmes. Il le prouve bien par ce ton langoureusement
railleur dont il aborde la belle Adelphasie lui prodiguant d'abord avec une
tendre ironie les noms les plus doux :
Mea voluptas, meae deliciae, mea vita, meae amoenitas,
Meus ocellus, meum labellum, mea salus, meum savium,
Meum mel, meum cor, mea colostra, meus molliculus caseus;
ensuite (180), insultant la jeune captive, celle qui était restée pure dans
sa misère, qui n'était pas encore allée chez l'édile pour y changer son nom
ingénu contre un nom de courtisane (181), et qui s'enorgueillissait de sa
noblesse (182). Enfin, la nourrice Gidennemé ne se montre qu'un instant et la
suivante d'Adelphasie nous apprend que les servantes ne recevaient quelquefois
du maître qu'un salut de rebut (183).
Syncérastus, de son côté, l'esclave du prostitueur; ne sert qu'a dénoncer
avec mépris tous les vices de l'engeance des lenones et l'enlèvement
des filles du Carthaginois (184). Le fermier Collybiscus n'apparaît qu'un
instant et ne remplit qu'un rôle d'utilité fort secondaire. Je ne trouve à
remarquer que quelques détails sur les amours des esclaves qui choisissaient «
des prostituées de la rue, des bonnes amies des gardes-moulins, sentant la boue
et le chenil, des filles à deux oboles » (185). Ces deux oboles même, les
esclaves des prostitueurs n'avaient pas toujours à les payer : car
Syncérastus, grâce à sa place, trouvait des amies gratuites (186).
Ce
serviteur, trahissant le marchand de courtisanes, son maître, en faveur de la
jeunesse, de la beauté, du malheur, des bonnes mœurs, nous avait donné
l'idée d'un esclave de prostitueur, digne dans le mal et trompeur par
honnêteté.
PSEUDOLUS
Dans
le Pseudolus, Ballion, le leno de la pièce, veut nous donner de
ses esclaves une opinion différente. Il les maltraite, les accable des noms les
plus méprisables et justifie presque par ses brutalités ce que disait
tout-à-l'heure Syncérastus de cette classe ignoble des prostitueurs. Le
monologue par lequel Ballion débute est curieux pour nous : il détaille les
attributions de chacun des serviteurs du leno. L'un est chargé de porter
l'eau (187), l'autre de fendre le bois (188)
; celui-ci doit approprier la maison (189),
celui-là a l'intendance de la salle à manger, de l'argenterie (190).
L'esclave marmiton préparera, pour l'anniversaire de la naissance de son
maître, un jambon, une tétine, un filet (191).
Un autre, plus jeune, portera devant son maître sa bourse bien garnie (192).
C'est toute une administration (193), sans
compter les ordres multipliés donnés aux courtisanes qui doivent rapporter de
si gros bénéfices au maître. Ces marques de domination et de rapacité ne lui
concilient point, on le pense, l'affection de ses serviteurs. Au troisième
acte, l'un d'entre eux vient, comme Syncérastus, se plaindre de sa dure
condition chez un pareil homme, à qui, par surcroît d'infortune, tous ses
esclaves sont obligés de faire un présent au jour de sa fête (194).
On le voit, c'est le personnage du prostitueur qui est le plus important de la
pièce du Pseudolus. C'est celui dans lequel excellait l'acteur Roscius.
L'esclave qui donne son nom à cette comédie y a un rôle secondaire et ne se
distingue en rien de tous les valets qui ont pour mission de trouver de l'argent
pour leurs maîtres amoureux. Et cependant, selon Cicéron, c'était là une des
pièces dont Plaute s'enorgueillissait le plus. À quels mérites doit-elle
cette prédilection du maître? À l'enjouement toujours facétieux de
Pseudolus, plutôt qu'à son habileté, puisque c'est le hasard, l'arrivée
d'Harpax qui le tirent d'embarras; à l'importance et aux mécomptes du
prostitueur, personnage méprisé tout ensemble et recherché des Romains, et
aux mystificateurs qui remplissent cette pièce d'un bout à l'autre, depuis le
cuisinier qui déploie une insolente et une rapacité sans égales jusqu'à,
l'esclave Singe qui se montre encore plus madré que le joyeux Pseudolus.
Quelques bonnes pensées viennent cependant çà et là jeter un jour moins
douteux sur ce rôle de serviteur et expliquer les préférences du poète.
Contre l'ordinaire des esclaves de son espèce, Pseudolus s'irrite de la
proposition faite à Calidore de voler son père (195)
; ailleurs; il dit en riant qu'il ne veut pas donner le mauvais exemple d'un
esclave dénonçant son jeune patron à son vieux maître (196)
et, dans toute la scène qui ouvre la pièce, à travers vingt badinages
destinés à égayer le petit peuple gourmand de pois chiches et de gros mots,
on reconnaît un esclave vivement ému des inquiétudes du jeune Calidore et
décidé à le délivrer à tout prix. Il ne tarde pas à le prouver par cette
prière qu'il adresse au misérable Ballion et où lui, le pauvre esclave, se
porte garant de son maître :
« Rends-toi à nos prières, Ballion. Je suis son garant, si tu as peur de
l'avoir pour débiteur. Avant trois jours, je tirerai n'importe d'où, de la
terre ou de la mer, l'argent qu'il te faut (197).
»
Il y a donc quelques traits du caractère de Pseudolus qui sont en rapport avec
ces maximes d'affection servile que l'esclave Harpax développera
tout-à-l'heure (198). Messénion des Ménechmes,
Phaniscus de la Mostellaria sont de même souche que cet Harpax, esclave
pédant qui psalmodie de belles sentences sur les devoirs de sa classe et qui,
dans sa fidélité rigide, songe plus à sa peau qu'à son maître. Harpax, s'il
eût été au service de Tartufe, aurait comme Laurent, serré religieusement la
haire et la discipline de son maître, sans sourciller jamais, sans y faire le
moindre pli. Pseudolus au contraire, comme le Crispin du Légataire,
mêle tous les tons, gronde son vieux maître au besoin (199),
pour sauver le plus jeune, et, à certains instants, montre plus de coeur, au
milieu de ses folies et malgré ses écarts sans nombre, que ces serviteurs qui
ne mettent le dévouement que dans leurs sentences et érigent la fidélité en
une étroite arithmétique.
Ces folies de Pseudolus ressemblent quelque peu à celles des esclaves de l'Asinaire
comme la ruse par laquelle il se fait passer pour l'homme d'affaires de Ballion
est imitée de celle où Léonidas simule le personnage de l'intendant Saurea (200).
La familiarité de Liban et de son collègue avec leur maître, leurs orgies
faites en commun justifiaient leur au-dace. Ici aussi Pseudolus partage avec
Calidore jusqu'à sa table et ses maîtresses (201).
Il est donc facile de reconnaître ce masque d'esclave, et d'en expliquer les
traits divers : mais il manque d'originalité pour nous.
Un autre personnage, plus original peut-être, devait égayer cette comédie.
C'est le cuisinier, rôle épisodique ici, mais curieux par ses indiscrétions.
Dans la vie débauchée des Romains, au milieu de ces scènes licencieuses qui
plaisaient à la foule parce qu'elle s'y reconnaissait dans chaque personnage,
dans chaque passion, la gourmandise, je l'ai dit ailleurs, devait figurer à
côté de tous les autres excès du sensualisme. Le cuisinier avait donc sa
place marquée sur le théâtre de Plaute (202).
Ici le luxe n'a point encore atteint tous les cuisiniers : la plupart d'entre
eux ne sont pas achetés à des prix fabuleux et ne font pas partie encore d'une
maison de maître, y envahissant la place de toutes les autres classes
subalternes, comme Pline s'en plaindra plus tard (203).
Les citoyens, dans Plaute, vont retenir leurs cuisiniers au marché, pauvres
esclaves qui ne trouvaient souvent à louer leurs services qu'à vil prix (204),
et qui se rejetaient sur le vol pour augmenter leurs ressources. Ce sont les
moeurs primitives, c'est la misère ou l'économie des maîtres qui mettent une
distance entre eux et l'esclave de la cuisine. Le maître y gagne sans doute en
bonne santé et surtout en revenus : sa maison dépense moins, et sa sobriété
le fait vivre plus longtemps. Mais l'esclave cuisinier abandonné sur le marché
comme une denrée, y perd en bien-être, en talent, en éducation quelque peu
morale, parce que le manque de bien-être avilit le coeur et abrutit l'esprit,
et je ne serai pas tenté de me plaindre, comme Pline, le jour où le cuisinier
fera partie de la maison de ceux dont il délecte l'estomac, et sera acheté à
des prix exorbitants, comme un objet inestimable. Oui, les citoyens y perdront
leur santé, leurs biens, leur opulence, le goût de la vie peut-être, comme
cet Apicius qui s'empoisonna de douleur parce qu'il ne lui restait plus que dix
millions de sesterces pour satisfaire son appétit de gastronome; mais le plus
malheureux des deux, l'esclave cuisinier y gagnera, il aura un gîte et la
fortune, et c'est du plus misérable que je suis préoccupé.
Dans l'Aululaire, Congrion et Anthrax, les deux cuisiniers de louage,
trouvent le moyen de médire de l'avarice d'Euclion qui les a engagés, parce
que leur goût de rapine est contrarié dans cette maison par la parcimonie du
maître (205). La déesse qu'ils implorent le
plus ordinairement, c'est Laverna, la protectrice des voleurs, elle que le
malheureux Anthrax prie sans doute tout bas de lui faire trouver de la besogne
plus fréquemment qu'aux seuls jours de marché; car un cuisinier nondinaire,
comme il s'appelle, est un pauvre cuisinier (206).
Ailleurs, dans le Charançon, le cocus se mêle de divination avec
l'esclave Palinure (207). Celui du Mercator,
personnage épisodique comme les autres, ne reçoit comme eux qu'une drachme de
salaire et se félicite, mais en vain, de manger avec ses aides le dîner qu'il
va préparer, parce que, dit-il, c'est un festin d'amoureux et que les amoureux
se repaissent plus ordinairement de baisers, de propos, et de doux regards (208).
Mais aucun d'eux n'est plus spirituellement impudent que le cuisinier du Pseudolus.
C'est un cuisinier de distinction, s'il faut l'écouter. Il se fait payer un
didrachme au lieu d'une drachme. Il a des recettes merveilleuses pour ses
préparations : on vit deux cents ans quand on mange de ses plats. Les noms de
ses ingrédients sont extraordinaires, inconnus ; il vante leurs qualités et
les siennes avec autant de forfanterie qu'en met sans doute Ballion, qui
l'écoute, à faire valoir ses courtisanes et ses propres mérites. Mais le
prostitueur ne se laisse guère séduire à ce beau programme. Il charge un
esclave de surveiller tous les mouvements, les gestes, les regards du cuisinier
et se croit trop heureux d'avoir échappé à ses griffes, furtificae manus,
par la perte d'un cyathe et d'une coupe (209).
TRINUMUS
J'ai
dit plus haut (210) qu'une classe à peu près
pareille, les pêcheurs, avaient avec beaucoup d'autres artisans, tels que les
foulons, par exemple, tenu une grande place dans le répertoire perdu de la
comédie latine. Le Rudens nous offre à cet égard, dans une scène
épisodique, un coin curieux de cette vie de misère et d'insouciance qui
caractérise le théâtre des Atellanes où figuraient le plus ordinairement,
nous le savons, ces classes infimes et laborieuses. Vignerons, pêcheurs,
charpentiers, tous les métiers avaient là, leur expression dramatique et leur
public d'artisans. C'est pour ceux-ci sans doute, auxquels Plaute tenait à
plaire comme à tous les autres, qu'il a glissé dans. sa comédie du Rudens,
comme un tableau ou un souvenir de la vérité, cet intermède où apparaît une
troupe de pêcheurs (211). Leurs hameçons, leurs
lignes sont toute leur existence, c'est la mer qui leur donne à manger.
« S'il n'arrive pas bonne chance et si nous n'avons pas pris de poisson, nous
revenons salés et baignés, purs et nets à la maison, et nous nous couchons
sans souper. »
A côté de ces hommes du peuple, pauvres mais libres, et, pour compléter, on
le dirait, le tableau de cette vie des pêcheurs; l'auteur a mis un esclave
pêcheur attaché à la maison du vieux Demonès, le père de cette comédie (212).
Gripus, c'est le nom de l'esclave , est l'instrument du dénouement : il trouve
une valise où sont contenus les objets qui doivent faire reconnaître à
Demonès la fille qu'il a perdue et rendre à celle-ci Pleusidippe qu'elle aime.
Ici les caractères de cette classe ressortent avec une vérité frappante. Le
pêcheur se lève et travaille bravement; il n'attend pas que le maître vienne
dire : debout à l'ouvrage (213) ! Il est rapace
et défiant : il sait se défendre avec finesse et lutter de sophismes avec ses
camarades d'esclavage (214). Son esprit de
chicane, aiguisé par la crainte de perdre sa capture, finit par le rendre
tracassier et menteur. Cette fois les deux parties, Gripus et Trachalion,
avaient accepté un arbitre pour vider le différend. Ce juge, c'est Demonès,
le maître du pêcheur. Mais celui-ci, sur le point de perdre sa cause, change
d'avis et de tactique et, quand Demonès a annoncé que son esclave remettrait
les objets qui appartiennent à la jeune Palestra, il ose riposter : Non, par
Hercule, je ne veux rien lui donner (215) !
Toutes ces scènes de luttes et d'arguties, évidemment destinées à parodier
les plaidoiries du Forum, mettent en évidence, à côté de la duplicité du
serviteur, l'autorité finalement respectée du patron. Demonès qui est resté
pauvre parce que, dit Gripus, il a trop de scrupules et de délicatesse (216),
s'était vu un instant bravé dans sa loyauté de maître parce qu'il
réclamait, en cette qualité, un talent promis à son esclave (217).
Gripus, que la misère rend avide, acharné, et qui dispute en désespéré la
proie qu'il voit lui échapper, reproche à son patron de ne prendre les
intérêts de son serviteur que par une feinte indigne et de ne songer après
tout qu'à lui-même.
« Tue-moi, ajoute-t-il avec une audace où éclate toute sa basse cupidité,
tue-moi si tu veux, par Hercule ; mais je ne me tairai pas, à moins d'un talent
pour ma soumission. »
Les autres personnages serviles, Trachalion l'esclave de Palestra, et Sceparnion
l'esclave de Demonès, n'offrent aucune particularité nouvelle. Le premier, à
part quelques bouffonneries qui déparent son caractère, n'est remarquable que
par le dévouement persévérant et actif qu'il témoigne pour sa maîtresse (218).
