Voyage du jeune Anacharsis en Grèce,
de l'abbé Barthélemy (1788).
SECTION SECONDE.
SIÈCLE DE THÉMISTOCLE ET D'ARISTIDE (1)
C'est avec peine
que je me détermine à décrire des combats : il devait suffire de savoir que
les guerres commencent par l'ambition des princes, et finissent par le malheur
des peuples ; mais l'exemple d'une nation qui préfère la mort à la servitude
est trop grand et trop instructif pour être passé sous silence.
Cyrus venait d'élever la puissance des Perses sur les débris des empires de
Babylone et de Lydie ; il avait reçu l'hommage de l'Arabie, de l'Égypte et des
peuples les plus éloignés; Cambyse son fils, celui de la Cyrénaïque et de
plusieurs nations de l'Afrique.
Après la mort de ce dernier, des seigneurs persans, au nombre de sept, ayant
fait tomber sous leurs coups un mage qui avait usurpé le trône,
s'assemblèrent pour régler la destinée de tant de vastes états. Othanès
proposa de leur rendre la liberté, et d'établir partout la démocratie ;
Mégabyse releva les avantages de l'aristocratie ; Darius, fils d'Hystaspe,
opina pour la constitution qui jusqu'alors avait fait le bonheur et la gloire
des Perses : son avis prévalut, et le sort, auquel on avait confié le choix du
souverain, s'étant, par ses artifices, déclaré en sa faveur, il se vit
paisible possesseur du plus puissant empire du monde, et prit, à l'exemple des
anciens monarques des Assyriens, le titre de grand roi, et celui de roi des rois
(2).
Dans ce rang élevé, il sut respecter les lois, discerner le mérite, recevoir
des conseils, et se faire des amis. Zopyre, fils de Mégabyse, fut celui qu'il
aima le plus tendrement. Un jour quelqu'un osa proposer cette question à
Darius, qui tenait une grenade à sa main : « Quel est le bien que vous
voudriez multiplier autant de fois que ce fruit contient de grains ? - Zopyre,
» répondit le roi sans hésiter. Cette réponse jeta Zopyre dans un de ces
égarements de zèle qui ne peuvent être justifiés que par le sentiment qui
les produit (3).
Depuis dix-neuf mois Darius assiégeait Babylone, qui s'était révoltée ; il
était sur le point de renoncer à son entreprise, lorsque Zopyre parut en sa
présence, sans nez, sans oreilles, toutes les parties du corps mutilées et
couvertes de blessures. « Et quelle main barbare vous a réduit en cet état ?
» s'écrie le roi en courant à lui. « C'est moi-même, répondit Zopyre. Je
vais à Babylone, où l'on connaît assez mon nom et le rang que je tiens dans
votre cour ; je vous accuserai d'avoir puni, par la plus indigne des cruautés,
le conseil que je vous avais donné de vous retirer. On me confiera un corps de
troupes ; vous en exposerez quelques-unes des vôtres, et vous me faciliterez
des succès qui m'attireront de plus en plus la confiance de l'ennemi ; je
parviendrai à me rendre maître des portes, et Babylone est à vous. » Darius
fut pénétré de douleur et d'admiration. Le projet de Zopyre réussit. Son ami
l'accabla de caresses et de bienfaits ; mais il disait souvent : « J'eusse
donné cent Babylones pour épargner à Zopyre un traitement si barbare. »
De cette sensibilité si touchante dans un particulier, si précieuse dans un
souverain, résultaient cette clémence que les vaincus éprouvèrent souvent de
la part de ce prince , et cette reconnaissance avec laquelle il récompensait en
roi les services qu'il avait reçus comme particulier. De là naissait encore
cette modération qu'il laissait éclater dans les actes les plus rigoureux de
son autorité. Auparavant, les revenus de la couronne ne consistaient que dans
les offrandes volontaires des peuples ; offrandes que Cyrus recevait avec la
tendresse d'un père, que Cambyse exigeait avec la hauteur d'un maître, et que,
dans la suite, le souverain aurait pu multiplier au gré de ses caprices. Darius
divisa son royaume en vingt gouvernements ou satrapies, et soumit à l'examen de
ceux qu'il avait placés à leur tête le rôle des contributions qu'il se
proposait de retirer de chaque province. Tous se récrièrent sur la modicité
de l'imposition ; mais le roi, se défiant de leurs suffrages, eut l'attention
de la réduire à la moitié.
Des lois sages réglèrent les différentes parties de l'administration : elles
entretinrent parmi les Perses l'harmonie et la paix qui soutiennent un état ;
et les particuliers trouvèrent, dans la conservation de leurs droits et de
leurs possessions, la seule égalité dont ils peuvent jouir dans une monarchie.
Darius illustra son règne par des établissements utiles, et le ternit par des
conquêtes. Né avec des talents militaires, adoré de ses troupes, bouillonnant
de courage dans une action, mais tranquille et de sang-froid dans le danger, il
soumit presque autant de nations que Cyrus lui-même.
Ses forces, ses victoires, et cette flatterie qui serpente autour des trônes,
lui persuadèrent qu'un mot de sa part devait forcer l'hommage des nations : et,
comme il était aussi capable d'exécuter de glands projets que de les former,
il pouvait les suspendre, mais il ne les abandonnait jamais.
Ayant à parler des ressources immenses qu'il avait pour ajouter la Grèce à
ses conquêtes, j'ai dû rappeler quelques traits de son caractère ; car un
souverain est encore plus redoutable par ses qualités personnelles que par sa
puissance.
La sienne n'avait presque point de bornes. Son empire, dont l'étendue, en
certains endroits, est d'environ vingt-un mille cent soixante-quatre stades (4)
de l'est à l'ouest, et d'environ sept mille neuf cent trente-six (5)
du midi au nord, peut contenir en superficie cent quinze millions six cent
dix-huit mille stades carrés (6) ; tandis que la
surface de la Grèce, n'étant au plus que d'un million trois cent soixante-six
mille stades carrés (7), n'est que la cent
quinzième partie de celle de la Perse. Il renferme quantité de provinces
situées sous le plus heureux climat, fertilisées par de grandes rivières,
embellies par des villes florissantes, riches par la nature du sol, par
l'industrie des habitants, par l'activité du commerce, et par une population
que favorisent à la fois la religion, les lois, et les récompenses accordées
à la fécondité.
Les impositions en argent se montaient à un peu plus de quatorze mille cinq
cent soixante talents euboïques (8). On ne les
destinait point aux dépenses courantes (9) réduites
en lingots, on les réservait pour les dépenses extraordinaires. Les provinces
étaient chargées de l'entretien de la maison du roi et de la subsistance des
armées : les unes fournissaient du blé, les autres des chevaux ; l'Arménie
seule envoyait tous les ans vingt mille poulains. On tirait des autres satrapies
des troupeaux, de la laine, de l'ébène, des dents d'éléphant, et
différentes sortes de productions.
Des troupes réparties dans les provinces les retenaient dans l'obéissance, ou
les garantissaient d'une invasion. Une autre armée, composée des meilleurs
soldats, veillait à la conservation du prince : l'on y distinguait surtout dix
mille hommes qu'on nomme les Immortels, parce que le nombre doit en être
toujours complet ; aucun autre corps n'oserait leur disputer l'honneur du rang
ni le prix de la valeur.
Cyrus avait introduit dans les armées une discipline que ses premiers
successeurs eurent soin d'entretenir. Tous les ans le souverain ordonnait une
revue générale : il s'instruisait par lui-même de l'état des troupes qu'il
avait auprès de lui ; des inspecteurs éclairés et fidèles allaient au loin
exercer les mêmes fonctions ; les officiers qui remplissaient leurs devoirs
obtenaient des récompenses, les autres perdaient leurs places.
La nation particulière des Perses, la première de l'Orient depuis qu'elle
avait produit Cyrus, regardait la valeur comme la plus éminente des qualités,
et l'estimait en conséquence dans ses ennemis. Braver les rigueurs des saisons,
fournir des courses longues et pénibles, lancer des traits, passer les torrents
à la nage, étaient chez elle les jeux de l'enfance ; on y joignait, dans un
âge plus avancé, la chasse et les autres exercices qui entretiennent les
forces du corps : on paraissait pendant la paix avec une partie des armes que
l'on porte à la guerre, et, pour ne pas perdre l'habitude de monter à cheval,
on n'allait presque jamais à pied. Ces moeurs étaient devenues insensiblement
celles de tout l'empire.
La cavalerie est la principale force des armées persanes. Dans sa fuite même
elle lance des flèches qui arrêtent la furie du vainqueur. Le cavalier et le
cheval sont également couverts de fer et d'airain : la Médie fournit des
chevaux renommés pour leur taille, leur vigueur et leur légèreté.
A l'âge de vingt ans on est obligé de donner son nom à la milice : on cesse
de servir à cinquante. Au premier ordre du souverain, tous ceux qui sont
destinés à faire la campagne doivent, dans un terme prescrit, se trouver au
rendez-vous. Les lois à cet égard sont d'une sévérité effrayante. Des
pères malheureux ont quelquefois demandé, pour prix de leurs services, de
garder auprès d'eux des enfants, appui de leur vieillesse. « Ils seront
dispensés de m'accompagner, » répondait le prince ; et il les faisait mettre
à mort.
Les rois de l'Orient ne marchent jamais pour une expédition sans traîner à
leur suite une immense quantité de combattants : ils croient qu'il est de leur
dignité de se montrer dans ces occasions avec tout l'appareil de la puissance ;
ils croient que c'est le nombre des soldats qui décide de la victoire, et qu'en
réunissant auprès de leur personne la plus grande partie de leurs forces, ils
préviendront les troubles qui pourraient s'élever pendant leur absence. Mais
si ces années n'entraînent pas tout avec elles par la soudaine terreur
qu'elles inspirent, ou par la première impulsion qu'elles donnent, elles soit
bientôt forcées de se retirer, soit par le défaut de distances, soit par le
découragement des troupes. Aussi voit-on souvent les guerres de l'Asie se
terminer dans une campagne, et le destin d'un empire dépendre du succès d'une
bataille.
Les rois de Perse jouissent d'une autorité absolue, et cimentée par le respect
des peuples, accoutumés à les vénérer connue les images vivantes de la
divinité. Leur naissance est un jour de fête. A leur mort, pour annoncer qu'on
a perdu le principe de la lumière et des lois, on a soin d'éteindre le feu
sacré et de fermer les tribunaux de justice. Pendant leur règne les
particuliers n'offrent point de sacrifices sans adresser des voeux au ciel pour
le souverain, ainsi que pour la nation. Tous, sans excepter les princes
tributaires, les gouverneurs des provinces et les grands qui résident à la
Porte (10), se disent les esclaves du roi ;
expression qui marque aujourd'hui une extrême servitude, mais qui, du temps de
Cyrus et de Darius, n'était qu'un témoignage de sentiment et de zèle.
Jusqu'au règne du dernier de ces princes les Perses n'avaient point eu
d'intérêt à démêler avec les peuples du continent de la Grèce. On savait
à peine à la cour de Suze qu'il existait une Lacédémone et une Athènes,
lorsque Darius résolut d'asservir ces régions éloignées. Atossa, fille de
Cyrus, qu'il venait d'épouser, lui en donna la première idée : elle la reçut
d'un médecin grec, nommé Démocède, qui l'avait guérie d'une maladie
dangereuse. Démocède, ne pouvant se procurer la liberté par d'autres voies,
forma le projet d'une invasion dans la Grèce : il le fit goûter à la reine,
et se flatta d'obtenir une commission qui lui faciliterait le moyen de revoir
Crotone, sa patrie.
Atossa profita d'un moment où Darius lui exprimait sa tendresse. « Il est
temps, lui dit-elle, de signaler votre avènement à la couronne par une
entreprise qui vous attire l'estime de vos sujets. Il faut aux Perses un
conquérant peur souverain. Détournez leur courage sur quelque nation, si vous
ne voulez pas qu'ils le dirigent contre vous. » Darius ayant répondu qu'il se
proposait de déclarer la guerre aux Scythes : « Ils seront à vous, ces
Scythes, répliqua la reine, dès que vous le voudrez, je désire que vous
portiez vos armes contre la Grèce, et que vous m'ameniez, pour les attacher à
mon service, des femmes de Lacédémone, d'Argos, de Corinthe et d'Athènes. »
Dès cet instant Darius suspendit son projet contre les Scythes, et fit partir
Démocède avec cinq Perses chargés de lui rendre un compte exact des lieux
dont il méditait la conquête.
Démocède ne fut pas plutôt sorti des états de Darius, qu'il s'enfuit en
Italie. Les Perses qu'il devait conduire essuyèrent bien des infortunes :
lorsqu'ils furent de retour à Suze, la reine s'était refroidie sur le désir
d'avoir des esclaves grecques à son service, et Darius s'occupait de soins plus
importants.
Ce prince, ayant remis sous son obéissance la ville de Babylone, résolut de
marcher contre les nations scythiques (11) qui
campent avec leurs troupeaux entre l'Ister (12) et
le Tanaïs (13), le long des côtes du Pont-Euxin.
Il vint, à ta tête de sept cent mille soldats, offrir la servitude à des
peuples qui, pour ruiner son armée, n'eurent qu'à l'attirer dans des pays
incultes et déserts. Darius s'obstinait à suivre leurs traces ; il parcourait
en vainqueur des solitudes profondes. « Et pourquoi fuis-tu ma présence ?
manda-t-il un jour au roi des Scythes. Si tu peux me résister, arrête et songe
à combattre ; si tu ne l'oses pas, reconnais ton maître. » Le roi des Scythes
répondit: « Je ne fuis ni ne crains personne. Notre usage est d'errer
tranquillement dans nos vastes domaines pendant la guerre ainsi que pendant la
paix ; nous ne connaissons d'autre bien que la liberté, d'autres maîtres que
les dieux. Si tu veux éprouver notre valeur, suis-nous, et viens insulter les
tombeaux de nos pères. » Cependant l'armée s'affaiblissait par les maladies,
par le défaut de subsistances et par la difficulté des marches. Il fallut se
résoudre à regagner le pont que Darius avait laissé sur l’Ister : il en
avait confié la garde aux Grecs de l'Ionie, en leur permettant de se retirer
chez eux s'ils ne le voyaient pas revenir avant deux mois. Ce terme expiré, des
corps de Scythes parurent plus d'une fois sur les bords du fleuve : ils
voulurent, d'abord par des prières, ensuite par des menaces, engager les
officiers de la flotte à la ramener dans l'Ionie. Miltiade l'Athénien appuya
fortement cet avis ; mais Histiée de Milet ayant représenté aux autres chefs
qu'établis par Darius gouverneurs des différentes villes de l'Ionie, ils
seraient réduits à l'état de simples particuliers s'ils laissaient périr le
roi, on promit aux Scythes de rompre le pont, et on prit le parti de rester.
Cette résolution sauva Darius et son armée.
La honte de l'expédition de Scythie fut bientôt effacée par une conquête
importante. Il se fit reconnaître par les peuples qui habitent auprès de
l'Indus, et ce fleuve fixa les limites de son empire à l'orient.
Il se terminait, à l'occident, par une suite de colonies grecques établies sur
les bords de la mer Égée. Là se trouvent Éphèse, Milet, Smyrne, et
plusieurs autres villes florissantes réunies en différentes confédérations :
elles sont séparées du continent de la Grèce par la mer et quantité d'îles,
dont les unes obéissaient aux Athéniens, dont les autres étaient
indépendantes. Les villes grecques de l'Asie aspiraient à secouer le joug des
Perses. Les habitants des îles et de la Grèce proprement dite craignaient le
voisinage d'une puissance qui menaçait les nations d'une servitude générale.
Ces alarmes redoublèrent lorsqu'on vit Darius, à son retour de Scythie,
laisser dans la Thrace une armée de quatre-vingt mille hommes, qui soumit ce
royaume, obligea le roi de Macédoine de faire hommage de sa couronne à Darius,
et s'empara des îles de Lemnos et d'Imbros.
Elles augmentèrent encore lorsqu'on vit les Perses faire une tentative sur
l'île de Naxos, et menacer l'île d'Eubée, si voisine de l'Attique ; lorsque
les lies de l'Ionie, résolues de recouvrer leur ancienne liberté, chassèrent
leurs gouverneurs, brûlèrent la ville de Sardes, capitale de l'ancien royaume
de Lydie, et entraînèrent les peuples de Carie et de l’île de Chypre dans
la ligue qu'elles formèrent contre Darius. Cette révolte fut en effet le
principe des guerres qui pensèrent détruire toutes les puissances de la Grèce
(14), et qui, cent cinquante ans après,
renversèrent l'empire des Perses.
Les Lacédémoniens prirent le parti de ne point accéder à la ligue ; les
Athéniens, sans se déclarer ouvertement, celui de la favoriser. Le roi de
Perse ne dissimulait plus le désir qu'il avait de reculer vers la Grèce les
frontières de son empire. Les Athéniens devaient à la plupart des villes qui
venaient de se soustraire à son obéissance les secoure que les métropoles
doivent à leurs colonies ; ils se plaignaient depuis longtemps de la protection
que les Perses accordaient à Hippias, fils de Pisistrate, qui les avait
opprimés, et qu'ils avaient banni. Artapherne, frère de Darius et satrape de
Lydie, leur avait déclaré que l'unique moyen de pourvoir à leur sûreté
était de rappeler Hippias ; et l'on savait que ce dernier, depuis son arrivée
à la cour de Suse, entretenait dans l'esprit de Darius les préventions qu'on
ne cessait de lui inspirer contre les peuples de la Grèce, et contre les
Athéniens en particulier. Animés par ces motifs, les Athéniens envoyèrent en
Ionie des troupes qui contribuèrent à la prise de Sardes. Les Érétriens de
l'Eubée suivirent leur exemple.
Le principal auteur du soulèvement de l'Ionie fut cet Histiée de Milet qui,
lors de l'expédition de Scythie, s'était obstiné à garder le pont de
l'Ister. Darius n'oublia jamais ce service important, et s'en souvint encore
après l'avoir récompensé. Mais Histiée, exilé à la cour de Suze, impatient
de revoir sa patrie, excita sous main les troubles de l'Ionie, et s'en servit
pour obtenir la permission de venir dans cette province, où bientôt il fut
pris les armes à la main. Les généraux se hâtèrent de le faire mourir,
parce qu'ils connaissaient la générosité de leur maître. En effet, ce
prince, moins touché de sa trahison que des obligations qu'il lui avait, honora
sa mémoire par des funérailles et par les reproches qu'il fit à ses
généraux.
Vers le même temps, des vaisseaux phéniciens s'étant rendus maîtres d'une
galère athénienne y trouvèrent Métiochus, fils de ce Miltiade qui avait
conseillé de rompre le pont de l'Ister et de livrer Darius à la fureur des
Scythes. Ils l'envoyèrent au roi, qui le reçut avec distinction, et l'engagea,
par ses bienfaits, à s'établir en Perse.
Ce n'est pas que Darius fût insensible à la révolte des Ioniens et à la
conduite des Athéniens. En apprenant l'incendie de Sardes, il jura de tirer une
vengeance éclatante de ces derniers, et chargea un de ses officiers de lui
rappeler tous les jours l'outrage qu'il en avait reçu : mais il fallait
auparavant terminer la guerre que les premiers lui avaient suscitée : elle dura
quelques années, et lui procura de grands avantages. L'Ionie rentra sous son
obéissance : plusieurs îles de la mer Égée et toutes les villes de
l'Hellespont furent rangées sous ses lois.
Alors Mardonius, son gendre, partit à la tête d'une puissante année, acheva
de pacifier l'Ionie, se rendit en Macédoine, et là, soit qu'il prévint les
ordres de Darius, soit qu'il se bornât à les suivre, il fit embarquer ses
troupes. Son prétexte était de punir les Athéniens et les Érétriens ; son
véritable objet, de rendre la Grèce tributaire ; mais une violente tempête
ayant écrasé une partie de ses vaisseaux et de ses soldats contre les rochers
du mont Athos, il reprit le chemin de la Macédoine, et bientôt après celui de
Suse.
