Guy d'Arezzo

Guy d'Arezzo  

MICROLOGUE (extrait)

Oeuvre numérisée  par Marc Szwajcer

 

 

 

 

ÉTUDES

DE

SCIENCE MUSICALE

PAR

A. DECHEVRENS. S. J.

IIIe ÉTUDE

PARIS

CHEZ L'AUTEUR, 26, RUE LHOMOND

EN   DÉPÔT

Mlles BLANC, Typographie musicale, 4, rue Malebranche

1898

Guy d'Arezzo

MICROLOGUE (extrait)

(995-1050)

Guido d'Arezzo — en français parfois Gui ou Guy d'Arezzo, voire Gui l'Arétin, en latin Guido Aretinus, en italien parfois Guido Monaco — est l'un des saints Guy. C'est un moine bénédictin italien, né en 992 et mort en 1050, d'après certaines sources le 17 mai. Il est célèbre pour sa contribution à la pédagogie musicale, notamment à l'élaboration d'un système de notation sur portée. Le lieu de sa naissance reste sujet à conjectures : ce pourrait être Arezzo, Ferrare, Pomposa sur le delta du Pô, Talla ou encore une autre ville italienne.

Rappelons pour la petite histoire la façon de nommer les six degrés de son hexacorde ; Guido d'Arezzo utilisa les premières syllabes d'un chant religieux latin, l'Hymne à saint Jean-Baptiste, dont le texte est attribué au moine et érudit italien Paul Diacre (en latin Paulus Diaconus).

UT queant laxis

REsonare fibris

MIra gestorum

FAmuli tuorum,

SOLve polluti

LAbii reatum,

Sancte Ioannes.

Traduction : « Afin que tes serviteurs puissent chanter à gorge déployée tes accomplissements merveilleux, ôte le pêché de leurs lèvres souillées, saint Jean. ».

…. Revenons à notre sujet : c'est l'histoire du rythme grégorien que nous voulons retracer par les auteurs qui en ont écrit depuis le ive siècle jusqu'à nos jours. Ce qu'il fut avant Guy d'Arezzo nous est connu ; qu'en pensait-il lui-même et comment en a-t-il parlé ? Nous le demanderons à son livre intitulé : Bref Discours sur les règles de l’art musical, écrit précisément dans le but tout pratique de rappeler aux chantres d'église ou de leur apprendre ce qu'ils avaient le plus besoin de savoir, pour s'acquitter convenablement de leur fonction. Absolument comme l'avait fait un siècle auparavant l'auteur de l’Enchiriadis. Voici d'abord le Prologue qu'il a mis en tête de ce traité :

 

 

GUIDO ARETINUS

MICROLOGUS DE DISCIPLINA ARTIS MUSICAE.

EXTRAITS

 

 

INCIPIT PROLOGUS EJUSDEM IN MUSICAM.

Cum me et naturalis conditio et bonorum imitatio communis utilitatis diligentem faceret, coepi inter alia studia musicam tradere pueris. Tandem adfuit mihi divina gratia, et quidam eorum imitatione chordae, nostrarum notarum usu exercitati, ante unius mensis spatium invisos et inauditos cantus ita primo intuitu indubitanter cantabant, ut maximum spectaculum plurimis praeberetur; quod tamen qui non potest facere, nescio qua fronte se musicum vel cantorem audeat dicere. Maxime itaque dolui de nostris cantoribus, qui, etsi centum annis in canendi studio perseverent, nunquam tamen vel minimam antiphonam per se valent efferre, semper discentes, ut ait Apostolus, et nunquam ad perfectam hujus artis scientiam pervenientes. Cupiens itaque tam utile nostrum studium in communem utilitatem expendere, de multis musicis argumentis, quae adjutore Deo per varia tempora conquisivi, quaedam, quae cantoribus proficere credidi, quanta potui brevitate perstrinxi; quae enim de musica ad canendum minus prosunt, aut si quae ex his quae dicuntur non valent intelligi, nec memoratu digna judicavi; non curans de his si quorumdam animus livescat invidia, dum quorumdam proficiat disciplina.

CAPUT XV.

De commoda componenda modulatione.

