Eldad

ELDAD LE DANITE

 

RELATION

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 


 

 

 


RELATION

D'ELDAD LE DANITE.

 

 

NOTICE EXTRAITE DE WIKIPEDIA

Eldad ha-Dani ou Eldad HaDani (en hébreu: אלדד הדני) ou encore Eldad ben Mahli ha-Dani est un marchand voyageur du neuvième siècle. Il prétend avoir été citoyen d'un "état juif indépendant" situé à l'est de l'Afrique, habité par des gens se déclarant descendants des tribus de Dan (d'où son nom: "ha-Dani" signifiant "le Danite"), d'Asher, de Gad, et de Nephtali. Partant de ce état hypothétique, Eldad visite la Babylonie, Kairouan, et l'Espagne, occasionnant partout où il passe une grande impression chez les Juifs par ses récits fantaisistes des Dix tribus perdues, et par les halakhot (lois juives) qu'il affirme avoir ramené de son pays natal. Ces halakhot, écrites en hébreu, traitent de l'abattage et de l'examen subséquent de l'animal. Elles se différencient nettement des arrêtés talmudiques et auraient été introduites par Josué ou, selon une autre version [réf. nécessaire], par Othoniel Ben Kenaz.

Les récits d'Eldad se propagent aussitôt et, comme d'habitude en tel cas, sont remodelés et amplifiés par les copistes et les éditeurs. Il n'y a pas moins de huit versions avec d'importantes différences.

Les critiques modernes sont divisés concernant Eldad: Simhah Pinsker, Heinrich Graetz, et Adolf Neubauer voient en lui un missionnaire karaïte s'efforçant de discréditer le Talmud par ses déclarations concernant les quatre tribus qui ne connaissent pas les noms des Tannaim et des Amoraïm (docteurs de la Mishna et des Talmuds, respectivement), et dont les halakhot sont différentes de celles du Talmud. Cette opinion est réfutée par Moses Schorr et Adolf Jellinek, qui constatent que les halakhot d'Eldad contiennent des règles concernant l'examen des animaux abattus qui ne sont pas acceptées par les Karaïtes. P. Frank considère Eldad comme un simple charlatan dont les dires et les faits ne méritent même pas l'attention. Reifmann dénie catégoriquement l'existence d'Eldad et considère que les lettres de la communauté de Kairouan et de Zemah ben Hayyim de Soura sont des faux. Metz a été le premier à analyser le contenu du livre d'Eldad à la lumière des récits d'autres voyageurs. Abraham Epstein a poursuivi la méthode de Metz et est parvenu à la conclusion que le livre d'Eldad est une sorte de roman historique où la vérité est mélangée avec l'imaginaire. Les halakhot sont, selon lui, authentiques et étaient en usage parmi les compatriotes d'Eldad, soit dans une province d'Afrique de l'Est, soit au Yémen, où les Juifs à cette époque connaissaient l'hébreu, mais pas le Talmud. Car Eldad selon lui, ne pouvait pas être originaire de l'Éthiopie, le pays des Falashas, qui eux ne parlaient que le guèze et dont aucune trace n'apparaît dans l'hébreu d'Eldad. On y trouve par contre quelques traces d'arabe, qu'Eldad devait connaître, bien qu'il prétende le contraire.

 


 

RELATION

D'ELDAD LE DANITE.

 

CHAPITRE PREMIER.

COMMENT LES HÉROS DE LA TRIBU DE DAN AVAIENT

QUITTÉ LEURS FRÈRES POUR ALLER EN KUSH SOUS

JÉROBOAM, FILS DE NEBAT,

Au nom de l'Éternel, le dieu d'Israël, voici la relation de l'illustre Eldad, fils de Mahalé, de la tribu de Dan, écrite d'après les lettres qu'il avait envoyées en Sépharad,[1] l'an 4563 de la création du monde.[2]

Loué soit le nom du roi, roi des rois, le saint (béni soit-il), qui de toutes les nations a choisi Israël, et lui a révélé une loi véridique et des commandements salutaires ; qui a distingué son langage de soixante-dix autres langues et lui a prescrit de pratiquer religieusement six cent treize préceptes sacrés,[3] chacun en temps et lieu.

