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Dezobry, Charles (1798-1871)
Rome au siècle
d'Auguste,
ou Voyage d'un Gaulois à Rome à l'époque du règne d'Auguste et pendant une
partie du règne de Tibère
ROME AU SIÈCLE D'AUGUSTE
LIVRE QUATRIÈME.
LETTRE CIV.
LES SÉPULCRES. - LES PARENTALES. - LES LÉMURIES.
Je vais encore te
parler aujourd'hui de Rome physique. Il y a quelques jours, je croyais avoir
épuisé cette matière, lorsque les fêtes funèbres appelées les Férales
m'ont fait souvenir que je ne t'ai rien dit encore de ce que j'appellerai la
nécropole, la ville des morts. Dans une contrée ou dans une ville où il y a
beaucoup à voir, à observer, l'écueil du voyageur, c'est de ne pouvoir
consigner immédiatement sur son journal tout ce qui s'offre à lui de
remarquable, pendant qu'il est sous le charme de la nouveauté et dans toute la
vivacité de ses impressions. Il y a une foule de choses sur lesquelles sa
curiosité s'émousse, devant lesquelles il finit par devenir presque un
indigène ; elles cessent de le frapper, et l'oubli suit alors cette
accoutumance involontaire.
Lorsque je t'ai parlé de Rome, de son enceinte de murailles, de son Pomoerium,
de ses faubourgs, j'aurais dû, pour compléter ma description, te faire
connaître aussi ce que j'appellerai les faubourgs nécropolitains ; car tu
sauras que dans cette cité extraordinaire, les morts servent comme de gardes
avancés aux vivants, et qu'on n'arrive aux habitations qu'en passant au milieu
des sépulcres. Autrefois on ensevelissait dans la ville et jusque dans
l'intérieur des maisons. Ce mode de sépulture était contraire à la
salubrité, et de plus, les. cérémonies funèbres pouvaient à chaque instant
souiller les sacrifices de la ville. On finit donc par y renoncer ; et plus tard
un chef de la loi des XII Tables défendit d'ensevelir ni de brûler un corps
dans l'intérieur de Rome. Les Vestales, les Empereurs, et deux ou trois
familles, celles de Publicola, de Tubertus, de C. Fabricius, conservèrent ou
obtinrent le droit de funérailles dans la ville, comme un honneur public ;
leurs descendants en jouissent encore, mais ils n'en usent que fictivement :
lorsque l'un d'eux vient à mourir, on porte son corps sur le Forum, on passe
sous le lit funèbre une torche ardente, pour simuler l'inflammation du mort, on
la retire aussitôt, et l'on va brûler le corps en dehors de la cité.
Quand un triomphateur meurt pendant son triomphe, il a droit d'être enseveli
dans Rome. Il n'y a que pour lui que cet honneur soit réel : c'est le
privilège de la victoire. Le Champ de Mars, bien que faisant partie de Rome,
peut recevoir des sépultures, parce qu'il n'est compris ni dans les murs, ni
dans le Pomoerium. Cependant, comme c'est un champ public, aucune inhumation ne
s'y fait que par ordre du Sénat ou du peuple. Les sépulcres que l'on y voit ne
furent érigés qu'avec cette autorisation, et quelquefois par un ordre
populaire improvisé ; ainsi, après les funérailles de Julie, fille de César
et femme de Pompée, elle devait être portée à la villa Albaine de son mari :
le peuple, par affection pour César, contraignit le convoi d'aller au Champ de
Mars, et voulut que les restes de cette jeune femme y fussent inhumés.
D'après une opinion religieuse très accréditée, quand un homme n'a pas reçu
la sépulture, son âme erre pendant cent ans sur les bords du Styx ; aussi,
quiconque rencontre un cadavre sans l'inhumer commet un sacrilège, qui ne peut
être expié que par le sacrifice d'une truie à Cérès. Mais afin que ce
devoir soit plus facile à rendre, on n'est point obligé d'accomplir
véritablement l'inhumation : il suffit de la simuler en jetant sur le cadavre
un peu de terre à trois reprises différentes.
Ces idées sur l'importance religieuse de la sépulture font que les Romains
s'occupent de leur tombeau longtemps avant d'arriver au terme fatal. Il y en a
qui disposent ce dernier asile pour eux et leurs héritiers ; les citoyens un
peu considérables ont ainsi une sépulture commune, préparée pour recevoir
plusieurs générations, un sépulcre héréditaire. Avoir les mêmes monuments
de famille, les mêmes sacrifices, et un sépulcre commun, c'est ici un grand
motif d'attachement mutuel. Ceux qui n'ont point préparé de leur vivant ce
refuge pour leurs cendres ordonnent par testament qu'il soit bâti par leurs
héritiers.
Les Romains ont tant besoin de bruit, de mouvement, d'agitation, de gloire,
qu'ils semblent ne pouvoir s'en passer, même après leur mort ; ils ont donc
choisi pour emplacement de leurs sépultures les bords des routes. Des riches se
font inhumer dans leurs villas, dans leurs jardins, dans leurs bois ; mais ce
n'est là que l'exception : presque tout le monde, grands et petits, préfère
la voie publique ; plus elle est importante, plus elle est fréquentée, et plus
on y trouve de sépulcres. Toutes les voies qui sortent de Rome, ou qui
l'avoisinent, en sont bordées, notamment les voies Appienne, Latine, et
Flaminienne. Les lignes de tombeaux qui les décorent (je justifierai tout à
l'heure cette expression) s'étendent depuis les portes jusqu'à quinze ou seize
milles de distance, et davantage. La sépulture est encore une action de la vie
; c'est pour la vanité un besoin, une mode d'installer sa dépouille mortelle
sur une voie célèbre : on s'imagine par là graver son souvenir à
perpétuité dans la mémoire des générations. Les Romains ont peine à
s'éloigner, même après la mort, de la ville où ils ont vécu, et
quelques-uns brillé. Aussi la législation, en excluant les sépulcres de
l'intérieur des cités, ne les en a pas écartés ; elle n'exige qu'un
isolement de soixante pieds de toute habitation. C'est une précaution contre
les incendies, parce qu'on brûle ordinairement les corps devant les tombeaux.
Dans les comptes ou éphémérides de Libitine qui sont les registres
mortuaires, tous les rangs sont confondus ; mais hors de là chacun décline
cette égalité et cherche à reprendre son rang par le plus ou moins
d'importance ou de magnificence du tombeau. Ce besoin de distinction posthume
fait que les morts donnent autant d'occupations aux architectes que les vivants,
et tous les asiles cinéraires, grands ou petits, qu'il faut leur construire, ne
forment pas l'une des moindres curiosités de Rome : ils sont comme un reflet de
la magnificence de la ville, car on y prodigue la pierre, le marbre, le granit,
disposés, taillés, sculptés de la manière la plus élégante et la plus
dispendieuse. Au commencement du siècle ce luxe était déjà porté si loin,
que Jules César chercha à le réprimer par une loi somptuaire fixant la somme
qu'on pourrait employer à l'édification d'un sépulcre, et condamnant
quiconque la dépasserait à l'amende, au profit du peuple, d'une somme égale
à l'excédant de la dépense permise.
Le sépulcre proprement dit est l'endroit qui contient le corps ou les ossements
d'un mort ; et le monument, un édifice élevé pour transmettre à la
postérité la mémoire du défunt. Il y a monument sans sépulcre, quand le
corps du défunt est enseveli ailleurs, ou bien perdu ; mais il devient
sépulcre dès qu'on y met les restes quelconques d'un mort.
Il me faudrait une lettre plus longue que le plus gros volume, si je voulais te
parler de tous les sépulcres ou monuments remarquables qui existent seulement
aux abords de Rome. Déjà, dans ma description du Champ de Mars, j'en ai cité
plusieurs, notamment le Mausolée, dont j'ai complété la description dans mon
récit des funérailles du divin Auguste. Il existe d'autres monuments moins
beaux que le Mausolée, mais cependant encore très beaux et très importants ;
tel est, sur la voie Tiburtine, à seize milles de Rome, le sépulcre de
Plautius Silvanus, homme consulaire que j'ai connu. C'est une grosse tour ronde,
en pierre de taille, dont les inscriptions sont sur un album parallèle à la
voie, et composé de cinq tables avec colonnes et frontons. Plus près de Rome,
à deux milles seulement, et sur la voie Appienne, je citerai encore le
sépulcre, plus ancien, de Caecilia Metella, femme de Crassus. C'est aussi une
grosse tour, de quatre-vingt-quinze pieds de diamètre, sur un soubassement
quadrangulaire. Le tout est en pierre tiburtine, excepté la base, la frise, et
l'entablement de la tour, qui sont en marbre blanc. Des sculptures de bucrânes
ou squelettes de têtes de boeufs, entre des guirlandes de feuillage,
entremêlées de patères, symboles de sacrifices, ornent la frise. Le corps de
la tour a ses joints creusés en refends, sans autre décoration.
Le sépulcre est dans le soubassement où l'on pénètre par une galerie
obscure, large de huit pieds et demi, et qu'une porte d'airain ferme vers la
route. Elle aboutit au centre du monument, dans une chambre circulaire de
vingt-deux pieds de diamètre, et très haute De là on monte dans le caveau
sépulcral, situé au-dessus de la galerie d'entrée, pas plus large, mais long
de vingt-deux pieds. Au milieu est un superbe sarcophage de marbre blanc, tout
sculpté, qui contient le corps de Caecilia Metella. On croirait que Crassus a
voulu faire de ce sépulcre une forteresse : la tour a une telle assiette,
qu'elle est presque deux fois et demie moins haute que large, et qu'avec son
soubassement, élevé de vingt-cinq pieds, elle ne mesure que soixante-quatre
pieds de hauteur ; ensuite, excepté la chambre circulaire, dont la voûte
atteint le sommet de la tour, la galerie et le caveau, tout le reste de la
construction est en maçonnerie pleine. J'ai vu, et je vois encore chaque jour
des tombeaux construits dans ce système. Sans doute les Romains veulent ainsi
défier les siècles, et tentent, pendant cette courte vie, d'assurer
l'immortalité à leurs restes mortels.
Le sépulcre de Metella est pour une seule personne ; en voici un autre qui sert
à une famille tout entière, à la race illustre des Scipions. On le voit à un
mille environ de la porte Capène, entre la voie Appienne et la voie Latine. Il
a la forme d'un grand édifice carré, plus spacieux que la tour de Metella. Le
bas n'est qu'une grosse muraille nue, avec une porte à plein cintre, qui
ressemble un peu à la bouche de la Cloaque maxime. Au-dessus de cet arc règne
une cymaise, sur laquelle s'élèvent. une suite de colonne doriques à demi
engagées. Elles sont en pierre d'Albe, comme toutes les anciennes constructions
du temps de la République, mais recouvertes de stuc, qui leur donne toute
l'apparence du marbre. Enfin le monument est surmonté par trois statues de
marbre, dont deux représentent, dit-on, P. et L. Scipion, et la troisième le
poète Ennius. L'intérieur se compose de plusieurs chambres, autour desquelles
sont rangés, et la plupart encastrés dans les murs, des sarcophages en pierre
d'Albe ou de Tibur, au lieu d'urnes cinéraires, parce que dans la famille
Cornelia on a coutume d'ensevelir ainsi les morts, et non de les brûler.
Tout près de là, toujours sur la voie Appienne, on voit encore un grand
sépulcre collectif, mais d'un autre genre, appelé columbarium, et réservé
aux affranchis ainsi qu'aux esclaves de la maison de l'Empereur. Sa forme est
quadrangulaire, avec des parties sortantes sur chaque face, les unes carrées,
les autres en hémicycle. A l'intérieur, dans les murs sont creusées sept cent
cinquante petites niches environ, à fond demi-circulaire, et arrondies en
voûte par le haut, exactement comme des nids de colombes dans un colombier,
d'où le nom de columbarium donné à ce genre de sépulcre. Les niches sont
disposées par lignes horizontales, séparées par une cymaise ; et il en a
sept, huit et neuf étages, suivant les diverses hauteurs des voûtes. Au-dessus
des cinq premiers rangs règne un large entablement, formant galerie pour
faciliter l'approche des niches les plus élevées. La voûte du monument est en
stuc, avec des bas-reliefs en stuc aussi, et le pavé en carreaux de marbre.
Chaque niche contient deux urnes cinéraires, enfoncées jusqu'à leur orifice
en contre-bas du seuil de la niche. Une tablette de marbre, sur laquelle sont
gravés, en lettres ordinairement enluminées de minium, le nom, la qualité, et
souvent la fonction que remplissait le mort ou la morte, est fixée, avec deux
clous de fer ou d'airain, au-dessus ou au-dessous de la niche.
Je cite ce columbarium comme exemple de ce genre de sépulcre ; mais non comme
exemple unique, ni même peut-être comme le plus remarquable, car les riches
citoyens ont aussi de vastes columbaria. Ce soin des Romains pour la cendre de
serviteurs qu'ils méprisent jusqu'à les regarder comme une chose m'avait
toujours étonné, lorsque dernièrement un jurisconsulte me l'expliqua : «
C'est justement, me dit-il, parce qu'ils ne sont qu'une chose, que les maîtres
sont obligés de pourvoir à leurs funérailles ; cela fait partie des devoirs
de maître et de patron ; n'y voyez aucune piété pour les morts, mais plutôt,
outre l'obligation, un grand sentiment de vanité : ils préparent ainsi comme
un cortège posthume à leur mémoire."
Dans les courtes descriptions que j'essaye pour te donner une idée des
constructions sépulcrales des Romains, plutôt que pour te faire connaître tel
ou tel sépulcre, je ne suis embarrassé que du choix, tant ces monuments sont
nombreux sur toutes les routes. La plupart se ressemblent, sauf quelques
détails dans la construction et dans l'ornementation.