TRUCULENTUS
Stasime,
l'esclave de Lesbonicus, dans le Trinumus, me semble un des esclaves les
plus intéressants de tout ce théâtre. Flavius, dans le Timon d'Athènes de
Shakespeare , offrirait quelque analogie avec lui, s'il n'était trop sérieux
dans son attachement et s'il mêlait quelques traits de la gaîté d'un
serviteur à la gravité un peu septentrionale d'un intendant moraliste. Le
Caleb de Walter Scott, plein de bonne humeur au milieu des ruines de la fortune
de sir Edgard de Rawensvood, Caleb dévoué par l'action, enjoué par les
paroles, avare de sentences, mais non de saillies, déployant toute sa finesse
d'intendant à dissimuler aux autres la misère qui règne dans sa maison, et
toute son affection à garder la distance qui le sépare de son maître, ou à
cacher même à sir Edgard l'abîme qu'il côtoie, Caleb est bien plus près de
ressembler à Stasime. Ce qui les distingue c'est la différence des époques,
c'est que Stasime met quelquefois la morale à la suite de ses joyeusetés,
tandis que Caleb ne la montre que dans sa conduite.
Stasime n'ose pas dire tout haut dès l'abord à son maître, qui ne se croit
pas encore ruiné, à quel de-gré de misère il est descendu. C'est à part
qu'il gémit. Flavius dit aussi de Timon :« Quelle sera la fin de tout ceci? Il
nous ordonne de faire des provisions, de rendre de riches présents, et tout
cela avec un coffre vide, et il ne veut pas sonder la bourse ni m'accorder un
moment pour lui démontrer à quelle indigence est réduit son coeur; qui n'a
plus les moyens d'effectuer ses voeux. Ses promesses excèdent si
prodigieusement sa fortune, que tout ce qu'il promet est une dette nouvelle
qu'il contracte : chaque parole lui donne un créancier de plus : il est assez
bon pour payer encore les intérêts. Ses terres sont toutes couchées sur leurs
livres. Oh! que je voudrais bien être plus doucement congédié de mon office
avant que la nécessité me force à le quitter. Plus heureux l'homme qui n'a
point d'amis que l'homme entouré d'amis plus funestes que les ennemis mêmes!
Le coeur me saigne de douleur pour mon maître (219).
»
Cependant les allusions directes de l'esclave ne tardent pas à ouvrir les yeux
du maître. Lesbonicus, qui s'oublie sans cesse pour autrui, force Stasime à
lui dire : « Tu as pitié des autres : tu n'as ni pitié ni honte pour
toi-même. » Et quand le serviteur fidèle voit que la dernière terre de
Lesbonicus va lui échapper, il imagine, comme Tyndare des Captifs quand
il veut se préserver des révélations d'Aristophonte, ou comme Tranion de la Mostellaria
quand il cherche à soustraire les débauches d'un fils aux regards de son père
, il invente un stratagème, il fait croire à celui qui doit posséder cette
terre qu'elle est maudite des Dieux et frappée d'anathème (220).
On dirait entendre Caleb faisant le récit menteur d'un incendie qui dévore le
château de son maître au moment où une société choisie et nombreuse y
attend un festin que le pauvre intendant ne peut lui octroyer.
Mais Caleb garde, jusque dans la coulisse, la distinction d'un valet de bonne
maison, la noblesse d'âme d'un bon Écossais. Stasime, au contraire, se ressent
quelquefois de la grossièreté de l'ergastule, et son gosier s'humecte bien
souvent aux dépens de sa raison, en compagnie de quelques misérables esclaves.
« tous décorés de meurtrissures aux yeux et aux jambes, frotteurs d'entraves,
essayeurs d'étrivières. » (221)
C'est par là, le dirai-je? que son personnage est naturel et intéressant. Son
affection pour son maître y gagne en vérité et ces détails, qui nous
rappellent la servilité du rôle, l'empêchant de sortir de ses limites et de
s'agrandir au-delà du possible, corrigent en même temps l'invraisemblance, des
maximes un peu trop fréquentes qu'on y rencontre (222).
Maîtres et valets, quand la fortune leur était définitivement contraire,
s'enrôlaient alors déjà, comme cela arriva plus tard. Dans le Marchand,
Charin, au désespoir de n'avoir pu garder-en sa possession celle qu'il aime,
part pour un long voyage et, en le voyant substituer la chlamyde au pallium, on
est tenté de croire qu'il va prendre du service en pays étranger. Stasime
prévoit le même sort pour son maître. Pour lui-même, il pense faire une fin
pareille, il va courir le monde, portant bouclier et bagage, servir quelque
soldat, tenir l'arc et le carquois au bras, le casque en tête, devenir enfin comes
(223), calo (224),
lixa (225) ou cacula (226).
Mais le sort, ou plutôt l'auteur récompense mieux son zèle. Lesbonicus est
tiré de la misère : son fidèle esclave finira ses jours auprès de lui.
Parmi ces hommes des champs qui venaient aux jours de fête se mêler, nous dit
Horace, aux citadins pour prendre part à tous les plaisirs de la ville, il y en
avait sans doute plus d'un qui, retenu dans les rets de quelqu'une de ces
courtisanes, plus nombreuses à Rome que les mouches au plus fort de l'été (227),
restait à la ville au-delà des fêtes qui l'y avaient amené et finissait par
y perdre son argent et ses moeurs. Tel est le portrait que Plaute a voulu
dépeindre dans la personne de Strabax du Truculentus (228).
Son esclave qui a donné son nom à la pièce, parce qu'il traite les gens avec
une brutalité rustique, Stratilax, n'a que deux scènes. Son rôle n'est donc
qu'a peine esquissé; il offre deux contrastes marqués, mais il manque de
nuances. Dans la première scène, Astaphie, la servante d'une Courtisane, vient
l'entretenir il l'accueille avec une brutalité qui rappelle ce vers d'une
Atellane :
At ego rusticatim tangam, urbanatim nescio.
« Moi, dit-il en des vers dont le désordre ou la grossièreté étudiés
sentent bien leur campagnard (229), moi, te
toucher ! que mon sarcloir m'abandonne si je n'aimerais pas mieux m'atteler avec
un boeuf à longues cornes et coucher la nuit durant, à ses côtés, sur la
litière, que d'obtenir cent de tes nuits, même précédées de soupers. Tu me
reproches ma vie rustique; tu as trouvé ton homme, ma foi, pour lui faire honte
avec cette injure ! Qu'as-tu à demander chez nous, femme? pourquoi viens-tu te
jeter à notre tête toutes les fois que nous venons en ville? (230)
»
C'est une sorte de villicus, un paysan qui parle, mais un paysan qui en
même temps surveille les moeurs du jeune homme qu'il accompagne à la ville. Ce
n'est point un pédagogue, mais une espèce de gardien, comme l'Acanthion de
Charin dans le Mercator. Seulement Acanthion est devenu l'aide, le
familier de son maître, et Stratilax n'est qu'un espion bourru (231).
Dans sa deuxième scène, chose frappante ! Stratilax est tout-à-fait
converti. Ce n'est plus le rustre de tout-à-l'heure.
« J'ai tout-à-fait les nouvelles façons : je me suis défait des anciennes (232)
; »
et, en effet, à la manière des fils de famille, des plaisants et des
débauchés de la ville, il fait le dameret auprès d'Astaphie, il prend le beau
parler au lieu du parler campagnard, il emploie dans ses expressions cette
corruption élégante des mots, qui en emporte coquettement la moitié et qui
est de meilleur ton que la prononciation minutieusement correcte des ignorants.
(233) Cette transformation de manières et de
langage, ce contraste de la ville et des champs pouvaient faire sourire un
instant la foule, mais cette apparence de caractère ne devait pas intéresser
longuement parce qu'il n'y a là ni développement ni gradations.
Un autre spectacle aurait dû frapper davantage les galeries : ce sont les aveux
de deux esclaves qui viennent d'être mises à la torture. Aucune autre comédie
dé Plaute ne nous avait offert cette situation de la vie servile et nous savons
que les tourments de l'esclave n'étaient pas chose importante, intéressante
pour le poète. C'est donc plutôt pour les aveux qui les suivent que pour les
tortures elles-mêmes que Plaute met en scène, cette fois, la coiffeuse d'une
courtisane et une autre esclave. Pour nous, au contraire, ce qui nous importe,
c'est l'accessoire, le spectacle de deux femmes qui viennent d'être mises au
gibet dans la coulisse et qui portent encore sur la scène les liens, la trace
et l'émotion de leurs douleurs. Dans les Grenouilles d'Aristophane,
Xantias demande qu'on inflige à Bacchus toutes les tortures employées
ordinairement contre les esclaves.
« Attache-le sur le chevalet; pends-le; donne-lui les étrivières;
écorche-le; torture-le; verse-lui du vinaigre dans les narines; charge-le de
briques; emploie tous les moyens , excepté de le fouetter avec des poireaux et
de l'ail nouveau (234). »
Cette exception dernière, qui exclut le châtiment plus doux ordinairement
appliqué aux enfants, est une preuve nouvelle de la minutieuse rigueur
déployée contre les esclaves et de la crainte, passée en usage, de se montrer
trop indulgent pour eux. Dans le Truculentus, la peine est moins cruelle,
il est vrai, parce que les aveux ont été prompts et complets, mais les
esclaves sont menacées du chevalet et des hommes qui font craquer les os, si
elles ne répètent pas leurs déclarations au public (235).
C'est toujours ici, on le voit, une atténuation de la vérité, qui, laissant
à la comédie tout son enjouement, n'y vient point inquiéter la gaîté des
spectateurs et a été choisie. par Plaute, non pas comme une plaie sociale à
découvrir, mais seulement comme une variété nouvelle de ses nombreux et
intéressants personnages serviles (236).
Il
est temps de résumer nos observations sur les esclaves de Plaute. Malgré la
conformité d'un grand nombre d'entre eux, j'ai voulu mettre toutes les pièces
du procès sous les yeux, autant parce que chacune d'elles différait par
quelques points curieux ou originaux que pour préparer plus sûrement le
jugement de l'ensemble. Il me semble que les serviteurs du grand comique ont à
peu près tous un rapport commun, c'est qu'ils sont au théâtre pour
sauvegarder les passions de leurs jeunes maîtres, et, ne doivent avoir d'esprit
que pour faire triompher leurs amours. C'est là, si je puis dire, la
nécessité littéraire du personnage de l'esclave. Mais qu'on suppose que la
jeunesse romaine, au temps de Plaute, fatiguée de l'amour, lui eût préféré
la bonne chère, studiosa culinae, comme Horace le remarquait plus tard,
l'intervention de l'esclave eût-. elle été aussi active, eût-elle fait
briller de si vives étincelles d'esprit et amené de si piquantes intrigues,
eût-elle eu la même importance sur la scène de Plaute? Rien ne le fait penser
: c'est l'amour des enfants, en lutte avec l'autorité du père et la parcimonie
du chef de la maison, qui a donné tant de valeur dramatique aux masques
serviles. Voilà leur point de conformité presque partout.
Si l'on veut en étudier les différences, on pourra. ramener à trois classes,
principales les esclaves des vingt comédies qui nous restent de Plaute : 1°
Les esclaves obligeants par position ou par une sorte de confraternité avec
leurs patrons ; 2° les indifférents ou les haineux; 3° les dévoués avec ou
sans pédantisme. Sous ces trois chefs divers le poète a réuni, nous l'avons
vu, mille variétés de détails, d'esprit, d'épisodes et de traits
remarquables, et, malgré leur étiquette grecque, les a montrés vraiment
romains. Les considérations qui se rattachent à chacun d'eux ont été
développées ailleurs. Ce qu'il y a de plus curieux dans l'étude attentive de
ces personnages, c'est la persistance que met Plaute à préconiser par leur
bouche, ou à inculquer par leurs exemples, le goût des vieilles moeurs de
Rome; l'antique brutalité du langage, l'abandon cynique, l'audace et la
bassesse au sein même du dévouement, la résistance à tous les envahissements
de la civilisation grecque ou orientale. Tout ce quise ressent de l'élégance
raffinée de ton et de manières qui veulent tout usurper, il le repousse par
les mépris de ses esclaves. Non pas qu'il ne donne à ceux-ci une sorte
d'urbanité qui se pique d'avoir aussi ses grâces et son orgueil, comme celle
de Tranion dans la Mostellaria. Mais cette civilisation n'est que
relative dans Plaute, elle n'y fait jamais contraste qu'avec la grossièreté
des esclaves de campagne. Tranion se parfume et se pavane, mais c'est pour mieux
différer du fermier Grumion. Stratilax du Truculentus est transformé
dans sa dernière scène, mais c'est pour marquer plus profondément la
différence qui sépare l'homme des champs du citadin. Tout-à-l'heure c'était
un bourru assez honnête, désormais ce sera un mauvais sujet plus civilisé.
Hors de là, tous les esclaves de Plaute sont plus près de la nature que de la
politesse, et l'on n'est point étonné qu'on lui ait attribué longtemps le Querolus,
cette pièce du IVe siècle dont le théâtre du grand comique a été bien
certainement le modèle. Le rôle de l'esclave y suffirait à lui seul pour
confirmer ce que nous avons dit de tous ses pareils que Plaute à dépeints. Il
faut avoir connu Chrysale, Epidique, Pseudolus et tant d'autres, avoir parlé
leur langue et rongé leur frein, il faut avoir passé à travers toute cette
corruption croissante pendant six siècles et s'être imprégné de tous ses
miasmes nuisibles, il faut avoir été vingt fois le maître des vices, des
passions, que dis-je? de la vie de ses propres maîtres, pour arriver, comme
Pantomalus, l'esclave de Querolus, à ce degré d'avilissement tout ensemble et
de dédain qui fait que l'esclave finit par regarder ses crimes comme des droits
et se venge de ses humiliations du jour par les plus honteuses libertés de la
nuit (237). Assurément ce ne sont pas les
esclaves de Térence qui auraient fini ainsi.
TÉRENCE
Varron, dans une de ses Satyres où il a représenté un cuisinier se perçant le coeur, comme Vatel, d'un couteau de cuisine, paraît aussi étonné de voir des esclaves en armes contre leurs maîtres (238). Térence, qui ne vit pas les guerres d'esclaves, eût été bien plus surpris encore si on lui avait parlé de révoltes armées des serviteurs contre leurs maîtres. Le goût choisi et policé du commensal des Scipions, cette aristocratie de famille au sein de laquelle il vivait et qui, depuis que des philosophes grecs étaient venus à Rome, s'augmentait encore d'une aristocratie nouvelle, l'aristocratie des intelligences, tout tendait dès l'abord à rendre plus profond l'abîme qui séparait l'homme libre de l'esclave, tout, jusqu'au caractère froid et réservé du talent de Térence, conspirait à repousser, dans ses comédies, le personnage de l'esclave au second plan. Mais en même temps qu'il lui donnait une action moindre, Térence devait le relever de son abaissement intellectuel. Outre qu'il était lui-même un modèle et une preuve brillante de la réhabilitation de l'esclave, l'auteur avait besoin de mettre le caractère servile au niveau des caractères d'élite qui l'entouraient et du ton généralement moral qu'il mettait dans ses fables.