Certes, les Israélites tant qu'ils furent soumis à la volonté du Seigneur, n'eurent point à souffrir un joug étranger en quittant leur patrie pour demeurer au milieu des gentils, ni sous Moïse et Josué, ni sous les juges et les lois jusqu'à l'arrivée de Jéroboam, fils de Nebat, qui pécha et engagea Israël à pécher, en adorant deux veaux d'or et en se révoltant contre la maison de David.

Le fils de Nebat ayant rejeté l'autorité de cette race, assembla les dix tribus et leur parla ainsi : « Allons, ô fils d'Israël ! combattre Rechabam et les habitants de Jérusalem ! » Ceux-ci lui répondirent. « Pourquoi ! ô Jéroboam ! pourquoi attaquer nos frères, et le fils de Salomon, notre maître, roi d'Israël et de Juda ? »

Cependant, comme l'usurpateur les pressait d'adhérer à son dessein criminel, les plus anciens parmi eux lui disaient : « Il n'y a point dans toutes les tribus de Jacob d'hommes vaillants, capables de guerroyer, si ce n'est dans la tribu de Dan. » Aussitôt le fils de Nebat s'adressa aux descendants de ce patriarche et leur dit : «Allons, levez-vous, ô enfants valeureux de Dan, faites la guerre à Juda ! »

Mais ceux-ci répartirent : « Par la vie de nos pères et de nos enfants, nous ne combattrons pas contre nos frères, et nous ne répandrons jamais le sang inutilement ! »

Ayant juré ainsi, ils levèrent leurs glaives, leurs arcs, leurs lances, et s'offrirent de mourir en résistant plutôt à Jéroboam. Heureusement le Très-Saint leur épargna le carnage de leurs frères. On fit publier par un héraut dans toute la tribu de Dan, ceci : « Fuyez, fuyez, ô hommes courageux, rendez-vous en Egypte ! »

Mais comme on délibérait ensuite pour savoir si l'on irait s'établir dans ce pays en tuant les indigènes, les chefs de la tribu les détournèrent en ces termes de leur dessein : « N'est-il pas écrit de cette contrée dans la loi : Vous ne la verrez plus jamais[4] ; comment donc voulez-vous descendre en Egypte ? »

On proposa alors une invasion chez les Iduméens, les Amalécites et les Ammonites : mais ayant compris qu'il était marqué dans les diverses écritures que le Saint (béni soit-il !) avait défendu aux Hébreux de franchir jamais les frontières de ces peuples, ils renoncèrent encore à ce projet. Enfin Dieu leur inspira l'heureuse idée que voici : Tous les hommes forts et vaillants de la tribu se levèrent comme un seul homme, traversèrent le Jourdain, et, portés sur des dromadaires, ils allèrent camper dans le pays de Kush.[5]

Ces braves y trouvèrent une terre grasse qui produit l'arbre à la face d'homme,[6] et propre à se transformer en guérets, en jardins, en vergers, en vignobles. Les colons ne les empêchèrent pas de l'habiter, et de s'allier à eux. Après avoir passé plusieurs années auprès d'eux, les Danites se multiplièrent d'une manière incroyable et finirent par rendre les Kushites leurs tributaires.

CHAPITRE DEUXIÈME,

COMMENT UNE PARTIE DE TROIS AUTRES TRIBUS DE ZABULON,

ASER ET NEPHTALI, SUIVIRENT LES ENFANTS DE DAN,

ÉMIGRÉS EN KUSH.

En ce tems-là plusieurs familles de trois autres tribus de Zabulon, Aser et Nephtali s'expatrièrent aussi et campèrent dans le désert d'Arabie, jusqu'à ce qu'elles eussent atteint les frontières de Kush. Elles firent la guerre aux Kushites et en tuèrent tant qu'elles dépeuplèrent un espace de quatre jours sur quatre jours de marche, jusqu'à l'endroit occupé par leurs frères de la race de Dan.

Ayant choisi pour demeure Havila, qu'il ne faut pas confondre avec la Havila orientale,[7] où il y a de l'or, et Seba, Sabtah, Raamah, Sebtacha, Sheba et Dedan, ces quatre tribus, Dan, Zabulon, Aser et Nephtali, furent contraintes de guerroyer contre ces sept royaumes.