A Rome, au pied de l'Aventin, en dehors, et à quelques pas seulement de la
porte Lavernale, près de la voie Ostiense, on voit un sépulcre d'un genre peu
ordinaire : c'est une grande pyramide à la manière des pyramides d'Égypte. Un
simple prêtre épulon, fort riche à ce qu'il paraît, C. Cestius, s'est fait
élever ce tombeau. La masse en est très imposante ; il a cent pieds à la
base, sur chacune de ses faces, et cent vingt-cinq pieds de hauteur. Il est tout
en pierres de taille, revêtues d'épaisses dalles de marbre blanc. On trouve au
milieu de cette masse une chambre sépulcrale quadrangulaire de dix-neuf à
vingt pieds de long sur un peu plus de quatorze de large, proportions petites
relativement à l'ensemble du monument, mais bien suffisantes pour loger la
cendre d'un mort. Cette chambre est ornée de peintures élégantes,
représentant de jolis candélabres et de gracieuses figures de femmes. Si le
jour pénétrait jusque-là, on se croirait dans un charmant cabinet plutôt que
dans un tombeau.
C'est une coutume générale parmi les riches, d'orner l'asile de leurs cendres
comme une véritable habitation des vivants ; aussi dans les décorations rien
ne rappelle des idées funèbres : ce sont, au contraire, toutes les délices,
toutes les élégances, toutes les joies de la vie, et si l'on ne voyait des
urnes cinéraires, des sarcophages parmi ces riants tableaux, on ne se croirait
pas dans un sépulcre. Les morts, suivant une croyance religieuse, deviennent
dieux dès que la flamme les a dévorés, dieux animaux, du mot anima, âme, ou
plutôt Dieux Mânes ; or les Mânes conservent, dit-on, les mêmes goûts que
les individus avaient sur la terre avant leur transformation ; on traite donc
ces dieux tout à fait en humains ; à la décoration on joint un peu de
mobilier : par exemple , dans le sépulcre d'un guerrier, ce sont des armes ;
dans celui d'une femme, des parures, des miroirs, des ustensiles d'accoutrement
; dans celui d'un enfant, des jouets. On y dépose jusqu'à du pain, du vin,
divers aliments avec de la vaisselle de table comme pour un festin, et des
parfums dans de petits vases de verre ou d'albâtre.
Les individus qui ne veulent pas ou qui ne peuvent pas payer un mobilier
véritable pour garnir le sépulcre de leurs proches, en achètent un
d'imitation, où les objets les plus chers, tels que miroirs, colliers, bijoux,
couronnes, sont faits de terre cuite peinte de la couleur des objets, où les
vases mêmes ne sont que des masses de terre cuite non évidées, et n'ayant de
vases que la forme extérieure.
Les grands sépulcres ont encore, comme complément de leur magnificence, un
enclos particulier pour y brûler les morts ; c'est ce qu'on appelle un
sepulcretum, plus souvent une ustrine ou un Forum, ou encore une Area. Il est
devant le sépulcre et lui sert de vestibule.
Dans les faubourgs nécropolitains, les petits sépulcres et les médiocres sont
naturellement plus nombreux que les grands et que les superbes ; c'est une image
de la ville, beaucoup d'humbles tavernes, de maisons à loyer, à côté de
somptueuses maisons. Les sépulcres médiocres sont une imitation des grands,
avec des matériaux plus communs, et dans de moindres proportions. Les petits se
composent ordinairement d'une espèce d'autel ou d'un cippe en pierre, isolé,
mais sans sepulcretum, le terrain est trop cher. Cependant comme il faut que les
corps soient brûlés, et qu'ici d'ailleurs l'industrie s'ingénie de tout, il y
a des sepulcreta publics, où l'on rend ce service aux familles. Des esclaves
sont en permanence dans ces lieux funéraires : vous apportez votre mort, ils
vous le brûlent moyennant salaire, et vous ramassez vos cendres, vous les
mettez dans une urne ou un ossuaire, nom plus juste, parce que l'on recueille
des parcelles d'os plutôt que des cendres, et vous allez les déposer dans
votre petit tombeau. Ces ustrines communes me rappellent qu'il y a aussi, sur
les voies qui ont le plus de sépulcres, des triclinia publics pour les repas
funèbres. Ils sont à l'usage des citoyens qui, n'ayant pas une vaste demeure,
ne pourraient recevoir chez eux tous ceux qu'ils ont invités à des
funérailles.
Les pauvres n'ont pour sépulcres qu'une simple pierre, une manière de borne
plate, longue d'un à deux pieds, large de six à dix onces, qui se rétrécit
tout à coup en approchant du sommet et se l'élargissant presque aussitôt, se
termine en forme de demi-boule, de tête. Cette pierre est plantée debout en
terre, et l'on grave dessus le nom et l'âge du défunt. Qu'y mettrait-on autre
chose ? ils ont vécu, ils sont morts : voilà toute leur vie. N'ayant rien
été sur la terre, ils n'ont rien à rappeler aux passants.
Les riches et les citoyens qui ont occupé de hautes magistratures, fait de
grandes actions ; les gens de condition médiocre auxquels certaines charges
publiques ont pu être ouvertes, prennent soin de les rappeler dans des
inscriptions en grosses lettres, parfaitement lisibles, bien exposées à tous
les regards. C'est ce qu'on voit au magnifique sépulcre de Plautius, dont
l'épitaphe apprend à qui l'ignore que Plautius a été consul,
septemvir-épulon, et qu'il a reçu du Sénat les ornements triomphaux pour
d'heureux exploits en Illyrie.
On lit sur la pyramide de Cestius qu'il fut aussi septemvir-épulon. Une
deuxième inscription révèle que ce sépulcre a été élevé à Cestius par
ses héritiers, en vertu d'un ordre inscrit dans son testament, et que l'ouvrage
se trouva terminé en trois cent trente jours.
Crassus a été plus laconique dans l'épitaphe du tombeau de sa femme ; il
s'est contenté d'inscrire sur un petit bloc de marbre encastré au-dessous de
la frise : A Caecilia, fille de Q. Metellus le Crétique, femme de Crassus.
Il n'a pas oublié le titre de gloire de son beau-père.
La simplicité de ces inscriptions est remarquable : Plautius consul, Cestius
septemvir, Metellus le Crétique ; tout le monde doit se rappeler ces
illustrations des fastes publics. C'est là une modestie pleine de la plus noble
fierté. D'ailleurs, la magnificence du monument suffit pour attirer les regards
et donner le désir de savoir à quelle famille il appartient : le but se trouve
donc atteint.
Mais les gens médiocres, qui n'ont que des monuments médiocres ou petits,
recourent au luxe de l'épitaphe, à son originalité ou à sa bizarrerie, pour
détourner sur eux les regards du passant, et graver leur nom dans son souvenir.
A défaut de services publics à rappeler, de magistratures à citer, ils
racontent les vertus privées de leurs proches, font un grand étalage de
sentiments de piété et d'affection la plus tendre. Quand je suis à Rome, et
que je me promène sur le Forum ou dans les basiliques, je n'entends parler que
de divorces, d'adultères, de répudiations, de pères durs et cruels, de fils
ingrats et pervers ; lorsque je voyage parmi les tombeaux, je ne vois, sur les
épitaphes, que d'excellents maris, des épouses incomparables, des femmes
adorées, des parents modèles de toutes les vertus, laissant sur la terre une
famille inconsolable.
Lis quelques exemples :
A Junius Primigenius, qui vécut XXXV ans. Junia Pallas éleva ce tombeau à
son mari bien-aimé, bien tendre, et qui mérita toujours son affection. Elle
vécut avec lui XV ans et VI mois, sans querelle et dans la plus douce union.
A la mémoire de l'illustre L. Peducea Juliana, comparable par ses moeurs, sa
naissance et sa pudicité aux femmes les plus illustres des anciens temps. Elle
vécut XIII ans XLVII jours avec son mari. L. Nonius Verus lui a érigé ce
tombeau en V mois XX jours.
Honorez les âmes saintes. Monument consacré aux dieux Mânes. Furia Spes à L.
Sempronius Firmus, mon très cher mari. Dès notre plus tendre jeunesse un lien
d'amour se forma entre nous. J'ai peu vécu avec lui, et quand nous aurions dû
vivre ensemble, une main cruelle nous a séparés. Je vous supplie, très saints
dieux Mânes ; d'avoir pour recommandé mon très cher mari, et d'être assez
indulgents avec lui pour que je le voie pendant les heures de la nuit. Faites en
sorte qu'il veuille persuader à mon destin de me permettre d'aller avec
délices rejoindre bientôt l'époux que je regrette.
« Bonne fileuse et femme sédentaire à la maison » sont encore des qualités
que l'on trouve assez fréquemment dans les épitaphes ; j'ai retenu celle-ci :
Ci-gît Amymone, femme de Marcius, excellente, très belle, elle fila la
laine, fut pieuse, pudique, honnête, chaste et sédentaire à la maisons.
L'épitaphe suivante me semble si délicate qu'elle doit être sincère :
A la femme la plus aimable. Elle ne m'a jamais causé d'autre chagrin que
celui de sa mort.
Je ne veux pas affirmer que parmi les épitaphes louangeuses un certain
nombre ne soient véridiques ; mais ce n'est et ce ne peut être que le petit
nombre : toutes , en général, sont si habituellement indulgentes, qu'on les
appelle naïvement des éloges, et que l'on convient que leur but est moins
d'honorer les morts que de faire plaisir aux vivants. Et cependant, au lieu de
ces mensonges et de ces sottises, quel effet heureux ne produirait pas sur les
moeurs le vrai jugement de la vie inscrit sur les tombeaux! si l'on lisait sur
les épitaphes : Celui-ci fut un mauvais époux ; celui-là un fils dénaturé ;
cette femme a trahi la foi conjugale, etc. ; certes une pareille flétrissure,
exposée à tous les yeux, et pendant des siècles, servirait plus efficacement
les moeurs que les notes censoriales ne le firent jamais.
Les épitaphes bizarres sont plus sincères ; elles ont cela de piquant que ce
sont quelquefois les morts eux-mêmes qui ont pris soin de les préparer, ainsi
qu'a fait Pacuvius pour la suivante :
Jeune homme, quelque pressé que tu sois, cette pierre te demande de regarder
vers elle, et de lire ce qui est écrit : Ici gisent les os du poète Marcus
Pacuvius. Voilà, ce que je voulais t'apprendre. Adieu.
Un certain Lollius, non moins jaloux que les vivants pensassent à lui,
s'exprime ainsi :
T. Lollius, quatuorvir, fils de Lollius, a été placé près de cette route
pour que les passants lui disent : Lollius, adieu.
Un riche, afin d'attirer plus certainement les regards sur son monument, a
fait placer un cadran solaire au-dessus de l'épitaphe suivante :
Staberius repose ici. Il fut nommé sévir pendant son absence. Il aurait pu
occuper un rang dans toutes les décuries de Rome, il ne le voulut pas. Pieux,
vaillant, fidèle, il est venu de rien. Il a laissé trente millions de
sesterces, et n'a jamais voulu entendre les philosophes. Porte-toi bien et
imite-le.
Le mot « repose », en tête de cette épitaphe, me rappelle que le
sépulcre est quelquefois appelé un reposoir, expression bien philosophique.
C'est une ressource consolante pour les mourants que le souvenir d'une belle vie
: on n'a jamais trop vécu lorsqu'on s'est acquitté de tout ce que la vertu
demande ; mais que dire de la singulière vanité d'une vieille femme nommée
Statilia, qui a fait graver sur son tombeau qu'elle vécut quatre-vingt-dix-neuf
ans ! Elle eût été plus arrogante sans doute si elle avait atteint la
centaine. Je dois dire cependant que l'usage général est d'inscrire dans les
épitaphes des gens obscurs leur âge détaillé non seulement par années et
mois, mais aussi par jours et heures. Les tombeaux se changent ainsi en
répertoire des registres du temple de Libitine ; et cela d'ailleurs fournit une
matière d'épitaphe qui ne manque à personne.
En face de Statilia, et comme pour former un contraste, j'ai trouvé la tombe
d'un ancien préfet du prétoire, qui a composé ainsi lui-même son épitaphe :
Ci-gît Similis, qui supporta la vie pendant L ans et ne vécut que VII ans.
Les épitaphes d'enfants se ressemblent presque toutes par les regrets bien
sincères qui y sont exprimés. Un fils qui vécut douze ans, huit mois et dix
jours, a, par sa mort, plongé dans des ténèbres et des gémissements
éternels, dit l'épitaphe , ses tristes parents ; ils ont cependant trouvé, au
milieu de leur désolation, la force d'inscrire la maxime suivante à la suite
de l'inscription qui exprime si bien leur désespoir :
La vertu n'est fermée à personne, elle est abordable pour tous, elle ne
demande ni rang, ni richesse : l'homme seul lui suffit.
Un mort plus véritablement philosophe, narguant les vanités de ses
compagnons de néant, fait entendre ainsi sa voix posthume :
Mon nom, mon père, mon origine, mes actions, je ne les dirai point ; muet
pour l'éternité, je suis un peu de cendre, des os, rien. Je ne suis plus, je
ne serai plus jamais. Je suis venu de rien. Allez, point de reproches ! mon sort
vous attends.
Les Romains ne craignent de la mort que le nom ; ils ne trouvent que des
pensées philosophiques et l'espérance d'une vie future dans tout ce qui la
rappelle. La vue des tombeaux ne leur paraît ni affligeante ni redoutable, et
cela est si vrai, que la voie Appia, tu t'en souviens, est un lieu tout mondain,
un lieu de plaisir, le rendez-vous des riches promeneurs en chars, en litière
ou à cheval. Avec une telle indifférence, il n'est plus étonnant de trouver
quelquefois des épitaphes qui ont une sorte de gaieté, comme la dernière que
je viens de rapporter, et comme les trois suivantes :
T. Flavius, quatuorvir pour rendre la justice. Vivant, je n'ai jamais maudit
personne, maintenant je maudis tous les dieux des enfers .
Tant que je vécus j'ai bien vécu. Ma pièce est déjà finie, la vôtre finira
bientôt. Adieu, applaudissez. J'ai vécu LXVII ans. Plautianus a fait ce
tombeau à Sulpicia, son aïeule, bien méritante.
La troisième est un dialogue entre le passant et le mort : Parthenius,
adieu. - Bien soit à qui me salue et à ma fille Sosia.