ANDRIENNE
L'Andrienne
s'ouvre par une sorte d'exposition des théories pacifiques de l'auteur. Simon,
le père du jeune Pamphile, choisit pour confident Sosie, esclave qu'il a
affranchi pour ses bons et loyaux services. Sosie à la discrétion et la
fidélité que son maître loue en lui joint une politesse, que les affranchis
du Cartaginois étaient bien loin de connaître
« Je suis heureux d'avoir fait et de faire encore quelque chose qui vous soit
agréable, Simon; et puisque vous êtes satisfait de mes services, je n'en
demande pas davantage. Mais vos paroles me chagrinent. Me rappeler ainsi des
bienfaits, c'est presque me reprocher d'en avoir perdu la mémoire (239).
»
Susceptibilité délicate qui n'a rien de commun avec cette rébellion du pauvre
contre la richesse, que Plaute prête à ses plébéiens, émancipés d'hier :
Heus, tu, quanquam nos videmur tibi plebei et pauperes
Si nec recte dicis nobis, dives de summo loco,
Divitem audacter solemus mactare infortunio (240).
Le langage de Sosie ici, Plaute l'eût prêté peut-être à son
Périplectomène du Fanfaron, le seul homme de bon ton, la seule
personnification du monde nouveau que Plaute a essayée. Là même, il manque
encore cette fine fleur de Ménandre, cette urbanité athénienne, ce rien de
trop, nihil nimis, qui sont le cachet de Térence et la devise même de
l'affranchi Sosie (241).
Sosie, dans sa familiarité soumise, n'a pas oublié que, malgré son
affranchissement, il reste encore à la merci du patron qui le traite si
bénévolement. Cela peut expliquer sa doctrine, un peu sentencieuse :
Obsequium amicos, veritas odium parit. (242)
mais cela n'ôte rien à l'invraisemblance de ce personnage. Sosie était
presque inutile ici, car après cette première scène, il ne reparaît plus
dans la pièce. Il n'a fait que servir de confident au vieux Simon et n'a aidé
qu'à préparer une exposition assez heureuse. Le serviteur le plus important de
l'Andrienne, c'est Dave, l'esclave du fils de la maison, celui qui, «
mettra tout en oeuvre, dit Simon, pour le chagriner bien plus que pour obliger
Pamphile, son fils (243).»
Je doute cependant que Simon ait bien apprécié Dave. L'esclave de Pamphile,
quand il se consulte pour tirer celui-ci d'embarras, est partagé entre la
crainte des dangers qu'il va faire courir à son jeune maître et celle de
déplaire à Simon (244), son père. Au moment
où il trace un plan de conduite à l'amoureux éperdu, celui-ci s'écrie qu'il
souffrira tout plutôt que d'épouser la femme qu'on lui destine, et Dave de
s'écrier à son tour : « C'est votre père, Phamphile (245).
» Belle exclamation! respect filial, soumission de l'esclave, sentiment soudain
du devoir, influence de l'autorité paternelle, ce mot contient tout, il
rachète la mauvaise opinion que Simon voulait nous donner tout-à-l'heure du
coeur de l'esclave. Mala mens, malus animus, avait dit de lui le père de
Pamphile, dans un de ces moments de dépit où l'on n'est jamais juste, et la
suite va nous montrer que le coeur de l'esclave vaut mieux que sa tête.
Pamphile, d'après son conseil, doit paraître prêt à accepter la main de
Philumène qu'on lui offrait, bien qu'il aime en secret Glycère l'étrangère;
et qu'il soit père de l'enfant qu'elle va mettre au monde. Dave, en conseillant
cette conduite à son jeune maître, veut-sauver la dignité paternelle et la
déférence filiale. Il sait que le père de Philumène, instruit des amours
secrètes de l'homme qu'il destinait à sa fille, ne songe plus à la lui
donner, et que Simon ne parle encore de ce mariage à son fils que pour
éprouver ses sentiments ; fable ingénieuse, il est vrai, qui croisera les
circonstances et l'intrigue de façon à faire naître de piquants contrastes et
à serrer adroitement le noeud. Mais, la base de cette invention est-elle bien
solide? un mot, un seul mot du père ou de son fils ne peut-il la renverser ?
Simon n'a donc pas le droit de parler à Pamphile de sa liaison avec l'aimable
Glycère ? Il louvoie autour de ce fils qui lui doit et lui témoigne toutes
sortes de respects, il prend des précautions oratoires, des faux-fuyants, un
masque enfin, comme si les rôles étaient changés et que l'autorité fût
passée du côté de Pamphile. Et notre amoureux qui était décidé à tout
supporter plutôt que d'épouser Philumène, que n'allait-il au lieu de se
laisser duper et de croire qu'elle lui était toujours destinée, que
n'allait-il, dans l'excès de son désespoir, auprès du père de celle-ci,
confier à sa discrétion sa passion pour une autre, sa prochaine paternité, et
fortifier dans ses hésitations ou son refus le vieillard déjà scandalisé des
amours du fils de Simon ? Nous n'avions pas vu encore jusqu'ici ces détours
d'un père qui-veut gouverner et épargner tout à la fois la conduite de son
fils, ce respect pour des relations de jeunesse; et cette morale dont la
singularité et le mérite reposent dans la réserve et la convenance (246).
Les pères de Plaute prennent moins de ménagements; ils vont droit au but, ils
frappent sans hésitation à la porte de la maison où retentit l'orgie, ils
connaissent celles qui entretiennent un commerce d'amour avec leurs fils, ils
partagent avec ceux-ci, comme Déménéte de l'Asinaire, les servent
ouvertement comme Philton du Trinumus, ou les ramènent du toit de leur
amie au logis, comme un Scipion l'avait fait autrefois pour son fils;
Eum suus pater cum pallio ab amica abduxit una.
Quoi qu'il en soit, c'est sur cette discrétion de Simon que spécule
l'habileté de Dave. Il sait qu'une réponse respectueuse de Pamphile suffira
pour lui faire gagner du temps, et que jamais Simon ne s'ouvrira franchement,
hardiment de ses griefs à son fils. La politesse, élément nouveau, épargnera
tout, les rencontres, les récriminations, la vivacité de la lutte, et cette
prudente retenue soutiendra un instant l'intrigue. Mais Dave a mal compté. Le
père de Philumène, sur les instances de Simon son ami, a consenti de nouveau
au mariage, et les cris de la maternité de Glycère, qu'on entend sur la
scène, ne paraissent qu'une supercherie de l'amante pour empêcher le mariage
de son cher Pamphile. De la sorte, ce qui était tout-à-l'heure une réponse
sans conséquences probables du fils de famille, devient un assentiment, un
engagement qui lie le maître de Bave et renverse les combinaisons de l'esclave.
Tout s'arrange cependant : le hasard, plus habile cette fois que les ruses de
Dave, fait découvrir au père de Philumène l'enfant de Glycère, le fruit des
amours de Pamphile. Le mariage renoué est rompu définitivement. Glycère,
reconnue libre de naissance, sera unie à celui qu'elle aime.
Il faut bien le reconnaître, Térence n'a point donné un profond génie à
l'esclave de l'Andrienne. Ses inventions sont puériles, ses ressources
d'esprit mesquines et le hasard, ou l'auteur, est obligé d'intervenir pour le
tirer d'embarras. C'est là, à mes yeux, un trait de naturel, le seul
peut-être de tout ce personnage. Le serviteur ne devait pas toujours être
armé d'esprit et sûr de succès : bien que, par sa situation, il fût le plus
souvent exercé à tous les manèges de la perfidie et habile à toutes sortes
d'escrimes hardies, inattendues, victorieuses, il était plus naturel de le
faire échouer ou faiblir quelque-fois et de donner aux événements plus de
force qu'à lui. Sous ce rapport Térence a été vraisemblable.
Mais il ne nous a pas fait pénétrer, comme Plaute, dans un de ces caractères
à part, mêlés d'insouciance et d'audace, narquois et bons, arrogants dans
leur bassesse ou méprisants pour leurs maîtres, types singuliers ou charmants
qui se distinguaient si complètement de la société environnante. Dave trace
honnêtement à son maître leurs devoirs réciproques. L'esclave doit tout à
son chef, son esprit, ses efforts, ses talents : celui-ci lui doit en retour de
se montrer indulgent ou sinon de le renvoyer (247).
C'est de la morale puérile, qu'on ne s'attendait pas à trouver là et
qu'ailleurs encore Dave pratique en chargeant un autre de mentir à sa place,
pour ne point faire un parjure si son maître lui demande un serment (248),
Afin que pour nier, en cas de quelque enquête,
J'eusse d'un faux-fuyant la faveur toute prête ,
Par où ma conscience eût pleine sûreté
A faire des serments contre la vérité (249).
morale de la pusillanimité, qui donne tout aux apparences, et qui m'intéresse
moins qu'une robuste effronterie !
C'est l'esclave abstrait et sans relief, ce n'est point l'esclave idéal des Captifs
de Plaute.
Pamphile, dans l'Andrienne, un instant troublé de l'insuccès des
conseils de Dave, s'était irrité, et repenti d'avoir mis sa fortune à la
merci d'un vil esclave, servus futilis (250).
Plus tard, dans sa joie d'avoir enfin réussi, il s'écriait que personne n'en
serait plus heureux que son cher Dave (251).
EUNUQUE
Dans
l'Eunuque, Chéréa poussait plus loin l'attachement pour son esclave, il
allait jusqu'à lui porter en cachette toutes sortes de provisions dans sa loge
(252). Parmenon, l'esclave important de la
comédie, méritait bien cette faveur. Ses conseils sont d'un homme
expérimenté qui a étudié le cœur humain, celui de la jeunesse surtout, qui
en sait les retours et les contradictions. Parmenon personnifie ici l'esclave
moraliste.
Ses conseils et ses prévisions à l'égard de Phedria, son maître amoureux,
sont d'une gravité qu'on n'eût attendue que d'un vieillard (253).
Mais je m'étonne qu'il garde moins de mesure avec Chéréa, le fougueux amant
de la belle esclave qu'on vient de donner à Thaïs, l'amoureux Romain dont la
passion impétueuse avait besoin d'un frein plus fort. Parmenon en le voyant
venir, se dit
« Bon ! voici l'autre à présent qui parle aussi d'amour, je crois! O
malheureux père ! si celui-là s'en mêle, tu pourras bien dire que ce n'était
qu'un jeu avec l'autre, au prix des scènes que cet enragé nous donnera (254).
»
On s'imagine que le prudent moraliste de tout-à-l'heure, l'ami de ses jeunes
maîtres, va continuer son rôle et calmer ce sang trop bouillant par quelque
topique salutaire. Nullement. C'est Parmenon qui, d'un ton badin, propose à
Chéréa de l'introduire sous des vêtements d'eunuque auprès de son amante,
comme si l'esclave expérimenté ignorait qu'on ne joue point avec de pareilles
plaisanteries devant un amant éperdu et qu'il n'y a qu'un pas pour celui-ci du
possible au réel.
Cette contradiction dans la conduite de l'esclave n'est pas la seule ici.
Parmenon se félicitera tout-à-l'heure d'avoir introduit son jeune maître dans
une maison de courtisanes. Il fait leur portrait avec un art délicat qui
rappelle, en les embellissant, les peintures analogues laissées par Plaute. Il
fallait, dans l'intérêt de Chéréa, le familiariser avec cette gent corrompue
et séduisante « c'est la sauvegarde d'un jeune homme de connaître tout cela (255)
».
Mais cette description n'est-elle pas un hors-d'oeuvre ici, et ces intentions
vertueuses de l'esclave ne sont elles pas une contradiction nouvelle ?
Dans l'origine Parmenon, après sa plaisanterie, avait reculé, il avait craint
les châtiments pour lui et, l'infamie pour Chéréa. C'est celui-ci qui, pour
l'encourager avait dit:
« Est-ce un mal de m'introduire chez des courtisanes, de rendre la pareille à
des friponnes qui se moquent de nous, de notre jeunesse, et qui nous font
enrager de toutes les façons? Est-ce un vilain tour de les, jouer une fois
comme elles nous jouent?... Tout le monde trouvera que j'ai bien fait de me
moquer d'elles (256). »
Chéréa n'avait donc pas besoin de cette salutaire leçon dont s'enorgueillira
Parmenon. Chéréa connaît parfaitement les turpitudes des prostituées, il n'a
rien à apprendre de ce côté, et d'ailleurs ce n'est pas Parmenon qui
définitivement l'y a poussé. L'esclave qui s'applaudit, comme. d'un trait de
génie, d'avoir proposé à Chéréa une substitution de personnes et de
costumes, ne brille pas davantage lorsqu'il écoute l'a rusée Pythias qui lui
fait croire que son jeune maître vient d'être surpris en flagrant délit
d'adultère près de celle qu'il croyait une esclave, et qu'on l'a garrotté
pour lui infliger la punition usitée en pareille cas (257).
Parmenon, qui devrait savoir que l'esclave de ces courtisanes, dont ils a
retracé l'astuce, peut ne pas être sincère, se laisse prendre à ces
faux-semblants, s'en va tout droit, dans sa terreur, dénoncer Chéréa à son
vieux père et tombe, comme le plus simple des vieillards, dans un piège
grossier.
En vérité, ce n'est pas là non plus un caractère tranché et conséquent
d'esclave. Point de ces mots qui marquent au vif le personnage, rien qui ne
puisse s'appliquer à tout autre qu'à un personnage servile. Ce n'est ni
tout-à-fait un pédagogue, comme Lydus , ni un fripon comme Chrysale, c'est une
utilité, comme tant d'autres, qui concourt à former le noeud et à le
dénouer; figure ternie dans ce demijour où Térence laisse la plupart de ses
masques, en auteur qui préfère les teintes uniformes aux touches vives et les
nuances de sentiment aux caractères (258).