Bientôt elles firent courber devant elles la tête de leurs ennemis, et s'établirent à leur place dans ces sept royaumes.

Néanmoins, chaque année, jusqu'à ce jour, elles sont en hostilité avec sept autres peuplades formant autant de souverainetés, appelées Themani,[8] Khaïbar,[9] Koraïta,[10] Bedra,[11] Nabal,[12] Hour[13] et Yaboa.[14] Par suite de ces guerres continuelles, beaucoup d'Israélites ont été dispersés au-delà des fleuves de Kush, afin que la parole du prophète se réalisât : « D'au-delà des fleuves de Kush, mes adorateurs dispersés m'apporteront mes offrandes.[15] »

Ces tribus possèdent une grande quantité d'or, d'argent, de pierres fines, de brebis, de bœufs, d'ânes et de chameaux. Les uns sèment, moissonnent, demeurent sous des tentes, tandis que les autres se transportent dans le désert et campent d'une frontière à l'autre, à une distance de quatre journées de marche en long et en large. Cependant la maison royale ne les suit point, étant toujours fixée en un endroit qui produit du blé, du raisin et d'autres fruits. Le nom, de leur prince régnant est Usiel, fils de Malchiel ; le nom du chef est Nithaï le grand, de la famille d'Abdan ; et celui de leur juge Abdan, fils de Misaël, de la tribu d'Aser.

Les quatre espèces de peines capitales[16] du ressort de l'ancienne justice sont encore en usage parmi ces quatre tribus. Dès qu'elles entreprennent une expédition militaire, un héraut sonne de la trompette, et aussitôt toute l'armée se réunit avec son chef, au nombre de cent mille cavaliers et de cent vingt mille fantassins.

Tous les mois une de ces quatre tribus se livre aux batailles et reste ainsi durant trois mois : à l'expiration de ce terme, elles partagent dans leur tribu à chaque citoyen les dépouilles des ennemis. Dans les trois premiers mois la tribu de Dan a son tour, la tribu de Zabulon lui succède au second trimestre ; puis celle d'Aser campe pareillement trois mois ; enfin, le dernier trimestre, celle, de Nephtali guerroie jusqu'à ce que les douze mois se trouvent remplis et qu'on recommence avec la nouvelle année.

Les descendants de Dan, de la race de Samson-le-fort, sont des guerriers vaillants, en aussi grand nombre que le sable de la mer. Lorsqu'ils vont en guerre, ils se rappellent ces vers :

Que la fuite d'un guerrier est honteuse !

Que la noblesse dans le combat est belle !

O jeune soldat ! meurs plutôt que de fuir.

Voici la victoire, tu n'as qu'à fortifier ton cœur

Dans le Seigneur.

Fils de la guerre, encouragez-vous !

Soyez plein d'espérance et embrassez vos armes ?

Déjà mon esprit se manifeste sur la pointe

De mon glaive, et montre ma joie dans la bataille ;

Car mon âme est dans le Seigneur.

Ah mon coursier ! combien de fois n'as-

Tu pas foulé aux pieds les forts d'Ismaël ?

Combien de fois n'as-tu pas porté les filles

Captives de Kush ? C'est pourquoi, ô enfants

Du combat, allons, marchons dans le Seigneur.

C'est ainsi qu'ils s'enflamment au combat et ils restent tels jusqu'à la fin de la bataille. Après la guerre, ils reviennent et portent tout leur butin au roi, qui le partage entre tous les Israélites ses sujets en prélevant sur toutes ces prises la dîme qui est la part du Seigneur.

CHAPITRE TROISIÈME.

COMMENT LE RESTE DE CES QUATRE TRIBUS FUT EXILÉ AVEC LES AUTRES ISRAÉLITES PAR THÉGLATH-PHALASSAR ET SALMANASAR.