Ce désastre n'était pas capable de détourner l'orage qui menaçait la Grèce.
Darius, avant que d'en venir à une rupture ouverte, envoya partout des hérauts
pour demander en son nom la terre et l'eau : c'est la formule que les Perses
emploient pour exiger l'hommage des nations. La plupart des îles et des peuples
du continent le rendirent sans hésiter : les Athéniens et les Lacédémoniens
non seulement le refusèrent; mais, par une violation manifeste du droit des
gens, ils jetèrent dans une fosse profonde les ambassadeurs du roi. Les
premiers poussèrent leur indignation encore plus loin : ils condamnèrent à
mort l'interprète qui avait souillé la langue grecque en expliquant les ordres
d'un barbare.
A cette nouvelle Darius mit à la tête de ses troupes un Mède, nommé Datis,
qui avait plus d'expérience que Mardonius ; il lui ordonna de détruire les
villes d'Athènes et d'Érétrie, et de lui en amener les habitants chargés de
chaînes.
L'armée s'assembla aussitôt dans une plaine de Cilicie. Six cents vaisseaux la
transportèrent, dans l'île d'Eubée. La ville d'Érétrie, après s'être
vigoureusement défendue pendant six jours, fut prise par la trahison de
quelques citoyens qui avaient du crédit sur le peuple. Les temples furent
rasés, les habitants mis aux fers ;et la flotte, ayant sur-le-champ abordé sur
les côtes de l'Attique, mit à terre, auprès du bourg de Marathon, éloigné
d'Athènes d'environ cent quarante stades (15),
cent mille hommes d'infanterie et dix mille de cavalerie : ils campèrent dans
une plaine bordée à l'est par la mer, entourée de montagnes de tous les
autres côtés, ayant environ deux cents stades de circonférence (16).Cependant
Athènes était dans la consternation et dans l'effroi. Elle avait imploré le
secours des autres peuples de la Grèce. Les uns s'étaient soumis à Darius ;
les autres tremblaient au seul non des Mèdes ou des Perses : les
Lacédémoniens seuls promirent des troupes ; mais divers obstacles ne leur
permettaient pas de les joindre sur-le-champ à celles d'Athènes.
Cette ville restait donc abandonnée à ses propres forces. Et comment, avec
quelques soldats levés à la hâte, oserait-elle résister à une puissance
qui, dans l'espace d'un demi-siècle, avait renversé les plus grands empires du
monde ? Quand même, par la perte de ses plus illustres citoyens, de ses plus
braves guerriers, elle aspirerait à l'honneur de disputer pendant quelque temps
la victoire, ne verrait-on pas sortir, des côtes de l'Asie et du fond de la
Perse, des armées plus redoutables que la première ? Les Grecs ont irrité
Darius, et, en ajoutant l'outrage à l'offense, ils ne lui ont laissé que le
choix de la vengeance, du déshonneur ou du pardon. L'hommage qu'il demande
entraîne-t-il une servitude humiliante ? Les colonies grecques établies dans
ses états n'ont-elles pas conservé leurs lois, leur culte, leurs possessions ?
Après leur révolte, ne les a-t-il pas forcées, par les plus sages
dispositions, à s'unir entre elles, à être heureuses malgré elles ? et
Mardonius lui-même n'a-t-il pas dernièrement établi la démocratie dans les
villes de l'Ionie ?
Ces réflexions, qui engagèrent la plupart des peuples de la Grèce à se
déclarer pour les Perses, étaient balancées, dans l'esprit des Athéniens,
par des craintes qui n'étaient pas moins fondées. Le général de Darius leur
présentait d'une main les fers dont il devait les enchaîner, de l'autre cet
Hippias, dont les sollicitations et les intrigues avaient enfin amené les
Perses dans les champs de Marathon. Il fallait donc subir l'affreux malheur
d'être traînés aux pieds de Darius comme de vils esclaves, ou le malheur plus
effroyable encore de gémir de nouveau sous les cruautés d'un tyran qui ne
respirait que la vengeance. Dans cette alternative ils délibérèrent à peine,
et résolurent de périr les armes à la main.
Heureusement il parut alors trois hommes destinés à donner un nouvel essor aux
sentiments de la nation. C'étaient Miltiade, Aristide et Thémistocle. Leur
caractère se développera de lui-même dans le récit de leurs actions.
Miltiade avait fait long-temps la guerre en Thrace, et s'était acquis une
réputation brillante ; Aristide et Thémistocle, plus jeunes que lui, avaient
laissé éclater depuis leur enfance une rivalité qui eût perdu l’état si,
dans les occasions essentielles, ils ne l'eussent sacrifiée au bien public. Il
ne faut qu'un trait pour peindre Aristide : il fut le plus juste et le plus
vertueux des Athéniens. Il en faudrait plusieurs pour exprimer les talents, les
ressources et les vues de Thémistocle : il aima sa patrie; mais il aima la
gloire encore plus que sa patrie.
L'exemple et les discours de ces trois illustres citoyens achevèrent
d'enflammer les esprits. On fit des levées, Les dix tribus fournirent chacune
mille hommes de pied avec un général à leur tête. Il fallut enrôler des
esclaves pour compléter ce nombre. Dès que ces troupes furent rassemblées,
elles sortirent de la ville et descendirent dans la plaine de Marathon, où ceux
de Platée en Béotie leur envoyèrent un renfort de mille hommes de pied.
A peine furent-elles en présence de l'ennemi que Miltiade proposa de
l'attaquer. Aristide et quelques-uns des chefs appuyèrent vivement cette
proposition; les autres, effrayés de l'extrême disproportion des armées,
voulaient qu'on attendit le secours des Lacédémoniens. Les avis étant
partagés, il restait à prendre celui du polémarque ou chef de la milice : on
le consulte dans ces occasions pour ôter l'égalité des suffrages. Miltiade
s'adresse à lui, et avec l'ardeur d'une âme fortement pénétrée : «
Athènes, lui dit-il, est sur le point d'éprouver la plus grande des
vicissitudes. Elle va devenir la première puissance de la Grèce ou le
théâtre des fureurs d'Hippias ; c'est de vous seul, Callimaque, qu'elle attend
sa destinée. Si nous laissons refroidir l'ardeur des troupes, elles se
courberont honteusement sous le joug des Perses ; si nous les menons au combat,
nous aurons pour nous les dieux et la victoire. Un mot de votre bouche va
précipiter votre patrie dans la servitude ou lui conserver sa liberté. »
Callimaque donna son suffrage, et la bataille fut résolue. Pour en assurer le
succès, Aristide, et les autres généraux à son exemple, cédèrent à
Miltiade l'honneur du commandement, qu'ils avaient chacun à leur tour ; mais
pour les mettre eux mêmes à l'abri des événements, il attendit le jour qui
le plaçait de droit à la tête de l'armée.
Dès qu'il parut, Miltiade rangea ses troupes au pied d'une montagne, dans un
lieu parsemé d'arbres qui devaient arrêter la cavalerie persane. Les Platéens
furent placés à l'aile gauche ; Callimaque commandait la droite ; Aristide et
Thémistocle étaient au corps de bataille, et Miltiade partout. Un intervalle
de huit stades (17) séparait l'armée grecque de
celle des Perses.
Au premier signal, les Grecs franchirent en courant cet espace. Les Perses,
étonnés d'un genre d'attaque si nouveau pour les deux nations, restèrent un
moment immobiles ; mais bientôt ils opposèrent à la fureur impétueuse des
ennemis une fureur plus tranquille et non moins redoutable, Après quelques
heures d'un combat opiniâtre, les deux ailes de l'armée grecque commencent
à fixer la victoire. La droite disperse les ennemis dans la plaine ; la gauche
les replie dans un marais qui offre l'aspect d'une prairie, et dans lequel ils
s'engagent et restent ensevelis. Toutes deux volent au secours d'Aristide et de
Thémistocle, près de succomber sous les meilleures troupe que Datis avait
placées dans son corps de bataille. Dès ce moment la déroute devient
générale. Les Perses, repoussés de tous côtés, ne trouvent d'asile que dans
leur flotte, qui s'était reprochée du rivage. Le vainqueur les poursuit le fer
et la domine à la main il prend, brûle ou coule à fond plusieurs de leurs
vaisseaux; les autres se sauvant à force de rames.
L'armée persane perdit environ six mille quatre cents hommes ; celle des
Athéniens, cent quatre-vingt-douze héros : car il n'y en eut pas un qui, dans
cette occasion, ne méritât ce titre. Miltiade y fut blessé ; Hippias y
périt, ainsi quo Stésilée et Callimaque, deux des généraux dos Athéniens.
Le combat finissait à peine ; un soldat excédé de fatigue forme le projet de
porter la première nouvelle d'un si grand succès aux magistrats d'Athènes,
et, sans quitter ses arme, il court, vole, arrive, annonce la victoire, et tombe
mort à leurs pieds.
Cependant cette victoire eût été funeste aux Grecs sans l'activité de
Miltiade. Datis, en se retirant, conçut l'espoir de surprendre Athènes, qu'il
croyait sans défense ; et déjà sa flotte doublait le cap de Sunium. Miltiade
n'en fut pas plutôt instruit qu'il se mit en marche, arriva le même jour sous
les murs de la ville, déconcerta par sa présence les projets de l'ennemi, et
l'obligea de se retirer sur les côtes de l'Asie.
La bataille se donna le 6 de boédromion, dans la troisième année de la
soixante-douzième olympiade (18). Le lendemain
arrivèrent deux mille Spartiates. Ils avaient fait, en trois jours et trois
nuits, douze cents stades de chemin (19). Quoique
instruits de la fuite des Perses, ils continuèrent leur route jusqu'à
Marathon, et ne craignirent point d'affronter l'aspect des lieux où une nation
rivale s'était signalée par de si grands exploits : ils y virent les tentes
des Perses encore dressées, la plaine jonchée de morts et couverte de riches
dépouilles ; ils y trouvèrent Aristide qui veillait, avec sa tribu, à la
conservation des prisonniers et du butin, et ne se retirèrent qu'après avoir
donné de justes éloges aux vainqueurs.
Les Athéniens n'oublièrent rien pour éterniser le souvenir de ceux qui
étaient morts dans le combat. On leur fit des funérailles honorables : leurs
noms furent gravés sur des demi-colonnes élevées dans la plaine de Marathon.
Ces monuments, sans en excepter ceux des généraux Callimaque et Stésilée,
sont d'une extrême simplicité. Tout après on plaça un trophée chargé des
armes des Perses. Un habile artisan peignit les détails de la bataille dans un
des portiques les plus fréquentés de la ville : il y représenta Miltiade à
la tête des généraux, et au moment qu'il exhortait les troupes au combat.
Darius n'apprit qu'avec indignation la défaite de son armée. On tremblait sur
le sort des Erétriens que Datis amenait à ses pieds. Cependant, dès qu'il les
vit, la pitié étouffa dans son coeur tous les autres sentiments et il leur
distribua des terres à quelque distance de Suse; et, pour se venger des Grecs
d'une manière plus noble et plus digne de lui, il ordonna de nouvelles levées,
et fit des préparatifs immenses.
Les Athéniens ne tardèrent pas eux mêmes à le venger. Ils avaient élevé
Miltiade si haut, qu'ils commencèrent à le craindre. La jalousie représentait
que, pendant qu'il commandait en Thrace, il avait exercé tous les droits de la
souveraineté ; qu'étant redouté des nations étrangères, et adoré du peuple
d'Athènes, il était temps de veiller sur ses vertus, ainsi que sur sa gloire.
Le mauvais succès d'une expédition qu'il entreprit contre l'île de Paros
fournit un nouveau prétexte à la haine de ses ennemis. On l'accusa de s'être
laissé corrompre par l'argent des Perses ; et malgré les sollicitations et les
cris des citoyens les plus honnêtes, il fut condamné à être jeté dans la
fosse où l'on fait périr les malfaiteurs. Le magistrat s'étant opposé à
l'exécution de cet infâme décret, la peine fut commuée en une amende de
cinquante talents (20) ; et comme il n'était pas
en état de la payer, on vit le vainqueur de Darius expirer, dans les fers, des
blessures qu'il avait reçues au service de l'état.
Ces terribles exemples d'injustice et d'ingratitude de la part d'un souverain ou
d'une nation ne découragent ni l'ambition ni la vertu. Ce sont des écueils
dans la carrière des honneurs, comme il y en a au milieu de la mer.
Thémistocle et Aristide prenaient sur les Athéniens la supériorité que l'un
méritait par la diversité de ses talents, l'autre par l'uniformité d'une
conduite entièrement consacrée au bien public. Le premier, tourmenté jour et
nuit par le souvenir des trophées de Miltiade, flattait sans cesse par de
nouveaux décrets l'orgueil d'un peuple enivré de sa victoire ; le second ne
s'occupait qu'à maintenir les lois et les moeurs qui l'avaient préparée ;
tous deux , opposés dans leurs principes et dans leurs projets, remplissaient
tellement la place publique de leur divisions, qu'un jour Aristide, après
avoir, contre toute raison, remporté un avantage sur son adversaire, ne put
s'empêcher de dire que c'en était fait de la république, si on ne les jetait,
lui et Thémistocle, dans une fosse profonde.
A la fin les talents et l'intrigue triomphèrent de le vertu. Comme Aristide se
portait pour arbitre dans les différends des particuliers, la réputation de
son équité faisait déserter les tribunaux de justice. La faction de
Thémistocle l'accusa de s'établir une royauté d'autant plus redoutable
qu'elle était fondée sur l'amour du peuple, et conclut à la peine de l'exil.
Les tribus étaient assemblées et devaient donner leurs suffrages par écrit.
Aristide assistait au jugement. Un citoyen obscur, assis à ses côtés, le pria
d'inscrire le nom de l'accusé sur une petite coquille qu'il lui présenta. «
Vous a-t-il fait quelque tort? répondit Aristide. - Non, dit cet inconnu ; mais
je suis ennuyé de l'entendre partout nommer le Juste.» Aristide écrivit son
nom, fut condamné, et sortit de la ville en formant des vœux pour sa patrie.
Son exil suivit de près la mort de Darius. Ce prince menaçait à ta fois, et
la Grèce qui avait refusé de subir le joug des Perses, et l'Égypte qui venait
de le secouer. Son fils Xerxès fut l'héritier de son trône (21),
sans l'être d'aucune de ses grandes qualités. Élevé dans une haute opinion
de sa puissance, juste et bienfaisant par saillies, injuste et cruel par
faiblesse, presque toujours incapable de supporter les succès et les revers ,
on ne distingua constamment dans son caractère qu'une extrême violence et une
excessive pusillanimité.
Après avoir puni les Égyptiens de leur révolte et follement aggravé le poids
de leurs chaînes, il eût peut-être joui tranquillement de sa vengeance, sans
un de ces lâches courtisans qui sacrifient sans remords des milliers d'hommes
à leurs intérêts. Mardonius, à qui l'honneur d'avoir épousé la soeur de
son maître inspirait les plus vastes prétentions, voulait commander les
années, laver la honte dont il s'était couvert dans sa première expédition,
assujettir la Grèce pour en obtenir le gouvernement et y exercer ses rapines;
il persuada facilement à Xerxès de réunir ce pays et l'Europe entière à
l'empire des Perses. La guerre fut résolue, et toute l'Asie fut ébranlée.
Aux préparatifs énormes qu’avait faits Darius, on ajouta des préparatifs
encore plus enffrayants. Quatre années furent employées pour lever des
troupes, à établir des magasins sur la route, à transporter sur les bords de
la mer des provisions de guerre et de bouche, à construire dans tous les ports
des galères et des vaisseaux de charge.
Le roi partit enfin de Suse, persuadé qu'il allait reculer les frontières de
son empire jusqu'aux lieux où le soleil finit se carrière. Dès qu'il fut à
Sardes on Lydie, il envoya ses hérauts dune toute la Grèce, excepté chez les
Lacédémoniens et chez les Athéniens, Ils devaient recevoir l'hommage des
îles et des nations du continent: plusieurs d'entre elles se soumirent aux
Perses.
Au printemps de la quatrième année de la soixante-quatorzième olympiade (22)
, Xerxès se rendit sur les bords de l'Hellespont avec la plus nombreuse armée
qui ait jamais dévasté la terre : il y voulut contempler à loisir le
spectacle de sa puissance ; et, d'un trône élevé, il vit la mer couverte du
ses vaisseaux, et la campagne de ses troupes.
Dans cet endroit la côte de l'Asie n'est séparée de celle de l'Europe que par
un bras de mer de sept stades de largeur. Deux ponts de bateaux, affermis sur
leurs ancres, rapprochèrent les rivages opposés (23).
Des Égyptiens et des Phéniciens avaient d'abord été chargés de les
construire. Une tempête violente ayant détruit leur ouvrage , Xerxès fit
couper la tête aux ouvriers; et, voulant traiter la mer en esclave révoltée,
ordonna de la frapper à grands coups de fouet, de la marquer d'un fer chaud, et
de jeter dans son sein une paire de chaînes. Et cependant ce prince était
suivi de plusieurs millions d'hommes ! Ses troupes employèrent sept jours et
sept nuits à passer le détroit, ses bagages un mois entier : de là, prenant
sa route par la Thrace et côtoyant la mer, il arriva dans la plaine de
Doriscus, arrosée par l'Hèbre, propre non seulement à procurer du repos et
des rafraîchissements aux soldats, mais encore à faciliter la revue et le
dénombrement de l'armée.
Elle était forte de dix-sept cent mille hommes de pied, et de quatre-vingt
mille chevaux : vingt mille Arabes et Libyens conduisaient les chameaux et les
chariots. Xerxès, monté sur un char, en parcourut les rangs ; il passa ensuite
sur sa flotte, qui s'était approchée du rivage, et qui était composée de
douze cent sept galères à trois rangs de rames. Chacune pouvait contenir deux
cents hommes, et toutes ensemble deux cent quarante-un mille quatre cents
hommes. Elles étaient accompagnées de trois mille vaisseaux de charge, dans
lesquels on présume qu'il y avait deux cent quarante mille hommes.
Telles étaient les forces qu'il avait amenées de l'Asie : elles furent
bientôt augmentées de trois cent mille combattants tirés de la Thrace, de la
Macédoine, de la Paeonia, et du plusieurs autres régions européennes soumises
à Xerxès. Les îles voisines fournirent de plus cent vingt galères, sur
lesquelles étaient vingt-quatre mille hommes. Si l'on joint à cette multitude
immense un nombre presque égal de gens nécessaires ou inutiles qui marchaient
à la suite de l'armée, on trouvera que cinq millions d'hommes avaient été
arrachés a leur patrie, et allaient détruire des nations entières pour
satisfaire l'ambition d'un particulier nommé Mardonius.
Après la revue du l'armée et de la flotte, Xerxès fit venir le roi Démarate,
qui, exilé de Lacédémone quelques années auparavant, avait trouvé un asile
à la cour de Suze.