Héautontimorumenos
Que
dire de Syrus de l'Héautontimorumenos que je n'aie déjà dit de ses
deux autres confrères ? C'est toujours sa ruse qui doit sauver deux amants, et
rien de plus. L'art de Térence ne cherche pas la variété : c'est encore par
une substitution de personnes que l'esclave signalera son génie. Syrus, dont le
nom étranger nous a déjà frappés et qui fera souche d'esclaves choisis, et
même de riches parvenus, parmi les gens de la bonne société Romaine (259),
fera passer l'amie d'un de ses maîtres pour l'amie de l'autre, escroquera dix
mines à l'un des deux pères, et aidera à terminer la pièce par une double
union. Je n'ai pas à parler des autres caractères de la comédie pour montrer
leur insignifiance. Qu'il me suffise de rappeler que là aussi je ne trouve rien
qui désigne plus spécialement la livrée servile et que la couleur locale fait
défaut comme ailleurs (260). Syrus est encore une
sorte de pédagogue à part, surveillant complaisant, qui s'occupe plus de
batteries à dresser que de coeurs à former. Il semble d'ailleurs que l'auteur
justifie ses moyens par la moralité du but (261).
Je remarque un trait de bonté à noter dans ce rôle. Quand il a servi les
amours de Clinias, l'ami de son maître, Syrus trouve quelques mots d'égards
affectueux pour rappeler à Clinias qu'il faut désormais songer à Clitiphon.
Nunc amici quoque res est videnda, in tuto ut collocetur (262).
Cette précaution, ces marques d'attachement, Térence les prête dans la même
pièce à d'autres esclaves encore. Ménédème, le père de Clinias, quand il a
appris le départ de son fils, rentre chez lui, triste, abattu. Ses esclaves
accourent, le déchaussent; d'autres se hâtent de dresser la table, de servir
le dîner ; chacun fait de son mieux pour adoucir la peine du veillard (263).
Mais il ne veut plus de tous ces valets attentifs et inutiles, de ces femmes qui
tissaient ses habits; il les met à l'encan, s'en défait, et ne garde que les
esclaves de la campagne; ceux qui peuvent lui donner quelque revenu par leur
travail (264).
Il y a plus de vie et de mouvement dans les Adelphes. Ce n'est pas une
comédie paisible, une stataria, comme l'avait dit le prologue de l'Héautontimorumenos.
Térence, dans les Adelphes, a mis en regard de la vieille discipline
romaine les adoucissements et les progrès de l'éducation nouvelle. Par une de
ces transpositions qui lui sont familières, il a croisé et fait contraster
entre eux ses principaux personnages. Deméa, qui personnifie le passé, est
colère, sans pitié, brutal comme la vieille sévérité romaine, il protège
Ctésiphon son fils qui, à son école, n'a gagné qu'une douceur hypocrite,
qu'une apparence de sagesse et de calme. Micion, qui représente le présent,
est doux et conciliant. Comme le Philinte du Misanthrope, il s'accommode
des imperfections de la jeunesse, des infirmités humaines; il protège Eschine,
caractère bouillant, emporté dans ses passions, pétulant comme un jeune
Romain d'autrefois, et bon tout ensemble comme un élève de Térence et de
Ménandre (265). Les désordres d'Eschine donnent
naturellement lieu à des scènes plus vives que celles que nous avions vues et
sont destinés à contraster avec les moeurs environnantes. Les esclaves
devaient par suite y avoir leur part d'action et de mouvement.
Plaute, à la fin du Persan, nous avait donné le spectacle d'un prostitueur,
battu, raillé, bafoué, assailli de coups et d'affronts en plein théâtre par
l'esclave Pegnion (266). On dirait que Térence a
voulu renouveler la même scène au début du second acte des Adelphes. Le
prostitueur Sannion est battu là aussi ; Eschine, aidé de l'esclave Parmenon
et d'autres, lui enlève une jeune fille de naissance libre et tous font
pleuvoir sur lui une grêle de horions dont les spectateurs de ce paisible
théâtre devaient être fort surpris (267). Une
telle situation devait nécessairement amener quelque coup de tête remarquable
de l'esclave en titre et lui donner l'occasion de se faire valoir et remarquer.
Mais Térence, là encore, n'a pas osé, il n'a été qu'à moitié comique, il
est resté un demi-Ménandre.
Syrus, le vieil esclave des deux frères, qui les avait portés dans ses bras (268),
n'a montré de l'astuce que dans la coulisse. Ce n'est qu'à la fin de la pièce
que Demée reconnaît qu'il a contribué à l'achat de la chanteuse et qu'il a
donné des soins à cette affaire (269). Mais
pendant tout le cours de la comédie, à part deux scènes où il raille et
éconduit Démée (270), il ne montre ni
invention , ni activité et ne nous donne que quelques jolis vers sur sa
gourmandise d'esclave et sur le plaisir de festoyer. Son personnage est à peine
un peu plus important que celui de Geta, l'esclave des femmes, qui est un
composé fort peu naturel de sentiments tendres et de sagesse pédantesque :
Hoccine sæclum ! o scelera ! o genera sacrilega ! o hominem impium ! (271).
La femme de Syrus, dans cette comédie où les instincts affectueux sont
abondamment développés, reçoit la liberté avec son mari, parce qu'elle a la
première présenté le sein à l'enfant d'Eschine, et Micion pousse finalement
la bonté jusqu'à prêter de l'argent au nouvel affranchi (272),
dont il demeure le patron et dans la prospérité duquel il aura encore sa part.
C'est le cas de demander avec Micion :
« Qu'a-t-il fait pour cela? Quodnam ob factum ? »
HECYRE
L'Hecyre
me paraît être la meilleure pièce de Térence, parce que le sujet en est
simple, intéressant et ne se complique pas de ces transpositions de personnages
et d'intrigues qui sont une bien faible ressource dramatique, parce qu'elles
déplacent les rapports naturels, nécessaires , et égarent l'intérêt. Mais
je n'ai pas à y noter un caractère saillant d'esclave. Parmenon, qui ouvre la
comédie par une exposition du sujet faite assez maladroitement à une
courtisane, est un serviteur sans consistance. Ce n'est pas un personnage.
Tantôt il soutient Pamphile par des paroles encourageantes (273)
et se montre plein de coeur pour la famille de ses maîtres (274)
; tantôt il fait le moraliste et débite des sentences (275);
tantôt enfin il se laisse aller à tous les défauts de l'ergastule (276)
ou s'en va courir par la ville comme un petit valet sans importance (277).
Il termine par ces mots, qui définissent bien son intervention secondaire et sa
stérile activité dans toute cette fable:
« En vérité, j'ai fait plus de bien aujourd'hui sans le savoir que je n'en ai
jamais fait de dessein prémédité. »
PHORMION
On
a dit que Geta du Phormion avait été imité par Molière dans les
Fourberies de Scapin. Il faut le reconnaître, de tous les esclaves de Térence,
Geta est le plus vif, le plus alerte, le plus esclave en un mot. Mais qu'il est
loin encore de la bonne humeur et de l'esprit de Scapin ! Dans la première
partie du Phormion, c'est le parasite qui a tiré d'embarras un des amoureux.
Geta a laissé tout le mal se faire, et c'est le parasite Phormion qui a trouvé
le remède. L'esclave, qu'on avait chargé des fonctions de gouverneur pendant
l'absence des père, de ses deux jeunes maîtres, a laissé flotter les rênes
au gré des passions de ceux qu'il devait diriger, et n'a plus à leur service
que ce dévouement passif que Térence a décrit partout (278).
Il y a des traits assez heureux de familiarité servile de Geta et de Dave dans
les deux premières scènes de la pièce. Des esclaves qui se prêtent de
l'argent, qui se confient un secret non sans avoir hésité d'abord, les petits
cadeaux qu'ils doivent à leurs maîtres au jour de leur noce, ceux qu'ils
devront à l'anniversaire de leur naissance, à la venue du premier-né ; voilà
bien les réflexions ou les confidences des esclaves, et sans le soin extrême
de l'auteur à châtier son style (279), le
langage serait presque en rapport avec les caractères. Térence a
ingénieusement rappelé Plaute par la terreur qu'il attribue à l'esclave au
moment de l'arrivée du vieillard redouté (280)
: c'est le même effroi, mêlé de marques d'attachement pour son jeune maître
(281) , le même aplomb pour conjurer l'orage et
récapituler, sans sourciller, tous les supplices qui attendent le serviteur
coupable (282). Je remarque seulement çà et là
cette tendance aux maximes proverbiales habituelles à l'auteur, qui semblent
annoncer déjà celles de Publius Syrus.
Fortes fortuna adjuvat (283)
Quot homines tot sententiae : suus cuique mos (284)
Dictum sapienti sat est (285).
Ita fugias, ne praeter casam (286).
Mais ce n'est qu'au début du quatrième acte que Geta prend une part active à
la fable. Dans cette pièce à doubles compartiments comme les aime Térence,
où il y a deux pères, deux fils, deux amantes, deux entremetteurs, la
première moitié avait pour moteur Phormion ; la seconde marchera sous l'action
de Geta l'esclave. Tout-àl'heure il fallait servir Antiphon : le parasite a
trouvé pour lui la femme qu'il convoitait. Maintenant c'est Phédria qu'il faut
satisfaire : l'esclave va s'ingénier à lui faire gagner les trente mines dont
il a besoin pour acheter la chanteuse qu'il aime. Le moyen sera facile : il ne
prouve même ni beaucoup d'invention ni beaucoup de suite chez celui qui l'a
imaginé. Geta réclame trente mines pour faire casser le mariage du jeune
Antiphon son maître, que son père voit avec regret uni à une orpheline sans
fortune. Au fond, ces trente mines seront le prix de la chanteuse convoitée en
secret par Phédria, le cousin, l'ami d'Antiphon. Mais il y a là un dilemme
dont le maladroit inventeur ne peut guère sortir. S'il fait casser ce mariage ,
que devient le bonheur d'Antiphon qui, par les mains du parasite, avait si
heureusement réussi à le contracter? Si les trente mines sont refusées, que
deviendront Phédria et le génie de Geta? Heureusement le sort se charge ici,
comme précédemment, d'avoir l'esprit qui manque à l'esclave. L'orpheline
retrouve un père, une famille; personne ne veut plus voir casser le mariage
d'Antiphon, tandis que les trente mines sont dépensées depuis longtemps à la
plus grande satisfaction de Phédria et de celle qu'il aime : voilà, avec
l'idée qu'a eue Geta d'aller écouter aux portés l'histoire secrète de
l'orpheline (287).
Voilà l'esprit et les exploits de l'esclave du Phormion. En les étudiant de
près, il est facile de reconnaître qu'ils annoncent moins de talents et de
ressources que de bonne volonté, plus de finesse dans le langage que dans la
conduite (288).
COSTUME DES ESCLAVES
Dave,
le camarade de Geta, est roux : c'est Geta qui le dit (289),
et le commentateur ajoute qu'il est question de plusieurs esclaves roux dans les
comédies, sans autre indication (290). Essayons
de donner quelques renseignements plus précis sur l'extérieur scénique de
l'esclave et de terminer par là notre étude sur ce personnage.
Donat n'a dit qu'un mot sur le costume de l'esclave :
« Servi comici amictu exiguo conteguntur, paupertatis antiquae gratia, vel
quo expeditiores agant. » (291)
Il faut chercher, sur le théâtre même, la confirmation de cette remarque et
voir si d'autres signes ne distinguaient pas cette classe particulière. Plaute
a fait plus d'une fois mention du manteau des esclaves. Dans l'Epidique,
Périphane promet à l'esclave des brodequins, une tunique, un manteau (292).
Sagaristion du Persan, en voyant venir son camarade Toxile, s'avance les
coudes en l'air et s'enveloppe fièrement de son petit manteau (293).
Pseudolus, au milieu de l'ivresse d'une orgie, s'effraie d'avoir sali le sien (294)
; il se fait prêter, par Charin une chlamyde, un coutelas, un chapeau de voyage
(295). Les esclaves se prêtaient quelquefois
leurs vêtements, si toutefois c'est de l'un d'eux qu'il est parlé dans un des Maccus
de Novius (296). Comme le Dave du Phormion,
Pseudolus est un rousseau. Son ventre est gros, ses jambes fortes, il a la peau
brune, la tête grosse, l'oeil vif, le teint enluminé, les pieds très grands (297).
Dans les Milites Pometinenses de Novius il y a un vers qui peint à peu
près un personnage pareil :
Valgus, veterinosus, genibus magnis, talis turgidis. (298)
Peut-être les esclaves étaient-ils quelquefois chauves, comme le pêcheur dont
il est question dans les Piscatores (299).
Les fermiers, villici, avaient ordinairement une longue barbe (300).
D'autres esclaves se parfumaient à la manière de Tranion de la Mostellaria (301).
En voyage , ils portaient souvent la bourse (302)
ou la brosse du maître (303). Il y avait aussi,
nous l'avons dit, des esclaves noirs, comme ceux qui servaient au Cirque (304)
;mais ce n'étaient pas là les serviteurs habituels ; c'était une sorte de
manoeuvres étrangers. Les femmes esclaves avaient sur la scène des anneaux de
fer, des brodequins (305), elles balayaient,
nettoyaient, ne devaient pas être belles, si toutefois le père de Charin du Mercator
n'exagérait pas leur laideur obligée (306) ;
mais celles qui étaient attachées aux courtisanes se fardaient comme celles-ci
de vermillon et de blanc (307). Je ne saurais
déterminer avec précision si le supparus dont il est parlé dans les Nautae
de Nævius était le vêtement d'une fille de pêcheur ou de toute autre (308).
Enfin, les nourrices portaient des manteaux rayés ou tachetés (309).
Ces détails, on le voit, sont empruntés à peu près tous à Plaute et à la
vieille comédie indigène. Térence est plus réservé sur ce point. Ses sujets
sont mêlés de souvenirs de la Grèce, et les moeurs qu'il représente ne
comportaient pas de fréquentes allusions de ce genre (310).
Il n'est pas besoin de remarquer que chez lui les esclaves diffèrent
complètement de ceux de Plaute. Celui-ci qui a peint la petite bourgeoisie,
les gens du commun, comme nous disons aujourd'hui, a dû donner plus de saillie
à ses figures serviles. Celui-là, qui a été l'écrivain du monde choisi, a
dû reléguer la livrée dans un rang plus accessoire, plus indifférent. Je
n'ai pas pu m'étendre sur les esclaves de Térence autant que sur les premiers,
parce que lui-même leur a moins accordé dans son théâtre. J'y ai cherché
plutôt la valeur scénique du personnage, le jeu que lui a donné l'auteur, que
sa vie réelle, parce que Térence est plutôt un homme de lettres, un
reproducteur d'idées générales, que le poète des vérités particulières.