On désire beaucoup que les épitaphes puissent être lues par les voyageurs,
c'est pour cela que certaines, comme celle de Pacuvius, les invitent à
s'arrêter. On prend une autre précaution, c'est quelquefois de les faire
courtes, pour que les passants puissent les lire sans s'arrêter ; c'est aussi,
afin de mieux frapper les regards, d'enluminer avec du minium les lettres
gravées sur la pierre.
Les heureux souhaits prononcés par des tiers, ayant quelque chose de sacré et
de plus favorable que ceux qu'on peut former pour soi-même, témoin les
souhaits des calendes de janvier, on n'a point manqué de les rechercher aussi
pour la tombe ; c'est pour cela qu'il y a des épitaphes terminées par les
lettres suivantes : S. T. T. L., signifiant : Sit tibi terra levis,
c'est-à-dire : « Que la terre te soit légère. » Le passant, en lisant ces
lettres, fait le souhait en quelque sorte forcément ; il dit une parole amie,
car souhaiter que la terre soit pesante à un mort est une imprécation qu'on ne
prononce jamais que contre un ennemi . J'en ai vu où le souhait est demandé
directement par le mort : Toi qui lis, dis : Que la terre te soit légère.
Je me rappelle l'épitaphe d'une petite fille, où le souhait heureux était
ainsi formulé : Terre, ne pèse point sur elle, elle n'a point pesé sur toi.
Suivant les lois, tout bien meuble ou immeuble ne peut appartenir qu'à des
vivants ; par une exception unique, les sépulcres peuvent être possédés par
les morts qu'ils renferment. Rien de plus étrange qu'une chose n'ayant d'autre
possesseur qu'un nom ; cependant ce droit de propriété, qui prend son origine
dans le respect pour les actes de dernière volonté, n'est jamais violé ; mais
soit vanité, soit pour mieux rappeler un droit qui n'a d'autre défenseur que
la foi publique, il y a des citoyens qui le font graver au bas de leur
épitaphe, au moyen des lettres initiales H. M. H. N. S., signifiant : Hoc
monumentum haeredem non sequitur, c'est-à-dire : « Ce monument
n'appartient pas à l'héritier.» Quelquefois ils ajoutent la contenance du
terrain, tant de pieds de front (sur la route), tant sur la campagne (en
profondeur).
Si le monument est mis à la charge des héritiers, cela est indiqué par le
monogramme H. M. H. S., Hoc monumentum heredem sequitur. Enfin la
vanité ajoute quelquefois V. F., Vivus fecit, ou V. S. P.,
Vivus sibi posuit, « l'a fait, ou se l'est érigé à lui-même de son
vivant ; » ou V. F. C., Vivus faciendum curavit, « a pris soin
de se le faire faire de son vivant. »
Les. sépulcres, étant censés la demeure des Mânes, leur sont consacrés.
Cette consécration est relatée en tête de presque toutes les épitaphes dans
cette forme : Dis Manibus sacrum, ou bien en abrégé : D. M. S.,
et plus souvent encore D. M. Le culte des Mânes est général ; ces
dieux sans nombre, à l'augmentation desquels la mort travaille incessamment,
ont deux fêtes annuelles, les Parentales et les Lémuries.
Les Parentales, tombées en désuétude pendant les dernières guerres civiles,
ont été restaurées par l'Empereur. Elles reviennent aux ides de février, à
la sixième heure, et finissent le IX des calendes de mars. Les huit premiers
jours sont comme un deuil public : les magistrats quittent la toge prétexte, et
ne paraissent qu'en simple toge de citoyens ; les temples sont fermés, et dans
toutes les maisons on ne s'occupe que des moyens d'honorer la mémoire des
morts, dont les ombres semblent alors errer parmi les vivants. Le dernier jour
de cette neuvaine est appelé les Férales ou les Inféries, parce qu'alors les
parents sortant de la ville, à la lueur des torches', vont porter (ferre) des
offrandes sur les tombeaux de leurs proches', en termes romains, vont parenter.
Le but est d'apaiser les Mânes. Peu de chose suffit, et la piété leur tient
lieu des plus riches présents ; les dieux du Styx ne sont pas avides : une
tuile couverte de simples couronnes de fleurs, et dans un vase de terre, laissé
au milieu. du chemin , des fruits, quelques grains de sel, du pain trempé dans
du vin, des violettes éparses, voilà tout ce qu'il faut pour satisfaire les
ombres, et les dons qu'on leur offre généralement. On leur en présente aussi
de plus importants, et beaucoup de personnes regardent comme un devoir de
piété de leur immoler une grande victime.
Il y a d'autres offrandes encore consistant en divers mets, présentés dans une
patelle, comme des oeufs durs, des fèves, de l'ache et dont on croit que les
ombres viennent se repaître. Ces mets sont rangés sur le sépulcre même ; ce
qui a fait donner à cette partie des Férales le nom de Silicernium, ,comme qui
dirait silicenium, repas de la pierre, ou posé sur la pierre. Les Mânes, dans
ce cas, font comme les dieux, qui se contentent de la fumée des sacrifices :
ils ne goûtent pas à ces mets, que des pauvres, toujours affamés, viennent
dérober la nuit, vol autorisé, en quelque, sorte, et contre lequel il n'existe
pas de pénalité.
Le lendemain, les familles font la Caristie, repas vrai entre des vivants. Cette
réunion a pour but de réconcilier les parents et les proches qui croient avoir
quelque sujet de mécontentement les uns contre les autres. C'est véritablement
la fête de l'amitié.
Les Lémuries arrivent au -mois de mai, le VII des ides. Quand elles furent
instituées, l'année commençait au mois de mars, et le religieux mois de
février n'existait pas encore. Néanmoins, on présentait déjà des offrandes
à la cendre des morts, et le petit-fils allait faire des expiations au tombeau
de son aïeul, mais c'était pendant le mois de mai, mois des ancêtres, comme
je l'ai déjà dit, et qui retient encore une partie de l'ancien usage. La
célébration des Lémuries se passe ainsi.
A minuit, lorsque le sommeil fait régner le silence, et que les chiens et les
oiseaux divers se sont tus, l'homme, fidèle observateur des rites antiques et
timide adorateur des dieux, se lève, nu-pieds ; il fait claquer avec le pouce
le doigt du milieu de chacune de ses mains, pour écarter l'ombre légère qui
viendrait à sa rencontre, et se rend en silence à une fontaine dans laquelle
il purifie ses mains à trois reprises différentes. Il se détourne, et prend
dans sa bouche des fèves noires, les jette ensuite derrière lui, et il dit en
les jetant : « J'envoie ces fèves, et avec elles je rachète moi et les miens.
» Il prononce neuf fois ces paroles sans détourner la tête. Alors l'ombre,
invisible à tous les yeux, ramasse les fèves et marche sur ses pas. Il se
purifie de nouveau avec de l'eau, frappe sur des vases d'airain, conjure l'ombre
de sortir de sa maison, en lui disant neuf fois de suite : « Mânes paternels,
sortez ! » et la cérémonie est terminée .
Les Lémuries durant trois jours, avec un jour d'intervalle entre chaque. Le
vrai nom de cette fête, légèrement altéré, est Rémuries, du nom de Rémus,
en l'honneur duquel Romulus l'institua, pour apaiser les mânes de son frère,
errantes sur les bords du Styx. En effet, suivant une croyance religieuse des
Romains, les âmes des personnes mortes prématurément ne sont admises dans les
Enfers qu'après l'expiration du temps pendant lequel elles auraient dû animer
leur corps sur la terre.
Indépendamment de ces fêtes consacrées, beaucoup de sépulcres sont l'objet
d'un culte perpétuel de la part des familles, des amis, et des amies des
défunts. Quand les pertes sont récentes, ainsi qu'aux anniversaires de chacun,
il n'est pas rare de voir les sépulcres ou les monuments parés de couronnes et
de guirlandes de fleurs, de bandelettes de laine, et frottés de parfums. Les
tombes des personnes sincèrement regrettées de leur famille se reconnaissent
aisément à la manière dont elles sont soignées : la pierre en est propre, et
le sepulcretum brille de fleurs et de verdure. Le sépulcre de ceux qui n'ont
laissé que des indifférents sur la terre est couvert de ronces, de mousse, de
lierre, et l'on voit pousser dessus des buissons d'épines, ou de figuiers
sauvages.
Les pieux visiteurs viennent pleurer sur la tombe de ceux qu'ils regrettent ;
souvent ils font couler leurs larmes sur la cendre même, par un ou plusieurs
petits trous ménagés sur le faîte d'un modeste tombeau, ou sur le couvercle
de l'urne. Les morts sont réjouis par cette marque d'affection. J'ai vu une
épitaphe où elle était sollicitée en ces termes : « Si vous vous
intéressez à mon destin, qu'il ne vous soit pas pénible de visiter souvent
mon tombeau, et que les larmes que vos yeux répandront coulent d'abord sur mes
cendres. »
L'endroit où l'on ensevelit un mort devient religieux. Par suite de cette
opinion, tous les sépulcres sont sacrés. Leur sainteté se perpétue ; le
temps l'augmente, et pendant que les autres monuments se consument et
dépérissent, ces asiles de la mort deviennent plus saints et plus vénérables
par la vétusté ; placés sous la protection de la religion, le droit
pontifical prononce de fortes peines contre ceux qui les violent. C'est ainsi
qu'à cinq milles de Rome, après plus de six cents ans marqués par des
bouleversements, des guerres, des révolutions de toute espèce, les tombeaux
des Horaces et des Curiaces existent encore à la même place où chacun d'eux
est tombé, dans le champ qui fut consacré à ces monuments : ceux des deux
Romains sont ensemble, plus près d'Albe ; ceux des trois Albains du côté de
Rome, mais à quelque distance l'un de l'autre, comme ils avaient combattus. A
Rome même, au pied du mont Esquilin, à la naissance de la voie Sacrée, on
voit le Bustum gaulois, lieu où je ne passe jamais sans m'arrêter, parce que
c'est là que sont enfouies les cendres de quelques centaines de nos ancêtres,
là que Brennus fit brûler ceux de ses compagnons qui, pendant sept mois
d'occupation, périrent en assiégeant le Capitole. Il y a de cela quatre cents
ans, et les Romains ont toujours respecté cette sépulture à l'égal des
leurs, sans même tenter d'en abolir le nom.
Les lois civiles punissent la violation des sépulcres. Nul ne peut transporter
un sépulcre d'un lieu dans un autre, hors du lieu des sacrifices et de la
demeure de la famille, sans une autorisation spéciale du collège des Pontifes.
On tient tant à la sépulture dans la patrie, que, si on ne peut l'effectuer,
on élève un Cénotaphe, c'est-à-dire un tombeau vide, à ceux qui sont morts
et inhumés en pays étranger, ou dont on n'a pu retrouver les restes.
Les épitaphes servent encore d'auxiliaires pour garantir le respect des
tombeaux, et beaucoup se terminent par une imprécation contre celui qui serait
tenté de les violer; on y lit : « Qu'il encoure la colère des dieux. » -- «
Que les dieux adorés de tous les hommes soient irrités contre lui. » -- «
Qu'il soit privé de sépulture. » - « Qu'il meure le dernier de sa race. »
J'ai parlé plus haut de l'immobilisation de la propriété d'un sépulcre ;
mais j'ai oublié de dire que tout terrain sur lequel on établit une sépulture
devient aussi immuable à perpétuité, en vertu d'un chef de la loi des XII
Tables. Il en est de même des abords : quand, le sépulture n'est pas
immédiatement sur la lisière de la route, le chemin pour y arriver est une
servitude qu'aucun propriétaire du fonds qu'il faut traverser ne peut décliner
; elle ne se perd ni par le non-usage, ni par l'aliénation du sol où gît le
sépulcre ; la loi sur les ventes de terres réserve toujours le chemin, l'abord
et le pourtour de toute sépulture. La largeur du chemin est de cinq pieds.
C'est une chose vraiment étonnante pour un étranger que toutes les grandes
routes de Rome bordées de tombeaux. Leur file est continue, comme les maisons
dans une ville, et de même qu'il y a une mitoyenneté des vivants, il y en a
une aussi des morts, qui change ainsi les routes en des espèces de rues, sans
communications latérales avec la campagne. Je me rappelle qu'autrefois, en
arrivant par la voie Aurelia, quand j'aperçus de loin la ligne des tombeaux, je
m'imaginai voir un faubourg de Rome. Je ne tardai pas à me désabuser dès que
j'entrai dans cette rue presque sans animation, mais il fallut que Fonteius
m'apprit que ces maisons silencieuses, et la plupart fort petites, étaient des
sépulcres. Encore aujourd'hui ce spectacle me porte à la réflexion
dernièrement, parcourant à cheval la voie Appienne, et regardant ses
sépultures qui s'allongent à perte de vue, et s'augmentent chaque jour : «
Que de monuments, me dis-je, pour loger quelques poignées de poussière qu'un
seul pourrait contenir! que de terre enlevée à l'agriculture ! » Cette
réflexion me fut inspirée par le souvenir du fait suivant, que j'ai lu dans un
livre philosophique de Cicéron : « On dit qu'à Athènes, du temps du roi
Cécrops, une coutume et une loi existaient, qui ordonnaient de couvrir les
morts de terre. Les plus proches parents jetaient la terre eux-mêmes, et
lorsque la fosse était comblée, on semait des graines sur cette terre dont le
sein, comme le giron d'une mère, s'ouvrait pour le mort, et qui, purifié par
cette semence, était aussitôt rendu aux vivants. » La coutume me parut sage,
et je trouvai juste que ceux qui sortent de ce monde le laissent tout entier à
ceux qui y restent, plutôt que d'y garder une place qu'ils stérilisent au
détriment des vivants. - « Ah ! me dit un philosophe, la terre ne manquera
jamais aux hommes. Faites revivre la loi Cécropienne, que deviendront les
souvenirs, le culte des Mânes, la religion des tombeaux, cette grande moralité
qui contribue à la concorde dans les familles ? - C'est vrai, répondis-je ; à
chaque époque sa législation et ses coutumes, et le temps de Cécrops valait
peut-être moins que le nôtre. »
DES DIVERS NOMS DES ROMAINS.