« Pensez-vous, lui dit-il, que les Grecs osent me résister ? » Démarate
ayant obtenu la permission de lui dire la vérité : « Les Grecs, répondit-il,
sont à craindre, parce qu'ils sont pauvres et vertueux. Sans faire l'éloge des
autres, je ne vous parlerai que des Lacédémoniens. L'idée de l'esclavage les
révoltera. Quand toute la Grèce se soumettrait à vos armes, ils n'en seraient
que plus ardents à défendre leur liberté. Ne vous informez pas du nombre de
leurs troupes : ne fussent-ils que mille, fussent-ils moins encore, ils se
présenteront au combat. »
Le roi se mit à rire, et, après avoir comparé ses forces à celles des
Lacédémoniens : « Ne voyez-vous pas, ajouta-t-il, que la plupart de mes
soldats prendraient la fuite s'ils n'étaient retenus par les menaces et les
coups ? Comme une pareille crainte ne saurait agir sur ces Spartiates qu'on nous
peint si libres et si indépendants, il est visible qu'ils n'affronteront point
gratuitement une mort certaine. Et qui pourrait les y contraindre? - La loi,
répliqua Démarate, cette loi qui a plus de pouvoir sur eux que vous n'en avez
sur vos sujets ; cette loi qui leur dit : Voilà vos ennemis ; il ne s'agit pas
de les compter, il faut les vaincre ou périr. »
Les rires de Xerxès redoublèrent à ces mois :il donna ses ordres, et l'armée
partit divisée en trois corps. L'un suivait les rivages de la mer ; les deux
autres marchaient à certaines distances, dans l'intérieur des terre. Les
mesures qu'on avait prises leur procuraient dus moyens de subsistance assurée.
Les trois mille vaisseaux chargés de vivres longeaient la côte et réglaient
leurs mouvements sur ceux de l'armée. Auparavant les Égyptiens et les
Phéniciens avaient approvisionné plusieurs places maritimes de la Thrace et de
la Macédoine. Enfin, à chaque station, les Perses étaient nourris et
défrayés par les habitants des pays voisins, qui, prévenus depuis longtemps
de leur arrivée, s'étaient préparée à les recevoir.
Tandis que l'armée continuait sa route vers la Thessalie, ravageant les
campagnes, consumant dans un jour tes récoltes du plusieurs années,
entraînant au combat les nations qu'elle avait réduites à l'indigence, la
flotte de Xerxès traversait le mont Athos au lieu de le doubler.
Ce mont se prolonge dans une presqu'île qui n'est attachée au continent que
par un isthme de douze stades de large (24). La
flotte des Perses avait éprouvé quelques années auparavant combien ce parage
est dangereux. On aurait pu cette fois-ci la transporter à force de bras
par-dessus l'isthme ; mais Xerxès avait ordonné de le percer, et quantité
d'ouvriers furent pendant longtemps occupés à creuser un canal où deux
galères pouvaient passer de front. Xerxès le vit, et crut qu'après avoir
jeté un pont sur la mer et entre ouvert un chemin à travers les montagnes,
rien ne résisterait plus à sa puissance.
La Grèce touchait alors au dénouement des craintes qui l'avaient agitée
pondent plusieurs années. Depuis la bataille de Marathon, les nouvelles qui
venaient de l'Asie n'annonçaient, de la part du grand roi, que des projets de
vengeance et des préparatifs suspendus par la mort de Darius, repris avec plus
de vigueur par son fils Xerxès.
Pendant que ce dernier en était le plus occupé, on avait vu tout à coup à
Suze deux Spartiates qui furent admis à l'audience du roi, mais qui refusèrent
constamment de se prosterner devant lui comme faisaient les Orientaux. « Roi
des Mèdes, lui dirent-ils, les Lacédémoniens mirent à mort, il y a quelques
années, les ambassadeurs de Darius. Ils doivent une satisfaction à la Perse,
nous venons vous offrir nos têtes. » Ces deux Spartiates, nommée Spertias et
Bulis, apprenant que les dieux, irrités du meurtre des ambassadeurs perses,
rejetaient les sacrifices des Lacédémoniens, s'étaient dévoués d'eux-mêmes
pour le salut de leur patrie. Xerxès, étonné de leur fermeté, ne les étonna
pas moins par sa réponse : « Allez dire à Lacédémone que, si elle est
capable de violer le droit des gens, je ne le suis pas de suivre son exemple, et
que je n'expierai point, en vous ôtant la vie, le crime dont elle s'est
souillée. »
Quelque temps après Xerxès était à Sardes, on découvrit trois espions
athéniens qui s'étaient glissés dans l'armée des Perses. Le roi, loin de les
condamner au supplice, leur permit de prendre à loisir un état exact de ses
forces : il se flattait qu'a leur retour les Grecs ne tarderaient pas à se
ranger sous son obéissance. Mais leur récit servit qu'à confirmer les
Lacédémoniens et les Athéniens dans la résolution qu'ils avaient prise de
former une ligue générale des peuples de la Grèce. Ils assemblèrent une
diète à l'isthme de Corinthe ; leurs députée couraient de ville en ville, et
tâchaient de répandre l'ardeur dont ils étaient animée. La pythie de
Delphes, sans cesse interrogée, sans cesse entourée de présents, cherchant à
concilier l'honneur de son ministère avec les vues intéressées des prêtres,
avec les vues secrètes de ceux qui la consultaient, tantôt exhortait les
peuples à rester dans l'inaction, tantôt augmentait leurs alarmes par les
malheurs qu'elle annonçait, et leur incertitude par l'impénétrabilité de ses
réponses.
On pressa les Argiens d'entrer dans la confédération. Six mille de leurs
soldats, parmi lesquels se trouvait l'élite de leur jeunesse, venaient de
périr dans une expédition que Cléomène, roi de Lacédémone, avait faite en
Argolide. Épuisés par cette perte, ils avaient obtenu un oracle qui leur
défendait de prendre les armes : ils demandèrent ensuite de commander une
partie de l'armée des Grecs ; et, s'étant plaints d'un refus auquel ils
s'attendaient, ils restèrent tranquilles, et finirent par entretenir des
intelligences secrètes avec Xerxès.
On avait fondé de plus justes espérances sur le secours de Gélon, roi de
Syracuse. Ce prince, par ses victoires et par ses talents, venait de soumettre
plusieurs colonies grecques, qui devaient naturellement concourir à la défense
de leur métropole. Les députés de Lacédémone et d'Athènes, admis en sa
présence, le Spartiate Syagrus porta la parole ; et, après avoir dit un mot
des forces et des projets de Xerxès, il se contenta de représenter à Gélon
que la ruine de la Grèce entraînerait celle de la Sicile.
Le roi répondit avec émotion que dans ses guerres contre les Carthaginois, et
dans d'autres occasions, il avait imploré l'assistance des puissances alliées,
sans l'obtenir ; que le danger seul les forçait maintenant à recourir à lui ;
qu'oubliant néanmoins ces justes sujets de plainte, il était prêt à fournir
deux cents galères, vingt mille hommes pesamment armés, quatre mille
cavaliers, deux mille archers, et autant de frondeurs. « Je m'engage de plus,
ajouta-t-il, à procurer les vivres nécessaires à toute l'armée pendant le
temps de la guerre ; mais j'exige une condition, c'est d'être nommé
généralissime des troupes de terre et de mer. »
« Oh ! combien gémirait l'ombre d'Agamemnon, reprit vivement Syagrus, si elle
apprenait que les Lacédémoniens ont été dépouillés, par Gélon et par les
Syracusains, de l'honneur de commander les armées ! Non, jamais Sparte ne vous
cédera cette prérogative. Si vous voulez secourir la Grèce, c'est de nous que
vous prendrez l'ordre ; si vous prétendez le donner, gardez vos soldats.-
Syagrus, répondit tranquillement le roi, je me souviens que les liens de
l'hospitalité nous unissent ; souvenez-vous, de votre côté, que les paroles
outrageantes ne servent qu'à aigrir les esprits. La fierté de votre réponse
ne me fera pas sortir des bornes de la modération ; et quoique, par ma
puissance, j'aie plus de droit que vous au commandement général, je vous
propose de le partager. Choisissez, ou celui de l'armée do terre, ou celui de
la flotte : je prendrai l'autre. »
« Ce n'est pas un général, reprit aussitôt l'ambassadeur athénien, ce sont
des troupes que les Grecs demandent. J'ai gardé le silence sur vos premières
prétentions ; c'était à Syagrus de les détruire mais je déclare que si les
Lacédémoniens cèdent une partie du commandement, elle nous est dévolue de
droit. »
A ces mots Gélon congédia les ambassadeurs, et ne tarda pas à faire partir
pour Delphes un nommé Cadmus, avec ordre d'attendre dans ce lieu l'événement
du combat : de se retirer si les Grecs étaient vainqueurs; et s'ils étaient
vaincus, d'offrir à Xerxès l'hommage de sa couronne, accompagné de riches
présents.
La plupart des négociations qu'entamèrent les villes confédérées n'eurent
pas un succès plus heureux. Les habitants de Crète consultèrent l'oracle, qui
leur ordonna de ne pas se mêler des affaires de la Grèce. Ceux de Corcyre
armèrent soixante galères, leur enjoignirent de rester paisiblement sur les
côtes méridionales du Péloponnèse, et de se déchirer ensuite pour les
vainqueurs.
Enfin les Thessaliens, que le crédit de plusieurs de leurs chefs avait
jusqu'alors engagés dans le parti des Mèdes, signifièrent à la diète qu'ils
étaient prêts à garder le passage du mont Olympe qui conduit de la Macédoine
inférieure en Thessalie, si les autres Grecs voulaient seconder leurs efforts.
On fit aussitôt partir dix mille hommes, sous la conduite d'Evénète de
Lacédémone et de Thémistocle d'Athènes: ils arrivèrent sur les bords du
Pénée, et campèrent avec la cavalerie thessalienne à l'entrée de la vallée
du Tempé; mais quelques jours après, ayant appris que l'armée perse ne
pouvait pénétrer en Thessalie par un chemin plus facile, et des députée
d'Alexandre, roi de Macédoine, les ayant avertis du danger da leur position,
ils se retirèrent vers l'isthme de Corinthe, et les Thessaliens résolurent de
faire leur accommodement avec les Perses.
Il ne restait donc plus pour la défense de la Grèce qu'un petit nombre de
peuples et de villes. Thémistocle était l'âme de leurs conseils, et relevait
leurs espérances; employant tour à tour la persuasion et l’adresse, la
prudence et l'activité ; entraînant tous les esprits, moins par la force de
son éloquence que par celle du son caractère ; toujours entraîné lui-même
par un génie que l'art n'avait point cultivé, et que la nature avait destiné
à gouverner les hommes et les événements ; espèce d'instinct dont les
inspirations subites lui dévoilaient, dans l'avenir et dans le présent, ce
qu'il devait espérer ou craindre.
Depuis quelques années il prévoyait que la bataille de Marathon n'était que
le prélude des guerres dont les Grecs étaient menacés; qu'ils n'avaient
jamais été plus en danger que depuis leur victoire ; que, pour leur conserver
la supériorité qu'ils avaient acquise, il fallait abandonner les voies qui
l'avaient procurée ; qu'ils seraient toujours maîtres du continent s'ils
pouvaient l'être de la mer ; qu'enfin viendrait un temps où leur salut
dépendrait de celui d'Athènes, et celui d'Athènes du nombre de ses vaisseaux.
D'après ces réflexions, aussi neuves qu'importantes, il avait entrepris de
changer les idées des Athéniens, et de tourner leurs vues du côté de la
marine. Deux circonstances le mirent en état d'exécuter son plan. Les
Athéniens faisaient la guerre aux habitants do lîle d'Égine; ils devaient se
partager des sommes considérables qui provenaient de leurs mines d'argent. Il
leur persuada de renoncer à cette distribution, et de construire deux cents
galères, soit pour attaquer actuellement les Éginètes, soit pour a défendre
un jour contre les Perses : elles étaient dans les ports de l'Attique lors de
l'invasion de Xerxès.
Pendant que ce prince continuait sa marche, il fut résolu dans la diète de
l'isthme qu'un corps de troupes, sous la conduite de Léonidas, roi de Sparte,
s'emparerait du passage des Thermopyles, situé entre la Thessalie et la Locride
; que l'armée navale des Grecs attendrait celle des Perses aux parages voisins,
dans un détroit formé par les côtes de la Thessalie et par celles de
l'Eubée.
Les Athéniens, qui devaient armer cent vingt-sept galères, prétendaient avoir
plus de droit au commandement de la flotte que les Lacédémoniens, qui n'en
fournissaient que dix. Mais voyant que les alliés menaçaient de se retirer
s'ils n'obéissaient pas à un Spartiate, ils se désistèrent de leur
prétention. Eurybiade fut élu général ; il eut sous lui Thémistocle et les
chefs des autres nations.
Les deux cent quatre-vingts vaisseaux qui devaient composer la flotte se
réunirent sur la côte septentrionale de l'Eubée, auprès d'un endroit nommé
Artémisium.
Léonidas, en apprenant le choix de la diète, prévit sa destinée, et s'y
soumit avec cette grandeur d'âme qui caractérisait alors sa nation; il ne prit
pour l'accompagner que trois cents Spartiates qui l'égalaient en courage, et
dont il connaissait les sentiments. L'éphore lui ayant représenté qu'un si
petit nombre do soldats ne pouvaient lui suffire : « Ils sont bien peu,
répondit-il, pour arrêter l'ennemi ; mais ils ne sont que trop pour l'objet
qu'ils se proposent. - Et quel est donc cet objet ? demandèrent les éphores. -
Notre devoir, répliqua-t-il, est de défendre le passage ; notre résolution,
d'y périr. Trois cents victimes suffisent à l'honneur de Sparte. Elle serait
perdue sans ressource si elle me confiait tous ses guerriers ; car je ne
présume pas qu'un seul d'entre eux osât prendre la fuite. »
Quelques jours après on vit à Lacédémone un spectacle qu'on ne peut se
rappeler sans émotion. Les compagnons do Léonidas honorèrent d'avance son
trépas et le leur par un combat funèbre auquel leurs pères et leurs mères
assistèrent. Cette cérémonie achevée, ils sortirent de la ville, suivis de
leurs parents et de leurs amis, dont ils reçurent les adieux éternels ; et ce
fut là que la femme de Léonidas lui ayant demandé ses dernières volontés :
« Je vous souhaite, lui dit-il, un époux digne de vous, et des enfants qui lui
ressemblent. »
Léonidas pressait sa marche; il voulait par son exemple retenir dans le devoir
plusieurs villes prêtes à se déclarer pour les Perses : il passa par les
terres des Thébains, dont la foi était suspecte, et qui lui donnèrent
néanmoins quatre cents hommes, avec lesquels il alla se camper aux Thermopyles.
Bientôt arrivèrent successivement mille soldats de Tégée et de Mantinée,
cent vingt d'Orchomène, mille des autres villes de l'Arcadie, quatre cents de
Corinthe, deux cents de Phlionte, quatre-vingts de Mycènes, sept cents de
Thespie, mille de la Phocide. La petite nation des Locriens se rendit au camp
avec toutes ses forces.
Ce détachement, qui montait à sept mille hommes environ (25),
devait être suivi de l'armée des Grecs. Les Lacédémoniens étaient retenus
chez eux par une fête; les autres alliés se préparaient à la solennité des
jeux olympiques: les uns et les autres croyaient que Xerxès était encore loin
des Thermopyles.
Ce pas est l'unique voie par laquelle une armée puisse pénétrer de la
Thessalie dans la Locride, la Phocide, la Béotie, l'Attique et les régions
voisines. Il faut en donner ici une description succincte. En partant de la
Phocide pour se rendre en Thessalie, on passe par le petit pays des Locriens, et
l'on arrive au bourg d'Alpénus, situé sur la mer. Comme il est à la tête du
détroit, on l'a fortifié dans ces derniers temps.
Le chemin n'offre d'abord que la largeur nécessaire pour le passage d'un
chariot : il se prolonge ensuite entre des marais que forment les eaux de la
mer, et des rochers presque inaccessibles, qui terminent la chaîne des
montagnes connues sous le nom d'Oeta. A peine est-on sorti d'Alpénus, que l'on
trouve à gauche une pierre consacrée à Hercule Mélampyge ; et c'est là qu'aboutit
un sentier qui conduit au haut de la montagne. J'en parlerai bientôt. Plus loin
on traverse un courant d'eaux chaudes, qui ont fait donner à cet endroit le nom
de Thermopyles. Tout auprès est le bourg d'Anthéla : on distingue dans la
plaine qui l'entoure, une petite colline, et un temple de Cérès, où les
amphictyons tiennent tous les ans une de leurs assemblées.
Au sortir de la plaine, on trouve un chemin, ou plutôt une chaussée qui n'a
que sept à huit pieds de large. Ce point est à remarquer. Les Phocéens y
construisirent autrefois un mur, pour se garantir des incursions des
Thessaliens.
Après avoir passé le Phoenix, dont les eaux finissent par se mêler avec
celles de l'Asopus qui sort d'une vallée voisine, on rencontre un dernier
défilé, dont la largeur est d'un demi-plèthre (26).
La voie s'élargit ensuite jusqu'à la Trachinie, qui tire son nom de la ville
de Trachis, et qui est habitée par les Maliens. Ce pays présente de grandes
plaines arrosées par le Sperchius, et par d'autres rivières. A l'est de
Trachis est maintenant la ville d'Héraclée, qui n'existait pas du temps de
Xerxès.
Tout le détroit, depuis le défilé qui est en avant d'Alpénus, jusqu'à celui
qui est au-delà du Phoenix, peut avoir 48 stades de long (27).
Sa largeur varie presque à chaque pas ; mais partout on a, d'un côté, des
montagnes escarpées, et de l'autre, la mer ou des marais impénétrables : le
chemin est souvent détruit par des torrents, ou par des eaux stagnantes.
Léonidas plaça son armée auprès d'Anthéla, rétablit le mur des phocéens,
et jeta en avant quelques troupes, pour en défendre les approches. Mais il ne
suffisait pas de garder le passage qui est au pied de la montagne : il existait
sur la montagne même, un sentier qui commençaità la plaine de Trachis, et
qui, après différents détours, aboutissait auprès du bourg d'Alpénus.
Léonidas en confia la défense aux mille Phocéens qu'il avait avec lui, et qui
allèrent se placer sur les hauteurs du mont Oeta. Ces dispositions étaient à
peine achevées, que
l'on vit l'armée de Xerxès se répandre dans la Trachinie, et couvrir la
plaine d'un nombre infini de tentes. A cet aspect, les Grecs délibérèrent sur
le parti qu'ils avaient à
prendre. La plupart des chefs proposaient de se retirer à l'isthme ; mais
Léonidas ayant rejeté cet avis, on se contenta de faire partir des courriers,
pour presser le secours des villes alliées.
Alors parut un cavalier perse, envoyé par Xerxès pour reconnaître les
ennemis. Le poste avancé des Grecs, était, ce jour-là, composé des
Spartiates : les uns s'exerçaient à la lutte ; les autres peignaient leur
chevelure : car leur premier soin dans ces sortes de dangers, est de parer leurs
têtes.
Le cavalier eut le loisir d'en approcher, de les compter, de se retirer, sans
qu'on daignât prendre garde à lui. Comme le mur lui dérobait la vue du reste
de l'armée, il ne rendit compte à Xerxès, que des trois cents hommes qu'il
avait vus à l'entrée du défilé.
Le roi étonné de la tranquillité des Lacédémoniens, attendit quelques jours
pour leur laisser le temps de la réflexion. Le cinquième il écrivit à
Léonidas : « Si tu veux te soumettre, je te donnerai l'empire de la Grèce. »
Léonidas répondit : « J’aime mieux mourir pour ma patrie, que de l'asservir.
» Une seconde lettre du roi ne contenait que ces mots : « Rends-moi tes armes.
» Léonidas écrivit au-dessous : « Viens les prendre. »
Xerxès outré de colère, fait marcher les Mèdes et les Cissiens, avec ordre
de prendre ces hommes en vie, et de les lui amener sur le champ. Quelques
soldats courent à Léonidas, et lui disent : « Les Perses sont près de nous.
» il répond froidement : « Dites plutôt que nous sommes près d'eux. »
Aussitôt il sort du retranchement, avec l'élite de ses troupes, et donne le
signal du combat. Les Mèdes s'avancent en fureur : leurs premiers rangs
tombent, percés de coups ; ceux qui les remplacent, éprouvent le même sort.