Du tems de Hosée, fils d'Ela, Salmanasar, roi d'Assyrie, vint et exila le reste de ces quatre, tribus Dan, Zabulon, Aser et Nephtali.[17] Puis ce prince monta une seconde fois jusque dans le pays d'Issachar, d'Ephraïm, de Siméon de Manassé, et en emmena les habitants à Halah, dans Habor sur le fleuve de Gozan, et dans les villes des Mèdes.[18] Ils y trouvèrent les Rubénites, les Gadites et la moitié de la tribu de Manassé que Théglath-Phalassar, avait transportés à Halah, à Habor, à Hara et au fleuve de Gozan.[19]

Les quatre premières tribus se mirent à voyager jusqu'à ce qu'elles eussent atteint leurs frères dans la contrée de Kush[20] ; les enfants de Ruben, de Gad, et la moitié de la tribu de Manassé demeurent à Hara[21] et à Nisabour[22] sur le fleuve de Gozan jusqu'à ce jour. Ils n'ont à supporter aucunement la domination des Gentils. La tribu d'Issachar habite les montagnes de Théom[23] situées au-dessous de la Médie et de la Perse, suivant scrupuleusement ce commandement : que le livre de la loi ne quitte point ta bouche.[24] Elle n'obéit à aucune autre autorité qu’à celle du ciel, et elle ne fait d'autre guerre que celle de la loi. Cette tribu a un juge et chef nommé Nachson, et parle la langue sacrée, le persan et l'arabe.

La tribu d’Ephraïm demeure dans le voisinage de celle d'Issachar, mais les enfants d'Ephraïm sont nomades ; néanmoins ils firent parfois leurs tentes jusqu'à l'entrée de la province d'Adjemi,[25] ou jusqu'au fleuve d'Euphrate. Ils sont très religieux, et ont horreur du brigandage et du vol ; leurs esclaves mêmes sont d'une grande probité. A leur proximité, demeure la moitié de la tribu de Manassé.

La paix règne entre toutes les tribus ; elles marchent ensemble au combat, occupent les routes, partagent toutes les dépouilles. Sur le chemin de la Perse et de la Babylonie, on rencontre beaucoup de ces Manassites. Ils ont peu d'argent et d'or, en sorte que le riche équipement d'un chameau s'achète chez eux deux pièces d'argent. Ils parlent une langue concise, et entendent l'Ecriture, la Mishna et le Talmud. Tous les sabbats, leurs chefs prononcent des homélies dans la langue sacrée, et expliquent la Halacha[26] et l’Agadah[27] également dans le même idiome.

Ils sont en guerre avec les habitants des monts situés au midi de leur territoire, race insensée, dont l'humeur est triste et morose. Ces montagnards sont tous cavaliers ; ils infestent les routes et ne ménagent personne ; ils ne vivent que de rapines. Ils sont très vaillants; chacun d'entre eux peut vaincre cent ennemis. Ils adorent le feu et épousent leurs mères ou leurs sœurs. Ils ne sont point agriculteurs, au moins ils ne moissonnent ni ne vendangent, et ils achètent tout à prix d'argent. Néanmoins ils ont une grande quantité de troupeaux, de chameaux, d'ânes, de domestiques des deux sexes, qu'ils ont pris dans leurs expéditions.

Quant à la tribu de Siméon, elle est dans le pays des Khazars,[28] sur le fleuve d'Itel,[29] son roi s'appelle Ezéchiel, et elle est extrêmement nombreuse. Elle reçoit un tribut de vingt-cinq principautés et d'une partie des Ismaélites. Les Siméonistes parlent la langue hébraïque, le khazarique et l'arabe, et se livrent à l'étude de la loi écrite et de la loi orale, tant dans la pratique que dans la théorie. Que le Saint (béni soit-il !) les garde de tous adversaires et de tout triste accident !

CHAPITRE QUATRIÈME.

COMMENT AU-DELA DE LA RIVIERE SABBATION IL Y A LA POSTÉRITÉ DE MOÏSE, DITE LA TRIBU SAUVEE

Il y a encore, au-delà de la rivière Sabbation,[30] une tribu juive, ce sont les descendants de Moïse, notre pieux maître, le serviteur de Dieu. On les nomme la tribu sauvée, parce qu'elle abjura l'idolâtrie et s'attacha à la crainte de Dieu. Les enfants de Moïse habitent des maisons et des édifices magnifiques, ainsi que des tours qu'ils construisent eux-mêmes.