Je n'ajouterai pas cet autre motif que ses fables sont grecques d'origine, parce
que je ne crois pas qu'un auteur, malgré les protestations de ses prologues,
puisse être si entièrement rebelle ou étranger aux idées de son moment, de
son temps, qu'il oublie la vérité locale; les préférences du plus grand
nombre, et ne courtise. plus le succès, qui ne vient que de là. Oui, Térence
a copié Ménandre, les preuves et les passages en sont cités partout (311),
mais on a facilement reconnu en même temps chez lui les traces de la vie
romaine. Déjà en 1795, Boettiger, revenant sur l'opinion contraire qu'il avait
exprimée neuf ans auparavant dans son discours sur l'Explication de Térence,
reconnaissait avec Lessing et Schmieder des traits de moeurs exclusivement
latines dans les deux dernières scènes des Adelphes et ailleurs (312).
Ce n'est pas ici le lieu d'analyser, dans les oeuvres de l'ingénieux poète,
les inspirations qu'il dut à sa terre d'adoption et celles qu'il imita des
Grecs. Qu'il me suffise de rappeler, à ce sujet, ce passage d'une préface
(intitulée Proemium verum) sur sa vie, dont quelques-uns ont tenu trop
peu de compte et qui fait de beaucoup de Romains, ses contemporains, les
complices de notre opinion :
« Sed cum criminarentur quidam Terentium non vere Graecorum mores exprimere,
pleraque in latina fore consuetudine; ut instituta moresque Graecorum
cognosceret, Athenas profectus est (313) ; »
ou plutôt, pour nous borner à l'objet de cette Étude, regrettons que
Térence, qui a donné aux esclaves de ses comédies des moeurs généralement
honnêtes, moins de méchanceté que de saillies, et leur a fait commettre plus
de péchés d'intention que de fait, soit mort, s'il en faut croire Porcius
Licinius, sans avoir reçu de ses protecteurs une modeste maison à loger « où
un pauvre esclave pût au moins apporter la nouvelle que son maître n'était
plus (314). »
FIN.
COULOMMIERS. - IMPRIMERIE DE A. MOUSSIN.
(1)
Discours sur la constitution de l'esclavage en Occident, par P. de
St-Paul. Montpellier, 1837. 1 vol. in-8°.
(2) Inquiry
into the state of slavery amongst the Romans. Edimburgh, 1833. Je renvoie
aussi au livre de M. Dureau de Lamalle : Économie polit. des Romains.
Tom. I. p. 231. On y trouve une longue liste de la plupart des traités qui se
sont occupés de la matière.
(3) Apul, Metam. Paris, Léonard. 1688,
in-4°, VI. p. 480.
(4) Apul. Metam. IX. p. 279.
(5) Poenul. 831. - Lucilius, Corpet,
XXIX. 15, page 183 :
Cum manicis, catuto, collarique, ut fugitivum
Deportem.
Voir les notes même page et p. 288. - Cf. Captiv. Prolog. 8, et tout le
rôle de Stalagme.
(6) Varro. de Re Rustica. Edit. Gesner.
1773. I. 17. 4. Montrons tout de suite dans quelle abjection étaient les
esclaves attachés plus spécialement à l'agriculture. Varron dit ensuite, I.
17. 2. « Toutes les terres sont cultivées par des hommes libres, ou par des
esclaves, ou par un mélange des deux classes... Je dis de toutes les terres en
général qu'il est plus avantageux de cultiver les cantons malsains au moyen
d'ouvriers payés qu'avec des esclaves ; gravia loca utilius esse mercenariis
colere quam servis. Varron ici ne les regardait pas même comme propres à
ce travail, à cause de leur difficulté à s'acclimater et à se reproduire
dans des terres ou ils n'étaient pas nés. - Ils sont pour lui une chose : en
citant les esclaves, les animaux et les objets de labourage il dit : «vnunc
dicam quibus rebus agri colantur. Quas res alii diVidunt in duas partes, in
homines et adminicula hominum. »
Caton de Re. Rust. Edit. Gesner, V. 6., ne se montre quelque peu
indulgent que pour les bouviers, Bubulcis obsequitor, partim quo libentius boves
curent. Il ajoute, LIX, qu'il suffit de donner aux ouvriers des champs une
tunique tous les trois ans, une saie et une chaussure tous les deux ans, et ne
manque pas de recommander que, en remettant les vêtements neufs, on leur retire
les vieux pour en faire des couvertures.
(7) Amphitr. 358. On trouve 364 :
Nequiter paene expedivit prima parasitatio,
« Mon premier essai de l'art du parasite n'a mal réussi. »
Et 839
Amanti subparasitor, hortor, etc.
Ces divers passages marquent bien la différence qui séparait et en même temps
les rapports qu'offraient la condition d'esclave et celle de parasite.
(8) Amphitr. 124. - On peut voir Asinar.
526, la description de tous les instruments qui servaient aux divers supplices
des esclaves. Je renvoie pour cette question, dont toute l'antiquité nous
entretient, aux passages suivants, qui ne sont qu'une faible partie des
documents sur la matière : Propert., IV. 7. 4 et IV. 11. 22. - Horac. Od.
I. 35. 17 et Epist. I 16. 47. - Ovid. Ars am. 235. - Senéq. Epist.
47. Idem de Constant. Sapient. passim. - Martial. II. 66. - Petrone,
passim.- Juvénal, VI. 480. Pollux, Onomast. X. 54. - Heyne, Opuscul.
III. p. 189. - Pignorius et Popma, de Servis; passim. - Appian. de
Bell. civ. V. p. 1178. - Oros. VI. 18. etc., etc. - Burigny, Mémoire sur
les esclaves romains. Mém. Acad. inscript. XXXV. p. 350. Voir Ch. Dezobry, Rome
au siècle d'Auguste. I. p. 435.sqq.
(9) Amphitr. 273 et 1010.
(10) Id. 400 sqq.
(11) Id. 436.
(12) Id.
468. Sosie répond à son maître qui lui reproche de dormir : « Non soleo ego
somniculose heri imperia persequi. » Cf. 476 et 805.
(13) Id. 303.
(14) Id. 709.
(15) Asinar. 76.
(16) Id. 254.
(17) Cicér. Epist. ad Quint. I. 4.
(18) Asinar. 472.
(19) Philémon. Fragm. Edit. Didot, XXIX, p.
124.
(20) Horac., Sat. II. 7. Cette satire est
remarquable par les vérités qu'elle contient. L'esclavage on le voit, est
encore une fatalité, une nécessité sociale, mais le sentiment de l'égalité
perce déjà et en fera peu à peu justice.
(21) Voir Valckenaër. Hist. de la vie et des
poésies Horace. Tom. I. p. 459, sqq.
(22) Pétrone, Satyric. Traduc. Nodot.
1713, tom. 1, p. 282.
(23) Juvénal. VI, 223.
(24) Asinar.,
680, sqq.
(25) Id. 105.
(26) Id.
240.
(27) Id.
265.
(28) Id.
259.
(29) Id.
46. - Voir un excellent livre, Rome au siècle d'Auguste, par Ch.
Dezobry, Tom. I, p. 431.
(30) Cicér. in Verrem. I, 36. ad fin.
- Cf. Senc., de Tranquill. anim. 8.
(31) Horace.
Sat. II, 7. 79.
(32)
Ces extrémités auxquelles étaient
poussés les esclaves ne sont que trop fréquentes. Voir dans les Lettres des
Femmes grecques, édit. Chr. Wolf. Goetting. 1739, et Conr. Orelli Lips.
1815, les Lettres de la Pythagoricienne Théano. Dans la lettre 165,
édit. Wolf, et 3e Orelli, elle recommande à une amie la modération envers ses
femmes : « Certaines esclaves ont succombé sous les coups de verges. D'autres
ont fui, d'autres se sont suicidées. » Ces conseils étaient néanmoins
rarement suivis. Saint Chrysostôme,. Homél. XI, dit d'une de ces
maîtresses : « Les passants entendent les emportements de cette femme et les
hurlements de ses esclaves : elle les fait déshabiller, les attache au pied de
son sofa, et leur donne elle-même des coups de fouet. » - Cf. Plutarch., Cato
maj., X. - Juven. VI. 480-495. - Boëttiger, Sabina., passim.
(33) Aulul.
513, sqq.
(34) Id. 577,
sqq.
(35) Plin.
Jun. Epist. IV. 13.
(36) Plutarque, Cato maj., XX, nous
donne l'opinion du vieux Caton sur cet emploi d'un esclave pédagogue. Sur ce
point de l'éducation, Plaute et Térence diffèrent encore d'une façon digne
de remarque. Pistoclère, dans les Bacchis, quand son précepteur veut le
régenter, lui répond avec mépris, vers 128:
Tibi ego aut tu mihi servos es? Suis-je ton esclave ou es-tu le mien?
Dans Térence, Simon, parlant de son fils, Andr., 54, dit :
Nam antea
Qui scire posses, aut ingenium noscere,
Dum ætas, metus, magister prohibebant?
Car, jusqu'alors, je n'avais pu connaître et juger son caractère. Son âge, sa
timidité, son maître, tout le tenait dans une sorte de contrainte.
(37) Voir,
à ce sujet, un remarquable mémoire de M. Naudet, sur l'instruct. publiq. chez
les Romains. Mémoires Acad. Inscript. Série nouvelle, tome IX.
(38) Aristoph.
N¡fel.
961 sqq. - Cf. Plutarq. Cato maj. XX. Paul Aemi., VI. - Id. Moral.
I, De pueris educ. - Aul. Gell. XII. 4. - Tacite de Causis corrupt, eloq.
28.
(39) Bacch.
402 - 413.
(40) Terent.
Varron. Satur. Menipp. édit. Oehler. 1844. p, 189. perÜ
¤desm‹tvn.
(41) Juvénal.
Satir. III. 187.
(42) Bacchis.
488 sqq.
(43) Pour ce
qu'il trouvait d'étrange, de trop peu romain dans cette mise en scène des
esclaves Syriens, voir Pseudol. 623, Trinum. 499, Trucul.
495. - La coiffeuse du Trucul. qu'on met à la torture à la fin de la
pièce s'appelle Syra.
(44) Id.
643.
(45) Id.
742.
(46) Polit.
I, 1. 6.
(47) Poetiq.
XV : †Olvw faèlñn ¤sti.
(48) Captivi
264.
(49) Id.
142.
(50) Id.
45.
(51) Cf. Pseudol.
375. 708. - Aulul. 672. - Poenul. 419. 466. 792. 1094. - Trucul.
89.
(52) Id.
595.
(53) Voir
Poenul. prolog. 23. - Cicéron de Arusp. respons. cap. XI. et
passim. - Ritschl. Parergon Plautinorum Terentianorumque. Lipsiae 1845,
I. p. XIX et 225.
(54)
Captiv. 916.
(55) Id.
170.
(56)
Plutarch. Cato. maj. XX. - Cf. Sueton August. 64.
(57) Capt.
292.
(58) Id.
247.
(59) Il est
bon de remarquer que si Tyndare n'est pas aussi partisan de la loi du talion
quand il s'agit de répondre aux menaces d'Hégion, vers 675 sqq., c'est que
l'auteur a voulu le rendre respectueux, comme par un vague pressentiment de
tendresse filiale, envers celui qu'il doit reconnaître plus tard pour sort
père. Tyndare, dans la pensée de Plaute, doit avoir toutes les vertus.
(60) Idem
932, sqq. Voir pour les autres détails sur les supplices des esclaves, ibid.
661 sqq. - Cf. Amphit. 124. - Bacch, 774. - Casin. 30. 292
et 330. - Curcul. 202 et 693. - Epidig. 63. 85. 111. 292 et 600. -
Miles glorios. 184 et 218. - Mostell. 354 et 1089. - Persa.
22. 28 et 722. - Trucul. 726. - Pseudol. 133.151. - Horac. Sat.
I. 3. 81 et 120. Od. I., 35. 17. - Epist. I. 16. 47. sqq. -
Aristoph. Ran. 616. sqq. - Platon. de Legib. VI.
(61) Lessing.
Die Gefangenen des Plautus. Vid. ed. Lachmann , 1839, Tom, III
(62) Casin. Prolog. 67 sqq. - Vid, Festus v.
Vernae. - Boèce, Comment. sur les Topic. de Cicéron. IV. -
Varro. R. R. I. 17. - Columel. I. 8. -Digest. XI.. Tit. 4. leg. 59. -
Tit. 5. leg. 41. 15. - Ulpian. Inst. Lib. I. Tit. 5. 6. 10. - Aristot. Polit.
I. 1. 5. - Sam. Petit, Leges At. VI. 1.
(63) Plutarq. Cato maj. XXI.
(64) Casin.
30 et 183.
(65)
Festus v. Prodinunt. - Ennius Annal.
Merul. 1595, p. 317. - Catull. LXI. 121 sqq. - M. Naudet a donné dans sa 2e
édition française, 1845, tom. 2, p. 197, une opinion sur ce passage,
différente de celle qu'il donnait en 1833. dans la collection Lemaire, t. 1, p.
579; c'est cette dernière que je crois préférable, avec quelque modification
toutefois: Olympion en prédisant à son adversaire qu'il portera les flambeaux
devant la mariée et en ajoutant :
Postilla ut semper improbus nihilque sis,
a voulu dire, je crois, qu'il n'en restera pas moins pour cela un fripon et
incapable de trouver femme. C'était humilier Chalinus que de lui faire porter
le flambeau à une noce qu'il espérait faire pour son propre compte.
(66) Casin.
175.
(67) Id.
240.
(68) Id.
289 - 294. Plus loin, vers 769, Stalinon s'écrie : Improbos famulos imiter, ac
domo fugiam.
Voir pour la marque au front qu'on infligeait aux esclaves fugitifs, Auson. Epigr.
15 et 16. - Val. Maxim. VI. 8. 7. - Columell. X. 125. - Apul. Metam IX.
p. 279. - Pignorius de Servis, p. 20 sqq.
(69) Casin. 299 sqq.
(70) Id. 330. - Vid. Festus v. Aerumnulae.
Isidor. v. Furcifer. - Dionys. Halic, VII. - Plutarch. Coriolan.
24 ad fin. - Popma, de Operis servorum, p. 159 sqq. Cf. Terenc. Andr.
vers 619 et note de Donat au mot furcifer.
(71) Casin. 338 et 612.
(72) Id. 355 sqq.
(73) Id.
voir, par exemple, toute la scène 6 de l'acte III.
(74)
Id. 511. - 603.
(75) Regnard,
les Folies amoureuses, act. II. sc. 6.
(76) Casin.
152 sqq. 256 et 301.
(77) Voir
Volf. loc. cit. lettre 165. Orelli ibid. lettre 3e.
(78) Plutarch.
Cato. maj. XX, - Cf. Id. quaest. Rom. XVI.
(79) Casin.
620 - 635.
(80) Paternus
servus, dit le Dieu Secours. vers 167, en nous donnant une sorte de second
prologue de la pièce. C'est un esclave qui s'est transmis du père à la fille
et qui a suivi le sort et les intérêts de celle-ci, bien qu'il ne fût pas servus
dotalis. Du moins on ne lui donne pas ce nom dans la pièce.