Les Grecs pressés les uns contre les autres, et couverts de grands boucliers,
présentent un front hérissé de longues piques.
De nouvelles troupes se succèdent vainement pour les rompre. Après plusieurs
attaques infructueuses, la terreur s'empare des Mèdes ; ils fuient, et sont
relevés par le corps des dix mille immortels que commandait Hydarnès. L'action
devint alors plus meurtrière. La valeur était peut-être égale de part et d'autre
; mais les Grecs avaient pour eux l'avantage des lieux, et la supériorité des
armes. Les piques des Perses étaient trop courtes, et leurs boucliers trop
petits : ils perdirent beaucoup de monde ; et Xerxès témoin de leur fuite,
s'élança, dit-on, plus d'une fois de son trône, et craignit pour son armée.
Le lendemain le combat recommença, mais avec si peu de succès de la part des
Perses, que Xerxès désespérait de forcer le passage.
L'inquiétude et la honte agitaient son âme orgueilleuse et pusillanime,
lorsqu'un habitant de ces cantons, nommé Epialtès, vint lui découvrir le
sentier fatal, par lequel on pouvait tourner les Grecs. Xerxès, transporté de
joie, détacha aussitôt Hydarnès, avec le corps des immortels. Epialtès leur
sert de guide : ils partent au commencement de la nuit ; ils pénètrent le bois
de chênes dont les flancs de ces montagnes sont couverts, et parviennent vers
les lieux où Léonidas avait placé un détachement de son armée.
Hydarnès le prit pour un corps de Spartiates ; mais rassuré par Epialtès qui
reconnut les Phocéens, il se préparait au combat, lorsqu'il vit ces derniers,
après une légère défense, se réfugier sur les hauteurs voisines. Les Perses
continuèrent leur route.
Pendant la nuit, Léonidas avait été instruit de leur projet, par des
transfuges échappés du camp de Xerxès ; et le lendemain matin, il le fut de
leurs succès, par des sentinelles accourues du haut de la montagne. A cette
terrible nouvelle, les chefs des Grecs s'assemblèrent. Comme les uns étaient
d'avis de s'éloigner des Thermopyles, les autres d'y rester ; Léonidas les
conjura de se réserver pour des temps plus heureux, et déclara que quant à
lui et à ses compagnons, il ne leur était pas permis de quitter un poste que
Sparte leur avait confié.
Les Thespiens protestèrent qu'ils n'abandonneraient point les Spartiates ; les
quatre cents Thébains, soit de gré, soit de force, prirent le même parti ; le
reste de l'armée eut le temps de sortir du défilé.
Cependant ce prince se disposait à la plus hardie des entreprises. « Ce n'est
point ici, dit-il à ses compagnons, que nous devons combattre : il faut marcher
à la tente de Xerxès, l'immoler, ou périr au milieu de son camp. » Ses
soldats ne répondirent que par un cri de joie. Il leur fait prendre un repas
frugal, en ajoutant : « Nous en prendrons bientôt un autre chez Pluton. »
Toutes ses paroles laissaient une impression profonde dans les esprits. Près
d'attaquer l'ennemi, il est ému sur le sort de deux Spartiates qui lui étaient
unis par le sang et par l'amitié : il donne au premier une lettre, au second
une commission secrète pour les magistrats de Lacédémone. « Nous ne sommes
pas ici, lui disent-ils, pour porter des ordres, mais pour combattre ; » et
sans attendre sa réponse, ils vont se placer dans les rangs qu'on leur avait
assignés.
Au milieu de la nuit, les Grecs, Léonidas à leur tête, sortent du défilé,
avancent à pas redoublés dans la plaine, renversent les postes avancés, et
pénètrent dans la tente de Xerxès qui avait déjà pris la fuite : ils
entrent dans les tentes voisines, se répandent dans le camp, et se rassasient
de carnage. La terreur qu'ils inspirent, se reproduit à chaque pas, à chaque
instant, avec des circonstances plus effrayantes. Des bruits sourds, des cris
affreux annoncent que les troupes d'Hydarnès sont détruites ; que toute l'armée
le sera bientôt par les forces réunies de la Grèce. Les plus courageux des
Perses ne pouvant entendre la voix de leurs généraux, ne sachant où porter
leurs pas, où diriger leurs coups, se jetaient au hasard dans la mêlée, et
périssaient par les mains les uns des autres, lorsque les premiers rayons du
soleil offrirent à leurs yeux le petit nombre des vainqueurs. Ils se forment
aussitôt, et attaquent les Grecs de toutes parts. Léonidas tombe sous une
grêle de traits. L'honneur d'enlever son corps, engage un combat terrible entre
ses compagnons, et les troupes les plus aguerries de l'armée persanne. Deux
frères de Xerxès, quantité de Perses, plusieurs Spartiates y perdirent la
vie. A la fin, les Grecs, quoique épuisés et affaiblis par leurs pertes,
enlèvent leur général, repoussent quatre fois l'ennemi dans leur retraite ;
et, après avoir gagné le défilé, franchissent le retranchement, et vont se
placer sur la petite colline qui est auprès d'Anthéla : ils s'y défendirent
encore quelques moments, et contre les troupes qui les suivaient, et contre
celles qu'Hydarnès amenait de l'autre côté du détroit.
Pardonnez, ombres généreuses, à la faiblesse de mes expressions. Je vous
offrais un plus digne hommage, lorsque je visitais cette colline où vous
rendîtes les derniers soupirs ; lorsque appuyé sur un de vos tombeaux,
j'arrosais de mes larmes les lieux teints de votre sang. Après tout, que
pourrait ajouter l'éloquence à ce sacrifice si grand et si extraordinaire ?
Votre mémoire subsistera plus longtemps que l'empire des Perses auquel vous
avez résisté ; et, jusqu'à la fin des siècles, votre exemple produira dans
les coeurs qui chérissent leur patrie, le recueillement ou l'enthousiasme de
l'admiration.
Avant que l'action fût terminée, quelques Thébains,à ce qu'on prétend, se
rendirent aux Perses. Les Thespiens partagèrent les exploits et la destinée
des Spartiates ; et cependant la gloire des Spartiates a presque éclipsé celle
des Thespiens.
Parmi les causes qui ont influé sur l'opinion publique, on doit observer que la
résolution de périr aux Thermopyles fut dans les premiers un projet conçu,
arrêté et suivi avec autant de sang-froid que de constance ; au lieu que dans
les seconds, ce ne fut qu'une saillie de bravoure et de vertu, excitée par l'exemple.
Les Thespiens ne s'élevèrent au-dessus des autres hommes, que parce que les
Spartiates s'étaient élevés au-dessus d'eux-mêmes.
Lacédémone s'enorgueillit de la perte de ses guerriers. Tout ce qui les
concerne, inspire de l'intérêt. Pendant qu'ils étaient aux Thermopyles, un
Trachinien voulant leur donner une haute idée de l'armée de Xerxès, leur
disait que le nombre de leurs traits suffirait pour obscurcir le soleil. Tant
mieux, répondit le spartiate Diénécès ; nous combattrons à l'ombre. Un
autre, envoyé par Léonidas à Lacédémone, était détenu au bourg
d'Alpénus, par une fluxion sur les yeux. On vint lui dire que le détachement d'Hydarnès
était descendu de la montagne, et pénétrait dans le défilé : il prend
aussitôt ses armes, ordonne à son esclave de le conduire à l'ennemi,
l'attaque au hasard, et reçoit la mort qu'il en attendait.
Deux autres également absents par ordre du général, furent soupçonnés, à
leur retour, de n'avoir pas fait tous leurs efforts pour se trouver au combat.
Ce doute les couvrit d'infamie. L'un s'arracha la vie ; l'autre n'eut d'autre
ressource que de la perdre quelque temps après à la bataille de Platée.
Le dévouement de Léonidas et de ses compagnons, produisit plus d'effet que la
victoire la plus brillante : il apprit aux Grecs le secret de leurs forces, aux
Perses celui de leur faiblesse.
Xerxès effrayé d'avoir une si grande quantité d'hommes, et si peu de soldats,
ne le fut pas moins d'apprendre que la Grèce renfermait dans son sein, une
multitude de défenseurs aussi intrépides que les Thespiens, et huit mille
Spartiates semblables à ceux qui venaient de périr. D'un autre côté,
l'étonnement dont ces derniers remplirent les Grecs, se changea bientôt en un
désir violent de les imiter. L'ambition de la gloire, l'amour de la patrie,
toutes les vertus furent portées au plus haut degré, et les âmes à une
élévation jusqu'alors inconnue. C'est là le temps des grandes choses ; et ce
n'est pas celui qu'il faut choisir pour donner des fers à des peuples animés
de si nobles sentiments. Pendant que Xerxès était aux Thermopyles, son armée
navale, après avoir essuyé, sur les côtes de la Magnésie, une tempête qui
fit périr quatre cents galères et quantité de vaisseaux de charge, avait
continué sa route, et mouillait auprès de la ville d'Aphètes, en présence et
seulement à quatre-vingt stades de celle des grecs, chargée de défendre le
passage qui est entre l'Eubée et la terre ferme. Ici, quoique avec quelques
différences dans le succès, se renouvelèrent dans l’attaque et dans la
défense, plusieurs des circonstances qui précédèrent et accompagnèrent le
combat des Thermopyles.
Les Grecs, à l'approche de la flotte ennemie, résolurent d'abandonner le
détroit ; mais Thémistocle les y retint. Deux cents vaisseaux perses
tournèrent l'île d'Eubée, et allaient envelopper les Grecs, lorsqu'une
nouvelle tempête les brisa contre des écueils. Pendant trois jours, il se
donna plusieurs combats où les Grecs eurent presque toujours l'avantage. Ils
apprirent enfin que le pas des Thermopyles était forcé ; et, dès ce moment,
ils se retirèrent à l'île de Salamine.
Dans cette retraite, Thémistocle parcourut les rivages où des sources d'eau
pouvaient attirer l'équipage des vaisseaux ennemis : il y laissa des
inscriptions adressées aux ioniens qui étaient dans l'armée de Xerxès ; il
leur rappelait qu'ils descendaient de ces Grecs, contre lesquels ils portaient
actuellement les armes. Son projet était de les engager à quitter le parti de
ce prince, ou du moins à les lui rendre suspects.
Cependant l'armée des Grecs s'était placée à l'isthme de Corinthe, et ne
songeait plus qu'à disputer l'entrée du Péloponnèse. Ce projet déconcertait
les vues des Athéniens, qui, jusqu'alors, s'étaient flattés que la Béotie,
et non l'Attique, serait le théâtre de la guerre.
Abandonnés de leurs alliés, ils se seraient peut-être abandonnés eux-mêmes.
Mais Thémistocle qui prévoyait tout, sans rien craindre, comme il prévenait
tout, sans rien hasarder, avait pris de si justes mesures, que cet évènement
même ne servit qu'à justifier le systême de défense qu'il avait conçu dès
le commencement de la guerre
médique.
En public, en particulier, il représentait aux Athéniens qu'il était temps de
quitter des lieux que la colère céleste livrait à la fureur des Perses ; que
la flotte leur offrait un asile assuré ; qu'ils trouveraient une nouvelle
patrie, partout où ils pourraient conserver leur liberté : il appuyait ces
discours par des oracles qu'il avait obtenus de la pythie ; et, lorsque le
peuple fut assemblé, un incident ménagé par Thémistocle, acheva de le
déterminer. Des prêtres annoncèrent que le serpent sacré que l'on
nourrissait dans le temple de Minerve, venait de disparaître. La déesse
abandonne ce séjour, s'écrièrent-ils ; que tardons-nous à la suivre ?
Aussitôt le peuple confirma ce décret proposé par Thémistocle : « Que la
ville serait mise sous la protection de Minerve ; que tous les habitants en
état de porter les armes, passeraient sur les vaisseaux ; que chaque
particulier pourvoirait à la sûreté de sa femme, de ses enfants et de ses
esclaves. » Le peuple était si animé, qu'au sortir de l'assemblée, il lapida
Cyrsilus, qui avoit osé proposer de se soumettre aux Perses, et fit subir le
même supplice à la femme de cet orateur.
L'exécution de ce décret offrit un spectacle attendrissant. Les habitants de
l'Attique, obligés de quitter leurs foyers, leurs campagnes, les temples de
leurs dieux, les tombeaux de leurs pères, faisaient retentir les plaines de
cris lugubres. Les vieillards que leurs infirmités ne permettaient pas de
transporter, ne pouvaient s'arracher des bras de leur famille désolée ; les
hommes en état de servir la république, recevaient sur les rivages de la mer,
les adieux et les pleurs de leurs femmes, de leurs enfants, et de ceux dont ils
avaient reçu le jour : ils les faisaient embarquer à la hâte sur des
vaisseaux qui devaient les conduire à Égine, à Trézène, à Salamine ; et
ils se rendaient tout de suite sur la flotte, portant en eux-mêmes le poids
d'une douleur qui n'attendait que le moment de la vengeance.
Xerxès se disposait alors à sortir des Thermopyles : la fuite de l'armée
navale des Grecs lui avait rendu tout son orgueil ; il espérait de trouver chez
eux la terreur et le découragement que le moindre revers excitait dans son
âme. Dans ces circonstances, quelques transfuges d'Arcadie se rendirent à son
armée, et furent amenés en sa présence. On leur demanda ce que faisaient les
peuples du Péloponnèse. « Ils célèbrent les jeux olympiques,
répondirent-ils, et sont occupés à distribuer des feuilles d'olivier aux
vainqueurs. » Un des chefs de l'armée s'étant écrié aussitôt : on nous
mène donc contre des hommes qui ne combattent que pour la gloire ? Xerxès lui
reprocha sa lâcheté ; et, regardant la sécurité des Grecs comme une insulte,
il précipita son départ.
Il entra dans la Phocide. Les habitants résolurent de tout sacrifier, plutôt
que de trahir la cause commune : les uns se réfugièrent sur le mont Parnasse ;
les autres, chez une nation voisine : leurs campagnes furent ravagées, et leurs
villes détruites par le fer et par la flamme. La Béotie se soumit, à l'exception
de Platée et de Thespies, qui furent ruinées de fond en comble.
Après avoir dévasté l'Attique, Xerxès entra dans Athènes : il y trouva
quelques malheureux vieillards qui attendaient la mort, et un petit nombre de
citoyens qui, sur la foi de quelques oracles mal interprétés, avoient résolu
de défendre la citadelle : ils repoussèrent pendant plusieurs jours, les
attaques redoublées des assiégeants ; mais à la fin, les uns se
précipitèrent du haut des murs ; les autres furent massacrés dans les lieux
saints, où ils avaient vainement cherché un asile. La ville fut livrée au
pillage, et consumée par la flamme.
L'armée navale des perses mouillait dans la rade de Phalère, à vingt stades (28)
d'Athènes ; celle des Grecs, sur les côtes de Salamine. Cette île placée en
face d'Éleusis, forme une assez grande baie où l'on pénètre par deux
détroits ; l'un à
l'est, du côté de l'Attique ; l'autre à l'ouest, du côté de Mégare. Le
premier, à l'entrée duquel est la petite île de Psyttalie, peut avoir en
certains endroits, sept à huit stades de large (29),
beaucoup plus en d'autres ; le second est plus étroit.
L'incendie d'Athènes fit une si vive impression sur l'armée navale des Grecs,
que la plupart résolurent de se rapprocher de l'isthme de Corinthe, où les
troupes de terre s'étaient retranchées. Le départ fut fixé au lendemain.
Pendant la nuit (30), Thémistocle se rendit
auprès d'Eurybiade, généralissime de la flotte : il lui représenta vivement,
que si, dans la consternation qui s'était emparée des soldats, il les
conduisait dans des lieux propres à favoriser leur désertion, son autorité ne
pouvant plus les retenir dans les vaisseaux, il se trouverait bientôt sans
armée, et la Grèce sans défense. Eurybiade, frappé de cette réflexion,
appela les généraux au conseil. Tous se soulèvent contre la proposition de
Thémistocle ; tous, irrités de son obstination, en viennent à des propos
offensants, à des menaces outrageantes. Il repoussait avec fureur ces attaques
indécentes et tumultueuses, lorsqu'il vit le général lacédémonien venir à
lui la canne levée ; il s'arrête, et lui dit sans s'émouvoir : frappe, mais
écoute. Ce trait de grandeur étonne le Spartiate, fait régner le silence ; et
Thémistocle reprenant sa supériorité, mais évitant de jeter le moindre
soupçon sur la fidélité des chefs et des troupes, peint vivement les
avantages du poste qu'ils occupent, les dangers de celui qu'ils veulent prendre
: « Ici, dit-il, resserrés dans un détroit, nous opposerons un front égal à
celui de l'ennemi. Plus loin, la flotte innombrable des Perses, ayant assez d'espace
pour se déployer, nous enveloppera de toutes parts. En combattant à Salamine,
nous conserverons cette île où nous avons déposé nos femmes et nos enfants ;
nous conserverons l'île d'Égine et la ville de Mégare, dont les habitants
sont entrés dans la confédération : si nous nous retirons à l'isthme, nous
perdrons ces places importantes, et vous aurez à vous reprocher, Eurybiade,
d'avoir attiré l'ennemi sur les côtes du Péloponèse. »
A ces mots, Adimante, chef des Corinthiens, partisan déclaré de l'avis
contraire, a, de nouveau, recours à l'insulte. « Est-ce à un homme, dit-il,
qui n'a ni feu, ni lieu, qu'il convient de donner des lois à la Grèce ? Que
Thémistocle réserve ses conseils pour le temps où il pourra se flatter
d'avoir une patrie. Eh quoi ! S'écrie Thémistocle, on oserait, en présence
des Grecs, nous faire un crime d'avoir abandonné un vain amas de pierres, pour
éviter l'esclavage ? Malheureux Adimante ! Athènes est détruite, mais les
Athéniens existent ; ils ont une patrie mille fois plus florissante que la
vôtre. Ce sont ces deux cents vaisseaux qui leur appartiennent, et que je
commande : je les offre encore ; mais ils resteront en ces lieux. Si on refuse
leur secours, tel Grec qui m'écoute, apprendra bientôt que les Athéniens
possèdent une ville plus opulente, et des campagnes plus fertiles que celles
qu'ils ont perdues. » Et s'adressant tout de suite à Eurybiade : « C'est à
vous maintenant de choisir entre l'honneur d'avoir sauvé la Grèce, et la honte
d'avoir causé sa ruine. Je vous déclare seulement qu'après votre départ,
nous embarquerons nos femmes et nos enfants, et que nous irons en Italie fonder
une puissance qui nous fut annoncée autrefois par les oracles. Quand vous aurez
perdu des alliés tels que les Athéniens, vous vous souviendrez peut-être des
discours de
Thémistocle. »
La fermeté du général athénien en imposa tellement, qu'Eurybiade ordonna que
l'armée ne quitterait point les rivages de Salamine.
Les mêmes intérêts s'agitaient en même temps sur les deux flottes. Xerxès
avait convoqué sur un de ses vaisseaux, les chefs des divisions particulières
dont son armée navale était composée. C'étaient les rois de Sidon, de Tyr,
de Cilicie, de Chypre, et quantité d'autres petits souverains ou despotes,
dépendants ou tributaires de la Perse. Dans cette assemblée auguste parut
aussi Artémise, reine d'Halicarnasse et de quelques îles voisines ; princesse
qu'aucun des autres généraux ne surpassait en courage, et n'égalait en
prudence ; qui avait suivi Xerxès, sans y être forcée, et lui disait la
vérité, sans lui déplaire.