Il n'y a rien chez eux d'immonde, ni des oiseaux ni d'autres animaux impurs. Ils n'ont pas de bêtes nuisibles, telles que mouches, puces, poux, serpents et scorpions ; bref rien de dangereux. Tout y est pur comme les agneaux, les bœufs et espèces analogues. Les brebis mettent bas ordinairement deux fois par an,

Ils sont très religieux, très versés dans les lois écrites et orales, dont l'enseignement se fait en hébreu. Voici la formule dont ils se servent pour entrer en matière : « Ainsi nous ont enseigné nos pères, et nos sages d'après ce qu'ils ont ouï de la bouche d'Othniel qui le tient de Josué, fils de Nun, qui l'a appris de la bouche de Moïse, lequel l'a entendu de la bouche du Tout-Puissant. » Ils ignorent les Tanaïm, les Amaraïm, et les Seburaïm,[31] qui ont vécu depuis le sac du second temple, parce qu'ils n'en ont jamais ouï parler.

De même, ils ne connaissent pas d'autre langue que la langue sacrée, et ils ne parlent que de choses saintes. Ils observent avec plus de scrupules que les Rabbins la manière d'égorger les animaux et de les dépecer, suivant les règles prescrites par les Sophrim[32] ; car Moïse était très scrupuleux quant à l'observance des paroles des Scribes. A ce qu'ils croient, jamais les descendants de Moïse ne juraient par le nom du Seigneur, sans que leurs âmes sortissent de leurs corps. Aussi s'emportent-ils en ces termes : « Pauvres gens ! pourquoi votre bouche profère-t-elle en vain le nom de l'Eternel ! ne pouvez-vous l'employer à autre chose ? si vous avez du pain, mangez-le ; si vous avez de l'eau, buvez-en ; mais de grâce ne profanez point le nom du Très-Haut. Ne savez-vous donc pas que le blasphème fait mourir vos enfants, encore jeunes ? » Ainsi ils s'exhortent sans cesse, afin qu'ils servent tous le Tout-Puissant dans la crainte, le respect et dans la pureté de leur cœur.

Ces rejetons de Moïse, serviteurs du Seigneur, ont une très longue existence, et vivent ordinairement cent ou cent vingt ans. Jamais ni fils ni fille ne meurent du vivant de leurs pères, mais tous parviennent à la troisième ou même à la quatrième génération ; en sorte qu'ils voient leurs enfants, leurs petits-enfants et leurs arrière-petits-enfants.

Ils labourent et moissonnent eux-mêmes leurs champs, parce qu'ils n'ont ni esclaves ni domestiques ; beaucoup sont des magasiniers, et pourtant ils se dispensent de fermer leurs maisons la nuit, attendu qu'il n'y a parmi eux ni voleurs, ni hommes médians, ni autre personne capable de faire quelque mal. De plus un enfant conduit des troupeaux à une distance de plusieurs jours de marche, sans craindre les voleurs ou les démons, les bêtes féroces ou quelque autre péril, parce que tous ces lévites sont saints et purs. Ils s'occupent de la loi et des commandements de Dieu, et se maintiennent constamment dans la sainteté de Moïse, leur père, fils d'Amram et petit-fils de Lévi.

CHAPITRE CINQUIÈME.

COMMENT LA RIVIÈRE SABBATION COULE PENDANT LES

SIX JOURS DE LA SEMAINE, ET CESSE DE COULER

LE JOUR DU SABBAT.

Cette rivière Sabbation est pleine de sable et de pierres ; les eaux entraînent dans leurs cours ce sable et ces pierres durant les six jours de la semaine, et se reposent et demeurent tranquilles le jour du sabbat.[33] Le bruit de ces eaux, de ces pierres et de ce sable, est semblable au fracas du tonnerre, ou des flots de la mer et des vents orageux, au point qu'on entend pendant la nuit le bruit qu'ils font, jusqu'à une distance d'une demi-journée de marche.

La largeur de la rivière est de deux cents coudées, environ l'espace que parcourt une flèche. Personne ne peut la traverser sans qu'elle soit en repos ; le jour du samedi, dès qu'elle cesse de couler, un feu s'élève sur toute l'étendue des deux rives, et jette de si grandes flammes depuis le commencement jusqu'à la fin du sabbat, que personne n'en peut approcher qu'à la distance d'un demi-mille de chaque côté du sabbatique. Ce feu embrase tout ce qui, aux environs de la rivière, sort de la terre et porte racine.