(81) Cistellaria
487.
(82) Plutarch.
Cato. maj. XXI.
(83) Curculio.
23 - 38. Cf 154 et 176.
(84) Id.
53.
(85) Id.
299.
(86) Voir, par
exemple, Rudens, 293, où il se moque des longs cheveux des devins, et Trucul.
557, où il dit qu'ils se battaient eux-mêmes au milieu de leurs fausses
convulsions.
(87) Voir
Bothe Poet. scenic. fragm., p. 106 et 109, avec les notes. (2e partie.)
Munk de fabul. Atell. p. 137 et 139.
(88) Voir
Munk ibid. p. 150, note 80 et l'interprétation de Mercier. Voir plus
haut p. 32 et note 2.
(89) Voir
Aul. Gell. III. 3. et Bothe ibid. p. 16. (2e partie).
(90) Bothe ibid.
p. 62 (1re partie.) C'est aussi l'opinion que Cicéron prête à son frère
Quintus De Divinat. I. 58. - Cf. Van Dale, De Oraculis ethnicorum.
Amtel. 1683. Tom. I, p. 421-76. - Wolf, Vom somnambulismus der Alten.
Berlin. Zeitung, septemb, 1788.
(91) Curcul.
297-306. - Voir quelques réflexions ingénieuses sur ce passage dans un
Mémoire, déjà cité, sur l'Instruction publique chez les anciens, de
M. Naudet, Mem. acad. Inscript. IX. p. 1102.
(92) Voir
Plaute, traduct. Naudet. 2e édit. in-12, tom. II. p. 360, note sur le mot scurrarum,
et Journal des Savants, juin 1838. p. 417.
(93) Hor. Sat.
I. 2, vers 1 - 4. Id. I. 3, 12 et 13.
(94) Martial.
Epigr. IX. 57. - Cf. Virgil. Æneid, IX. 647.
(95) Plin. Hist.
nat, X. 43. - Voir Duréau de la Malle. Econom. politiq. des Romains.
I. p. 148 et tout le chap. XV pour le prix des esclaves. - Cf. Pignorius, de
servis, p. 240.
(96) Stichus,
460. - Epidiq. 5, 6.- Cf. Bacchis, 151. - Mostell. 889.
(97) Voir
Catull. XII. 1. et XLVII. 1.
(98) Epidiq.
57.
(99) Id.
120 - 128.
(100)
Cicéron. pro Sexto. 21 : Sin victi essent boni quid superesset ? Non ad
servos videtis rem venturam fuisse? - Juvenal. Sat. III. 132 :
Divitis hic servi claudit latus ingenuorum
Filius.
(101) Epidiq.
239 et 246. - Voir ci-après Menaech. 168.
(102) Id.
472.
(103) Id.
589.
(104)
Id. 613. Voir pour les présents que les esclaves faisaient à leurs
maîtres, Pseudol. 756-78. - Terent. Phormio, 40 et plus loin, p.
299.
(105) Menaechm.
165.
(106) Id.
145 et 165 -174.
(107) Id.
352 - 168 et 946. - Voir les scènes 1 et 2 du 2e acte.
(108) J'ai cru inutile de parler de la vente qui
termine la comédie, vente annoncée par Messénion et dont les esclaves de
Ménechme doivent faire partie. Il en est de même d'un autre passage, vers 445,
où l'esclave de la courtisane Erotie demande à Ménechrne, qui a été reçu
chez sa maîtresse, des pendants d'oreilles « pour que, dit-elle, je te voie
avec plaisir toutes les fois que tu viendras chez nous. » C'était le don de
bienvenue, habituel chez les courtisanes.
(109) Mercator. 89.
(110) Id. 143-146. Allusion maligne à ces
philosophes grecs, à ces sophistes charlatans, nouveaux venus à Rome, que
Plaute a bafoués souvent et que Térence estimait davantage. Voir plus haut ,
p. 258 et note 1. - Cf. Pseudol. 955. - Térence, And. 55, 56, 57.
- Pour compléter les détails relatifs à l'éducation, voir Plutarch. Comparaison
de Numa et Lycurgue, in fin. - Plin. jun. Epist., VIII. 14. -
Quintil. I. 14. - Aristot. Polit. VII. 17. - Plato, de Legib. V. -
Ernesti : de Privata Romanor. disciplin. in Opuscul. p. 32, sqq., et
enfin Claudius, de Poedagogis, etc., in Poleni supplém. II. Tom. 3, p.
422-43. - Voir plus haut p. 225 et la note.
(111) Id. 390.
(112) Lucilius, Satir. XXVIII. 37,
édit. Corpet :
« Cui sæpe mille imposui plagarum in diem. »
Ailleurs, XXVII, 34, il y a un vers où il s'agit d'une servante :
« Lignum cadat, pensum faciat, aedes verrat, vapulet. »
(113) Titinii fragm. Edit. Bothe, p. 63 (2e
partie) :
« Everrite aedes, abstergite araneas. »
Ailleurs, id. Edit. Neukirch, p. 110 :
« Da pensam lanam, qui non reddet tempori
Putatam recte, facite ut multetur malo. »
Ce mot malum rappelle quelque peu cette réponse des Metellus aux
épigrammes de Naevius :
« Malum dabunt Metelli Naevio poetae. »
(114) Curculio, 497 - 502.
(115) Epidiq. 345 et 446. M. Dureau de la
Malle n'a peut-être pas tenu assez compte de ces évaluations, Econom.
politiq. des Rom., dans son curieux chapitre du prix des esclaves, lib. I.
chap. 15. p. 148. Il n'a cité que le Pseudolus et le Poenulus, et
il a ainsi fixé trop bas le prix moyen des femmes esclaves. - Cf. Epidiq.
50, et Journal des Débats, 15 septembre 1835, un ingénieux article de
M. Leclerc sur les chiffres calculés par la gesticulation. dans cette pièce
et, en général, sur la mimique des anciens.
(116) Voir act. IV, scen. 1.
(117) Mercat., 794. Voir note de M.
Naudet. - Cf. Menaechm. 45-48.
(118) Voir p. 483, note 4. - Cf. Aul. Gel!.
X. 23.
(119) Le Mariage de Figaro, édit.
Petitot, act. III., scèn. 16. Ce passage est supprimé dans quelques éditions.
(120) Afranius, fragm. Epistola, édit. Neukircb,
p. 203 :
Nam proba et pudica quod sum, consulo et parco ;
Quoniam comparatum est uno ut simus contentæ viro.
C'est, dans le mariage, une morale à peu près analogue à celle que Messénion
professe dans la servitude. - Caton, dans son livre De Dote (Aul. Gell. loc.
cit.), formule la loi avec une concision cruelle :
« In adulterio uxorem tuam si deprebendisses, sine judicio impune necares :
illa te, si adulterares, digito non auderet contingere, neque jus est. »
(121) Mercat. 813. sqq.
(122) Miles glor. 190-96. - Cf. id. 357 et
465. Curcul. 199.
(123) Miles glor. 784. - Cf. id. 882.
(124) Id. 180, 200, 262-71. Voir
toute la scène 3e de l'acte II.
(125) Id. 213. - Vid. Festus v. barbari.
(126) Rudens, 80 et la note.
(127) Miles glor. 200-35.
(128) Id. 351, sqq. Peut-être Scéledrus
parle-t-il avec l'exagération de la jalousie. Car, plus tard, Palestrion, 1340
et 1357, dira à son maître que d'autres esclaves ont toujours joui de sa
confiance plus que lui-même. Qui faut-il croire ici? Palestrion ne se
rabaisse-t-il pas trop pour mieux faire valoir sa feinte reconnaissance? et
Scéledrus n'est-il pas trop jaloux pour être complètement véridique ?
(129) Id. 670. - Cf. id. 1186.
(130) Id. 267.
(131) Id. 478. - Cf. 563, 564.
Périplectomène n'est point à la merci d'un esclave, comme Pleuside. C'est
qu'il n'est point amoureux. Ce personnage, qui est remarquable dans Plaute,
parce qu'il représente les moeurs nouvelles et l'aristocratie, que l'auteur n'a
dépeintes nulle part ailleurs après l'Amphitryon (voir. Journal des Débats,
24 septembre 1844, un article de M. Saint-Marc Girardin), se distingue encore
ici par sa conduite avec ses serviteurs. Pleuside craint leurs murmures, s'il
demeure trop longtemps chez son hôte. Périplectomène ne les redoute guère :
Servienteis servitute ego servos introduxi mihi
Hospes, non qui mihi inperarent, quibus ego essem obnoxius.
Miles glor. 741-47.
(132) Id. 1332-56.
(133) Id. 374, 375.
(134) Id. 515, sqq.
(135) Voir toute la scène 2e de l'act. III.
- Cf. Amphitryon. 273, et les Fourberies de Scapin, act. II. scen.
5.
(136) Colum. de R. R. XI. I.- Cicer. OEconom.
II. ed. in-12, Leclerc, p. 344. - Cf. Pignor. p. 540, et Popma. p. 33. Dans l'Ergastulum
de Pomponius (Nonius, v. rarenter et villicari) on trouve :
Longe ab urbe villicari quo herus rarenter venit
Non est villicari sed dominari mea sententia.
- Cf. Dezobry, Ibid. cap. LXXXI, p. 276, sqq
(137) Colum. loc. cit.
(138) Plutarch. Cato maj. IV.
(139) Vid. Popma, p. 44 et 130.
(140) Horac. Epist. I. 44. - Dans la Mostellaria,
48-52, il y a une pensée analogue a celle qui fait le fond de cette Épître
d'Horace. - On peut, à côté des préceptes agricoles de Caton, Varron et
Columelle, déterminer au besoin quelques-unes des occupations des villici à la
campagne. Voir, par exemple, Horace, Epist., ibid. 27-31 et 41. -
Plaut. Casin. 32-45. Le fermier avait-il aussi quelques moutons à lui
parmi ceux de ses maîtres ? Voir Asinar. 521.
(141) C'était quelque chose d'analogue à la
haine des tribus urbaines pour les tribus rustiques. Voir Epidiq. 13. - Trinum.
178-201. - Trucul. 456. - Poenul. 481, et la première scène de
la Mostellaria.
(142) Les personnages protatiques sont fréquents
dans le théâtre latin. Voir dans l'Andrienne le rôle de Sosie, Dave
dans le Phormion, Thesprion dans l'Epidique, Philotis dans l'Hécyre,
etc., etc.
(143) Mostell. 121, sqq.
(144) Id. 41-47. Il semble que, dans ces
détails de la vie servile, on parle plutôt du chef que du serviteur. C'est une
des mille preuves de la familiarité des esclaves favoris avec leurs jeunes
maîtres. Est-il difficile, après cela, d'expliquer l'intérêt que les
esclaves prenaient ordinairement à leurs patrons jeunes et amoureux?
(145) Id. 64. - Cf. Stichus. 442.
(146) Id.
405-16. - Cf. Id. 766, 1025, sqq.
(147) Voir
plus haut Bacchis, 611.
(148) Cicer.
de Senect. XI.
(149) Mostell.
823, sqq.
(150) Id.
535-38.
(151) Id.
1060-69. - Cf. Val. Maxim. VI. 8.
(152) Mostell.
913. Nous avons déjà un renseignement analogue dans Casine, prolog. 10.
Il n'y est question, il est vrai, que de monnaie nouvelle, fabriquée pendant
les guerres puniques. Mais il est permis de supposer que ces monnaies nouvelles
favorisaient la fraude des monnaies fausses, et que les esclaves en profitaient.
Plus loin, vers 451, il est question de monnaie de plomb, et de même dans le Trinum.
918. - Dans les Grenouilles d'Aristophane, v. 718, le choeur compare les mauvais
citoyens, les esclaves, a de méchantes pièces de cuivre, de mauvais aloi,
frappées sous l'archonte Antigène, au Ve siècle avant notre ère; et dans le Querolus,
comédie imitée de Plaute, écrite au IVe siècle après J.-C., l'esclave
Pantomalus, au milieu d'un long monologue sur les habitudes de la servitude,
dira : « Quant aux pièces d'or, il y a mille moyens de les altérer. Nous les
changeons et rechangeons : c'est un usage qu'on ne peut changer. » - Voir dans
Gruter, Inscrip. p. 45, 74, des dédicaces de familles monétaires ou
d'ouvriers monnayeurs. - Cf. Eckel, Doctrin. num. veterum , Vindobon.
1792, tom. I. p. LXXIX, id. lib. XXXIII, p. 46, et un curieux Mémoire sur
les médailles antiques de plomb, par Morez, acad. Inscript. série nouv.
IX. p. 237.
(153) Mostell.
Voir son monologue 875 - 904.
(154) Id.
1120.
(155) Stichus.
55, sqq.
(156) Plin. Hist.
natur. XVIII, 10, 14, 86, sur les emplois divers du blé et des lupins. -
Horac. Sat. II. 3. 182. - Séneq. Epist. 80, dit qu'ils recevaient
ordinairement cinq modii de blé par mois. Chez les Grecs, c'était au dernier
jour de chaque mois. - Vid. Térence , Phorm. Comment. Westerhov. p.
1156. - Cf. Stichus, 670, sqq.
(157) Cf.
Terent. Phorm. 43, et Plaute, Menaechm,, prolog. 14.
(158) Horac.
Epist. I, 14. 40.
(159) Stichus,
682. - Cf. Horat. Sat. II. 8. 7.
(160) Stichus,
265-311. - Voir, 309; une facétie nouvelle sur les esclaves fugitifs.
(161)
Suéton. August. 83. - Cf. Aul. Gell. XV. 12. et XVII. 8. - Dans la Mostell.
307, Philématie s'adresse aussi a un petit esclave comme Dinacion, puer, et
Geta, dans le Phormion, 861, parle de Midas, petit esclave d'une femme.-- Cf. Curcul.
9, et Val. Max. VI. 8.
(162) Persa,
25, sqq.
(163) Id.
45.
164)
C'est ainsi que Geta prête à Dave, voir Phormion, sc. 1 et 2.
(165) Id.
203. C'était ordinairement avec un anneau qu'on scellait. Cf. Cicer. Epist.
ad famil. Martial, XVI. 26. - Epig. IX. 89.
(166) Plin. Hist.
nat. XXXIII. 6. Tout ce chapitre de Pline est curieux par le contraste du
luxe de son temps avec les moeurs d'autrefois. Il y est surtout fait mention de
l'usage des anneaux. - Cf. Casin. 56. - Aristoph. Lysistr. 1192.
(167) Persa,
761; voir toute la première scène de l'acte V.
(168) Id.