Quand les généraux furent réunis, on leur assigna leurs rangs, et l'on mit en
délibération si l'on attaquerait de nouveau la flotte des grecs. Mardonius se
leva pour recueillir les suffrages. Le roi de Sidon, et la plupart de ceux qui
opinèrent après lui, instruits des intentions du grand-roi, se déclarèrent
pour la bataille. Mais Artémise dit à Mardonius : « Rapportez en propres
termes à Xerxès, ce que je vais vous dire : seigneur, après ce qui s'est
passé au dernier combat naval, on ne me soupçonnera point de faiblesse et de
lâcheté. Mon zèle m'oblige aujourd'hui à vous donner un conseil salutaire.
Ne hasardez pas une bataille dont les suites seraient inutiles ou funestes à
votre gloire. Le principal objet de votre expédition n'est-il pas rempli ? Vous
êtes maître d'Athènes ; vous le serez bientôt du reste de la Grèce. En
tenant votre flotte dans l'inaction, celle de vos ennemis qui n'a de
subsistances que pour quelques jours, se dissipera d'elle-même. Voulez-vous
hâter ce moment ? Envoyez vos vaisseaux sur les côtes du Péloponnèse ;
conduisez vos troupes de terre vers l'isthme de Corinthe, et vous verrez celles
des Grecs courir au secours de leur patrie. Je crains une bataille, parce que
loin de procurer ces avantages, elle exposeroit vos deux armées ; je la crains,
parce que je connais la supériorité de la marine des grecs. Vous êtes,
seigneur, le meilleur des maîtres ; mais vous avez de fort mauvais serviteurs.
Et quelle confiance, après tout, pourrait vous inspirer cette foule
d'Egyptiens, de Cypriotes, de Ciliciens et de Pamphiliens, qui remplissent la
plus grande partie de vos vaisseaux ? »
Mardonius ayant achevé de prendre les voix, en fit son rapport à Xerxès, qui,
après avoir comblé d'éloges la reine d'Halicarnasse, tâcha de concilier
l'avis de cette princesse, avec celui du plus grand nombre. Sa flotte eut ordre
de s'avancer vers l'île de Salamine, et son armée de marcher vers l'isthme de
Corinthe.
Cette marche produisit l'effet qu'Artémise avait prévu. La plupart des
généraux de la flotte grecque s'écrièrent qu'il était temps d'aller au
secours du Péloponnèse. L'opposition des Éginètes, des Mégariens et des
Athéniens fit traîner la délibération en longueur ; mais à la fin,
Thémistocle s'apercevant que l'avis contraire prévalait dans le conseil, il
fit un dernier effort pour en prévenir les suites.
Un homme alla pendant la nuit (31), annoncer de sa
part aux chefs de la flotte ennemie, qu'une partie des Grecs, le général des
Athéniens à leur tête, étaient disposés à se déclarer pour le roi ; que
les autres saisis d'épouvante, méditaient une prompte retraite ; qu'affaiblis
par leurs divisions, s'ils se voyaient tout-à-coup entourés de l'armée
persane, ils seraient forcés de rendre leurs armes, ou de les tourner contre
eux-mêmes.
Aussitôt les Perses s'avancèrent à la faveur des ténèbres ; et, après
avoir bloqué les issues par où les Grecs auraient pu s'échapper, ils mirent
quatre cents hommes dans l'île de Psyttalie, placée entre le continent et la
pointe orientale de Salamine. Le combat devoit se donner en cet endroit.
Dans ce moment, Aristide que Thémistocle avait, quelque temps auparavant, rendu
aux voeux des Athéniens, passait de l'île d'Égine à l'armée des Grecs : il
s'aperçut du mouvement des Perses ; et, dès qu'il fut à Salamine, il se
rendit au lieu où les chefs étaient assemblés, fit appeler Thémistocle, et
lui dit : « ll est temps de renoncer à nos vaines et puériles dissentions. Un
seul intérêt doit nous animer aujourd'hui, celui de sauver la Grèce ; vous,
en donnant des ordres, moi, en les exécutant. Dites aux Grecs qu'il n'est plus
question de délibérer, et que l'ennemi vient de se rendre maître des passages
qui pouvaient favoriser leur fuite. » Thémistocle, touché du procédé
d'Aristide, lui découvrit le stratagème qu'il avait employé pour attirer les
Perses, et le pria d'entrer au conseil. Le récit d'Aristide, confirmé par d'autres
témoins qui arrivaient successivement, rompit l'assemblée, et les Grecs se
préparèrent au combat.
Par les nouveaux renforts que les deux flottes avaient reçus, celle des Perses
montait à mille deux cent sept vaisseaux ; celle des Grecs à trois cent
quatre-vingts. A la pointe du jour, Thémistocle fit embarquer ses soldats. La
flotte des Grecs se forma dans le détroit de l'est : les Athéniens étaient à
la droite, et se trouvaient opposés aux Phéniciens ; leur gauche composée des
Lacédémoniens, des Éginètes et des Mégariens, avait en tête les Ioniens.
Xerxès voulant animer son armée par sa présence, vint se placer sur une
hauteur voisine, entouré de secrétaires qui devaient décrire toutes les
circonstances du combat.
Dès qu'il parut, les deux ailes des perses se mirent en mouvement, et
s'avancèrent jusqu’au-delà de l’île de Psyttalie.
Elles conservèrent leurs rangs, tant qu’elles purent s’étendre ; mais
elles étaient forcées de les rompre, à mesure qu’elles approchaient de l’île
et du continent. Outre ce désavantage, elles avaient à lutter contre le vent
qui leur était contraire, contre la pesanteur de leurs vaisseaux qui se
prêtaient difficilement à la manoeuvre, et qui, loin de se soutenir
mutuellement, s’embarrassaient, et s’entre-heurtaient sans cesse.
Le sort de la bataille dépendoit de ce qui se ferait à l’aile droite des
grecs, à l’aile gauche des Perses. C’était là que se trouvait l’élite
des deux armées. Les Phéniciens et les Athéniens se poussaient et se
repoussaient dans le défilé. Ariabignès, un des frères de Xerxès,
conduisait les premiers au combat, comme s’il les eût menés à la victoire.
Thémistocle étoit présent à tous les lieux, à tous les dangers. Pendant qu’il
ranimait ou modérait l’ardeur des siens, Ariabignès s’avançait, et
faisait déjà pleuvoir sur lui, comme du haut d’un rempart, une grêle de
flèches et de traits. Dans l’instant même, une galère athénienne fondit
avec impétuosité sur l’amiral phénicien ; et le jeune prince indigné, s’étant
élancé sur cette galère, fut aussitôt percé de coups.
La mort du général répandit la consternation parmi les Phéniciens ; et la
multiplicité des chefs y mit une confusion qui accéléra leur perte : leurs
gros vaisseaux portés sur les rochers des côtes voisines, brisés les uns
contre les autres, entr’ouverts dans leurs flancs par les éperons des
galères athéniennes, couvraient la mer de leurs débris ; les secours mêmes
qu’on leur envoyait ne servaient qu’à augmenter le désordre. Vainement les
Cypriotes et les autres nations de l’orient voulurent rétablir le combat :
après une assez longue résistance, ils se dispersèrent, à l’exemple des
Phéniciens. Peu content de cet avantage, Thémistocle mena son aile victorieuse
au secours des Lacédémoniens et des autres alliés qui se défendaient contre
les Ioniens. Comme ces derniers avaient lu sur les rivages de l’Eubée, les
inscriptions où Thémistocle les exhortait à quitter le parti des Perses, on
prétend que quelques-uns d’entre eux se réunirent aux Grecs pendant la
bataille, ou ne furent attentifs qu’à les épargner. Il est certain pourtant
que la plupart combattirent avec beaucoup de valeur, et ne songèrent à la
retraite, que lorsqu’ils eurent sur les bras toute l’armée des Grecs. Ce
fut alors qu’Artémise entourée d’ennemis, et sur le point de tomber au
pouvoir d’un Athénien qui la suivait de près, n’hésita point à couler à
fond un vaisseau de l’armée persane. L’Athénien convaincu par cette
manoeuvre, que la reine avait quitté le parti des Perses, cessa de la
poursuivre ; et Xerxès, persuadé que le vaisseau submergé faisait partie de
la flotte grecque, ne put s’empêcher de dire que dans cette journée les
hommes s’étaient conduits comme des femmes, et les femmes comme des hommes.
L’armée des Perses se retira au port de Phalère. Deux cents vaisseaux
avaient péri ; quantité d’autres étaient pris : les grecs n’avaient perdu
que 40 galères. Le combat fut donné le 20 de boédromion, la première année
de la soixante-quinzième olympiade (32).
On a conservé le souvenir des peuples et des particuliers qui s’y
distinguèrent le plus. Parmi les premiers, ce furent les Éginètes et les
Athéniens ; parmi les seconds, Polycrite d’Égine, et deux Athéniens,
Eumène et Aminias.
Tant que dura le combat, Xerxès fut agité par la joie, la crainte et le
désespoir ; tour-à-tour prodiguant des promesses, et dictant des ordres
sanguinaires ; faisant enregistrer par ses secrétaires, les noms de ceux qui se
signalaient dans l’action ; faisant exécuter par ses esclaves, les officiers
qui venaient auprès de lui justifier leur conduite. Quand il ne fut plus
soutenu par l’espérance, ou par la fureur, il tomba dans un abattement
profond ; et, quoiqu’il eût encore assez de force pour soumettre l’univers,
il vit sa flotte prête à se révolter, et les Grecs prêts à brûler le pont
de bateaux qu’il avait sur l’Hellespont. La fuite la plus prompte aurait pu
le délivrer de ces vaines terreurs ; mais un reste de décence ou de fierté ne
lui permettant pas d’exposer tant de faiblesse aux yeux de ses ennemis et de
ses courtisans, il ordonna de faire les préparatifs d’une nouvelle attaque,
et de joindre, par une chaussée, l’île de Salamine au continent.
Il envoya ensuite un courrier à Suze, comme il en avait dépêché un après la
prise d’Athènes. A l’arrivée du premier, les habitants de cette grande
ville coururent aux temples, et brûlèrent des parfums dans les rues jonchées
de branches de myrte ; à l’arrivée du second, ils déchirèrent leurs habits
; et tout retentit de cris, de gémissements, d’expressions d’intérêt pour
le roi, d’imprécations contre Mardonius, le premier auteur de cette guerre.
Les Prses et les Grecs s’attendaient à une nouvelle bataille ; mais Mardonius
ne se rassurait pas sur les ordres que Xerxès avait donnés : il lisait dans l’âme
de ce prince, et n’y voyait que les sentiments les plus vils, joints à des
projets de vengeance, dont il serait lui-même la victime. « Seigneur, lui
dit-il en s’approchant, daignez rappeler votre courage.
Vous n’aviez pas fondé vos espérances sur votre flotte, mais sur cette
armée redoutable que vous m’aviez confiée. Les Grecs ne sont pas plus en
état de vous résister qu’auparavant : rien ne peut les dérober à la
punition que méritent leurs anciennes offenses, et le stérile avantage qu’ils
viennent de remporter. Si nous prenions le parti de la retraite, nous serions à
jamais l’objet de leur dérision, et vous feriez rejaillir sur vos fidèles
Perses, l’opprobre dont viennent de se couvrir les Phéniciens, les Egyptiens
et les autres peuples qui combattaient sur vos vaisseaux. Je conçois un autre
moyen de sauver leur gloire et la vôtre ; ce serait de ramener le plus grand
nombre de vos troupes en Perse, et de me laisser trois cent mille hommes avec
lesquels je réduirai toute la Grèce en servitude. »
Xerxès, intérieurement pénétré de joie, assembla son conseil, y fit entrer
Artémise, et voulut qu’elle s’expliquât sur le projet de Mardonius. La
reine, sans doute dégoûtée de servir un tel prince, et persuadée qu’il est
des occasions où délibérer, c’est avoir pris son parti, lui conseilla de
retourner au plutôt dans ses états. Je dois rapporter une partie de sa
réponse, pour faire connaître le langage de la cour de Suze. « Laissez
à Mardonius le soin d’achever votre ouvrage. S’il réussit, vous en aurez
toute la gloire ; s’il périt, ou s’il est défait, votre empire n’en sera
point ébranlé, et la Perse ne regardera pas comme un grand malheur, la perte d’une
bataille, dès que vous aurez mis votre personne en sûreté. »
Xerxès ne différa plus. Sa flotte eut ordre de se rendre incessamment à l’Hellespont,
et de veiller à la conservation du pont de bateaux ; celle des Grecs la
poursuivit jusqu’à l’île d’Andros. Thémistocle et les Athéniens
voulaient l’atteindre, et brûler ensuite le pont ; mais Eurybiade ayant
fortement représenté que loin d’enfermer les Perses dans la Grèce, il
faudrait, s’il était possible, leur procurer de nouvelles issues pour en
sortir, l’armée des alliés s’arrêta, et se rendit bientôt au port de
Pagase, où elle passa l’hiver. Thémistocle fit tenir alors un avis secret à
Xerxès. Les uns disent que voulant, en cas de disgrâce, se ménager un asile
auprès de ce prince, il se félicitait d’avoir détourné les Grecs du projet
qu’ils avaient eu de brûler le pont. Suivant d’autres, il prévenait le
roi, que s’il ne hâtait son départ, les Grecs lui fermeraient le chemin de l’Asie.
Quoi qu’il en soit, quelques jours après la bataille, le roi prit le chemin
de la Thessalie, où Mardonius mit en quartier d’hiver les 300000 hommes qu’il
avait demandés et choisis dans toute l’armée : de là continuant sa route,
il arriva sur les bords de l’Hellespont, avec un très-petit nombre de troupes
; le reste, faute de vivres, avait péri par les maladies, ou s’était
dispersé dans la Macédoine et dans la Thrace.
Pour comble d’infortune, le pont ne subsistait plus ; la tempête l’avait
détruit. Le roi se jeta dans un bateau, passa la mer en fugitif (33),
environ six mois après l’avoir traversée en conquérant, et se rendit en
Phrygie, pour y bâtir des palais superbes qu’il eut l’attention de
fortifier.
Après la bataille, le premier soin des vainqueurs fut d’envoyer à Delphes
les prémices des dépouilles qu’ils se partagèrent ; ensuite les généraux
allèrent à l’isthme de Corinthe ; et, suivant un usage respectable par son
ancienneté, plus respectable encore par l’émulation qu’il inspire, ils s’assemblèrent
auprès de l’autel de Neptune, pour décerner des couronnes à ceux d’entre
eux qui avaient le plus contribué à la victoire.
Le jugement ne fut pas prononcé ; chacun des chefs s’était adjugé le
premier prix, en même temps que la plupart avaient accordé le second à
Thémistocle. Quoiqu’on ne pût en conséquence lui disputer le premier dans l’opinion
publique, il voulut en obtenir un effectif de la part des spartiates : ils le
reçurent à Lacédémone, avec cette haute considération qu’ils méritaient
eux-mêmes, et l’associèrent aux honneurs qu’ils décernaient à Eurybiade.
Une couronne d’olivier fut la récompense de l’un et de l’autre. à son
départ, on le combla de nouveaux éloges ; on lui fit présent du plus beau
char qu’on put trouver à Lacédémone ; et par une distinction aussi nouvelle
qu’éclatante, 300 jeunes cavaliers tirés des premières familles de Sparte,
eurent ordre de l’accompagner jusqu’aux frontières de la Laconie.
Cependant Mardonius se disposait à terminer une guerre si honteuse pour la
Perse : il ajoutait de nouvelles troupes à celles que Xerxès lui avait
laissées, sans s’apercevoir que c’était les affaiblir, que de les
augmenter ; il sollicitait tour-à-tour les oracles de la Grèce ; il envoyait
des défis aux peuples alliés, et leur proposait pour champ de bataille, les
plaines de la Béotie ou celles de la Thessalie : enfin, il résolut de
détacher les Athéniens de la ligue, et fit partir pour Athènes Alexandre, roi
de Macédoine, qui leur était uni par les liens de l’hospitalité. Ce prince
admis à l’assemblée du peuple, en même temps que les ambassadeurs de
Lacédémone, chargés de rompre cette négociation, parla de cette manière :
« Voici ce que dit Mardonius : j’ai reçu un ordre du roi, conçu en ces
termes : j’oublie les offenses des Athéniens. Mardonius, exécutez mes
volontés ; rendez à ce peuple ses terres ; donnez-lui en d’autres, s’il en
désire ; conservez-lui ses lois, et rétablissez les temples que j’ai
brûlés. J’ai cru devoir vous instruire des intentions de mon maître ; et j’ajoute
: c’est une folie de votre part de vouloir résister aux Perses ; c’en est
une plus grande de prétendre leur résister longtemps. Quand même, contre
toute espérance, vous remporteriez la victoire, une autre armée vous l’arracherait
bientôt des mains. Ne courez donc point à votre perte ; et qu’un traité de
paix dicté par la bonne-foi, mette à couvert votre honneur et votre liberté.
»
Alexandre, après avoir rapporté ces paroles, tâcha de convaincre les
Athéniens qu’ils n’étaient pas en état de lutter contre la puissance des
Perses, et les conjura de préférer l’amitié de Xerxès à tout autre
intérêt.
« N’écoutez pas les perfides conseils d’Alexandre, s’écrièrent alors
les députés de Lacédémone. C’est un tyran qui sert un autre tyran : il a,
par un indigne artifice, altéré les instructions de Mardonius. Les offres qu’il
vous fait de sa part, sont trop séduisantes pour n’être pas suspectes. Vous
ne pouvez les accepter, sans fouler aux pieds les lois de la justice et de l’honneur.
N’est-ce pas vous qui avez allumé cette guerre ? Et faudra-t-il que ces
Athéniens qui, dans tous les temps, ont été les plus zélés défenseurs de
la liberté, soient les premiers auteurs de notre servitude ? Lacédémone qui
vous fait ces représentations par notre bouche, est touchée du funeste état
où vous réduisent vos maisons détruites, et vos campagnes ravagées : elle
vous propose en son nom, et au nom de ses alliés, de garder en dépôt, pendant
le reste de la guerre, vos femmes, vos enfants et vos esclaves. »
Les Athéniens mirent l’affaire en délibération ; et, suivant l’avis d’Aristide,
il fut résolu de répondre au roi de Macédoine, qu’il aurait pu se dispenser
de les avertir que leurs forces étaient inférieures à celles de l’ennemi ;
qu’ils n’en étaient pas moins disposés à opposer la plus vigoureuse
résistance à ces barbares ; qu’ils lui conseillaient, s’il avait à l’avenir
de pareilles lâchetés à leur proposer, de ne pas paraître en leur présence,
et de ne pas les exposer à violer en sa personne les droits de l’hospitalité
et de l’amitié.
Il fut décidé qu’on répondrait aux Lacédémoniens, que si Sparte avoit
mieux connu les Athéniens, elle ne les aurait pas crus capables d’une
trahison, ni tâché de les retenir dans son alliance par des vues d’intérêt
; qu’ils pourvoiraient comme ils pourraient aux besoins de leurs familles, et
qu’ils remercioient les alliés de leurs offres généreuses ; qu’ils
étaient attachés à la ligue par des liens sacrés et indissolubles ; que l’unique
grâce qu’ils demandoient aux alliés, c’était de leur envoyer au plus tôt
du secours, parce qu’il était temps de marcher en Béotie, et d’empêcher
les Perses de pénétrer une seconde fois dans l’Attique.
Les ambassadeurs étant rentrés, Aristide fit lire les décrets en leur
présence ; et soudain élevant la voix : « Députés lacédémoniens, dit-il,
apprenez à Sparte que tout l’or qui circule sur la terre, ou qui est encore
caché dans ses entrailles, n’est rien à nos yeux, au prix de notre liberté.