Néanmoins, pendant tous les six jours ouvrables, beaucoup d'individus des tribus de Dan, Zabulon, Aser et Nephtali, vont avec leurs troupeaux au bord de la rivière et crient : « Nos frères, enfants des tribus de Iéschuroun[34] ! montrez-nous des chameaux, des chiens et des chevaux. » Ils s'étonnent en les voyant et disent : « Que ce chameau est grand ! que sa tête est longue et sa queue courte ! que ce chien est beau, ce cheval majestueux ! » Puis ils se saluent, et se séparent mutuellement.

Les eaux de la rivière sabbatique sont très amères ; personne ne peut ni en boire, ni en user pour arroser ses champs, il y a d'autres sources qui se jettent toutes dans un seul lac, et arrosent toute cette région. Dans ce lac il y a beaucoup de poissons, et sur ses rives volent des oiseaux de toute espèce. Ces poissons sont exquis, et leur couleur est admirablement belle ; leurs écailles servent à orner la tête des vierges du pays. Parmi ces oiseaux, il en est qui chantant si harmonieusement et avec tant de charmes, qu'à leur ramage le berger quitte ses troupeaux, le laboureur sa charrue, et tous viennent s'endormir dans l'extase et l'enchantement.

Le sol du pays de la tribu de Moïse est gras et fertile : ils y sèment du lin, y élèvent des vers à soie ; ils fabriquent des habits très riches et des tuniques tissues en or et en argent, car ils possèdent beaucoup d'argent et beaucoup d'or. Leurs jardins leur fournissent des vergers et toutes sortes de fruits, tout genre de légumes, tels que des melons, des oignons, de l'ail, du froment, de l'orge, et produisent tout au centuple.

CHAPITRE SIXIÈME.

COMMENT ELDAD LE DANITE QUITTA SA PATRIE POUR ANNONCER INEXISTENCE DE DIX TRIBUS D’ISRAEL.

Tel est le récit abrégé d'Eldad, fils de Mahalé, de la tribu de Dan, touchant les dix tribus d'Israël. Cet homme juste est venu vers nous en Sépharad, après nous avoir adressé ses lettres de Kairwan,[35] où il avait demeuré longtemps.

Voici comment il quitta son pays, la terre de Kush, pour faire connaître à tous les enfants de Jacob, répandus sur le globe, l'existence de dix tribus, et leur apporter ainsi des consolations dans leur misère et des espérances dans leurs exils :

Sorti de Kush pour se rendre en Egypte, il entra dans un vaisseau avec un autre Israélite, de la tribu d'Aser, pour négocier avec les matelots et leur acheter des vêtements et des ornements comme on les porte dans les pays étrangers.

Mais à peine eurent-ils monté ce vaisseau, qu'une tempête affreuse s'éleva. En vain les mariniers voguèrent pendant plusieurs journées pour relâcher à terre ; ils ne le purent, parce que la mer s'agitait de plus en plus, en sorte que, durant la nuit du huitième jour, ils firent naufrage.

Heureusement, l'Éternel avait préparé une planche pour qu'ils pussent se diriger jusqu'au bord. Nos deux voyageurs, dès qu'ils furent sur cette planche, cherchèrent à gagner le rivage ; mais l'ayant perdue, ils flottèrent sur la mer jusqu'à ce qu'ils furent jetés sur les côtes d'une nation sauvage appelée Amargan. C'étaient des peuples noirs, plus noirs que des corbeaux d'une haute taille, et se nourrissant de chair humaine. Ils s'emparèrent de ces deux justes, dont ils mangèrent aussitôt l'un, parce qu'il était gras et délicat.

Ce malheureux, au milieu des tourments de la mort, s'écriait en versant des torrents de larmes : « Malheur à la mère qui m'a donné la vie, malheur à moi qui ai péché au point que mon Créateur m'a envoyé à une mort affreuse ; car ces hommes noirs vont se nourrir de ma chair ! » Dès qu'ils eurent dévoré cet homme pieux, ils prirent Eldad le Danite, dont nous parlons, et lui mirent un collier pour l'engraisser et le rendre un peu plus mangeable ; il était maigre et malade.