Je t'ai parlé,
il y a longtemps, des clients et des Grecs, population quasi servile, tourment
des citoyens qui jouissent de quelque influence : on rencontre encore ici une
autre espèce de gens non moins insupportables, parce qu'ils s'attachent à tout
le monde, et se montrent les solliciteurs les plus insinuants, les plus
infatigables, les plus tenaces et les plus impudents. Ces fléaux de Rome
viennent de l'une des provinces les plus lointaines de l'Empire, de la Judée.
L'un d'eux s'est introduit chez moi depuis quelque temps. Comment j'ai fait sa
connaissance, comment je me suis laissé prendre par lui, c'est ce que je ne
pourrais dire ; mais ce que je ne sais que trop, c'est que presque pas un jour
ne se passe sans qu'il vienne réclamer ce qu'il appelle mon crédit pour
l'appuyer dans telle ou telle sollicitation. Je l'écarte tant que je puis; je
lui laisse voir qu'il me fatigue, qu'il m'obsède ; tout cela ne le rebute pas,
et littéralement il m'assiège ; il m'attend chez mes amis, il m'attend chez
moi, il m'attend jusque sur la voie publique. Hier je me suis enfermé pour lui
échapper, et tu devras à cette réclusion la lettre que je t'envoie
aujourd'hui. Le sujet m'en a paru d'abord un peu futile ; mais en y
réfléchissant avant de prendre mon calame pour écrire, j'ai reconnu que la
matière était plus sérieuse que je ne croyais, et que là encore il y avait
une petite étude de moeurs, c'est-à-dire presque un chapitre d'histoire.
Les Romains ont une coutume qui paraît d'abord singulière et bizarre à des
étrangers, c'est que chez eux un citoyen porte plusieurs noms, comme s'il
était à lui seul plusieurs personnes. Néanmoins cela s'explique : tu te
rappelles que le peuple romain est divisé en races, subdivisées elles-mêmes
en familles : cette division a produit la multiplicité des noms.
Autrefois deux dénominations suffisaient pour indiquer la race et la famille ;
et même, au rapport de Varron, on se bornait souvent à une seule. Mais lorsque
les familles se furent multipliées, il fallut inventer, je ne dirai pas de
nouveaux noms , car les Noms proprement dits ne peuvent être changés, mais des
Prénoms, des Surnoms, et des Agnoms.
Ainsi les Romains ont d'abord un prénom, qui est propre à la personne ;
ensuite un nom, commun à toute la race ; puis un surnom, désignant la famille
; et quelquefois un agnom, marquant une branche de cette famille, dont l'auteur
s'est distingué par une particularité quelconque, relative soit à sa
personne, soit à sa conduite. Par exemple, le vainqueur de Carthage avait
quatre dénominations, Publius Cornelius Scipion l'Africain : Publius est le
prénom ; Cornelius, le nom de la race Cornelia, à laquelle il appartient ;
Scipion, le surnom de famille ; et l'Africain, le glorieux agnom dont tu connais
l'origine. Comme il n'y a guère que dans les familles illustres que les
dénominations multipliées se rencontrent, c'est un honneur d'avoir trois noms.
Le prénom suit toujours le nom pour les personnes de quelque distinction ;
rarement on le supprime, excepté dans les communications très familières. Les
afranchis n'ont jamais de prénom.
Je pourrais citer beaucoup d'autres exemples ; je me contenterai de faire
observer que les quatre appellations sont rares, et qu'ordinairement l'on n'a
qu'un prénom, un nom, et un surnom, comme Caïus Martius Coriolan, de la race
Marcia ; Marcus Tullius Cicéron, de la race Tullia, etc.
Il y a des races où la gloire semble s'être attachée plus particulièrement,
et qui comptent une quantité de branches illustres : c'est ainsi que de la race
Cornelia sortirent les familles des Scipion, des Lentulus, des Sylla, des Cinna,
des Cossus, et des Dolabella.
Les désignations nominales, qui par elles-mêmes semblent indifférentes, sont
cependant assez curieuses à examiner dans leur origine, et peignent, plus
naturellement qu'on ne le croirait, les moeurs, et, jusqu'à un certain point,
le caractère du peuple romain.
Quand on ne saurait pas que les descendants de Romulus ont été pendant
longtemps un peuple agricole en même temps que guerrier, comme le prouve
l'antique tradition qui a mis Cérès et Tullus parmi les divinités du mariage,
on le devinerait en voyant leurs plus anciens surnoms tirés de l'agriculture,
tels que ceux de : Pilumnus, donné à l'inventeur du pilon à broyer le blé ;
de Pison, dérivé de pisere, piler ; de Fabius, de Lentulus, désignant
des cultivateurs de fèves et de lentilles. Les Ovilius, les Bubulcus, les
Suillius, les Porcius, étaient des éleveurs ou des propriétaires de brebis,
de boeufs, de porcs, parce qu'alors la richesse consistait principalement en
bétail.
Plus tard, l'esprit militaire l'emporta sur l'esprit agricole, et ce fut aux
exploits du courage guerrier que l'on emprunta des dénominations : on vit
naître les surnoms de Corvinus, du corbeau qui protégea un Romain dans un
combat singulier ; de Torquatus, du collier que Manlius ravit à un Gaulois
qu'il combattit et tua, sur les bords de l'Anio ; de Capitolinus, sauveur du
Capitole.
Les surnoms suivants ne se rattachent à aucune époque particulière ; mais ils
n'en sont pas moins curieux, en ce qu'ils offrent un reflet du caractère du
peuple, de son naturel éminemment impressionnable, quelquefois porté à la
générosité, à la reconnaissance, à l'admiration, et plus souvent encore à
la raillerie. Valerius, collègue de Brutus, après l'expulsion des rois,
voulant que le consulat, alors redouté des Romains, leur fût doux et
agréable, ôta les haches des faisceaux de ses licteurs ; et lorsqu'il allait
aux assemblées, il faisait déposer ces mêmes faisceaux aux pieds du peuple,
dont il reconnaissait et honorait ainsi la majesté. Cette marque de respect lui
valut le surnom de Publicola, c'est-à-dire qui honore le peuple, surnom que ses
descendants portent encore.
Q. Metellus mérita le surnom de Pius, lorsque sa tendresse filiale l'eut porté
à se jeter aux genoux d'un magistrat, en présence de tout le peuple, et à
implorer de lui le retour de son père, exilé pour n'avoir point voulu jurer
d'observer les lois publiées par un tribun séditieux.
Fabius, consul l'an quatre cent quarante-neuf, écuma cette lie du Forum
qu'Appius avait répandue dans toutes les tribus, et la renferma dans les quatre
tribus urbaines. Cette sage opération, qui rétablissait l'équilibre entre les
différents ordres, fut reçue avec de si vifs transports, qu'elle valut à
Fabius le surnom de Maximus, c'est-à-dire le très grand, que n'avaient pu lui
donner quantité de victoires remportées sur les ennemis de Rome.
Le père de Quintus Metellus meurt très peu de jours après, son fils, voulant
honorer sa mémoire, offre au peuple des jeux superbes ; il en avait fait les
apprêts avec une telle célérité, que le peuple, tout émerveillé, lui donna
le surnom de Celer.
Marcus Caton portait autrefois le surnom de Priscus ; sa grande sagesse, le fit
nommer Caton, nom que les Romains donnent aux hommes qui ont une grande
expérience.
Le sage Scipion Nasica fut surnommé Corculum, du mot cor, coeur, parce
que, selon quelques-uns, l'âme c'est le cœur même.
Marcus Claudius, le vainqueur de Syracuse, reçut son nom de Marcellus, qui
signifie martial, belliqueux, parce qu'il était adroit aux armes, expérimenté
à la guerre, prompt, agile, dispos, et aimant à combattre.
Nero est un mot sabin qui signifie vertu, courage. Voilà pourquoi, dans la race
Claudia, originaire de la Sabine, on appelle Nérons ceux qui se distinguent par
leur courage et leur valeur.
De ces surnoms tirés du caractère, passons à ceux qui viennent de quelque
accident ou signe de naissance.
Il est contre l'ordre naturel qu'un enfant vienne au monde par les pieds : on a
donné à ceux qui arrivent dans cette position le nom d'Agrippa, comme pour
marquer l'embarras d'un tel enfantement. On dit qu'Agrippa, ministre de
l'empereur Auguste, naquit ainsi.
On nomme Caesar ceux qui naissent avec une chevelure, Caesaries ; Caesones, ceux
qui sont mis au monde par le moyen d'une incision pratiquée au sein de leur
mère morte avant l'accouchement ; Posthumus, celui qui naît après la mort de
son père, ou bien d'un père vieillard ; Spurius, celui dont on ignore le
père, par abréviation de sine patre ; Manius, celui qui vient au monde
le matin, mane ; Lucius, le soir, luce ; Dentatus, qui naît avec
des dents ; Proculeius, l'enfant né pendant que son père est engagé dans un
voyage lointain ; Vopiscus, le survivant de deux jumeaux, et venu le dernier au
monde.
Voici maintenant des surnoms satiriques :
L'an cinq cent quarante-huit, les Censeurs ayant mis un impôt sur le sel, on
attribuait cette augmentation à Livius, l'un de ces magistrats, qui, quelque
temps auparavant, avait été condamné par le peuple ; on remarqua même que
cette surcharge porta principalement sur les tribus qui avaient pris le plus de
part à cette injustice ; de là le surnom de Salinator donné à Livius.
Asina est l'un des surnoms de Cornelius. Le premier de cette race ayant acheté
une terre ou marié sa fille, comme on lui demandait des répondants, il amena
dans le Forum une ânesse, asina, chargée d'argent, et dit : « Voilà
ma caution. »
J'ai un de mes amis nommé Tremellius, et que l'on a surnommé Scrofa,, la
truie. Il se trouvait à la campagne avec ses enfants et ses esclaves ; ces
derniers, voyant de loin une truie qui paraissait abandonnée, vont l'enlever et
la tuent. Le propriétaire de l'animal s'en aperçoit, arrive avec du monde,
cerne la maison, pour que rien n'en puisse sortir, et vient demander à
Tremellius la restitution de la truie enlevée. Tremellius, prévenu à temps,
cache l'animal sous un tas de chiffons, sur lesquels se couche son épouse. Le
voisin entre, cherche, passe et repasse auprès du tas de chiffons, pendant que
Tremellius lui jure que dans toute sa maison il n'y a pas d'autre truie que
celle qui est là, montrant l'endroit où sa femme est couchée. Bref, ce
facétieux serment valut à Tremellius le surnom de Scrofa.
Tremellius lui-même conte cependant cette origine d'une autre manière : « Mon
grand-père, dit-il, porta le premier le surnom de Scrofa. Il était questeur de
Licinius Nerva, préteur en Macédoine, qui l'avait laissé dans cette province
pour y commander l'armée en son absence. Les ennemis, croyant l'occasion
favorable, entreprirent de forcer le camp romain. Mon aïeul, en exhortant ses
soldats, leur dit qu'ils dissiperaient les ennemis, comme une truie dissipe des
porcs, ce qui eut effectivement lieu, et valut au préteur Nerva, sous les
auspices duquel on avait combattu, le titre d'imperator, et à son questeur le
surnom de Scrofa. »
Fabius reçut le surnom de Gurgès, pour avoir dévoré tout son patrimoine.
Brutus, le nom du fondateur de la liberté, signifie une bête, une brute. Ses
noms de race étaient Lucius Junius.
La conformation physique fut aussi de tout temps une des sources les plus
fécondes de surnoms. Le peuple romain se frappe aisément de tout ce qui sort
un peu de l'ordre ordinaire des choses, et cette disposition l'a toujours porté
à distinguer les individus par leur habitude, et par les qualités ou les vices
de leurs formes ; il les a nommés comme il les voyait, sans apporter, la
plupart du temps, aucune intention maligne ou malveillante dans ces
appellations. Elles ont été reçues de même par ceux auxquels on les
appliquait, car les Romains ne regardent pas comme honteux des défauts qu'il ne
dépend pas d'eux d'avoir, et ils y répondent comme à leurs vrais noms.
Effectivement ils finissent par devenir tels. Examinons sommairement
quelques-unes des célébrités de l'ancienne République, nous verrons que
beaucoup sont inscrites dans les fastes de la gloire sous l'un de ces surnoms
empruntés à une imperfection ou une singularité physique : Sylla signifie le
couperosé ; Niger, le noir ; Rufus, le roux ; Caecus, l'aveugle ; Claudius, le
boiteux ; Aquilius, noir comme l'aigle ; Ancus, le manchot ; Cincinnatus, les
cheveux frisés ; Aenobarbus, la barbe blonde comme airain ; Strabon, le louche
; Paetus, les yeux de travers ; Ocella, les petits yeux ; Cnaeus, le tacheté ;
Flaccus, les grandes oreilles, les oreilles pendantes ; Labéon, les grosses
lèvres ; Plancus, Plautus, les pieds plats ; Scaurus, le talon tordu et sur
lequel la jambe porte à faux ; Varus, les jambes arquées en dehors.
Ce nom de Scipion, que la race Cornelia a tant illustré, vient de ce qu'un
Cornelius, qui guidait les pas de son père aveugle, et de même nom que lui,
fut surnommé Scipio, c'est-à-dire bâton.
Il me revient une petite anecdote sur l'indifférence, et même la noble
émulation avec laquelle les Romains acceptent tous ces surnoms : le premier
individu de la race Tullia qui reçut le surnom de Cicéron, le dut à une
petite verrue en forme de pois chiche, qu'il avait au bout du nez. Comme
quelques amis conseillaient au plus illustre de ses descendants, à l'époque
où il sollicita sa première magistrature, de changer ce surnom-là : « Je
m'en garderai bien, leur répondit-il avec assurance, et je ferai tant, que ce
nom qui vous parait si ridicule, je le rendrai plus beau et plus illustre que
ceux des Scaurus et des Catulus. » Étant préteur en Sicile, et faisant aux
dieux une offrande d'un vase d'argent, il ordonna d'y graver en toutes lettres
ses deux premiers noms, et, au lieu du troisième, il voulut seulement que l'on
dessinât un pois chiche.