Igitur quemadmodum in metris sunt litterae et syllabae, partes et pedes, ac versus: ita et in harmonia sunt phthongi, id est soni, quorum unus, duo, vel tres aptantur in syllabas, ipsaeque solae vel duplicatae neumam, id est, partem constituunt cantilenae; sed pars una vel plures distinctionem faciunt, id est, congruum respirationis locum. De quibus illud est notandum, quod tota pars compresse et notanda et exprimenda est, syllaba vero compressius, tenor vero, id est, mora ultimae vocis, qui in syllaba quantuluscumque est amplior in parte, diutissimus vero in distinctione, signum in his divisionibus existit, sicque opus est, ut quasi metricis pedibus cantilena plaudatur, et aliae voces ab aliis morulam duplo longiorem, vel duplo breviorem, aut tremulam habeant, id est, varium tenorem, quem longum aliquotiens litterae virgula plana apposita significat: ac summopere caveatur talis neumarum distributio, ut cum neumae tum ejusdem soni repercussione, tum duorum aut plurium connexione fiant, semper tamen aut in numero vocum aut in ratione tonorum neumae alterutrum conferantur, atque respondeant, nunc aequae aequis, nunc duplae vel triplae simplicibus, atque alias collatione sesquialtera vel sesquitertia.

 

 

 

MICROLOGUS DE DISCIPLINA ARTIS MUSICAE.

PROLOGUE

« Désireux de contribuer pour ma part à l'utilité commune, ainsi que m'y engageaient tout à la fois et ma condition d'homme et l'exemple des gens de bien, je m'appliquai entre autres choses à enseigner la musique aux enfants. La grâce divine me venant en aide, plusieurs parmi eux, après un mois seulement d'exercice sur notre manière de noter les mélodies, à l'imitation des cordes tendues, ont pu chanter à première vue et sans hésiter des mélodies qu'ils n'avaient jusque-là jamais vues ni entendues. Ce fut un spectacle merveilleux pour un très grand nombre de personnes; et pourtant celui qui n'en est pas capable, comment ose-t-il se dire musicien ou chanteur ?

« J'eus alors pitié de nos chantres, les voyant travailler des années et des années pour apprendre le chant, sans parvenir à déchiffrer eux-mêmes la plus petite antienne, toujours étudiant, ainsi que parle l'Apôtre, et n'arrivant jamais à la science parfaite de leur art. Aussi ai-je résolu de faire servir une invention si utile au bien de tout le monde. De toutes les connaissances musicales que, par la grâce divine, j'ai pu acquérir en différents temps, je veux donc exposer brièvement et clairement celles qui me paraissent surtout profitables aux chantres. Car, pour les autres, dont l'utilité est moindre ou qui seraient moins facilement comprises, je crois superflu d'en parler, me souciant peu que certains esprits sèchent d'envie, pourvu que d'autres profitent en science. »

Après ce préambule, qui montre bien le côté tout pratique du Micrologue, Guy d'Arezzo expose en vingt chapitres, la plupart très courts, les notions fondamentales de l'harmonique, de la rythmique et de la symphonique, c'est-à-dire de toute la musique appliquée à l'art du chanteur. C'est au chapitre xv qu'il traite du rythme dans les mélodies grégoriennes ; je le transcris ici tout entier.

CHAPITRE XV.

De ce qui est requis pour composer un chant.

« De même que, dans les mètres, il y a les lettres, les syllabes, les mots, les pieds et les vers, ainsi en musique on distingue les sons, dont un, deux ou trois réunis forment des syllabes musicales ; les syllabes, soit une seule, soit plusieurs ensemble, constituent une neume, c'est-à-dire une partie de la mélodie, un membre de phrase musicale; plusieurs de ces membres ou parfois un seul font une distinction ou phrase, après laquelle les voix reprennent leur respiration.

« Sur quoi il faut observer qu'on ne doit jamais, ni dans l'exécution ni dans la notation, disjoindre les parties d'une distinction, moins encore les sons qui composent une syllabe; mais, pour faire bien sentir chacune de ces parties, il convient d'allonger un peu la dernière note, très peu dans la syllabe, davantage dans la neume, et plus encore à la fin de chaque distinction.

« C'est pourquoi il est nécessaire que la mélodie soit battue, comme on fait des pieds métriques; que, parmi les sons, les uns aient une durée deux fois plus longue, les autres deux fois plus courte, qu'il y en ait de tremblés, et qu'ainsi la teneur de la voix soit variée. Nous indiquons souvent la teneur longue par une virgule ou un trait sur la lettre.