Ces sauvages lui fournirent une nourriture abondante qu'il mangea ; ils le traitèrent bien, et il resta longtemps parmi eux. Il se portait bien et il devint gros et gras, lorsque le Saint (béni soit-il) lui rendit le salut. Des troupes vinrent d'un autre pays fondre sur ces sauvages, et, après en avoir pillé et tué un grand nombre, ils emmenèrent prisonniers les survivants, parmi lesquels se trouva le juste Eldad le Danite, qui resta quatre ans avec eux.

Ces impies adoraient le feu, et ne reconnaissaient point le Dieu du ciel et de la terre. Eldad ne cessait de leur enseigner la vraie croyance ; lorsqu'enfin ils le conduisirent dans la terre d'Alzin,[36] et qu'il fut acheté par un Juif, trente-deux pièces d'or. Là, le pieux Danite s'embarqua et vogua jusqu'au continent. Ayant parcouru la Perse et la Médie, il arriva dans la tribu d'Issachar, qui habite les montagnes aux confins de ces contrées. Puis, notre voyageur se rendit en Babylonie, où il eut des entrevues avec le chef de la captivité Zadik,[37] fils de Houna, et avec Isaac,[38] fils d’Isaï, directeur de l'académie, qui l'admirait et l'engageait à rester avec eux. Mais il n'écouta point leurs conseils. Il partit pour l'Afrique, et il alla à Kaïrwan. Ayant passé quelques années dans cette grande ville, et ayant adressé des lettres en Sépharad, les Synagogues de ce dernier pays le firent venir à Cordoue, où il mourut bientôt après.

Eldad avait apporté avec lui plusieurs livres des dix tribus, inconnus aux autres Hébreux, et qu'il explique en ajoutant ordinairement : « ainsi l'a dit Othniel, fils de Rénos, d'après Josué, et celui-ci d'après Moïse, et Moïse d'après Dieu lui-même. »

Eldad s'énonçait avec grâce, et il appelait chaque objet dans la langue sainte, qu'il possédait parfaitement, et plusieurs savants ont recueilli ses mots hébreux pour enrichir leur langue. D'autres ont fait des ouvrages sous son nom qui sont pleins d'ignorance et de mensonge. Il suffit de citer le nom d'Eldad pour donner un démenti à ces écrits ; car ce juste était un homme véridique et rien ne lui était inconnu. Il faisait remonter son origine de père en fils jusqu'à Dan, fils d'Israël, qui repose en paix.

 

 


 

[1] Les auteurs hébreux se servent encore aujourd'hui de ce nom biblique pour désigner l'Espagne, sur la foi de l'interprète chaldéen qui entend ce pays par Sépharad, dont il est parlé dans Abdias, v. 20. (Voyez ci-après.)

[2] Suivant le comput ordinaire des Juifs, 803 de l'ère vulgaire.

[3] Tel est le nombre des préceptes de Moïse, dont trois cent soixante-cinq sont négatifs, et deux cent quarante-huit affirmatifs. Voyez Talmud de Babylone, Traité Maccoth. page 24.

[4] Exode, XIV, 13.

[5] Le savant Bochart a fort bien prouvé qu'il y avait une terre de Kush ou Chus dans l'Arabie Pétrée, frontière d'Egypte, et que ce pays s'étendait principalement sur le bord oriental de la mer Rouge. Voyez Geogr. Phaleg., l. IV, c ; 2.

[6] La mandragore. Voyez Tour du monde de Pétachia de Ratisbonne, chap. ii. Cet arbuste n'est pas inconnu aux géographes chinois et japonais, qu'on ne peut étudier sans admirer leur constante exactitude : ils placent cette plante, ou plutôt, selon eux, cet arbuste, dans le pays de Ta chi ou des Arabes. Voyez l’Encyclopédie japonaise, t. XIV, où cet arbre est figuré en tête de l'article Ta chi.

[7] Genèse, II, ii. Ou trouve plusieurs pays de ce nom dans l'Écriture Sainte. Celui dont il est question ici paraît être le pays d'Havila, fils de Kush, frère de Seba, Sabtah, Raamali, Sebtacha, Sheba et Dedan, qui ont peuplé l'Arabie. Voyez ibid., X, 7.