Parmi les surnoms satirique, on en trouve plusieurs d'une nature vraiment
injurieuse, et dégénérant en personnalités ; quelque-fois le peuple,
habitué à une liberté, qui n'a jamais su respecter les individus, a donné de
ces surnoms à des hommes illustres ; mais je doute que ceux auxquels il les
appliquait les aient jamais adoptés, car ce sont réellement des facéties de
la plèbe. Juges-en toi-même : le père du grand Pompée avait un cuisinier
nommé Ménogène, qui lui ressemblait tant, que l'on imposa à ce grand,
citoyen le nom de son esclave ! Cornelius Scipion reçut du peuple le nom de
Sérapion, de sa ressemblance avec un victimaire de ce nom ; M. Messala, homme
consulaire et censorial ; Curion, citoyen illustre ; Lentulus et Metellus,
honorés l'un et l'autre du consulat, reçurent aussi des surnoms empruntés à
de vils histrions, qui n'avaient de commun avec eux que les traits du visage.
Ces dénominations offensantes sembleraient indiquer un esprit de basse
jalousie, qui veut ravaler tout ce qui s'élève trop au-dessus de lui : il n'en
est rien cependant, car ce même peuple a également inventé ou consacré
d'autres surnoms infiniment glorieux, et vraiment dignes de lui. En effet,
est-il rien de plus beau que ceux d'Africains, portés par deux membres de la
famille des Scipions : à l'un pour avoir commencé, et à l'autre terminé la
plus importante conquête que Rome ait jamais faite ? de Macedonicus, de
Creticus, de Balearicus, de Nuridicus, qui décorent cette race Metella,
habituée à se faire désigner par ses conquêtes ? d'Achaïcus, récompense de
Mummius, le vainqueur de l'Achaïe ? d'Isauricus, décerné à P. Servilius ? de
Messala, à Valerius Maximus, vainqueur de Messana, ville de Sicile ? de Grand,
donné à Pompée par son armée , après sa guerre d'Afrique, et que Sylla,
dictateur, s'empressa de lui confirmer ?
Ces surnoms acclamés spontanément par les soldats, ou par le peuple ou par les
amis du héros, ou pris par le héros lui-même, étaient des actes de justice,
puisqu'ils ne demeuraient qu'autant qu'ils étaient adoptés par tous les
citoyens, comme bien mérités par ceux qui les avaient reçus ou pris.
Dans les commencements de Rome, tous les faits un peu extraordinaires sortaient
aussitôt en relief, et un simple trait de courage valait un glorieux surnom ;
mais quand la République étendit ses armes au dehors, il fallut le fait
accompli d'une conquête pour gagner ces honorables dénominations. La valeur
personnelle ne mérita plus que l'on s'en occupât, ni qu'on la récompensât
publiquement : on n'avait fait que son devoir, et il n'était pas de d'attention
à une conduite aussi commune. Alors les Romains eurent l'idée, non moins
grande qu'heureuse, d'immortaliser le souvenir des conquêtes de la patrie par
des surnoms empruntés aux vaincus, et les vainqueurs s'effacèrent, pour ainsi
dire, dans leur victoire : ce ne fut plus Scipion, Mummius, Metellus, mais
l'Afrique, l'Achaïe, la Macédoine conquises, que leur présence rappelait
perpétuellement, et, après eux, ces surnoms, conservés dans les archives
domestiques, inscrits au bas des, images et sur les arbres généalogiques des
familles, devinrent comme de superbes itinéraires des victoires de la grande
République, reine des rois, de l'Italie impératrice de toutes les nations de
la terre.
Depuis que les Romains ne conquièrent plus rien ; que d'ailleurs toute gloire
militaire revient à l'Empereur, ainsi que je l'ai dit, il n'y a plus lieu pour
personne de gagner d'aussi beaux surnoms. Cependant Auguste, qui n'était pas
jaloux des illustrations absentes, imagina un moyen de faire revivre les plus
belles des temps passés : il engagea les familles de ceux à qui leurs hauts
faits conquirent autrefois un surnom victorieux, à le faire prendre par
quelqu'un de leurs plus directs descendants ; c'est ainsi que l'on rencontre
encore, avec une certaine surprise, des Macédoniques, des Numidiques, des
Africains, etc., conquérants par hasard de naissance. Jusqu'à des femmes
prennent ainsi ces surnoms ; je connais une Mummia, qui se fait appeler
l'Achaïque, parce qu'elle descend de Mummius qui gagna ce surnom. L'idée du
divin Auguste fut ingénieuse, mais ne créa-t-elle pas une usurpation ? Ces
beaux surnoms de victoire étaient tout personnels, et donnaient un grand relief
aux citoyens qui les avaient mérités. Peut-il en être de même pour leurs
descendants ? En se les affublant, en prenant comme un patrimoine cette espèce
d'héritage moral, ces fils obscurs jouent dans le monde le rôle de figurants
des nobles races dans les pompes funèbres : tout glorieux que soient l'image et
les insignes qu'ils portent, les individus ne restent toujours que ce qu'ils
sont effectivement.
LES VIGNOBLES.
Il
y a aujourd'hui quatre cent douze ans, vers l'an de Rome trois cent
soixante-quatre, un grand événement se passait dans le pays des Senones et des
Celtes : un habitant de Clusium, ville d'Étrurie, venait d'arriver au milieu
d'eux avec des vins d'Italie ; il leur en fit goûter, et cette liqueur leur
parut si délicieuse, ils furent si ravis du plaisir nouveau qu'elle leur causa,
qu'aussitôt prenant leurs armes, emmenant leurs femmes et leurs enfants, ils
s'acheminèrent vers les Alpes pour chercher le pays qui produisait un tel
fruit, estimant désormais toute autre terre stérile et sauvage. Tu sais ce qui
s'ensuivit : l'occupation d'une partie du pays auquel les Romains donnèrent le
nom de Gaule transpadane, et la fondation de l'État des Insubriens.
Une loi injuste, une loi de conquérant, interdit la culture de la vigne aux
nations transalpines. Pourquoi ? dans un but d'avidité rapace, pour conserver
une plus haute valeur aux produits des vignobles d'Italie. Les Romains,
contraints par la nécessité à n'être d'abord que laboureurs et pasteurs,
commencèrent tard à cultiver la vigne ; mais depuis longtemps elle est l'objet
de leur prédilection, et quand on rédigea la loi des XII Tables, des
dispositions y furent insérées pour protéger l'arbuste qui donne le vin :
ainsi, d'après cette loi, quiconque coupe un cep est puni comme voleur, et de
plus condamné à des dommages et intérêts ; si un morceau de bois volé se
trouve employé dans une vigne, le reprendre est un délit.
Le vin est une excellente liqueur, et ceux que produit l'Italie lui ont valu une
telle réputation, qu'à cet égard seul elle surpasse tous les autres pays du
monde, excepté ceux qui produisent les aromates ; encore est-il peu de parfums
plus agréables que ceux de la vigne en fleurs. C'est à son climat surtout que
l'Italie doit cette supériorité. Au delà des Alpes, dans nos contrées
septentrionales, nous n'obtiendrons plus la même qualité de production ; mais
l'esprit de négoce ne calcule pas ainsi : il voit un dommage là où il peut y
avoir une concurrence. Cependant l’ai recueilli, sur les vignobles et leur
exploitation en général, des renseignements que tu liras avec intérêt. S'ils
ne peuvent avoir d'utilité immédiate, peut-être serviront-ils un jour ; car
il faudra bien, d'une manière ou d'une autre, que nous soyons affranchis de
l'injuste défense qui prive notre beau pays de la culture de la vigne.
SECTION
1. Disposition d'un vignoble. - La. juste partialité des Romains
pour leur arbuste chéri se reconnaît à la simple inspection des champs où
ils le cultivent : ils lui prodiguent la terre, et tandis qu'on se plaint de
voir le domaine de la charrue plus borné chaque jour, les vignobles sont
vastes, bien espacés, installés tout à fait en grand. Ainsi un vignoble est
ordinairement bordé sur l'un de ses côtés par un chemin de dix-huit pieds,
largeur supérieure à celle de bien des voies publiques. Les vendanges, il est
vrai, se font avec des chariots, et l'on a voulu que deux attelages puissent se
rencontrer sans se heurter. Mais ce n'est pas tout : il y a en outre , de
jugère en jugère, d'autres voies transversales de dix pieds de large, toujours
pour la circulation des chariots. Que de terrain enlevé à la culture !
Le chemin de grande voie est appelé. « cardinal, » parce qu'on le trace
ordinairement dans la direction du midi au septentrion, c'est-à-dire vers les
pôles ou points cardinaux du monde ; les chemins transversaux sont nommés «
décumans, » du nombre décimal de pieds dont se compose toujours leur largeur.
Dans les très grands vignobles, l'un des décumans est aussi large que la voie
cardinale ; dans tous, les bandes que forment les décumans sont subdivisées
par de nombreux sentiers, de sorte que le vignoble entier se trouve fractionné
en carrés réguliers, dont chacun est appelé« Jardin »
Ces divisions ont plusieurs avantages : d'abord elles permettent de séparer les
diverses sortes de plants, et de les cantonner chacune à part ; chose
importante, attendu que le mélange des raisins de différentes espèces diminue
la bonté du vin, tous n'ayant pas des saveurs qui s'accordent, et tous
n'arrivant pas non plus en même temps à parfaite maturité ; ensuite elles
procurent aux ceps l'avantage d'être plus exposés au vent et au soleil, et de
pouvoir être inspectés plus aisément. Elles mettent encore le père de
famille à portée d'estimer avec certitude le nombre de journées qu'il a droit
d'exiger, parce que l'on ne peut pas se tromper, lorsque tout est divisé en
petits carrés ; de plus, elles donnent du courage aux travailleurs, qui voient
ainsi plus facilement la fin de leur ouvrage. Je ne dis rien des facilités
qu'offrent tous les chemins pour la libre circulation au moment des travaux et
à l'époque des vendanges.
Un « Jardin. » renferme cent cinquante pieds de vigne, ou tout au moins un
demi-jugère carré. Les plantations sont alignées sur toutes les faces, en
forme de quinconces, et rangées dans des sillons réguliers tracés suivant la
direction de la plus grande largeur du champ, en plaine ; et sur les côtes,
transversalement à la montée, afin de maintenir les terres que les pluies et
les orages tendent toujours à précipiter en bas.
L'espacement des sillons se règle sur la qualité du sol et sa position ; on
les tient plus serrés en plaine que sur un coteau, dans les lieux secs que dans
ceux exposés à la pluie et aux brouillards. On laisse entre les ceps un
intervalle de cinq ou six pieds, si le. terroir est de médiocre qualité ; s'il
est bon, de quatre au moins ; maigre et léger, de huit tout au plus. Certains
agriculteurs portent les espacements à sept pieds, dans les terres grasses,
afin que la vigne , abondamment nourrie, s'étende davantage. Dans l'Ombrie et
dans le pays des Marses, où on laboure entre les vignes, l'espacement des ceps
mesure vingt pieds au moins.
SECTION
II. Du Palissage et de ses divers modes. -- La vigne, étant
un arbuste à tige faible et très flexible, ne peut se soutenir d'elle-même et
ramperait à terre si on ne lui donnait des supports, si on ne la « palissait.
»
Cette opération se fait de plusieurs manières : les principales sont le «
joug » et les « arbres. » J'ai entendu des cultivateurs blâmer beaucoup
cette dernière méthode : d'autres, au contraire, et ce sont les plus habiles
et les plus expérimentés, la louer extrêmement. Toutefois plusieurs, parmi
ces derniers, ne l'approuvent que pour l'Italie ; en effet, une expérience de
plusieurs siècles montre qu'en cette contrée les bons vins ne croissent que
sur les arbres ; que les plus hauts donnent les meilleurs, et que les plus bas
en produisent une plus grande quantité.
SECTION
III. Palissage sur les arbres. - Agencement d'un Vignoble arboré. -
Le palissage sur les arbres est généralement suivi en Campanie, où l'on marie
la vigne au peuplier. Elle embrasse cet époux, s'enlace amoureusement dans ses
branches, et grimpe jusqu'à son sommet.
Dans l'Italie Transpadane (ou Gaule Cisalpine), on fait aussi monter les vignes
sur les cornouillers, les tilleuls, les érables, les ormes, les charmes, et les
chênes.
Mais de tous les arbres, ceux sur lesquels la vigne profite le mieux sont
d'abord l'obier, préférablement à tout autre, ensuite l'orme, et en
troisième lieu le frêne. Puis vient le peuplier noir, qui a les feuilles assez
rares. La plupart des cultivateurs n'hésitent pas à mettre la vigne sur le
frêne, sur le figuier, et même sur l'olivier, pourvu qu'ils ne fassent pas
trop d'ombre. Ce dernier motif empêche d'employer fréquemment l'orme d'Atinie,
très feuillu de sa nature.
On observe encore, dans le choix des arbres, la qualité de leur feuillage, qui,
comme nous l'avons vu, fournit une pâture aux bestiaux. Si l'on se sert
quelquefois de l'orme d'Atinie, c'est parce que les boeufs aiment beaucoup ses
feuilles, et si l'on rejette l'obier, c'est parce qu'il produit peu de
feuillage. Dans les lieux escarpés et montagneux, où l'orme ne se plaît pas,
on met le frêne, arbre très agréable aux chèvres, aux brebis, ainsi qu'aux
boeufs. Cependant on préfère plus généralement l'orme, parce qu'il
s'accommode très bien de la vigne, fournit une excellente pâture, et réussit
dans plusieurs espèces de terrains.
La manière dont la vigne s'arrange sur les ormes est assez jolie : avec une
hache à deux tranchants, le vigneron étête ces arbres dans leur jeunesse à
une hauteur de quinze ou vingt pieds, les fait filer sur un seul brin ; et ne
leur laisse de couronne que de trois pieds en trois pieds au plus. Cela forme
trois ou quatre étages, attendu que la première couronne ne commence qu'à
sept ou huit pieds de terre, pour les vignobles situés sur une côte ou dans un
endroit sec, et à douze pieds dans un terrain humide ou dans une plaine.