821 , sqq. Voir dans le Poenulus, 380 , les menaces méprisantes faites
par Agorastoclès à des affranchis appelés en témoignage. - Cf. Caecilus, Chrysius,
fragm. édit. Bothe, p. 131, 2e partie. - Horac. Sat. II, 3. 282.
-Térence ne nous a pas dit si les témoins du Phormion, advocati, sont
de même des affranchis ou des citoyens. Comparer avec la réponse hardie des
affranchis du Poenulus, le curieux dialogue d'un affranchi avec un
chevalier romain, dans Pétrone, Satyric. c. 57.
(169) Stichus,
744.
(170) Persa,
762.
(171) Cf. Mostell.
307. Virgil. Æneid. 1. 705.
(172) Cf.
Horac. Od. IV. 11. 4. - Plutarq. Sympos. VIII. 8. - Voir, pour
tout ce rôle de Pegnion, les scènes 2 et 4 de l'acte II et la scène 2 de
l'acte V. Je n'ai pas cru nécessaire de mentionner à part le personnage de
Sophoclidisque, la suivante de Lemnisélene,(act. II. scen. 1). Nous n'avons
d'elle qu'un seul aveu à noter, c'est qu'elle aime à boire, vers 171.
(173) Id.
232.
(174) Poenulus,
prolog. 23.
(175) Aristoph.
Sf°kew,
59. - Ploètow,
797. - EÞr®nh,
963.
(176) Vid.
Cicéron. De Arusp. responsis, cap. 11, 12, 13.
(177) Poenul.
prol. 44. - Ces pedisequi faisaient partie de cette valetaille, servoli,
dont les affranchis vont parler plus bas, id. 392.
NOTA. A la suite du prologue, j'ai repris la série des numéros de chaque vers,
à partir du numéro 1. L'éditeur de M. Naudet, dans sa seconde édition,
reconnaît qu'il s'est trompé en suivant l'ordre des numéros sans
discontinuer, à partir du premier vers du prologue.
(178) Id.
Voir tes deux premières scènes de l'acte I et la scène 2 de l'acte IV.
(179) Id.
150.
(180) Id.
233-68.
(181) Id.
1006.
(182) Id.
1071.
(183) Id.
228. - Cf. Menæchm. 101.
(184) Poenul.
694-716.
(185) Id.
134. - Cf. Horac. Epist. I. 14. 22-27. - Pseudol. 183. 191. 930. -
Philémon. Fragm. XXXI, édit. Didot, p.123. - Pomponius, Prostibulum,
fragm. 7, édit. Bothe, p. 120 (2e part.). - Voir dans Quintilien, Inst. orat.
VIII. 6, les noms ignobles que Coelius donnait à Clodia.
(186) Poenul.
739.
(187) Pseudolus,
153.
(188) Id.
154.
(189) Id.
157.
(190) Id.
158.
(191) Id.
162.
(192) Id.
166. - Cf. 233. 235. 846, sqq. - Menaechm. 171. 482.
(193) Cette
distribution d'emplois divers, provincia, est rappelée souvent ailleurs,
Stichus, 678. - Térence, Phormio. 72. - Cf. Captiv. 408.
-. Macrob. Saturn. I. 7.
(194) Id.
770. - Cf. Martial VII, 86; X, 29, 87. - Juvénal, IX. 50. - Petron. Satyr.
c. 30. - Plin. IV, Ep. 9.
(195) Pseudol.
275. Ces sentiments de respect paternel auquel Calidore s'associe sont rares
chez tes amoureux de Plaute et chez leurs dignes valets. Ils diraient plutôt la
plupart comme Mascaritle :
Votre père fait voir une paresse extrême
A rendre par sa mort tous vos désirs contents.
Philolachès, Mostellar. 233, voudrait qu'on lui annonçât la mort de
son père. - Strabax, Trucul. 613, demande la ruine de son père et de sa
mère pour enrichir sa maîtresse. - Voir Aristoph., Oiseaux, 1335-40, ce
qu'il dit des écoles où l'on apprenait à battre et à étrangler son père
pour en hériter plus vite. - Cf. Bacchis, 474. - Naevius, Tribaselus,
édit. Klussmann, p. 177. - Asinar. 511.
(196) Id.
480.
(197) Id.
302. - Ballion refuse une garantie pareille, comme ailleurs, Curculio,
501, sqq, le parasite refusera la garantie du prostitueur. Parasites, esclaves
et prostitueurs sont race de fripons; ils se connaissent trop bien pour accepter
la garantie l'un de l'autre. - Voir, pour la garantie du prostitueur,
ordinairement nécessaire dans la vente de ses esclaves, Persa, 729. - Mercator.
440. - Cf. Digest. tit. 2, leg. 37. - Le mot mancipium finit par
signifier l'esclave lui-même. Voir à ce sujet un curieux chapitre d'Aulu
Gelle, IV. 2, sur les vices rédhibitoires de l'esclave. Déjà au temps de
Plaute, ce mot signifiait une propriété quelconque; voir Trinum., 377,
et l'explication qu'en donne M. Creuzer, dans un mémoire sur les causes de
l'esclavage chez les anciens. Mém. acad. Inscript. 2e sér. XIV, p. 10.
(198)
Pseudol. 1080-1100.
(199) Id.
459.
(200) Voir
toute la scène 4, act. II de l'Asinaire.
(201) Pseud.
1248.- Cf. 928, les régals de toutes sortes qu'il promet à un confrère pour
prix de ses fructueuses fourberies. - Tout le monologue, scène. 1, act. V, est
rempli de détails curieux sur le cynisme des mœurs, les folies des maîtres et
des valets, et fait réfléchir au goût singulier de l'auditoire pour ces
sortes de tableaux.
(202) Voir
plus haut p. 70.
(203) Plin. Hist.
nat. IX. 31. Voir plus haut page 290 et note 3. - M. Naudet me semble avoir
été trop exclusif en avançant, Aulul., note du vers 236, que, chez
Plaute, les cuisiniers étaient tous loués sur la place. Cylindre, des Ménechmes,
et Carion, du Fanfaron, étaient de la maison du maître
(204) Il en
était de même aux premiers temps de Rome, dit Pline, Hist. nat. XVIII.
28.
(205) Voir Aulul.
236.-416. - Remarquons, scèn. 8, act. II, les différentes attributions,
provinciae, de chaque cuisinier. - Cf. Casin. 377, sqq.
(206) Aulul.
401 et 280. - Dans les fragments de la Cornicularia, de Plante, on trouve
aussi l'invocation d'un esclave ou d'un cuisinier à Laverne.
(207) Curcul.
270, sqq.
(208) Mercator.
731, sqq.
(209) Pseudolus,
779 - 892. 939.
(210) Voir
page 22 et la note.
(211) Rudens,
208-47.
(212) Id.
813, sqq.-D ans les Nautae de Naevius, éd. Klussmann, p. 162, il y a une
dédicace à Neptune analogue au début de Gripus. - Voir Lucilius, IV. 14, un
fragment qui semble être l'offre d'un pécheur.- Cf. Varron, Sat. Menipp.
OEhler. 89. 2. 229. - On est étonné que Pignorius, p. 556, et Popma, p. 101,
n'aient pas cité le Gripus du Rudens au sujet des esclaves pêcheurs.
(213) Rudens,
828.
(214) Voyez
toute la scène 3e de l'acte IV. Les discussions sur le poisson-valise et sur le
domaine commun de la mer sont d'une vivacité et d'une finesse incontestables.
Il y a là quelques réminiscences de la scène des sorts dans Casine,
act. II. sc. 6.
(215) Id.
991. sqq.
(216) Id.
1140.
(217) Id.
1290, sqq. - Cf. id. 1301.
(218) Voir
les passages principaux de son rôle qui peuvent servir à le faire distinguer, Rudens,
277. 318. 523. 535-644. 750. 1082.
(219) Timon
d'Athènes, de Shakespeare, act. I, scèn. 2. - Stasime, Trinumus, 370 :
« (A part.) Le sot! il s'occupe trop tard du soin par lequel il aurait dû
commencer. C'est après avoir mangé son bien qu'il s'avise de compter ! »
574: « O mon maître ! comme ici en ton absence on met ton bien au pillage ! oh
! si je pouvais te voir revenir sain et sauf pour te venger de tes ennemis!...
Qu'il est difficile de trouver un ami vraiment digne dé ce nom et auquel on
puisse confier si sûrement ses intérêts qu'on dorme sans nul souci ! » Cf.
Id. 1066.
676: « Stasime, tu restes seul. Que faire maintenant ? Je n'ai qu'à préparer
les paquets, à me mettre le bouclier sur le dos... Je vois qu'avant peu je
serai valet de soldat., etc. » Cf. idem. 552.
(220) Id.
475-518.
(221) Id.
964-79.
(222) Voir
principalement 984, 988, sqq. - Cf. 396, 572, 1066.
(223) Vid. Mercator,
930, et note de M. Naudet.
(224) Voir
Pers. Satir. V. 95. - Cf. Horace. Satir. 1. 2. 44.- Id. 6. 103. Epist.
I. 14. 42.
(225) Vid.
Seneq. Phoenic. 597.
(226) Vid. Trinum.
678, sqq. - Cf. 552, sqq.
(227) Truculentus,
45, 46.
(228) On
trouve aussi dans les fragments de Plaute une pièce intitulée : Agroicus.
(229) Voir
Putsch., page 1436, v. Salveo. Plaute, édition Bothe, act. II. scèn. 2.
vers 20 et 21, et les commentaires de Gronov. et de Taubmaun sur ces mêmes
vers.
(230) Id.
247-53.
(231) Id, 274 sqq., et 621, sqq.
Comme le Scélédrus du Fanfaron, il inspecte, n'épie, il voit les tuiles
tomber du toit du jardin et accuser les fredaines de son maître, qui prend ce
chemin-là pour aller chez les courtisanes.
(232) Id. 625-50. Faut-il admettre
l'opinion qui s'appuie d'un passage de Donat pour supposer qu'il manque des
scènes intermédiaires qui devaient compléter le caractère de Stratilax ?
Donat, Adelphes, act. v. sc. 9, a dit, vers 31 :« Bene in postremo
dignitas personae hujus servata est ut non perpetuo commutata videretur; ut
Truculenti apud Plautum. » Je ne vois d'autre preuve dans ce passage que celle
du brusque changement que nous avions reconnu dans le personnage.
(233) Voyez 635, sqq., ces sortes de jeux de
mots entre villator et caviltator, cavillationes et caules.
(234) Aristoph. Ran. 616, sqq.
traduct. Artaud. - Cf. Val. Maxim. VI. 8. 1. - Cf. Plaut. éd. Nisard, fragm.
Amphitr. 12. Bacchis. 42. - Carbonaria, 46. Dans les
fragments du Cæcus, 40, on lit ce vers :Si non strenue fatetur ubi sit
aurum membra ejus exsecemus serra.
(235) Trucul. 724-66.
(236) Je n'ai pas parlé de Geta, l'esclave,
qui ne parait qu'un instant. Ce n'est encore ici qu'une ébauche qu'il est
regrettable de ne pas voir s'achever. Geta, 546, sqq., est un esclave à la
façon de Pasquin, du Dissipateur de Destouches. L'un et l'autre, voyant
leurs maîtres dévorer tout leur bien, ont fait comme ce chien
Qui portait à son cou le dîner de son maître,
Et trouvant d'autres chiens qui voulaient s'en repaître,
Quand il crut ne pouvoir se sauver du hasard,
Leur livra le dîner pour en avoir sa part.
Dissipateur, act. I. sc. 1.
Je n'ai rien à dire non plus du caractère de la coiffeuse Syra, esclave d'une
courtisane, demeurant vis-à-vis sa maison, exerçant dans une boutique le
métier de coiffeuse au profit de sa maîtresse. Voir 376, 377, 726, 805. C'est
cette esclave qui est mise à la potence et forcée d'avouer une partie de sa
conduite. - Voir de même dans les Macci de Novius, Munk, p. 472, un
esclave qui a vendu en Sardaigne du fromage pour son maître. - Voir id. note
467. - Voir Trinum. 222, sqq., la liste de toutes les femmes esclaves
attachées au service ou à la toilette d'une courtisane en renom. - Cf. Nonius.
v. Vestipici. - Asinar., 326. - M. Valéry, Voyages en Italie,
tom. III. p. 387, dit que la plupart des magasins y sont tenus par des
prête-noms pour le compte de l'aristocratie romaine, des prélats et des
cardinaux.
(237) Voir le long et fort curieux
monologue de Pantomalus, Querolus, act II. sc. 4. p. 573, Plaute, éd.
Lemaire III, et des remarques importantes sur ce sujet dans un article de M.
Magnin, Revue des Deux-Mondes, ann. 1835, p. 666.
(238) M. Terent. Varro. Sat.
Menipp., édit. Oelher. p. 133. XXVII. 4 : « Noctu cultro coquinari se
trajecit, etc... » Il s'agit sans doute d'un cuisinier; et 7 : « Utrum oculi
mihi caecutiunt, an ego vidi servos in amis contra dominos? » C'est Varron ou
un interlocuteur qui parle. - Cf. p. 218. LXXXIV. 1.
(239) Andria. 41, sqq.
(240) Poen.. 512, sqq.
(241) Sosie, Andria, 60 :
nam id arbitror
Adprime in vita esse utile, ut ne quid nimis.
Plus loin, le même Sosie, 67, parle des succès de la souplesse et des dangers
de la vérité avec un air d'expérience qu'ailleurs nous avons appliqué à
Térence lui-même. - Cf. Eunuch. prolog. 1-3. - Cicér. de Amic.
24. - Quintil. VIII. 5.
(242) In memoria habeo, avait-il répondu
lorsque Simon lui avait rappelé qu'il l'avait affranchi, à l'imitation de
Ménandre : ƒEgÆ s¢ doèlon önt' ¦yhk' ¤leæyeron. L'affranchi n'était
pas hors de la puissance de celui qui était resté son patron. Voir Tacite, Ann.
XIII. 26. - Suéton. Claud. 24. - Cf. Val. Maxim. II. 6. 6. - Schvveppe,
Roemische Rechtgeschichte, p. 354, sqq.
(243) Andr. 162.
(244) Id, 209.
(245) Id 381.
(246) Ménandre, Fragm. incert.
édit. Didot, CVIII, avait dit une fois, avec un sentiment bien différent :
Qui commonefacit filium severiter
Verbis acerbus ut sit, revera est pater.
Traduct. Grotius.
(247) Id. 676, sqq.
(248) Id. 729.
(249) C'est un conseil. que Tartufe avait
donné à Orgon au sujet d'une précieuse cassette. Tartufe, act..V, sc.
1., 17.