Et vous, Alexandre, en s’adressant à ce prince, et lui montrant le soleil :
dites à Mardonius que tant que cet astre suivra la route qui lui est prescrite,
les Athéniens poursuivront sur le roi de Perse la vengeance qu’exigent leurs
campagnes désolées, et leurs temples réduits en cendres. »
Pour rendre cet engagement encore plus solennel, il fit sur le champ passer un
décret, par lequel les prêtres dévoueraient aux dieux infernaux tous ceux qui
auraient des intelligences avec les Perses, et qui se détacheraient de la
confédération des Grecs. Mardonius instruit de la résolution des Athéniens,
fit marcher aussitôt ses troupes en Béotie, et de là fondit sur l’Attique,
dont les habitants s’étaient une seconde fois réfugiés dans l’île de
Salamine. Il fut si flatté de s’être emparé d’un pays désert, que par
des signaux placés de distance en distance, soit dans les îles, soit dans le
continent, il en avertit Xerxès qui était encore à Sardes en Lydie : il en
voulut profiter aussi, pour entamer une nouvelle négociation avec les
Athéniens ; mais il reçut la même réponse ; et Lycidas, un des sénateurs,
qui avait proposé d’écouter les offres du général persan, fut lapidé avec
ses enfants et sa femme.
Cependant les alliés, au lieu d’envoyer une armée dans l’Attique, comme
ils en étaient convenus, se fortifiaient à l’isthme de Corinthe, et ne
paraissaient attentifs qu’à la défense du Péloponnèse. Les Athéniens
alarmés de ce projet, envoyèrent des ambassadeurs à Lacédémone où l’on
célébrait des fêtes qui devoient durer plusieurs jours : ils firent entendre
leurs plaintes. On différait de jour en jour d’y répondre. Offensés enfin d’une
inaction et d’un silence qui ne les mettaient que trop en droit de soupçonner
une perfidie, ils se présentèrent pour la dernière fois aux éphores, et leur
déclarèrent qu’Athènes trahie par les Lacédémoniens, et abandonnée des
autres alliés, était résolue de tourner ses armes contre eux, en faisant sa
paix avec les Perses.
Les éphores répondirent que la nuit précédente ils avaient fait partir, sous
la conduite de Pausanias, tuteur du jeune roi Plistarque, 5000 spartiates, et
35000 esclaves ou hilotes armés à la légère. Ces troupes bientôt
augmentées de 5000 lacédémoniens, s’étant jointes avec celles des villes
confédérées, partirent d’Éleusis, et se rendirent en Béotie, où
Mardonius venait de ramener son armée.
Il avait sagement évité de combattre dans l’Attique. Comme
ce pays est entrecoupé de hauteurs et de défilés, il n’aurait pu ni
développer sa cavalerie dans le combat, ni assurer sa retraite dans un revers.
La Béotie, au contraire, offrait de grandes plaines, un pays fertile, quantité
de villes prêtes à recueillir les débris de son armée : car, à l’exception
de ceux de Platée et de Thespies, tous les peuples de ces cantons s’étaient
déclarés pour les Perses.
Mardonius établit son camp dans la plaine de Thèbes, le long du fleuve Asopus
dont il occupait la rive gauche, jusqu’aux frontières du pays des Platéens.
Pour renfermer ses bagages, et pour se ménager un asile, il faisoit entourer d’un
fossé profond, ainsi que de murailles et de tours construites en bois, un
espace de dix stades en tout sens (34). Les Grecs
étaient en face, au pied et sur le penchant du mont Cithéron. Aristide
commandait les Athéniens ; Pausanias, toute l’armée (35).
Ce fut là que les généraux dressèrent la formule d’un serment que les
soldats se hâtèrent de prononcer. Le voici : « Je ne préférerai point la
vie à la liberté ; je n’abandonnerai mes chefs, ni pendant leur vie, ni
après leur mort ; je donnerai les honneurs de la sépulture à ceux des alliés
qui périront dans la bataille : après la victoire, je ne renverserai aucune
des villes qui auront combattu pour la Grèce, et je décimerai toutes celles
qui se seront jointes à l’ennemi : loin de rétablir les temples qu’il a
brûlés ou détruits, je veux que leurs ruines subsistent, pour rappeler sans
cesse à nos neveux la fureur impie des barbares. »
Une anecdote rapportée par un auteur presque contemporain, nous met en état de
juger de l’idée que la plupart des Perses avoient de leur général.
Mardonius soupait chez un particulier de Thèbes, avec cinquante de ses
officiers généraux, autant de thébains, et Thersandre, un des principaux
citoyens d’Orchomène. à la fin du repas, la
confiance se trouvant établie entre les convives des deux nations, un Perse
placé auprès de Thersandre, lui dit : « Cette table, garant de notre foi, ces
libations que nous avons faites ensemble en l’honneur des dieux, m’inspirent
un secret intérêt pour vous. Il est temps de songer à votre sûreté. Vous
voyez ces Perses qui se livrent à leurs transports ; vous avez vu cette armée
que nous avons laissée sur les bords du fleuve ; hélas ! Vous n’en verrez
bientôt que les faibles restes. » Il pleurait en disant ces mots. Thersandre
surpris, lui demanda s’il avait communiqué ses craintes à Mardonius, ou à
ceux qu’il honorait de sa confiance. « Mon cher hôte, répondit l’étranger,
l’homme ne peut éviter sa destinée. Quantité de Perses ont prévu comme
moi, celle dont ils sont menacés ; et nous nous laissons tous ensemble
entraîner par la fatalité. Le plus grand malheur des hommes, c’est que les
plus sages d’entre eux sont toujours ceux qui ont le moins de crédit. » L’auteur
que j’ai cité, tenait ce fait de Thersandre lui-même.
Mardonius voyant que les grecs s’obstinaient à garder leurs hauteurs, envoya
contre eux toute sa cavalerie, commandée par Masistius, qui jouissait de la
plus haute faveur auprès de Xerxès, et de la plus grande considération à l’armée.
Les Perses, après avoir insulté les Grecs par des reproches de lâcheté,
tombèrent sur les Mégariens qui campaient dans un terrain plus uni, et qui,
avec le secours de 300 Athéniens, firent une assez longue résistance. La mort
de Masistius les sauva d’une défaite entière, et termina le combat. Cette
perte fut un sujet de deuil pour l’armée persane, un sujet de triomphe pour
les Grecs, qui virent passer dans tous les rangs, le corps de Masistius qu’ils
avaient enlevé à l’ennemi. Malgré cet avantage, la difficulté de se
procurer de l’eau, en présence d’un ennemi qui écartait à force de traits
tous ceux qui voulaient s’approcher du fleuve, les obligea de changer de
position : ils défilèrent le long du mont Cithéron, et entrèrent dans le
pays des Platéens. Les Lacédémoniens s’établirent auprès d’une source
abondante, qu’on nomme Gargaphie, et qui devait suffire aux besoins de l’armée
; les autres alliés furent placés la plupart sur des collines qui sont au pied
de la montagne ; quelques-uns dans la plaine ; tous en face de l’Asopus.
Pendant cette distribution de postes, il s’éleva une dispute assez vive entre
les Athéniens et les Tégéates, qui prétendaient également commander l’aile
gauche : les uns et les autres rapportaient leurs titres et les exploits de
leurs ancêtres. Aristide termina ce différend. « Nous ne sommes pas ici,
dit-il, pour contester avec nos alliés, mais pour combattre nos ennemis. Nous
déclarons que ce n’est pas le poste qui donne ou qui ôte la valeur. C’est
à vous, Lacédémoniens, que nous nous en rapportons. Quelque rang que vous
nous assigniez, nous l’éleverons si haut, qu’il deviendra peut-être le
plus honorable de tous. »
Les Lacédémoniens opinèrent par acclamation en faveur des Athéniens. Un
danger plus éminent mit la prudence d’Aristide à une plus rude épreuve : il
apprit que quelques officiers de ses troupes, appartenant aux premières
familles d’Athènes, méditaient une trahison en faveur des Perses, et que la
conjuration faisait tous les jours des progrès. Loin de la rendre plus
redoutable par des recherches qui l’auraient instruite de ses forces, il se
contenta de faire arrêter huit des complices. Les deux plus coupables prirent
la fuite. Il dit aux autres, en leur montrant les ennemis : « C’est leur sang
qui peut seul expier votre faute. »
Mardonius n’eut pas plutôt appris que les Grecs s’étaient retirés dans le
territoire de Platée, que faisant remonter son armée le long du fleuve, il la
plaça une seconde fois en présence de l’ennemi. Elle étoit composée de
300000 hommes tirés des nations de l’Asie, et d’environ 50000 Béotiens,
Thessaliens et autres Grecs auxiliaires. Celle des confédérés étoit forte d’environ
110000 hommes, dont 69500 n’étoient armés qu’à la légère. On y voyoit
10000 Spartiates et Lacédémoniens, 8000 Athéniens, 5000 Corinthiens, 3000
Mégariens, et différents petits corps fournis par plusieurs autres peuples ou
villes de la Grèce. Il en venait tous les jours de nouveaux. Les Mantinéens et
les Eléens n’arrivèrent qu’après la bataille. Les armées étoient en
présence depuis huit jours, lorsqu’un détachement de la cavalerie persane
ayant passé l’Asopus pendant la nuit, s’empara d’un convoi qui venoit du
Péloponnèse, et qui descendait du Cithéron. Les Perses se rendirent maîtres
de ce passage (36), et les Grecs ne reçurent plus
de provisions. Les deux jours suivans, le camp de ces derniers fut souvent
insulté par la cavalerie ennemie. Les deux armées n’osoient passer le fleuve
: de part et d’autre, le devin, soit de lui-même, soit par des impulsions
étrangères, promettait la victoire à son parti, s’il se tenoit sur la
défensive.
Le onzième jour (37) Mardonius assembla son
conseil. Artabaze, un des premiers officiers de l’armée, proposa de se
retirer sous les murs de Thèbes, de ne pas risquer une bataille, mais de
corrompre, à force d’argent, les principaux citoyens des villes alliées. Cet
avis qui fut embrassé des Thébains, eût insensiblement détaché de la
confédération la plupart des peuples dont elle était composée. D’ailleurs
l’armée grecque qui manquait de vivres, aurait été contrainte, dans
quelques jours, de se disperser, ou de combattre dans une plaine ; ce qu’elle
avoit évité jusqu’alors. Mardonius rejeta cette proposition avec mépris.
La nuit suivante (38), un cavalier échappé du
camp des Perses, s’étant avancé du côté des Athéniens, fit annoncer à
leur général qu’il avoit un secret important à lui révéler ; et dès qu’Aristide
fut arrivé, cet inconnu lui dit : « Mardonius fatigue inutilement les dieux
pour avoir des auspices favorables. Leur silence a retardé jusqu’ici le
combat ; mais les devins ne font plus que de vains efforts pour le retenir. Il
vous attaquera demain à la pointe du jour. J’espère qu’après votre
victoire, vous vous souviendrez que j’ai risqué ma vie pour vous garantir d’une
surprise : je suis Alexandre, roi de Macédoine. » Ayant achevé ces mots, il
reprit à toute bride le chemin du camp.
Aristide se rendit aussitôt au quartier des Lacédémoniens. On y concerta les
mesures les plus sages pour repousser l’ennemi ; et Pausanias ouvrit un avis
qu’Aristide n’osait proposer lui-même : c’était d’opposer les
Athéniens aux Perses, et les Lacédémoniens aux Grecs auxiliaires de Xerxès.
Par-là, disait-il, nous aurons les uns et les autres à combattre des troupes
qui ont déjà éprouvé notre valeur. Cette résolution prise, les Athéniens,
dès la pointe du jour, passèrent à l’aile droite, et les Lacédémoniens à
la gauche. Mardonius pénétrant leurs desseins, fit passer aussitôt les Perses
à sa droite, et ne prit le parti de les ramener à leur ancien poste, que
lorsqu’il vit les ennemis rétablir leur premier ordre de bataille. Ce
général ne regardait les mouvements des Lacédémoniens que comme un aveu de
leur lâcheté. Dans l’ivresse de son orgueil, il leur reprochait leur
réputation, et leur faisait des défis insultants. Un héraut envoyé de sa
part à Pausanias, lui proposa de terminer le différend de la Perse et de la
Grèce, par un combat entre un certain nombre de Spartiates et de Perses. Comme
il ne reçut aucune réponse, il fit marcher toute sa cavalerie. Elle inquiéta
l’armée des Grecs pendant tout le reste du jour, et parvint même à combler
la fontaine de Gargaphie. Privés de cette unique ressource, les Grecs
résolurent de transporter leur camp un peu plus loin, et dans une île formée
par deux branches de l’Asopus, dont l’une s’appelle Péroé ; delà ils
devaient envoyer au passage du mont Cithéron, la moitié de leurs troupes, pour
en chasser les Perses qui interceptoient les convois.
Le camp fut levé pendant la nuit (39), avec la
confusion qu’on devait attendre de tant de nations indépendantes, refroidies
par leur inaction, alarmées ensuite de leurs fréquentes retraites, ainsi que
de la disette des vivres. Quelques-unes se rendirent dans l’endroit assigné ;
d’autres égarées par leurs guides, ou par une terreur panique, se
réfugièrent auprès de la ville de Platée.
Le départ des Lacédémoniens et des Athéniens fut retardé jusqu’au lever
de l’aurore. Ces derniers prirent le chemin de la plaine ; les Lacédémoniens
suivis de 3000 Tégéates, défilèrent au pied du Cithéron. Parvenus au temple
de Cérès, éloigné de dix stades tant de leur première position, que de la
ville de Platée, ils s’arrêtèrent pour attendre un de leurs corps qui avait
longtemps refusé d’abandonner son poste ; et ce fut là que les atteignit la
cavalerie persane, détachée par Mardonius pour suspendre leur marche. « Les
voilà, s’écriait alors ce général au milieu de ses officiers ; les voilà
ces Lacédémoniens intrépides, qui, disait-on, ne se retirent jamais en
présence de l’ennemi : nation vile, qui ne se distingue des autres Grecs, que
par un excès de lâcheté, et qui va bientôt subir la juste peine qu’elle
mérite. »
Il se met ensuite à la tête de la nation guerrière des Perses et de ses
meilleures troupes ; il passe le fleuve, et s’avance à grands pas dans la
plaine. Les autres peuples de l’orient le suivent en tumulte, et en poussant
des cris. Dans le même instant, son aile droite composée des grecs
auxiliaires, attaque les athéniens, et les empêche de donner du secours aux
Lacédémoniens. Pausanias ayant rangé ses troupes dans un terrain en pente et
inégal, auprès d’un petit ruisseau et de l’enceinte consacrée à Cérès,
les laissa longtemps exposées aux traits et aux flèches, sans qu’elles
osassent se défendre. Les entrailles des victimes n’annonçaient que des
évènemens sinistres. Cette malheureuse superstition fit périr quantité de
leurs soldats, qui regrettèrent moins la vie qu’une mort inutile à la
Grèce. A la fin les Tégéates, ne pouvant plus supporter l’ardeur qui les
animait, se mirent en mouvement, et furent bientôt soutenus par les Spartiates
qui venaient d’obtenir ou de se ménager des auspices favorables.
A leur approche, les Perses jettent leurs arcs, serrent leurs rangs, se couvrent
de leurs boucliers, et forment une masse dont la pesanteur et l’impulsion
arrêtent et repoussent la fureur de l’ennemi. En vain leurs boucliers
construits d’une matière fragile, volent en éclats ; ils brisent les lances
dont on veut les percer, et suppléent par un courage féroce, au défaut de
leurs armes. Mardonius à la tête de 1000 soldats d’élite, balança
longtemps la victoire ; mais bientôt il tombe, atteint d’un coup mortel. Ceux
qui l’entourent veulent venger sa mort, et sont immolés autour de lui. Dès
ce moment, les Perses sont ébranlés, renversés, réduits à prendre la fuite.
La cavalerie persanne arrêta pendant quelque temps le vainqueur, mais ne l’empêcha
pas d’arriver au pied du retranchement que les Perses avaient élevé auprès
de l’Asopus, et qui reçut les débris de leur armée.
Les Athéniens avaient obtenu le même succès à l’aile gauche : ils avoient
éprouvé une résistance très forte de la part des Béotiens, très faible de
la part des autres alliés de Xerxès, blessés sans doute des hauteurs de
Mardonius, et de son obstination à donner la bataille dans un lieu si
désavantageux. Les Béotiens, dans leur fuite, entraînèrent toute la droite
des Perses.
Aristide, loin de les poursuivre, vint aussitôt rejoindre les Lacédémoniens,
qui, peu versés encore dans l’art de conduire les sièges, attaquaient
vainement l’enceinte où les Perses étaient renfermés. L’arrivée des
Athéniens et des autres troupes confédérées n’épouvanta point les
assiégés ; ils repoussoient avec fureur tous ceux qui se présentaient à l’assaut
; mais à la fin, les Athéniens ayant forcé le retranchement, et détruit une
partie du mur, les Grecs se précipitèrent dans le camp, et les Perses se
laissèrent égorger comme des victimes.
Dès le commencement de la bataille, Artabaze qui avoit à ses ordres un corps
de 40000 hommes, mais qui depuis longtemps était secrètement aigri du choix
que Xerxès avoit fait de Mardonius pour commander l’armée, s’était
avancé, plutôt pour être spectateur du combat, que pour en assurer le succès
: dès qu’il vit plier le corps de Mardonius, il enjoignit à ses troupes de
le suivre ; il prit, en fuyant, le chemin de la Phocide, traversa la mer à
Byzance, et se rendit en Asie où on lui fit peut-être un mérite d’avoir
sauvé une partie de l’armée. Tout le reste, à l’exception d’environ
3000 hommes, périt dans le retranchement ou dans la bataille.
Les nations qui se distinguèrent dans cette journée, furent d’un côté les
Perses et les Saces ; de l’autre les Lacédémoniens, les Athéniens et ceux
de Tégée. Les vainqueurs donnèrent des éloges à la valeur de Mardonius, à
celle de l’athénien Sophanès, à celle de quatre Spartiates, à la tête
desquels on doit placer Aristodème, qui voulut en cette occasion effacer la
honte de n’avoir pas péri au pas des Thermopyles. Les Lacédémoniens ne
rendirent aucun honneur à sa cendre : ils disaient que, résolu de mourir
plutôt que de vaincre, il avait abandonné son rang pendant le combat, et
montré un courage de désespoir, et non de vertu.
Cependant les Lacédémoniens et les Athéniens aspiraient également au prix de
la valeur ; les premiers, parce qu’ils avoient battu les meilleures troupes de
Mardonius ; les seconds, parce qu’ils les avaient forcées dans leurs
retranchements : les uns et les autres soutenaient leurs prétentions, avec une
hauteur qui ne leur permettait plus d’y renoncer. Les esprits s’aigrissaient
; les deux camps retentissaient de menaces ; et l’on en serait venu aux mains,
sans la prudence d’Aristide, qui fit consentir les Athéniens à s’en
rapporter au jugement des alliés. Alors Théogiton de Mégare proposa aux deux
nations rivales de renoncer au prix, et de l’adjuger à quelque autre peuple.
Cléocrite de Corinthe nomma les Platéens, et tous les suffrages se réunirent
en leur faveur.
La terre étoit couverte des riches dépouilles des Perses : l’or et l’argent
brillaient dans leurs tentes. Pausanias fit garder le butin par les hilotes : on
en réserva la dixième partie pour le temple de Delphes, une grande partie
encore pour des monuments en l’honneur des dieux. Les vainqueurs se
partagèrent le reste, et portèrent chez eux le premier germe de la corruption.