 « Quant aux neumes ou membres de phrase musicale, il faut les distribuer de telle sorte que, ces neumes étant composées tantôt par un même son répercuté et tantôt par la réunion de deux ou de plusieurs sons différents, les membres de phrase se répondent mutuellement soit par le nombre des sons, soit par la proportion des durées, et qu'ainsi on trouve opposés l'un à l'autre, ici deux membres égaux, là un membre double ou triple à un membre simple, ou bien encore en proportion sesquialtère ou sesquiterce. »

 


 

 

 

 

 

 

Proponatque sibi Musicus, quibus ex his divisionibus incedentem faciat cantum, sicut Metricus, quibus pedibus faciat versum; nisi quod Musicus non se tanta legis necessitate constringit, quia in omnibus se haec ars in vocum dispositione rationabili varietate permutat. Quam rationabilitatem etsi saepe non comprehendamus, rationale tamen creditur id, quo mens, in qua est ratio, delectatur. Sed haec et hujusmodi melius colloquendo quam conscribendo monstrantur.

Oportet ergo ut more versuum distinctiones aequales sint, et aliquotiens eaedem repetitae, aut aliqua vel parva mutatione variatae, et cum plures fuerint duplicatae, habentes partes non nimis diversas, et quae aliquotiens eaedem transformentur per modos, aut similes intensae et remissae inveniantur. Item ut reciprocata neuma eadem via, qua venerat, redeat, ac per eadem vestigia recurrat. Item ut qualem ambitum vel lineam una facit saliendo ab acutis, talem inclinatam altera e regione opponat respondendo a gravibus, sicut fit, cum in puteo nos cum imagine nostra contra speculamur. Item aliquando una syllaba unam vel plures habeat neumas, aliquando una neuma plures dividatur in syllabas. Variabuntur hae vel omnes neumae, cum alias ab eadem voce incipiant, alias de dissimilibus secundum laxationis et acuminis varias qualitates. Item ut ad principalem vocem, id est finalem, vel si quam affinem ejus pro ipsa elegerint, pene omnes distinctiones currant, et eadem aliquando vox, quae terminat neumas omnes, vel plures distinctiones finiat, aliquando et incipiat; sicut apud Ambrosium curiosus invenire poterit. Sunt vero quasi prosaici cantus, qui haec minus observant, in quibus non est curae, si aliae majores, aliae minores partes et distinctiones per loca sine discretione inveniantur more prosarum.

Metricos autem cantus dico, quia saepe ita canimus, ut quasi versus pedibus scandere videamur, sicut fit, cum ipsa metra canimus, in quibus cavendum est, ne superfluae continuentur neumae dissyllabae sine admixtione trisyllabarum ac tetrasyllabarum. Sicut enim Lirici poetae nunc hos nunc alios adjunxere pedes, ita et qui cantum faciunt, rationabiliter discretas ac diversas componunt neumas; rationabilis vero discretio est, si ita fit neumarum et distinctionum moderata varietas, ut tamen neumae neumis et distinctiones distinctionibus quadam semper similitudine sibi consonanter respondeant, id est, ut sit similitudo dissimilis, more perdulcis Ambrosii. Non autem parva similitudo est metris et cantibus, cum et neumae loco sint pedum, et distinctiones loco versuum: utpote ista neuma dactylico, illa vero spondaico, illa iambico metro decurreret; et distinctionem nunc tetrametram nunc pentametram, alias quasi hexametram cernes, et multa alia, ut elevatio et positio tum ipsa sibi, tum altera alteri similis vel dissimilis praeponatur, supponatur, apponatur, interponatur, alias conjunctim, alias divise, alias commixtim ad hunc modum. Item ut in unum terminentur partes et distinctiones neumarum atque verborum, nec tenor longus in quibusdam brevibus syllabis, aut brevis in longis sit, quia obcoenitatem parit, quod tamen raro opus erit curare. Item ut rerum eventus sic cantionis imitetur effectus, ut in tristibus rebus graves sint neumae, in tranquillis rebus jucundae, in prosperis exsultantes, et reliquae. Item saepe vocibus gravem et acutum accentum superponimus, quia saepe ut majori impulsu quasdam, ita etiam minori efferimus: adeo ut ejusdem saepe vocis repetitio elevatio vel depositio esse videatur. Item ut in modum currentis equi semper in fine distinctionum rarius voces ad locum respirationis accedant, ut quasi gravi more ad repausandum lassae perveniant. Spissim autem et rare, prout oportet, notae compositae hujus saepe rei poterunt indicium dare. Liquescunt vero in multis voces more litterarum, ita ut inceptus modus unius ad alteram limpide transiens nec finiri videatur. Porro liquescenti voci punctum quasi maculando superponimus hoc modo:

Ad [G] te [DE] le [Ga] va [a] vi. [G.]