Ordinairement chaque étage ne se compose que de trois branches, espacées
également sur la circonférence de l'arbre, avec chacune plusieurs bras en
forme de palme. Ces branches sont ménagées de manière que celles d'un étage
ne se trouvent pas sur la même ligne d'aplomb que celles de l'étage qui le
précède, parce qu'autrement la palme inférieure occasionnerait un frottement
au cep qui monte sur la palme supérieure, et finirait par en faire tomber le
fruit.
Selon que le vigneron veut donner plus ou moins de liberté à sa vigne, il
laisse allonger ou il raccourcit les palmes de l'orme. Un arbre ainsi arrangé
est entièrement enveloppé de pampres ; ses branches forment comme autant de
thyrses, à l'extrémité desquels pendent de jeunes sarments chargés de
grappes ; à quelque distance, on le prendrait pour une grande vigne lui-même,
et cela d'autant plus facilement que, toutes ses pousses lui étant retranchées
de deux années l'une pour que l'épaisseur de leur ombre ne nuise pas à
l'arbuste qu'il porte, c'est à peine si l'on aperçoit quelques touffes de son
feuillage naturel.
Les arbres destinés à porter de la vigne se plantent en quinconces soit
réguliers, soit irréguliers : si l'on doit semer du blé dans leurs
intervalles, les espacements sont de quarante pieds sur vingt, et si le terrain
doit rester inculte, de vingt en tous sens, pour les arbres peu élevés ; mais
pour ceux à haute tige, il faut soixante pieds sur quarante, dans le premier
cas, et vingt-cinq dans le second. On met souvent jusqu'à dix ceps sur un
arbre, et jamais moins de trois.
Toute vigne destinée à être arborée se plante dans une fosse de deux pieds
de largeur et d'autant de profondeur, si la terre est légère, ou de deux pieds
neuf onces si elle est grasse, et de six pieds de long, ou au moins de cinq. On
la creuse à un pied et demi ou deux pieds de l'arbre, parce que trop près des
racines de l'orme la vigne. prendrait mal, ou, si elle poussait, les branches de
l'arbre lui nuiraient : aussi le plant se met à l'extrémité de la fosse.
Dans une exposition chaude, on accote la vigne aux arbres vers le septentrion ;
dans un pays froid, vers le midi, et sous un climat tempéré, du côté de
l'orient ou de l'occident. On n'attache les jeunes ceps à l'arbre qu'avec trois
tourons, l'un à quatre pieds de terre, l'autre plus haut, et le troisième vers
le milieu. On n'en met point par le bas, dans la crainte de diminuer les forces
de l'arbuste.
Près de la voie Émilienne, on lie la vigne au bas des ormes touffus d'Atinie,
en la tenant éloignée des feuilles de son support. Dans la Gaule Cisalpine, on
lance deux sarments de chaque côté, si les arbres sont espacés de quarante
pieds, et quatre, s'ils ne le sont que de vingt pieds. Quand les sarments se
rejoignent, on les lie ensemble, en les fortifiant par de petites baguettes,
s'ils sont faibles. Sont-ils trop courts pour se rencontrer, on les étend et on
les réunit par le moyen d'un jonc.
Quel heureux climat que celui qui permet d'accumuler ainsi deux ou trois
récoltes où les bordures des champs portent des arbres chargés de pampres,
charmants bouquets de verdure, donnant du vin pour le maître ou les colons, du
bois pour brûler, et des feuilles pour pâturer.
SECTION
IV. Palissage sur le joug. - Agencement d'un Vignoble jugué. -
Passons aux autres modes de palissage, et d'abord à celui des « Jougs, » en
usage dans la plupart des vignobles d'Italie. Un « Joug » se compose de deux
parties : les « Paisseaux, » pieux fixés en terre perpendiculairement, et les
« Jougs » proprement dits, perches passées en travers des premiers, et
attachées de place en place avec des liens.
Souvent, au lieu de perches, on se sert de roseaux ; on en cultive une belle
espèce qui atteint jusqu'à vingt pieds de hauteur, et dont les ânes et les
boeufs mangent volontiers la feuille. On remplace aussi les roseaux par des
cordes ou des sarments. Les perches sont en usage dans le canton de Falerne ;
les roseaux, dans celui d'Arpinum ; les cordes, surtout celles de crin, dans
celui de Brundusium ; les sarments, dans celui de Mediolanum.
Les perches sont ordinairement de bois de saule. Elles font un joug plus solide
et moins coûteux que les roseaux, qu'il faut commencer par lier ensemble, de
place en place, en renversant la tête des uns vers le pied des autres, afin que
la grosseur du joug soit égale, ou à peu près, dans toute sa longueur. Un
joug de saule dure environ cinq ans.
On compte trois espèces de Paisseaux : la première et la meilleure se nomme
Ridica : elle est de chêne ou de genévrier ; la se coude, appelée Palus, est
une perche extrêmement dure ; la troisième, celle que le roseau fournit
subsidiairement lorsque l'on manque des deux premières, se compose de faisceaux
de deux ou trois roseaux attachés avec leur écorce , et enfoncés dans des
Cuspides ou petits tuyaux de terre cuite percés d'outre en outre, afin que la
pluie n'y puisse séjourner Plusieurs sortes d'arbres fournissent les paisseaux
de bois ; ce sont : le saule, le peuplier blanc, le laurier, le pin sauvage, le
cyprès, l'aubour, le sureau. Les plus durables se font en chêne roure, en
olivier, en esculus, et en châtaignier, refendus.
A l'instar des arbres, les Jougs sont disposés en quinconces. La vigne se
trouve plantée soit au milieu, soit au moins à un pied de distance des
paisseaux, pour ménager ses racines, et aussi afin que le fossoyeur puisse
tourner autour. Le cep, attaché d'abord au paisseau de manière à en être
abrité de la violence du froid et de l'impétuosité des aquilons, monte sur un
seul brin, jusqu'à la hauteur de quatre pieds environ, puis se divise en quatre
bras qui s'étendent sur les perches, vers les quatre côtés du joug.
On fait aussi des jougs à simple rang, et sur lesquels croissent de meilleurs
vins, parce que ces jougs ne se portent point d'ombre à eux-mêmes, de sorte
que les grappes, plus exposées au soleil et au vent, sont plus vite délivrées
de la rosée. Mais le joug à quatre pans, que l'on appelle Compluvium, de sa
ressemblance avec le toit à quatre pentes du compluvium d'une maison,
produisant plus de raisin, est le plus généralement en usage.
SECTION
V. Divers autres modes de Palissage. - Choix du mode. - Il y a des
vignes qu'on laisse ramper à terre : dans ce cas, leur fruit est exposé aux
ravages des renards et des rats, qui en mangent autant que les hommes, à moins
que l'on n'ait soin de distribuer dans le vignoble quantité de souricières,
comme cela se pratique dans l'île de Pandataire, sur les côtes de la Campanie
; d'autres dont ao relève au-dessus de terre les branches à fruit, au moyen de
petites fourches de bois, longues environ de deux pieds : à Réate, les vignes
sont toutes arrangées de cette manière ; d'autres qui se soutiennent
d'elles-mêmes, comme des arbustes à tige ; d'autres attachées à un simple
paisseau sans joug, et ne passant pas la hauteur d'un homme de moyenne taille ;
d'autres ayant chacune un joug séparé, appelé Cantherius ; d'autres
environnées de roseaux fichés en terre, et dont le bois, attaché à ces
roseaux qui leur servent de soutien, est courbé en forme de cercles ; d'autres
enfin où une rangée de cyprès alterne avec une rangée de ceps. La vigne
monte sur les cyprès, mais sans s'y marier, à cause d'une sorte d'antipathie
qui règne entre ces deux arbres.
Certaines natures de terrains exigent l'emploi de tel support plutôt que de tel
autre. Par exemple, dans les pays où les pluies sont abondantes, les tempêtes
impétueuses, et où la vigne, ébranlée par l'affluence des eaux, ou comme
suspendue sur des collines escarpées, a besoin de beaucoup de soutiens, on
emploie le joug à quatre pans, le Compluvium. Quant aux terrains chauds et
secs, on y étend le joug de tous côtés, afin que les pampres, en
s'épaississant, forment une espèce de voûte, et couvrent de leur ombre la
terre altérée. Dans les pays froids et sujets aux gelées, on range les ceps
sur une seule ligne : de cette façon la terre se sèche plus facilement, le
fruit mûrit mieux et jouit d'un air plus salubre.
SECTION
VI. Espacement des ceps. - Hauteur des Jougs. - Du Palissage et du
Dépalissage. - L'espacement des ceps exige encore beaucoup d'attention :
dans un terroir de médiocre qualité, les rangées sont de cinq pieds en cinq
pieds ; dans un bon, de quatre pieds au moins ; dans un maigre et léger, de
huit pieds au plus. En Ombrie et dans le pays des Marses, on met jusqu'à vingt
pieds d'intervalle entre les ceps de certaines vignes, afin de pouvoir y
labourer librement. D'autres espacent à cinq pieds dans un terrain maigre, à
six dans un médiocre, à sept dans un bon, afin que la vigne, qui dans un
pareil sol pousse toujours abondamment, trouve plus de place pour s'étendre.
La hauteur des jougs varie également : leur moindre élévation est de quatre
pieds, et leur plus grande de sept, mais seulement pour les vieux plants ; on se
garde bien de conduire les jeunes aussi haut. Au reste, plus le sol et le climat
sont humides et les vents doux, plus on élève le joug, car alors la fertilité
des vignes permet de les laisser monter plus haut, et le fruit, éloigné de
terre, pourrit moins aisément. Dans les terrains maigres, sur les côtes
brûlées par la chaleur, ou trop exposées à la violence des tempêtes, on met
des jougs plus bas.
Le palissage est fait par un ouvrier spécial nommé l'Alligateur. Il dirige les
jeunes scions de manière à les faire monter promptement sur le joug, les lie
entre le troisième et le quatrième bourgeon, pour réprimer l'impétuosité du
bois, qui tend à s'allonger, et le contraindre à pousser plus abondamment
au-dessous de la ligature. Quant à la cime, jamais il ne doit la lier, la vigne
portant naturellement ses fruits vers les branches pendantes ou auprès de la
ligature, et tout ce qui est au-dessous ne donnant que du bois.
Chaque année il délie les ceps pendant quelques jours, comme pour les reposer,
et surtout afin d'en changer les liens de place, dans la crainte qu'ils ne
finissent par étrangler et couper les branches, bien qu'ils ne soient qu'en
osier, en écorce de saule, en genêt, en glaïeul en ronces, ou bien en petit
jonc verdâtre, appelé ampelodesmos, c'est-à-dire lien de vigne. Il distribue
ensuite les branches en quatre parties, sur la croix du joug, sans les forcer,
mais en les courbant légèrement vers la terre, pour les laisser aller comme
elles voudront, de peur de les rompre en les pliant, et d'en faire tomber des
bourgeons; cela s'appelle « précipiter la vigne. » Les branches ainsi
pendantes se couvrent de fruit, et de plus, sont un peu moins exposées à la
pluie, aux brouillards et à la grêle. Les ceps demeurent ainsi en liberté
jusqu'à ce que le raisin soit arrivé à l'état de verjus : alors on relève
les branches et on les attache, tant pour mettre les grappes à l'abri des
bêtes, que pour empêcher les vents de les froisser les unes contre les autres.
Toutes les vignes autres que celles arborées sont ordinairement environnées de
murs, de haies ou de fossés, ou bien de claies, pour les garantir des insultes
et de la voracité des bestiaux.
J'ai renversé l'ordre du discours en me laissant aller à parler du palissage
avant la taille ; elle se fait, il est vrai, presque en même temps, mais
néanmoins à la suite de cette opération, et avant que les boutons de la vigne
soient un peu gros, afin de ne pas les endommager. Je me hâte de réparer mon
omission.
SECTION
VII. De la Taille et de son époque. - De tout temps, la taille fut
le premier principe de la culture de la vigne. Le roi Numa, dans le but de
contraindre les Romains à la pratiquer, déclara dans une loi que toute
libation de vin provenu d'une vigne non taillée serait sacrilège. Aujourd'hui
tout le monde taille, et les cultivateurs ne diffèrent que sur l'époque. Dans
une contrée dont la température est douce et modérée, la taille commence
incontinent après les vendanges, vers les ides d'octobre, pourvu cependant que
les pluies d'automne soient tombées, et que les sarments aient acquis toute
leur force. Quand une température froide et sujette aux gelées blanches menace
d'un hiver rude, on attend que le vent équinoxial ait commencé de souffler,
c'est-à-dire vers le VI des ides de février. Il ne faut point trop se presser,
parce que si le froid surprend la vigne nouvellement taillée, elle se fend et
perd sa sève. Dans les petits vignobles il est assez facile d'observer ce
délai ; mais dans les grands, où l'importance des travaux ne permet pas de
choisir le temps, les vignerons se mettent à tailler les parties de « jardins
» les plus vigoureuses pendant, les froids, dès les ides de janvier, évitant
seulement de commencer trop matin, afin de laisser au bois engourdi par la
bruine et les gelées nocturnes le temps de se dégeler ; ils entreprennent les
plus maigres au printemps ou pendant l'automne, surtout si elles sont exposées
au nord, et en hiver celles à l'exposition du midi. Telle est la nature de cet
arbrisseau, que plus on le taille de bonne heure, plus il donne de bois, et plus
on le taille tard, plus il produit de fruit. Les vignes de bon plant, juguées,
se taillent vers les Quinquatries, et dans le déclin de la lune, afin que les
raisins soient de garde.
Au surplus, la taille de toute espèce de vigne doit être terminée à
l'équinoxe de printemps ; celui qui s'attarde au delà de cette époque est
raillé des passants, qui contrefont devant lui le chant du coucou, parce qu'il
est honteux pour un vigneron d'être rencontré par cet oiseau d'été dans
l'occupation de tailler la vigne.