Tous les genres d’honneur furent accordés à ceux qui étaient morts les
armes à la main. Chaque nation éleva un tombeau à ses guerriers ; et dans une
assemblée des généraux, Aristide fit passer ce décret : « que tous les ans
les peuples de la Grèce enverraient des députés à Platée, pour y
renouveler, par des sacrifices augustes, la mémoire de ceux qui avaient perdu
la vie dans le combat ; que de 5 ans en 5 ans, on y célébrerait des jeux
solennels, qui seraient nommés les fêtes de la liberté ; et que les Platéens
n’ayant désormais d’autres soins que de faire des voeux pour le salut de la
Grèce, seraient regardés comme une nation inviolable, et consacrée à la
divinité. »
Onze jours après la bataille (40), les vainqueurs
marchèrent à Thèbes : ils demandaient aux habitants de leur livrer ceux des
citoyens qui les avaient engagés à se soumettre aux mèdes. Sur le refus des
Thébains, la ville fut assiégée ; elle courait risque d’être détruite, si
l’un des principaux coupables n’eût été d’avis de se remettre avec ceux
de sa faction entre les mains des alliés. Ils se flattaient de pouvoir racheter
leur vie par le sacrifice des sommes qu’ils avaient reçues de Mardonius ;
mais Pausanias, insensible à leurs offres, les fit condamner au dernier
supplice.
La bataille de Platée fut donnée le 3 du mois boédromion (41),
dans la seconde année de la soixante-quinzième olympiade. Le même jour la
flotte des grecs, commandée par Leutychidas, roi de Lacédémone, et par
Xanthippe l’Athénien, remporta une victoire signalée sur les Perses, auprès
du promontoire de Mycale en Ionie ; les peuples de ce canton qui l’avoient
appelée à leur secours, s’engagèrent, après le combat, dans la
confédération générale. Telle fut la fin de la guerre de Xerxès, plus
connue sous le nom de guerre médique : elle avait duré deux ans ; et jamais
peut-être dans un si court intervalle de temps, il ne s’est passé de si
grandes choses, et jamais aussi de tels événements n’ont opéré de si
rapides révolutions dans les idées, dans les intérêts, et dans les
gouvernements des peuples. Ils produisirent sur les Lacédémoniens et sur les
Athéniens, des effets différents, suivant la diversité de leurs caractères
et de leurs institutions. Les premiers ne cherchèrent qu’à se reposer de
leurs succès, et laissèrent à peine échapper quelques traits de jalousie
contre les Athéniens. Ces derniers se livrèrent tout-à-coup à l’ambition
la plus effrénée, et se proposèrent à-la-fois de dépouiller les
Lacédémoniens de la prééminence qu’ils avaient dans la Grèce, et de
protéger contre les Perses les ioniens qui venaient de recouvrer leur liberté.
Les peuples respiraient enfin : les Athéniens se rétablissaient au milieu des
débris de leur ville infortunée ; ils en relevaient les murailles, malgré les
plaintes des alliés, qui commençaient à redouter la gloire de ce peuple,
malgré les représentations des Lacédémoniens, dont l’avis était de
démanteler les places de la Grèce situées hors du Péloponnèse, afin que
dans une nouvelle invasion, elles ne servissent pas de retraite aux Perses.
Thémistocle avait su détourner adroitement l’orage qui, dans cette occasion,
menaçait les Athéniens. Il les avait engagés de plus à former au Pirée un
port entouré d’une enceinte redoutable, à construire tous les ans un certain
nombre de galères, à promettre des immunités aux étrangers, et sur-tout aux
ouvriers qui viendraient s’établir dans leur ville.
Dans le même temps, les alliés se préparaient à délivrer les villes
grecques où les Perses avaient laissé des garnisons. Une flotte nombreuse,
sous les ordres de Pausanias et d’Aristide, obligea l’ennemi d’abandonner
l’île de Chypre, et la ville de Byzance, située sur l’Hellespont. Ces
succès achevèrent de perdre Pausanias, désormais incapable de soutenir le
poids de sa gloire.
Ce n’était plus ce Spartiate rigide, qui, dans les champs de Platée,
insultait au faste et à la servitude des Mèdes ; c’était un satrape
entièrement subjugué par les moeurs des peuples vaincus, et sans cesse
entouré de satellites étrangers qui le rendaient inaccessible. Les alliés,
qui n’en obtenaient que des réponses dures et humiliantes, que des ordres
impérieux et sanguinaires, se révoltèrent enfin contre une tyrannie, devenue
encore plus odieuse par la conduite d’Aristide : ce dernier employait, pour se
concilier les esprits, les armes les plus fortes, la douceur et la justice.
Aussi vit-on les peuples confédérés proposer aux Athéniens de combattre sous
leurs ordres. Les Lacédémoniens instruits de cette défection, rappelèrent
aussitôt Pausanias, accusé de vexation envers les alliés, soupçonné d’intelligence
avec les Perses. On eut alors des preuves de ses vexations, et on lui ôta le
commandement de l’armée ; on en eut, quelque temps après, de sa trahison, et
on lui ôta la vie. Quelque éclatante que fût cette punition, elle ne ramena
point les alliés : ils refusèrent d’obéir au Spartiate Dorcis, qui
remplaça Pausanias ; et ce général s’étant retiré, les Lacédémoniens
délibérèrent sur le parti qu’ils devaient prendre.
Le droit qu’ils avoient de commander les armées combinées des Grecs, était
fondé sur les titres les plus respectables. Tous les peuples de la Grèce, sans
en excepter les Athéniens, l’avaient reconnu jusqu’alors. Sparte en avait
fait usage, non pour augmenter ses domaines, mais pour détruire par-tout la
tyrannie. La sagesse de ses lois la rendait souvent l’arbitre des peuples de
la Grèce ; et l’équité de ses décisions en avoit rangé plusieurs au
nombre de ses alliés. Et quel moment encore choisissait-on pour la dépouiller
de sa prérogative ? Celui où, sous la conduite de ses généraux, les Grecs
avaient remporté les plus brillantes victoires.
Ces raisons discutées parmi les Spartiates, les remplissaient d’indignation
et de fureur. On menaçait les alliés ; on méditait une invasion dans l’Attique,
lorsqu’un sénateur nommé Hétaemaridas, osa représenter aux guerriers dont
il était entouré, que leurs généraux, après les plus glorieux succès, ne
rapportaient dans leur patrie que des germes de corruption ; que l’exemple de
Pausanias devait les faire trembler sur le choix de ses successeurs, et qu’il
était avantageux à la république de céder aux Athéniens l’empire de la
mer, et le soin de continuer la guerre contre les Perses.
Ce discours surprit, et calma soudain les esprits. On vit la nation la plus
valeureuse de l’univers préférer ses vertus à sa vengeance, et déposer sa
jalousie à la voix de la raison. Le génie de Lycurgue dominait encore à
Sparte. Jamais peut-être elle ne montra plus de courage et de grandeur. Les
Athéniens qui, loin de s’attendre à ce sacrifice, s’étaient préparés à
l’obtenir par la voie des armes, admirèrent une modération qu’ils étaient
incapables d’imiter ; et tandis qu’une nation rivale se dépouillait d’une
partie de sa puissance, ils n’en étaient que plus empressés à se faire
assurer par les alliés, le droit honorable de commander les armées navales de
la Grèce.
Ce nouveau systême de confédération devoit être justifié par de nouvelles
entreprises, et fit éclore de nouveaux projets. On commença par régler les
contributions nécessaires pour continuer la guerre contre les Perses. Toutes
les nations mirent leurs intérêts entre les mains d’Aristide : il parcourut
le continent et les îles, s’instruisit du produit des terres, et fit voir
dans ses opérations tant d’intelligence et d’équité, que les
contribuables mêmes le regardèrent comme leur bienfaiteur. Dès qu’elles
furent terminées, on résolut d’attaquer les Perses.
Les Lacédémoniens ne participèrent point à cette délibération : ils ne
respiraient alors que la paix, les Athéniens que la guerre. Cette opposition de
vues avait éclaté plus d’une fois. Après la bataille de Mycale, ceux du
Péloponnèse, ayant les Lacédémoniens à leur tête, vouloient transporter
les peuples de l’Ionie dans le continent de la Grèce, et leur donner les
places maritimes que possédaient les nations qui s’étoient alliées aux
Perses. Par ces transmigrations, la Grèce eût été délivrée du soin de
protéger les Ioniens, et l’on éloignait une rupture certaine entre l’Asie
et l’Europe. Mais les Athéniens rejetèrent cet avis, sous prétexte que le
sort de leurs colonies ne devait pas dépendre des alliés. Il fallait du moins
imprimer une sorte de flétrissure sur les peuples grecs qui avoient joint leurs
troupes à celles de Xerxès, ou qui étaient restés dans l’inaction. Les
Lacédémoniens proposèrent de les exclure de l’assemblée des amphictyons :
mais Thémistocle, qui vouloit ménager à sa patrie l’alliance des Argiens,
des Thébains et des Thessaliens, représenta qu’en écartant de cette
assemblée les nations coupables, deux ou trois villes puissantes y
disposeraient à leur gré de tous les suffrages ; il fit tomber la proposition
des Lacédémoniens, et s’attira leur haine.
Il avait mérité celle des alliés, par les exactions et les violences qu’il
exerçait dans les îles de la mer Égée. Une foule de particuliers se
plaignaient de ses injustices ; d’autres, des richesses qu’il avait acquises
; tous du désir extrême qu’il avoit de dominer. L’envie qui recueillait
les moindres de ses actions et de ses paroles, goûtait le cruel plaisir de
répandre des nuages sur sa gloire. Lui-même la voyait se flétrir de jour en
jour ; et pour en soutenir l’éclat, il s’abaissait à fatiguer le peuple du
récit de ses exploits, sans s’apercevoir qu’il est aussi dangereux qu’inutile,
de rappeler des services oubliés : il fit construire auprès de sa maison un
temple consacré à Diane auteur des bons conseils. Cette inscription, monument
de ceux qu’il avait donnés aux Athéniens pendant la guerre médique, parut
un reproche, et par conséquent un outrage fait à la nation. Ses ennemis
prévalurent : il fut banni (42), et se retira dans le Péloponnèse ; mais
bientôt accusé d’entretenir une correspondance criminelle avec Artaxerxès,
successeur de Xerxès, il fut poursuivi de ville en ville, et contraint de se
réfugier chez les Perses. Ils honorèrent dans leur vainqueur suppliant, des
talents qui les avaient humiliés, mais qui n’étaient plus à craindre. Il
mourut plusieurs années après (43).
Les Athéniens s’aperçurent à peine de cette perte : ils possédaient
Aristide, et Cimon, fils de Miltiade. Cimon réunissait à la valeur de son
père, la prudence de Thémistocle, et presque toutes les vertus d’Aristide,
dont il avait étudié les exemples, et écouté les leçons. On lui confia le
commandement de la flotte grecque : il fit voile vers la Thrace, s’empara d’une
ville où les Perses avaient une garnison, détruisit les pirates qui
infestaient les mers voisines, et porta la terreur dans quelques îles qui s’étaient
séparées de la ligue. Bientôt il sort du Pirée avec 200 galères, auxquelles
les alliés en joignent 100 autres : il oblige par sa présence ou par ses
armes, les villes de Carie et de Lycie à se déclarer contre les Perses ; et,
ayant rencontré à la hauteur de l’île de Chypre la flotte de ces derniers,
composée de deux cents vaisseaux, il en coule à fond une partie, et s’empare
du reste : le soir même il arrive sur les côtes de Pamphylie, où les Perses
avaient rassemblé une forte armée ; il débarque ses troupes, attaque l’ennemi,
le disperse, et revient avec un nombre prodigieux de prisonniers, et quantité
de riches dépouilles destinées à l’embellissement d’Athènes.
La conquête de la presqu’île de Thrace suivit de près cette double victoire
; et d’autres avantages remportés pendant plusieurs années, accrurent
successivement la gloire des Athéniens, et la confiance qu’ils avaient en
leurs forces.
Celles de leurs alliés s’affaiblissaient dans la même proportion. Epuisés
par une guerre qui, de jour en jour, leur devenait plus étrangère, la plupart
refusaient d’envoyer leur contingent de troupes et de vaisseaux. Les
Athéniens employèrent d’abord, pour les y contraindre, les menaces et la
violence. Mais Cimon, par des vues plus profondes, leur proposa de garder leurs
soldats et leurs matelots, d’augmenter leurs contributions en argent, et d’envoyer
leurs galères qu’il ferait monter par des Athéniens. Par cette politique
adroite il les priva de leur marine ; et les ayant plongés dans un funeste
repos, il donna tant de supériorité à sa patrie, qu’elle cessa d’avoir
des égards pour les alliés. Aristide et Cimon en retinrent quelques-uns par
des attentions suivies. Athènes, par ses hauteurs, força les autres à se
séparer de son alliance, et les punit de leur défection en les asservissant. C’est
ainsi qu’elle s’empara des îles de Scyros et de Naxos ; et que l’île de
Thasos, après un long siége, fut obligée d’abattre les murs de sa capitale,
et de livrer aux vainqueurs ses vaisseaux, ses mines d’or, et le pays qu’elle
possédoit dans le continent.
Ces infractions étaient manifestement contraires au traité qu’Aristide avoit
fait avec les alliés, et dont les plus horribles serments devaient garantir l’exécution.
Mais Aristide lui-même exhorta les Athéniens à détourner sur lui les peines
que méritait leur parjure. Il semble que l’ambition commençait à corrompre
la vertu même.
Athènes était alors dans un état de guerre continuel ; et cette guerre avoit
deux objets ; l’un, qu’on publiait à haute voix, consistait à maintenir la
liberté des villes de l’Ionie ; l’autre, qu’on craignait d’avouer,
consistait à la ravir aux peuples de la Grèce.
Les Lacédémoniens, réveillés enfin par les plaintes des alliés, avoient
résolu, pendant le siége de Thasos, de faire une diversion en Attique ; mais
dans le moment de l’exécution, d’affreux tremblements de terre détruisent
Sparte, et font périr sous ses ruines un nombre considérable d’habitants.
Les esclaves se révoltent ; quelques villes de Laconie suivent leur exemple, et
les Lacédémoniens sont contraints d’implorer le secours de ce peuple dont
ils vouloient arrêter les progrès (44). Un de ses
orateurs lui conseillait de laisser périr la seule puissance qu’il eût à
redouter dans la Grèce ; mais Cimon, convaincu que la rivalité de Sparte
était plus avantageuse aux Athéniens que leurs conquêtes mêmes, sut leur
inspirer des sentiments plus généreux. Ils joignirent, à diverses reprises,
leurs troupes à celles des Lacédémoniens ; et ce service important qui devoit
unir les deux nations, fit naître entre elles une haine qui produisit des
guerres funestes. Les Lacédémoniens crurent s’apercevoir que les généraux
d’Athènes entretenaient des intelligences avec les révoltés : ils les
prièrent de se retirer sous des prétextes plausibles : mais les Athéniens
irrités d’un pareil soupçon, rompirent le traité qui les liait aux
Lacédémoniens depuis le commencement de la guerre médique, et se hâtèrent d’en
conclure un autre avec ceux d’Argos, depuis longtemps ennemis des
Lacédémoniens.
Sur ces entrefaites, Inarus, fils de Psammétique, ayant fait soulever l’Eypte
contre Artaxerxès, roi de Perse, sollicita la protection des Athéniens (45).
Le desir d’affoiblir les Perses, et de se ménager l’alliance des
égyptiens, détermina la république encore plus que les offres d’Inarus.
Cimon conduisit en Egypte la flotte des alliés, composée de deux cents
vaisseaux : elle remonta le Nil, et se joignit à celle des Egyptiens, qui
défirent les Perses, et s’emparèrent de Memphis, à l’exception d’un
quartier de la ville où s’étaient réfugiés les débris de l’armée
persane. La révolte des Egyptiens ne fut étouffée que six ans après : la
valeur seule des Athéniens et des autres Grecs en prolongea la durée. Après
la perte d’une bataille, ils se défendirent pendant seize mois, dans une île
formée par deux bras du Nil, et la plupart périrent les armes à la main. Il
faut observer qu’Artaxerxès, pour obliger les troupes à quitter l’Égypte,
avait vainement tenté d’engager, à force de présents, les Lacédémoniens
à faire une irruption dans l’Attique.
Tandis que les Athéniens combattaient au loin pour donner un roi à l’Eypte,
ils attaquaient en Europe ceux de Corinthe et d’Epidaure ; ils triomphaient
des Béotiens et des Sicyoniens ; ils dispersaient la flotte du Péloponnèse,
forçaient les habitants d’Égine à livrer leurs vaisseaux, à payer un
tribut, à démolir leurs murailles : ils envoyaient des troupes en Thessalie,
pour rétablir Oreste sur le trône de ses pères ; ils remuaient sans cesse les
peuples de la Grèce par des intrigues sourdes, ou par des entreprises
audacieuses ; donnant des secours aux uns ; forçant les autres à leur en
fournir ; réunissant à leur domaine les pays qui étaient à leur bienséance
; formant des établissements dans les pays où le commerce les attirait ;
toujours les armes à la main ; toujours entraînés à de nouvelles
expéditions, par une succession rapide de revers et de succès. Des colonies
composées quelquefois de 10000 hommes allaient au loin cultiver les terres des
vaincus : elles auraient, ainsi que la multiplicité des guerres, dépeuplé l’Attique.
Mais les étrangers abordaient en foule dans ce petit pays, attirés
par le décret de Thémistocle qui leur accordait un asile, et encore plus par
le desir de partager la gloire et le fruit de tant de conquêtes.
Des généraux habiles et entreprenants ne secondaient que trop l’ambition
effrénée de la république. Tels étaient Myronidès, qui, dans une seule
campagne, s’empara de la Phocide, et de presque toute la Béotie ; Tolmidès,
qui, vers le même temps, ravagea les côtes du Péloponnèse ; Périclès, qui
commençait à jeter les fondements de sa gloire, et qui profitoit des
fréquentes absences de Cimon, pour se rendre maître de l’esprit du peuple.
Les Athéniens ne faisaient pas alors directement la guerre à Lacédémone ;
mais ils exerçaient fréquemment des hostilités contre elle et contre ses
alliés. Un jour ils voulurent, de concert avec les Argiens, s’opposer au
retour d’un corps de troupes, que des intérêts particuliers avaient attiré
du Péloponnèse en Béotie. La bataille se donna auprès de la ville de Tanagra
(46). Les Athéniens furent battus ; les
Lacédémoniens continuèrent tranquillement leur marche. Les premiers
craignirent alors une rupture ouverte. Dans ces occasions, la république
rougissait de ses injustices ; et ceux qui la gouvernaient, déposaient leur
rivalité. Tous les yeux se tournaient vers Cimon qu’ils avaient exilé
quelques années auparavant. Périclès, qui l’avoit fait bannir, se chargea
de proposer le décret qui ordonnoit son rappel. Ce grand homme honoré de l’estime
des Spartiates, et assuré de la confiance des Athéniens, employa tous ses
soins pour les ramener à des vues pacifiques, et les engagea du moins à signer
une trêve de cinq ans (47). Mais comme les
Athéniens ne pouvaient plus supporter le repos, il se hâta de les mener en
Chypre ; il y remporta de si grands avantages sur les Perses, qu’il
contraignit
Artaxerxès à demander la paix en suppliant (48).
Les conditions en furent humiliantes pour le grand roi. Lui-même n’en eût
pas dicté d’autres à une peuplade de brigands qui auraient infesté les
frontières de son royaume. Il reconnut l’indépendance des villes grecques de
l’Ionie. On stipula que ses vaisseaux de guerre ne pourraient entrer dans les
mers de la Grèce, ni ses troupes de terre approcher des côtes, qu’à une
distance de trois jours de marche. Les Athéniens, de leur côté, jurèrent de
respecter les états d’Artaxerxès. Telles furent les lois qu’une ville de
la Grèce imposait au plus grand empire du monde. Trente ans auparavant, la
résolution qu’elle prit de résister à cette puissance, fut regardée comme
un coup de désespoir, et le succès comme un prodige. Cimon ne jouit pas
longtemps de sa gloire : il finit ses jours en Chypre. Sa mort
fut le terme des prospérités des Athéniens : elle le serait de cette partie
de leur histoire, si je n’avais à recueillir quelques traits qui servent à
caractériser le siècle où il a vécu.