Si autem eam vis plenius proferre non liquefaciens, nihil nocet, saepe autem magis placet. Et omnia, quae diximus, nec nimis raro, nec nimis continue facias, sed cum discretione.

 

En deux tableaux, Guy donne le modèle de ces diverses proportions rythmiques dans le diapason (1 : 2), le diapente ou quinte (2 : 3) et le diatessaron ou quarte (3 : 4), auxquels il ajoute le ton (8 : 9). Il poursuit après cela :

« Que le musicien choisisse, entre ces manières de diviser la mélodie, celle dont il veut se servir, tout comme le métricien choisit parmi les pieds métriques ceux qui doivent composer ses vers. Une plus grande liberté est cependant laissée au premier, parce que Fart musical aime la variété dans l'arrangement des sons, pourvu que cet arrangement soit toujours conforme aux règles. Comment il l'est, nous ne savons, il est vrai, toujours le bien définir; mais puisque c'est la raison qui juge des règles, tout ce que la raison approuve, nous pouvons le tenir pour régulier. Ce sont là toutefois des choses qu'on explique mieux de vive voix que par écrit.

« Il faut donc que, semblables à des vers, les distinctions soient égales, qu'on répète quelquefois les mêmes sans changement ou avec une légère modification et, si l'on en redouble avec art quelques-unes, que leurs parties ne soient point trop différentes, mais qu'on retrouve plutôt dans des modes divers les mêmes figures rythmiques, un même ordre de sons ascendants et descendants. On observera encore, dans les neumes réciproques, de les faire revenir par le même chemin et en parcourant à l'inverse les mêmes degrés. Le même intervalle franchi par les voix, lorsque, d'un bond, elles descendent de l'aigu au grave, elles le franchiront encore pour remonter du grave à l'aigu ; ainsi, quand nous regardons au fond d'un puits, voyons-nous notre image se réfléchir dans l’eau de toute la distance qui est entre l'eau et nous.

« Parfois aussi, une seule syllabe portera une ou plusieurs neumes; d'autres fois, la neume se partagera entre plusieurs syllabes. On diversifiera encore plus ou moins les neumes en les commençant tantôt par le même son et tantôt par des sons d'acuité ou de gravité différente. Le plus grand nombre des distinctions devront être ordonnées par rapport à la note finale du mode ou à celle qui en tient lieu (RE ou LA dans le deuxième mode, MI ou SI dans le troisième, FA ou DO dans le cinquième), et un certain nombre commenceront sur le même degré, comme on le voit pratiqué dans les mélodies ambrosiennes (les hymnes).

« Il y a, je le sais, des chants qu'on pourrait appeler prosaïques et dans lesquels ce que je viens de dire n'est pas observé avec la même rigueur; comme dans la prose ordinaire, on y fait assez peu attention, si les phrases et les membres de phrase se rencontrent ici ou là sans règle bien déterminée, tantôt plus longs et tantôt plus courts. Mais je parle surtout des chants métriques, c'est-à-dire composés de telle sorte qu'en chantant il semble que nous scandions des vers,[1] comme de fait il arrive, quand ce sont des mètres que nous chantons. Dans ces chants, il faut avoir soin d'entremêler les neumes dissyllabiques avec les trisyllabiques et les tétrasyllabiques. Car, de même que les poètes lyriques unissent dans leurs vers plusieurs sortes de pieds, ainsi, pour composer un chant, le musicien fait un mélange convenable de neumes différentes. J'appelle mélange convenable celui dans lequel la variété des neumes et des distinctions est tellement ordonnée que les neumes répondent aux neumes et les distinctions aux distinctions avec une sorte de ressemblance dissemblable, mais toujours harmonieuse, à la façon du très doux Ambroise.