SECTION
VIII. Principes de la Taille. - Taille d'une Vigne juguée. - On
n'est point unanime sur les principes de la taille comme sur le temps où il
faut l'entreprendre ; les uns défendent de toucher à la vigne pendant l'année
de la transplantation, et même d'y mettre la serpe avant cinq ans. Alors ils
lui enlèvent tout son bois, à trois bourgeons près. Les autres taillent dès
la première année, la laissent chaque année s'allonger de trois ou quatre
noeuds, et la cinquième la conduisent sur le joug. D'autres, dès l'âge de
trois ans, lui font porter beaucoup de bois; et vont jusqu'à détruire ses
bourgeons pour favoriser son développement.
Ces méthodes ne valent rien : le mieux est d'attendre que la vigne soit assez
grande et assez forte pour la mettre au joug. Tant qu'elle est faible, quel que
soit d'ailleurs son âge, il faut retrancher le bois inutile, et la tenir basse.
Les meilleurs cultivateurs attendent qu'elle soit à peu près grosse comme le
pouce pour la mettre à fruit. La première année, ils conservent une ou deux
branches, selon la force du cep ; l'année suivante, ils les laissent croître ;
la troisième année, ils admettent deux autres branches, mais ne dépassent
jamais le nombre de quatre, car ils ont pour principe qu'il faut toujours
modérer la fécondité de la vigne.
La nature du terroir indique ce qu'il convient de faire. Toute vigne mise à
fruit avant sa septième année depuis la transplantation en marcotte s'amaigrit
comme un jonc et meurt. A cinq ans, on tord les sarments, et on leur permet à
chacun de produire du bois nouveau, en ayant soin de couper le vieux. Le
principal sarment, qui reste après la taille, et nommé Drageon ou funicule,
est conservé plus proche du cep, et coupé entre le troisième et le quatrième
support du joug. S'il pousse trop abondamment, on le tord, afin qu'il ne
produise que quatre branches, ou même seulement deux, si la vigne est à simple
joug.
Suivant les meilleurs préceptes, la taille doit être faite de manière à
réduire la vigne à une seule petite tige, qui ne porte que deux bourgeons
près de terre. Jamais il ne faut tailler près de la jointure d'un noeud, on
risquerait d'offenser l'oeil ; la place favorable est l'espace d'un noeud à
l'autre, et en tenant la serpette obliquement, pour ne point faire une cicatrice
horizontale, oit la pluie s'arrêterait. On observe encore de ne pas incliner la
coupe du côté où se trouve le bourgeon, car l'eau qui en découlerait
aveuglerait l'oeil, et l'empêcherait de se développer en feuilles. Si la vigne
est maigre et n'a pas un bois convenable, on la coupe au ras de terre, afin de
lui en faire produire un nouveau.
En tel temps que le vigneron, que le Putateur, pour l'appeler par son nom,
taille, il doit observer trois choses principalement : la première, d'avoir les
fruits en vue ; la seconde, de réserver pour l'année suivante le bois qui
promet le plus, afin de prolonger la durée de la vigne, et la troisième, de
palisser avec intelligence. Toute vigne juguée se divise en quatre parties
regardant vers quatre aspects différents du ciel. Chaque exposition a ses
propriétés, et veut des variétés dans la taille et le palissage : le
putateur ménagera les branches tournées vers le septentrion, surtout s'il
commence la taille aux approches du froid, qui ne manquerait pas de brûler les
cicatrices ; il ne laissera qu'un sarment, le plus près possible du joug, avec
un courson au-dessous, pour renouveler la vigne l'année suivante.
Au midi, au contraire, il conservera un plus grand nombre de branches à fruit,
pour ombrager le cep durant les grandes chaleurs de l'été, protéger la
grappe, et l'empêcher de se dessécher au lieu de mûrir.
Quant à l'orient et à l'occident, il fera peu de différence entre ces deux
expositions, parce que la vigne ne voit pas le soleil moins longtemps sous l'une
que sous l'autre. Il se guidera sur la bonté du terrain et sur celle du cep,
pour la quantité de bois à laisser ; en général, il ravalera, par la taille,
les pampres à un pied environ au-dessous du joug, afin que les jeunes pousses,
montant à travers ses bras, puissent passer par-dessus et se précipiter vers
la terre, sans cependant y atteindre. Lorsque le terrain et le tronc seront
bons, il laissera assez volontiers trois branches s'allonger ainsi, quelquefois
quatre, mais rarement.
SECTION
IX. De la Taille d'une Vigne arborée. - Voilà pour la vigne juguée
; la taille de la vigne arborée est un peu plus compliquée, en ce qu'elle
embrasse et la vigne et l'arbre qui la supporte. J'ai déjà dit la manière
dont ces arbres sont disposés : cette disposition, la taille s'étudie à la
conserver, en retranchant toutes les branches inutiles qui consumeraient la
nourriture en pure perte, et en maintenant les autres à une certaine distance
respective.
Relativement à la vigne en elle-même, on coupe le premier bois qu'elle a
jeté, jusqu'au deuxième ou au troisième bouton ; ensuite on laisse croître
insensiblement tous les ans un peu de bois, qui monte à travers les rameaux de
l'arbre, en dirigeant toujours un fouet vers son sommet. Ceux qui veulent avoir
beaucoup de fruit laissent un grand nombre de fouets s'étendre sur les rameaux
inférieurs, mais ceux qui préfèrent avoir de meilleur vin attirent les
sarments vers le haut. La vigne qu'on veut arborer est abandonnée à elle-même
pendant trois ans ; la troisième année on la taille, on la fait monter peu à
peu, et ce n'est qu'à l'âge de six ans qu'on la marie à l'arbre. Cette vigne,
une fois parvenue à sa croissance, se traite ainsi : tous les sarments qui ont
porté du fruit la première année sont coupés, et les nouveaux les
remplacent, mais débarrassés des tendons et des petites branches inutiles qui
les hérissent. On a soin, à l'instar des vignes juguées, de délier les
branches tous les ans pour les rafraîchir, puis de les relier à une autre
place.
SECTION
X. Du Déchaussement. - Une autre opération qui précède encore la
taille, et se pratique après les ides d'octobre, avant les froids, c'est le
Déchaussement. Il consiste à découvrir le cep jusqu'à un pied et demi de
profondeur, pour le dégager de toutes les radicelles poussées pendant l'été
dans cet espace. Si on les lais-sait subsister et se fortifier, elles
affaibliraient les racines inférieures, et de plus, par leur position à fleur
de terre, seraient elles-mêmes exposées à être dévastées, tantôt par le
froid, tantôt par la chaleur, et feraient ainsi souffrir la vigne. Ces racines
sont retranchées à peu près à un doigt de distance du pied ; coupées plus
près du tronc, il en renaîtrait plusieurs, ou bien l'eau, s'introduisant en
hiver par une cicatrice si rapprochée, ferait périr l'arbuste en pénétrant
jusqu'à la moelle.
Dans un climat doux, la vigne reste déchaussée jusqu'au retour de la belle
saison. Dans un climat rude, les fosses sont remplies avant les ides de
décembre, et quelquefois arrosées préalablement de vieille urine, dans la
proportion de six sextarii, ou garnies soit de colombine, soit d'un peu de
fumier.
Le déchaussement s'effectue tous les automnes, pendant les cinq premières
années. Une fois que la vigne a pris toute sa force, on ne la déchausse plus
que tous les trois, ans.
SECTION XI. De l'Épamprement. - L'Épamprement est une espèce de petite taille supplémentaire. Cette opération se pratique avec les doigts, sans le secours d'aucun instrument tranchant, et seulement sur les jeunes pousses non encore tout à fait tournées en bois. On épampre deux fois l'an, la première fois avant la floraison de la vigne, dès les ides de mai : ce travail dure dix jours ; les opinions varient sur l'époque du deuxième épamprement les uns veulent qu'il se fasse aussitôt que la vigne est défleurie, les autres, lorsque le raisin est presque mûr. L'épamprement a pour but de préparer la taille de l'année suivante, de faire. grossir les grappes, et de hâter leur maturité en livrant passage au soleil ; car dès que le raisin est formé, on dépouille les branches à fruit de toutes leurs feuilles, dans les terrains humides et couverts, et de la plus grande partie dans les lieux secs et chauds : c'est l'ouvrage des effeuilleurs. On n'épampre point les vignes arborées.
SECTION
XII. Des Labours et de la Fumure. - Le sol demande aussi beaucoup de
travail : la plupart des cultivateurs veulent qu'on bêche la vigne pendant tout
l'été, après chaque rosée ; d'autres défendent de la bêcher quand elle
bourgeonne, parce qu'en tournant autour des ceps on fait tomber ou l'on froisse
les bourgeons. Les mêmes personnes prétendent qu'il est nuisible de bêcher la
vigne à l'époque où la grappe se forme ; elles assurent qu'il suffit de faire
ce travail trois fois l'an, après l'équinoxe de printemps ; savoir : vers le
lever des Pléiades, vers celui de la Canicule, et quand le raisin commence à
noircir.
Quelques-uns recommandent, si c'est une vieille vigne, de la bêcher une fois
entre les vendanges et le solstice d'hiver ; d'autres croient qu'il faut la
déchausser et la fumer. Ensuite, ils la font bêcher avant qu'elle bourgeonne,
c'est-à-dire depuis les ides d'avril jusqu'au VI des ides de mai ; puis avant
et après la floraison, et quand le raisin commence à changer de couleur. Les
plus expérimentés prétendent que les labourages fréquents attendrissent le
raisin jusqu'à le faire crever. Ils disent aussi que la poussière produite par
cette opération sert, en couvrant la grappe, à la défendre contre le soleil
et les brouillards, et que plus on pulvérise la terre, plus le grain devient
gros.
Certains cultivateurs se contentent de trois fouilles, quand leur vigne est en
état. Ils se règlent sur ce qu'il y a trois mouvements naturels dans toute
espèce d'arbres : l'un qui les fait germer, le second qui les fait fleurir, et
le troisième qui les fait mûrir. Suivant eux, les fouilles n'ont d'autre but
que d'animer ces mouvements, parce que la nature a besoin d'être aidée par le
travail. Les vignes arborées veulent être labourées très profondément. Ces
labours se font à la houe, ou bien à la charrue tirée par des boeufs.
On fume souvent en labourant, et si une vigne est maigre ou languissante, on la
ranime en enfouissant autour des souches, soit du fumier, soit de la paille,
soit du marc de raisin, ce qui est d'autant plus facile que le labourage rejette
toujours la terre au pied des ceps. Outre cela on les butte encore quand les
feuilles commencent à tomber.
Il y a presque toujours à travailler dans les vignes, et les ouvriers y restent
jusqu'aux nones de décembre. Cette époque, qui est celle de la fin des travaux
rustiques, se célèbre par les deuxièmes Faunalia, fête consacrée à Faune,
dieu auquel les traditions sacrées attribuent l'introduction en Italie des
travaux de l'agriculture. Dans tous les villages, les vignerons sacrifient à ce
dieu, et se livrent, sur les prés et dans les bois, à des danses joyeuses.
SECTION
XIII. Des Séminaires et des Vignières. - Reproduction de la Vigne.
- Un vignoble bien administré renferme tout ce qui est nécessaire pour
l'entretien et le renouvellement tant de la vigne que de ses supports, tels
qu'échalas, roseaux, arbres mêmes. Pour les arbres, on a un séminaire divisé
par planches juste de la largeur nécessaire pour qu'un homme puisse atteindre
au milieu avec la main, et dans lesquelles se font des semis. Quant aux autres
supports, un jugère de châtaigniers et un de roseaux suffisent pour les
échalas et les jougs de vingt jugères de vignes, et un d'osier pour vingt-cinq
jugères.Il y a pour la vigne une Vignière établie dans un sol de médiocre
qualité, ni maigre, ni humide, afin que le plant, transporté dans des terres
grasses ou maigres, ne souffre point du changement de terroir. Le sol d'une
Vignière est d'abord retourné à la houe, et défoncé à deux pieds et demi
de profondeur ; ensuite divisé en planches séparées par de petites allées
larges de trois pieds. Les marcottes y sont plantées très près les unes des
autres, de manière que chaque planche de deux cent quarante pieds de long en
tienne six cents, soit vingt-quatre mille par jugère. Afin de ménager le
terrain et le temps, on met quelquefois un rang de marcottes entre deux rangs de
plant vif. De cette manière un jugère peut contenir seize mille marcottes, qui
donnent du fruit deux ans plus tôt. On ne les transplante guère avant ce
terme, et en les mettant à l'endroit où elles sont destinées à rester, on
les réduit à un seul jet, on épluche leur tronc, et l'on rogne celles de
leurs racines qui sont endommagées.
La vigne fournit elle-même à sa reproduction, et ce sont les produits de la
taille, les branches les plus épuisées pour avoir porté du fruit en dernier
lieu, qui font les marcottes ou crossettes. Autrefois on les prenait jusque dans
le bois dur, et comme elles avaient de ce côté-là une espèce de tête, cela
leur valut le nom de crossettes. Dans la suite il parut suffisant qu'elles
eussent leur talon, et les meilleures sont en effet celles de cette dernière
forme.
Il y en a une troisième sorte sans talon, dites flèches si on les tord en les
plantant, et marcottes à trois bourgeons si on ne les tord point. Il faut
choisir pour marcottes des branches fécondes ; les drageons sortis du tronc ne
produisent rien. Les marcottes dont les noeuds sont éloignés les uns des
autres passent pour stériles, tandis que le grand nombre de bourgeons est un
signe de fertilité. Une marcotte doit avoir au moins un pied de long, avec cinq
ou six noeuds.
Les marcottes plantées le jour même qu'elles ont été coupées profitent
mieux ; s'il y a impossibilité, il faut les mettre entre deux tuiles creuses,
auprès d'un ruisseau ou d'une piscine, et les tenir couvertes de terre, afin
d'empêcher le soleil de les dessécher, et le vent ou le froid de les
affaiblir. Sont-elles un peu desséchées, on les fait revenir en les tenant
dans l'eau pendant plusieurs jours avant de les planter.