(250) Voilà une épithète aristocratique
que Plaute n'eût jamais donnée à ses esclaves.
(251) Andr. 610 et 965.
(252) Eunuchus, 310. - Cf. Adelph.,
554. - Auguste était né dans une espèce de cellule de ce genre, cella
penuaria, Suét. August. 6.
(253) Voir Eunuch., act. 1. sc. 1. 2
; act. II. sc. 2. Son dialogue avec Thaïs, 100-54; est d'un enjouement rempli
de grâce.
(254) Id. 297, sqq.
(255) Id. 922-39.
(256) Id. 382, sqq.
(257) Id.
952.960. - Cf. Plaute, Poenul. 861, 882. - Miles glor. 1391,sqq.
(258) J'ai
à peine à ajouter un détail sur Pythias l'esclave de la courtisane. Elle est
jolie, adroite, et quand elle apprend la violence faite sur la jeune esclave
donnée à sa maîtresse, elle est décidée à se tirer d'embarras, comme
Térence aime à le faire, par un silence prudent, vers 720, sqq. Cependant
ailleurs, 855-903, cette esclave courtisane témoigne une sainte indignation
d'avoir vu déshonorer une fille de condition libre ; elle donne des conseils
moraux à sa maîtresse, etc. C'est un changement invraisemblable. Ailleurs,
476, il faut remarquer le soin de Parménon à faire valoir les esclaves
lettrés. C'était une rareté qui devenait à la mode, comme celle d'avoir des
esclaves noirs d'Éthiopie, 470. - Cf. Poenul. 1289, Stichus, 380,
et Trucul. 495, sqq. et dans le Trinum. 499, une vive épigramme
contre les Syriens. - Voir Boettiger. Sabine, traduct. page 367, sur les
esclaves asiatiques. - Tout, on le voit, dans Térence respire, avec les usages
de la Grèce, cette élégance, ce luxe romains que les victoires d'Asie avaient
introduits à Rome. - Voir 580-603, tous les détails relatifs aux habitudes des
femmes attachées au service des courtisanes, les bains, l'eunuque qui fait
partie de son domestique, etc. Un tableau est dans la chambre de la maîtresse;
il représente un sujet mythologique. - Cf. Mostell. 823. et tous les
détails de bâtisse et d'ornements d'architecture qui précèdent. - Ailleurs,
782, on trouve une allusion à Pyrrhus, qui, par les guerres de Tarente, apprit
aussi le luxe aux Romains. Caton le citait de même dans ce fameux discours où
il peignait les progrès de l'opulence et des vices de Rome. Tit. Liv. XXXIV.
4.- Cf. id. XXXIX. 6. - Florus, III. 12. - Voir, pour cette allusion de Térence
à Pyrrhus, Lessing, Dramaturg. Hamburg. II. p..376, et Boeltiger, Excursus,
I. in Specim. novae edit. Terent. p. 264 de ses Opuscul. Dresde. 1837.
(259)
Voir Horac. Sat. I. 6. 38. Avec les
Damas, les Denys, anciens noms d'esclaves étrangers, ils briguaient les
suffrages populaires et arrivaient aux honneurs, au détriment des honnêtes
familles. (Voir Valckenaër : Hist. de la Vie et des Ouvrages d'Horace.
I. 294.) - Cf. id. Sat. 1, 10, 40. - II. 5, 91; 7, 2, 46, 100. - Epist.
ad Pison. 114, 237, pour le nom de Dave. - Cf. Cicer. de Legib. III.
13. - Plin. XXXV. 18. - Plutarch. Pomp. 2. - Juvénal. III. 132.
(260) J'en
excepte un seul passage, 983, où il répond à son maître qu'ils auront bon
appétit s'ils ne meurent pas de faim.
(261) Heauton.
537:
SYRUS.
Quoi, sérieusement, vous approuvez ceux qui trompent leurs maîtres?
CHREMES
Dans certaines occasions je les approuve... N'est-ce pas le moyen de leur
épargner de grands chagrins? etc.» - Comme la morale de Térence est hypocrite
et cherche à prévenir toutes les objections!
(262) Id.
688. Il dit de même, 695 :
videndum est, inquam,
Amici quoque res, Clinia, tui in tuto ut collocetur.
(263)
Id. 424-27. Donat, au vers 126,
«coenam adparare, etc... » signale ces habitudes de bien-être et d'aisance
que j'ai déjà notées dans Térence : « Nihil significantius de sene dicere
potuit, qui voluptates et commoda, quae aspernatus gratia filii narrat. » -
Voir aussi les vers qui suivent dans le récit de Ménédéme. Rien ne marque
mieux ces airs de richesse que les nombreux esclaves qu'on voit partout, soit
auprès des courtisanes, soit au-près des jeunes mariées. - Id. 451 et
894. - Les laquais traitaient autrement leurs maîtres au temps de La Bruyère.
Voir Caractères, au chap. de l'Homme, sur Ménalque, ad fin.
(264) Voir
pour tous les renseignements relatifs à la vente à l'encan des esclaves et à
l'usage des esclaves rustiques, Pignor. de Servis, passim. et Dézobry, loc.
cit. tom. I, p. 423, et tom. II, p. 271. - L'autel était un refuge
inviolable pour les esclaves. Heautont. 976. - Cf. Mostell.. 1008.
- Fragm. Mostell. éd. Nisard, p. 535. et le premier vers des Carbonaria,
p. 537. - Rudens, 632, 753. Aristoph. Equit. 1311, 1312, et fragm.
394 et 477. - Les Dissertations de Ménage et de l'abbé d'Aubignac sur l'Hèautontimorumènos
auraient bien dû toucher à ces points divers, au lieu des questions futiles
qu'elles traitent.
(265) Consulter
sur ces divers caractères une brochure de Zimmermann : Terenz und Menander,
ein beitrage zür erklaerung der Adelphen des Terenz. Berol. in-4°. 1841.
(266) Cette
scène finale du Persan a été imitée par lui dans le Miles
gloriosus, dont le dernier tableau représente aussi l'esclave Carion
frappant, menaçant, bafouant le Fanfaron.
(267) La fin
d'une des scènes qui suit, 285-88, annonce aussi une gaîté un peu plus
hardie, des moeurs un peu moins gourmées, qui devaient frapper l'auditoire.-
Cf. 377, où il s'agit de poisson à désosser pour festoyer, etc., etc. - Cf. Id.
421, sqq. Dans cette énumération enjouée des préceptes de cuisine, étalés
par Syrus, se retrouve encore l'homme de bonne compagnie, le citadin familier
des Scipions : « En un mot, dit Syrus, je veux que mes camarades se mirent dans
leurs plats comme dans un miroir. »
Postremo, tanquam in speculum, in patinas, Demea,
Inspicere jubeo...
Horace, en invitant Torquatus, lui promettra la même propreté, Epist.
I. 5. 24 :
Ne non et cantharus et lanx
Ostendat tibi te. ..
L'esclave Syrus, 591 et 767, qui se régale en l'absence de ses maîtres, à peu
près comme Toxile et Stichus dans Plaute, dit, 587, que son maître a commandé
des petits lits à pieds de chêne pour manger en plein air. - Cf. Horac. Ibid.
vers 1.
(268)
Adelph. 565.- Voir aussi, 967, les
bons préceptes qu'il leur a donnés. Singuliers pédagogues à qui rien ne
coûtait pour aider les fredaines de leurs élèves!
(269) Id.
972.
(270) Id.
scènes III, act. III, et II, act. IV.
(271) Id.
300, sqq., 449, sqq. - Lampadion de la Cistellaria offre quelqu'analogie
avec Geta, mais il est plus simple, moins emphatique.
(272) Adelph.
980-99. - Cf. Suétone, Claud., 25. - Tacit. XIII. 26.
(273) Hecyra,
288.312. Donat me semble avoir jugé à tort que la réponse de Parmenon à son
maître, v. 306, était d'un esprit étroit et grossier « servilis ratio et
sordida. » Le goût délicat de Térence pour tous les sentiments tendres n'est
pas plus en défaut ici qu'ailleurs. Parmenon, en voulant calmer les plaintes de
Pamphile son maître, commence à les trouver fondées comme lui : « Haud
quidem hercle ! parvum, » à peu près comme Horace quand il voudra consoler
Virgile de la mort de Quintilius. Comparer, pour les réflexions qui suivent sur
la différence des humeurs, Lucrèce, de Natur. rer. III. 311.
(274) Voir
entre autres 328-35.
(275) Id.
343 et 307.
(276) Voir,
dans toute la première scène de la pièce, son dialogue avec la courtisane
Philotis.
(277) Id.
359. 435. 800-816.
(278) Phormio.
71-100. En vérité, si les gouverneurs ou pédagogues du temps d'Horace avaient
été d'aussi facile composition que tous ceux dont nous a parlé Térence, il
n'eût pas écrit, dans sa Lettre aux Pisons, que le jeune homme
attendait impatiemment l'éloignement de son surveillant pour se livrer à la
chasse et au plaisir, vers 161 :
Imberbis juvenis, tandem custode remoto, etc.
Remarquons que ce passage est une réminiscence d'un passage analogue de l'Andrienne,
55. Seulement Térence, qu'Horace imite si souvent, n'y parle pas de gouverneur
:
Quos plerique omnes faciunt adolescentuli,
Ut animum ad aliquod studium adjungant, aut equos
Alere, aut canes ad venandum, aut ad philosophos.
(279) Térence
ressemble ici à Ménandre dont le scholiaste disait :« Menander cum fabulam
disposuisset, etiam si nondum versibus adornasset, dicebat se jam complesse. »
Vid. Schol. Horat. Cruq. p. 633. au vers : Nec facundia deseret hunc de la
Lettre aux Pisons. - Térence bien certainement écrivait longtemps après avoir
disposé les différentes parties de son sujet, et il ne variait guère son
style d'après les divers caractères de ses personnages. - Sur les cadeaux
d'esclaves, Cf. Miles glor. 698. Pseudol. 766. - Plaute est moins
aristocratique.
(280) Phorm.
179.
(281) Id.
486-491.
(282) Id.
234-251.
(283) Id.
203.
(284) Id.
454.
285. Id.
540.
286.
Id. 767.
287.
Id. 867.
288. Le
Phormion nous donne encore une indication sur la vie des esclaves, qu'il est
utile de remarquer. Gela, 292, répond que la loi défend à l'esclave de
plaider. On est étonné que, pour ce passage, Donat ne trouve à citer qu'une
phrase de Salluste, où il est dit que Hiempsal se cacha dans le réduit d'une
esclave. Il vaut mieux comparer avec cette indication celle de Charançon,
628-30.
289.
Id. 51.
290. Voir
Térence, Westerhov. 1732, p. 1159, au mot « si me quæret rufus. »
291.
De tragoedia et comoedia, p. XLIX, édit. Lemaire.
292.
Epidiq. 697.
293.
Persa, 304.
294. Pseudol.
1256. - Cf. id. 945, pour la chlamyde de l'esclave Singe.
295.
Id. 724. - Cf. id. 727. - Peut-être c'était là aussi le costume
des esclaves qui s'équipaient pour la fuite, voir Epidiq. 589.
296. Voir
Maccus exul., édit. Munk, p. 173, au mot vesci, et la note de
Bothe au sujet de ce vers :
Suum vestimentum vesceris.
297.
Pseudolus. 1196. On a cru reconnaître Plaute dans ce portrait.
298. Milites
Pometinenses, Munk, p. 175. Ce signe de genibus magnis est la traduction de katakn®mow
qui se retrouve dans le signalement de l'esclave Bion des deux papyrus du Musée
royal, expliqués par M. Letronne. Voyez l'Aristophane de M. Didot, fin du
volume, pages 15 et 28. Bion et son camarade, fugitif comme lui, ont aussi un
petit manteau, une chlamyde et tunique xlamæda,
ßm‹tion kaÜ ßmatrÛdion; voir p. 15.
299.
Piscatores, voir Munk, Atell. p.
152. Ils portaient quelquefois la tête inclinée. Horac., Sat. II. 5.
92.
300. Casine,
354
301. Mostellaria,
47.
302. Menoech.,
171.
303.
Id. 201. Je pourrais y ajouter la
fiole d'huile, l'étrille, ampulla, strigilis, que les parasites
portaient aussi, ustensiles propres aux esclaves aliptae qui suivaient
leurs. maîtres au bain, l'anneau, la ceinture, mentionnés aussi dans le savant
Mémoire de M. Letronne déjà cité, et quelques autres rapportés dans le
Discours sur la constitution de l'esclavage, par M. de Saint-Paul, p. 102,
dans l'Onomasticon de Pollux, IV , 19, dans le IIIe livre de Ferrari :
de Re Vestiaria, et dans un curieux Mémoire de Mongez : Recherches sur
les habillements des anciens dans les Mém. acad. inscript. 2e série, IV.
p. 255. Mais il n'en est pas question dans les pièces que j'ai analysées, et
je n'en ai pas vu d'exemple dans le théâtre latin.
304. Pœnul.
288, 289.
305. Casin.
573.- Cf. Plin. Hist. natur. XXXIII. 4. Les hommes en portaient de même,
comme Stasime, Trinum. 970, 978. Il y a dans les fragments de Plaute une
pièce intitulée : Condalium, l'anneau d'esclave.
306.
Mercator. 390.
307.
Trucul. 265.
308. Voir
Noevius, Klussman, p. 79 et 162. Il n'en est pas parlé dans le Noevius, édit.
Schütte. partic. prim. Herbipol. 1841.
309. Bacchis.
399. - Cf. Fronton ad Marc. Anion. de Oration. II. page 271. Ed. Mai
1815.
310. M.
Creuzer, Mém. acad. inscrip. XIV. loc. cit. p. 251, a dit que, dans les
comédies, la bulla que portaient les enfants nobles sous leur tunique d'esclave
les faisaient reconnaître à la fin. Je n'ai vu de preuve de cette assertion
nulle part.
311 Voir
surtout, à ce sujet, une excellente dissertation de M. Koenighoff, Colon. 1843:
De ratione quam Terentius in fabulis Graecis latine convertendis secutus est,
p. 17-25.
312 .
Boettiger, Specimen novae edit. Terent. Opuscul. p. 236. - Cf. Ritsch, Lib.
cit. p. 635. Térence aura sa place entière et plus opportune dans un autre
volume, où je donnerai aussi sur Plaute et sur les fragments des autres
comiques de nouveaux Essais que je prépare depuis longtemps.
313. Acci
Plaut. fragm. inedita item ad Terentium Commentat. et picturae ineditae inventor.
Angel. Mai. Mediolan. 1815, in-4°, p. 37.
314. Voir
les vers de Porcius Licinius dans la Vie de Térence, attribuée à
Suétone.