[8] Ville du désert d'Arabie. C'est la ville de Thamana, qui se trouve indiquée dans la notice de l'Empire (Noticia dignitatum, p. 15) et qui a été habitée par les Themanai, descendant de Thaman, fils d'Ismaël. Voyez Genèse, XXV, 15. Elephaz Themani, l'un des amis de Job, paraît avoir été de cette cité.

[9] Lieu célèbre situé dans les environs de Médine.

[10] Autre lieu dans le même district.

[11] Bedria ou plutôt Petra, ville connue dans l'Écriture sous le nom de Sela.

[12] Ancienne cité, à deux journées de Médine, ainsi nommée de Nabaioth, l'un des fils d'Ismaël (Genèse XXV, 13), et père des Nabatéens, si célèbres dans l'antiquité.

[13] Hour ou Haura, ville dans le voisinage de Médine.

[14] Yaboa ou Jaubo, endroit à cinq stations environ de Haura.

[15] Sophonie. III, 10.

[16] Lapidé, brûlé, décapité et étranglé.

[17] Voyez II Rois, XVII, 6 ; Voyages de Benjamin de Tudèle.

[18] « Le roi des Assyriens transporta les Israélites en Assyrie, et il les fit conduire à Halah, et à Habor, sur le fleuve de Gozan, et dans les villes des Mèdes. »  

[19] « Théglath-Phalassar, roi des Assyriens, transporta les Ruténites, les Gatliles, et la moitié de la tribu de Manassé, et les emmena à Halah, à Habor, à Hara et au fleuve de Gozan. » Paralipomenes, livre Ier. V, 26.

[20] Comparez les Voyages de Benjamin de Tudèle.

[21] Selon Benjamin, Hara est la ville de Harat, dans la province de Khorasan.

[22] Nisabour ou Nischabour a toujours passé pour une des quatre cités qui ont été successivement capitales et royales de Khorasan, Voyez sur cette ville Herbelot, Bibliothèque orientale, article Nischabour.

[23] En hébreu : de l'abîme.

[24] Josué, I, 8.

[25] Il faut entendre par là l’Irak-Adjemi, grande province du centre de la Perse.

[26] Mot par lequel on désigne cette partie de la loi orale qui a rapport à la pratique des préceptes.

[27] On appelle Agadah la partie morale el historique des préceptes de la loi orale.

[28] Voyez sur le pays des Khazars, les Aventures de Jakob de Nemez, chap. I. et II.

[29] La Volga.

[30] Sabbation ou Sambation n'est autre, suivant quelques rabbins que la rivière sabbatique dont parlent Josèphe et Pline. Voyez ci-après, chapitre V, note i.

[31] Ce sont trois ordres des docteurs de la loi. Ils sont auteurs de la Mishna, du Talmud, et autres livres rabbiniques des ii, iii, iv, v, vi et viies siècles de l'ère vulgaire

[32] Les scribes, ordre de docteurs de la loi, qui existaient avant les trois précédents.

[33] Petite rivière de la Palestine septentrionale, ainsi nommée parce qu'elle coulait pendant six joui», se séchait le septième, sans jamais changer cet ordre. Elle se trouvait dans la tribu de Nephtali, entre les villes d'Acre au sud, et de Raphnée au nord. Voyez Josèphe, Guerres des Juifs, VIII, 27 ; Pline, XXXI, 2.

[34] Nom poétique par lequel Moïse désigne le peuple israélite dans son cantique. Voyez le Deutéronome, xxxii et xxxiii, 26.

[35] Ville d'Afrique, dans l'intérieur. C'est la plus importante après Tunis, dont elle est distante de trente lieues au sud.

[36] La Chine. Voyez les Voyages de Benjamin de Tudèle.

[37] Zadik, fils de Houna, fut choisi par le peuple pour succéder à Samuel le Nassi, l'an 795 de l'ère vulgaire.

[38] Isaac, fils d'Isaï, succéda à Abou Mai, dans la dignité de gaon, sous Zadik, fils de Houna, vers l'an 815 de l'ère européenne.