Lorsque les Perses parurent dans la Grèce, deux sortes de crainte engagèrent
les Athéniens à leur opposer une vigoureuse résistance. La crainte de l’esclavage,
qui, dans une nation libre, a toujours produit plus de vertus que les principes
de l’institution ; et la crainte de l’opinion publique, qui, chez toutes les
nations, supplée souvent aux vertus. La première agissait d’autant plus sur
les Athéniens, qu’ils commençaient à jouir de cette liberté qui leur avait
coûté deux siècles de dissensions. Ils devaient la seconde à leur éducation
et à une longue habitude. Il régnait alors dans les âmes cette pudeur qui
rougit de la licence, ainsi que de la lâcheté ; qui fait que chaque citoyen se
renferme dans les bornes de son état ou de ses talents ; qui fait aussi que la
loi devient un frein pour l’homme puissant ; la pratique des devoirs, une
ressource pour l’homme faible ; et l’estime de ses semblables, un besoin
pour tous. On fuyait les emplois, parce qu’on en était digne ; on n’osait
aspirer aux distinctions, parce que la considération publique suffisait pour
payer les services rendus à l’état. Jamais on n’a fait de si grandes
choses que dans ce siècle ; jamais on n’a été plus éloigné de penser que
la gloire dût en rejaillir sur quelques citoyens. On éleva des statues en l’honneur
de Solon, d’Harmodius et d’Aristogiton ; mais ce ne fut qu’après leur
mort. Aristide et Thémistocle sauvèrent la république, qui ne leur décerna
pas même une couronne de laurier. Miltiade, après la bataille de Marathon,
sollicita cet honneur dans l’assemblée du peuple. Un homme se leva, et lui
dit : « Miltiade, quand vous repousserez tout seul les barbares, vous aurez
tout seul une couronne. »
Peu de temps après, des troupes athéniennes, sous la conduite de Cimon,
remportèrent de grands avantages dans la Thrace. Aleur retour, elles
demandèrent une récompense. Dans les inscriptions qui furent gravées, on fit
l’éloge des troupes, et l’on ne cita personne en particulier.
Comme chaque citoyen pouvait être utile, et n’était pas à chaque instant
humilié par des préférences injustes, ils savaient tous qu’ils pourraient
acquérir une considération personnelle ; et comme les moeurs étaient simples
et pures, ils avaient en général cette indépendance et cette dignité qu’on
ne perd que par la multiplicité des besoins et des intérêts.
Je ne citerai point, à l’avantage de ce siècle, l’hommage éclatant que
les Athéniens rendirent à la probité d’Aristide : ce fut à la
représentation d’une pièce d’Eschyle. L’acteur ayant dit qu’Amphiaraüs
était moins jaloux de paroître homme de bien, que de l’être en effet ; tous
les yeux se tournèrent rapidement vers Aristide. Une nation corrompue pourrait
faire une pareille application : mais les Athéniens eurent toujours plus de
déférence pour les avis d’Aristide, que pour ceux de Thémistocle ; et c’est
ce qu’on ne verroit pas dans une nation corrompue.
Après leurs succès contre les perses, l’orgueil que donne la victoire se
joignit dans leurs coeurs aux vertus qui l’avoient procurée ; et cet orgueil
était d’autant plus légitime, que jamais on ne combattit pour une cause plus
juste et plus importante.
Lorsqu’une nation pauvre et vertueuse parvient tout-à-coup à une certaine
élévation, il arrive de deux choses l’une ; ou que pour conserver sa
constitution, elle renonce à toute idée d’agrandissement ; et alors elle
jouït en paix de sa propre estime, et du respect des autres peuples ; c’est
ce qui arriva aux Lacédémoniens : ou qu’elle veut, à quelque prix que ce
soit, accroître sa puissance ; et alors elle devient injuste et oppressive : c’est
ce qu’éprouvèrent les Athéniens.
Thémistocle les égara dans la route où il les conduisit. Les autres chefs,
loin de modérer leur ardeur, ne parurent attentifs qu’à l’enflammer. Lors
de la seconde invasion des Perses, Miltiade proposa de les combattre en rase
campagne. Ce projet était digne du vainqueur de Marathon. Celui de Thémistocle
fut plus hardi peut-être : il osa conseiller aux Athéniens de confier leur
destinée au hasard d’une bataille navale. De puissantes raisons s’élevaient
contre ce plan de défense. Les Athéniens savaient à peine alors gouverner
leurs faibles navires : ils n’étaient point exercés aux combats de mer. On
ne pouvait pas prévoir que Xerxès attaquerait les Grecs dans un détroit.
Enfin, Thémistocle devait-il se flatter, comme il l’assurait, qu’à tout
évènement il s’ouvrirait un passage à travers la flotte ennemie, et
transporterait le peuple d’Athènes dans un pays éloigné ? Quoi qu’il en
soit, le succès justifia ses vues.
Mais si l’établissement de la marine fut le salut d’Athènes, elle devint
bientôt l’instrument de son ambition et de sa perte. Thémistocle qui voulait
rendre sa nation la plus puissante de la Grèce, pour en être le premier
citoyen, fit creuser un nouveau port, construire un plus grand nombre de
galères, descendre sur ses flottes les soldats, les ouvriers, les laboureurs,
et cette multitude d’étrangers qu’il avait attirés de tous côtés. Après
avoir conseillé d’épargner les peuples du continent, qui s’étoient unis
à Xerxès, il attaqua sans ménagement les îles qui avaient été forcées de
céder aux Perses : il ravissait leurs trésors ; et de retour dans sa patrie,
il en achetait des partisans qu’il retenait et révoltait par son faste. Cimon
et les autres généraux, enrichis par la même voie, étalèrent une
magnificence inconnue jusqu’alors : ils n’avaient plus d’autre objet, à l’exemple
de Thémistocle, que de concourir à l’agrandissement de la république. Cette
idée dominait dans tous les esprits.
Le peuple, enorgueilli de voir ses généraux mettre à ses pieds les
dépouilles et les soumissions volontaires ou forcées des villes réunies à
son domaine, se répandait avec impétuosité sur toutes les mers, et paraissoit
sur tous les rivages ; il multipliait des conquêtes qui altéraient
insensiblement le caractère de la valeur nationale. En effet, ces braves
soldats qui avaient affronté la mort dans les champs de Marathon et de Platée,
servilement employés aux opérations de la manoeuvre, ne s’exerçaient, le
plus souvent, qu’à tenter des descentes avec précaution, qu’à surprendre
des villes sans défense, qu’à ravager des terres abandonnées ; espèce de
guerre qui apprend à calculer ses forces, à n’approcher de l’ennemi qu’en
tremblant, à prendre la fuite sans en rougir.
Les moeurs reçurent l’atteinte funeste que le commerce des étrangers, la
rivalité de puissance ou de crédit, l’esprit des conquêtes et l’espoir du
gain, portent à un gouvernement fondé sur la vertu. Cette foule de citoyens
obscurs qui servaient sur les flottes, et auxquels la république devait des
égards, puisqu’elle leur devait sa gloire, contractèrent dans leurs courses
les vices des pirates ; et devenant tous les jours plus entreprenants, ils
dominèrent dans la place publique, et firent passer l’autorité entre les
mains du peuple, ce qui arrive presque toujours dans un état où la marine est
florissante. Deux ou trois traits montrent avec quelle rapidité les principes
de droiture et d’équité, s’affaiblirent dans la nation.
Après la bataille de Platée, Thémistocle annonça publiquement qu’il avait
formé un projet important, et dont le succès ne pouvait être assuré que par
le secret le plus impénétrable. Le peuple répondit : « qu’Aristide en soit
le dépositaire, nous nous en rapportons à lui. »
Thémistocle tira ce dernier à l’écart, et lui dit : « la flotte de nos
alliés séjourne, sans défiance, dans le port de Pagase ; je propose de la
brûler, et nous sommes les maîtres de la Grèce » . « Athéniens, dit alors
Aristide, rien de si utile que le projet de Thémistocle ; mais rien de si
injuste » . Nous n’en voulons point, s’écria tout d’une voix l’assemblée.
Quelques années après, les Smiens proposèrent aux Athéniens de violer un
article du traité qu’on avait fait avec les alliés. Le peuple demanda l’avis
d’Aristide : « celui des Samiens est injuste, répondit-il ; mais il est
utile »
Le peuple approuva le projet des Samiens. Enfin, après un court intervalle de
temps, et
sous Périclès, les Athéniens, dans plus d’une occasion, eurent l’insolence
d’avouer qu’ils ne connaissaient plus d’autre droit des gens, que la
force.
1.
Depuis l'an 490 jusque vers l'an 444 avant J.-C.
2. L'an 521 avant.J.-C.
3. Suivant Hérodote (lib. IV, cap. 143), ce ne fut pas
Zopyre que Darius nomma ; ce fut Mégabyse, père de ce jeune Perse.
4. Huit cents de nos lieues de deux mille cinq cents toises
chacune.
5. Trois cents lieues.
6. Cent soixante-cinq mille deux cents lieues carrées.
7. Mille neuf cent cinquante-deux lieues carrées. (Note
manuscrite de M.d'Anville.)
8. Environ quatre-vingt-dix millions de notre monnaie.
9. On voit par ce qui est dit dans le texte pourquoi Alexandre
trouva de si grandes sommes accumulées dans les trésors de Persépolis, de
Suze, de Pasagarde, etc. Je ne sais pourtant s'il faut s'en rapporter à Justin,
lorsqu'il dit qu'après la conquête de la Perse Alexandre tirait tous les ans
de ses nouveaux sujets trois cent mille talents, ce qui ferait environ seize
cent vingt millions de notre monnaie.
10. Par ce mot on désignait en Perse la cour du roi ou
celle des gouverneurs du province. Xén. Cyrop. lib. VIII, p. 201, 203,
etc. Plat. in Pelop. t. 1, p. 294 ; id. in Lysand. p. 436.)
11. L'an 508 avant J.-C.
12. Le Danube.
13. Le Don.
14. Vers l'an 504 avant J.-C.
15. Près de six lieues.
16. Environ sept lieues et demie.
17. Environ sept cent soixante toises
18. Le 29 septembre de l'an 490 avant J.-C.
19. Environ quarante-six lieues et demie
20. Deux cent soixante-dix mille livres.
21. L'an 485 avant J.-C.
22. Au printemps de l'année 480 avant J. C.
23. Ces deux ponts commençaient à Abydos, et se terminaient un
peu au-dessous de Sestos. On a reconnu, dans ces derniers temps, que ce trajet,
le plus resserré de tout le détroit, n'est que d'environ trois cent
soixante-quinze toises et demie. Les ponts ayant sept stades de longueur, M.
d'Anville en a conclu que ces stades n'étaient que de cinquante-une toise.
24. Environ une demi-lieue.
25. Je vais mettre sous les yeux du lecteur les calculs
d'Hérodote, liv. VII, chap. 202 ; de Pausanias, liv. X, chap. 20, p.845 ; de
Diodore, liv. XI, p. 4.
TROUPES DE PÉLOPONNÈSE.
Suivant Hérodote.
Spartiates ........... 300
Tégéates ........... 500
Mantinéens ........... 500
Orchoméniens ........... 120
Arcadiens ........... 1000
Carinthiens ........... 400
Phliontiens ........... 200
Mycéniens .................. 80
TOTAL ........... 3100
Suivant Pausanias.
Spartiates ........... 300
Tégéates ........... 500
Mantinéens ........... 500
Orhoméniens ........... 120
Arcadiens ........... 1000
Corinthiens ........... 400
Phliontiens ........... 200
Mycéniens........... 80
TOTAL.................. 3100
Suivant Diodore.
Spartiates ........... 300
Lacédémoniens ........... 700
Autres nations du Péloponnèse ........... 3000
TOTAL................. 4000
AUTRES NATIONS DE LA GRÈCE
Suivant Hérodote.
Thespiens ........... 700
Thébains ........... 400
Phocéens ........... 1000
Locriens-Opontiens ........
TOTAL.. 2100
Suivant Pausanias.
Thespiens ........... 700
Thébains ........... 400
Phocéens ........... 1000
Locriens ..........
TOTAL 2100
Suivant Diodore.
Milésiens ........... 1000
Thébains ........... 400
Phocéens ........... 1000
Locriens........... 1000
TOTAL............ 3400
Ainsi, selon Hérodote, les villes du Péloponnèse fournirent trois mille cent
soldats, les Thespiens sept cents, les Thébains quatre cents, les Phocéens
mille ; total, cinq mille deux cents, sans compter les Locriens-Opontiens, qui
marchèrent en corps.
Pausanias suit, pour les autres nations, le calcul d'Hérodote, et conjecture
que les Locriens étaient au nombre du six mille ; ce qui donne pour le total
onze mille deux cents hommes.
Suivant Diodore, Léonidas se rendit aux Thermopyles à la tête de quatre mille
hommes, parmi lesquels étaient trois cents Spartiates et sept cents
Lacédémoniens Il ajoute que ce corps tut bientôt renforcé de mille
Milésiens, de quatre cents Thébains, de mille Locriens, et d'un nombre presque
égal de Phocéens ; total, sept mille quatre cents hommes. D'un autre côté
Justin et d'autres auteurs disent que Léonidas n'avait que quatre mille hommes.
Ces incertitudes disparaîtraient peut-être si nous avions toutes les
inscriptions qui furent gravées après la bataille sur cinq colonnes placées
aux Thermopyles. Nous avons encore celle du devin Mégastias: mais elle ne
fournit aucune lumière. On avait consacré les autres aux soldats de
différentes nations. Sur celle des Spartiates, il est dit qu'ils étaient trois
cents ; sur une autre, on annonce que quatre mille soldats du Péloponnèse
avaient combattu contre trois millions de Perses. Celle des Locriens est citée
par Strabon, qui ne la rapporte point ; le nombre de leurs soldats devait s'y
trouver. Nous n'avons pas la dernière qui sans doute était pour les Thespiens
; car elle ne pouvait regarder ni les Phocéens, qui ne combattirent pas, ni les
Thébains, qui s’étaient rangés du parti de Xerxès lorsqu'on dressa ces
monuments.
Voici maintenant quelques réflexions pour concilier les calculs précédents :
1° Il est clair que Justin s'en est rapporté uniquement à l'inscription
dressée en l'honneur des peuples du Péloponnèse, lorsqu'il n'a donné que
quatre mille hommes à Léonidas ;
2° Hérodote ne fixe pas le nombre des Locriens. Ce n'est que par une légère
conjecture que Pausanias le porte à six mille. On peut lui opposer d'abord
Strabon, qui dit positivement que Léonidas n'avait reçu des peuples voisins
qu'une petite quantité de soldats ; ensuite Diodore de Sicile, qui, dans son
calcul, n'admet que mille Locriens;
3° Dans l'énumération de ces troupes, Diodore a omis les Thespiens, quoiqu'il
en fasse mention dans le cours de sa narration.
Au lieu des Thespiens, il a compté mille Milésiens. On ne connaît dans le
continent de la Grèce aucun peuple qui ait porté ce nom. Paulmier a pensé
qu'il fallait substituer le nom de Maliens à celui de Milésiens. Ces Maliens
s'étalent d'abord soumis à Xerxès; et, comme on serait étonné de les voir
réunis avec les Grecs, Paulmier suppose, d'après un passage d'Hérodote,
qu'ils ne se déclarèrent ouvertement pour les Perses qu'après le combat des
Thermopyles. Cependant est-il à présumer qu'habitant un pays ouvert ils
eussent osé prendre les armes contre une nation puissante à laquelle ils
avaient fait serment d'obéir ! Il est beaucoup plus vraisemblable que, dans
l'affaire des Thermopyles, ils ne fournirent des secours ni aux Grecs ni aux
Perses ; et qu'après le combat ils joignirent quelques vaisseaux à la flotte
de ces derniers. De quelque manière que l’erreur se soit glissée dans le
texte de Diodore, je suis porté à croire qu'au lieu de mille Milésiens il
faut lire sept cents Thespiens ;4° Diodore joint sept cents Lacédémoniens aux
trois cents Spartiates ; et son témoignage est clairement confirmé par celui
d'Isocrate. Hérodote n'en parle pas, peut-être parce qu'ils ne partirent
qu'après Léonidas. Je crois devoir les admettre. Outre l'autorité de Diodore
et d'Isocrate, les Spartiates ne sortaient guère sans être accompagnés d'un
corps de Lacédémoniens.
De plus, il est certain que ceux du Péloponnèse fournirent quatre mille hommes
: ce nombre était clairement exprimé dans l'inscription placée sur leur
tombeau ; et cependant Hérodote n'en compte que trois mille cent, parce qu'il
n'a pas cru devoir faire mention des sept cents Lacédémoniens qui, suivant les
apparences, vinrent joindre Léonidas aux Thermopyles.
D'après ces remarques, donnons un résultat. Hérodote porte le nombre des
combattants à cinq mille deux cents. Ajoutons, d'une part, sept cents
Lacédémonien, et de l'autre les Locriens, dont il n'a pas spécifié le
nombre, et que Diodore ne fait monter qu'à mille, nous aurons six mille neuf
cents hommes.
Pausanlas compte onze mille demi cents hommes. Ajoutons les sept cents
Lacédémoniens qu'il a omis à l'exemple d'Hérodote, et nous aurons onze mille
neuf cents hommes. Déduisons, avec Diodore, les six mille Locriens à mille, et
nous aurons pour le total six mille neuf cents hommes.
Le calcul de Diodore nous donne sept mille quatre cents hommes. Si nous
changeons les mille Milésiens en sept cents Thespiens, nous aurons sept mille
cent hommes. Ainsi on peut dire, en général, que Léonidas avait avec lui
environ sept mille hommes.
Il paraît, par Hérodote, que les Spartiates étaient suivant l'usage,
accompagnés d'Hilotes. Les anciens auteurs ne les ont pas compris dans leurs
calculs ; peut-être ne passaient-ils pas le nombre de trois cents. Quand
Léonidas apprit qu'il allait être tourné, il renvoya la glus grande partie de
ses troupes, il ne garda que les Spartiates, les Thespiens et les Thébains, ce
qui faisait un fonds de quatorze cents hommes, mais la plupart avaient péri
dans les premières attaques; et, si nous en croyons Diodore, Léonidas n'avait
plus que cinq cents soldats quand il prit le parti d'attaquer le camp des
Perses.
26. Sept à huit toises.
27. Environ deux lieues.
28. Une petite lieue
29. Sept à huit cents toises.
30. Dans la nuit du 18 au 19 octobre 480 avant J.-C.
31. Dans la nuit du 19 au 20 octobre 480 avant J.-C.
32. Le 20 octobre de l’an
480 (Dodwel, in Annal. Thucyd. p. 49.)
33. Le 4 décembre de l’an
480 (Dodwel, in Annal. Thucyd. p. 50.)
34. Environ neuf cent quarante-cinq toises.
35. Les deux armées se trouvèrent en présence le 10
septembre de l’an 479 (Dodwel, in Annal. Thucyd. p. 52.)
36. Le 17 septembre 479 ( (Dodwel, in Annal. Thucyd. p. 52.)
37. le 20 septembre 479 (Dodwel, in Annal. Thucyd. p. 52.)
38. La nuit du 20 au 21 septembre.
39. La nuit du 21 au 22 septembre.
40. Le 3 octobre de l’an 479.
41. le 22 septembre de l’an 479 avant J.-C. (Dodwel, in
Annal. Thucyd. p. 52.)
42. Vers l’an 471 avant J.-C.
43. Vers l’an 449 avant J.-C.
44. Vers l’an 464 avant J.-C.
45. Vers l’an 462 avant J.-C.
46. Vers l’an 456 avant J.-C.
47. L’an 450 avant J.-C.
48. L’an 449 avant J.-C.