Voici une manière à la fois très simple et très ingénieuse de remédier à
ces inconvénients, pour avoir des marcottes d'une vigne arborée : prenez une
petite corbeille d'osier d'un pied de diamètre environ, et même moins ;
percez-la par le milieu de son fond, et faites passer une branche par cette
ouverture ; attachez la corbeille sur l'arbre même, puis remplissez-la de terre
végétale, de façon que la branche, qu'il faut tordre auparavant, y soit tout
à fait enfouie. Au bout d'un an elle a jeté des racines, vous la coupez sous
la corbeille, et vous avez un cep véritable, prêt à replanter en tous temps,
sans être obligé, comme pour les plants arrachés, d'attendre l'équinoxe de
printemps ou celui d'automne. Au surplus, cette méthode n'est autre que celle
des provins, qui consiste à coucher en terre un cep de vigne ou une de ses
branches auprès de l'arbre qui le soutient, ou d'un arbre voisin qui est sans
vigne. Mais la méthode des provins en paniers vaut mieux, parce qu'ils n'ont
rien à craindre des bestiaux. Néanmoins ce danger, qui existe également pour
les Vignières, peut être évité en entourant les jeunes plants de haies vives
.Beaucoup de propriétaires de vignobles établissent les Vignières dans un
terrain de même nature que celui où sont leurs vignes, de sorte que le jeune
cep, lors de sa transplantation, se trouve tout acclimaté. Ils portent
l'attention jusqu'à marquer sur l'écorce, avec de la sanguine, le point de
l'horizon vers lequel l'arbrisseau se trouvait tourné dans la Vignière, pour
le replanter dans le même sens, afin qu'il éprouve toujours des mêmes
côtés, et les chaleurs. du midi, et les rigueurs du septentrion.
SECTION
XIV. Moyens d'avoir plusieurs sortes de Raisins sur un cep. - Des Raisins
sans pépins. - De la Greffe. - Je ne veux pas quitter l'intéressant sujet
de la reproduction de la vigne, sans te parler de deux opérations fort
curieuses que l'on s'amuse quelquefois à pratiquer sur cet arbuste, pour lui
faire produire soit plusieurs sortes de raisins, soit des raisins sans pépins.
Pour la première opération, on prend quatre ou cinq crossettes, ou davantage,
toutes de divers plants; on les lie ensemble fortement et bien également, dans
l'endroit le plus vert et le mieux nourri ; ce faisceau est ensuite mis dans un
os de boeuf ou dans un tuyau de terre cuite, en laissant paraître seulement
deux bourgeons au dehors, puis planté dans une fosse et recouvert de fumier.
Quand la végétation a bien réuni toutes ces crossettes l'une à l'autre, ce
qui n'arrive qu'après deux ou trois ans, on casse le tube ; on coupe le cep
multiple vers le milieu, à l'endroit où l'adhérence paraît la plus parfaite
; on l'enfouit, en le recouvrant d'une couche de terre de trois doigts
d'épaisseur, et les scions qui en sortent, et qu'il faut réduire à deux,
produisent des grappes composées de grains de qualité et de couleur aussi
variées qu'il y avait de crossettes jointes ensemble.
La seconde opération se pratique ainsi : fendez la marcotte par le milieu sur
toute sa longueur ; ôtez-en la moelle, rapprochez les deux parties, liez-les
exactement, en prenant grand soin de ne point offenser les bourgeons ; plantez
dans une terre mêlée de fumier, et arrosez. Labourez souvent le pied de la
crossette, et coupez le premier bois qu'elle jettera. Les raisins d'une telle
vigne, m'a-t-on assuré, n'ont jamais de pépins.
Ces opérations ne sont guère que des amusements d'amateurs ou d'oisifs ; la
seule vraiment utile, c'est la greffe : pour cela il suffit de percer le sarment
avec un outil tranchant, d'y pratiquer une cavité dans laquelle on insère une
greffe, puis de recouvrir le tout d'un enduit gras.
SECTION
XV. Du choix du Plant, et des diverses sortes de Plants. - Bien
choisir l'espèce de plant convenable à chaque sol, à chaque exposition, ainsi
qu'au genre d'exploitation du vignoble, n'est pas chose de médiocre importance.
Le maître qui a particulièrement en vue la récolte du vin choisit la vigne
forte en fruit et en bois, l'un contribuant beaucoup au revenu, l'autre à la
longue durée du plant. Il, préfère généralement celle qui, n'ayant pas trop
de feuilles, et quittant sa fleur de bonne heure, sans mûrir trop tard, se
défend en même temps contre les gelées, le brouillard et la brûlure, sans
que la pluie pourrisse son fruit, ou que la sécheresse le réduise à rien.
Cette espèce mérite la préférence, ne fût-elle que médiocrement féconde,
pourvu que ce soit dans un terroir où elle puisse rendre un vin distingué et
précieux. Mais quand le terroir donne un vin décidément mauvais ou commun, il
faut prendre la vigne la plus féconde, afin de compenser par le produit le
défaut de la qualité.
Quoique le choix du plant propre au terroir exige un certain tact, une certaine
connaissance ; néanmoins il y a tant d'espèces de vignes, que le cultivateur
n'est jamais embarrassé de trouver celle qui peut être la plus convenable et
la plus avantageuse. Voici les plus remarquables et les plus célèbres, celles
qui jouissent de quelque propriété merveilleuse.
Les plus estimées sont les Amminéennes, dont le vin devient plus fort et gagne
en vieillissant. Ces vignes produisent toujours un vin de qualité supérieure,
même quand le plant est dégénéré, pourvu qu'elles ne soient pas sous un
climat trop froid. On compte plusieurs espèces d'Amminéennes : d'abord deux,
que l'on nomme soeurs ; l'une, produisant des raisins dont le grain est petit,
supporte bien la défloraison, et ne craint ni les pluies ni les tempêtes,
aussi est-elle propre à être arborée ou juguée : seulement, dans le premier
cas il lui faut une terre grasse, et dans le second, une médiocre ; l'autre,
dont les raisins sont plus gros, craint la pluie et les orages, se corrompt
promptement lorsqu'elle est en fleur, et cela plus sur le joug que sur les
arbres. On ne la cultive guère que de cette manière. Elle produit moins de
fruits, mais qui ne le cèdent pas pour le goût à ceux de la petite espèce.
Deux autres espèces de vignes Amminéennes portent le nom de Jumelles, de ce
que les grappes y viennent toujours deux à deux. Elles donnent un vin âpre,
mais très fort, qui se garde aussi longtemps que celui des deux premières.
Il y en a une cinquième espèce que l'on appelle Lainée, non pas qu'elle soit
la seule dont un duvet blanchit les feuilles, mais parce qu'elle en a plus que
les autres. Cette Amminéenne donne de bon vin, néanmoins plus léger que celui
des précédentes.
Les vignes de Nomentum viennent après les Amminéennes. Elles sont très
fécondes, surtout l'espèce la plus petite. Comme elles ont le bois rouge, on
les appelle aussi Rubellianes, et quelquefois Fécinianes, leur vin produisant
plus de fèces ou lie que d'autres. Elles viennent également bien sur le joug
et sur l'arbre, et se plaisent dans un terrain gras, propre à nourrir leurs
grappes, naturellement grêles et petites.
Les Apianes tirent leur nom des abeilles (apes), qui en sont très
friandes. On en compte deux espèces, l'une et l'autre recommandables par leurs
bonnes qualités, hâtives, et s'accommodant assez bien du joug et des arbres.
Toutes deux sont lanugineuses. Elles donnent un vin qui, doux d'abord, prend de
l'âpreté avec le temps. C'est en Étrurie que ce plant est le plus cultivé.
Il faut le vendanger de bonne heure, car les pluies, les vents et les abeilles y
causent de grands ravages si on ne cueille pas la grappe un peu verte.
Telles sont les principales sortes de vignes propres et particulières à
l'Italie ; les autres plants ont été apportés de la Grèce, des îles de Chio
et de Thasos, de la Sicile, de l'Espagne, de la Rhétie, de l'Allobrogie, en un
mot de presque tous les pays du monde. Je ne m'arrêterai pas à en parler :
vouloir connaître toutes ces variétés, ce serait presque chercher à savoir
combien le zéphire agite de grains de sable dans la mer de Libye. En effet,
chaque contrée, et presque chaque partie des différentes contrées, a des
espèces de vignes qui lui sont particulières, et auxquelles elle donne chacune
un nom différent. Il se trouve même telles vignes qui ont changé de nom en
changeant de terroir ; d'autres qui, en changeant de terroir, ont aussi changé
de qualité, de façon à ne plus être reconnues. Aussi, dans l'Italie, des
peuples, quoique voisins les uns des autres, ne s'accordent pas sur les noms
qu'ils donnent aux vignes, et souvent il leur arrive d'en donner de différents
aux mêmes espèces.
SECTION
XVI. Frais d'exploitation et Produit d'un Vignoble. - Je n'ai pu
recueillir sur ce sujet que des faits un peu vagues. Le vieux Caton, auteur d'un
Traité d'agriculture, prétend que pour une vigne de cent jugères, il faut
avoir une paire de boeufs, une d'ânes, avec un troisième âne pour tourner la
meule.
Relativement aux esclaves, dix doivent suffire, toujours suivant le même
auteur, à la culture de cent jugères. Cette évaluation ne saurait être prise
d'une manière absolue, car le nombre des ouvriers se règle sur la qualité du
terroir, et je connais des maîtres qui n'ont pas moins d'un vigneron par sept
jugères. Voici d'autres renseignements : soixante journées d'un ouvrier
suffisent pour houer un jugère. Quatre vignerons peuvent tailler et lier en un
jour un jugère de vignes. Un seul taille et lie dans un jour les vignes de
quinze arbres.
Un propriétaire de vignes, nommé Julius Graecinus, qui même a composé sur
cette culture un ouvrage fort estimé, m'a fourni les renseignements suivants
sur le produit des vignobles : « Il existe, me dit-il, un préjugé que les
vignes sont d'un très mauvais rapport, et qu'il faut leur préférer des prés,
des pâturages, ou des bois taillis ; moi, je prétends, au contraire, que les
vignes sont et ont toujours été d'un revenu très avantageux. Je pourrais
citer l'ancienne fertilité des terres qui, d'après Caton et Varron,
rapportaient six cents urnes de vin par jugère, fécondité que l'on retrouvait
dans le canton de Faventia, et dans les terres gauloises aujourd'hui
incorporées au Picenum. Sans parler de cette fertilité, la contrée de
Nomentum n'est-elle pas encore aujourd'hui célèbre par la plus haute
réputation en ce genre, puisque l'on y voit des vignobles qui rapportent
ordinairement huit cullei de vin par jugère. Comparez ce produit à celui des
prés, des pâturages et des bois, qui passent pour rendre beaucoup lorsqu'ils
produisent cent sesterces par jugère, et dites-moi si c'est avec raison que les
vignes sont si décriées ? »
Après avoir démontré que ce décri vient du mauvais choix du plant, du vice
de la culture, de la parcimonie des propriétaires qui ne mettent de vignes que
dans un mauvais sol, et, soit par ignorance, soit par négligence, ne font pas
d'abord les frais nécessaires pour les bien conduire, puis ensuite les
épuisent dès les premières années, en les poussant au fruit sans les
ménager pour l'avenir, il ajouta : « S'il est certain que ceux qui joignent
l'attention aux connaissances retirent de chaque jugère de vignes, je ne dis
pas quarante amphores, ni même trente, quoique cette estimation n'ait rien
d'exagéré, mais seulement vingt, n'est-il pas vrai qu'ils accroîtront plus
vite leur patrimoine que tous ceux qui sont si fort attachés à leurs foins et
à leurs légumes ?
« Les vignes coûtent beaucoup, il est vrai : il y a même des gens qui
prétendent qu'elles coûtent autant qu'elles rapportent ; cependant vous allez
voir que cette spéculation est encore loin d'être mauvaise : pour sept
jugères, que l'on ait un vigneron ; dont l'achat coûtera huit mille sesterces,
en portant les choses au plus ; mettons-en sept autres mille pour l'acquisition
des sept jugères; quatorze mille pour les ceps et leur dot, c'est-à-dire leurs
appuis et leurs liens, cela fera un total de vingt-neuf mille sesterces. Ajoutez
trois mille quatre cent quatre-vingts sesterces pour l'usure semi-unciaire des
deux premières années, pendant lesquelles les vignes ne rapportent rien, cela
formera un capital de trente mille quatre cent quatre-vingts sesterces. Or, si
quelqu'un voulait placer cette somme sur des vignes, à condition que le
vigneron lui en payerait à perpétuité l'usure semiunicaire dont nous venons
de parler, il ne recevrait par an qu'à peine dix-neuf cent cinquante sesterces
; mais qu'il exploite lui-même, il en tirera bien davantage ; et si mauvaises
que soient les vignes, pour peu qu'on les cultive soigneusement, elles
rapporteront sans contredit un culleus de vin par jugère. Quand on ne le
vendrait que trois cents sesterces, qui sont le moindre prix, sept cullei
formeraient encore une somme de deux mille cent sesterces.
« Après les calculs, voici des faits : Acilius Sthenelus, fils d'un affranchi,
s'est acquis une grande célébrité en cultivant dans le territoire de
Nomentum, à dix milles seulement de Rome, un vignoble de soixante jugères tout
au plus, qu'il a vendu quatre cent mille sesterces !
« Le fameux grammairien Rhemnius Palémon acheta dans le même canton un
vignoble qu'il paya six cent mille sesterces. On sait que, dans les biens
suburbains, le raisin n'a pas une grande valeur : celui-là, provenant d'une
vigne très négligée, et située dans un mauvais terrain, devait se vendre
encore moins qu'un autre. Palémon, mû simplement par un sentiment de vanité,
entreprit de l'exploiter; dirigé par Sthenelus, il fit défoncer les terres,
multiplia les labours, et obtint des récoltes prodigieuses, en sorte qu'avant
la huitième année, la vendange sur pied fut achetée quatre cent mille
sesterces ! On courut en foule voir les monceaux de raisins suspendus à ses
vignes, et la paresse de ses voisins attribuait cette fécondité à la science
profonde de Palémon. »
Il me resterait encore à parler de la récolte du raisin, de la fabrication du
vin, des crus de l'Italie et de leurs qualités ; mais plusieurs renseignements
me manquent sur cet intéressant sujet, et je suis obligé d'ajourner à l'une
de mes prochaines lettres.