« Or, mètres et chants ont, entre eux, une grande ressemblance : les neumes sont en guise de pieds et les distinctions remplacent les vers. Telle neume, en effet, est de rythme dactylique, telle autre de rythme spondaïque ou iambique. Vous trouverez de même des distinctions tétramètres, pentamètres, hexamètres et beaucoup d'autres choses encore[2]... On aura soin, dans les phrases et les membres de phrase, de faire terminer ensemble le chant et les paroles, comme aussi de ne placer point des notes longues sur des syllabes brèves, ou des brèves sur des longues, où elles produiraient un mauvais effet ; au reste, ces cas sont assez rares.

« Il faut donner à chaque mélodie le caractère qui lui convient : dans les sujets tristes, les neumes doivent être graves; quand tout y est calme, les neumes seront plutôt agréables; elles deviendront exultantes dans le triomphe et la joie, et ainsi des autres. Il arrive encore assez souvent qu'on place au-dessus des notes un accent grave ou aigu, parce que certains sons doivent être produits avec force et d'autres plus faiblement, en sorte que la même note répétée avec cette alternative de force et de faiblesse semble réellement monter et descendre.

« Vers la fin des distinctions, il convient que les sons arrivent de plus en plus rares au lieu du repos, semblables au coursier qui ralentit le pas et rentre fatigué de sa course. La notation musicale indiquera ce ralentissement par ses notes plus pressées et moins nombreuses.

« Ajoutons, enfin, que nombre de sons en musique deviennent liquescents, à la manière des lettres de l'alphabet, en sorte que, la voix passant de l'un à l'autre par une transition inaperçue, le premier ne semble pas fini que le second est déjà commencé. Nous marquons ces sons liquescents par un point comme une tache au-dessus de la note, de cette manière :

GD E        Ga       a          G

Ad   te         le          va         vi

Si cependant on préfère deux notes pleines, au lieu d'un son liquescent, rien ne s'y oppose et souvent même la mélodie en est plus agréable.

« Tout ce que nous venons de dire doit être observé avec une certaine discrétion, sans excès ni en plus ni en moins.

« Comment les sons deviennent liquescents, s'ils doivent être unis ou séparés, lesquels sont longs ou tremblés, lesquels sont brefs, de quelle sorte la mélodie se partage en phrases et membres de phrase, quel mouvement ont les sons, ascendant, descendant ou sur un même degré, il suffit d'un entretien pour le faire apercevoir dans la figure même des neumes, pourvu qu'elles soient bien écrites et disposées avec ordre. »

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Telle est la doctrine rythmique de Guy d'Arezzo. Elle est, on le voit, en conformité parfaite avec celle d'Hucbald de Saint-Amand, fondée sur les mêmes principes, d'une nature toute pratique et envisagée uniquement dans ses applications au chant ecclésiastique.

 

 

[1] Parce qu'en effet ils ont un rythme, comme les vers, et que les distinctions y sont ordonnées à la manière des vers, c'est-à-dire ayant toutes une longueur déterminée et à peu près égale, parfois môme étant réunies en forme de strophe poétique, bien que le texte soit une simple prose. On se rappelle la distinction établie par les rythmiciens entre le rythme, le mètre et le vers : tout rythme n'est pas mètre ni vers, mais tout mètre et tout vers est nécessairement rythme ; le mètre ajoute au rythme la détermination du nombre et de la forme des pieds rythmiques. Cela explique la pensée de Guy d'Arezzo dans ce passage : il y a des mélodies qui sont rythmes purs, parce que les distinctions ou membres de phrases n'y sont soumis à aucune règle de longueur déterminée; ce sont les chants qu'on pourrait, dit-il, appeler prosaïques. Il y en a d'autres, où les rythmes sont de longueur et de forme absolument déterminées et réglées sur un texte poétique, les hymnes par exemple; ceux-là sont proprement métriques. Il en est d'autres enfin, composés sur de la prose, mais en donnant aux rythmes, c'est-à-dire aux distinctions ou membres de phrase, une étendue et des formes assez déterminées pour qu'on puisse les assimiler en quelque sorte à des rythmes métriques. Cette assimilation suppose nécessairement deux choses : des pieds rythmiques, que le chanteur scande à la manière des pieds métriques dans les vers, puis une étendue limitée pour chaque rythme et à peu près égale à celle des vers.

[2] J'omets ici une phrase qui n'est pas à sa place ; ce qu'elle contient fait l'objet du chapitre xvi, où sont expliqués ces divers mouvements mélodiques, par préposition, supposition, apposition, etc., et où se trouve le tableau annoncé à la fin de la phrase.